Notes
-
[1]
Pour une illustration du débat d’idées autour des problèmes de droits d’auteur des journalistes, comp. : SPMI (organisation patronale), “La presse française sera-t-elle sur l’internet ? Pour une défense de l’œuvre collective”, Légipresse n° 153-I, p. 95 et les positions des syndicats de journalistes exprimés au sein de la SCAM, “La presse sur Internet. Les droits d’auteur des journalistes”, Légipresse n° 156- III, p. 138.
-
[2]
Exemple de déclinaison jurisprudentielle de l’article L. 761-9 du code du travail : Aix (1re ch., 22 février 1957, Cornec c/ Le Méridional et La France, JCP 1958, II, 9805 ; pour des solutions contraires : cass., civ. (1re ch.), 20 décembre 1982, Société Pressinter c/ Ladislas de Csabay, JCP 1983, II, 20102 ; cass., civ. (1re ch.), 27 mai 1986, D. 1986, IV, p. 228, RIDA, n°132, p. 62 ; Emmanuel Derieux fait opportunément observer : « L’impact des nouvelles technologies d’information et de communication éclaire d’un jour nouveau et plus cru un tel état de fait bien plus qu’il ne le crée », Droit de la communication, 3e éd., LGDJ, 1999, p. 622 ; ibid. : Derieux (E.), note ss Lyon, 9 décembre 1999, Le Progrès c/ SNJ, JCP, ed. G., 2000, II, 10 280.
-
[3]
Cf. Derieux (E.), Droit de la communication, 3e éd., LGDJ, 1999, p. 613 et s. et l’abondante bibliographie citée ; Derieux (E.), “La Presse sur Internet, le droit d’auteur des journalistes”, Légipresse 1998, n° 156-II, p. 138-139 ; Sirinelli (P.), “Le droit des journalistes, l’œuvre collective et les nouveaux médias”, D. Aff. 1999, p. 9 ; Ader (Basile), “La cession des droits d’auteur des journalistes”, Légicom n° 14, 1997, p. 35-41.
-
[4]
Derieux (E.), “Nouvel âge de la communication et définition du journaliste en droit français”, Légipresse n° 130-I, p. 25-30 ; Derieux (E.), “journaliste-internaute ? De la possibilité, pour un internaute, de se prévaloir de la qualité de journaliste”, Petites affiches, 19 mars 1997, p. 8-12.
-
[5]
Cass., soc., 1er avril 1992, SNEF Edimonde, Hachette c/ Thierry d’Almeras et CE, 1er avril 1992, Guy Brouty, Légipresse 1992, III, p. 138- 139 ; Paris (18e ch.), 29 mai 1999, Universal Photo c/ Moulia, Légipresse 1998, n° 151-I, p. 54.
-
[6]
Pour un exemple jurisprudentiel autorisant la 1re publication dans une publication du même groupe de presse : cass. soc., 8 juillet 1997, Ferrand & autres c/ Société Agir, Légipresse, 1998, n° 149-III, p. 21-22.
-
[7]
Lamy droit des médias et de la communication, Fasc. 515, La constitution de l’œuvre multimédia, plus particulièrement 515-8.
-
[8]
Latreille (A.), “la notion d’œuvre collective ou l’entonnoir sur la tête”, Communication-commerce électronique, mai 2000, p. 14-17 ; Edelman (B.), “L’œuvre collective : une définition introuvable”, D. 1998, chron., p. 41 ; Rojinsky (C.), “La réexploitation des œuvres journalistiques, propos en marge de l’affaire DNA”, Légipresse 1998, n° 154-II, p. 101-105 ; Reboul (Y.), Quelques réflexions sur l’œuvre collective, Mélange Mathély, Litec, 1990, p. 307 et s. ; Cédras (J.), “L’œuvre colective en droit français”, RIDA, octobre 1979, p. 45.
-
[9]
Lamy droit des médias et de la communication, Fasc. 515, ß 515-15
-
[10]
Olivier (F.), Barbry (É.), “Les journalistes et l’Internet”, Légicom n° 14, 1997, p. 51.
-
[11]
TPI Bruxelles, 16 octobre 1996, Central Station, Légicom n° 14, 1997, p. 91, D. 1997, p. 322, note B. Edelman.
