Notes
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[1]
Walter Benjamin, « Sur le concept d’histoire » (1940), dans Écrits français, Gallimard, 1991, p. 347, cité dans François Dosse, Le pari biographique, écrire une vie, Paris, La Découverte, 2011.
-
[2]
Hocine Aït-Ahmed, Mémoires d’un combattant, L’esprit d’indépendance 1942-1952, Paris, Éditions Sylvie Messinger, 1983.
-
[3]
Matthew Connelly, L’arme secrète du FLN, Comment de Gaulle a perdu la guerre d’Algérie, Paris, Petite Bibliothèque Payot, 2014. Traduit de l’anglais : A Diplomatic Revolution. Algeria’s Fight for Independance and the Origins of the Post-Cold War Era (New York: Oxford University Press, 2002).
-
[4]
Édifice autour duquel se structure une confrérie. Les zaouïas formaient le socle de l’enseignement traditionnel en milieu rural. Ce rôle est en désuétude dès le dernier quart du XIXe siècle. Fanny Colonna, Les instituteurs algériens, 1883-1939, Paris, Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, 1975.
-
[5]
Renaud de Rochebrune, Benjamin Stora, La guerre d’Algérie vue par les Algériens tome I- des origines à la bataille d’Alger, Paris, Éditions Denoël, 2011, p. 37.
-
[6]
Extrait d’un cahier personnel rédigé en 1964 alors qu’il est détenu en prison, Yalhane Mécili, Hocine Aït-Ahmed et l’indépendance de l’Algérie 1945-1963, sous la direction d’Annie Fourcault, Paris 1 Panthéon Sorbonne, 2005, p. 56.
-
[7]
Hocine Aït-Ahmed, Mémoires d’un combattant, op. cit., p. 209 (cf. note 2).
-
[8]
Rapport de 1948 au Comité central de Zeddine, décembre 1948, Mohamed Harbi, Les archives de la Révolution algérienne, Les Éditions Jeune Afrique, 1981, p. 44.
-
[9]
.Rapport de 1948, op. cit. (cf. note 8).
-
[10]
El Mechat, Samya, « L'improbable « Nation arabe ». La Ligue des États arabes et l'indépendance du Maghreb (1945-1956) », Vingtième Siècle. Revue d'histoire, vol. 82/2, 2004, p. 57-68.
-
[11]
Ibid.
-
[12]
À titre d’exemple, à l’issue de la requête de l’Arabie saoudite auprès du Conseil de Sécurité de l’ONU, le 5 janvier 1955, de se saisir de la question algérienne, une grande partie des membres de la Ligue arabe refusent de remettre en cause l’affirmation de la France de l’appartenance juridique de l’Algérie à sa nation. Matthew Connelly, L’arme secrète du FLN, op. cit., p. 126 (cf. note 3).
-
[13]
Matthew Connelly, ibid., p. 77.
-
[14]
Hocine Aït-Ahmed, Mémoire d’un combattant, op. cit., p. 2 (cf. note 2).
-
[15]
Archives diplomatiques de La Courneuve, 31QO/30, Notice biographique sur Hocine Aït-Ahmed actuellement représentant du FLN à New York.
-
[16]
Pierre Mendès France déploie dix bataillons d’infanterie et de gendarmes mobiles, ainsi que des régiments revenus d’Indochine, le deuxième jour du soulèvement du FLN, le 2 novembre 1954. Jean-Charles Jauffret, « L’armée et l’Algérie en 1954 », Revue Historique des Armées, n°187, juin 1992, p. 23. Cité dans Matthew Connelly, L’arme secrète du FLN, op. cit., p. 508 (cf. note 3).
-
[17]
Archives du MAE, 31QO/30, Notice biographique sur Hocine Aït-Ahmed actuellement représentant du FLN à New York.
-
[18]
Archives Diplomatiques de La Courneuve, 31QO/40, Lucien Colin ambassadeur de France au Sri Lanka au MAE, 10 avril 1955.
-
[19]
Archives militaires de Vincennes, 1H1244, Bulletin de renseignements, 23 octobre, objet : Arrestation des Chefs de la rébellion à l’extérieur.
-
[20]
Jean-Pierre Rioux et Jean-François Sirinelli, La guerre d’Algérie et les intellectuels français, Paris, Éditions Complexe, 1991, p. 275. Cité par Yalhane Mécili, Hocine Aït-Ahmed et l’indépendance de l’Algérie, op. cit., p . 75 (cf. note 6).
-
[21]
« La conférence déclare appuyer totalement le principe du droit des peuples et des nations à disposer d’eux-mêmes tel qu’il est défini dans la charte des Nations unies et prendre en considération les résolutions des Nations unies sur le droit des peuples et des nations à disposer d’eux-mêmes, qui est la condition préalable à la jouissance totale de tous les droits fondamentaux de l’Homme », Service Historique de la Défense, Vincennes, 1H2492, Communiqué final de la Conférence de Bandung.
-
[22]
Service Historique de l’Armée de Terre (SHAT), 1H1202, cité dans Yalhane Mécili, Hocine Aït-Ahmed et l’indépendance de l’Algérie, op. cit., p. 73 (cf. note 6).
-
[23]
Compte rendu de conversation Root, Bovey, Looram, Aït-Ahmed, 5 décembre 1955, USNA, RG59, Central Decimal Files, 751S.00 ; compte rendu de conversation Aït Ahmed-Bovey, 16 mai 1956. Cité dans Matthew Connelly, L’arme secrète du FLN,op. cit. (cf. note 3).
-
[24]
Rapport au Comité central de Zeddine, décembre 1948, Mohamed Harbi, Les archives de la Révolution algérienne, op. cit., p. 45 (cf. note 8).
-
[25]
Service Historique de la Défense, Vincennes, 1H1244, Fiche de renseignement sur Hocine Aït-Ahmed.
-
[26]
Historia Magazine, « La guerre d’Algérie », n° 200 (7), 1971. Cité dans Jean Boisson, Ben Bella est arrêté, le 22 octobre 1956, Chatillon, Études et recherches historiques, 1978.
-
[27]
Historia Magazine, « La guerre d’Algérie », n° 209 (16), 1972. Cité dans Jean Boisson, Ben Bella est arrêté, op. cit. (cf. note 26).
-
[28]
Service Historique de la Défense, Vincennes, 1H1244, Fiche de renseignement sur Hocine Aït-Ahmed.
