1 JUSQU’AU 1er avril 1996, la faculté d’enregistrer ou non une marque appartenait entièrement aux offices nationaux des pays dans lesquels le titulaire déposait une demande d’enregistrement.
2 Avec l’entrée en vigueur de la marque communautaire, cette compétence exclusive des offices nationaux, tels que l’Institut national de la propriété industrielle (INPI) en France, se trouve remise en cause puisqu’il est dorénavant possible d’obtenir une protection pour sa marque en France sans que les critères de validité ne soient examinés par l’INPI.
Un droit supranational
3 La marque communautaire doit donc être considérée comme le premier droit supranational en matière de propriété industrielle. C’est d’ailleurs cette supranationalité qui explique qu’il ait fallu environ vingt ans pour convaincre les pays de l’Union européenne et pour que soit finalisé et publié le règlement CE 40/94 du 20 décembre 1993 au Journal officiel des communautés européennes (JOCE L-303).
4 Ce nouveau système de protection de marque constitue en fait un subtil compromis entre le principe de la libre circulation des produits rappelé dans l’article 30 du traité de Rome et la nécessité de protéger les droits nationaux de propriété industrielle affirmée dans l’article 36 du même traité.
5 L’entrée en vigueur de la marque communautaire a nécessité au préalable l’harmonisation des législations en matière de marques de chaque pays membre de la Communauté, grâce à une directive européenne du 21 décembre 1988 (JOCE L-40 du 11 février 1989). C’est d’ailleurs sur la base de cette directive qu’a été promulguée la nouvelle loi française n° 91-7 du 4 janvier 1991 relative aux marques de fabrique, de commerce ou de services.
Un nombre élevé de dépôts
6 Dix-huit mois après l’entrée en vigueur de la marque communautaire, et malgré un important retard pris dans le traitement des dossiers par l’Office d’harmonisation dans le marché intérieur (OHMI), il est déjà possible d’effectuer un premier bilan de cette nouvelle procédure de protection des marques et de commencer à en tirer les premiers enseignements. Au 15 octobre 1997, 63 098 demandes d’enregistrement de marques communautaires avaient été déposées auprès de l’OHMI à Alicante en Espagne. À peine 3 % de ces 63 098 demandes ont été publiées et déjà 350 oppositions ont été formulées à l’encontre des 1 399 demandes d’enregistrement publiées.
7 Alors que le président de l’OHMI, M. Jean-Claude Combaldieu, évaluait à environ 15 000 le nombre de dépôts de marques communautaires effectués la première année, ce fut en fait 40 000 demandes qui furent déposées en 1996. D’un point de vue quantitatif, la marque communautaire est donc un incontestable succès. D’un point de vue qualitatif, les procédures d’enregistrement ont pris beaucoup de retard en raison notamment du fait que chaque demande d’enregistrement est publiée dans les onze langues officielles de la Communauté européenne, avec tout ce que cela sous-entend comme difficulté au niveau des traductions.
8 Avant d’essayer de définir les premiers enseignements de cette nouvelle procédure, il nous paraît utile d’en rappeler les modalités les plus importantes.
La procédure de dépôt
9 La demande d’enregistrement d’une marque communautaire peut être déposée soit à Alicante auprès de l’OHMI, soit auprès des offices nationaux des pays membres de l’Union européenne, tels que l’Institut national de la propriété industrielle (INPI) en France. Lorsque la demande est déposée auprès d’un office des marques d’un des États membres, ce dernier dispose d’un délai de deux semaines pour transmettre la demande à l’OHMI.
10 Dans ce cas, la date de dépôt est celle à laquelle le demandeur a fourni à l’office des marques tous les documents requis par l’article 26 du règlement CE n° 90/94, notamment l’identification du demandeur, la liste des produits ou services visés, la reproduction de la marque, le paiement de la taxe de dépôt. Si la demande d’enregistrement parvient à l’OHMI plus d’un mois après son dépôt à l’office des marques du pays d’origine, elle est réputée retirée.
