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Article de revue

Le libéralisme réformiste, ou comment perpétuer l'étatisme tunisien

Pages 9 à 28

Notes

  • [1]
    Pour plus de développements sur le réformisme tunisien, je me permets de renvoyer à B.Hibou, La Force de l'obéissance. Economie politique de la répression en Tunisie, Paris, La Découverte, 2006. Les références de tous les travaux mobilisés pour cet article y sont présentées en détail.
  • [2]
    Négocié dès 1986, le premier programme d'ajustement structurel (PAS) en Tunisie date de 1987. Très rapidement, les PAS ont été remplacés par des facilités et surtout par des programmes d'ajustement sectoriels, mais la philosophie des unes et des autres reste la même.
  • [3]
    Pour plus de développements, voir B. Hibou, "Fiscal trajectories in Morocco and Tunisia", in S.Heydemann (ed.), Networks of Privilege in the Middle East. The Politics of Economic Reform Revisited, New York, Palgrave Macmillan, 2004, p.201-222.
  • [4]
    Entretiens, Tunis, avril-mai 1997, avril 1998, décembre 2001; cité également par Marchés tropicaux et méditerranéens, 17janvier 1997. Il faut bien évidemment prendre ce chiffre, très politique, avec beaucoup de précaution, notamment parce qu'il permet de légitimer les contrôles fiscaux.
  • [5]
    M. Affes et A. Yaich, "Les difficultés pratiques de la nouvelle imposition des revenus", Etudes juridiques, n?2, 1992, Faculté de droit de Sfax, p.168.
  • [6]
    Par exemple, en 2004, le litre de diesel restait à 30centimes d'euros et le sans-plomb à 50 centimes d'euros malgré la flambée des prix internationaux. La subvention de l'Etat en 2004 s'est élevée à 580 millions de dinars tunisiens, soit 1,7 % du PIB. De fait, les consommateurs n'ont payé que 20 % du prix réel de l'essence.
  • [7]
    Selon l'article 4 du décret 94-492 modifié par le décret 2000-821 du 17avril2000 (JORT n? 33 du 25avril 2000).
  • [8]
    En Tunisie, les créances douteuses sont extrêmement importantes, constituant le problème central que les bailleurs de fonds tentent, pour l'instant en vain, de supprimer. Le ratio créances douteuses sur engagements bancaires varie selon les périodes entre 20 et 40 %, alors que la norme internationale le fixe à 2 %.
  • [9]
    Expression entendue plusieurs fois lors de mes entretiens à Tunis avec des officiels de différents ministères et agences publiques, ce qui laisse à penser qu'elle fait partie du discours véhiculé par le Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD) et la haute administration.
  • [10]
    J.-F. Bayart (dir.), La Réinvention du capitalisme, Paris, Karthala, 1994.
  • [11]
    Le satisfecit est donné par les institutions internationales spécialisées comme l'Organisation internationale du travail (OIT) et les confédérations de syndicats. La bonne image sociale de la Tunisie est relayée par les bailleurs de fonds, comme la Banque mondiale (cf. Banque mondiale, Stratégie de coopération République tunisienne-Banque mondiale, 2005-2008, Banque mondiale, Washington D.C., décembre 2004), et par les industriels (par exemple le rapport Gherzi de 2004, "Mise à jour de l'étude textile-habillement", rapport de synthèse, Cettex-Gherzi, mai 2004, mentionne les bonnes conditions sociales du travail comme l'un des seuls points forts du textile tunisien).
  • [12]
    J.-P. Cling et G. Letilly, "Export processing zones : a threatened instrument for global economy insertion ?", document de travail Dial, Paris, DT/2001/17.
  • [13]
    C'est la thèse centrale des tenants des réformes libérales et notamment de l'ajustement structurel, à l'instar du FMI, de la Banque mondiale et de l'Union européenne.
  • [14]
    H. Béji, Désenchantement national. Essai sur la décolonisation, Paris, Maspéro, coll. "Cahiers libres", 1982, p.66.
  • [15]
    Sur le poids de ces réseaux familiaux, régionaux, tribaux, amicaux ou factionnels, voir, pour la période interventionniste, J.Leca et Y. Schemeil, "Clientélisme et néopatrimonialisme dans le monde arabe", Revue internationale de science politique, 1983, vol. 4, n? 4. Pour la période libérale, J. Leca, dans "La démocratisation dans le monde arabe : incertitude, vulnérabilité et légitimité" (in G. Salamé, Démocratie sans démocrates, Paris, Fayard, 1994), n'affirme pas strictement que l'usage de ces réseaux s'est intensifié, mais il met fortement en doute leur diminution.
  • [16]
    M. Lahmar (dans Du Mouton à l'olivier. Essai sur les mutations de la vie rurale maghrébine, Tunis, Cérès Editions, 1994) critique les travaux qui analysaient la pénétration de l'Etat comme une détribalisation des campagnes (par exemple ceux de L. Anderson, The State and Social Transformation in Tunisia and Libya, 1830-1980, Princeton University Press, 1986, ou de L.C. Brown, The Tunisia of Ahmad Bey, 1837-1855, Princeton University Press, 1974). Pour la période coloniale, N. Dougui a montré (dans Histoire d'une grande entreprise coloniale : la Compagnie des phosphates et du chemin de fer de Gafsa, 1897-1930, Tunis, Publications de la Faculté des lettres de la Manouba, 1995) que les tribus et la structuration sociale qui leur est associée n'avaient pas été détruites par la pénétration du capitalisme colonial, même si les effets de celle-ci avaient été importants dans la réorganisation du travail et de certains groupes socioprofessionnels.
  • [17]
    J. Roitman et G. Roso, " Guinée-Equatoriale : être "off-shore" pour rester national ", Politique africaine, n? 81, mars 2001, p. 121-142.
  • [18]
    Une analyse détaillée de ces mesures est fournie par N. Baccouche, "Les implications de l'accord d'association sur le droit fiscal et douanier", in Mélanges en l'honneur de Habib Ayadi, Tunis, Centre de publication universitaire, 2000, p. 5-27.
  • [19]
    Pour une analyse comparable dans le cas de l'Afrique subsaharienne, voir B. Hibou, L'Afrique est-elle protectionniste ? Les chemins buissonniers de la libéralisation extérieure, Paris, Karthala, 1996.
  • [20]
    Décret 94-492 modifié par le décret 97-503 du 14 mars 1997, publié au JORT n? 24 du 25 mars 1997. La liste des secteurs est fournie sur le site Internet du gouvernement.
  • [21]
    H. Béji, Désenchantement national, op. cit.
  • [22]
    M. Weber, "L'éthique économique des religions mondiales" (texte de 1915-1920), in Sociologie des religions, Paris, Gallimard, "NRF", 1996, p. 394.
  • [23]
    Pour cette thèse, voir par exemple F. Siino, Science et pouvoir dans la Tunisie contemporaine, Paris, Karthala, 2004, ou S. Khiari, Tunisie, le délitement de la cité : coercition, consentement, résistance, Paris, Karthala, 2003.
  • [24]
    Sur le lien entre outils statistiques et modalités d'intervention de l'Etat, voir les travaux d'Alain Desrosières, et notamment son article " Historiciser l'action publique : l'Etat, le marché et les statistiques ", in P. Laborier et D. Trom (dir.), Historicités de l'action publique, Paris, PUF, 2003, p. 207-221.
  • [25]
    Pour s'en persuader, il est intéressant de feuilleter les rapports annuels ou les publications des banques et des sociétés financières et de lire, dans la presse, les entretiens d'entrepreneurs ou les comptes-rendus de colloques et séminaires officiels.
  • [26]
    Sur le libéralisme comme technique de gouvernement et non comme idéologie, voir M. Foucault, Sécurité, territoire et population. Cours au Collège de France, 1977-1978, Paris, coll. " Hautes Etudes ", Gallimard-Seuil, 2004, notamment les leçons du 18 et du 25 janvier 1978, et M. Foucault, Naissance de la biopolitique. Cours au Collège de France, 1978-1979, idem, 2004, notamment les leçons des 10, 17 et 24 janvier 1979. Voir également A. Barry, T. Osborne et N. Rose (eds), Foucault and Political Reason. Liberalism, neo-liberalism and Rationalities of Government, Chicago, The University of Chicago Press, 1996.
English version

