"Mais surtout, ne surestimons pas l'importance du problème économique, ou ne sacrifions pas à ses nécessités supposées d'autres questions dont l'importance est plus grande et plus durable."
" [Keynes] songeait que les hommes des années 2030 ne travailleraient que trente heures par semaine et consacreraient leurs loisirs au culte de l'amitié et de la beauté. La seule chose qui pourrait les empêcher de le faire serait la peur de la liberté. [...] L'homme osera-t-il être libre ?"
1 Né le 23 septembre 1946 à Toulouse, Bernard Maris est mort assassiné le 7 janvier dernier, comme onze autres personnes, dans les locaux de l'hebdomadaire satirique Charlie Hebdo, auquel il contribuait sous le pseudonyme d'Oncle Bernard. Enseignant-chercheur à l'Institut d'études politiques de Toulouse (de 1984 à 1999), puis à l'Institut d'études européennes de Saint-Denis (de 1999 à 2013), Bernard Maris aura eu plusieurs vies. Universitaire et économiste, il fut aussi journaliste, romancier, historien de la Première Guerre mondiale et même membre du conseil général de la Banque de France !
2 Parmi les nombreuses facettes de cette personnalité riche et attachante, on peut retenir les suivantes. Tout d'abord, Bernard Maris était fâché avec sa "discipline", le mot ayant ici tous ses sens. Bernard Maris n'a pas goûté, c'est peu de le dire, le tournant scientiste pris par la "science économique" en direction des modèles mathématiques et de la réduction des phénomènes économiques à des interactions entre individus isolés. On remarquera de ce point de vue qu'il n'a jamais enseigné dans une faculté d'économie, mais uniquement dans des instituts pluridisciplinaires, où l'économie est considérée comme une science humaine parmi d'autres, et non comme l'administration de techniques quantitatives visant à résoudre des problèmes imaginaires.
3 Bernard Maris était avant tout un passeur, un pédagogue, un homme qui aimait expliquer, transmettre, mais il était aussi résolument engagé dans la recherche d'une meilleure économie, donc d'une meilleure société. Loin d'être enfermé dans les débats académiques, il voulait mettre ses connaissances au service de sa conception du progrès social (et écologique, puisqu'il fut candidat aux élections législatives pour les Verts en 2002 à Paris). Mais c'est ici que les difficultés commencent. Car Bernard Maris n'était pas communiste, ni même socialiste (même si ce parti a beaucoup compté pour lui, comme il l'explique dans Plaidoyer (impossible) pour les socialistes [2012]). Il ne suivait pas un guide idéologique préconisant les solutions à apporter à chaque type de problème. Il doutait et était modeste en matière politique.
4 Bernard Maris était un keynésien "véritable". Comme Keynes, il pensait que l'abondance était à portée de main, qu'il n'y avait pas de fatalité à la rareté, que l'économie pouvait être ravalée au second rang de nos préoccupations. Bref, que nous pouvions sortir de l'oppression intellectuelle dans laquelle les "économistes" (libéraux) nous maintiennent, pour, enfin, passer à autre chose (cet autre chose que certains ont qualifié de communisme).
5 Bernard Maris y croyait-il vraiment ou pensait-il que cet au-delà de l'horreur économique n'était qu'une chimère, une utopie inaccessible en raison des désirs jamais assouvis des hommes et de leur jalousie permanente ? Il est difficile de le savoir. Peut-être, comme nombre d'entre nous, balançait-il entre espoir et résignation, selon les jours et les nouvelles, bonnes ou mauvaises. Nous proposons en tout cas au lecteur de parcourir un petit bout de chemin avec Bernard Maris, de la promesse de l'abondance à l'esquisse d'une autre économie. Sans ignorer les obstacles qui se dressent sur la route vers ce meilleur état du monde. Ces obstacles tapis au fond de l'âme humaine, Bernard Maris, grand lecteur de Michel Houellebecq mais avant tout de Freud, n'en esquivait pas l'importance. Il avait choisi de les combattre par le rire et l'intelligence.