11 L’accès à la marque communautaire est largement ouvert à toutes les personnes physiques ou morales, françaises ou étrangères. Ainsi, est assimilée à une personne morale toute entité juridique qui, aux termes de la législation qui lui est applicable, a la capacité d’être titulaire de droits et d’obligations, de contracter ou d’ester en justice. Sociétés holdings, syndicats, associations peuvent donc être titulaires de marques communautaires.
12 S’agissant de la nationalité des demandeurs, peuvent être titulaires toutes les personnes physiques ou morales ayant leur domicile, leur siège social ou un établissement sérieux et effectif dans un pays, soit membre de l’Union européenne, soit signataire de la convention de Paris, soit signataire de l’accord Trips. À défaut, il suffit qu’une convention de réciprocité soit établie entre l’OHMI et un pays tiers pour que les personnes physiques ou morales domiciliées dans ce pays aient accès à la marque communautaire.
13 Le dépôt peut être effectué par le titulaire lui-même, ou par un mandataire agréé, tel qu’un avocat ou un conseil en propriété industrielle français qui, rappelons-le, doit être titulaire d’une maîtrise de droit, d’un troisième cycle spécialisé en droit de la propriété industrielle, posséder trois ans d’expérience professionnelle et avoir réussi l’examen que fait passer l’INPI pour accéder à la profession.
14 Le dépôt de la demande peut être effectué dans l’une des onze langues des États membres de l’Union européenne, mais la procédure d’enregistrement, ainsi que toute procédure devant l’OHMI, devront se faire dans une des cinq langues officielles (allemand, anglais, espagnol, français ou italien).
15 Les modalités d’enregistrement d’une marque communautaire sont assez proches de celles de la marque française, puisqu’elles s’inspirent toutes deux de la directive européenne du 21 décembre 1988 (JOCE L-40 du 11 février 1989) qui tendait à harmoniser les législations en matière de marques de chaque pays membre de la Communauté.
16 Toutefois, quelques différences notables méritent d’être soulignées. Lors du dépôt de la demande de marque communautaire, il est possible de revendiquer une priorité et/ou l’existence de droits acquis. La priorité peut résulter d’un dépôt antérieur national effectué dans un pays membre de la convention de l’Union de Paris, ou signataire de l’accord Trips, effectué dans les six mois qui précèdent. Toutefois, pour être acceptée, cette revendication de priorité doit porter sur le même signe et viser les mêmes produits ou services (ou une liste plus restreinte) que la première demande.
17 Dans le sens inverse, le déposant d’une marque communautaire, s’il s’agit d’une première demande, peut revendiquer un droit de priorité dans un délai de six mois lors de l’extension de sa marque à d’autres pays par la voie nationale ou internationale (arrangement ou protocole de Madrid).
18 Concernant la revendication de droits antérieurs, appelée aussi revendication d’ancienneté, elle découle des droits dont pourrait disposer le demandeur de la marque communautaire dans d’autres pays de l’Union européenne à la date du dépôt de sa demande d’enregistrement. Cette ancienneté ne sera acceptée que dans le cas de marques identiques et d’une liste de produits et services identique ou restreinte.
19 Le but de cette disposition consiste à permettre au titulaire de la marque communautaire, s’il renonçait à la marque nationale antérieure ou s’il la laissait s’éteindre, de continuer à bénéficier des mêmes droits que ceux qu’il aurait eus si la marque antérieure avait continué à être enregistrée.
20 L’idée sous-jacente étant que la marque communautaire remplace un jour un faisceau de droits nationaux antérieurs, permettant à son titulaire une gestion simplifiée de son portefeuille de marques à un coût beaucoup plus économique que celui d’un renouvellement de toutes ses marques dans les pays de la Communauté européenne.
La procédure d’examen
21 La demande de marque communautaire subit ensuite un examen de forme et de fond comparable à celui pratiqué par l’INPI lors de la procédure française. Cependant, le caractère distinctif d’une demande de marque verbale sera examiné en fonction des onze langues officielles de l’Union européenne, ce qui aura par exemple pour conséquence qu’une marque d’origine finlandaise qui signifierait “meilleur produit” ne pourrait être acceptée à l’enregistrement même si son sens descriptif n’est pas perçu dans les quatorze autres pays de la Communauté européenne. Bien entendu, un tel exemple n’est possible que si la demande de marque communautaire est déposée directement à l’OHMI sans revendiquer de priorité ou d’ancienneté, puisque dans l’exemple ci-dessus, l’office finlandais des marques n’aurait pas accepté l’enregistrement de ladite marque.
