Notes
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[1]
Christian Ranucci a été condamné à mort le 10 mars 1976 pour l'enlèvement et le meurtre de Marie-Dolorès Rambla.
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[2]
Jean-Baptiste Rambla a été condamné le 17 déc. 2020 à la réclusion criminelle à perpétuité par la cour d'assises de Haute-Garonne.
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[3]
Depuis la présente conférence, Nicolas Sarkozy a été déclaré coupable le 1er mars 2021 de corruption et de trafic d'influence par le tribunal judiciaire de Paris qui l'a condamné à trois ans de prison dont un ferme (il a fait appel).
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[4]
CE 3 nov. 1922, Dame Cachet, n° 74010, Lebon.
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[5]
Cass., ch. req., 3 août 1915, n° 00-02.378.
1Je voudrais évoquer la question de l'anonymisation face à l'Histoire, et de l'anonymisation face au droit à venir.
2Face à l'Histoire, d'abord. Certains faits divers sont en quelque sorte imprescriptibles au regard de la mémoire collective : l'affaire Landru par exemple, ou d'autres, qui sont même désignées par une métonymie, comme celle du pull-over rouge. La famille Rambla et le drame qu'elle a vécu ne peut disparaître d'un trait de plume. Elle a incarné l'affaire Ranucci [1], côté victime. D'ailleurs, ce n'est pas terminé. Le frère de la petite Marie-Dolorès Rambla vient d'être à son tour jugé. Mais de l'autre côté de la barre cette fois, en tant qu'accusé de meurtre [2]. Incroyable renversement des choses ! D'abord partie civile contre Ranucci condamné à mort et exécuté ; puis, à son tour, le frère Rambla, lui-même condamné, en récidive, à la réclusion criminelle à perpétuité. C'est une page de l'histoire criminelle de notre pays. Elle est ineffaçable. Quid de l'affaire des écoutes téléphoniques qui a valu à Nicolas Sarkozy d'être renvoyé devant le tribunal correctionnel ? [3] C'est là encore inscrit, non seulement dans l'histoire judiciaire de notre pays, mais aussi dans son histoire politique. Ineffaçable encore ! En revanche, quid de la Dame Cachet, quid de la mémoire de cette famille, dont le patronyme devient synonyme pour tant de générations d'étudiants de la théorie du « retrait administratif dans les deux mois » ? [4]Quid de la famille Bayard, qui supporte de génération en génération d'être assimilée à la théorie jurisprudentielle de l'« abus de droit » ? [5] Certes on aimait, pendant nos études, incarner ainsi nos recherches. Cela donnait de l'humanité à la matière brute de nos polycopiés. C'est d'ailleurs ce que nous disait le professeur Malaurie dans le grand amphithéâtre de Paris II : il fallait faire « rêver » les jurisprudences, projeter les syllogismes à travers des personnages vivants, de chair et d'os. Oui nous connaissions la Dame Cachet, et la famille Bayard, et pourquoi pas la dame Ménard qui avait volé du pain pour nourrir son gosse, ce qui a permis au juge Magnaud d'inventer la théorie de « l'état de nécessité ». C'est comme s'ils étaient tous devenus, tour à tour et pour toujours, nos amis !
3Mais face au droit à venir, il va falloir les oublier, ou en tout cas oublier leurs successeurs qui, à leur suite, vont créer du droit. C'est désormais l'anonymat… Et c'est aussi l'open data. Voici donc une nouvelle bibliothèque d'Alexandrie, avec l'accès à toutes les décisions de justice. Normal, puisque les jugements et les arrêts sont rendus au nom du peuple français ! Normal, puisque l'accès au droit relève du service public ! Il ne doit donc pas y avoir de barrière, notamment financière. Je pense ici aux bases de données extrêmement performantes mais tellement onéreuses qu'elles opposent un péage, parfois rédhibitoire, en particulier pour les jeunes avocats qui s'installent, pour accéder à leurs données. C'est une question importante. Je me félicite donc, de ce que le service public s'attelle en ce moment au sujet de l'open data et tende vers une gratuité.
4Ceci étant, comment pourrons-nous décliner les millions de décisions de justice rendues ? Est-ce que cela améliorera vraiment notre travail ? Pour les professionnels du droit, le droit ce n'est pas un empilage de jurisprudences. C'est d'abord des ouvrages de doctrine : Christophe Bigot, Pierre-Yves Gautier… à nouveau des métonymies : le Gautier, le Bigot ! Et une fois qu'on aura lu tous les livres, on pourra trouver toutes les jurisprudences. Heureusement il y a les algorithmes. Sinon on est perdu. Mais on ne peut regretter le temps de la marine à voile, celui de la machine à vapeur, celui de nos vieux grimoires, celui des représentations de Daumier et celui où la Dame Cachet était notre amie…
Notes
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[1]
Christian Ranucci a été condamné à mort le 10 mars 1976 pour l'enlèvement et le meurtre de Marie-Dolorès Rambla.
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[2]
Jean-Baptiste Rambla a été condamné le 17 déc. 2020 à la réclusion criminelle à perpétuité par la cour d'assises de Haute-Garonne.
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[3]
Depuis la présente conférence, Nicolas Sarkozy a été déclaré coupable le 1er mars 2021 de corruption et de trafic d'influence par le tribunal judiciaire de Paris qui l'a condamné à trois ans de prison dont un ferme (il a fait appel).
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[4]
CE 3 nov. 1922, Dame Cachet, n° 74010, Lebon.
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[5]
Cass., ch. req., 3 août 1915, n° 00-02.378.