Couverture de LECO_062

Article de revue

Les enjeux de la compétitivité : finance, gouvernance et innovation

Pages 61 à 88

Notes

  • [1]
    Terme emprunté aux travaux d'Amartya Sen et qui désigne l'ensemble de ce qu'un individu peut faire [NDLR].
  • [2]
    De manière plus précise, les complémentarités dans la mise en oeuvre des actifs intangibles dépendent beaucoup du savoir tacite des travailleurs, elles proviennent des interactions directes entre travailleurs pourvus de capabilities au sens de Sen. Il s'agit d'une externalité qui est un puissant facteur de productivité.
  • [3]
    Voir Aglietta, Michel et Réberioux, Antoine, 2012, " Financialization and the Firm ", in Dietrich, Michael et Krafft, Jackie ed., Handbook on the Economics and Theory of the Firm, Oxford, chapitre 23.
  • [4]
    La plupart des actifs intangibles ne sont pas comptabilisés aujourd'hui dans la comptabilité privée.
  • [5]
    Voir l'Innovation Union Scoreboard 2013, Commission européenne.
  • [6]
    La nature de l'innovation n'est pas distinguée (radicale, continue, etc.), ce qui est une grande faiblesse théorique.
  • [7]
    Radjou, Navi, Prabhu, Jaideep et Ahuja, Simone (2013), Innovation Jugaad. Redevenons ingénieux !, Diateino, Paris.
  • [8]
    A quelques exceptions près, ces deux formes réglementaires recoupent celles des pays continentaux et anglo-saxons.
  • [9]
    Cette norme stipule que les fonds doivent avoir des actifs valorisés à leur valeur de marché et des passifs valorisés par actualisation des engagements futurs dont le taux correspond au taux de rendement des obligations d'entreprise notées AA et d'une échéance équivalente.
  • [10]
    Comme la réassurance, la titrisation, les dérivés... avec les risques que cela comporte et qui ont été révélés lors de la crise financière récente.
English version

1Les divergences de compétitivité industrielle des pays européens, notamment entre la France et l'Allemagne, détruisent la cohérence économique de la zone euro et affaiblissent les pays membres dans la concurrence mondiale. La pénétration de la finance dans la gouvernance des entreprises et l'idéologie hostile à la politique industrielle de la direction de la Concurrence de la Commission européenne entretiennent ces handicaps.

2Le fléchissement des performances de l'industrie française est mis en accusation dans cet environnement défavorable au dynamisme économique. En effet, depuis le rapport Gallois remis fin 2012, nul ne peut ignorer que les performances de l'industrie française se sont dégradées sévèrement dans les dix années qui ont précédé la crise. Mais dans la recherche des causes, on écarte facilement la responsabilité des dirigeants et du mode de gouvernance dans lequel ils sont engagés. Hausse des salaires et baisse des marges vont si facilement de pair. La compétitivité est perçue exclusivement sous l'angle des coûts salariaux ; ce qui met le marché du travail en accusation. On ne trouve rien de mieux en matière de politiques structurelles que de préconiser la dévaluation interne, c'est-à-dire la course à la déflation salariale qui jette les pays les uns contre les autres.

3On passe aisément sous silence l'insuffisance de l'effort de recherche des entreprises en Europe du Sud, France comprise. Depuis 2002, la R & D du secteur privé n'a jamais dépassé 1,4 % du PIB en France, contre 1,9 % en Allemagne en moyenne, 2 % aux Etats-Unis, 2,5 % au Japon et 2,8 % en Suède. De plus, les entreprises françaises prennent un retard grandissant dans l'automatisation des processus de production industriels. Elles avaient acheté 3,5 fois moins de robots industriels que l'Allemagne en 2001, 7 fois moins en 2011. Les études sur la productivité globale des facteurs montrent que l'âge du capital particulièrement élevé dans les entreprises françaises est un facteur de ralentissement de la productivité. Si les coûts salariaux croissent plus qu'ailleurs, c'est parce que la productivité ne progresse pas assez vite et a stagné depuis 2007.

4Cela éclaire sous un jour différent la question de la compétitivité. Si la France perd du terrain, c'est parce que ses entreprises n'investissent pas assez dans l'innovation. S'il en est ainsi, c'est parce que leurs dirigeants et leurs propriétaires ne veulent ou ne peuvent pas le faire. Dans le premier cas, il importe de regarder quelle gouvernance d'entreprise s'est imposée dans le cadre de la financiarisation de l'économie. Dans le second, il faut s'interroger sur les systèmes d'innovation dans lesquels les entreprises mobilisent des ressources technologiques, humaines, informationnelles et financières. Enfin, la finance est le partenaire indispensable des projets qui construisent le futur des entreprises. Après les excès de la finance prédatrice qui ont provoqué une crise globale, le temps est venu de penser aux institutions et aux méthodes pour la remettre au service de l'économie.

Trois changements de gouvernance des entreprises

5Trois évolutions ont amené des changements profonds dans la gouvernance des entreprises. La première est l'évolution des technologies, notamment numériques, qui donnent un rôle plus important à la connaissance, aux initiatives et à la créativité des salariés. La deuxième est l'élévation continue du niveau de formation des individus, qui donne au capital humain un rôle central. La troisième est une aspiration sociétale, dans la jeunesse notamment, à une plus grande autonomie et un plus grand épanouissement dans le travail. Les entreprises françaises sont-elles capables de saisir ces opportunités ? Quels sont les modes de gouvernance les plus aptes à transformer ces tendances en sources de compétitivité ? L'entreprise va-t-elle évoluer vers un mode plus partenarial ? Quelle idéologie s'y oppose ?

6Ces interrogations rencontrent des critiques plus fondamentales sur la nature de l'entreprise, remettant en cause le principe de la valeur actionnariale qui a dominé le business model des entreprises en France depuis la disparition des actionnaires stables de contrôle dans les années 1990.

Financiarisation et gouvernance

7Après la Seconde Guerre mondiale, la France s'est modernisée sous l'impulsion et le guidage de l'Etat central. L'Etat tutélaire a permis au capitalisme français de construire ses pôles de compétitivité dans les transports, l'énergie, les matériaux de construction et la chimie. Après la création du marché commun, le modèle industriel a dérivé vers plus de concurrence en compensant périodiquement l'érosion de la compétitivité par des dévaluations monétaires. Les contraintes européennes ont changé la donne lorsque la libéralisation financière a pris de l'ampleur. Le tournant de la désinflation compétitive en 1983 a provoqué une conversion passive au néolibéralisme. Celle-ci est devenue active à partir de 1995, lorsque le tissu d'intérêts capitalistiques croisés s'est désintégré et que l'irruption de l'actionnariat anglo-saxon dans le CAC 40 a bouleversé la gouvernance des entreprises. Le capitalisme français a massivement adopté la gouvernance actionnariale, par opposition à la gouvernance partenariale qui prévaut en Allemagne. La combinaison de la dominance de critères de maximisation boursière et d'une organisation du travail hiérarchique et pyramidale, vieille tradition française, a produit des incitations managériales particulièrement défavorables à l'investissement productif innovant.

