LEGICOM 1996/1 N° 11

Couverture de LEGI_011

Article de revue

Multimédia et déontologie de l'information

Pages 41 à 51

Notes

  • [1]
    Loi du 1er août 1986 : « L’expression publication de presse désigne tout service utilisant un mode écrit de diffusion de la pensée mis à disposition du public en général ou de certaines catégories de public et paraissant à intervalles réguliers ».
  • [2]
    Cour d’appel de Paris, 18 mai 1988, maire de Paris c/ AFP.
  • [3]
    Loi de 1978, article 5.
  • [4]
    Ordonnance du 2 novembre 1945.
  • [5]
    Washington Post Service, 11 mars 1996.

1SI l’expression multimédia hors ligne (CD-Rom) apparaît comme une nouvelle forme d’édition assimilable aux livres ou au phonogramme, en revanche, la communication multimédia en ligne (réseaux) est souvent perçue comme un domaine de liberté absolue, incontrôlé et incontrôlable. Il faut cependant se garder de penser que la communication multimédia serait ainsi à l’abri de toute réglementation et a fortiori de tout effort de régulation et de déontologie. Une telle situation peut difficilement persister longtemps. Il n’est pas de liberté sans limite et il n’est pas d’organisation sociale, même à l’échelle internationale, sans un minimum de réglementation. Pour répondre aux besoins des individus et de la société, la communication multimédia devra ainsi inévitablement accepter des règles et une déontologie.

2 Ce principe est cependant difficile à mettre en œuvre. Les techniques multimédias renouvellent en effet profondément les conditions de la déontologie de l’information et l’élaboration de formules adaptées demandera des efforts longs et complexes.

3 Le renouvellement des conditions de l’information tient à ce que l’outil multimédia transforme la collecte comme le traitement des nouvelles. Il élargit le nombre et la diversité des parties prenantes au-delà des journalistes professionnels. Il mélange l’information à diverses pratiques plus exclusivement commerciales. Enfin, il dématérialise et délocalise le cadre de l’information. Face à ces difficultés nouvelles, une déontologie est à construire par rapport à divers éléments. La difficulté tient moins en effet à l’absence de droit qu’au risque de conflits entre plusieurs logiques juridiques. Par opposition aux médias classiques, les réseaux ne permettent pas une identification aisée des responsabilités ni l’établissement de procédures de contrôle simple. Quant au public lui-même, juge de la qualité de l’information et garantie de la déontologie, il est ici à la fois atomisé et dispersé ; de plus, cessant d'être simple récepteur, il devient lui-même acteur du processus d’information.

4 Aucune de ces difficultés n’est sans doute insurmontable à terme. L’exemple français des services télématiques offre même des premières réponses indépendamment de la recherche d’adaptations aux réseaux des principes déontologiques classiques des médias.

5 On peut ainsi considérer que la solution des problèmes déontologiques des réseaux multimédias se situe moins aujourd’hui dans la multiplication de systèmes d’interdiction et de contrôle plus ou moins illusoires que dans un effort doctrinal d’analyse et d’imagination permettant ensuite l’adaptation de dispositifs juridiques et déontologiques déjà éprouvés. C’est sur cette base et à partir de la pratique que peuvent se développer des principes déontologiques adaptés au multimédia avec l’aide dans certains cas de dispositifs techniques et de systèmes d’organisation garantissant l’exercice des responsabilités normales des émetteurs d’information dans le respect des personnes et de l’intêrêt général.

I – UNE RÉALITÉ NOUVELLE

LES NOUVELLES STRUCTURES

6 L’outil multimédia renouvelle l’information à tous ses stades : la collecte des nouvelles, leur élaboration et leur distribution.

Disparition des frontières

7 Le multimédia constitue un espace de cohabitation, de savoir-faire et de techniques très diverses : texte, son, images fixes, images animées et sonorisées et télécommunications. Pour les grands médias de masse, les supports sont individualisés et séparés. Au contraire, les réseaux offrent un support commun (câble, onde hertzienne, téléphone, satellite).

8 Or, la déontologie de l’information a toujours été largement liée au support. Il en va de même pour le cadre juridique des entreprises qui distingue bien – malgré certaines passerelles – presse écrite et audiovisuel et, à plus forte raison, télécommunications.

