Notes
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[1]
La vidéo était diffusée sur les réseaux sociaux après les attaques et a été retirée le 11 janvier par le ministre de l’Intérieur. Elle est toujours disponible en ligne.
-
[2]
Romain Badouard, « ‘Je ne suis pas Charlie’. Pluralité des prises de parole sur le web et les réseaux sociaux », dans Pierre Lefébure & Claire Sécail (dir.) Le défi Charlie. Les médias à l’épreuve des attentats, Paris, Lemieux, 2016, p. 187-220. p. 188.
-
[3]
La méthode d’analyse du discours linguistique utilisée recourt au travail de Dietrich Busse & Wolfgang Teubert, « Ist Diskurs ein sprachwissenschaftliches Objekt? Zur Methodenfrage der historischen Semantik. », dans Dietrich Busse, Fritz Hermanns, Wolfgang Teubert (dir.), Begriffsgeschichte und Diskursgeschichte. Methodenfragen und Forschungsergebnisse der historischen Semantik, Opladen 1994, p. 10-28 ; Constanze Spieß, « Diskurshandlungen. Theorie und Methode linguistischer Diskursanalyse am Beispiel der Bioethikdebatte », Sprache und Wissen, Bd. 7, 2011.
-
[4]
Jean-François Sirinelli, « L’événement-monde », Vingtième Siècle. Revue d'histoire, vol. 76, n° 4, 2002, p. 35-38.
-
[5]
Romain Badouard, « ‘Je ne suis pas Charlie’ », art. cité.
-
[6]
Jisun An, Haewoon Kwak, Yelena Mejova et al., « Are You Charlie or Ahmed? Cultural Pluralism in Charlie Hebdo Response on Twitter », dans International AAAI Conference on Web and Social Media North America, 2016, https://www.aaai.org/ocs/index.php/ICWSM/ICWSM16/paper/view/12997 [consulté le 12 nov. 2018].
-
[7]
Romain Badouard, « ‘Je ne suis pas Charlie’. » art. cité.
-
[8]
Jean-François Sirinelli, « L’événement-monde », art. cité, p. 36.
-
[9]
Frédéric Lenoir, « La France est une nation résiliente », Le Monde, 12 janvier 2015.
-
[10]
Bertrand de Saint Vincent, « Un crime contre l’esprit », Le Figaro, 8 janvier 2015.
-
[11]
Jean d’Ormesson, « Nous sommes tous les Charlie Hebdo », Le Figaro, 9 janvier 2015.
-
[12]
Gilles van Kote, « Libres, debout, ensemble » Le Monde, 9 janvier 2015.
-
[13]
Le traumatisme, dans le lexique médical, décrit un choc psychique pertinent qui a un effet à long-terme sur la victime. En tant que traumatisme collectif, il forme « une catégorie de la pathologie de la mémoire collective », Patrick Garcia, « Quelques réflexions sur la place du traumatisme collectif dans l’avènement d'une mémoire-monde », Journal français de psychiatrie, vol. 36, n° 1, 2010, p. 37-39, ici, p. 9.
-
[14]
Il existe une vidéo de revendication de Coulibaly, ainsi que les vidéos de la course-poursuite des frères Kouachi et une vidéo de l’assassinat du policier Ahmet Merabet. D’après le Narrative Rehearsal Hypothesis, la mémoire des consommateurs de médias est fortement formée par les images reproduites de façon répétée, ce qui mène à la construction d’un mémoire uniforme chez tous les spectateurs. C’est en particulier le cas pendant les événements extraordinaires comme les cataclysmes et les actes terroristes. Ulrich Neisser et al., « Remembering the Earthquake: Direct Experience vs. Hearing the News », Memory, vol. 4, no 4, 1996, p. 337-357.
-
[15]
Anne Jouan, « Cabu, ‘bouffeur’ de presse, fan de jazz et antimilitariste », Le Figaro, 8 janvier 2015.
-
[16]
Ibid.
-
[17]
« On est tous profondément touchés au cœur », interview de Christine Taubira, propos recueillis par Philippe Martinat, Le Parisien, 8 janvier 2015.