-
[12]
TGI Strasbourg (réf.), 3 février 1998, USJF, SNJ & autres c/ SA SDV Plurimédia, Légipresse, 1998, n° 149-III, p. 22 à 25 ; Colmar (1re ch. civ.), 15 septembre 1998, Société SDV Plurimédia c/ SJF-CFDT et autres, Légipresse, 1998, n° 157-III, p. 172-174.
-
[13]
Lyon (11e ch.), 9 décembre 1999, SA Groupe Progrès c/ SNJ & autres, Légipresse, 2 000 ; n° 171-III, p. 7-12, note Nicolas Brault
-
[14]
Paris (1re ch), 10 mai 2000, SA Gestion du Figaro c/ SNJ, LP N° 172-III, p. 92.
-
[15]
Pour un avis similaire : Lamy droit des médias et de la communication, Fasc. 515, “La constitution de l’œuvre multimédia”, et plus particulièrement 515-14 ; ibid. : Derieux (E.), note ss Lyon, 9 déc. 1999, Le Progrès c/ SNJ, JCP, éd. G., 2000, II, 10 280.
-
[16]
Olivier (F), Barbry (É), “Les journalistes et l’Internet”, Légicom n° 14, 1997, p. 51 : Les auteurs observent : « à terme, lorsque tous les contrats de travail ou de commande prévoiront l’exploitation de l’article sous une forme analogique et/ou numérique, les différentes rémunérations risqueront alors d’être à nouveau fondues dans une rémunération forfaitaire unique et globale » ; ibid. : Ader (Basile), “la cession des droits d’auteur des journalistes”, Légicom n° 14, 1997, p. 35-41 et plus particulièrement p. 40.
-
[17]
ibid., p. 54 : les auteurs invitent éditeurs et auteurs à s’entendre en rappelant aux auteurs de ne pas imposer des diktats contraires au devenir de l’internet et donc au leur ; de même : Gautier (P.-Y., note ss TGI Paris (1re ch.), 14 avril 1999, SNJ c/ Figaro, Légipresse, 1999, n° 162-III, p. 81 à 85 et plus particulièrement p. 85 ; Emmanuel Derieux en conclut justement que les droits des éditeurs et des journalistes sont ´“plus concourants que concurrents : Droit de la communication, 3e éd., 1999, p. 622.
-
[18]
Conseil d’État, Internet et les réseaux numériques, coll. Les Études du Conseil d’État, La Documentation française, 1998, p. 127-141.
-
[19]
Gautier (P.-Y.), note ss TGI Paris (1re ch.), 14 avril 1999, SNJ c/ Figaro, Légipresse, 1999, n° 162-III, p. 81 à 85, plus particulièrement p. 84 et 85
-
[20]
Colmar (1re ch. civ.), 15 septembre 1998, Société SDV Plurimédia c/ SJF-CFDT et autres, Légipresse, 1998, n°157-III, p. 172-174 ; Lyon (11e ch.), 9 décembre 1999, SA Groupe Progrès c/ SNJ & autres, Légipresse, 2000, n° 168-III, p. 7-12, note Nicolas Brault
-
[21]
Paris (1re ch.), 10 mai 2000, SA Gestion du Figaro c/ SNJ.
-
[22]
Légipresse n° 152-IV, p. 63.
-
[23]
Pour quelques exemples pratiques : Liaisons sociales, quotidien, vendredi 8 octobre 1999, n° 86, Fasc. “conventions collectives et accords” ; pour un commentaire (acerbe mais juste) de l’accord-cadre PQR ; ibid. : Derieux (E.), note ss Lyon, 9 décembre 1999, Le Progrès c/ SNJ, JCP, éd. G., 2000, II, 10 280.
-
[24]
Dont il n’est pas exclu qu’ils “mettent le feu...”, mais pas dans l’acception positive usuellement retenue dans le monde du spectacle. Pour un avis similaire ; ibid. : Derieux (E.), note ss Lyon, 9 décembre 1999, Le Progrès c/ SNJ, JCP, ed. G., 2 000, II, 10 280. L’auteur évoque avec raison la possibilité de faire table rase du droit conventionnel par le recours à la résolution judiciaire.
-
[25]
En ce sens : Derieux (E.), droit de la communication, 3e éd., LGDJ, 1999, p. 620.