1De nombreux travaux l'ont d'ores et déjà montré: le libéralisme ou le néolibéralisme ne signifient en rien retrait de l'Etat et fin de l'interventionnisme, mais redéploiement des modalités d'exercice du pouvoir. La véritable question réside dans l'originalité des formes, des techniques, des significations politiques de ces nouveaux interventionnismes dans des situations et trajectoires données. Dans le texte qui suit, je voudrais montrer qu'en Tunisie, ces mutations s'inscrivent dans un ethos réformiste profondément étatiste. Le réformisme doit être compris ici dans son acception spécifique au monde musulman, et non dans son acception générale comme forme politique opposée à la révolution. Ce mouvement intellectuel et politique né au XIXe siècle dans l'Empire ottoman entendait répondre aux défis lancés par les puissances européennes grâce à l'adoption de toute une série de réformes politiques, juridiques, militaires, éducatives et administratives. Tout au long du XXesiècle, ce thème du réformisme fut reformulé, notamment en Tunisie, où il devint l'expression du "bon" gouvernement : être réformiste signifie gouverner avec modération, en étant sensible à l'ouverture à l'international tout en préservant les acquis et les spécificités nationales ; c'est valoriser la réforme en tant que manière d'être et de se conduire ; c'est privilégier l'action étatique pour modeler et contrôler la société [1].

2La libéralisation, la privatisation et l'économie de marché sont comprises en fonction de cet imaginaire très particulier où la main ne doit pas rester invisible, mais apparaître au contraire le plus visiblement possible. En rationalisant à l'extrême, on peut dire que l'ethos réformiste et libéral tunisien est l'illustration d'une lecture caricaturale d'un Polanyi ou d'un Braudel lorsqu'ils soulignent le caractère central de l'Etat dans la construction du marché. Le volontarisme, qui constitue un autre élément capital de la "tradition réformiste", est d'autant plus vigoureux qu'il a été constamment réactualisé, avec la colonisation d'abord, mais aussi avec le nationalisme et le socialisme des premières années d'indépendance (1960-1969) ou avec la libéralisation très interventionniste des années de grande croissance (1970-1985). Il fait désormais partie intégrante du "modèle" tunisien.

Le poids de l'Etat

3Malgré près de deux décennies d'ajustements et de réformes dites néolibérales [2], l'Etat détient en Tunisie une vision raisonnée du monde, comme le prouve aujourd'hui encore la place centrale du Plan. Il peut tout prévoir, tout organiser, tout contrôler. Ce n'est pas la nature autoritaire d'un pouvoir central qui voudrait tout surveiller pour favoriser et punir que je voudrais ici mettre en évidence, mais le partage d'un ethos caractérisé par la demande d'interventions et de protections de la part de l'Etat, même si certains en critiquent les procédures, si d'autres préféreraient voir mises en oeuvre des modalités d'aide et de soutien différentes, ou si d'autres encore remettent en cause certaines intrusions et la lourdeur des interven tions... Les entrepreneurs, les artisans et les commerçants partagent cette conception ; la formule "laissez-nous faire, protégez-nous beaucoup" des fabricants français du XVIIIesiècle s'adressant aux autorités administratives s'applique ici magnifiquement.

4Cet étatisme se traduit bien évidemment par la perpétuation du poids de l'Etat dans l'économie. En 2004, la fonction publique continuait à absorber près de 40 % des recettes de l'Etat et plus de 12 % du produit intérieur brut (PIB), le poids de l'endettement public extérieur représentait plus de 61 % du PIB et le service de la dette plus de 14 %, le secteur public environ 20 %, avec certains secteurs stratégiques, comme la banque, pouvant atteindre les 55 %. Ces données traduisent un engagement direct et important de la bureaucratie étatique mais aussi des institutions publiques dans le monde productif. Si, dans une analyse économique libérale classique, ce poids de l'Etat ne peut être analysé qu'en termes d'échec de la désétatisation, on doit au contraire le comprendre, dans une analyse politique, comme révélateur des modes de gouvernement et d'un ethos réformiste où l'Etat demeure central.

5En creux, la fiscalité en fournit un excellent exemple [3]. La faiblesse de la pression fiscale (autour de 20 % du PIB seulement ces dernières années) ne traduit en rien une philosophie libérale qui voudrait concrétiser une baisse de l'intervention publique et une orientation favorable aux profits, à la compétitivité et à la libre détermination du secteur privé en général. Elle traduit en revanche une orientation des modalités d'intervention bien plus subtile et intégrée aux logiques sociopolitiques que ne pourrait l'être une taxation massive. De fait, la faible fiscalité résulte avant tout de la pratique généralisée de la fraude fiscale, le manque à gagner fiscal dû à la fraude et à l'évasion étant estimé à 50 % des recettes tirées des différents impôts [4]. Parfois, cette tolérance est involontaire, expliquée par le fonctionnement même de la chaîne des décisions. Il y a souvent loin, dans le temps comme dans le contenu, entre discours présidentiel, adoption de la loi, décrets d'application et réalité.

6Cette situation est aggravée par des difficultés pratiques : insuffisance d'imprimés, impossibilité de déclarer des résultats déficitaires, absence de standardisation des comptes annuels, etc. Elle est également alimentée par le poids grandissant du formalisme de l'administration. La montée en puissance de l'exécutif dans des domaines législatifs et le développement des interprétations abusives des textes expliquent aussi cette facilité à frauder, consciemment ou non. Surtout, les textes fiscaux peuvent être si flous qu'"il arrive que des réponses données à des questions similaires et à des dates proches soient contradictoires"[5], créant de facto de réels encouragements à la fraude. Un autre mécanisme favorable à son développement est lié aux techniques budgétaires. Chaque nouvelle loi de finances modifie le code des investissements, ainsi que diverses réglementations fiscales. En outre, ces lois sont souvent rétroactives, si bien que les entreprises -ou leur comptable, juriste ou expert-comptable- peuvent travailler une année entière sans connaître avec précision les charges qui pèseront effectivement sur elles. Par ailleurs, les entrepreneurs usent avec constance d'un argument auquel les autorités tunisiennes sont particulièrement sensibles : les risques de remise en cause du "miracle tunisien" du fait de l'asphyxie financière des entrepreneurs par le fisc. On est ainsi dans un cercle vicieux ou vertueux, selon la perspective que l'on choisit : d'un côté, les entrepreneurs pratiquent, parfois malgré eux, l'évasion fiscale, tout à la fois comme effet imprévu d'une faible maîtrise des règles en vigueur, comme pratique d'allègement des charges, comme stratégie de survie face à la concurrence, comme rapport de force avec le fisc, comme tactique préventive face aux ponctions à venir et comme "contre-conduite" par rapport aux comportements d'une administration considérée a priori comme intrusive et arbitraire ; de l'autre, l'existence de la fraude fiscale autorise légitimement les autorités à s'immiscer dans les affaires économiques. Ces redressements peuvent parfois être si lourds qu'ils impliquent une négociation entre la hiérarchie de l'administration fiscale et les contribuables. Un certain marchandage implicite est bien au coeur des pratiques fiscales actuelles.