22 Par ailleurs, certaines directives ont été transmises aux examinateurs de l’OHMI, afin que soient refusées des marques composées d’une ou deux lettres, sauf si elles sont présentées de façon fantaisiste. De même, ne sont pas acceptées à l’enregistrement, les formes géométriques simples ou les couleurs primaires.
Les recherches transmises par l’OHMI
23 Simultanément à la procédure d’examen, une recherche d’antériorités est réalisée par l’OHMI parmi les demandes d’enregistrement communautaire, et parmi les marques nationales par certains pays qui en ont accepté le principe, mais parmi lesquels ne figurent ni l’Allemagne, ni la France, ni l’Italie. Or, ces trois pays représentent à eux seuls environ 50 % des marques déposées en Europe, contribuant ainsi au manque de fiabilité des recherches communiquées par l’OHMI.
24 Il est à noter, de plus, qu’aucune recherche n’est effectuée parmi les dénominations sociales lors d’un dépôt de marque communautaire. Il est donc particulièrement recommandé d’effectuer ce type de recherche préalablement au dépôt, au moins dans les pays qui disposent de fichiers informatisés.
25 Si la demande de marque communautaire paraît enregistrable et si le déposant maintient sa demande en fonction du rapport de recherches qui lui est communiqué, la demande sera alors publiée dans le Bulletin des marques communautaires.
La procédure d’opposition
26 Si aucune opposition n’est formulée dans les trois mois suivant la publication, la demande de marque communautaire sera alors enregistrée après acquittement d’une taxe dont le montant est actuellement de 1 100 écus pour un dépôt dans une à trois classes.
27 Il est important de noter qu’au moment de la publication de la demande, l’OHMI informe directement de cette publication les titulaires de marques communautaires ou de demandes de marques communautaires antérieures mentionnées dans le rapport de recherches communautaires et dont les droits seraient susceptibles d’être opposés à la demande publiée.
28 Il s’agit là d’une inégalité manifeste de traitement entre les titulaires de droits communautaires et les titulaires de marques nationales, ces derniers n’étant pas informés par l’OHMI du dépôt d’une marque communautaire susceptible de prêter à confusion avec leur propre marque. De plus, si à la suite d’une telle information le titulaire d’une marque communautaire antérieure s’opposait à la demande d’enregistrement publiée, l’OHMI aurait certainement tendance à accueillir plus favorablement cette opposition dans la mesure où elle a elle-même retenu la marque antérieure dans son rapport de recherches et informé son titulaire des possibilités de s’opposer à la nouvelle demande.
29 Ainsi, le titulaire de la marque communautaire antérieure pourrait se sentir “poussé” par l’OHMI à formuler une opposition dont il sait qu’une part notable du coût sera pris en charge par la partie défaillante. Cela peut s’avérer très gênant, car la marque communautaire constitue un seul bloc, c’est-à-dire qu’elle est enregistrée soit dans les quinze pays, soit dans aucun d’entre eux. Selon le même principe, la marque communautaire ne peut être cédée que dans sa totalité, sans possibilité de la démembrer pays par pays.
30 Dès lors, si une opposition contre une demande de marque communautaire est accueillie favorablement, alors qu’elle n’est fondée que sur une marque ou une dénomination sociale d’un pays de la Communauté, la demande sera refusée dans les quinze pays de l’Union.
31 Bien entendu, le règlement CEE a essayé de minimiser les effets négatifs d’une telle menace. Il a été notamment prévu des taxes d’opposition plus importantes qu’en France et la prise en charge par la partie perdante, à l’issue de la procédure d’opposition, des frais de la partie adverse dans une certaine limite, notamment les honoraires de son conseil.
32 Ces deux mesures, si elles ne s’avéraient pas suffisamment dissuasives, sont complétées par la possibilité de transformer la demande de marque communautaire qui serait refusée en demandes de marques nationales, mais il conviendra, au moment du dépôt de marque communautaire, de ne pas oublier de revendiquer l’ancienneté des droits dont elle pourrait disposer dans certains pays de la Communauté.