1 LES NOUVEAUX MODES de diffusion de l’information ont eu une double incidence sur la profession de journaliste. En effet, ils ont obligé cette profession à s’interroger sur son statut. Ceci a amené la commission de la carte des journalistes à élaborer une doctrine déclinant les dispositions légales du code du travail au cas particulier du journalisme multimédia.
2 Par ailleurs, l’autre versant, plus médiatique, de ce bouleversement juridique dû à l’introduction de nouvelles techniques de diffusion a été la problématique des droits d’auteur des journalistes, conjuguant droit du travail et droit de la propriété intellectuelle, œuvre individualisable et œuvre collective [1]. L’innovation technique a toutefois rejoint la tradition juridique consistant à soumettre à l’autorisation du journaliste toute nouvelle publication [2]. Une abondante littérature juridique ayant d’ores et déjà traité de ces questions [3], il serait présomptueux de vouloir faire œuvre novatrice en la matière. Tout au plus peut-on tenter de faire œuvre de synthèse et d’apporter quelques éléments jurisprudentiels récents en vue de contribuer au débat.
I – LE STATUT DE JOURNALISTE ET LES NOUVEAUX SUPPORTS DE COMMUNICATION
3 Le statut du journaliste se retrouve en France dans le code du travail et, accessoirement, dans la convention collective nationale de travail des journalistes.
4 À ce titre, l’article L. 761-2 du code du travail définit le journaliste comme : « celui qui a pour occupation principale, régulière et rétribuée l’exercice de sa profession dans une ou plusieurs publications quotidiennes ou périodiques ou dans une ou plusieurs agences de presse et qui en tire le principal de ses ressources ».
5 Se pose dès lors la question de savoir si les collaborateurs des entreprises de communication multimédia peuvent accéder à cette qualification [4].
A/ Une définition légale rigoureuse mais incomplète
1. Rigueur
6 La définition légale du journaliste professionnel apparaît comme pleine de rigueur en ce qu’elle semble interdire l’accès à la qualité de journaliste dès lors que l’on ne travaille pas dans une publication de presse ou dans une agence de presse.
7 On observera que dans le premier cas, seul le média est visé (la publication de presse et non l’entreprise de presse) alors que dans la seconde hypothèse, c’est l’objet social de la société (activité d’agence de presse) qui est retenu. Ces deux critères que sont la publication de presse et l’agence de presse sont par ailleurs définis légalement. En effet, le statut de l’agence de presse est régi par l’ordonnance du 2 novembre 1945, tandis que la publication de presse est définie par la loi du 1er août 1986.
8 En conséquence, constituent des agences de presse : « les organismes privés qui fournissent aux journaux et périodiques, des articles, informations, reportages, photographies et tous autres éléments de rédaction et qui tirent leurs principales ressources de ces fournitures ».
9 Enfin la loi du 1er août 1986 définit la publication de presse comme : « tout service utilisant un mode écrit de diffusion de la pensée mis à la disposition du public en général ou de catégories de public et paraissant à intervalles réguliers ».
10 Il ressort de ces deux définitions que les nouveaux supports multimédias sont a priori (mais pas définitivement) exclus du champ de la définition du journaliste donnée par l’article L. 761-2 du code du travail. Ceci n’est d’ailleurs guère étonnant puisque le même constat avait pu être fait à propos des activités de communication audiovisuelle, ce qui avait amené le législateur à assimiler ces activités à celle de la presse écrite par l’article 93 de la loi du 29 juillet 1982, pour faire bénéficier les collaborateurs des rédactions audiovisuelles du statut de journalistes. En conséquence, le fait de qualifier un service en ligne de service de communication audiovisuelle n’est pas sans incidence sur le statut des collaborateurs de la rédaction.
2. Une définition incomplète
11 La définition du journaliste professionnel apparaît incomplète dès lors qu’elle est tautologique et qu’elle ne fait pas référence aux missions du journaliste au sein de la publication ou de l’agence de presse. Aussi la jurisprudence a-t-elle été amenée à préciser cette définition légale en exigeant que le travail rédactionnel du journaliste soit lié à l’actualité [5].
12 C’est sur ce corpus légal et jurisprudentiel que s’est fondé la commission de la carte pour établir sa doctrine quant à l’attribution de la carte pour le “journalisme en ligne”.