La numérisation

9 La numérisation multiplie, pour la communication multimédia, les problèmes posés à chaque média. Elle permet plus que jamais une information permanente, en temps réel, avec les conséquences déjà exposées de l’émiettement, du manque de mise en situation et de sens de l’information. Pour les images, la numérisation présente encore plus de dangers de trucages, d’ores et déjà possibles en temps réel, voire de fabrication virtuelle.

Source et vérification

10 Le multimédia pose également le problème de l’application des procédures journalistiques d’authentification et de vérification. Internet facilite l’anonymat. Des groupes subversifs peuvent y faire circuler communiqués et propagande. Informations et rumeurs intentionnellement fausses circulent sur Internet avec une rapidité et une diffusion sans précédent. Une fausse Maison Blanche, a priori impossible à distinguer de la vraie, a été ainsi installée, dans une démarche qui pour être humoristique n’en souligne pas moins de nouvelles possibilités de désinformation.

Des services encore mal définis

11 Il n’est pas possible de dresser une carte des services multimédias sans y laisser des zones blanches. Beaucoup de produits sont encore expérimentaux. Les rentabilités demeurant aléatoires de même que les attentes du public, on ignore si ces services deviendront des « mass médias » ou des entreprises qui n’auront ni culture ni expérience déontologique de l’information.

Une nouvelle forme de journalisme

12 Les traits d’un nouveau journalisme « en ligne » restent encore à définir. La fonction journalistique de tri des nouvelles, risque d'être émoussée par l’interactivité. La capacité de stockage numérisé incite à remplir des mémoires où le consommateur puisera lui-même. À terme, l’intelligence artificielle pourra même simplifier la tâche du destinataire abonné en analysant ses besoins d’après ses choix antérieurs.

13 Pluridisciplinarité et nécessaire coopération avec d’autres spécialistes, notamment les techniciens, exigeront de nouvelles méthodes. La profession devra s’interroger sur leurs implications déontologiques comme elle l’a fait lors de l’informatisation des journaux.

LES NOUVELLES RESPONSABILITÉS

14 La chaîne de responsabilité créée par les nouvelles techniques multimédias s’enrichit et se complexifie. Les créateurs et auteurs se multiplient en amont, mais doivent collaborer étroitement avec des responsables de la publicité, de rubriques de jeux, de concours, de ventes diverses qui peuvent être intégrées dans le « produit » multimédia. Interviennent ensuite le fabricant proprement dit, le serveur et le transporteur.

15 Les nouvelles techniques posent ici nombre de questions sur la responsabilité de ces acteurs, leur identification, la définition et la preuve des éventuelles fautes ou infractions commises, dans la mesure où ils sont soumis à des régimes juridiques différents, celui du droit de la presse et le droit commun.

16 La responsabilité première appartient-elle au « fabricant » du produit multimédia, au serveur ou au transporteur ? La partagent-t-ils et dans quelle mesure ?

17 En fait, le maintien des principes déontologiques de la presse, les plus anciens et les plus élaborés, ceux de la liberté d’expression et de la responsabilité devraient s’imposer en priorité. Néanmoins, l’assemblage technique multimédia impose la référence aux régimes de responsabilité de l’audiovisuel, de la télématique et d’autres médias, mais aussi à ceux du commerce et de la consommation.

LES CONSÉQUENCES DE L’INTERACTIVITÉ

L’interactivité

18 Seuls le téléphone, éminemment privé, et les techniques d’information utilisant la télématique ont été jusqu’ici basés sur l’interactivité. Celle-ci concerne désormais l’outil multimédia qui, en permettant le choix de l’utilisateur, introduit aussi sa responsabilité.