8L'intéressement des managers à la valorisation financière des entreprises par la voie des stock-options et la menace des OPA hostiles, conduites par des coalitions de fonds d'investissement spéculatifs et de banques d'affaires, ont soumis les stratégies des entreprises aux errances des marchés boursiers. Ceux-ci deviennent l'institution exclusive de référence et la valeur boursière l'unique représentation des intérêts des actionnaires. Les conséquences sur le mode de gouvernance sont désastreuses. L'entreprise n'est plus considérée comme une entité dont la capacité intégrative est la source de la valeur (going concern) et qui doit donc être préservée dans la durée pour pouvoir développer une stratégie d'investissements productifs à long terme. Dans le modèle Wall Street, l'entreprise n'est rien d'autre qu'une collection d'actifs séparément valorisables sur le marché boursier. La liquidité, et non pas l'engagement dans le temps, est la qualité primordiale que les investisseurs doivent pouvoir réaménager pour maximiser le rendement boursier. La crise a exacerbé ce travers. Les contraintes de désendettement sont devenues les critères déterminants de gestion et les énormes fluctuations des cours boursiers sont les indicateurs d'une instabilité du prix du risque qui entrave l'investissement.

9La forme de contrôle capitalistique alternative à la société cotée, le private equity, est particulièrement néfaste aux stratégies de long terme, dès lors que les acquisitions se font à plus de 70 % par la dette - l'effet de levier - et non par apport de fonds propres. En garantie des prêts, les fonds de private equity mettent en gage les actifs et les revenus futurs des entreprises qui sont leurs proies. L'objectif des dirigeants de fonds est de tirer de l'entreprise cible un rendement très élevé sur une période de trois à cinq ans pour rembourser la dette et, grâce au levier, de réaliser un rendement financier sur le capital au-dessus d'un seuil de 20 %. Cela peut être compatible avec l'essor fulgurant de start-up. Mais la plupart du temps, c'est un type de gouvernance fondé sur le démembrement et le remembrement d'actifs existants, qui détruit de la valeur plutôt que d'en créer et qui la redistribue à l'encontre des collectifs de travail et au profit d'une élite financière.

10Le private equity peut être un vecteur d'innovation. Mais c'est sous une tout autre forme qu'il peut aider les PME à innover, un private equity qui s'implique dans la durée, abolit la dette et allie du capital investissement à une expertise en stratégie pour des entreprises fragiles en croissance. Cependant, cela suppose une conception de la gouvernance complètement différente.

Gouvernance partenariale et contrat social de participation des salariés

11La gouvernance au service exclusif des actionnaires est le fruit d'un mouvement idéologique dont l'influence a grandi aux Etats-Unis dans les années 1970 et qui s'est généralisé dans les années 1980. Ce mouvement porte une conception doublement erronée de l'entreprise : l'entreprise est assimilée à la société privée, personne morale, la relation entre la société privée et les actionnaires est faussement supposée être une relation " principal-agent ". Or l'entreprise est un groupement humain dédié à la production d'utilité sociale. Un groupement humain ne peut appartenir à personne dès lors que l'esclavage a été aboli. En revanche, la société privée est une entité juridique instituant une personne morale qui porte la finalité de l'entreprise. Le droit distingue soigneusement la propriété d'un objet, c'est-à-dire l'usus et abusus du droit civil, et la propriété par destination qui est celle de la société privée. Cette finalité est capitaliste parce qu'elle accomplit la logique abstraite du capital qui est l'accumulation. En ce sens, la société privée est propriétaire de l'entreprise, c'est elle qui prend des engagements au nom de l'entreprise. Parce que la société privée est une personne morale, elle délègue son pouvoir à une instance de direction qui est son conseil d'administration, lequel mandate un exécutif lui-même hiérarchisé. Les ayants droit de la société privée sont tous les apporteurs des actifs qui permettent à la société privée de réaliser sa mission, c'est-à-dire l'accumulation de valeur. Les actionnaires apportent un type d'actifs ; c'est pourquoi ils sont propriétaires de parts de capital de la société privée. Mais d'autres partenaires de l'entreprise apportent d'autres actifs. Il faut une conception extraordinairement étriquée de ce qu'est le capital pour soutenir que seuls les actionnaires apportent du capital et donc prennent seuls des risques d'entreprise.

12Les tenants de la souveraineté de l'actionnaire prétendent qu'elle est justifiée parce que toutes les autres relations de l'entreprise sont implicitement contractualisées et ont de ce fait des prix équivalant à des prix de marché. Cette assertion ne tient évidemment pas. L'entreprise est essentiellement une équipe. Ce qui la rend efficace, c'est la coopération et la complémentarité de ses talents. Corrélativement, la valeur boursière de la société ne s'identifie pas à l'utilité sociale créée par l'entreprise. La tension entre entreprise et société privée fonde donc une autre répartition du pouvoir, celle de l'entreprise partenariale, et un lieu d'exercice du pouvoir qui est le conseil d'administration (CA), lequel ne saurait être l'émanation des seuls actionnaires.

13Les parties prenantes ont des intérêts multiples. Le CA n'est pas l'agent d'un principal. C'est l'organe politique de l'entreprise, celui qui définit les fins par délibération. Il a donc une visée stratégique qui est codifiée dans une norme de gouvernance. La mission du CA est de contrôler le management, donc la technostructure de l'entreprise, pour que la gestion soit conforme à la norme de gouvernance. Puisque la société privée assigne à son représentant, le CA, les droits à organiser l'entreprise, la gouvernance, par laquelle celui-ci interagit avec l'ensemble de la structure, doit éviter que la coordination des parties prenantes ne soit confisquée dans l'intérêt des seuls managers. La gouvernance partenariale implique l'organisation de contrepouvoirs : séparation du président du conseil et du PDG, comités de contrôle interne sous l'autorité du CA et séparés du management, critères objectifs et instruments de mesure des performances du management, agenda sous la responsabilité de la présidence du conseil.

14Parce qu'elle mobilise la créativité des ressources humaines rassemblées dans l'entreprise, la gouvernance partenariale est la principale source de compétitivité. En effet, les avantages comparatifs sont endogènes. La productivité résulte essentiellement de l'apprentissage collectif : savoir tacite par circulation des compétences qui valorise les capacités individuelles, interactions informelles entre employés au sein de structures horizontales, motivation des salariés en tant que partenaires. Seule la gouvernance partenariale par participation effective des salariés au CA peut créer les contrepouvoirs nécessaires pour garantir la formation de compétences collectives en tant que facteur de production.

15La responsabilité sociale de l'entreprise (RSE) n'est donc ni un supplément d'âme ni un coût. Mais l'enjeu de la gouvernance partenariale va bien au-delà de la RSE. Les actifs intangibles ne sont pas sur le même plan que le capital physique, contrairement à ce que laissent penser les fonctions de production naïves des économistes lorsqu'ils daignent ajouter le capital humain.

Actifs intangibles et compétitivité des entreprises

16Plutôt que de capital humain, qui est du ressort des " capabilities "[1] des individus, il vaut mieux parler de patrimoine humain de l'entreprise, qui est un actif collectif. Il est défini par quatre fonctions essentielles qui le constituent, le conservent, le développent et le transmettent. La fonction constitutive est l'ensemble des compétences rassemblées à la création de l'entreprise. On aime bien les histoires d'inventeurs de génie. Elles existent, mais dès que l'entreprise est créée, elle se dissocie de leur personne et ils ne peuvent rien faire sans le collectif. Il faut organiser la collaboration des talents dans un but commun pour conserver ce capital. A cet égard, la révolution numérique fait apparaître des opportunités nouvelles. Les outils technologiques (plateformes virtuelles) réunissent des compétences autrefois dispersées. Le développement passe par la valorisation et la reconnaissance du patrimoine humain collectif. Il est essentiel de le considérer comme un investissement, pas comme une dépense, dans la formation, l'accompagnement des mobilités et les pratiques managériales. Les politiques qui décident de cet investissement ne sont efficaces que si elles sont intégrées dans la planification stratégique de l'entreprise. Cette fonction désigne ce qui est permanent dans l'entreprise, à l'encontre du modèle Wall Street où rien n'est permanent, tout doit être liquidable selon les errances des marchés boursiers.