-
[29]
Matthew Connelly, L’arme secrète du FLN,op. cit., p. 172 (cf. note 3).
-
[30]
American Federation of Labour and Congress of Industrial Organizations [Fédération américaine du travail & Congrès des organisations industrielles].
-
[31]
Matthew Connelly, « Les Algériens avaient gagné avec les moyens diplomatiques et la force des idées », [https://www.reporters.dz/], 5 novembre 2018 (consulté le 10 mai 2020).
-
[32]
Matthew Connelly, L’arme secrète du FLN, op. cit., p. 216 (cf. note 3).
-
[33]
Charte des Nations unies, chapitre IV : règlement pacifique des différends, article 34, [https://www.un.org/fr/sections/un-charter/chapter-vi/index.html] (consulté le 27 mai 2020).
-
[34]
El Mechat, Samya. « L'improbable « Nation arabe ». La Ligue des États arabes et l'indépendance du Maghreb (1945-1956) », op. cit. (cf. note 10).
-
[35]
Archives militaires de Vincennes, 1H1244, Fiche de renseignement sur Hocine Aït-Ahmed.
-
[36]
Hocine Aït-Ahmed et Mohammed Yazid, “Memorandum to the Delegations to the Tenth General Assembly of the United Nations: the Peaceful Settlement of the Algerian Question”, 13 octobre 1955, archives privées, cité dans Yalhane Mécili, op. cit, p. 79 (cf. note 6).
-
[37]
Archives Diplomatiques de La Courneuve, 31QO/29, MAE à la délégation française à l’ONU.
-
[38]
Archives Diplomatiques de La Courneuve, 31QO/30, Hervé Alphand au MAE, 4 mai 1956, objet : livre blanc des nationalistes algériens.
-
[39]
PV d’audition, Jean Boisson, Ben Bella est arrêté, op. cit., p. 181 (cf. note 26).
-
[40]
Mabrouk Belhocine, Le courrier Alger-Le Caire, 1954-1956, et le Congrès de la Soummam dans la Révolution, Casbah, Éditions, Alger, 2000, document n° 24 : Lettre de Khider du 15 février 1956.
-
[41]
Archives Diplomatiques de La Courneuve, 31QO/28 , Maurice Couve de Murville au Ministre des Affaires Étrangères, 26 août 1955.
-
[42]
Matthew Connelly, L’arme secrète du FLN, op. cit., p. 141 (cf. note 3).
-
[43]
Ibid., p. 202.
-
[44]
Ibid, p. 74.
-
[45]
Ibid, p. 170 (cf. note 3).
-
[46]
Dans une sorte de « rétropédalage » sous le feu de critiques émanant de l’AFL-CIO concernant cette décision, le Pentagone précisera que ces hélicoptères seraient destinés à un « usage strictement humanitaire », cité dans Matthew Connelly, L’arme secrète du FLN,op. cit., p. 141 (cf. note 3).
-
[47]
Mabrouk Belhocine, Le courrier Alger-Le Caire, 1954-1956, et le Congrès de la Soummam dans la Révolution, Alger, Casbah Éditions, 2000, document n° 24 : Lettre de Khider du 15 février 1956.
-
[48]
Matthew Connelly, op. cit, p. 11 (cf. note 3).
-
[49]
Rapport adressé au Comité central de Zeddine, décembre 1948, Mohamed Harbi, Les archives de la Révolution algérienne, op. cit, p . 24 (cf. note 8).
-
[50]
Ibid., p. 42 (cf. note 8).
-
[51]
Hocine Aït-Ahmed, La guerre et l’après-guerre, Alger, Scolie Éditions, 2013, p. 44.
1Le 23 décembre 2015, Hocine Aït-Ahmed, chef historique du FLN (Front de libération nationale) décède à Lausanne en Suisse, pays où il fut longtemps exilé, au temps de son opposition au régime de Ben Bella. Ses funérailles soulèvent un engouement national dans toute l'Algérie. Le manque de travaux de recherche sur cet acteur du nationalisme algérien, chef historique du FLN, puis leader du plus grand parti d'opposition en Algérie, est une grande lacune pour qui souhaite approfondir l'histoire de l'Algérie coloniale, des guerres larvées de l’indépendance et des jeux politiques en présence de l'Algérie contemporaine. L’approche biographique de ce travail est une entrée par laquelle s’effectue la restitution d’un siècle, et démontre « comment dans cette vie tient une époque entière [1] ». L’étude de son parcours éclaire sur la nature des relations diplomatiques mises en place au sein du Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques (MTLD), puis du Front de libération nationale (FLN) et les stratégies d’internationalisation de la « Question algérienne ». Il lègue à la postérité un ouvrage à caractère autobiographique paru en 1983 [2], au sein duquel, frustration pour le lecteur, il fixe la borne chronologique à l’année 1952, date à laquelle il débute son parcours diplomatique au Caire. Les archives françaises du Ministère des Affaires Étrangères, sont de ce point de vue plus prolixes et permettent d’appréhender l’activité diplomatique des nationalistes algériens, ainsi que les relations (parfois houleuses) qu’ils entretiennent entre eux, sous le prisme de rapports établis par les chancelleries françaises aux États-Unis, en Asie et au Maghreb.
2Tranchant avec l’assertion d’une indépendance octroyée à l’Algérie par la force des armes, l’ouvrage [3] de Matthew Connelly, professeur à l’Université de Columbia, établit un constat sans appel. Au-delà des considérations militaires, c’est bien hors des frontières que s’est joué l’avenir de l’Algérie. S’appuyant notamment sur des archives américaines, britanniques, tunisiennes et égyptiennes, il démontre le caractère international de la guerre d’Algérie, loin d’une vision étriquée qui voudrait la réduire à un conflit bilatéral franco-algérien.
3Comment Hocine Aït-Ahmed a-t-il contribué au développement de la stratégie diplomatique de la délégation extérieure du MTLD, puis du FLN ? Comment s’est-il appuyé sur un contexte géopolitique particulier – celui des décolonisations – qui voit l’émergence d’un mouvement des « non-alignés » et celui de la Guerre froide ?