Domaine commercial

19 Avec l’interactivité surgit, pour la communication multimédia, la possibilité de transactions commerciales. Elle devient un moyen de véhiculer paiements à l’acte, abonnements, téléachat, voire transactions financières. Des opérations de ce type s’effectuent déjà sur les immenses réseaux privés des agences économiques où les terminaux se chiffrent par centaines de milliers. Les techniques du téléachat sont au point et fonctionnent déjà sur une grande échelle. Sur un espace public comme Internet ont commencé à faire leur apparition des formes de transaction allant de l’abonnement au porte-monnaie électronique et aux cartes de crédit. On sort du domaine de l’information pour entrer dans celui des usages et des législations financières et commerciales. Mais la proximité est notable et l’immédiateté sans précédent : un sujet d’information multimédia, sur une ville ou une région, peut par exemple être assorti d’offres d’agences de voyage et de possibilités de réserver sur le champ un billet.

La publicité

20 Les relations entre l’information et la publicité aujourd’hui fixées dans chacun des médias, vont sans doute changer avec le multimédia.

21 Les possibilités de manipulation du son, de l’image fixe ou animée, sont désormais ouvertes à la publicité comme l’illustre EPSIS (Emplacement publicitaire substitué par image de synthèse), une technique déjà utilisée pour la télévision qui permet d’insérer, en temps réel, une image publicitaire dans une image télévisée en cours de diffusion. Le risque existe d’une contagion sur l’information.

DÉMATÉRIALISATION ET DÉLOCALISATION

22 Tous les systèmes actuels de responsabilité sont nationaux, or le marché est désormais international.

Des produits en orbite

23 Un service multimédia situé sur Internet est dématérialisé et devient mondial et autonome, quel que soit le siège social de ses concepteurs ou le lieu de ses ateliers et bureaux de fabrication. Ce service peut être fluctuant et en permanente recomposition ; l’information qu’il véhicule peut être en permanence actualisée.

Produits sans frontières

24 On peut déterminer, s’il comporte des signatures claires, la nationalité du siège et l’origine et les sources des composants, mais le produit lui-même est devenu un objet transnational en circulation. Les nouvelles techniques le rendent accessible tant pour sa transformation, ses potentialités d’interactivité que sa réception et sa reproduction à partir de n’importe quel accès au réseau.

25 Il a ainsi été possible de créer des « casinos virtuels », et la technique rend possible la création de « paradis informationnels ».

II — DES SOLUTIONS JURIDIQUES MULTIPLES, MAIS SOUVENT CONTRADICTOIRES ET MAL ADAPTÉES

DES LOGIQUES DIVERGENTES

Une abondance de dispositions

26 La communication multimédia est née de la convergence de techniques composites et de la difficulté qui ne provient pas d’un vide juridique, mais de l’existence de règles multiples et de logiques différentes ayant présidé aux réglementations, administratives et juridiques, et à l’établissement de règles déontologiques propres à chacun des médias en jeu qui diffèrent par leur histoire et par leurs institutions.

L’écrit et l’audiovisuel

27 À la liberté d’établissement des entreprises de presse privées, exemptes d’autorisation préalable, s’oppose ainsi une double logique de la communication audiovisuelle : logique technique qui soumet la liberté à la répartition de fréquences plus ou moins rares, donc à autorisation et, pendant longtemps, logique de service public qui fait du média audiovisuel un instrument de pouvoir.

28 L’écrit et l’image obéissent d’autre part à des logiques quasiment opposées : d’un côté un système permettant une information complète, honnête, située dans un contexte rationnel et, de l’autre, une information fragmentée dans la brièveté d’une vision émotionnelle dont l’impact est puissant.

29 Même dans les pays les plus opposés à toute réglementation en matière d’information comme les États-Unis, on constate que celle-ci est plus facilement admise pour l’audiovisuel. Il existe en France un Conseil supérieur de l’audiovisuel, doté de pouvoirs indirects en matière de déontologie de l’information, alors que la presse écrite rejette quasi unanimement la seule idée d’un conseil de presse.

30 À l’occasion de nouvelles règles sur le marché des télécoms, sur la décence dans les télécommunications, un texte a été adopté par le Congrès américain en février 1996 pour freiner les programmes violents.

UNE RESPONSABILITÉ ÉDITORIALE EN MAL D’IDENTIFICATION

Nouveaux problèmes

31 Les réseaux ne permettent ni une identification aisée des responsables ni une définition toujours précise des responsabilités. La loi française sur la presse de 1881 instaure une responsabilité éditoriale claire étendue à l’audiovisuel par les lois du 29 juillet 1982 et du 30 septembre 1986. À défaut du directeur de l’entreprise, une chaîne de responsabilités est bien désignée et la responsabilité éditoriale se distingue de la responsabilité de droit commun.