B/ Pratique de la commission de la carte
13 Au terme d’une délibération adoptée à l’unanimité le 14 mai 1998 par sa commission plénière, la commission de la carte a f ixé sa doctrine pour ce qui concerne le journalisme multimédia.
14 Avant d’examiner dans le détail ces différentes conditions, il importe de préciser que la commission de la carte ne peut être que l’instrument de la loi dans la délivrance de la carte. Cela signifie que ces conditions ne peuvent avoir de valeur contraignante que si elles empruntent aux termes de l’article L.761-2 du code du travail.
15 Six conditions cumulatives doivent être réunies pour que la qualité de journaliste soit reconnue par ladite commission.
- La première est que le demandeur à l’obtention de la carte se doit d’être rattaché à la convention collective nationale de travail des journalistes et à l’une de ses qualifications qui doit figurer sur le bulletin de salaire. Cette première condition illustre bien le fait que la carte de presse est déclarative et non constitutive de la qualité de journaliste puisque celle-ci doit préexister à l’attribution de la carte.
- Seconde condition : le demandeur doit relever soit d’une filiale d’entreprise de presse au sens de la loi, soit d’une structure disposant d’une personnalité juridique distincte (société, association) dont les statuts devront être fournis et prévoir explicitement, et à titre principal, une mission d’information à l’égard du public.
17 Cette condition va au-delà des termes de la loi (qui ne vise que l’agence de presse et la publication de presse), mais rejoint les termes de la jurisprudence quant à l’exigence d’information du public.
- Troisième condition : l’information disponible en ligne doit être réactualisée périodiquement en fonction de la nature de l’information diffusée. Une telle condition se rapporte à la notion de publication de presse qui suppose périodicité et donc nouveauté de l’information.
- Quatrième condition : s’il s’agit d’un support matériel (CD-Rom, DVD), la périodicité doit être au minimum trimestrielle et la régularité comparable à celle requise pour une publication imprimée de façon classique.
19 On retrouve ici l’une des conditions fixées par les articles 72 annexe III du code général des impôts et D 17 du code des Postes et télécommunications en vue de l’attribution d’un numéro de commission paritaire à la publication de presse. On ne voit toutefois guère pourquoi un journaliste pourrait se voir refuser l’attribution d’une carte au motif que la publication de presse ne dispose pas d’une numéro de commission paritaire. En effet, cette absence de numéro ne vient qu’empêcher le bénéfice de tarifs fiscaux et postaux préférentiels et n’interfère nullement sur la qualité de publication de presse qui demeure.
20 Néanmoins, il est vrai qu’au-delà d’une périodicité trimestrielle, on se trouve plus proche d’une édition de librairie que d’une publication de presse.
- Cinquième condition : le demandeur doit fournir des copies d’écran en nombre significatif ainsi que l’adresse électronique de la publication accessible en ligne.
22 Cette condition s’impose comme permettant la preuve matérielle du travail rédactionnel du journaliste au sein de la publication de presse. Elle correspond en cela aux conditions fixées par la jurisprudence pour reconnaître la qualité de journaliste.
- Enfin, sixième et dernière condition, les tâches doivent être exclusivement journalistiques et s’exercer dans une structure journalistique (rédaction, direction de l’information).
24 Cette condition rejoint les termes de l’article L. 761-2 du code du travail et la jurisprudence y afférent.
25 On y retrouve d’ailleurs la tautologie de ce texte puisqu’elle exige du journaliste qu’il exerce sa profession dans une structure journalistique.
26 Conjuguant tradition et modernité, la doctrine de la commission de la carte ouvre donc l’attribution de la carte aux journalistes multimédias.
27 Demeure alors, une fois la carte obtenue, la question des droits d’auteur.
II – LES DROITS D’AUTEUR ET LE JOURNALISME SUR INTERNET
28 Le journalisme ayant pour fonction de recueillir et de diffuser l’information auprès du public, il va de soi que les activités multimédias ne pouvaient rester étrangères à ce secteur professionnel. Ces nouveaux modes de communication apportaient avec eux leur problématique juridique quant au mode et au montant de la rémunération due au titre de l’exploitation des œuvres sur ces nouveaux supports.
29 À ce titre, la jurisprudence actuelle tire les leçons des situations passées et invite à penser l’avenir dans le cadre contractuel tant prisé par le code de la propriété intellectuelle.