Le Caire, plaque tournante du nationalisme maghrébin
L’éclosion de son éveil nationaliste
4 Né un 20 août 1926 à Aït Yahia, un village situé sur le versant nord du massif montagneux du Djurdjura en Kabylie , Hocine Aït-Ahmed est issu d’un lignage doublement prestigieux ; du côté maternel, il descend de la célèbre guerrière Fatma n’Soumeur, qui s’éleva contre l’autorité coloniale. Du côté paternel, il a pour aïeul un célèbre marabout, Cheikh Mohand El Hocine, mort en 1901. À quatre ans, le jeune Hocine fréquente l’école coranique à la zaouïa [4] de son village, ce qui lui permet d’acquérir une certaine maîtrise de la langue arabe, chose rare pour l’époque. Afin de poursuivre sa scolarité au sein d’un établissement français, il émigre chez sa tante. Dans un contexte colonial où l’analphabétisme est de mise au sein de la population « indigène » et qu’un algérien sur dix est scolarisé en 1937 [5], il bénéficie d’un enseignement franco-arabe. Avec le soutien de son instituteur, il obtient en 1939 le certificat d’études à titre indigène et à titre français, puis le concours des bourses, ce qui lui ouvre les portes du lycée. Cette période nouvelle au lycée de Ben Aknoun est le temps de la découverte que permet l’internat loin du carcan familial. Débute alors l’éclosion de son éveil aux idéaux nationalistes en compagnie d’un groupe de jeunes lycéens avides d’appuyer la lutte indépendantiste. Un tournant majeur fait basculer ce groupe dans la clandestinité totale et entraîne une rupture avec leur environnement familial : les massacres de Sétif et Guelma du 8 mai 1945.
5Sans en informer ses parents qui avaient placé en lui le rêve de le voir entreprendre une carrière de médecin, Aït-Ahmed quitte le lycée et s’embarque dans la clandestinité. Il grimpe rapidement les échelons en intégrant le Comité central et le Bureau politique du MTLD, parti dirigé par le charismatique Messali Hadj qui prône l’indépendance totale de l’Algérie. Aït-Ahmed insiste à de nombreuses reprises auprès de la direction sur l’urgente nécessité à entreprendre une préparation militaire, seule solution devant permettre l’avènement prochain de la Révolution algérienne. Mais du côté du zaïm, chef charismatique, du MTLD, l’heure n’est pas à ces considérations, mais plutôt à la lutte dans un cadre légaliste et l’élection de députés. Ce dernier finit par céder et accepte la création d’une organisation paramilitaire, l’Organisation Spéciale (OS) dont le jeune Hocine prend la tête en 1948. Ce « dispositif de lancement de la Révolution [6] » a notamment pour objectif la préparation en toute clandestinité de la lutte armée.
6À la suite d’une crise au sein du parti portant sur les revendications d’une identité plurielle prenant en considération la berbérité de l’Algérie et non exclusivement sa dimension arabe, Aït-Ahmed est évincé de l’organisation en raison d’accusations non fondées visant à le désigner comme « berbériste », une menace pour l’unité du parti. La découverte par les autorités coloniales de l’OS en 1950 resserre l’étau sur sa personne. À l’issue de trois années de clandestinité, alors qu’il est activement recherché, il a une brève entrevue avec un responsable du parti, Ahmed Bouda, membre du Bureau politique du MTLD. Ce dernier l’informe qu’il a proposé à Messali de l’envoyer au Caire afin d’assurer sa sécurité et où il pourra s’avérer utile auprès des militants déjà présents [7]. Il embarque, déguisé en officier de marine, sur un paquebot en direction de Marseille, puis prend l’avion pour Le Caire, où il arrive le 1er mai 1952.
Le Maghreb au Caire
7 Hocine Aït-Ahmed pose la question de l’établissement de relations diplomatiques et de l’internationalisation de la question algérienne dès décembre 1948 dans un rapport adressé à la direction du MTLD . Il y développe l’idée de l’impérieuse nécessité à se créer des soutiens, de les développer, tout d’abord du côté des forces opprimées, par la constitution d’un Front révolutionnaire des peuples opprimés, « stade suprême de la solidarité internationale [8] », qui doit unir les mouvements anticolonialistes et mobiliser cette « force vitale [9] » qui les pousse à lutter pour leur indépendance. La théorie laisse désormais place à la pratique.
8L’Égypte n’est pas une terra incognita pour les Algériens. Elle attire de nombreux étudiants maghrébins venus entamer ou perfectionner leur apprentissage spirituel à la prestigieuse université de sciences islamiques d’Al Azhar. Elle constitue, à la fin des années quarante, un refuge pour les nationalistes maghrébins qui tentent d’unifier la lutte pour leurs indépendances respectives. Le Caire devient le centre de fonctionnement du Bureau du Maghreb arabe. Fondé en février 1947, à l’issue d’une résolution du Congrès du Maghreb arabe au Caire, il est chargé de coordonner l’action nationaliste maghrébine. Il regroupe le Comité de défense du Maroc, la délégation marocaine auprès de la Ligue arabe, le bureau du MTLD et le bureau du Néo-Destour [10]. Ses objectifs sont multiples : revendiquer l’indépendance totale du Maghreb, l’établissement de contacts entre les nationalistes maghrébins afin d’informer la communauté internationale sur l’évolution de la situation coloniale de ces pays et entamer un travail diplomatique auprès des capitales arabes, asiatiques ainsi qu’aux États-Unis. Le Bureau du Maghreb arabe réclame également l’envoi, par la Ligue arabe, d’une commission d’enquête dans les trois pays et demande que cette dernière serve de tribune de la lutte indépendantiste auprès d’institutions internationales [11]. En dépit de ces espoirs suscités par la perspective d’un appui de la Ligue, les aspirations des nationalistes maghrébins se heurtant aux intérêts des États arabes et à leur volonté de conserver des liens amicaux avec la France [12], les désillusions seront nombreuses. Ainsi, dès la création du Bureau, Azzam Pacha, Secrétaire général de la Ligue arabe, refuse d’aborder la question algérienne à l’ONU afin de ne pas froisser la France et avance l’argument qu’il faille se concentrer sur le dossier de la Palestine [13].