32 Les délits de presse sont catalogués : provocation au crime, provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence raciale, diffamation ou injure, diffusion de fausses nouvelles susceptibles de troubler l’ordre public, etc.

33 Les choses sont moins aisées pour l’identification des responsables d’un produit multimédia en raison des délocalisations possibles et de la virtualité des réseaux. La complexité du produit multimédia complique la tâche des législateurs. Par rapport à l’édition multimédia d’un newsmagazine ou d’un quotidien ayant pignon sur rue, les choses sont plus complexes quand il s’agit d’un assemblage de services d’information, d’information-divertissement, de jeux voire de services pratiques et commerciaux les plus divers.

Privilèges et devoirs de la presse

34 La loi sur la presse de 1881 pose la question de l’entreprise productrice. L’entreprise multimédia peut être assimilée à une entreprise de presse, comme c’est parfois le cas pour la télématique. Un produit multimédia peut cependant contenir des services ou éléments autres que des informations. La question est alors de savoir à partir de quelle proportion de produits d’information un ensemble multimédia peut être considéré comme une entreprise de presse ou audiovisuelle et quelles sont les obligations qui en découlent.

Le problème de la périodicité

35 La loi de 1881 considère que l’une des caractéristiques de la presse est la périodicité de sa publication, notion qui a été confirmée par la loi de 1986 [1]. On ne la trouve cependant plus guère dans le cas d’un journal ou d’un magazine occupant un site permanent sur Internet. Si la cour d’appel de Paris a pu dénier le caractère d’entreprise de presse à une agence de presse diffusant un service ininterrompu [2], en va-t-il de même pour l’entreprise de presse multimédia qui échapperait ainsi à des obligations reconnues ?

Responsabilité du distributeur

36 Le responsable de la publication sur un réseau peut être responsable de la conception ou de la fabrication, le serveur ou le transporteur. Lorsqu’en janvier 1995, la justice bavaroise exige du service en ligne américain Compuserve la suspension de groupes de discussion accusés de pornographie et de pédophilie, Bob Masey, président et directeur général de l’entreprise aux États-Unis déclare (Associated Press, 14-02-1996) que : « la responsabilité du contenu d’Internet repose sur les créateurs (those who create) ou sur les serveurs (those who put it on Internet) ».

37 Ainsi, il a été possible à Compuserve de localiser des fautifs et de donner satisfaction à la Bavière en “fermant le robinet”. On notera aussi que la justice bavaroise n’a pas hésité à utiliser le droit – qu’a également la justice française – d’intervenir sur un réseau international du type Internet à partir du moment où il était prouvé qu’il concernait ou qu’il touchait le territoire national et ne lui a pas reconnu une sorte de droit d’extraterritorialité.

PROTECTION DE LA VIE PRIVÉE, PRINCIPES CLAIRS MAIS RÉALITÉ FUYANTE

Risques accrus

38 Les nouveaux réseaux, en facilitant la diffusion sans frontière et les possibilités de stockage et de copie, multiplient en même temps les risques d’atteinte à la vie privée et les aggravent du fait qu’il devient quasiment impossible de déterminer le nombre des enregistrements et des éventuelles rediffusions dans l’espace et dans le temps.

39 Des dispositions légales et déontologiques existent certes de manière générale (codes civil et pénal, loi informatique et libertés en France) mais leur adaptation aux médias électroniques n’est pas évidente.

40 La numérisation elle-même pose des questions de droit non encore résolues, certains juristes se demandant si les dispositions prises en France pour le traitement informatique des données [3] concernent l’ensemble de la communication. Et, par ailleurs, la délimitation exacte de la nature d’une « donnée nominative » reste encore incertaine.