-
[18]
Originaux des articles allemands traduits par l’auteur, « Der Angriff auf Charlie Hebdo am 7. Januar in Paris und die abscheuliche Ermordung unserer Kollegen, die alle leidenschaftliche Verfechter der freien Meinungsäußerung waren, ist nicht nur ein Angriff auf die Presse- und Meinungsfreiheit. Es ist ein Angriff auf die fundamentalen Werte unserer demokratischen Gesellschaft in Europa », « Solidaritätsbrief von SZ, Guardian, El País, La Stampa, Le Monde und Gazeta Wyborcza », publiée dans Süddeutsche Zeitung, 8 janvier 2015.
-
[19]
« La presse française choquée, unie et déterminée », Libération, 9 janvier 2015.
-
[20]
Comme l’évoquent Patrick Boucheron et Mathieu Riboulet, le mot « slogan » peut être traduit de l’origine gaélique par « cri de guerre ». Cela fait également référence au lexique guerrier utilisé au cours des débats après les attentats. Patrick Boucheron, Mathieu Riboulet, Prendre dates. Paris 6 janvier-14 janvier 2015. Paris, Verdier, 2015, p. 55.
-
[21]
Cf. notamment le travail sur les prises de parole diverses par Romain Badouard, « ‘Je ne suis pas Charlie’ », art. cité.
-
[22]
Jean d’Ormesson, « Nous sommes tous », art. cité.
-
[23]
Kurt Kister, « Einig gegen die Fanatiker », SZ, 9 janvier 2015.
-
[24]
Pascal Bruckner, « Cette tragédie abominable doit nous ouvrir les yeux », Le Figaro, 8 janvier 2015.
-
[25]
Cf. la réception critique de l’hypothèse de Samuel Huntington (The Clash of Civilisations, 1996) dans Hansen, Stig Jarle, Mesoy, Atle, Kardas, Tuncay (dir.), The Borders of Islam: Exploring Huntington’s Faultlines, from Al-Andalus to the Virtual Ummah. New York, Columbia University Press, 2009.
-
[26]
Cf. les critères d’adhésion définis lors du Conseil européen à Copenhague en 1993. https://eur-lex.europa.eu/summary/glossary/accession_criteria_copenhague.html?locale=fr, [consulté le 12 nov. 2018].
-
[27]
Suite aux actions déployées par la police turque contre les manifestations de « Gezi » plusieurs chefs des gouvernements européens ont voté contre la poursuite des négociations sur l’adhésion en juin 2013. « EU delays Turkey membership talks after German pressure » BBC, 25 juin 2013, en ligne : https://www.bbc.com/news/world-europe-23044600 [consulté le 11 novembre 2018].
-
[28]
La protection des droits des minorités est un des critères d’adhésion et est surtout liée à la question de la minorité kurde. Suite à la menace de la ville kurde Kobané située à la frontière turco-syrienne par Daech en octobre 2014, les députés du Parlement européen ont appelé le gouvernement turc à aider les Unités de protection du peuple (YPG), organisation considérée comme terroriste par la Turquie. Le pays candidat devrait soutenir davantage la lutte contre Daech. Un rapport est disponible sur les Actualités du Parlement européen : « Kobané : les députés appellent la Turquie à faire davantage pour aider la ville syrienne menacée par l’EI », http://www.europarl.europa.eu/news/fr/headlines/eu-affairs/20141017STO74417/kobane-les-deputes-appellent-la-turquie-a-faire-davantage [consulté le 11 novembre 2018]
-
[29]
Cf. « Turkey Progress Report 2014 ». Les rapports concernant la Turquie sont publiés chaque année par la Commission européenne et sont disponibles en ligne : https://www.avrupa.info.tr/en/regular-reports-turkey-744, les résumés en anglais : http://europa.eu/rapid/press-release_MEMO-14-559_fr.htm [consulté le 12 novembre 2018].
-
[30]
« En ce qui regarde la Turquie, le pays est clairement loin d’une affiliation à l’UE. Un gouvernement qui bloque Twitter n’est certainement pas prêt pour une adhésion », Jean-Claude Juncker, My Foreign Policy Objectives, EPP 23 avril 2014, http://juncker.epp.eu/my-priorities [consulté le 12 nov. 2018].