9Le Bureau est installé dans le quartier aisé de Garden City , où se côtoient ambassades et demeures luxueuses aux jardins luxuriants. Le renversement, le 23 juillet 1952, de la monarchie égyptienne, liée avec la Grande-Bretagne par un traité d’alliance, ainsi que la prise de pouvoir de Nasser s’annoncent de bon augure pour l’appui aux Maghrébins dans leurs luttes anticolonialistes. À son arrivée, Aït-Ahmed est accueilli par les principaux chefs de la délégation extérieure du MTLD ; Chaddly El Mekki et Mohamed Khider, tous deux mandatés pour représenter le Parti au Caire à l’issue de menaces d’arrestations. Le premier fut sous le coup d’un mandat d’arrêt en raison de son implication dans les évènements du 8 mai 1945, le second, député d’Alger, voit son immunité parlementaire lui être retirée à la suite de son implication indirecte au hold-up de la poste d’Oran. Un jeune étudiant de la faculté de Lettres de Dar El Ouloum, du nom de Zidoun, possédant des connaissances significatives des milieux politiques égyptiens et avec lequel il s’occupera notamment de la rédaction des textes et des correspondances en langue arabe, apporte un appui à la délégation. L’effervescence de la capitale cairote qu’Aït Ahmed découvre, émerveillé, contraste avec la solitude de la clandestinité :
« Le plus clair de cette nuit cairote, le 1er mai 1952, je l’ai passé sur le balcon de ma petite chambre d’hôtel, comme devant une découverte fantastique et une communion profonde. Les trépidations de la rue et jeux de lumière, les diatribes à hautes voix et des éclats de rire, le vacarme des klaxons, l’enchevêtrement des odeurs de toutes sortes, déferlent et montent vers les étages comme une crue du Nil. Il est vrai que se sentir enfin libre, débarrassé des réflexes de la clandestinité et délivré des relents d’insécurité les plus refoulés, je ne pouvais assez m’émerveiller devant à la fois une forme de renaissance et de co-naissance [14]. »
11La délégation algérienne s’empare d’un outil médiatique mis à sa disposition : la radio « La Voix des Arabes » permet la diffusion de la première proclamation du Front de libération nationale (FLN), à l’occasion du déclenchement de la révolution algérienne, le 1er novembre 1954, et devient une tribune dont l’audience s’étend du Maroc à l'Irak . Aït-Ahmed n’hésitera d’ailleurs pas à y lancer un appel exhortant tous les Arabes à « aider par tous les moyens l’Algérie à réaliser deux suprêmes objectifs : la liberté et l'indépendance [15] ». Aït-Ahmed élargit le champ d’opération de son action diplomatique en mettant progressivement en place une diplomatie asiatique au service du nationalisme algérien.
Une diplomatie asiatique au service du nationalisme algérien
Un périple asiatique
12 Face au redoutable arsenal [16] militaire français, le travail sur le plan diplomatique devient vital pour la poursuite de la Révolution algérienne. Il s’agit désormais d’élargir les perspectives géographiques du combat diplomatique. C'est notamment à Hocine Aït-Ahmed que revient la tâche de faire retentir la question algérienne à l'étranger, en particulier dans les pays du Tiers-monde nouvellement émancipés de la tutelle coloniale.
13C'est ainsi qu'il participe, en janvier 1953, au nom du MTLD, à une conférence socialiste asiatique à Rangoon, en Birmanie. Il y milite pour l’inscription de la question algérienne à l’ONU. Margaret Pope, journaliste britannique proche des milieux nationalistes, y représente le Maroc au sein de l’Istiqlal et Tayeb Slim la Tunisie avec Néo-Destour. Un bureau anticolonial, chargé de suivre l’avancement de la lutte à l’ONU, y est créé et les émissaires algériens obtiennent que soit mentionnée leur lutte à l’issue du communiqué final.
14Cependant, des tensions éclatent face à une reconfiguration politique ; en effet, le 1er novembre 1954 éclate la guerre d’Algérie qui voit émerger un nouvel acteur politique, le FLN. Issu d’une partition du MTLD, il entend en finir avec l’option légaliste prônée par Messali Hadj et prendre les armes face à un climat social qui s’envenime. Hocine Aït-Ahmed devient l’un des neuf « chefs historiques » de ce nouveau parti en tant que membre de la délégation extérieure du FLN. Ses prérogatives ne changent pas, mais il ne rend désormais plus compte au leader Messali.
15Suite au déclenchement de la guerre d’Algérie, il poursuit son périple asiatique, ne cessant de chercher d’éventuels alliés de la cause algérienne. En Inde, le contexte est tendu, Nehru étant réticent à appuyer la lutte algérienne en raison du caractère particulier de l’Algérie, département français. Il se rend à Djakarta afin d’assister à la conférence des « cinq puissances de Colombo », le 27 décembre 1954 à Bogor.
16Au Pakistan il rencontre le Premier ministre auprès duquel il plaide en faveur de l’appui du gouvernement à la cause algérienne [17]. Il se rend à cette occasion au Congrès de la Jeunesse musulmane de Karachi. C’est ainsi qu’il obtient de ces pays, l’assurance d’un appui matériel et financier à l’égard des indépendantistes algériens. À Colombo il fait paraître au sein du plus important quotidien anglophone, un article dans lequel il alerte sur la gravité de la situation en Algérie depuis le déclenchement de la Révolution et appelle à une coopération de l’Asie et de l’Afrique [18]. Dans le journal « The Burman » du 9 février 1955, il fait paraître une déclaration de presse lors de son voyage à Rangoon. Cette déclaration se termine ainsi : « Nous plaçons un grand espoir dans la future conférence afro-asiatique qui sera le commencement de la fin pour le colonialisme et contribuera à l’établissement d’une paix juste et durable [19]. »
Un rendez-vous incontournable, la conférence de Bandung
17 À l’issue d’un périple asiatique, il arrive en avril 1955, dans la ville indonésienne de Bandung où doit se tenir une conférence d’une grande ampleur. Réunissant vingt-neuf pays afro-asiatiques, elle représente une tribune incontournable des revendications anticoloniales. Aux côtés du chinois Chou En-Laï, de l’égyptien Gamal Abdel Nasser, de l’indien Nehru et de l’indonésien Soekarno, les Maghrébins assistent à l’événement avec le statut d’observateurs. La délégation algérienne est représentée par Aït Ahmed, la Marocaine par le leader du parti indépendantiste Istiqlal, Allal El Fassi et Salah Ben Youssef pour le Néo-Destour. Ils y présentent un mémorandum commun, symbole de l’unité maghrébine affichée. Afin de rallier les participants à la cause algérienne, Hocine Aït-Ahmed distribue des textes essentiellement tirés de la presse française, dont l’article de Claude Bourdet paru dans France observateur : « Y a-t-il une Gestapo en Algérie [20] ? »
18Une résolution en soutien du droit à l’autodétermination et à l’indépendance est adoptée à l’issue de la conférence. Elle se conclut sur un communiqué qui laisse espérer un appui à la lutte anticoloniale de la part des pays participants [21]. Aït Ahmed résume ainsi, lors d’une interview accordée à la radio « La voix des Arabes », le 29 mai 1955, l’action intensive qu’il a menée auprès des représentants asiatiques :
« La campagne que nous avons menée avait pour but l’inscription de la question algérienne à l’ordre du jour de cette conférence. Et grâce à l’appui des gouvernements, des partis politiques nationaux (…) nous avons pu tenir des dizaines de réunions populaires, même dans les campagnes les plus reculées. Par ailleurs, nous avons fait des déclarations radiodiffusées et tenu plusieurs conférences de presse. Sur le plan gouvernemental, nous avons eu des contacts avec toutes les délégations participantes à la conférence de Bandung [22]. »
20Il retourne ensuite au Caire en décembre 1955 afin de rendre compte de sa mission et établir un programme futur à entreprendre aux États-Unis, nouvel « el Dorado » diplomatique, où il se rend en mars 1956.