Espace public, espace privé

41 Il peut être difficile sur les réseaux de déterminer ce qui ressort de l’espace public et de l’espace privé en raison de l’interactivité. L’acheteur d’un journal dans un kiosque ne signe aucune registre. On compte en revanche aisément le nombre de consultations d’un site multimédia. L’anonymat du lecteur ou de l’utilisateur d’un produit multimédia peut être fragile. Il est aujourd’hui aisé de déterminer le profil de tel ou tel visiteur du cyberespace en analysant ses appels, pour l’instant à des fins de marketing ou de recherches. À titre d’exemple, un nouveau service, DejaNews, librement accessible, peut retrouver le moindre propos tenu par une personne parmi ceux des milliers de groupes de discussion du World Wide Web sur une durée de plusieurs mois. La confidentialité des transactions de la communication multimédia va ainsi poser des problèmes croissants. La difficulté est ici moins d’ordre technique car des solutions de cryptage sont proches, mais d’ordre politique.

Publicité et information, risques de confusion

42 Les dispositions déontologiques qui régissent la conduite des journalistes tant de la presse écrite que de l’audiovisuel vis-à-vis de la publicité sont évidemment transposables dans le domaine multimédia. Leur principe est la séparation totale de l’information et de la publicité. Les produits en ligne s’apparentent à ceux des agences d’information, organismes pouvant être eux aussi multimédias, à qui en principe leur statut [4] interdit toute activité publicitaire. Celles-ci entrent parfois dans une zone mal définie quand elles décident de travailler pour la communication d’entreprise. Il en est de même des agences photographiques. La communication multimédia devra ainsi recenser nombre de cas limites de cette espèce.

43 Les nouvelles technologies exigeront aussi examen et décisions et, parmi elles, celles qui permettent des manipulations de l’image dont les retombées et les règles d’utilisation sont encore à fixer.

DIFFICULTÉ DES CONTRÔLES

Des questions de principe

44 Une autre source de difficulté pour une bonne observance de la déontologie dans le domaine de la communication multimédia réside dans la définition d’un système de contrôle. Celui-ci se justifierait pourtant sur deux plans : l’établissement de la preuve indispensable en cas d’infraction et d’action judiciaire et la protection des droits patrimoniaux. Encore faut-il établir des positions de principe sur l’opportunité et sur la faisabilité de tels systèmes, avant de choisir des modalités : instance de contrôle, dépôt légal, enregistrement, etc.

Des questions de faisabilité

45 Les volumes de produits multimédias d’information vont vite atteindre des volumes considérables. Tout contrôle supposera résolus de sérieux problèmes de stockage, d’examen des contenus et de choix d’infrastructures, avec de considérables exigences de coûts.

46 Actuellement sur Internet, les serveurs ne conservent, en général, pas plus d’une semaine, les articles et les discussions des « newsgroups » (groupes d’échange d’information). Ce matériel est cependant copié et archivé ailleurs probablement depuis 1979 car il est discrètement utilisé et se revend pour des études de marketing et autres recherches.

47 On a récemment appris [5] qu’il était possible à tout un chacun d’effectuer des recherches portant sur près d’une année d’échanges d’informations des « newsgroups » d’un réseau américain comme Usenet, situé sur le World Wide Web d’Internet et dont le nombre dépasse 13 000 aujourd’hui. Il suffit pour cela d’utiliser des interfaces comme DejaNews, Alta Vista, Excite, Info Seek, ou SIFT. Les conséquences quant au respect de la confidentialité ne semblent guère en avoir été précisées.

Fiabilité de la preuve

48 La justice devra enfin définir le genre de preuves recevables provenant de telles archives électroniques et constituant une garantie d’authenticité.

49 Toutes ces opérations doivent en effet se réaliser dans des conditions conciliables avec les principes de liberté et de confidentialité définis légalement en France.

UN PUBLIC ATOMISÉ, UN MOINDRE RÔLE DES MÉDIATEURS

50 Juge de la qualité et de l’utilité de l’information et garant de sa déontologie, le public du support multimédia est tout à la fois atomisé et inégalement dispersé sur la planète. Il possède le pouvoir de dire non et de quitter le programme jugé défaillant en zappant. Il n’a que l’embarras du choix. La relation au support de l’information est profondément modifiée par rapport aux médias classiques.