17Plus généralement, le capital intangible collectif des entreprises est très différent du capital matériel. Celui-ci se déprécie dans l'usage. En outre, son accumulation dans les mêmes techniques entraîne une baisse de sa productivité marginale. Au contraire, le capital intangible se bonifie dans l'usage. Sa complémentarité avec le capital physique dans des processus intégrant étroitement production matérielle et services contrecarre la baisse de la productivité marginale du capital. Il est donc clair que les individus possédant les " capabilities " associées dans l'entreprise sont des parties prenantes au profit et doivent participer à la gouvernance.

18Rares sont les entreprises françaises qui assument ces potentialités. Le propre des nouvelles technologies, et de l'économie de la connaissance en général, comme on l'a remarqué ci-dessus, est de reposer sur l'interaction et l'implication des salariés. La motivation des salariés devient le principal facteur de la productivité. Etant parties prenantes à la création de valeur d'une manière qui ne peut être complètement contractualisée, les capacités humaines deviennent des actifs intangibles dont les porteurs sont des ayants droit résiduels sur la valeur totale de la firme [2]. Les salariés deviennent des parties prenantes de l'entreprise : des " stakeholders "[3]. Dans les entreprises innovantes de petite taille, ce nouveau statut des travailleurs les amène souvent à être directement actionnaires de l'entreprise (" shareholders "). Dans les entreprises de plus grande taille, cette solution n'est probablement pas la plus efficace, le cours de Bourse pouvant être durablement déconnecté de l'effort des salariés.

Systèmes d'innovation et compétitivité

19La compétitivité fondée sur le capital intangible étend les parties prenantes de l'entreprise au-delà des frontières juridiques de la société privée. Les actifs intangibles, étant efficaces par leur organisation collective, n'ont pas de droits de propriété bien définis. Ils sont sources d'externalités positives entre l'entreprise, d'autres entreprises, des entités publiques et des communautés de citoyens dans les territoires où les entreprises sont implantées. Ils relient étroitement industrie et services, stratégies d'entreprise et politiques économiques, de manière que l'offre marchande s'inscrive dans des enjeux sociétaux : transition énergétique, économie circulaire, rénovation urbaine, santé et modes de vie. Souvent non rivaux et porteurs de rendement non directement appropriable, les actifs intangibles requièrent des prix notionnels pour être valorisés. Ils améliorent l'efficacité de la totalité des processus de production et la qualité des produits des firmes.

20Du point de vue des entreprises, les actifs intangibles contrecarrent la baisse de la productivité marginale du capital physique investi au fur et à mesure où il s'accumule. Il en est ainsi parce que les actifs intangibles incorporant la connaissance ne sont pas détruits dans l'usage. Au contraire, leur productivité marginale croît dans l'usage. Lorsque les entreprises sont organisées en réseaux qui intériorisent les externalités dues à ces interactions, elles constituent des systèmes d'innovation. Pour tirer parti de cette coordination, il faut une gouvernance qui reconnaisse la diversité, la capacité d'interaction et la mobilité des compétences humaines, donc une gouvernance partenariale étendue.

21Il n'y a pas de système d'innovation dominant. Ils se distinguent par les traditions culturelles des sociétés civiles, les philosophies de l'éducation et les idéologies qui façonnent les conceptions de l'entreprise. On connaît bien le système d'innovation du " venture capital ", du capital-risque, qui a cours aux Etats-Unis. L'individualisme y est prépondérant dans l'esprit d'entreprise. Les candidats entrepreneurs, souvent issus des laboratoires publics de recherche, trouvent l'aide des " business angels " qui les lancent sur une trajectoire de développement dans des territoires d'innovation où l'interdépendance des entrepreneurs est étroite. L'essor est poursuivi grâce aux fonds de capital-investissement qui évitent leur dépendance trop précoce à l'endettement. Le Nasdaq, le marché américain des valeurs technologiques, est le juge du succès ou de l'échec.

22Cette approche de l'organisation industrielle est très éloignée des traditions asiatiques. Le Japon intègre étroitement les PME dans les chaînes de valeur des grandes firmes. Les PME ne sont pas considérées comme des sous-traitants à exploiter pour extérioriser des coûts, mais comme des partenaires dans les projets industriels. Le capitalisme guanxi de la Chine se moule sur les réseaux de solidarité fortement ancrés dans la tradition confucéenne. Les relations familiales étendues, les liens de confiance fondés sur les services réciproques, les normes éthiques partagées sont des ciments qui tiennent dans la durée.

L'absence de système d'innovation affirmé en France face au " Mittelstand " allemand

23Le Mittelstand est la référence de l'excellence compétitive en Europe. Il contraste avec le flou de l'organisation industrielle de la France depuis que l'Etat s'est retiré du jeu. Le renforcement de la puissance exportatrice de l'Allemagne depuis la création de l'euro contraste avec la lente désindustrialisation de la France. La manière dont les grandes entreprises ont réagi à la concurrence durcie par la globalisation est instructive. Les entreprises allemandes ont investi massivement l'Europe de l'Est pour accroître la compétitivité des systèmes d'innovation situés sur leur territoire. Elles ont fortement intégré leurs investissements à l'étranger dans les systèmes industriels installés dans les Länder. Sous l'influence de leur actionnariat anglo-saxon, les entreprises françaises se sont découplées du territoire national, déterritorialisant même des centres de recherche.

24Le Mittelstand est une sorte d'écosystème autoreproduit qui fabrique un cercle vertueux dont dépendent sa résilience aux chocs et sa longévité historique. Le coeur du système est la qualité des actifs intangibles renouvelée dans la durée. Elle rend possible une innovation incrémentale continue ; ce qu'on appelle " la perfection du banal ". Ce n'est donc pas un système qui fait des percées fulgurantes dans les innovations radicales. Mais cette innovation incrémentale répandue dans toute l'industrie nourrit des avantages compétitifs hors prix qui garantissent des parts de marché solides et compatibles avec des marges élevées. Grâce à la solidité des comptes d'exploitation, l'autofinancement est la première source de l'investissement ; ce qui favorise l'indépendance par rapport à la finance, donc la continuité du contrôle capitalistique par un actionnariat principalement familial. Le maintien de ce contrôle permet aux conseils de surveillance d'affirmer leur indépendance stratégique sur des horizons longs et de négocier des financements externes en position de force. C'est la condition essentielle pour que la finance soit mise au service de l'économie. Grâce à cette indépendance, des stratégies de spécialisation qui entretiennent l'innovation incrémentale et donc les parts de marché peuvent être poursuivies.

Les leçons de l'expérience allemande

25Trois leçons peuvent être tirées de l'expérience allemande. En premier lieu, l'innovation est le plus souvent incrémentale à partir d'une base industrielle maîtrisée. En second lieu, de petites niches au niveau national peuvent produire des exportations très profitables sur les marchés globaux. En troisième lieu, on peut préserver une vaste gamme d'activités de la concurrence des pays émergents si on sait innover sur ses points forts.

26C'est l'innovation sociale qui est le facteur prédominant de la compétitivité : effort public de formation et recyclage des travailleurs, lien étroit des entreprises et des institutions scolaires dans l'apprentissage. Il faut y ajouter ce que ne fait pas l'Allemagne, mais que fait la Scandinavie : l'égalité entre les hommes et les femmes dans l'emploi et la mobilité professionnelle, l'aide publique à la prise en charge de l'enfance préscolarisée.

27La dynamique autoentretenue de la croissance industrielle implique une organisation des rapports entre puissance publique et acteurs privés. Elle requiert aussi des politiques dédiées aux systèmes d'innovation. La stratégie industrielle doit être insérée dans les territoires. En France, il revient aux régions de promouvoir un nouvel état d'esprit. Elles doivent sélectionner des entreprises capables de développer des avantages compétitifs régionaux, détecter des segments d'industrie prometteurs et monter des projets pilotes associés à des cofinancements publics-privés.