Les États-Unis, nouvel « El Dorado diplomatique »
Alerter l’opinion publique américaine
21 Hocine Aït Ahmed saisit la particularité du contexte de division entre les puissances alliées quant aux questions nord-africaines. Ainsi en 1956, lorsqu’il rencontre secrètement avec Ben Bella des représentants du Département d’État à Washington et Tripoli, il les met en garde : « L’attitude d’une Afrique du Nord indépendante envers l’Occident dépendra des circonstances dans lesquelles elle gagnera son indépendance [23]. » Les Américains hésitent sur l’attitude à adopter face au protectorat marocain de crainte de mettre en péril la stabilité de leurs bases qui y sont établies et craignent de mettre à mal leurs relations avec les pays arabo-asiatiques en apportant un soutien officiel à la politique coloniale française en Algérie. Il perçoit également l’avantage qu’il peut tirer de la crainte des États-Unis de voir le Maghreb embrasser la cause communiste en période de Guerre froide. Dans son rapport de décembre 1948 évoqué précédemment, il estime que l’élargissement des relations diplomatiques devra passer par l’élévation des connaissances en matière de relations internationales, qui, loin des schémas manichéens entre « gentils » d’un côté et « mauvais » de l’autre, répondra à des logiques plus complexes qu’il faut pouvoir appréhender [24]. Il s’agira donc d’analyser les rapports futurs à entretenir avec de potentiels alliés, tels que les États-Unis. Ces derniers se trouvent dans une position délicate ; ils ne peuvent se froisser avec la France, leur alliée de l’OTAN, mais ne peuvent prendre le risque de laisser les nationalistes algériens embrasser la cause communiste. La figure charismatique d’un Ho Chi Minh, héros de la « bataille de Dien Bien Phû » deux ans auparavant, résonne triomphalement au sein des militants FLN.
22Aït-Ahmed entreprend sa tournée diplomatique en ouvrant, en avril 1956, le bureau de la délégation du FLN à New York dans son appartement du 150 East à la 56e rue. Ayant appris l’anglais au British Institute, d’octobre 1953 à novembre 1954 [25], chose rare pour un « indigène », il est donc le plus qualifié pour accomplir cette mission. Dans cette tâche il est accompagné de son adjoint M’Hamed Yazid. Né à Blida en 1923, il rejoint Le Caire le 27 octobre 1954, après avoir adhéré au Front de libération nationale. Qualifié de « maître de la diplomatie [26] », il participe avec Aït-Ahmed aux conférences afro-asiatiques, se faufile auprès de potentiels alliés de la cause algérienne dans les conférences internationales, et devient ainsi « la coqueluche des cénacles et des salons libéraux de la grande métropole américaine [27] ».
23Le premier bulletin périodique d’information en anglais « Free Algeria » visant à informer la population américaine sur la situation algérienne, paraît le 3 octobre 1956. Il est envoyé à quatre mille destinataires à New York [28]. Le 7 mai 1956 il expose son point de vue concernant la question algérienne devant des personnalités américaines de l’American Committee on Africa. Son travail d’information lui permet d’obtenir l'appui de syndicats américains telles que l’AFL-CIO (dont il rencontre le dirigeant, Irving Brown [29]) qui tâche de contrer une éventuelle influence communiste en Afrique du Nord. Matthew Connelly indique à cet effet que la CIA a soutenu financièrement les nationalistes nord-africains par l’intermédiaire de l’AFL-CIO [30]. Ces syndicats ont également permis d’établir des contacts avec les diplomates américains et les journalistes. Face à cette vague médiatique qui porte l’attention sur la lutte indépendantiste, le Gouvernement français tente vainement de riposter par le biais de films de propagande visant à délégitimer l’action des nationalistes algériens, notamment par l’achat de spots publicitaires à la télévision américaine [31] ou la diffusion de films de propagande visant à démontrer la coexistence des communautés en Algérie au sein d’une même civilisation méditerranéenne [32].
L’ONU, une tribune des revendications indépendantistes
24 Ce travail de promotion intense de la lutte indépendantiste porte ses fruits outre-Atlantique. Muni d’un passeport égyptien il devient délégué du FLN auprès des Nations unies en septembre 1955. En sa qualité d’organisme ayant notamment pour but de garantir l’équilibre et la stabilité des pays, l’ONU, à travers son Conseil de sécurité, peut, en vertu de l'article 34 de sa Charte, « enquêter sur tout différend ou toute situation dont la prolongation pourrait être de nature à menacer le maintien de la paix et de la sécurité internationale [33] ». Elle est donc un canal permettant de s’insérer dans le concert des nations.
25Le Conseil de sécurité est une première fois saisi de la question algérienne le 5 janvier 1955, par une lettre du représentant permanent de l'Arabie saoudite auprès des Nations unies, exprimant ses inquiétudes « devant les tentatives françaises de destruction des valeurs morales, religieuses et culturelles de l’Algérie [34] », mais il n’y aura pas de suite, notamment en raison du manque de soutien des membres de la Ligue Arabe ne souhaitant pas remettre en cause l’affirmation de la France sur l’appartenance juridique de l’Algérie à la Nation.