Dispersion et atomisation du public

51 L’audience d’un réseau sans frontière comme Internet atteindrait au début de 1996 35 à 40 millions d’ordinateurs dans le monde. 180 à 200 millions sont prévus sur le réseau en 2000, par Vinton Cerf, un des pères du système, soit 600 à 700 millions de personnes sur la base de l’actuelle référence de 3,5 personnes par ordinateur. Elle se répartit sur la planète en fonction des équipements électroniques qui dessinent une nouvelle carte de l’information avec ses zones d’abondance et ses zones de sous-développement qui ne sont d’ailleurs pas toujours les zones classiques.

52 Cette audience d’un nouveau type est actuellement très difficile à définir et l’on en est encore à compter les « hits » (connexions) sans pouvoir toujours en distinguer ni les motifs ni la durée.

53 Certains « journaux » américains créés sur Internet enregistrent aisément plus de 100 000 « hits » (consultations) quotidiens et, en cas d’événements importants, triplent et quadruplent ce chiffre. Mais il est encore difficile d’assimiler l’appel bref de quelque curieux à la lecture d’un article par un citoyen intéressé ?

Interactivité et possibilités de choix

54 Ce nouveau public change aussi de rôle : de « récepteur » passif des médias de masse, il devient acteur du processus d’information et maître des composantes de celui-ci. La part de choix qui lui est laissée est maintenant considérable. Mais il risque peut-être de perdre des points de repères ayant lui même à se livrer au tri jadis effectué par le journaliste.

55 En tout cas, ce dernier voit diminuer son rôle de médiateur pour se transformer en pourvoyeur d’une pléthore de nouvelles non sélectionnées, en attente d’appel dans les réserves de bases de données.

56 Face à des éléments juridiques nombreux, existant sur des principes admis mais parfois contradictoires et en tout cas rarement applicables sans adaptation, la tentation peut être de développer une nouvelle réglementation. Il n’est pas certain que cela soit utile, car des bases utilisables existent. Cela peut être dangereux car la liberté est une longue construction en matière de presse. Cela peut être illusoire car la réalité du multimédia est encore mal définie et une analyse du phénomène demeure nécessaire au préalable.

III — UN EFFORT NÉCESSAIRE D’ANALYSE DOCTRINALE

57 Ce n’est pas la première fois que le monde des médias affronte des problèmes de régime, de réglementation, de droit et de déontologie multiples et simultanés. Les grandes agences de presse ont dû depuis longtemps définir une déontologie valable pour plusieurs médias, voire même aussi pour des services extérieurs à ceux-ci ressortant plus du commerce ou de la finance que de la communication. Mais, jusqu’ici, la réglementation et la déontologie des médias ont été construites, et opèrent toujours, sur la base du support propre à chacun d’eux, alors que la communication interactive en ligne élimine ce critère.

58 La déontologie demain se doit de sauvegarder des droits et des devoirs, des savoir-faire et des pratiques de journalisme, élaborés à grand peine, parfois depuis des siècles. Ceux-ci sont loin d'être parfaits, mais ils ont le mérite d’exister et de constituer un des acquis de la société démocratique, permettant de concilier liberté et responsabilité. Leur préservation dans le nouveau cadre de la numérisation, de l’interactivité et de la disparition des anciens supports, semble moins passer par la multiplication de nouvelles interdictions et de contrôles plus ou moins illusoires. C’est sans doute d’abord et avant tout dans un effort doctrinal d’analyse et d’imagination qu’il faut chercher les solutions. Celles-ci relèveront d’aides techniques, ensuite de dispositions juridiques à adapter ou à créer, enfin de pratiques déontologiques.

DISTINCTIONS TECHNIQUES DES RESPONSABILITÉS

Hors ligne et en ligne

59 Le CD Rom est proche de l’édition écrite et phonographique et peut être soumis aux règles classiques de celles-ci :

60 Identification, dépôt légal, responsabilité et règles classiques des contenus sans que les adaptations soient difficiles.

Editeur et serveur

61 Le serveur a une responsabilité supérieure à celle de l’imprimeur qui serait en même temps distributeur. Il est identifiable, mais n’a pas forcément le moyen de contrôler lui-même ce qu’il véhicule.