A/ Une jurisprudence construite sur le passé
30 Cet intitulé ne vise nullement à qualifier de passéiste les décisions judiciaires rendues jusqu’alors mais à relever que celles-ci prennent en considération des situations contractuelles du passé où les clauses de cession de droits ne figuraient guère dans le contrat de travail (lorsque celui-ci existait !) ce, dans un cadre légal protecteur de l’auteur personne physique.
31 Ainsi, les décisions actuelles viennent s’inscrire autour d’une pierre angulaire du droit de la propriété littéraire et artistique, l’article L. 111-1 du code de la propriété intellectuelle, selon lequel : « l’auteur d’une œuvre de l’esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d’un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous. L’existence ou la conclusion d’un contrat de louage d’ouvrage ou de service par l’auteur d’une œuvre de l’esprit n’emporte aucune dérogation à la jouissance du droit reconnu par l’alinéa 1 ».
32 À ces dispositions s’ajoutent celles de l’article L. 761-9 du code du travail selon lequel : « le droit de faire paraître dans plus d’un journal ou périodique les articles ou autres œuvres littéraires ou artistiques [des journalistes] est obligatoirement subordonné à une convention expresse précisant les conditions dans lesquelles la reproduction est autorisée » [6].
33 La loi est donc claire. À défaut de cession des droits de propriété intellectuelle, ceux-ci restent attachés à la personne de l’auteur et aucune dévolution automatique n’est envisageable.
34 Les deux codes, dans un même élan de romantisme législatif, privilégient ainsi la personne physique par rapport à la personne morale qu’est la société éditrice [7]. La clarté législative s’estompe toutefois lorsque apparaît la notion d’œuvre collective à l’article L. 113-2 du code de la propriété intellectuelle car ce type d’œuvre déroge au principe sus-évoqué en attribuant les droits de propriété intellectuelle sur une telle œuvre à la société éditrice [8]. S’agissant d’une exception, cet article s’interprète toutefois strictement puisqu’en son sein même, il prévoit que l’une des caractéristiques de l’œuvre collective est : « la contribution personnelle des divers auteurs participant à son élaboration se fond dans l’ensemble en vue duquel elle est conçue, sans qu’il soit possible d’attribuer à chacun d’eux un droit distinct sur l’ensemble réalisé ».
35 A contrario, cela signifie que lorsqu’un droit distinct sera identifiable, le principe classique de rattachement des droits à la personne physique de l’auteur reprendra toute sa vigueur, ce d’autant plus que le droit de propriété sur l’œuvre collective posé par l’article L. 113-5 du code de la propriété intellectuelle admet expressément la preuve contraire, ce qui donne un caractère réfragable à la titularité de droits. Dès lors, la publication de presse, traditionnellement conçue comme une œuvre collective, devient métaphoriquement une matriochka, poupée russe dont l’ouverture révèle l’existence d’autres poupées. Au sein de l’œuvre globale qu’est la publication, on pourra retrouver d’autres œuvres, d’autant plus facilement individualisables qu’elles seront signées par leur auteur journaliste au nom du droit moral, ce qui ne fait que conf irmer l’existence d’une œuvre.
36 Dès lors, le journaliste reste titulaire de droits sur son œuvre individualisable [9], à défaut de clause de cession dans son contrat de travail. Ceci avait invité la doctrine à conclure dès 1997 que la plupart des publications étaient alors réalisées : « en parfaite contradiction avec les dispositions du code de la propriété intellectuelle » [10], le salaire perçu ne couvrant, en l’absence de cession de droits, que la première publication.
37 La jurisprudence française ne tarda pas à confirmer cette opinion, suivant en cela une décision du Tribunal de première instance de Bruxelles du 16 octobre 1996 [11]. Le tour de France judiciaire du droit d’auteur des journalistes commença ainsi à Strasbourg avec les Dernières Nouvelles d’Alsace [12], pour ensuite prendre le cap de Lyon [13] avant de rejoindre, dans un ultime sursaut de jacobinisme, Paris. La cour d’appel de Paris, dans son arrêt du 10 mai 2 000 relatif au Figaro, réaffirme la nécessité pour l’éditeur de justifier de la cession des droits pour toute exploitation suivant la première en relevant qu’il importe peu que le journal constitue ou non une œuvre collective [14].