28Pour inciter les PME à innover et à exporter, il peut être utile en France d'instituer un statut de PME innovantes qui auraient accès à des financements attractifs et d'aider beaucoup plus efficacement les PME à l'étranger. Enfin, reterritorialiser l'industrie et engendrer des flux d'innovations incrémentales repose sur la définition du développement durable comme axe d'une stratégie à la fois européenne et nationale.

Du micro au macro : qu'est-ce qu'une économie à haute valeur ajoutée ?

29Des analyses précédentes sur le rôle crucial du patrimoine humain collectif et la gouvernance pertinente des entreprises pour le mettre en valeur, y compris l'actionnariat adéquat, il ressort que ces conditions sont au fondement de la compétitivité d'un pays développé. Cette remise en ordre des bases théoriques permet en outre de se libérer de l'obsession sur le coût du travail. Mais elle met les responsables politiques devant leur responsabilité.

30Notre analyse rejoint - tout en insistant beaucoup plus sur la conception de l'entreprise opposée à la théorie néoclassique des contrats implicites - les définitions empiriques des organismes internationaux fondées sur des batteries de critères non hiérarchisés et encore moins structurés en système.

31Une économie à haute valeur ajoutée est une économie qui concentre ses activités sur celles les plus créatrices de valeur, définie comme la différence entre les prix des biens et services produits et les coûts de production [4]. Dans la mondialisation aujourd'hui, les économies développées tendent à maximiser ce différentiel via les prix de vente et, dans une moindre mesure, en réduisant les coûts de production (coûts salariaux notamment). On parle de positionnement stratégique dans la chaîne de valeur réalisé par une production différenciée par sa qualité. A cet égard, une économie à haute valeur ajoutée se caractérise par un ensemble de facteurs favorables au " haut de gamme " et, implicitement, à la capacité d'innover et de " transformer " en valeur l'innovation (technologique, marketing, organisationnelle, incrémentale, radicale, etc.) par sa diffusion à l'ensemble du tissu productif. Les conditions d'une économie innovante sont alors multiples, allant de la qualité de ses ressources humaines (enseignement supérieur, recherche, etc.) à celle des aides et du financement de l'innovation (R & D), du financement des très petites entreprises (TPE) et des entreprises de taille intermédiaire (ETI), des partenariats public-privé, etc. [5] Au final, une économie à haute valeur ajoutée peut se définir comme innovante, compétitive dans la mondialisation (de manière soutenable), et est, selon la terminologie de la Commission européenne, une économie du savoir et de la connaissance.

32Le tableau de bord de la Commission européenne sur les performances des pays membres en matière d'innovation [6] offre une lecture d'une économie à haute valeur ajoutée. Il repose sur huit domaines liés à l'innovation et vingt-cinq indicateurs : les ressources humaines, la qualité du système de recherche, les aides et le financement, l'investissement dans l'innovation des entreprises, les actifs intellectuels (brevets, etc.), les innovations de produits, de process, marketing et organisationnelles et, enfin, les effets économiques de l'innovation (emploi, exportations, etc.). Selon le classement élaboré à partir de cet indicateur, la France fait preuve de points forts notamment dans les ressources humaines (proportion de chercheurs dans la population, nombre de diplômés du supérieur en sciences et technologies), mais aussi de faiblesses relatives dans les investissements consentis par les entreprises, en particulier concernant leurs dépenses d'investissement en innovation hors R & D (achat de biens d'équipement, acquisition de brevets et de licences, etc.). Au total, la position contrastée de la France en matière d'innovation suggère que le fort potentiel du pays, notamment en ressources scientifiques et technologiques et dans le secteur public, n'est pas suffisamment valorisé dans la sphère de l'entreprise. En effet, comme nous l'avons vu, la valorisation du potentiel compétitif des actifs intangibles suppose une tout autre gouvernance que celle qui a cours en France : dialogue social particulièrement pauvre, absence d'implication des salariés dans les décisions stratégiques, organisations hiérarchiques rigides, actionnariat détaché d'un engagement durable.

33En outre, lister des indicateurs d'innovation dans les entreprises ne suffit pas à comprendre comment une économie nationale peut bénéficier d'une croissance potentielle supérieure du fait d'une meilleure gouvernance des entreprises. Encore faut-il adopter une théorie qui sache distinguer la compétitivité des nations de celle des entreprises.

Compétitivité et croissance

34La compétitivité globale d'une économie est une notion qui fait problème parce que la compétitivité est un concept microéconomique qui se définit au niveau des entreprises et qui dépend notamment de la capacité d'innovation. Remarquons qu'au niveau macroéconomique, cette notion n'a pas de sens dans la théorie standard des avantages comparatifs. Puisque ceux-ci sont relatifs et supposés exogènes, ils existent toujours et sont toujours réalisés dans un système de libre échange international. Qu'un pays ait des hauts ou des bas salaires, il sera relativement plus performant dans les activités correspondant à ce que ses dotations en facteurs de production lui permettent d'atteindre.

35Pour que la compétitivité ait un sens macroéconomique, il faut que la spécialisation internationale soit fondée sur des rendements croissants et des facteurs d'agglomération qui sont générateurs de processus autorenforçants et d'effets externes. Cela nous ramène aux actifs intangibles et aux systèmes d'innovation fondés sur eux. Si des firmes deviennent plus performantes grâce aux échanges tacites d'informations et de compétences avec d'autres firmes situées à proximité, ou grâce à des mises en commun d'investissements de recherche ou à des participations jointes à des programmes menés dans des laboratoires publics de recherche, alors la compétitivité globale peut avoir un sens. Elle résulte d'un effet de composition des performances dues aux stratégies des firmes dans le cadre d'impulsions des politiques publiques. Il se pose alors un problème complexe de coordination. Le succès de cette coordination peut aboutir au niveau macroéconomique au schéma suivant, qui est un cercle vertueux de la productivité et de la croissance, appelé " schéma de Kaldor-Verdoorn " :

Le Schéma de Kaldor-Verdoorn

Illustration 1

Le Schéma de Kaldor-Verdoorn

36Parce que les avantages comparatifs deviennent endogènes et dépendent de l'accumulation du capital, à condition de bien comprendre que les actifs intangibles sont une composante essentielle du capital, un cercle vertueux de la croissance et de la compétitivité peut s'installer par coévolution de la gouvernance des entreprises et des politiques publiques. Remarquons que dans cette dynamique de croissance endogène, la demande effective est un déterminant de la croissance de long terme, contrairement aux conceptions de la croissance exogène.

37Un pays plus compétitif qu'un autre est un pays qui exporte des biens à haute valeur du travail national sur le marché mondial et qui importe des biens exprimés à plus basse valeur du travail étranger, lorsque ces valeurs sont exprimées dans une même unité de compte. On peut le dire dans la formule cursive : être compétitif, c'est vendre cher le travail national sur le marché mondial. L'indicateur synthétique de la compétitivité est l'appréciation tendancielle du taux de change effectif réel compatible avec la croissance interne de plein-emploi. C'est donc l'opposé de la conception mercantiliste de la dévaluation interne. Si être compétitif pour un pays, c'est organiser le travail de manière à créer de la valeur incorporée dans un élargissement de la diversité des biens vendus sur le marché mondial, alors la compétitivité bénéficie au bien-être général.