-
[31]
Biard, le 13 janvier 2015 lors de la présentation du numéro 1178, vidéos disponibles en ligne sur : https://www.rtl.be/info/monde/france/le-mahomet-de-charlie-hebdo-vachement-plus-sympa-que-celui-des-tueurs-j-ai-ecrit-tout-est-pardonne-puis-j-ai-pleure--691450.aspx [consulté le 12 nov. 2018].
-
[32]
Markus Dressler, « Erdoğan und die ‘fromme Generation’ – Religion und Politik in der Türkei », Apuz, n° 9-10, 2017, p. 23-29, ici p. 29.
-
[33]
Cf. l’article dans Cumhuriyet, http://www.cumhuriyet.com.tr/haber/turkiye/523818/Cetinkaya_ve_Karan_a_2_ser_yil_hapis..._Salonda_tekbir_sesleri.html [consulté le 12 nov. 2018].
-
[34]
En août 2018, le rédacteur en chef de Cumhuriyet, Oguz Güven, est condamné à une peine de cinq ans, sursis avec mise à l’épreuve, pour la publication en ligne des caricatures suivant la condamnation de Ceyda Karan et Hikmet Çetinkaya. Cf. l’article dans Sabah (en turc) https://www.sabah.com.tr/gundem/2018/08/01/oguz-guvene-hz-muhammede-hakaretten-5-ay-hapis-cezasi [consulté le 12 nov. 2018].
-
[35]
« Der ‘Charlie-Test’ der Türkei: Der Streit um die Mohammed-Karikaturen zeigt, wie schlecht es um die Pressefreiheit in der Türkei steht. […] Es lohnt sich, den Charlie-Test genau zu beobachten. Sein Ausgang könnte das Ende der ohnehin schon angeschlagenen Pressefreiheit besiegeln […] », Cengiz Aktar, « Der Charlie-Test der Türkei » SZ, 23 janvier 2015.
-
[36]
Cengiz Aktar, « Sein Ausgang könnte das Ende der ohnehin schon angeschlagenen Pressefreiheit besiegeln – in einem der letzten muslimischen Länder, in denen es sie, mit Einschränkungen, noch gibt », SZ, 23 janvier 2015.
-
[37]
Ibid.
-
[38]
Ibid.
-
[39]
Il s’agit de l’arrestation des journalistes de Zaman, journal proche du mouvement Gülen, le 14 décembre 2014. Entre autres le rédacteur en chef Ekrem Dumanlı et le directeur général du groupe de radio Samanyolu Hidayet Karaca. Ce dernier a été condamné à 31 ans de prison en novembre 2017.
-
[40]
https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=CELEX%3A52015IP0014, [consulté le 12 nov. 2018]. Dans le texte sont nommés les journalistes concernés par les arrestations, le contrôle judiciaire et les menaces.
-
[41]
« Der türkische Regierungschef Ahmet Davutoğlu hat bei einem Treffen mit EU-Ratspräsident Donald Tusk in Brüssel bekräftigt, dass er an dem Ziel eines EU- Beitritts seines Landes festhält. […] Der Beitritt solle so bald wie möglich erfolgen. Einen Termin nannte allerdings keiner der beiden. Tusk sagte, es gebe Unterschiede in der Bewertung der Cartoons, die die Satirezeitschrift Charlie Hebdo veröffentlichte ». Luisa Seeling, « Davutoglu wirbt in Brüssel für Türkei-Beitritt », SZ, 15 janvier 2015.
-
[42]
« Les journalistes turcs, ces héros », Le Monde, 11 mai 2016.
1Le matin du 7 janvier 2015 vers onze heures, quand la majorité de la rédaction du journal Charlie Hebdo se trouve dans les locaux de la rue Nicolas Appert dans le 11e arrondissement de Paris, deux hommes armés pénètrent le bâtiment et tuent onze membres de l’équipe. Pendant leur fuite, ils abattent un policier dans la rue et s’enfuient dans une voiture vers le nord de Paris. Les deux frères Kouachi, qui se revendiquent d’Al-Quaida du Yémen, sont tués par la police deux jours plus tard dans une imprimerie à Dammartin-en-Goëlle où ils se cachaient après l’attentat. Les 8 et 9 janvier, Ahmed Coulibaly, qui se réclame de Daech, assassine une policière à Montrouge et attaque un magasin Hyper Cacher près de la Porte de Vincennes. Quatre personnes sont assassinées pendant la prise d’otages dans le magasin juif. Coulibaly est finalement abattu par la police. Dans une vidéo, Coulibaly admet avoir travaillé avec les frères Kouachi et qu’ils auraient divisé le travail pour « que ça ait plus d’impact » lors des attentats [1].