7En bref, les négociations permanentes, le flou des règles et des décisions, l'indistinction entre public et privé, entre légal et illégal, les compromis sans cesse remis en cause, les tensions et les conflits mais également les arrangements qu'ils suscitent, tout cela est simultanément le fruit de décisions bureaucratiques et de compor tements, de représentations et de compréhensions de l'économique et du politique. La contrainte extérieure apparaît extrêmement faible dans ce domaine. Malgré la pression des bailleurs de fonds étrangers, la fiscalité est trop puissamment ancrée dans les relations de pouvoir pour tolérer des modifications, même non centrales, de ses structures et surtout de son mode de fonctionnement. Elle constitue un capital politique fondamental qui étaye la position des élites, des notables, des gens bien introduits et de ceux qui dirigent ; qui permet de jouer sur la fraude et le redressement comme rapports de force entre ces élites et le pouvoir central ; qui permet sévérité et laxisme, mais surtout beaucoup d'accommodements pour la grande majorité de la population.

Les transformations des modalités de l'interventionnisme

8Il est incontestable que la libéralisation a entraîné une baisse importante des subventions et même de la contribution étatique au fonctionnement des mécanismes de sécurité les plus centraux. Comme dans beaucoup d'autres pays, on est en présence d'un système hybride où l'Etat est à la fois omniprésent et défaillant au regard des normes d'interventions passées. Les dispositifs publics nés des conceptions des années1930 et renouvelés après l'indépendance, destinés à prendre en charge une véritable protection sociale et à assurer le plein-emploi, sont certainement mis en difficulté avec la rigueur budgétaire.

9Derrière la déconstruction d'un ordre apparent, l'observateur extérieur est cependant frappé par l'évolution des modalités de régulation de l'économie politique tunisienne et par la persistance des interventions. La demande d'Etat demeure puissante en Tunisie, malgré les pressions à la libéralisation. Diffuse, je l'ai qualifiée ailleurs de pacte de sécurité, pour faire écho, d'une part, à la rhétorique gouvernementale du Pacte national de 1988, qui avait été signé par l'ensemble de la classe politique tunisienne au lendemain de la prise du pouvoir par Ben Ali, et plus encore au fameux Pacte fondamental de 1857 -première traduction d'un certain nombre de principes politiques fondamentaux dont la traduction littérale est précisément "pacte de sécurité" (ahd al-aman)-, et de l'autre, à l'analyse foucaldienne des mécanismes de sécurité. Le rôle du pouvoir politique et de l'Etat est d'assurer sécurité et ordre face au danger ultime, l'islamisme, par la répression et la stratégie du pourtour, mais aussi et surtout par des mesures positives, des programmes sociaux, des politiques publiques, des orientations économiques, des alliances internationales.

10Ainsi, de nouvelles modalités d'exercice de la protection, de la redistribution, de la sécurité sont peu à peu inventées. Celles-ci sont certainement d'une tout autre nature, mais elles n'en sont pas moins efficaces : les modalités -pas seulement statistiques- du traitement social du chômage ; la solidarité obligatoire sous la pression d'entités étatiques ou politiques ; un ciblage des subventions sur certaines catégories de la population ou sur certains produits comme l'essence  [6]; la maîtrise d'une croissance soutenue malgré les aléas internationaux ; la construction et la préservation d'une bonne image garante de l'obtention de crédits extérieurs à coût faible ; la poursuite d'une politique sociale à travers des programmes largement symboliques mais néanmoins fonctionnels dans le cadre du pacte de sécurité; le bon fonctionnement d'une certaine société de consommation et de bien-être. Les autorités tunisiennes mettent ainsi un point d'honneur à énumérer les bienfaits qu'elles apportent à leur classe moyenne, et ce n'est pas un hasard si les discours sont précisément centrés sur cette dimension : la croissance s'élève annuellement autour des 5 %, alimentant un développement réel du pays ; près de 80 % des familles sont propriétaires de leur logement ; la voiture est "popularisée" à la fois par des programmes d'aide à l'achat et, en période de hausse du prix du pétrole, par la subvention de l'essence ; l'électrification et l'adduction d'eau touchent plus de 90 % de la population ; le téléphone est de plus en plus accessible, de même qu'Internet ; la fécondité a baissé et la croissance démographique a été limitée grâce à une politique active de planning familial ; etc.

11Contrairement à ce qui est souvent affirmé, ce redéploiement de l'interventionnisme ne caractérise pas seulement la sphère du social, mais concerne tout aussi bien le secteur productif. L'exemple du secteur cimentier est éloquent. Toutes les cimenteries du pays ont été progressivement privatisées, sauf l'une d'entre elles qui reste dans le giron de l'Etat afin de lui fournir des informations et de lui permettre de contrôler un marché extrêmement sensible. Le bâtiment et la construction représentent en effet le premier secteur d'activité en Tunisie. Les trois principales cimenteries ont été vendues à des prix élevés à des groupes portugais et espagnols, avec pour contrepartie la promesse d'une libéralisation des prix. Aujourd'hui, les repreneurs étrangers regrettent leurs investissements : les prix restent fixés par l'administration à des niveaux considérés comme excessivement bas par les industriels, ces derniers ne pouvant licencier à leur convenance. Un autre exemple est fourni par la liste des activités nécessitant une autorisation préalable. Elle est longue et parfois étonnante : si l'on peut comprendre un certain contrôle, voire un strict contrôle sur la fabrication d'armes et de munitions, sur l'éducation et l'enseignement, sur le transport aérien, sur la publicité et l'édition, et même sur la préparation de vin, il est beaucoup plus surprenant de voir appliquer ces restrictions à l'effilochage et au raffinage des huiles alimentaires, ou à la fabrication de ronds à béton. Or ces interventions ne constituent en rien des vestiges du passé puisque la liste, sans cesse réactualisée, l'a notamment été en l'an 2000 [7].

