Notes
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[1]
Voir « L’Etat-providence est mort ? Vive l’Etat-providence ! », par Daniel Lenoir, http://www.daniel-lenoir.fr/
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[2]
Discours lors du congrès de la Mutualité française, 13 juin 2018.
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[3]
Voir L’Etat social. Pour sortir du chaos néolibéral, par Christophe Ramaux, Mille Et Une Nuits, 2012.
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[4]
Issues de notre partenariat avec l’Association Charles Gide pour l’étude de la pensée économique.
1L’économie politique publiait son premier numéro en 1999. Vingt ans après, son ambition demeure : être un espace de débat sur les politiques économiques et sociales en s’installant dans le temps long d’une revue, le temps des questions que l’actualité ne démode pas en quelques semaines. Ses convictions aussi sont intactes : l’économie n’est pas une fin en soi, elle doit être au service d’une société plus juste et plus vivable ; elle n’est pas une discipline autarcique, mais en dialogue constant avec les sciences humaines et sociales ; elle n’est pas la chasse gardée des experts, mais un objet de discussion démocratique.
2Si une question met en jeu, plus que toute autre, ces convictions, c’est bien celle de l’Etat-providence. Pierre Rosanvallon en décrivait déjà la crise au début des années 1980, dans sa triple dimension de coût, d’efficacité et de légitimité : trop cher, pour des résultats insuffisants, et à travers des politiques illisibles. Depuis, une multitude de réformes ne sont pas parvenues à infirmer ce diagnostic [1]. Et si la protection sociale joue un rôle majeur pour contenir la croissance des inégalités, elle ne suffit pas à l’endiguer.
3Dans son ardeur réformatrice, le président de la République ne pouvait pas passer à côté de ce chantier. La volonté qu’il affiche de « construire l’Etat-providence du XXIe siècle » est guidée par trois principes auxquels il est difficile de ne pas souscrire : « La prévention, qui attaque les inégalités avant qu’il ne soit trop tard (…), l’universalité, qui donne les mêmes droits à chacun (…), la dignité par l’aide, l’accompagnement, la présence, le travail comme clef de l’émancipation pour toutes celles et tous ceux qui peuvent y avoir accès, car c’est ce qui permet à chacun de véritablement construire sa vie. [2] »
4Ces principes peu contestables sont censés inspirer les réformes actuellement sur le métier – refonte du système de retraite, réforme de l’assurance chômage, projet d’un revenu universel d’activité... –, qui suscitent pourtant bien des grincements de dents. D’abord, parce que la politique sociale du gouvernement s’inscrit dans une logique de réduction des dépenses publiques : il faut réformer, mais à coût moindre. D’où le risque que l’exigence d’universalité et d’équité débouche sur un alignement par le bas des prestations. Ensuite, au motif que l’impôt occupe une part croissante dans le financement de la Sécu au détriment des cotisations, la logique présidentielle disqualifie la démocratie sociale et marginalise les partenaires sociaux. Enfin, l’appel répété à la « responsabilité » est ambigu. S’agit-il de celle des pouvoirs publics, censés ne laisser personne au bord de la route, ou de celle des individus, sommés d’accepter n’importe quel emploi ? Le curseur risque fort de pencher moins du côté du modèle scandinave, tant vanté par le candidat Macron, que du côté du workfare britannique, qui paraît parfois sa référence inavouée.
5Ces débats soulèvent au moins trois questions de fond. La première : l’Etat social peut-il tenir ses promesses sans modifier les structures mêmes de l’économie, sans remettre en cause la contrainte budgétaire, voire l’ouverture commerciale et financière, qui entraînent l’austérité salariale et la course au moins-disant fiscal [3]? La deuxième : l’Etat est-il omnipotent ? Une démocratie sociale peut-elle se passer des partenaires sociaux et des autres parties prenantes ? Rappelons que le fameux modèle suédois repose sur des syndicats puissants, mais aussi sur une décentralisation très poussée des politiques sociales, qui laisse aux collectivités locales une large autonomie de gestion dans ce domaine. Enfin, l’Etat-providence doit-il viser la mise au travail de tous, et dans quelles conditions ? Le travail est-il toujours l’horizon d’émancipation indépassable dans une société incapable d’offrir un emploi décent à chacun ?
6Ce numéro donne la parole à des auteurs dont chacun est porteur d’une vision forte de l’avenir de l’Etat social. Tous s’accordent sur un constat : la prospérité de nos sociétés ne fait pas reculer le besoin de protection, au contraire. Mais quelle priorité choisir ? Bruno Palier insiste sur les nouveaux risques liés à la montée de la précarité et de la pauvreté laborieuse, à l’effritement de la famille, et défend une stratégie d’investissement social, centré sur les enfants, les jeunes et les femmes. Pour Eloi Laurent, les risques liés à la dégradation de l’environnement constituent la nouvelle frontière de l’Etat-providence, qui doit se muer en Etat social-écologique. Nicolas Colin, dont Marc Mousli recense le dernier ouvrage, voit dans la transition numérique un facteur prépondérant, en raison de la polarisation sociale qu’elle accentue… mais aussi des solutions qu’elle peut permettre de mettre en œuvre.
7Assailli de nouveaux risques et de nouveaux besoins, l’Etat est-il assez providentiel pour pourvoir à tout ? A cette question, deux contributions apportent une réponse négative, quoique très différente. Pour Philippe Van Parijs, l’Etat doit cesser de s’immiscer dans les choix individuels. Une allocation universelle, versée à tous sans condition, aurait, selon lui, une vertu émancipatrice, en permettant aux individus d’échapper à la fois à la pression économique et à la bureaucratie tatillonne. Une tout autre vision sous-tend l’expérience Territoires zéro chômeur de longue durée décrite par Didier Goubert. Pour lui, le travail demeure la clef de la dignité des personnes. Mais l’insertion des chômeurs de longue durée passe, non par des dispositifs nationaux, mais par les solidarités locales et la responsabilisation de tous les acteurs des territoires.
8Enfin, les principes de justice eux-mêmes prêtent à discussion. Les contributions de Rima Hawi et de Muriel Gilardone [4] proposent un détour par la philosophie politique. Alors que Rawls tente de fonder ses principes de justice sur un accord librement consenti, Sen montre les tensions irréconciliables qui existent entre des conceptions également défendables.
9Gageons donc que les débats sur l’Etat-providence ne sont pas près de s’éteindre. Rendez-vous dans vingt ans…
Notes
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[1]
Voir « L’Etat-providence est mort ? Vive l’Etat-providence ! », par Daniel Lenoir, http://www.daniel-lenoir.fr/
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[2]
Discours lors du congrès de la Mutualité française, 13 juin 2018.
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[3]
Voir L’Etat social. Pour sortir du chaos néolibéral, par Christophe Ramaux, Mille Et Une Nuits, 2012.
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[4]
Issues de notre partenariat avec l’Association Charles Gide pour l’étude de la pensée économique.