La promesse de l'abondance
6 Dans son texte intitulé "Perspectives économiques pour nos petits-enfants", et publié en 1930, John Maynard Keynes affirme : "L'humanité est en train de résoudre le problème économique" (souligné par Keynes [2002 (1930)], p. 111). Cette situation résulte des innovations techniques et de la tendance du capitalisme à accumuler, qui font que "d'ici cent ans le niveau de vie des pays les plus avancés sera de quatre à huit fois supérieur à ce qu'il est aujourd'hui" [ibid.].
7 Mais les hommes n'ont-ils pas des "besoins" toujours plus grands à satisfaire ? Sur ce point, Keynes est plus hésitant. Il affirme d'abord que nous pouvons satisfaire les "besoins qui ont un caractère absolu", c'est-à-dire ceux "que nous éprouvons quelle que puisse être la situation de nos semblables" [ibid.]. En revanche, il reconnaît que les besoins "relatifs", c'est-à-dire ceux "que nous ne ressentons que si leur satisfaction nous hisse au-dessus de nos semblables, nous donne le sentiment de leur être supérieur", peuvent s'avérer "insatiables" car "plus le niveau général s'élève, plus ils continuent de croître" [ibid.].
8 Il y a là une difficulté majeure qui constitue même, selon nous (avec le goût pour la nouveauté et la formidable capacité d'innover du système économique), l'obstacle premier à la résolution du "problème économique".
9 Mais supposons cependant que tous les besoins, absolus comme relatifs, puissent être satisfaits. "Sera-ce un bienfait", demande Keynes, une bonne nouvelle, la paix après la guerre économique ? Non, nous dit-il, la fin de "la lutte pour la subsistance" sera en fait extrêmement problématique, car elle privera l'humanité "de sa finalité traditionnelle" [ibid., p. 112]. En effet, "pour la première fois depuis sa création, l'homme sera confronté à son problème véritable et permanent : quel usage faire de sa liberté ?" [ibid., p. 113]. De ce fait, l'arrivée de "l'âge des loisirs et de l'abondance" doit nous inquiéter, car "nous avons été trop longtemps dressés à peiner et non à jouir" [ibid., p. 114]. Et Keynes de se lamenter devant le spectacle "déprimant" des "classes riches" qui ont "échoué lamentablement" au difficile exercice de l'usage du temps libre...
10 Mais Keynes demeure optimiste. Il espère que nous ferons bon usage "des nouvelles libéralités de la nature", que l'abondance révélera l'aspect "morbide" de "l'amour de l'argent", et que nous reviendrons à quelques-uns "des principes les plus sûrs et certains de la religion et de la morale traditionnelle", tel celui qui veut que "ceux qui pensent le moins au lendemain sont véritablement sur la voie de la vertu et de la sagesse" [ibid., p. 117].
L'ambiguïté de la pulsion de mort
11 On pourrait dresser à l'infini la liste des raisons qui nous empêchent d'atteindre le Graal de l'abondance, que ce soit notre égoïsme, notre soif inextinguible de consommation ou l'organisation de la société qui produit (et nous pousse à acheter, par la publicité) des masses de biens superflus tandis que des besoins de base ne sont pas satisfaits.
12 Pour Maris, plutôt que de chercher les raisons dans l'organisation des rapports de production, c'est d'abord vers l'homme lui-même qu'il faut se tourner, et notamment vers ses pulsions, ses angoisses et les moyens qu'il met en oeuvre pour les calmer. Autrement dit, Maris se tourne davantage vers Freud que vers Marx (même s'il a consacré un livre à ce dernier). Comme il l'affirme, à lire Keynes, "le fondement de l'économie, c'est la psychologie" [1999, p. 29]. Et, ajoute-t-il, "c'est très grave" [ibid.].
13 En effet, tout commence avec l'argent. Selon Maris, la demande d'argent relève, chez Keynes, de "motifs irrationnels et pulsionnels" qui sont typiques d'"une régression infantile" [ibid., p. 25]. Keynes fait référence au mythe de la poule aux oeufs d'or, qui montre le caractère érotico-anal de la relation à l'argent, et au mythe de Midas, qui "meurt [...] de ne pouvoir consommer tout ce qu'il touche, qui se transforme en or" [ibid., p. 28]. Pour Maris, le capitalisme est un système "infantile", "régressif", "immature et transitoire" [ibid., p. 27].