B/ Des accords conclus pour l’avenir
38 Le dispositif législatif et jurisprudentiel invite donc les sociétés éditrices à conclure avec leurs collaborateurs des contrats de cession de droits qui pourront prendre la forme de contrats de travail incluant des clauses de cessions [15]. En effet, la cession de droits n’interdit nullement une rémunération forfaitaire dans le cadre d’une activité journalistique, comme le prévoit l’article L. 132-6 du code de la propriété intellectuelle [16]. Reste toutefois à répondre à la logique du code civil qui privilégie le consensualisme en invitant à un accord sur la chose et sur le prix [17].
39 À cette logique classique, le Conseil d’État propose un aménagement législatif en envisageant un système de dévolution des droits d’exploitation au profit de la société éditrice en contrepartie d’une rémunération équitable des auteurs selon des modalités qui pourraient être fixées par la loi, nouvelle illustration de la tendance française à l’interventionnisme étatique alors même que le consensualisme du code civil pourrait suffire [18].
40 Parallèlement à ces dispositifs fondés sur le droit de la propriété intellectuelle, le droit du travail vient procéder à quelques incursions dans le domaine de la propriété littéraire et artistique, encouragé en cela par la doctrine [19]. La première de ces incursions est la reconnaissance à agir des syndicats de journalistes dans des actions judiciaires engagées à l’encontre de supports de presse réutilisant les œuvres des journalistes sans accord préalable [20]. En application de l’article L. 411-11 du code du travail, il est reconnu à ces syndicats un intérêt à agir au motif suivant : « le non-respect des droits d’auteurs des journalistes invoqué est de nature à porter un préjudice direct ou indirect à l’intérêt collectif de la profession représentée par le syndicat national des journalistes » [21].
41 Après l’offensive judiciaire vient l’heure des pourparlers et du traité de paix qu’est l’accord conventionnel. L’exemple des Dernières Nouvelles d’Alsace est sur ce point des plus parlants : sept mois après l’ordonnance de référé, un accord est signé entre la direction et les syndicats de journalistes [22]. Cette initiative alsacienne avait toutefois été précédée par un accord d’entreprise au sein du quotidien Le Monde, en date du 14 octobre 1996 (sans contentieux préalable et selon la logique vertueuse qui préside à l’institution) puis au sein du quotidien belge Le Soir à la date du 29 septembre 1997.
42 L’agitation médiatique conjuguée à l’affolement post-traumatique du patronat résultant des chocs judiciaires provoqués par les syndicats de journalistes ont alors incité à la conclusion de multiples accords d’entreprise qui procèdent plus de l’empirisme propre au dialogue social que de la rigueur conceptuelle de la propriété littéraire et artistique [23].
43 Par-delà ces contre-feux conventionnels [24], il est donc souhaitable de procéder à la signature d’un contrat individuel (de travail ou de cession de droits hors relation salariale) car, ainsi que le rappelle la cour d’appel de Lyon dans l’affaire du Progrès : « un salarié [...] peut céder tout ou partie de ses droits patrimoniaux ». Le code de la propriété intellectuelle ayant une approche beaucoup plus individualiste que le code du travail, il apparaît préférable de négocier directement avec les collaborateurs de la rédaction plutôt que de privilégier un système de négociation collective qui ne peut appréhender la diversité des situations au sein de l’entreprise de presse et ne répond pas aux exigences du code de la propriété intellectuelle [25].
44 Au-delà de ces questions de titularité, l’intérêt de la logique contractuelle, qu’elle soit individuelle ou collective, est qu’elle permet une individualisation des rémunérations qui sera d’autant plus facile que l’on pourra identifier avec précision les différentes consultations de l’œuvre individualisable et répartir ainsi les profits dus au temps de connexion pour ce qui concerne les services en ligne. Le droit de la propriété intellectuelle et son principe de rémunération proportionnelle de l’auteur rejaillit ici sur le droit du travail qui privilégie la rémunération forfaitaire fixée sur la base d’un barème conventionnel commun à l’ensemble de la profession.
45 L’effet rebond du combat pour les droits d’auteur des journalistes consiste ainsi à faire entériner indirectement le principe d’individualisation des rémunérations au sein des rédactions, en fonction de la production rédactionnelle et de son incidence sur les développements des résultats financiers de l’entreprise.