38Mais le lien entre cette définition de la compétitivité et la croissance n'est pas mécanique. Dans le modèle de Kaldor-Verdoorn d'économie ouverte, la croissance de long terme dépend de la demande extérieure qui s'adresse à un pays. La compétitivité dite hors prix est mesurée par les élasticités-revenu du commerce extérieur. Plus l'élasticité à l'exportation est forte et celle à l'importation faible, plus la compétitivité hors prix est élevée et plus la croissance peut être forte pour une même évolution de la demande étrangère sans modification des prix relatifs (compétitivité-prix). Cela exprime une bonne qualité de la spécialisation, qui elle-même découle de la stratégie des firmes et de leur aptitude à la réaliser par apprentissage organisationnel. Intervient aussi la perception de la qualité par les acheteurs des produits, laquelle dépend d'éléments de marque et de service après-vente pour les biens durables qui font la réputation des vendeurs. Kenneth Arrow a démontré que la qualité est fonction de la production cumulée qui capte l'effet d'expérience par apprentissage organisationnel. Il y a donc une double relation dynamique entre croissance et compétitivité : plus l'apprentissage des entreprises est efficace, plus la croissance est forte. Plus un pays peut tenir une croissance régulière en absorbant les chocs, plus l'apprentissage organisationnel est rapide, ce qui entretient la croissance.

39Quel est le lien entre compétitivité-prix et compétitivité hors prix ? Un pays qui a une bonne spécialisation industrielle a des exportations moins sensibles aux variations des prix relatifs. L'élasticité du volume de ses exportations à la variation de sa compétitivité-prix est plus faible que celle d'un pays plus vulnérable parce que maîtrisant moins les facteurs de la compétitivité hors prix. C'est ainsi que l'élasticité des exportations à la variation du taux de change effectif réel est de - 0,4 en Allemagne et - 0,9 en France. Cela signifie qu'une perte de compétitivité-prix de 1 % mesurée globalement fait reculer les exportations de 0,9 % en France contre 0,4 % en Allemagne. Un pays à forte compétitivité hors prix a donc des entreprises qui sont capables de tenir des prix rémunérateurs, c'est-à-dire de protéger leur taux de marge malgré la concurrence étrangère ; ce que ne peuvent pas faire les entreprises d'un pays vulnérable aux différences de coûts. Un taux de marge élevé et stable donne les moyens d'investir sans s'endetter outre mesure, donc d'accroître la productivité et la croissance potentielle, c'est-à-dire de maintenir le cercle vertueux entre croissance et compétitivité.

40Le cercle vicieux dans lequel la France risque de s'engager après le reste de l'Europe du Sud résulte du slogan à la mode : pour redevenir compétitif, baissez les salaires jusqu'au minimum tolérable et acceptez corrélativement de fonctionner en sous-utilisation de vos capacités de production pendant un temps indéterminé puisque votre demande intérieure sera insuffisante. Or les relations de travail sont déjà exécrables en France, le dialogue social n'est pas productif, la méfiance est généralisée entre les parties prenantes. Les directions des entreprises contournent systématiquement le contrat de travail standard par des pratiques qui n'offrent aucune protection aux employés et qui ne créent aucun lien coopératif entre les entreprises et leurs salariés (CDD, intérim, différentes formes de sous-traitance). S'engager dans la voie du renforcement de ces tendances en persistant dans une vue erronée de la compétitivité, c'est prendre un très grand risque.

41Au contraire, la croissance, si elle est guidée par une politique industrielle qui modifie la spécialisation, renforce la compétitivité. De même, les hauts salaires ne nuisent pas à la compétitivité s'ils poussent les entreprises à un apprentissage organisationnel pour renouveler la différenciation de leurs produits. Elles peuvent vendre à des prix suffisamment élevés pour maintenir des marges stables. Faire baisser les coûts salariaux unitaires pour améliorer la compétitivité ne vaut qu'à qualité égale et même gamme de produits. Cela n'a pas de sens au niveau macroéconomique dès lors que la diversité des produits échangés est très grande et que l'investissement en innovation permet de la transformer. Mais le mode de management des ressources humaines qui poursuit une stratégie offensive de spécialisation et celui qui conduit à la baisse des coûts et à la réduction des effectifs pour demeurer compétitif dans une spécialisation figée sont totalement opposés, comme on l'a montré dans la première partie.

42On aboutit au résultat que, pour les pays développés, la compétitivité est une question d'efficacité du management des firmes dans un environnement social porteur. La qualité de cet environnement dépend d'abord de celle des relations de travail. Des syndicats puissants et représentatifs et une attitude patronale consistant à un dialogue permanent dans des instances reconnues, la présence des syndicats dans les conseils d'administration ou de surveillance des entreprises et l'ouverture des comptes aux représentants syndicaux, voilà des facteurs essentiels de compétitivité.

Quelles politiques publiques pour renouveler les avantages comparatifs ?

43Le progrès technique découle d'un échange de savoir-faire qui crée une externalité de réseau entre les firmes. C'est un processus de croissance endogène qui est une raison de la concentration industrielle dans les territoires : pics d'activités, clusters technologiques, parcs industriels, pôles de compétitivité. L'apprentissage collectif du savoir tacite est le déterminant principal de la progression de la productivité. Il se produit à l'intérieur des firmes dans le modèle de gouvernance partenariale et entre les firmes par les externalités de réseaux.

Les éclairages du rapport Gallois

44Le rapport Gallois identifie trois types de carences structurelles de l'industrie française : l'insuffisance de la R & D des entreprises et l'inadéquation de la formation du capital humain aux besoins de l'industrie, l'absence d'un modèle d'organisation industrielle permettant d'incorporer l'innovation et la faiblesse du financement de l'industrie. Le rapport lie étroitement les deux premiers handicaps. Notre avenir n'est pas dans la course aux bas salaires et à l'appauvrissement. Il est dans l'innovation et la montée en gamme pour infléchir une spécialisation internationale trop peu différenciée. Il faut investir à la fois dans la production des biens et dans la qualité des services pour pouvoir relever la croissance potentielle. Mais cela n'est possible que si est noué un contrat social qui répartisse mieux les fruits de la politique d'offre à mettre en oeuvre. Le rapport Gallois exhorte les partenaires sociaux à s'engager dans la voie germanique : renforcer le poids des actionnaires stables et insérer les représentants des salariés au sein des conseils d'administration et de surveillance de manière obligatoire pour les entreprises importantes (à partir de 5 000 salariés) avec voix délibérative comme les autres administrateurs. Quant au troisième handicap, il est directement lié au manque d'investisseurs de long terme. Les PME créées par des entrepreneurs innovants ne trouvent guère d'appui dans des investisseurs en capital. Elles sont trop vite exposées à l'endettement à des conditions trop prohibitives et meurent avant d'être devenues des ETI. Les fonds de pension n'existent pas, le Fonds de réserve pour les retraites a été torpillé par le précédent gouvernement et les compagnies d'assurance ne sont pas intéressées par les placements alternatifs.

Croissance endogène et investissement public

45Les dépenses publiques en R & D, en éducation supérieure et en infrastructures constituent un accroissement du capital social qui élève l'efficacité productive de toutes les entreprises d'un pays. C'est donc un des moyens de combattre la baisse du rendement marginal du capital des entreprises. La contribution de ces investissements porte sur la production potentielle du pays. Elle ne dépend pas du mode de financement, qu'il soit par l'impôt ou par la dette : étant productives, ces dépenses se financent d'elles-mêmes. Il est donc aberrant de couper par priorité les dépenses d'investissement public productif dans des situations de contrainte financière des Etats. C'est pourtant ce qu'ont fait presque tous les Etats de la zone euro avec la bénédiction du Fonds monétaire international (FMI) et de la Commission, à l'opposé de la stratégie adoptée par les pays scandinaves pour sortir de la crise subie au début des années 1990.