26Aït-Ahmed et M’hamed Yazid assistent, le 30 septembre 1955, à la xe session de l’assemblée générale des Nations unies. Par l’intervention du chef de la délégation syrienne à l’ONU, ils sont accrédités comme membres de cette délégation, faute de représentation algérienne officielle [35]. Ils rédigent à cet effet un mémorandum dans lequel ils réaffirment le rôle de l’Assemblée qui « offrira la possibilité à tous les États membres de cette organisation de décider de l'attitude à adopter face au problème algérien et d'appliquer l'un des principes le plus important de la Charte à laquelle ils ont souscrit, celui de l'autodétermination [36] ». La question algérienne est mise à l’ordre du jour à l’initiative de quatorze pays afro-asiatiques, ce qui entraîne le retrait retentissant de la délégation française, scandalisée par ce qu’elle considère comme une ingérence au sein d’une affaire intérieure en invoquant l’article 2, paragraphe 7 de la charte des Nations unies. La France décide d’entamer une politique de la « chaise vide » tout en ne quittant pas son siège à l’ONU, ce qui aurait sérieusement compromis « leur impact au sein du concert des Nations sur les décisions prises et la perte d’une position d’influence au sein du Conseil de Sécurité [37] ».
27En avril 1956, les deux nationalistes algériens dénoncent, dans un « livre blanc » (document traitant d’une problématique permettant au lecteur de se positionner), l'utilisation par l'armée française d'équipements et d'hélicoptères de l'OTAN dans le conflit franco-algérien. Également distribué aux délégations arabes, il est « destiné à servir de base aux interventions relatives à l'Algérie qui pourraient être engagées contre la France soit au Conseil de Sécurité, soit à l'Assemblée générale des Nations unies [38] ». Ils demandent ainsi expressément l’intervention de l’ONU afin d’aboutir à un règlement pacifique du conflit algérien sur la base du droit du peuple algérien à l’autodétermination et à l’indépendance.
28Les facilités de circulation permises par l’administration américaine exaspèrent les autorités françaises. Lorsque Aït-Ahmed retourne au Caire en décembre 1955 afin de rendre compte de sa mission et « établir un programme futur à entreprendre aux USA [39] », il obtient aisément un visa à son retour aux États-Unis en avril 1956, en raison du statut de fonctionnaire qui lui a été octroyé par la délégation permanente syrienne à l’ONU [40]. Ceci entraîne les foudres de l’ambassade de France qui demande des comptes à la section française du Département d’État. Ce à quoi le Département, mis dans l’embarras, répond :
« En leur qualité d'hôtes des Nations Unies, les États-Unis pouvaient difficilement fermer leur porte aux étrangers désireux d'assister aux débats s'ils remplissaient, d'autre part, les conditions requises par les lois et règlements sur l'immigration. Bien qu'il comprît tout l'intérêt qui s'attachait à éviter la présence dans les couloirs de l'Assemblée, voire dans les rangs d'une délégation officielle qui les aurait accueillis par complaisance, d'individus dont le seul objectif était de créer l'agitation, le Département d'État ne voyait guère comment il pourrait leur refuser un visa. Si l'opinion publique et la presse s'emparaient de l'affaire, il en résulterait pour l'administration les plus sérieux ennuis [41]. »
30Cette citation est emblématique de la délicate position américaine du « juste milieu [42] », d’autant plus qu’ils ne croient pas à la fiction juridique de l’appartenance de l’Algérie à la nation française, qualifiée de « fichue absurdité [43] » par le Président Eisenhower. Si le gouvernement américain appuie la politique coloniale française, il risque de saper son influence au Moyen-Orient, en Asie et de fragiliser ses nouvelles bases au Maroc [44]. À l’inverse, ne pas soutenir son allié c’est craindre pour l’avenir des relations franco-américaines au sein de l’Alliance Atlantique [45]. Elle adopte cependant une position officielle de soutien à son allié par la fourniture d’hélicoptères [46] afin de mater la rébellion qui sévit âprement en Kabylie, dans les Aurès et le Constantinois, mais également officieuse envers les nationalistes algériens par l’appui de la CIA à travers certains syndicats.
31Le 26 juin 1956, la demande d’inscription de la question algérienne à l’ONU déposée par le groupe afro-asiatique est rejetée. Cependant c’est un échec en demi-teinte car la qualité d’affaire relevant strictement de la politique intérieure française attribuée au conflit franco-algérien est rejetée par le Conseil de sécurité.
32Les rivalités FLN/MNA se transposent sur le territoire américain. Le représentant de la délégation messaliste est Ahmed Bouhafa, qu’Aït Ahmed est « chargé de neutraliser [47]». Les représentants des deux partis algériens se livrent une bataille pour la conquête de l’espace médiatique américain. Bouhafa distribue en octobre 1955 à Washington, un « livre noir » en anglais, qui comprend un rapport portant sur les atrocités et les massacres commis par la police française en Algérie au cours des derniers mois ainsi qu’une lettre de Messali Hadj alors à Angoulême en résidence forcée, adressée au Président Eisenhower, Cependant, la résonance à l’Internationale de la lutte indépendantiste restera à l’avantage du FLN qui comptera plusieurs bureaux, au Moyen Orient (Damas, Beyrouth, Bagdad, etc.), en Asie (Djakarta, Karachi, New Delhi...), en Amérique (New York) et en Europe (Londres, Bonn, Montreux, Rome, Stockholm…).
33 Hocine Aït-Ahmed est un exemple significatif d’acteur historique non-étatique qui, par son action politico-diplomatique, a permis d’influer sur le cours des évènements de la lutte anticolonialiste, ce qu’a démontré l’étude de son parcours nationaliste. L’action diplomatique menée en amont conjointement avec M’hamed Yazid aura permis de mener le combat sur un autre terrain d’affrontement, la diplomatie internationale. Après avoir expérimenté la lutte paramilitaire au sein de l’OS, c’est désormais auprès de potentiels alliés parmi ceux que l’on appellera les « non-alignés », ainsi que dans les couloirs de l’ONU que se jouera donc également le destin de l’Algérie. Les militants FLN en Algérie appuieront leurs collègues diplomates en déclenchant la « bataille d’Alger » en avril 1957. Les atrocités de la torture commises par l’armée française ne tarderont pas à horrifier la communauté internationale. Cela fera dire à Matthew Connelly que la lutte pour la Révolution algérienne, outre le combat acharné mené dans les maquis et par la guérilla urbaine, fut de nature diplomatique. Ainsi, les meilleures « armes » des Algériens furent des rapports sur les droits de l’Homme, des conférences de presse, des congrès, qui leur permirent de livrer bataille sur le front de l’opinion mondiale et des lois internationales, bien plus que sur celui des objectifs militaires conventionnels [48].