L’enregistrement de la marque
33 À l’issue de la procédure, la marque communautaire, qui aura franchi le cap de l’examen et de l’opposition, sera finalement enregistrée après paiement d’une taxe qui n’est pas négligeable.
34 Selon les textes, et dans le meilleur des cas, la procédure d’enregistrement devrait durer au moins huit mois. Dans la pratique, on s’aperçoit que les premières demandes, déposées officiellement le 1er avril 1996, ne parviendront, dans le meilleur des cas, à l’enregistrement qu’au printemps 1998.
35 La protection conférée par la marque communautaire est de dix ans à compter du dépôt et peut être renouvelée pour des durées identiques.
La typologie des premiers dépôts
36 Lors de son entrée en vigueur, les professionnels concernés s’accordaient à dire que la marque communautaire était particulièrement intéressante pour les titulaires disposant d’enregistrements homogènes dans les quinze pays de l’Union européenne, en particulier pour les personnes ou sociétés étrangères n’ayant pas d’établissement sérieux en Europe ou qui ne peuvent bénéficier des dispositions de l’arrangement de Madrid, permettant un dépôt centralisé de la marque revendiquant plusieurs pays auprès de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI) à Genève.
37 D’ailleurs, les études statistiques sur la nationalité des déposants des 63 098 premières demandes d’enregistrement révèlent que 41 % des demandes ont été effectués au nom de déposants extracommunautaires, dont 29,6 % par des déposants américains, premiers demandeurs en nombre de marques communautaires. De plus, si l’on ajoute à ces déposants extracommunautaires les déposants des pays de la Communauté qui n’ont pas ratifié l’arrangement de Madrid, on constate alors que 60 % des dépôts de marques communautaires ont été effectués par des ressortissants de pays ne pouvant bénéficier des dispositions de l’arrangement de Madrid. En ce qui concerne les dépôts d’origine française, ils ne représentent que 4,9 % de l’ensemble des marques communautaires.
38 Concernant la première langue la plus utilisée lors des dépôts de marque communautaire, l’anglais arrive largement en tête (42,8 %) devant l’allemand (20,3 %) ; le français n’arrivant qu’en cinquième position (6,5 %). En revanche, parmi les cinq langues officielles revendiquées, l’anglais arrive là encore en tête (52,6 %) devant le français (28,8 %) et l’espagnol (9, 2 %).
39 Parmi les 63 098 demandes déposées, 40 594 concernent des marques verbales, 21 377 des marques f iguratives (graphisme avec ou sans texte) et 559 des marques présentant un objet en trois dimensions. 85,8 % des dépôts effectués revendiquent une protection dans une à trois classes. Cela s’explique notamment par le fait qu’à compter de la quatrième classe, une taxe supplémentaire doit être acquittée.
L’intérêt des recherches d’antériorités préalables
40 Lorsque la marque communautaire est entrée en vigueur, beaucoup s’attendaient à ce que les principales marques notoires soient les premières déposées, limitant ainsi les risques d’opposition.
41 Or, il s’avère que sur les 1 399 demandes publiées (2,2 % des marques déposées) 265 demandes, soit 18,9 % des marques publiées, ont fait l’objet d’au moins une opposition. En fait, 350 oppositions ont été formulées à l’encontre de 265 demandes d’enregistrement. Sur ces 265 demandes opposées, 67 ont fait l’objet d’au moins deux oppositions ; le record étant détenu par une demande d’enregistrement ayant fait l’objet de huit oppositions.
42 Concernant ces 350 premières oppositions, il est particulièrement important de noter que 34 d’entre elles (soit 9,7 %) ont été formulées sur la base d’une marque antérieure non enregistrée et 41 d’entre elles (11,7 %) sur la base d’un signe antérieur différent d’une marque, c’est-à-dire soit une dénomination sociale, soit un nom commercial.
43 Cela signifie, en conséquence, que 21,4 % des oppositions formulées au 15 octobre 1997 l’ont été sur la base de droits qui ne pouvaient être identifiés lors des recherches d’antériorités effectuées par l’OHMI ou les offices de marques des pays ayant accepté de procéder à des recherches. Lorsque l’on sait que ces mêmes recherches ne portent pas sur les marques allemandes, françaises et italiennes, on comprend que leur efficacité est très relative.