12Les interventions étatiques sont systémiques dans le secteur bancaire à travers la régulation de l'économie d'endettement. La banque apparaît ainsi à la fois comme une institution de protection et de sécurité et comme une institution de création de dépendance, de contrôle et de surveillance. Le crédit est d'autant plus central qu'en période libérale les modalités classiques de soutien et d'intervention (poids financier des subventions et des compensations) sont partiellement remises en cause : le crédit est désormais la principale cheville ouvrière du pacte de sécurité. Par un effet de diffusion de normes, la Tunisie doit en effet présenter des budgets proches de l'équilibre et quasi ment respecter les critères de Maastricht. Le budget de l'Etat ne rend donc pas forcément compte de l'ampleur exacte des dépenses publiques. Nombre de financements étatiques, paraétatiques ou para publics transitent en effet par d'autres canaux susceptibles de contourner la contrainte budgétaire, en premier lieu par le système bancaire. Au cours des années1970 et 1980, ce dernier, alors public dans sa quasi-totalité, avait permis d'atteindre ce but et de créer de toutes pièces les groupes tunisiens privés. Pour ce faire, les banques avaient été transformées en machines à distribuer du crédit, selon les orientations de la Banque centrale, sans grande autonomie. Aujourd'hui, malgré la libéralisation, ce mécanisme est toujours d'actualité: les groupes tunisiens, principalement familiaux, ont peu de fonds propres ; ils sont plus endettés que leur assise économique, technique et financière ne devrait le leur permettre ; ils fonctionnent et se développent presque exclusivement avec l'argent des banques. Celles-ci continuent à fournir le financement "adéquat" à travers l'acceptation de créances douteuses, incomparablement plus compé titives que des financements non bancaires [8]. En l'absence de réaction des banques, des entités régulatrices, des autorités de tutelle et des débiteurs, le secteur bancaire reste le principal acteur de l'économie d'endettement.

13Mais l'économie d'endettement ne concerne bien évidemment pas seulement l'économie productive. Les consommateurs eux aussi sont insérés dans ces relations à travers les crédits à la consommation, et l'endettement des ménages ne cesse de s'accroître. En se portant, urbi et orbi, prêteur - et donc garant - en dernier ressort, l'Etat joue un rôle déterminant dans le fonctionnement de cette économie d'endettement par les créances douteuses, notamment à travers la Banque centrale de Tunisie. L'Etat édicte des lois et des règlements, il prend régulièrement en charge les dettes "qui lui reviennent", celles des offices, des agences de développement, des entreprises étatiques et paraétatiques, des sociétés commerciales aussi en impliquant les autres acteurs financiers dans les plans de redressement. En outre, la Banque centrale a très clairement fait savoir que jamais une banque ne serait "abandonnée" et que le soutien de l'Etat serait indéfectible. Les bailleurs de fonds participent d'ailleurs à ces nouvelles modalités de l'interventionnisme, en apportant un soutien systématique à la Tunisie. Dans la région, le pays est presque toujours le premier bénéficiaire de l'aide publique, ce qui lui permet en outre d'accéder facilement aux marchés internationaux. Il n'est d'ailleurs pas sûr que cette contribution des bailleurs de fonds internationaux à l'interventionnisme tunisien soit involontaire et inconsciente. Leur attachement à la libéralisation paraît souvent moins fort que leur valorisation du volontarisme d'Etat, de la "mobilisation des capacités nationales" et de l'"appropriation".

Un discours révélateur

14Ces pratiques s'appuient sur un discours. Ce dernier est certes une rhétorique et un dispositif de légitimation, mais il n'en est pas moins révélateur de la conception que les dirigeants partagent à propos de l'interventionnisme et des modalités de réalisation du pacte de sécurité. Les autorités tunisiennes s'enorgueillissent en effet d'une "spécificité": leur politique serait avant tout à l'écoute de la société, la primauté accordée à l'économique n'aurait pour eux de sens que dans le respect de préoccupations sociales. Cette orientation est clairement exprimée par des termes aussi explicites que "libéralisme social", "économie sociale de marché", "modèle de développement solidaire" ou encore... "liberté surveillée"[9]! Cette attention prêtée au social n'est pas seulement une pirouette discursive destinée à apaiser les mécontentements éventuels nés de la libéralisation. Il faut prendre au sérieux ces expressions qui non seulement traduisent une "réinvention du capitalisme"[10] mais, en outre, reflètent une vision précise de l'exercice du pouvoir. En Tunisie, cette vision est celle d'un Etat qui se doit de prévenir tout ce qui peut être incertitude, risque et danger : le social y est central et se concrétise par des "filets sociaux" ou le choix de solutions ménageant les "perdants" de l'ouverture, par de réelles mesures donc, même si le discours enjolive les réalisations effectives. Le discours a une fonction rhétorique importante : valoriser les incontestables résultats dans le domaine du logement, des conditions sociales, de la répartition de la richesse ou de l'accès aux biens de première nécessité et aux biens publics. L'énumération de ces programmes (lutte contre la pauvreté, soutien aux familles nécessiteuses, accès à l'éducation et aux soins, aide au logement...) a pour fonction de mettre en valeur l'activisme des autorités tunisiennes. Le discours revendique haut et fort la légitimité des entorses "sociales" faites au libéralisme : lenteurs dans le processus de privatisation, retours en arrière ou ruses destinées à ralentir la libéralisation du commerce extérieur, maintien de subventions et de compensations. Dans ce registre aussi, le discours officiel entend équilibrer l'image d'un volontarisme étatique souvent autoritaire, et perçu comme tel, par du pragmatisme et une sensibilité aux revendications de la société.

15La part d'exagération, d'appropriation de phénomènes sociaux, de regard biaisé, de manipulations statistiques est évidente, mais elle n'enlève rien à la valeur du discours en tant que révélateur des enjeux de pouvoir. La "priorité donnée au social" n'est pas seulement rhétorique, elle constitue un élément fondamental de la légitimité du pouvoir tunisien en même temps qu'elle reflète une réelle crainte face aux dangers de pauvreté et de ses conséquences politiques, notamment en termes d'islamisme, mais aussi en termes de révoltes populaires. De même, les normes de protection du travailleur et de conditions sociales du travail sont parmi les plus élevées de la région et, en la matière, la Tunisie n'a pas à rougir des comparaisons internationales [11]. Contrairement à d'autres pays ayant fait massivement le choix de l'offshore, ces zones n'y sont pas des "zones d'oppression"[12]. Le pacte de sécurité véhicule ainsi l'idée que l'Etat est incontestablement la meilleure, si ce n'est la seule instance susceptible de répondre à ces besoins de justice et d'attention aux pauvres, de satisfaction des besoins, notamment de base, d'intégration et d'ascension sociales ; il est le meilleur protecteur et modérateur des classes ouvrières et plus encore des classes les plus déshéritées, celles qui bénéficient des programmes sociaux. La solidarité se fait au nom de valeurs "culturelles", c'est-à-dire religieuses, mais seul l'Etat et les représentants directs du pouvoir central peuvent concrètement mener à bien ces politiques.

Prégnance bureaucratique

16L'étatisme réformiste se traduit en outre par un interventionnisme bureaucratique toujours aussi bouillonnant. On aurait pu penser que le passage de l'autorisation administrative à la libéralisation (libre concurrence, privatisation ou système de concession avec cahier des charges) modifierait la donne en réduisant le nombre des interventions étatiques, et surtout leur caractère discrétionnaire [13]. Cependant, lors des entretiens que j'ai pu mener en Tunisie, les entrepreneurs m'ont souvent affirmé que l'interventionnisme de la libéralisation était bien plus perturbant et inquisiteur que celui, socialiste, des années1960 ou que celui, caractéristique du libéralisme contrôlé, des années 1970 et 1980. Pour eux, il y a plutôt eu multiplication des possibilités d'interférence des mécanismes de pouvoir, confirmant à première vue qu'en Tunisie, socialisme ou libéralisme, "ces étiquettes n'ont pas grande signification [...] lorsqu'on constate qu'elles permettent dans tous les cas un système identique de contrôle des individus"[14].