14 Maris relève à ce propos l'ambivalence du rôle de l'argent dans le capitalisme, tel que Keynes l'a pointé. Certes, l'amour de l'argent est essentiel pour accumuler et produire toujours plus ; mais, en même temps, le désir d'accumulation de l'argent pour lui-même peut avoir des conséquences désastreuses pour l'économie capitaliste lorsqu'il conduit à l'excès d'épargne qui réduit les débouchés et entraîne la crise de surproduction. Dans ce cas, Maris écrit que "à cette régression des individus [la thésaurisation] peut correspondre un état pathologique de la société, la dépression" [ibid., p. 26].
15 Pour Gilles Dostaler et Bernard Maris, cet aspect régressif et infantile de la monnaie chez Keynes est à rapprocher de la pulsion de mort telle que l'a théorisée Freud (la première fois dans Au-delà du principe de plaisir, publié en 1920) et qu'il définit comme la tendance à rejoindre la mort de tout ce qui vit, voire comme le secret du masochisme primaire présent chez l'être humain. En effet, notent Dostaler et Maris, "l'acheminement vers la mort est une fuite inconsciente pour échapper à la douleur et à la pénurie, ces constantes compagnes de l'homme dans tout son processus de civilisation" [Dostaler et Maris, 2010, p. 30].
16 Mais la grande force du capitalisme consiste à "détourner la pulsion de mort, d'en utiliser l'énergie pour exploiter et détruire la nature, au bénéfice de l'humanité" [ibid., p. 31]. Ainsi, détournée vers l'argent, la pulsion de mort "permet une accumulation plus intense du capital. Pour retarder le moment fatal, nous accumulons. Nous accumulons pour aller le plus tard possible vers la mort" [ibid., p. 37]. La pulsion de mort peut ainsi être à la fois destructrice et facteur de civilisation.
Le narcissisme des petites différences
17 Le second obstacle à la félicité est notre tendance à nous comparer aux autres, à rechercher non pas ce qui nous rend heureux, mais ce qui nous permet de penser que notre vie est plus agréable que celle de notre voisin ou de notre belle-soeur. Il s'agit ici du "narcissisme des petites différences", également mis en avant par Freud là encore, et qui consiste à penser que "ce qui est proche de moi et me ressemble, je le déteste" [ibid., p. 48]. En vérité, comme l'affirment Dostaler et Maris, "je déteste mon prochain" ; ce que René Girard qualifiera de "rivalité mimétique".
18 Résultat : nous portons tous "la croix de l'envie" [ibid.], parce que nous ne désirons pas les choses pour elles-mêmes, mais parce que les autres les possèdent. Nous voilà ainsi condamnés à "désirer et ne jamais être satisfaits" [ibid., p. 54], l'éclat des objets si attrayant au départ étant terni sitôt ceux-ci consommés. Pour Dostaler et Maris, la "jouissance narcissique extraordinairement élevée" promise selon Freud par le capitalisme grâce à la consommation des objets "n'est pas le plaisir, mais une manifestation de la pulsion de mort" [ibid.].
19 Nous sommes donc cernés : l'angoisse de la mort nous pousse à accumuler autant d'argent que possible (et donc à travailler dur pour cela), tandis que l'angoisse de notre statut social nous conduit à consommer bien au-delà de nos "besoins". Loin de se compenser, ces deux forces, l'une vers l'épargne, l'autre vers la consommation, s'entretiennent. Nous voilà donc pris dans la roue du hamster, condamnés à travailler toujours plus, et donc par là même à produire toujours plus, à alimenter la montagne de marchandises, au mépris de la qualité des relations humaines et de celle de notre environnement.