34Mais quelques années après le début de son travail d’internationalisation de la question algérienne, Hocine Aït-Ahmed n’est plus aux commandes de la délégation FLN. Son action diplomatique est entravée par l’arraisonnement de son avion en plein vol par l’armée française, le 22 octobre 1956, alors qu’il se rend à Tunis, où il doit assister à une conférence intermaghrébine. En dépit du scepticisme qu’il émet en décembre 1948 dans son fameux rapport évoqué précédemment, à l’égard de divergences de vues des dirigeants maghrébins quant à la nature de la lutte commune à mener, il n’envisage pas la continuation du combat sans l’ouverture vers les « pays frères » du Maroc et de la Tunisie : « Un combat libérateur qui n’envisage pas tout le Maghreb comme cadre stratégique apparaît comme un suicide [49] », écrira-t-il. Il préconise ainsi la mise en place d’un État-major commun devant former un « Haut commandement maghrébin [50] » et la constitution d’OS marocaines et tunisiennes.
35Interné au Fort Liédot sur l’île d’Aix, il théorise de façon concrète l’urgente nécessité à former un gouvernement à même de représenter les intérêts algériens à l’international et de s’élever en interlocuteur légitime, afin de peser dans le concert des Nations. Il presse ses compagnons dans ce sens : « Tant que l’État algérien n’aura pas été reconnu, il sera privé de sa personnalité internationale [51]. » Il s’agit de ne plus réclamer l’indépendance, mais de la proclamer. Ce sera chose faite le 19 septembre 1958, date de la proclamation du Gouvernement Provisoire de la République Algérienne (GPRA) dont il deviendra ministre d’État en dépit de son incarcération. Consécration, le 19 décembre 1960, l’ONU reconnaît le droit de l’Algérie à l’indépendance. L’exemple algérien d’un peuple assujetti, dans un rapport de force plus que défavorable, réclamant et obtenant la reconnaissance internationale, ne tardera pas à inspirer un certain nombre de mouvements dont l’ANC de Nelson Mandela ou l’OLP de Yasser Arafat.
Notes
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[1]
Walter Benjamin, « Sur le concept d’histoire » (1940), dans Écrits français, Gallimard, 1991, p. 347, cité dans François Dosse, Le pari biographique, écrire une vie, Paris, La Découverte, 2011.
-
[2]
Hocine Aït-Ahmed, Mémoires d’un combattant, L’esprit d’indépendance 1942-1952, Paris, Éditions Sylvie Messinger, 1983.
-
[3]
Matthew Connelly, L’arme secrète du FLN, Comment de Gaulle a perdu la guerre d’Algérie, Paris, Petite Bibliothèque Payot, 2014. Traduit de l’anglais : A Diplomatic Revolution. Algeria’s Fight for Independance and the Origins of the Post-Cold War Era (New York: Oxford University Press, 2002).
-
[4]
Édifice autour duquel se structure une confrérie. Les zaouïas formaient le socle de l’enseignement traditionnel en milieu rural. Ce rôle est en désuétude dès le dernier quart du XIXe siècle. Fanny Colonna, Les instituteurs algériens, 1883-1939, Paris, Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, 1975.
-
[5]
Renaud de Rochebrune, Benjamin Stora, La guerre d’Algérie vue par les Algériens tome I- des origines à la bataille d’Alger, Paris, Éditions Denoël, 2011, p. 37.
-
[6]
Extrait d’un cahier personnel rédigé en 1964 alors qu’il est détenu en prison, Yalhane Mécili, Hocine Aït-Ahmed et l’indépendance de l’Algérie 1945-1963, sous la direction d’Annie Fourcault, Paris 1 Panthéon Sorbonne, 2005, p. 56.
-
[7]
Hocine Aït-Ahmed, Mémoires d’un combattant, op. cit., p. 209 (cf. note 2).
-
[8]
Rapport de 1948 au Comité central de Zeddine, décembre 1948, Mohamed Harbi, Les archives de la Révolution algérienne, Les Éditions Jeune Afrique, 1981, p. 44.
-
[9]
.Rapport de 1948, op. cit. (cf. note 8).
-
[10]
El Mechat, Samya, « L'improbable « Nation arabe ». La Ligue des États arabes et l'indépendance du Maghreb (1945-1956) », Vingtième Siècle. Revue d'histoire, vol. 82/2, 2004, p. 57-68.
-
[11]
Ibid.
-
[12]
À titre d’exemple, à l’issue de la requête de l’Arabie saoudite auprès du Conseil de Sécurité de l’ONU, le 5 janvier 1955, de se saisir de la question algérienne, une grande partie des membres de la Ligue arabe refusent de remettre en cause l’affirmation de la France de l’appartenance juridique de l’Algérie à sa nation. Matthew Connelly, L’arme secrète du FLN, op. cit., p. 126 (cf. note 3).
-
[13]
Matthew Connelly, ibid., p. 77.
-
[14]
Hocine Aït-Ahmed, Mémoire d’un combattant, op. cit., p. 2 (cf. note 2).
-
[15]
Archives diplomatiques de La Courneuve, 31QO/30, Notice biographique sur Hocine Aït-Ahmed actuellement représentant du FLN à New York.
-
[16]
Pierre Mendès France déploie dix bataillons d’infanterie et de gendarmes mobiles, ainsi que des régiments revenus d’Indochine, le deuxième jour du soulèvement du FLN, le 2 novembre 1954. Jean-Charles Jauffret, « L’armée et l’Algérie en 1954 », Revue Historique des Armées, n°187, juin 1992, p. 23. Cité dans Matthew Connelly, L’arme secrète du FLN, op. cit., p. 508 (cf. note 3).