17Il ne faut sans doute pas prendre pour argent comptant ces assertions qui souffrent du syndrome de la revalorisation du passé : de nombreuses études ont montré que, dans les décennies précédentes, les interventions étatiques étaient autant qu'aujourd'hui discrétionnaires, nombreuses et personnalisées. En revanche, de telles perceptions soulignent les transformations des modes de gouvernement et suggèrent le désarroi concomitant d'acteurs qui n'en ont pas encore saisi les rationalités, ou du moins les marges de manoeuvre qu'elles permettent, qui ne se sont pas totalement adaptés et n'ont peut-être pas encore trouvé les stratégies pour se les approprier pleinement.

18Car les changements sont réels. Alors que, pour les autorisations, l'administration détenait à un moment précis le pouvoir absolu de la donner ou de la refuser, l'exercice de la définition et du contrôle des exigences du cahier des charges, par exemple, fournit une grande diversité des points d'exercice de l'arbitraire, du favoritisme, voire de la corruption. Dans de très nombreux cas, les garanties et les règles de fonctionnement sont en outre inexistantes, difficiles à connaître ou tout simplement non respectées. Parfois le cahier des charges est tellement vague qu'il peut permettre tout et son contraire. Surtout, l'administration peut ou non suivre les exigences de celui-ci, elle peut ou non exercer des contrôles, elle peut ou non respecter les règles qu'elle a elle-même fixées, elle peut être laxiste ou sévère... Autant de points d'exercice d'un pouvoir qui peut favoriser, louer, récompenser ou au contraire remettre en place, encadrer, contrôler, punir, corriger. On comprend dès lors que les politiques de "désengagement de l'Etat" ont accru l'importance des réseaux au sein de l'administration et du monde partisan, seuls moyens d'accès aux ressources financières et économiques et, surtout, d'accès à l'information  [15].

Puissance des réseaux

19L'incertitude domine, reflet d'un nouveau mode de gestion au sein des entreprises et de nouvelles relations entre Etat et entreprises. Ces nouveaux rapports laissent entr'apercevoir de nouvelles modalités d'action étatique, par exemple l'usage croissant dédiaires non étatiques, le rôle accru des réseaux et la montée de la concurrence entre eux. Ceux qui promeuvent la libéralisation attendent généralement que les principes d'adéquation de l'offre à la demande, la hausse de la qualité et le strict respect de la logique des coûts entraînent une modification des comportements, et notamment la primauté des mécanismes de marché sur les réseaux. En Tunisie, on observe cependant l'intensification de l'usage de ces derniers et leur structuration étendue au niveau des groupes (tribus, commu nautés), des régions et des familles, en réponse ou en interaction avec l'interventionnisme bureaucratique. Pour bénéficier des opportunités étatiques, il faut de plus en plus souvent actionner des réseaux (famille, régions, tribus...) au sein de l'administration ainsi que dans les instances partisanes du monde économique. Cette pratique n'avait jamais disparu, comme le démontre la critique des analyses modernistes menée par Mouldi Lahmar pour les années 1970 et 1980 et par Nourredine Dougui pour la période coloniale [16], mais elle semble aujourd'hui utilisée avec une intensité accrue. La libéralisation n'a pas donné l'occasion au secteur privé de transformer ses relations avec le pouvoir, et notamment de l'influencer pour promouvoir de nouvelles mesures, de nouvelles orientations économiques. Ces réseaux de solidarité l'ont transformé en un mécanisme de renégociation et d'imbrication entre public et privé, entre entrepreneurs et fonctionnaires. Au niveau microéconomique, l'adoption par les entreprises les plus performantes ou importantes de nouvelles procédures de gestion ne s'est réalisée ni dans le déni des pratiques paternalistes, ni dans la disparition de postures d'allégeance au pouvoir central.

20Cette évolution n'est évidemment pas propre à la Tunisie. Ce que les néoclassiques et les libéraux prennent pour un paradoxe est désormais reconnu par les néo-institutionnalistes et les théoriciens des organisations, pour qui les réseaux ne sont pas opposés au marché. Les modes de gouvernement se traduisent également par l'introduction de nouvelles normes, par la pluralité des normes et donc la dispersion des interventions, et par une inégalité de traitement entre acteurs - inégalité d'autant plus grande que l'Etat de droit est souvent Etat d'exception. Ils se concrétisent par un flou des règles, entre règles de droit et règles de fait notamment, qui n'est pas indécision ou imperfection, mais modalité, souvent arbitraire, de l'exercice du pouvoir et vecteur d'allégeance.

Une extraversion contrôlée

21Fondamentale, la dimension internationale de la libéralisation et des réformes plus générales promues par les bailleurs de fonds fait elle aussi l'objet d'une appropriation bien nationale par les autorités tunisiennes.

Le maintien dynamique de l'"offshore"

22Le volontarisme étatique, notamment en matière d'industrialisation, s'est traduit par la création, dans les années 1970, de zones offshore comme substitut de la libéralisation, ou comme première étape de celle-ci. Outre l'apport en devises et en emplois, le dualisme ainsi institué devait permettre de protéger les entreprises nationales tout en permettant une certaine ouverture aux étrangers et un apprentissage à l'export pour les plus dynamiques des entreprises tunisiennes. Depuis les années 1990 et plus encore depuis le début des années 2000, les subventions, la bonification d'intérêts, les programmes successifs d'aide à l'investissement peuvent être interprétés comme des instruments permettant la survie des entreprises tunisiennes non compétitives et le maintien d'un dualisme assurément protectionniste et interventionniste plutôt que libéral. Ces pratiques se perpétuent en effet jusqu'à ce jour, en dépit de l'accord de libre-échange entre la Tunisie et l'Union européenne signé en 1995 et des pressions internationales en faveur de la libéralisation. Le volontarisme étatique continue à s'exprimer par la perpétuation quasi automatique des avantages accordés aux investisseurs et plus encore par la pugnacité avec laquelle les autorités tunisiennes négocient le maintien d'un système qui aurait dû être supprimé depuis 2002. Les responsables affirment d'ailleurs ouvertement que la Tunisie recherche des investissements directs étrangers "pour l'exportation, pas pour le marché national". Officieusement, ils complètent leur discours en rappelant la prégnance des situations rentières, la nécessité de protéger les productions nationales non compétitives et les positions acquises.

23L'attraction des investissements étrangers et leur articulation à l'économie nationale constituent assurément une modalité d'organisation qui tente d'assurer bien-être, développement et richesse sans contrainte politique, qui cherche surtout à conserver un certain contrôle sur les activités les plus importantes, à garantir aussi la centralité de l'Etat. Ce faisant, cette organisation fait pleinement partie d'une économie nationale qui reste, malgré les ajustements et les programmes successifs de libéralisation, fortement protectionniste, et en cela aussi plus facile à surveiller et normaliser. En paraphrasant Janet Roitman et Gérard Roso, on pourrait dire que les autorités tunisiennes "favorisent l'offshore pour rester national" [17].