44 C’est pourquoi aujourd’hui parmi les déposants de marques communautaires, deux tendances se sont dégagées : ceux qui procèdent par eux-mêmes à des recherches d’antériorités dans l’Union européenne et ceux qui ne procèdent à aucune recherche d’antériorités préalablement au dépôt de la demande communautaire.
45 Les premiers sont en général des entreprises puissantes prêtes à engager plusieurs dizaines de milliers de francs dans ce type de recherches, tandis que les secondes, de taille plus modeste, considérant que le coût du dépôt est inférieur au coût des recherches, décident de prendre date rapidement, espérant que la demande d’enregistrement ne rencontrera aucun obstacle.
46 Ce calcul, qui s’apparente davantage au poker qu’à une véritable stratégie juridique des marques, prend aussi en compte le fait que même en cas d’opposition, la demande de marque communautaire peut être transformée en demandes de marques nationales tout en conservant la date du dépôt communautaire. C’est pourquoi l’expérience montre qu’une nette majorité des entreprises n’effectue pas de recherches d’antériorités complètes au niveau européen avant de procéder au dépôt d’une demande de marque communautaire.
47 Une solution intermédiaire serait de recommander aux déposants d’effectuer au moins une recherche d’antériorités à l’identique parmi les marques en vigueur au sein de la Communauté. Une telle recherche permet, en effet, d’identifier les antériorités les plus pertinentes à un coût raisonnable pour la plupart des entreprises.
La typologie des premières oppositions
48 Pour en revenir aux 350 oppositions formulées, il est intéressant de constater que 116 (33,1 %) sont d’origine allemande, 45 (12,9 %) d’origine espagnole, 41 (11,7 %) d’origine britannique, 37 (10,6 %) d’origine américaine et 26 (7,4 %) d’origine française.
49 Plusieurs enseignements peuvent être tirés de ces chiffres. Tout d’abord, les Allemands et les Espagnols restent les Européens les plus attirés par le dépôt d’opposition. Toutefois, les opposants de ces deux pays ne poursuivent pas, dans la plupart des cas, la même finalité. Le titulaire de marque allemand recherche plutôt à obtenir des accords de coexistence avec les titulaires des marques contre lesquelles il s’oppose, tandis que le titulaire espagnol de marque aurait plutôt tendance à essayer de négocier une indemnisation financière en contrepartie du retrait de son opposition.
50 En raison de la procédure particulière d’opposition au niveau communautaire, notamment de la prise en charge partielle des frais de la partie gagnante par la partie défaillante, il n’est pas exclu que les oppositions d’origine espagnole ne déclinent à l’avenir.
51 De plus, les Espagnols, lorsqu’ils déposent une opposition dans leur pays à l’encontre d’une demande d’enregistrement de marque nationale, ne sont pas obligés de justifier l’usage de la marque sur laquelle ils fondent leur opposition lorsque celle-ci a plus de cinq ans. Or, l’article 43, paragraphes 2 et 3, du Règlement CE n° 40/94 précise que, sur requête du demandeur, le titulaire d’une marque antérieure qui a formé opposition doit apporter la preuve qu’au cours des cinq années qui précèdent la publication de la demande de marque communautaire, la marque antérieure a fait l’objet d’un usage sérieux dans la Communauté pour les produits ou les services pour lesquels elle est enregistrée et sur lesquels l’opposition est fondée, ou qu’il existe de justes motifs pour le non-usage, pour autant qu’à cette date la marque antérieure était enregistrée depuis cinq ans au moins. À défaut de pouvoir justifier d’un tel usage, l’opposant verra son opposition rejetée.
52 Enfin, nous devons noter qu’en proportion les titulaires français de marque déposent plus d’oppositions (7,4 %) que de demandes de marque communautaire (4,9 %). Cela s’explique, sans doute, par le fait que les Français sont les premiers déposants de marques de la Communauté européenne, et qu’ayant déposé très peu de marques communautaires, ils ont donc beaucoup plus de marques françaises à défendre.