46Il faut même aller plus loin dans la réflexion. Pour exploiter la vague d'innovations environnementales, le projet industriel a une dimension européenne. Dans les domaines énergétiques et dans les transports notamment, la coopération est indispensable. Après la Seconde Guerre mondiale, l'Europe s'est construite à partir de la Communauté européenne du charbon et de l'acier (Ceca), qui était la base pour lancer la phase de maturité de la production de masse. Vingt-cinq ans de croissance forte en ont résulté, qui ont transformé nos modes de vie. Nous semblons incapables aujourd'hui d'unir nos forces pour relever des défis qui sont communs par nature : réduire de manière programmée et compatible nos dépendances aux énergies fossiles, construire un réseau de transports transeuropéens bas carbone et des réseaux intelligents de distribution d'électricité couvrant toute l'Europe.

Croissance endogène et innovations " bottom up "

47Y a-t-il pénurie d'entrepreneurs en Europe ? Schumpeter nous a appris à ne pas confondre entrepreneurs et dirigeants d'entreprise. La plupart des chefs d'entreprise sont des managers, plus ou moins capables d'entraîner leurs employés dans un esprit d'équipe, pas des entrepreneurs. Dans les grandes entreprises, même la R & D est bureaucratisée, ce qui est un comble.

48Etre entrepreneur, c'est être agent du changement. C'est rompre avec la routine, bousculer les habitudes en faisant un pari sur le nouveau qui n'est pas encore là et qu'on s'efforce de faire advenir. L'entrepreneur est au-delà de la culture du risque, il cherche à percer l'incertitude du futur en construisant l'avenir. Schumpeter observe que les entrepreneurs apparaissent en " troupes " dans les périodes de diffusion des innovations radicales. Celles-ci créent un climat intellectuel qui féconde la vocation d'entrepreneur. Celui-ci n'est pas un calculateur financier des rendements et des risques qui fait l'arbitrage entre des différences. Les mobiles psychologiques de l'entrepreneur ne s'embarrassent pas de rationalité au sens où l'entend la théorie du calcul économique. Il ne pourrait jamais y avoir d'innovations si les préceptes de la théorie néoclassique étaient appliqués à la lettre. Ce sont la volonté de puissance, le goût du succès, le besoin de créer qui motivent l'esprit d'entreprise. Ce sont les motivations que Keynes a rassemblées sous l'appellation d'" esprits animaux ".

49Les entrepreneurs aujourd'hui se trouvent surtout en Asie, mais on en voit aussi depuis peu en Amérique latine et en Afrique. Ils développent ce que trois auteurs indiens appellent le " jugaad ", c'est-à-dire des innovations indigènes et frugales [7]. Puisant dans les connaissances technologiques avancées, ces entrepreneurs cherchent à produire des moyens simples et peu coûteux pour des usages quotidiens qui améliorent sensiblement les modes de vie et font entrer dans la modernité des catégories sociales exclues des modes de consommation occidentaux. Ces innovations cherchent à améliorer la vie de communautés à revenus modestes ; elles sont inclusives. Ces innovations sont encore rarement pratiquées dans les PME occidentales et jamais dans les grandes entreprises. Or trente ans d'inégalités croissantes des revenus et les ravages du chômage de longue durée ont exclu un nombre de plus en plus grand de familles du mode vie dominant de nos pays prétendument développés. Il y a donc un besoin d'innovations frugales pour contrecarrer la régression sociale en marche. Les " reverse innovations " sont des gisements de progrès à la fois technique et social qui sont du domaine des PME.

50Ces innovations frugales s'opposent dans leur logique à la R & D organisée, mais elles peuvent en être aussi complémentaires. La R & D est intensive en capital et chère. Elle est produite dans des programmes rigides et soumise à des critères de rentabilité qui rendent les entreprises rétives au risque. Pour protéger les résultats de la recherche, on travaille dans le secret, l'opposé de la circulation des connaissances qui est le lien social conforme à l'esprit d'innovation.

51Mais les réseaux sociaux démocratisent le savoir au-delà des élites. Le problème d'organisation consiste à concevoir des systèmes capables de faire une intégration " bottom up " des savoirs dispersés, par opposition à la diffusion " top down " du savoir formalisé. Les innovations frugales peuvent s'adapter à la rareté des ressources naturelles en trouvant des techniques bon marché moins consommatrices de ressources. Elles peuvent s'appliquer à la diversité des marchés qui deviennent plus fragmentés avec le désir individualiste de la consommation sur mesure. Avec la diversité vient la versatilité des styles de vie, qui appelle des réponses rapides des producteurs pour saisir des opportunités non anticipées. Cela conduit à la question de l'implication que l'on observe dans les réseaux de solidarité chinois. Les réseaux sociaux offrent des moyens beaucoup plus flexibles que les circuits commerciaux formels pour connecter les entrepreneurs et les clients. L'innovation va jusqu'à bouleverser les business models, en sorte que l'organisation des entreprises devient moins hiérarchique, plus plate, pour impliquer tous les employés.

52Tels sont les liens entre compétitivité, innovation et croissance. Si on comprend que ce sont les forces de transformation du régime de croissance, le rôle des politiques publiques est de s'appuyer sur elles pour qu'elles fassent système. Le mode de relation capable de faire système est la finance. Esquissons un certain nombre de réformes pour mettre la finance en posture de financer une innovation " démocratisée ".

Financer les entreprises dans une perspective de long terme

53La remise en cause de la valeur actionnariale va de pair avec l'abandon du capitalisme financiarisé sous tous ses aspects. Il faut tirer les leçons de la faillite du modèle dominé par le lobby des banques d'affaires internationales, prônant l'expansion illimitée de l'endettement à partir d'un marché de gros de la liquidité laissé sans régulation. Le chantier de Bâle III ne traite qu'un aspect du problème en renforçant timidement le capital requis des banques, lequel reste toujours manipulable par les modèles internes de contrôle des risques, et en introduisant des ratios simples de capital et de liquidité comme instruments d'une régulation macroprudentielle qui n'est pas testée. Or le problème est bien plus profond. C'est le modèle d'intermédiation financière répandu depuis trente ans qui est à transformer.

54Un régime de croissance soutenable requiert des transferts de capital et de technologie pour financer le rattrapage des pays émergents, une allocation stratégique d'actifs pour financer le vieillissement des pays avancés et une finance dédiée aux projets industriels pour la mutation énergétique et l'adaptation au changement climatique, bref à un mode de vie plus frugal et moins tolérant aux gaspillages de ressources. Les banques ne sont pas capables seules et sans partage des risques d'assumer les longues durées et les risques non financiers inhérents aux énormes montants d'investissements et aux innovations accompagnant le changement du régime de croissance. Les investisseurs financiers de long terme, associant des initiatives publiques et de l'épargne privée, vont s'avérer indispensables.

55Les investisseurs de long terme, fonds de pension à prestations définies, sont des acteurs financiers qui ont des engagements de passif impliquant de procurer des revenus garantis aux épargnants selon des échéanciers prédéfinis. Il s'ensuit que les fonds communs de placement et les fonds de pension à cotisations définies ne sont pas des investisseurs de long terme. En revanche, les banques publiques de développement et les fonds souverains, dont les passifs sont des dotations de l'Etat et qui ont un mandat explicite d'allégement de la contrainte intertemporelle de soutenabilité des finances publiques, en sont. Leur objectif prépondérant est l'immunisation de leur passif. Cela les conduit à des allocations d'actifs opposées à celles des brokers-dealers, hedge funds, banques d'investissement et autres composantes du shadow banking. En effet, la structure de leur passif n'incite pas les investisseurs de long terme à s'adonner aux délices du levier. Leur horizon d'investissement est en principe suffisamment long pour intérioriser le cycle financier.