Incertitude et mouvements de foule
20 Mais qui dit recours à la psychologie ne dit pas individualisme méthodologique - au contraire. En effet, nous ne sommes même pas capables de juger par nous-mêmes de ce qui est bon pour nous. Loin de la fiction de l'homo oeconomicus, Keynes souligne dans son court article de 1937 l'immense incertitude dans laquelle nous sommes plongés. Concernant le futur, "simplement, on ne sait pas" [Keynes, 2002 (1937), p. 249].
21 Dans ce cas, le comportement rationnel consiste à faire comme les autres, à les imiter. Chez Keynes, ce conformisme prendra le nom de "convention". Suivre les conventions en vigueur permet de "sauver la face" (encore un ressort psychologique). Car comme le dit Freud : "Il est manifestement dangereux de se mettre en contradiction avec la foule, et l'on est en sécurité lorsqu'on suit l'exemple qui s'offre partout à la ronde, donc même éventuellement lorsqu'on "hurle avec les loups"" [Freud, Essais de psychanalyse, Payot, 2001 (1921), p. 124].
22 Mais la convention, "fruit de la psychologie de masse d'un grand nombre d'individus ignorants" [Keynes, Théorie générale], est bien fragile. Keynes note que "le marché sera soumis à des vagues d'optimisme ou de pessimisme qui, bien qu'irraisonnées, sont en un sens légitimes puisqu'il n'existe aucune base solide pour effectuer un calcul raisonnable" (cité par Maris [1999], p. 48). Ainsi, nous dit Maris, "la société chez Keynes n'est pas une somme d'individus, mais une entité autonome, soumise à des comportements collectifs mimétiques et panurgiques, et capable de "dépressions", de "manies", de "cycles", bref de cyclothymie" [ibid., p. 34].
23 Mais, pour une fois, Maris exprime un regret, car il estime que la convention keynésienne consiste à "supposer que le passé se répète" [ibid., p. 48]. Pour Maris, Keynes, comme les économistes classiques avant lui, "n'a pas réussi à franchir le mur du temps" [ibid. p. 48]. Keynes reste bien vague sur les formes que pourrait prendre l'économie de l'abondance.
24 Maris voit lui aussi l'immense fragilité de l'homme, mû par la pulsion de mort, obsédé par la situation relative de ses semblables et incapable de décider par lui-même. Pas étonnant dans ces conditions qu'il ait du mal à maîtriser ses désirs et à se donner à lui-même la vie bonne. Mais il existe tout de même des moyens de soutenir la meilleure part de nous-mêmes et des modes d'organisation économique plus propices au bonheur.
L'autre monnaie
25 C'est à la fin de son Antimanuel d'économie, paru en 2003 et qui ne devait compter initialement qu'un seul tome (avant que son succès ne le conduise à en rédiger un second), que Bernard Maris propose de caractériser "l'autre économie". Pour lui, celle-ci est une "économie solidaire" [2003, p. 332], qui a "vocation à supplanter [l'économie de marché] au fur et à mesure que le désir d'être se substituera au désir d'avoir" [ibid.]. Ou, autrement dit, à mesure que les besoins relatifs reculeront, pour reprendre la terminologie de Keynes.
26 Cette autre économie doit d'abord reposer sur une autre monnaie, dont un avant-goût est présent dans les SEL (systèmes d'échange local) ou les banques du temps (où une personne reçoit en échange de ce qu'elle "vend" un "crédit temps" lui ouvrant droit à une heure de travail effectuée par une autre personne). Tous ces systèmes ont pour caractéristique de fonctionner sur une base locale et d'interdire toute spéculation : la "monnaie" qui circule est uniquement affectée à l'achat de biens et de services fournis par les membres du réseau.
27 Il s'agit donc d'une monnaie qui est un pur moyen de paiement, qui ne permet pas l'accumulation et la thésaurisation, certains systèmes de monnaies dites "fondantes" prévoyant même que la monnaie perde de sa valeur au cours du temps, orientant ainsi les comportements vers la consommation plutôt que vers l'épargne. Bien entendu, ces monnaies n'auraient pas vocation à supplanter l'euro, mais à le compléter, dans une logique de pluralisme monétaire où différents instruments rempliraient différents objectifs.