-
[17]
Archives du MAE, 31QO/30, Notice biographique sur Hocine Aït-Ahmed actuellement représentant du FLN à New York.
-
[18]
Archives Diplomatiques de La Courneuve, 31QO/40, Lucien Colin ambassadeur de France au Sri Lanka au MAE, 10 avril 1955.
-
[19]
Archives militaires de Vincennes, 1H1244, Bulletin de renseignements, 23 octobre, objet : Arrestation des Chefs de la rébellion à l’extérieur.
-
[20]
Jean-Pierre Rioux et Jean-François Sirinelli, La guerre d’Algérie et les intellectuels français, Paris, Éditions Complexe, 1991, p. 275. Cité par Yalhane Mécili, Hocine Aït-Ahmed et l’indépendance de l’Algérie, op. cit., p . 75 (cf. note 6).
-
[21]
« La conférence déclare appuyer totalement le principe du droit des peuples et des nations à disposer d’eux-mêmes tel qu’il est défini dans la charte des Nations unies et prendre en considération les résolutions des Nations unies sur le droit des peuples et des nations à disposer d’eux-mêmes, qui est la condition préalable à la jouissance totale de tous les droits fondamentaux de l’Homme », Service Historique de la Défense, Vincennes, 1H2492, Communiqué final de la Conférence de Bandung.
-
[22]
Service Historique de l’Armée de Terre (SHAT), 1H1202, cité dans Yalhane Mécili, Hocine Aït-Ahmed et l’indépendance de l’Algérie, op. cit., p. 73 (cf. note 6).
-
[23]
Compte rendu de conversation Root, Bovey, Looram, Aït-Ahmed, 5 décembre 1955, USNA, RG59, Central Decimal Files, 751S.00 ; compte rendu de conversation Aït Ahmed-Bovey, 16 mai 1956. Cité dans Matthew Connelly, L’arme secrète du FLN,op. cit. (cf. note 3).
-
[24]
Rapport au Comité central de Zeddine, décembre 1948, Mohamed Harbi, Les archives de la Révolution algérienne, op. cit., p. 45 (cf. note 8).
-
[25]
Service Historique de la Défense, Vincennes, 1H1244, Fiche de renseignement sur Hocine Aït-Ahmed.
-
[26]
Historia Magazine, « La guerre d’Algérie », n° 200 (7), 1971. Cité dans Jean Boisson, Ben Bella est arrêté, le 22 octobre 1956, Chatillon, Études et recherches historiques, 1978.
-
[27]
Historia Magazine, « La guerre d’Algérie », n° 209 (16), 1972. Cité dans Jean Boisson, Ben Bella est arrêté, op. cit. (cf. note 26).
-
[28]
Service Historique de la Défense, Vincennes, 1H1244, Fiche de renseignement sur Hocine Aït-Ahmed.
-
[29]
Matthew Connelly, L’arme secrète du FLN,op. cit., p. 172 (cf. note 3).
-
[30]
American Federation of Labour and Congress of Industrial Organizations [Fédération américaine du travail & Congrès des organisations industrielles].
-
[31]
Matthew Connelly, « Les Algériens avaient gagné avec les moyens diplomatiques et la force des idées », [https://www.reporters.dz/], 5 novembre 2018 (consulté le 10 mai 2020).
-
[32]
Matthew Connelly, L’arme secrète du FLN, op. cit., p. 216 (cf. note 3).
-
[33]
Charte des Nations unies, chapitre IV : règlement pacifique des différends, article 34, [https://www.un.org/fr/sections/un-charter/chapter-vi/index.html] (consulté le 27 mai 2020).
-
[34]
El Mechat, Samya. « L'improbable « Nation arabe ». La Ligue des États arabes et l'indépendance du Maghreb (1945-1956) », op. cit. (cf. note 10).
-
[35]
Archives militaires de Vincennes, 1H1244, Fiche de renseignement sur Hocine Aït-Ahmed.
-
[36]
Hocine Aït-Ahmed et Mohammed Yazid, “Memorandum to the Delegations to the Tenth General Assembly of the United Nations: the Peaceful Settlement of the Algerian Question”, 13 octobre 1955, archives privées, cité dans Yalhane Mécili, op. cit, p. 79 (cf. note 6).
-
[37]
Archives Diplomatiques de La Courneuve, 31QO/29, MAE à la délégation française à l’ONU.
-
[38]
Archives Diplomatiques de La Courneuve, 31QO/30, Hervé Alphand au MAE, 4 mai 1956, objet : livre blanc des nationalistes algériens.
-
[39]
PV d’audition, Jean Boisson, Ben Bella est arrêté, op. cit., p. 181 (cf. note 26).
-
[40]
Mabrouk Belhocine, Le courrier Alger-Le Caire, 1954-1956, et le Congrès de la Soummam dans la Révolution, Casbah, Éditions, Alger, 2000, document n° 24 : Lettre de Khider du 15 février 1956.
-
[41]
Archives Diplomatiques de La Courneuve, 31QO/28 , Maurice Couve de Murville au Ministre des Affaires Étrangères, 26 août 1955.
-
[42]
Matthew Connelly, L’arme secrète du FLN, op. cit., p. 141 (cf. note 3).
-
[43]
Ibid., p. 202.
-
[44]
Ibid, p. 74.
-
[45]
Ibid, p. 170 (cf. note 3).
-
[46]
Dans une sorte de « rétropédalage » sous le feu de critiques émanant de l’AFL-CIO concernant cette décision, le Pentagone précisera que ces hélicoptères seraient destinés à un « usage strictement humanitaire », cité dans Matthew Connelly, L’arme secrète du FLN,op. cit., p. 141 (cf. note 3).
-
[47]
Mabrouk Belhocine, Le courrier Alger-Le Caire, 1954-1956, et le Congrès de la Soummam dans la Révolution, Alger, Casbah Éditions, 2000, document n° 24 : Lettre de Khider du 15 février 1956.
-
[48]
Matthew Connelly, op. cit, p. 11 (cf. note 3).
-
[49]
Rapport adressé au Comité central de Zeddine, décembre 1948, Mohamed Harbi, Les archives de la Révolution algérienne, op. cit, p . 24 (cf. note 8).
-
[50]
Ibid., p. 42 (cf. note 8).
-
[51]
Hocine Aït-Ahmed, La guerre et l’après-guerre, Alger, Scolie Éditions, 2013, p. 44.