46 Décidément, les droits d’auteur imposent un réel rapprochement des conceptions patronales et salariales dans la gestion des politiques de rémunérations...
Notes
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[1]
Pour une illustration du débat d’idées autour des problèmes de droits d’auteur des journalistes, comp. : SPMI (organisation patronale), “La presse française sera-t-elle sur l’internet ? Pour une défense de l’œuvre collective”, Légipresse n° 153-I, p. 95 et les positions des syndicats de journalistes exprimés au sein de la SCAM, “La presse sur Internet. Les droits d’auteur des journalistes”, Légipresse n° 156- III, p. 138.
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[2]
Exemple de déclinaison jurisprudentielle de l’article L. 761-9 du code du travail : Aix (1re ch., 22 février 1957, Cornec c/ Le Méridional et La France, JCP 1958, II, 9805 ; pour des solutions contraires : cass., civ. (1re ch.), 20 décembre 1982, Société Pressinter c/ Ladislas de Csabay, JCP 1983, II, 20102 ; cass., civ. (1re ch.), 27 mai 1986, D. 1986, IV, p. 228, RIDA, n°132, p. 62 ; Emmanuel Derieux fait opportunément observer : « L’impact des nouvelles technologies d’information et de communication éclaire d’un jour nouveau et plus cru un tel état de fait bien plus qu’il ne le crée », Droit de la communication, 3e éd., LGDJ, 1999, p. 622 ; ibid. : Derieux (E.), note ss Lyon, 9 décembre 1999, Le Progrès c/ SNJ, JCP, ed. G., 2000, II, 10 280.
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[3]
Cf. Derieux (E.), Droit de la communication, 3e éd., LGDJ, 1999, p. 613 et s. et l’abondante bibliographie citée ; Derieux (E.), “La Presse sur Internet, le droit d’auteur des journalistes”, Légipresse 1998, n° 156-II, p. 138-139 ; Sirinelli (P.), “Le droit des journalistes, l’œuvre collective et les nouveaux médias”, D. Aff. 1999, p. 9 ; Ader (Basile), “La cession des droits d’auteur des journalistes”, Légicom n° 14, 1997, p. 35-41.
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[4]
Derieux (E.), “Nouvel âge de la communication et définition du journaliste en droit français”, Légipresse n° 130-I, p. 25-30 ; Derieux (E.), “journaliste-internaute ? De la possibilité, pour un internaute, de se prévaloir de la qualité de journaliste”, Petites affiches, 19 mars 1997, p. 8-12.
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[5]
Cass., soc., 1er avril 1992, SNEF Edimonde, Hachette c/ Thierry d’Almeras et CE, 1er avril 1992, Guy Brouty, Légipresse 1992, III, p. 138- 139 ; Paris (18e ch.), 29 mai 1999, Universal Photo c/ Moulia, Légipresse 1998, n° 151-I, p. 54.
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[6]
Pour un exemple jurisprudentiel autorisant la 1re publication dans une publication du même groupe de presse : cass. soc., 8 juillet 1997, Ferrand & autres c/ Société Agir, Légipresse, 1998, n° 149-III, p. 21-22.
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[7]
Lamy droit des médias et de la communication, Fasc. 515, La constitution de l’œuvre multimédia, plus particulièrement 515-8.
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[8]
Latreille (A.), “la notion d’œuvre collective ou l’entonnoir sur la tête”, Communication-commerce électronique, mai 2000, p. 14-17 ; Edelman (B.), “L’œuvre collective : une définition introuvable”, D. 1998, chron., p. 41 ; Rojinsky (C.), “La réexploitation des œuvres journalistiques, propos en marge de l’affaire DNA”, Légipresse 1998, n° 154-II, p. 101-105 ; Reboul (Y.), Quelques réflexions sur l’œuvre collective, Mélange Mathély, Litec, 1990, p. 307 et s. ; Cédras (J.), “L’œuvre colective en droit français”, RIDA, octobre 1979, p. 45.
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[9]
Lamy droit des médias et de la communication, Fasc. 515, ß 515-15
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[10]
Olivier (F.), Barbry (É.), “Les journalistes et l’Internet”, Légicom n° 14, 1997, p. 51.
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[11]
TPI Bruxelles, 16 octobre 1996, Central Station, Légicom n° 14, 1997, p. 91, D. 1997, p. 322, note B. Edelman.