53 En ce qui concerne les 265 demandes de marque communautaire ayant fait l’objet d’oppositions, 105 (39,6 %) sont d’origine américaine et 93 (35,1 %) d’origine britannique. Il serait sans doute hâtif d’en conclure que les dépôts de marque communautaire d’origine anglo-saxonne font l’objet de plus d’oppositions que les autres, puisque les Américains et les Britanniques figurent aussi parmi les premiers déposants de marque communautaire.
54 Toutefois, nous devons constater que si les marques d’origine britannique représentent 13,2 % des demandes d’enregistrement communautaire, le pourcentage de marques britanniques faisant l’objet d’au moins une opposition représente presque le triple, soit 35,1 %.
55 En revanche, sur les 265 marques communautaires “opposées”, seules deux sont d’origine française, soit 0,7 %. Ces chiffres sembleraient vouloir indiquer que les dépôts communautaires d’origine française ont été mieux préparés que ceux d’origine anglo-saxonne, mais tout cela doit être relativisé dans la mesure où ces dernières représentent la majorité des demandes déjà publiées, et donc susceptibles d’oppositions.
Les perspectives
56 L’avenir permettra d’affiner ces premières tendances et de vérifier si les entreprises françaises ont eu raison ou non de ne pas se précipiter sur cette nouvelle procédure d’enregistrement de marque.
57 Il sera aussi intéressant, dans les mois à venir, d’examiner si les titulaires français de marques vont préférer recourir au protocole de Madrid pour bénéficier d’une protection en Europe (y compris la Norvège, l’Islande, la Suisse, mais sans pour l’instant la Grèce et l’Irlande) plutôt qu’à la marque communautaire, dans la mesure où, par le biais du protocole, une opposition, par exemple au Royaume-Uni, ne remet pas en cause l’enregistrement de la même marque au Danemark.
58 Cependant, au taux actuel des taxes de l’OHMI et de l’OMPI, il est incontestable que le coût d’un dépôt de demande de marque communautaire dans trois classes est moins élevé que le coût d’un dépôt dans trois classes par le biais de l’arrangement et du protocole de Madrid pour les pays de la Communauté européenne.
59 Bien entendu, la stratégie de protection d’une marque au niveau international ne peut pas s’effectuer uniquement sur des considérations budgétaires, mais plutôt sur des critères géographiques de protection, de rapidité des procédures, d’historique de la marque. Ainsi, il est aujourd’hui paradoxal de constater que l’entrée en vigueur de ces nouveaux systèmes de protection de marque au niveau communautaire et international, qui étaient destinés avant tout à simplifier la gestion des portefeuilles de marques, n’a fait qu’accroître la difficulté pour les entreprises titulaires de marques à définir une stratégie pour la protection de celles-ci au niveau international.
60 Dans ce combat pour la défense des droits de marques, les titulaires français bénéficient de la chance de pouvoir s’adresser à des spécialistes parmi les plus qualifiés au niveau européen, ce qui n’est pas sans conséquence, lorsque l’on sait que certains mandataires étrangers agréés auprès de l’office communautaire des marques ne justifient d’aucune formation juridique ou de réussite à un examen professionnel devant leur office national de la propriété industrielle.
61 Quoi qu’il en soit, la possibilité de recourir à la marque communautaire depuis le 1er avril 1996 et au protocole de Madrid depuis le 7 novembre 1997, offre aux titulaires de marques françaises des armes supplémentaires pour la défense de celles-ci, à condition de savoir parfaitement les utiliser en fonction des circonstances et des droits d’ores et déjà protégés.
62 S’il est encore un peu tôt pour dresser un bilan exhaustif de la marque communautaire, il n’en reste pas moins qu’il paraît plus facile d’obtenir aujourd’hui un enregistrement communautaire qu’il ne le sera d’ici quelques années.
63 En effet, les difficultés rencontrées actuellement lors de l’enregistrement d’une marque communautaire sont dues en grande partie à la mise en place de ce nouvel instrument juridique et ne doivent pas dissuader les titulaires français d’étendre leurs droits au niveau communautaire avant de subir les effets d’une inflation prévisible d’enregistrements de marques communautaires.