62 La mise en jeu de sa responsabilité est difficile mais nécessaire. Au demeurant, le précédent du Minitel montre que des solutions existent.

Services de natures différentes

63 La coexistence de services d’information, de commerce, d’échange peut donner lieu à des règles segmentées, comme le précédent du Minitel le montre, à faible échelle il est vrai.

Responsabilité des utilisateurs

64 Cette responsabilité est plus difficle à déterminer. Elle se rapproche de celle de l’utilisateur du téléphone ou du client du kiosque à journaux.

CLARIFICATION PRÉALABLE DES BASES JURIDIQUES APPLICABLES

65 En préalable à toute définition de déontologie, un inventaire des base juridiques applicables est nécessaire. La Convention européenne des droits de l’homme offre, pour les contenus, une base cohérente dont l’autorité internationale s’accroît. La loi sur la presse de 1881 en France concilie liberté et responsabilité, complétée par les lois de 1982 et 1986 pour la communication audiovisuelle et la télématique. Le décret du 25 février 1993 sur la télématique est également riche de réponses. Enfin, les règles anciennes et nouvelles encore mouvantes des télécommunications complètent le cadre. Rares sont les questions qui ne trouvent pas réponse dans ces textes. Le problème est ainsi moins de prendre des textes nouveaux que d’harmoniser les existants.

NÉCESSITÉ D’UN ORGANE DE SUIVI ET DE CONCERTATION

66 Dans la mesure où il est encore tôt pour légiférer de manière précise et définitive sur la communication multimédia, une instance de suivi et de concertation peut assurément jouer le rôle le plus utile afin de recueillir les avis, d’analyser les expériences, de formaliser certains principes et de préparer le travail futur du législateur.

L’EXPÉRIENCE DES INSTANCES DE SUIVI DE LA TÉLÉMATIQUE APPORTE UNE EXPÉRIENCE PRÉCIEUSE

67 Sans que cela ait jamais fait l’objet d’un débat au Parlement ni même d’un débat public, le développement de la télématique a conduit à l’organisation par étapes successives et par voie réglementaire d’une instance qui a fait un travail particulièrement utile.

68 En 1982, une « Commission de suivi » est créée par le ministre des PTT.

69 Sous la présidence du conseiller d’État, Pierre Huet, elle rassemble des représentants de la direction générale des télécommunications, responsable à l’époque du téléphone et du Télétel, ainsi que des représentants de la presse et des éditeurs de service télématique, des parlementaires et de quelques personnalités qualifiées.

70 Le suivi qu’elle assume, et l’occasion d’échanges qu’elle permet, lui donnent la possibilité de préparer un texte d’organisation de la télématique qui devient le décret du 4 janvier 1985 inclus dans le code des télécommunications.

71 Ce texte, parallèle à la mise en place de la procédure de facturation dite du « kiosque télématique », précise un certain nombre de responsabilités, celle du serveur, ainsi que les conditions d’application du droit de la presse. Il constitue la base juridique essentielle de la télématique.

72 En 1993, une nouvelle étape est franchie par le décret du 25 février qui transforme l’instance de suivi en Conseil supérieur de la télématique et qui crée un Comité de la télématique anonyme. Le Conseil supérieur est l’organe consultatif de réflexion chargé de préciser la déontologie des fournisseurs de services. Il donne son avis sur les contrats types et formule régulièrement des recommandations.

73 Le Comité de la télématique anonyme est chargé de recevoir les réclamations sur le non-respect des règles déontologiques. Il formule alors un avis à France Télécom qui, en tant que serveur, a la responsabilité de maintenir ou d’interrompre le service incriminé.

74 Ce sont ces deux organismes qui ont fait leurs preuves dans le domaine des services en ligne que le législateur avait décidé, en juin 1996, de rattacher au Conseil supérieur de l’audiovisuel. Cependant après censure du Conseil constitutionnel, cette disposition a été écartée de la loi promulguée le 7 juillet 1996 pour fixer le nouveau régime des télécoms.