Un commerce extérieur fortement contrôlé

24Depuis le début des années 1990, l'observateur extérieur ne peut qu'être frappé par la montée des questions de souveraineté: les discussions avec les bailleurs de fonds comme avec les investisseurs étrangers ou les partenaires extérieurs sont menées sous le signe du respect de la souveraineté; et la libéralisation, les privatisations, les investissements directs étrangers et plus généralement les réformes économiques libérales sont lus à travers la grille de la perte de souveraineté. Cette problématisation est revendiquée au nom du réformisme qui, rappelle-t-on à Tunis, s'est structuré autour de la question de l'endettement et de la mise sous tutelle financière du pays. L'ouverture de l'économie tunisienne à l'Europe et plus généralement au monde se traduit donc paradoxalement par un certain nombre de fermetures et l'instauration de préférences nationales souvent implicites - en bref, le "patriotisme économique"!

25La libéralisation du commerce extérieur est largement négociée non seulement avec les bailleurs de fonds et les organismes internationaux, mais aussi avec les différents acteurs économiques tunisiens. La décision d'apparaître comme le "bon élève" de l'OMC et surtout du Partenariat euroméditerranéen ne peut se faire contre les intérêts des entrepreneurs ou, pour être plus exact, ne peut se réaliser de façon trop opposée à leurs intérêts. Or ceux-ci peuvent très facilement être pris en compte grâce au décret du 29 août 1994, qui autorise toute sorte de restrictions, grâce aussi aux mesures de sauvegarde temporaires incluses dans l'accord d'asso ciation et à l'article28 de ce dernier, qui autorise les interdictions et restrictions pour des "raisons de moralité publique, d'ordre public, de sécurité publique, de protection de la santé et de la vie des personnes et des animaux"[18]. Ces dispositions juridiques permettent de légaliser les "entorses" à l'ouverture, qui de la sorte n'apparaissent pas comme une violation des accords de libre-échange.

26Les contrôles techniques systématiques ont été utilisés, par exemple sur les pneus, pour en limiter l'importation : lorsqu'il n'existe pas de normes tunisiennes, les normes européennes s'appliquent mais leur vérification reste réalisée par l'Institut national de la normalisation et de la propriété industrielle (Innorpi), l'organisme tunisien qui contrôle administrativement toutes les importations et peut très opportunément les juger impropres à la consommation sur le territoire. Le respect du cahier des charges, comprenant toutes les spéci fications qui doivent être respectées par le produit importé, est scrupuleusement contrôlé: l'interprétation est d'autant favorable à l'exercice du protectionnisme que l'administration demande désormais énormément d'informations pour accorder son autorisation. Elle exige, par exemple, l'inscription exacte de toutes les informations sur l'emballage, les garanties financières du fabricant, ainsi qu'un certificat prouvant qu'il respecte les normes exigées par l'admi nistration tunisienne, la composition exacte du produit, y compris les formules pour les produits industriels. Même lorsqu'un concurrent a déjà réalisé toutes les procédures administratives et techniques requises, le nouvel importateur doit obligatoirement reprendre l'ensemble de ces démarches, y compris lorsque le produit importé est exactement le même.

27Par ailleurs, la baisse, voire la suppression des droits de douane est souvent cosmétique, la taxe supprimée étant subrepticement transférée sur d'autres prélèvements. Tel est le cas de l'automobile : alors qu'en 1995 les droits de douane pour une 4 CV s'élevaient à 27 % et les droits à la consommation à 30 %, les premiers ont effectivement disparu en 1998 en application de l'accord de libre-échange avec l'Union européenne, mais les seconds avaient été élevés de presque autant, atteignant les 55 %. En cas de dérapage de la balance des transactions courantes, ou de pénurie de devises, la Banque centrale émet des injonctions orales auprès des banques et des organismes publics pour limiter les importations. Multiplication des formalités douanières, limitations de la fourniture des importateurs en devises et entraves à l'obtention de crédits documentaires, retards à l'arrivée des produits en incitant les autorités portuaires à ralentir les procédures de dédouanement et l'accès aux documents nécessaires, majorations ponctuelles et officieuses des droits de douane, avis défavorables à l'importation du produit pour défaut de production, absence d'informations suffisantes ou tout simplement défectuosité... les modalités d'intervention sont variées. De même, toutes les exportations sont en principe libres mais, pour ce faire... il faut être obligatoirement domicilié auprès d'un intermédiaire agréé. Il existerait en outre une liste officieuse de produits exclus de cette liberté, liste qui contiendrait notamment les produits les plus lucratifs, en particulier l'exportation d'huile d'olive.

28On comprend que le protectionnisme et le nationalisme économiques sont également des vecteurs du favoritisme et de l'inégalité socio-économique. Quand l'importation dépend d'appréciations subjectives, de procédures administratives plus ou moins officieuses ou de la qualité de relations personnelles, la protection devient un évident instrument au service du pouvoir central et de ses objectifs de contrôle  [19].

Un nationalisme économique explicite

29Le nationalisme défensif et la sensibilité au respect de la souveraineté expliquent tout d'abord qu'un certain nombre de lois nationales soient en totale contradiction avec des engagements internationaux signés par les autorités tunisiennes. Que ce soit sur les protections réciproques des investissements ou sur les conventions fiscales, les lois nationales et les normes internes priment sur les traités internationaux ratifiés, suscitant des tensions continues, avec la France par exemple. En dépit du libre-échange entre la Tunisie et l'Union européenne, des décisions juridiques et légales expriment une réticence ouverte vis-à-vis des étrangers, y compris européens. Quelques exemples permettent de prendre la mesure de ces décisions. Les investisseurs étrangers ne peuvent devenir propriétaires fonciers sans autorisation préalable du gouverneur, qui contrôle strictement ces permis. Les sociétés étrangères résidentes ne peuvent recruter plus de quatre expatriés, sauf dérogation explicite de la dite Commission supérieure des investissements, auprès de laquelle il faut démontrer, pour chacune de ces embauches, que les compétences requises n'existent pas dans le pays. Pour récupérer les avoirs étrangers en Tunisie, une autorisation préalable est nécessaire dont l'obtention peut s'avérer extrêmement difficile, en tout cas très bureaucratique et laborieuse. Par ailleurs, selon la loi, il faut avoir résidé pendant deux ans au moins dans le pays pour pouvoir être directeur général d'une société; et dans la pratique, rien n'est fait pour faciliter l'obtention de l'accord de résidence et le renouvellement annuel des cartes de séjour.