Le revenu universel
28 Sur la question de la répartition des revenus, la proposition principale de Maris consiste à mettre en place une allocation universelle, que toute personne membre de la société percevrait, indépendamment de ses revenus, de son âge, de son état de santé, etc.
29 Bien sûr, il était conscient des nombreuses questions que cette proposition soulève. En particulier, il mentionne l'opposition initiale d'André Gorz, qui soulignait les risques de désocialisation liés au fait de percevoir un revenu déconnecté du travail. Mais il estime que, dans notre société où de plus en plus de richesses sont produites avec de moins en moins de travail, "l'allocation universelle prendra acte de la fin du travail et distribuera des droits à consommer sur le volume des richesses socialement produites" [ibid., p. 337].
30 Loin des mécanismes liant le revenu à un effort d'insertion tels que le RMI et le RSA, l'allocation universelle "doit permettre à chacun de choisir son temps" [ibid., p. 338]. Et elle est articulée à la question monétaire car, selon Bernard Maris, "elle ne peut se comprendre sans un double système : des biens fondamentaux comme l'éducation, la culture, la santé, qui me sont attribués par une monnaie affectée, des chèques culture par exemple, et des biens autres, disons superflus ou de luxe, que je choisis d'acquérir en vendant mon temps" [ibid.].
Les coopératives
31 Pour Bernard Maris - c'est une des lignes de force de sa pensée -, la concurrence est "inefficace" et il faut lui préférer la coopération et la gratuité. Il défend ainsi le logiciel libre sur le logiciel propriétaire, Microsoft étant le paradigme de l'accumulation de profits privés grâce à la "libre concurrence", au détriment de la qualité de service, celle-ci s'avérant bien meilleure au sein des communautés de geeks qui oeuvrent collectivement - et gratuitement - à l'amélioration des produits.
32 Pour Maris, "le logiciel libre retrouve une vieille lune de l'anticapitalisme : la société coopérative" [ibid.]. Il insiste sur l'importance de l'information, ce bien "inépuisable, non polluant et susceptible de croître à l'infini". Autre avantage, l'information "peut être fournie par les uns sans qu'ils s'appauvrissent", une chose "inadmissible pour l'économie de marché, fondée sur la rareté et l'exclusion" [ibid.].
33 Bernard Maris voyait dans la figure du chercheur un modèle à suivre pour l'ensemble des travailleurs car "il est dans la curiosité, l'ouverture d'esprit" et qui peut "donner [ses connaissances] sans [les] perdre". Pour Maris, cette façon de travailler était une manière positive, généreuse, d'avancer, de progresser, qu'il souhaitait rendre accessible à tous [Maris, 2015a].
34 Finalement, dans ce bien si particulier qu'est l'information, se trouve "l'abondance et la propriété collective". Nous voilà de nouveau en compagnie de Keynes et de sa généreuse prophétie : grâce aux monnaies alternatives, avec la mise en place d'un revenu universel (de niveau suffisant), avec le soutien des nouvelles technologies et en développant des coopératives, une nouvelle économie se dessine.
35 Dans les faits, elle est encore marginale. Mais cette autre économie a le mérite d'exister, de tracer une perspective et de promouvoir d'autres valeurs et d'autres comportements que ceux qui dominent dans l'économie capitaliste. Son rôle, aux yeux de Bernard Maris, est avant tout de nous rééduquer, de nous désintoxiquer des pulsions développées par le capitalisme (accumulation, consommation ostentatoire, etc.).
Une éthique plus qu'une politique
36 En effet, au-delà des rapports de force économiques, des décisions politiques et du poids des institutions, demeure un dernier élément sans lequel rien ne sera possible : l'éthique. L'éthique chez Maris n'est pas qu'une question individuelle, ce sont des valeurs induites par le collectif et les pratiques économiques (et sociales) concrètes. C'est en travaillant en coopérative plutôt que dans une grande entreprise capitaliste, en utilisant des monnaies locales fondantes, en achetant des produits issus du commerce équitable, etc., que l'on s'émancipe des valeurs du capitalisme et de ses pulsions morbides.