DES CONDITIONS DE RATTACHEMENT ET D’ORGANISATION À PRÉCISER

75 En attendant la probable intervention des dispositions nouvelles plusieurs questions peuvent être posées : si le Conseil supérieur de l’audiovisuel peut assurément apporter une expérience utile dans la pratique de régulation, son intervention dans les services en ligne constituerait pour lui une expérience nouvelle. Le CSA, en effet, n’a pas à proprement parler aujourd’hui de compétence en matière de déontologie de l’information. Sa composition risque d’ailleurs de le gêner en ce domaine puisque la tradition dominante veut que les journalistes soient appréciés par leurs pairs et non par des personnes étrangères à la profession, ce qui est le cas de certains membres du CSA.

76 D’autre part, le domaine d’intervention du CSA est celui des médias audiovisuels relevant d’un régime d’autorisation et non celui de la presse relevant d’un régime de déclaration sur lequel a été aligné depuis 1985 le régime des services en ligne télématiques. Il ne faudrait pas que le rattachement au CSA apparaisse comme moins favorable aux libertés que le précédent système.

77 La communauté d’écran entre l’audiovisuel et le multimédia ne présente donc qu’une analogie partielle, peut-être plus apparente que réelle.

78 Le rattachement du Conseil supérieur de la télématique au Conseil supérieur de l’audiovisuel nécessite, d’autre part, la précision d’un certain nombre de points. Le Conseil supérieur de la télématique sera-t-il simplement une instance d’instruction pour la décision du Conseil supérieur de l’audiovisuel ou disposera-t-il d’un pouvoir propre ?

79 Le Conseil supérieur de l’audiovisuel ou le Conseil supérieur de la télématique disposeront-ils de pouvoirs de sanction, alors que l’on sait que, par décision du Conseil constitutionnel, le Conseil supérieur de l’audiovisuel ne peut avoir de pouvoir de réglementation ?

80 Comment sera composé le Conseil supérieur de la télématique ? Sera-t-il présidé par un membre du Conseil supérieur de l’audiovisuel ou par une personne extérieure à celui-ci ? Quelle sera la garantie d’indépendance des membres de ce Conseil supérieur de la télématique ?

81 Toutes ces questions, non limitatives, sont fondamentales pour la protection de la liberté d’expression, comme vient de le souligner la récente décision du Conseil constitutionnel.

82 Il restera encore à déterminer les moyens du nouvel organe de régulation, ce qui n’est pas non plus une question négligeable lorsque l’on mesure que l’une des faiblesses du Conseil supérieur de la télématique a été de dépendre entièrement de l’opérateur de télécommunication pour son fonctionnement et ses moyens.

83 À l’heure où ces lignes sont écrites, le moins que l’on puisse dire est donc que la récente décision du législateur laisse de nombreuses questions sans réponse.

84 Quelles que soient les interrogations et difficultés présentes, il est bien clair que les services multimédias vont se développer et qu’une forme de régulation sera mise en place. Il est clair aussi que cette régulation ne pourra pas seulement être française, mais devra trouver une dimension internationale. De tels problèmes, l’expérience l’a montré, ne peuvent jamais être résolus en quelques semaines ni même en quelques mois. Ils nécessitent du temps, des échanges et l’acceptation du risque de tâtonnements et d’erreurs.

85 En attendant d’aboutir à des solutions complètes et définitives, le premier risque serait de procéder par des interdictions générales ou par des sanctions illusoires dans la réalité internationale des services multimédias. Si les réalités et les enjeux qui viennent d'être évoqués font l’objet d’une suffisante prise de conscience, le Conseil supérieur de la télématique nouvelle manière peut faire progresser les idées, faire émerger des solutions réalistes et inspirer le législateur, de la même façon que le Conseil supérieur de la télématique passé avait su assister efficacement le pouvoir réglementaire et aider les professionnels.

Notes

  • [1]
    Loi du 1er août 1986 : « L’expression publication de presse désigne tout service utilisant un mode écrit de diffusion de la pensée mis à disposition du public en général ou de certaines catégories de public et paraissant à intervalles réguliers ».
  • [2]
    Cour d’appel de Paris, 18 mai 1988, maire de Paris c/ AFP.
  • [3]
    Loi de 1978, article 5.
  • [4]
    Ordonnance du 2 novembre 1945.
  • [5]
    Washington Post Service, 11 mars 1996.
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