30L'actionnaire étranger de sociétés résidentes de services non totalement exportatrices ne peut être majoritaire et ne peut donc développer ses activités comme il le souhaite, ce qui entrave souvent la stratégie de grands groupes internationaux. Tel est le cas du groupe d'assurances Allianz (ex-AGF), actionnaire à 36 % de la société locale Astrée, qui a réussi à monter à 42 % mais n'a pu profiter du départ d'Axa en 2002, ni de celui de Generali en 2003, pour devenir majoritaire. Il a donc décidé, en 2004, de quitter la Tunisie et de vendre ses parts à des nationaux ainsi qu'à des étrangers (en l'occurrence le Crédit mutuel-CIC) qui avaient eu le bon goût d'opter pour la stratégie préférée des Tunisiens, à savoir la stratégie de sleeping partner. De façon générale, un système d'autorisation préalable est toujours d'actualité pour un certain nombre d'activités, notamment lorsque la participation étrangère est supérieure à 50 % du capital. La Commission supérieure des investissements doit impérativement donner son accord préalable aux investisseurs étrangers potentiels [20]. Cette règle concerne des secteurs stratégiques, comme le transport, les communications, les services de gardiennage et l'éducation, qui touchent à la souveraineté nationale, des secteurs qui, dans tous les pays, sont relativement protégés, comme les travaux publics et la finance, mais aussi des domaines en apparence plus anodins, comme le tourisme, l'électricité des bâtiments, la pose de carreaux, de mosaïques et de faux plafonds, le façonnage de plâtre ou l'étanchéité des toits... secteurs qui ne sont certainement pas stratégiques en termes de souveraineté nationale mais qui peuvent s'avérer extrêmement sensibles en termes d'emploi et donc d'effectivité du pacte de sécurité économique et sociale, ainsi qu'en termes de rentes et d'accumulation pour l'élite dirigeante.

31On commence à comprendre ce que signifie aussi le nationalisme : non pas simplement une idéologie, mais la crainte pour le pouvoir central de perdre la maîtrise sur l'économique et de devoir gérer l'instabilité. L'instrumentalisation disciplinaire du nationalisme, ce que Hélé Béji nomme de façon très heureuse le "nationalitarisme"  [21], n'est donc pas cantonnée à la sphère des idées. Elle peut être, comme l'aurait exprimé Max Weber, "orientée économiquement", en permettant la domination par le contrôle des activités et des comportements économiques.

32Cependant, ces pratiques protectionnistes ne résultent pas uniquement de décisions administratives, mais davantage de la convergence de celles-ci et de stratégies économiques, publiques et privées, ainsi que d'une conscience nationale aiguë. L'épisode colonial est fondateur du caractère défensif du nationalisme tunisien et du souci de ce que l'on pourrait appeler une préférence nationale, traduisant la volonté de construire un Etat-nation qui soit aussi indépendant économiquement et d'élaborer un pacte de sécurité. C'est pourquoi aussi ce nationalisme économique apparaît de façon particulièrement visible : en pleine idéologie libérale, il exprime et cimente une résistance générale des Tunisiens, résistance non pas à l'ouverture, au libéralisme ou à la globalisationdans leur ensemble, mais résistance à une dissolution, réelle ou supposée, de l'indépendance nationale.

Une libéralisation sans libéralisme

33Les critiques d'incohérence, de lourdeur, de favoritisme et de "discrétionnarité" peuvent donc être interprétées comme le signe que la libéralisation n'a pas modifié l'ampleur et le rôle des interventions étatiques. Les lenteurs et les revirements traduisent tout autant l'exercice de pressions de la part d'individus, d'acteurs et d'intérêts mécontents que la crainte du pouvoir central de perdre des possibilités de contrôle. On peut même dire que la philosophie de l'étatisme n'est pas entamée par la libéralisation : la liberté (d'entreprendre, de commercer, de produire) n'est pas synonyme d'absence de règles, mais d'octroi de nouveaux privilèges, normes et procédures qui permettent d'isoler, de classer, de contrôler et de surveiller. Dès lors, l'interprétation selon laquelle les réformes ont réussi à mettre en place les institutions sans mettre en pratique la philosophie qui leur correspond peut être considérée comme valide : il est certain que "l'on ne crée pas une mentalité économique capitaliste avec des politiques économiques"[22].

34Cette explication ne fait cependant qu'exprimer un constat. Si l'on met l'accent sur la signification politique et sociale de la libéralisation, c'est-à-dire si l'on comprend cette dernière non comme un instrument destiné à influer sur la liberté, la compétitivité, la rentabilité et l'ouverture extérieure mais comme un outil permettant le redéploiement des relations de pouvoir dans un nouveau contexte économique, alors oui, le réformisme libéral a pleinement réussi. Il ne constitue pas pour autant une expression du libéralisme au sens philosophique du terme, il n'est pas, contrairement à ce que beaucoup continuent de croire, une pédagogie du libéralisme  [23]. Les techniques de gouvernement restent en Tunisie fondamentalement centrées sur l'intervention explicite, sur la réglementation, sur le contrôle direct et non sur la liberté et le laisser-faire, même si ces modalités peuvent partiellement exister. Le Plan reste l'outil principal de rationalisation de l'intervention, et le modèle reste celui de l'Etat ingénieur, organisateur direct de l'économie  [24].

35Le Plan est une institution capitale du discours de vérité, y compris aujourd'hui, en pleine libéralisation. Dans pratiquement tous les domaines, les chiffres sont en quelque sorte préalablement planifiés et organisés : les autorités tunisiennes ont décidé à l'avance du taux de croissance ou des investissements ; les acteurs, y compris privés, en connaissent l'importance. Ils ont intégré le fait que leur chiffre devait entrer dans le Plan et il suffit... qu'ils s'exécutent! En l'absence de pensée et d'analyse critiques, les banquiers et les entrepreneurs ne manquent pas de se référer, dans leurs communications orales, dans les entretiens qu'ils accordent ou dans les plaquettes informatives de leur société, aux chiffres du Plan ou aux projections officielles, même s'ils les considèrent par ailleurs irréalistes ou surestimés [25]. Mais le Plan n'a-t-il pas précisément pour fonction, en tant que technique de chiffrage, d'exclure tout débat, d'exclure toute appréciation qualitative nécessairement discutable ? Incontestablement, le Plan est ici une technique disciplinaire qui ne décrit pas mais qui prescrit. Indice qui ne trompe pas : les statistiques sur les quantités produites et consommées, sur les équipements ou la population sont largement disponibles, alors que celles concernant le fonctionnement des marchés, la transparence ou l'évaluation des politiques publiques sont partielles et souvent secrètes. On pourrait dire qu'on assiste en Tunisie à des réformes libérales sans libéralisme, à des réformes libérales sans technique de gouvernement libérale  [26].