37 Bernard Maris cite à ce sujet encore une fois Keynes, qui écrivait en 1941 à l'archevêque de York que "l'économie, ou à plus proprement parler la politique économique, est un aspect de l'éthique" (cité par Maris [1999, p. 86]). Maris lui emboîte le pas, écrivant : "Tout est question de morale : à chacun de savoir s'il achète des objets produits à la sueur d'enfants martyrisés, de la nourriture empoisonnée par des agriculteurs, s'il préfère se déplacer à vélo ou en 4x4 en plein centre-ville" [2003, p. 330].
38 Nous voici confrontés à nous-mêmes : saurons-nous maîtriser nos désirs et nous respecter nous-mêmes, respecter les autres (présents et à venir) et construire la société dont nous avons envie dans une nature préservée ? L'envie de la vie bonne sera-t-elle plus forte que celle du dernier téléphone portable ? L'obstacle vers le bonheur ne se trouve pas toujours chez l'autre - le capitaliste, le spéculateur, le producteur de pesticides -, mais aussi en nous-mêmes. Les livres de Bernard Maris sont autant de pas dans la bonne direction. A nous de les lire et de faire les pas suivants.
Bibliographie
Bibliographie
- Keynes J. M., 2002 [1936], "La théorie générale de l'emploi", in Keynes, La pauvreté dans l'abondance, Gallimard, coll. Tel, pp. 240-260.
- Keynes J. M., 2002 [1930], "Perspectives économiques pour nos petits-enfants", in Keynes, La pauvreté dans l'abondance, Gallimard, coll. Tel, pp. 103-119.
- Maris B., 2015a, "Le chercheur, l'homme de demain", vidéo, disponible sur www.youtube.com/watch ?v=xtGFLNbpOTI
- Maris B., 2015b, Et si on aimait la France, Grasset.
- Maris B., 2014, Houellebecq économiste, Flammarion.
- Maris B., 2013, Journal d'un économiste en crise, Les Echappés/Charlie Hebdo.
- Maris B., 2013, L'homme dans la guerre : Maurice Genevoix face à Ernst Jünger, Grasset.
- Maris B., 2012, Marx, ô Marx, pourquoi m'as-tu abandonné ?, Flammarion, coll. Champs actuel.
- Maris B., 2012, Plaidoyer (impossible) pour les socialistes, Albin Michel.
- Maris B. (avec Dostaler G.), 2010, Capitalisme et pulsion de mort, Hachette, coll. Pluriel.
- Maris B., 2008, Petits principes de langue de bois économique, Charlie Hebdo.
- Maris B. (avec Dakhli L., Sue R. et Vigarello G.), 2007, Gouverner par la peur, Fayard.
- Maris B., 2003 et 2006, Antimanuel d'économie. Tome 1 : Les fourmis. Tome 2 : Les cigales, Bréal.
- Maris B., 2003, Lettre ouverte aux gourous de l'économie qui nous prennent pour des imbéciles, Le Seuil, coll. Points Economie.
- Maris B. (avec Labarde Ph.), 2002, Malheur aux vaincus. Ah, si les riches pouvaient rester entre riches..., Albin Michel.
- Maris B. (dir.), 2002, "La légitimation du discours économique", Sciences de la société n˚ 55, Presses universitaires du Mirail, février.
- Maris B. (avec Labarde Ph.), 2000, La Bourse ou la vie. La grande manipulation des petits actionnaires, Albin Michel.
- Maris B., 1999, Keynes ou l'économiste citoyen, Presses de Sciences Po, coll. La bibliothèque du citoyen (2007).
- Maris B., 1998, Ah Dieu ! que la guerre économique est jolie !, Albin Michel.
- Maris B., 1994, Parlant pognon, mon petit. Leçons d'économie politique, Syros.
- Maris B., 1993, Jacques Delors, artiste et martyr, Albin Michel.
- Maris B., 1991, Les sept péchés capitaux des universitaires, Albin Michel.
- Maris B., 1990, Des économistes au-dessus de tout soupçon ou la grande mascarade des prédictions, Albin Michel.
- Maris B., 1985, Eléments de politique économique : l'expérience française de 1945 à 1984, Privat.