56Toutefois, dans des environnements financiers troublés par les excès de la finance de marché, ces investisseurs ne se sont pas comportés en conformité avec le paradigme de la finance de long terme. Leur poids dans l'ensemble de la finance institutionnelle a diminué avec la conversion des passifs contractuels en engagements qui rejettent le risque financier sur les épargnants. Leurs stratégies ont été attirées vers des profils de recherche de gains en capital de court terme et ont donc abandonné la gestion contrariante, notamment à cause du manque d'investissements portant sur des innovations rentables perceptibles. Il y a du coup un potentiel inexploité d'épargne qui risque d'être encore aggravé par les réglementations à venir. Pour attirer l'épargne dans le financement de l'économie, il faut de ce fait veiller à améliorer l'accès des PME au financement externe en diversifiant la gamme des prêteurs et des outils de financement. Il faut aussi se méfier des obstacles posés par les nouvelles réglementations et voir comment mieux les adapter à la nature du passif des investisseurs.

La réglementation freine l'investissement de long terme

57Les investisseurs institutionnels les plus exposés aux nouvelles exigences des régulateurs sont les compagnies d'assurance. En Europe, elles sont soumises au cadre prudentiel de Solvabilité II, qui s'inscrit dans la même logique que la réglementation bancaire. Trois piliers forment Solvabilité II : des exigences liées aux fonds propres suffisants (ratio de solvabilité de court terme et moyen terme), aux procédures de gestion de ces fonds propres et à la discipline de communication et de publication d'informations. Le risque de marché représente les deux tiers des exigences en capital. De même, en contradiction avec les forces de retour vers la moyenne, le coût en capital réglementaire est plus élevé pour les investissements dans les actifs à maturités longues. Il l'est aussi pour les actifs alternatifs (infrastructures et private equity), pénalisant ainsi des domaines d'investissement importants qui ont déjà des déficits de financement de long terme. Ces compagnies sont également obligées d'appliquer les normes comptables internationales IFRS qui s'appliquent aux sociétés cotées. Ces normes à la valeur de marché reflètent les fluctuations de court terme dans la valeur des actifs qui surévaluent potentiellement les risques de long terme. Compter seulement sur la valeur de marché pour évaluer les actifs conduit à des stratégies conservatrices.

58Les fonds de pension ne sont pas soumis à des normes prudentielles mais à deux formes principales de réglementation [8] : des standards de prudence et des limites quantitatives. Ces dernières prennent la forme de minima et maxima selon les différentes classes d'actifs. Les premiers imposent le respect de devoirs fiduciaires à l'administrateur du fonds (trustee) qui s'est traduit, au gré de l'évolution de l'interprétation de la notion de prudence, par un devoir de diversification des investissements. La règle de prudence est plus flexible, car elle vise à minimiser le risque global de portefeuille. Du côté du passif, les législations nationales ont été disparates vis-à-vis de l'adoption des normes internationales IFRS17 [9]. Dans la mesure où ces normes exigent de reconnaître en temps réel tous les excédents et les déficits au bilan, elles interdisent les étalements du financement des positions d'actifs. Elles visent donc à faire remonter la volatilité des marchés financiers au niveau de la comptabilisation des engagements de retraite, à baisser la prise de risque, via une réduction des allocations en actions et une augmentation des actifs moins risqués. Elles incitent aussi les entreprises à fermer les fonds de pension à prestations définies pour les convertir en fonds de pension à cotisations définies qui reportent les risques de marché sur les salariés.

59La réglementation des fonds perpétuels est plus difficilement identifiable dans la mesure où il n'y a pas d'engagement contractuel et que leur objectif est plus ou moins défini, sans compter l'opacité qui entoure généralement ces fonds malgré des efforts récents. Ils ont donc potentiellement la possibilité d'investir dans les classes d'actifs de leur choix, parmi lesquelles les alternatifs et les actions. Toutefois, la liberté d'investissement est strictement encadrée par la banque centrale ou le ministère de l'Economie. En conséquence, ils ont eu une gestion plutôt conservatrice.

60La combinaison des ratios de solvabilité durcis pour les assureurs et de la généralisation de la comptabilité en valeur de marché va conduire les compagnies d'assurance à réduire leur exposition au risque pour diminuer la charge en capital. Elles vont avoir tendance à réduire les expositions actions et crédits, à limiter l'écart entre actifs et passifs par des techniques de couverture [10] dans les stratégies actif-passif, à augmenter la part des obligations souveraines longues des pays sûrs et celle du papier commercial court des entreprises bien notées au détriment des obligations plus risquées.

Recommandations relatives aux normes prudentielles et comptables

61Ces normes ignorent les caractéristiques spécifiques de l'investissement à long terme au regard des objectifs visés, de la nature des risques considérés et de leur évaluation, rendant ainsi les sources de financement de l'économie de long terme plus rares. Dès lors, cette régulation devrait adapter la diversité des acteurs financiers aux modèles économiques différents pour éviter des effets déstabilisants de comportements mimétiques court-termistes.

62Le point de départ est de traiter l'actif en fonction de la qualité et de la stabilité du passif. Comme les investisseurs institutionnels ont un passif très différent des banques, il est absurde de les soumettre à des normes prudentielles inspirées des principes élaborés pour les banques. Si les investisseurs peuvent faire une gestion dynamique flexible, ils exerceront dans les marchés une influence contracyclique.

63En outre, la réglementation ne peut jouer son double rôle préventif et attractif pour l'investissement de long terme que si le support comptable qui lui est sous-jacent traduit fidèlement la réalité des risques pris par les différentes catégories d'investisseurs à long terme. Or des normes cohérentes selon la logique comptable ne sont pas nécessairement efficaces selon la logique économique. Ainsi, la réglementation Solvabilité II incite les compagnies d'assurance à mieux faire correspondre leur actif et leur passif de long terme. En même temps, les normes comptables à la valeur de marché reflètent les fluctuations de court terme dans la valeur des actifs ; ce qui entraîne la surévaluation des risques de long terme. Compter seulement sur la valeur de marché pour évaluer les actifs conduit à des stratégies conservatrices qui ignorent les opportunités laissées par un passif stable.

64Afin de prendre en compte une vue de long terme, des mécanismes de lissage pourraient être introduits. Il faudrait donc décourager tout ce qui favorise la gestion procyclique des actifs : la gestion en benchmarks, les reportings trimestriels, le recours aux agences de notation, les rémunérations des gestionnaires indexées sur les rendements à court terme. Aucune robustesse n'est possible dans le financement non bancaire si les investisseurs gros apporteurs d'épargne ne prennent pas eux-mêmes en charge la maîtrise de leurs risques de crédit. Il faudrait aussi abolir la comptabilité mark-to-market pour les titres qui maintiennent leur valeur à long terme, pourvu qu'ils ne soient pas soumis à la pression de vente à court terme.

Création de nouveaux canaux et de nouveaux instruments de financement non bancaire adaptés au cycle de vie des entreprises

65Un enjeu de première importance est d'augmenter le nombre d'entreprises innovatrices et la probabilité qu'elles croissent jusqu'à l'introduction en Bourse. Il faut donc adapter le financement au cycle de vie des entreprises en disposant de la meilleure organisation financière à chaque étape.

66Le financement d'amorçage à la naissance des entreprises et dans la première étape de vie comprend l'apport du fondateur et de sa famille, la microfinance, les business angels. Le nombre de business angels en France est beaucoup trop faible. Le capital familial ne s'implique pas dans bien des cas suffisamment pour protéger l'entreprise dans une phase fragile.