Notes

  • [1]
    Pour plus de développements sur le réformisme tunisien, je me permets de renvoyer à B.Hibou, La Force de l'obéissance. Economie politique de la répression en Tunisie, Paris, La Découverte, 2006. Les références de tous les travaux mobilisés pour cet article y sont présentées en détail.
  • [2]
    Négocié dès 1986, le premier programme d'ajustement structurel (PAS) en Tunisie date de 1987. Très rapidement, les PAS ont été remplacés par des facilités et surtout par des programmes d'ajustement sectoriels, mais la philosophie des unes et des autres reste la même.
  • [3]
    Pour plus de développements, voir B. Hibou, "Fiscal trajectories in Morocco and Tunisia", in S.Heydemann (ed.), Networks of Privilege in the Middle East. The Politics of Economic Reform Revisited, New York, Palgrave Macmillan, 2004, p.201-222.
  • [4]
    Entretiens, Tunis, avril-mai 1997, avril 1998, décembre 2001; cité également par Marchés tropicaux et méditerranéens, 17janvier 1997. Il faut bien évidemment prendre ce chiffre, très politique, avec beaucoup de précaution, notamment parce qu'il permet de légitimer les contrôles fiscaux.
  • [5]
    M. Affes et A. Yaich, "Les difficultés pratiques de la nouvelle imposition des revenus", Etudes juridiques, n?2, 1992, Faculté de droit de Sfax, p.168.
  • [6]
    Par exemple, en 2004, le litre de diesel restait à 30centimes d'euros et le sans-plomb à 50 centimes d'euros malgré la flambée des prix internationaux. La subvention de l'Etat en 2004 s'est élevée à 580 millions de dinars tunisiens, soit 1,7 % du PIB. De fait, les consommateurs n'ont payé que 20 % du prix réel de l'essence.
  • [7]
    Selon l'article 4 du décret 94-492 modifié par le décret 2000-821 du 17avril2000 (JORT n? 33 du 25avril 2000).
  • [8]
    En Tunisie, les créances douteuses sont extrêmement importantes, constituant le problème central que les bailleurs de fonds tentent, pour l'instant en vain, de supprimer. Le ratio créances douteuses sur engagements bancaires varie selon les périodes entre 20 et 40 %, alors que la norme internationale le fixe à 2 %.
  • [9]
    Expression entendue plusieurs fois lors de mes entretiens à Tunis avec des officiels de différents ministères et agences publiques, ce qui laisse à penser qu'elle fait partie du discours véhiculé par le Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD) et la haute administration.
  • [10]
    J.-F. Bayart (dir.), La Réinvention du capitalisme, Paris, Karthala, 1994.
  • [11]
    Le satisfecit est donné par les institutions internationales spécialisées comme l'Organisation internationale du travail (OIT) et les confédérations de syndicats. La bonne image sociale de la Tunisie est relayée par les bailleurs de fonds, comme la Banque mondiale (cf. Banque mondiale, Stratégie de coopération République tunisienne-Banque mondiale, 2005-2008, Banque mondiale, Washington D.C., décembre 2004), et par les industriels (par exemple le rapport Gherzi de 2004, "Mise à jour de l'étude textile-habillement", rapport de synthèse, Cettex-Gherzi, mai 2004, mentionne les bonnes conditions sociales du travail comme l'un des seuls points forts du textile tunisien).
  • [12]
    J.-P. Cling et G. Letilly, "Export processing zones : a threatened instrument for global economy insertion ?", document de travail Dial, Paris, DT/2001/17.
  • [13]
    C'est la thèse centrale des tenants des réformes libérales et notamment de l'ajustement structurel, à l'instar du FMI, de la Banque mondiale et de l'Union européenne.
  • [14]
    H. Béji, Désenchantement national. Essai sur la décolonisation, Paris, Maspéro, coll. "Cahiers libres", 1982, p.66.
  • [15]
    Sur le poids de ces réseaux familiaux, régionaux, tribaux, amicaux ou factionnels, voir, pour la période interventionniste, J.Leca et Y. Schemeil, "Clientélisme et néopatrimonialisme dans le monde arabe", Revue internationale de science politique, 1983, vol. 4, n? 4. Pour la période libérale, J. Leca, dans "La démocratisation dans le monde arabe : incertitude, vulnérabilité et légitimité" (in G. Salamé, Démocratie sans démocrates, Paris, Fayard, 1994), n'affirme pas strictement que l'usage de ces réseaux s'est intensifié, mais il met fortement en doute leur diminution.
  • [16]
    M. Lahmar (dans Du Mouton à l'olivier. Essai sur les mutations de la vie rurale maghrébine, Tunis, Cérès Editions, 1994) critique les travaux qui analysaient la pénétration de l'Etat comme une détribalisation des campagnes (par exemple ceux de L. Anderson, The State and Social Transformation in Tunisia and Libya, 1830-1980, Princeton University Press, 1986, ou de L.C. Brown, The Tunisia of Ahmad Bey, 1837-1855, Princeton University Press, 1974). Pour la période coloniale, N. Dougui a montré (dans Histoire d'une grande entreprise coloniale : la Compagnie des phosphates et du chemin de fer de Gafsa, 1897-1930, Tunis, Publications de la Faculté des lettres de la Manouba, 1995) que les tribus et la structuration sociale qui leur est associée n'avaient pas été détruites par la pénétration du capitalisme colonial, même si les effets de celle-ci avaient été importants dans la réorganisation du travail et de certains groupes socioprofessionnels.
  • [17]
    J. Roitman et G. Roso, " Guinée-Equatoriale : être "off-shore" pour rester national ", Politique africaine, n? 81, mars 2001, p. 121-142.
  • [18]
    Une analyse détaillée de ces mesures est fournie par N. Baccouche, "Les implications de l'accord d'association sur le droit fiscal et douanier", in Mélanges en l'honneur de Habib Ayadi, Tunis, Centre de publication universitaire, 2000, p. 5-27.
  • [19]
    Pour une analyse comparable dans le cas de l'Afrique subsaharienne, voir B. Hibou, L'Afrique est-elle protectionniste ? Les chemins buissonniers de la libéralisation extérieure, Paris, Karthala, 1996.
  • [20]
    Décret 94-492 modifié par le décret 97-503 du 14 mars 1997, publié au JORT n? 24 du 25 mars 1997. La liste des secteurs est fournie sur le site Internet du gouvernement.
  • [21]
    H. Béji, Désenchantement national, op. cit.
  • [22]
    M. Weber, "L'éthique économique des religions mondiales" (texte de 1915-1920), in Sociologie des religions, Paris, Gallimard, "NRF", 1996, p. 394.
  • [23]
    Pour cette thèse, voir par exemple F. Siino, Science et pouvoir dans la Tunisie contemporaine, Paris, Karthala, 2004, ou S. Khiari, Tunisie, le délitement de la cité : coercition, consentement, résistance, Paris, Karthala, 2003.
  • [24]
    Sur le lien entre outils statistiques et modalités d'intervention de l'Etat, voir les travaux d'Alain Desrosières, et notamment son article " Historiciser l'action publique : l'Etat, le marché et les statistiques ", in P. Laborier et D. Trom (dir.), Historicités de l'action publique, Paris, PUF, 2003, p. 207-221.
  • [25]
    Pour s'en persuader, il est intéressant de feuilleter les rapports annuels ou les publications des banques et des sociétés financières et de lire, dans la presse, les entretiens d'entrepreneurs ou les comptes-rendus de colloques et séminaires officiels.
  • [26]
    Sur le libéralisme comme technique de gouvernement et non comme idéologie, voir M. Foucault, Sécurité, territoire et population. Cours au Collège de France, 1977-1978, Paris, coll. " Hautes Etudes ", Gallimard-Seuil, 2004, notamment les leçons du 18 et du 25 janvier 1978, et M. Foucault, Naissance de la biopolitique. Cours au Collège de France, 1978-1979, idem, 2004, notamment les leçons des 10, 17 et 24 janvier 1979. Voir également A. Barry, T. Osborne et N. Rose (eds), Foucault and Political Reason. Liberalism, neo-liberalism and Rationalities of Government, Chicago, The University of Chicago Press, 1996.
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