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[12]
TGI Strasbourg (réf.), 3 février 1998, USJF, SNJ & autres c/ SA SDV Plurimédia, Légipresse, 1998, n° 149-III, p. 22 à 25 ; Colmar (1re ch. civ.), 15 septembre 1998, Société SDV Plurimédia c/ SJF-CFDT et autres, Légipresse, 1998, n° 157-III, p. 172-174.
-
[13]
Lyon (11e ch.), 9 décembre 1999, SA Groupe Progrès c/ SNJ & autres, Légipresse, 2 000 ; n° 171-III, p. 7-12, note Nicolas Brault
-
[14]
Paris (1re ch), 10 mai 2000, SA Gestion du Figaro c/ SNJ, LP N° 172-III, p. 92.
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[15]
Pour un avis similaire : Lamy droit des médias et de la communication, Fasc. 515, “La constitution de l’œuvre multimédia”, et plus particulièrement 515-14 ; ibid. : Derieux (E.), note ss Lyon, 9 déc. 1999, Le Progrès c/ SNJ, JCP, éd. G., 2000, II, 10 280.
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[16]
Olivier (F), Barbry (É), “Les journalistes et l’Internet”, Légicom n° 14, 1997, p. 51 : Les auteurs observent : « à terme, lorsque tous les contrats de travail ou de commande prévoiront l’exploitation de l’article sous une forme analogique et/ou numérique, les différentes rémunérations risqueront alors d’être à nouveau fondues dans une rémunération forfaitaire unique et globale » ; ibid. : Ader (Basile), “la cession des droits d’auteur des journalistes”, Légicom n° 14, 1997, p. 35-41 et plus particulièrement p. 40.
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[17]
ibid., p. 54 : les auteurs invitent éditeurs et auteurs à s’entendre en rappelant aux auteurs de ne pas imposer des diktats contraires au devenir de l’internet et donc au leur ; de même : Gautier (P.-Y., note ss TGI Paris (1re ch.), 14 avril 1999, SNJ c/ Figaro, Légipresse, 1999, n° 162-III, p. 81 à 85 et plus particulièrement p. 85 ; Emmanuel Derieux en conclut justement que les droits des éditeurs et des journalistes sont ´“plus concourants que concurrents : Droit de la communication, 3e éd., 1999, p. 622.
-
[18]
Conseil d’État, Internet et les réseaux numériques, coll. Les Études du Conseil d’État, La Documentation française, 1998, p. 127-141.
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[19]
Gautier (P.-Y.), note ss TGI Paris (1re ch.), 14 avril 1999, SNJ c/ Figaro, Légipresse, 1999, n° 162-III, p. 81 à 85, plus particulièrement p. 84 et 85
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[20]
Colmar (1re ch. civ.), 15 septembre 1998, Société SDV Plurimédia c/ SJF-CFDT et autres, Légipresse, 1998, n°157-III, p. 172-174 ; Lyon (11e ch.), 9 décembre 1999, SA Groupe Progrès c/ SNJ & autres, Légipresse, 2000, n° 168-III, p. 7-12, note Nicolas Brault
-
[21]
Paris (1re ch.), 10 mai 2000, SA Gestion du Figaro c/ SNJ.
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[22]
Légipresse n° 152-IV, p. 63.
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[23]
Pour quelques exemples pratiques : Liaisons sociales, quotidien, vendredi 8 octobre 1999, n° 86, Fasc. “conventions collectives et accords” ; pour un commentaire (acerbe mais juste) de l’accord-cadre PQR ; ibid. : Derieux (E.), note ss Lyon, 9 décembre 1999, Le Progrès c/ SNJ, JCP, éd. G., 2000, II, 10 280.
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[24]
Dont il n’est pas exclu qu’ils “mettent le feu...”, mais pas dans l’acception positive usuellement retenue dans le monde du spectacle. Pour un avis similaire ; ibid. : Derieux (E.), note ss Lyon, 9 décembre 1999, Le Progrès c/ SNJ, JCP, ed. G., 2 000, II, 10 280. L’auteur évoque avec raison la possibilité de faire table rase du droit conventionnel par le recours à la résolution judiciaire.
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[25]
En ce sens : Derieux (E.), droit de la communication, 3e éd., LGDJ, 1999, p. 620.