67La deuxième phase, celle du développement des start-up, dépend encore beaucoup d'un monitoring de gestion par l'expérience d'individus qui ont auparavant mené de telles affaires avec succès. Elle demande aussi un investissement en fonds propres bien plus important que l'amorçage. C'est le domaine du venture capital. Ces fonds spécialisés peuvent provenir de pools d'investisseurs individuels ou de fonds dédiés que les investisseurs de long terme ont créés comme éléments de leur allocation en actifs alternatifs. C'est dans cette phase que les risques sont les plus élevés. C'est pourquoi les fonds de venture capital doivent avoir une taille suffisante pour suivre au moins une dizaine de projets de manière à surcompenser les entreprises qui font faillite par les très hautes rentabilités des entreprises qui embrayent leur développement sur la commercialisation et entrent dans la phase de très forte croissance de la courbe logistique de la demande pour leurs produits.

68La phase de croissance rapide est celle qui demande l'apport en capital hors marché le plus élevé. Cet apport doit permettre la sortie profitable du venture capital. Il existe deux formes possibles d'apport en fonds propres à ce stade : les placements privés de sociétés de gestion de fortunes et les fonds de private equity créés par les investisseurs de long terme. Ce sont surtout les seconds qui sont essentiels. Contrairement au private equity des années 2000 qui était constitué de fonds prédateurs de LBO (leveraged buy-out) opérant essentiellement par dettes sur des entreprises matures, les fonds de private equity considérés ici sont de purs investisseurs en capital. Une initiative intéressante est le fonds créé conjointement par la Caisse des dépôts et consignations (CDC) française et la China Development Bank (CDB) chinoise pour investir moitié-moitié dans des PME françaises et chinoises. L'essor du private equity sous l'égide des grands investisseurs non bancaires sera probablement une des voies de stimulation de l'innovation bottom up dans les années à venir.

69L'introduction en Bourse est la phase ultime, où ces modes de financement cèdent le pas à l'apport de fonds propres à travers le marché boursier pour des entreprises en vitesse de croisière. C'est là que l'importance des investisseurs de long terme est grande pour éviter que les entreprises ne tombent sous la coupe du shadow banking. On a vu à la fin de la première partie quelle allocation stratégique pouvait protéger des fluctuations du cycle financier les entreprises devenues des sociétés " publiques " par actions. Il n'empêche que ces ETI ont besoin de recourir à l'endettement. Il faut donc mettre en pratique des techniques appropriées pour limiter le coût du crédit : titres de dettes garantis par des actifs (asset finance) et titrisation de crédits.

70Enfin, l'introduction sur les Bourses européennes est prohibitive pour les PME. Le coût de transaction est extravagant. Pour lever 5 millions d'euros de capital, il faut payer 300 000 euros de frais ! Jusqu'ici, toutes les tentatives nationales de créer un marché spécialisé offrant les services du Nasdaq ont échoué. Saluons la tentative européenne de création de la plateforme publique EnterNext en avril 2013.

71Le financement par l'emprunt doit aussi pouvoir être diversifié grâce à des marchés de dettes capables d'apporter un large spectre d'instruments financiers. Il est possible d'ouvrir les marchés d'obligations d'entreprises à de nouvelles catégories d'entreprises et de développer la titrisation des dettes à long terme grâce à des structures de marché robustes et une régulation exigeante : standardisation des produits, supervision de l'évaluation à toutes les étapes, centralisation de la compensation et du règlement, appels de marge, obligations pour les banques qui fabriquent les crédits structurés de conserver la tranche equity au bilan avec capital réglementaire.

72Ces différentes avancées créeraient progressivement une nouvelle intermédiation financière où la coopération publique-privée aurait toute sa place. Il est possible de mobiliser le capital du secteur privé et son expertise dans les montages financiers et le suivi des projets d'investissement de long terme avec des garanties de risque et des provisions de financement de soudure (bridge finance) pour amortir le risque élevé des phases initiales des projets. On peut donner plus d'ampleur aux initiatives récentes pour faire jouer au secteur public cette fonction d'amorçage et de garantie. Pour cela, il est possible de créer des banques de développement spécialisées avec des mandats de long terme : banques d'infrastructure, banques vertes, banques publiques de financement des PME qui fourniraient un financement indirect via des garanties au secteur financier privé engagé dans des financements longs et risqués.

73Il est possible de construire une intermédiation financière au service d'un projet de croissance à condition de faire évoluer les règles de la finance, prudentielles et comptables. Le rôle de la puissance publique est essentiel dans l'établissement d'une intermédiation financière adaptée à la collaboration des acteurs publics et privés dans les projets d'investissement décentralisés.

Conclusion

74Redonner du dynamisme au système productif implique de réinvestir dans le patrimoine humain et d'élargir le socle de la compétitivité pour viser une économie à haute valeur ajoutée. L'élévation du niveau de formation va donner au capital humain une place centrale combinée à l'évolution des technologies vers une économie de la connaissance dans laquelle l'initiative et la créativité humaine vont être les facteurs de production les plus importants.

75Ces mutations vont faire évoluer la gouvernance des entreprises en faisant de la participation des parties prenantes une source des progrès de productivité. L'autonomie des salariés favorisant le travail collectif en groupes de projets et en réseaux augmente la performance des entreprises qui recherchent la concordance entre les modes d'organisation et les technologies centrées sur le numérique. Encore faut-il accompagner la croissance des jeunes entreprises innovatrices. Au-delà de l'accès aux marchés publics et de la réduction des délais de paiement, les PME autonomes doivent pouvoir trouver les moyens de financer leur croissance. De nouveaux canaux de financement non bancaires et de nouveaux instruments sont capables de diversifier les sources de financement et de les adapter au cycle de vie des entreprises. L'ajustement des réglementations et de la fiscalité de l'épargne aux caractéristiques des risques inclus dans les projets d'investissement peut orienter plus efficacement l'épargne vers le financement des entreprises.

Notes

  • [1]
    Terme emprunté aux travaux d'Amartya Sen et qui désigne l'ensemble de ce qu'un individu peut faire [NDLR].
  • [2]
    De manière plus précise, les complémentarités dans la mise en oeuvre des actifs intangibles dépendent beaucoup du savoir tacite des travailleurs, elles proviennent des interactions directes entre travailleurs pourvus de capabilities au sens de Sen. Il s'agit d'une externalité qui est un puissant facteur de productivité.
  • [3]
    Voir Aglietta, Michel et Réberioux, Antoine, 2012, " Financialization and the Firm ", in Dietrich, Michael et Krafft, Jackie ed., Handbook on the Economics and Theory of the Firm, Oxford, chapitre 23.
  • [4]
    La plupart des actifs intangibles ne sont pas comptabilisés aujourd'hui dans la comptabilité privée.
  • [5]
    Voir l'Innovation Union Scoreboard 2013, Commission européenne.
  • [6]
    La nature de l'innovation n'est pas distinguée (radicale, continue, etc.), ce qui est une grande faiblesse théorique.
  • [7]
    Radjou, Navi, Prabhu, Jaideep et Ahuja, Simone (2013), Innovation Jugaad. Redevenons ingénieux !, Diateino, Paris.
  • [8]
    A quelques exceptions près, ces deux formes réglementaires recoupent celles des pays continentaux et anglo-saxons.
  • [9]
    Cette norme stipule que les fonds doivent avoir des actifs valorisés à leur valeur de marché et des passifs valorisés par actualisation des engagements futurs dont le taux correspond au taux de rendement des obligations d'entreprise notées AA et d'une échéance équivalente.
  • [10]
    Comme la réassurance, la titrisation, les dérivés... avec les risques que cela comporte et qui ont été révélés lors de la crise financière récente.
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