2Non seulement l’assassinat de 17 personnes, mais aussi et surtout la représentation des événements, a un impact majeur à plusieurs niveaux. C’est l’interprétation par la presse française d’un traumatisme collectif qui sert de point de départ à une discussion transnationale. Les attentats contre Charlie Hebdo jouent un rôle particulier surtout dans le contexte politique des relations euro-turques qui se sont intensifiées fin 2014 et début 2015 en raison des négociations sur l’adhésion turque à l’Union européenne. L’impact des attentats devient, à travers la presse, perceptible dans les relations internationales. Charlie Hebdo se transforme en mot-clé pendant la procédure d’adhésion de la Turquie à l’UE. Il s’agit d’une transformation liée à la représentation des attentats en tant qu’attaque contre la liberté de la presse. Pour pouvoir retracer comment se développe l’image d’un traumatisme collectif à partir de cette représentation, se pose d’abord la question de savoir comment ces événements sont présentés dans les débats publics. Si Charlie Hebdo sert de mot-dièse dans le contexte des relations internationales entre la Turquie et l’UE, ce sont ces représentations qui résonnent et qui forment le discours politique. Il s’agit dans cette analyse d’examiner dans un premier temps les différentes interprétations des attentats dans les espaces publics européens. Ensuite, nous verrons, en tenant compte des relations historiques euro-turques, les réactions turques aux attaques, pour analyser dans un troisième temps les répercussions sur le discours européen.
3En ce qui concerne les réactions immédiates qui sont liées au mot-dièse « Je suis Charlie » qui devient viral le 7 janvier, ce sont les prises de parole sur le web et dans les réseaux sociaux comme Twitter et Facebook qui sont les plus visibles. Ils marquent par leur pluralité le début d’une unanimité discordante sur le sujet. Cette unanimité est reprise par les journalistes de presse dès le 8 janvier. Les journaux analysent, débattent et représentent ces voix discordantes. Leur rapport à l’événement est constructiviste dans la mesure où la couverture médiatique d’un événement donne aux lecteurs une grille d’interprétation. [2] Les textes influent sur les lecteurs, évoquent des cadres de références par le lexique, les arguments et les métaphores dont ils se servent [3]. Pour illustrer les représentations et les images les plus visibles et en conséquence les plus pertinentes, nous avons choisi de regarder des journaux de fort tirage suprarégionaux s’adressant à un large public francophone et germanophone. Le corpus consiste en tous les articles sur les attentats de Charlie Hebdo dans la période du 7 janvier 2015 au 8 janvier 2017. Il s’agit de rendre visible le panorama des arguments et positions les plus répandus et montrer une image représentative et qualitative au lieu de reproduire une représentation des toutes les perspectives. En France, nous avons choisi les articles de Charlie Hebdo, Le Monde, Le Figaro, Libération et Le Parisien, en Allemagne, ce sont la Frankfurter Allgemeine Zeitung, Süddeutsche Zeitung, Die Zeit, Rundschau et Bild. Les sources citées dans ce travail présentent un condensé issu d’un corpus de plus de 1 200 articles, qui rassemble tout le débat sur la liberté de la presse après les attaques contre Charlie Hebdo. Nous nous focaliserons ici sur les débats qui relèvent d’une portée internationale quant aux relations entre l’UE et la Turquie.
Le traumatisme : identification et solidarité internationale
4Les réactions publiques aux attaques terroristes sont immédiates, l’information est disponible presque en direct, sur le web et à travers les mots-dièse sur Twitter et Facebook. Les agences de presse françaises et internationales publient successivement les informations en ligne, que plusieurs journaux français reprennent en direct au cours du 7 janvier. On trouve une couverture médiatique instantanée qui laisse penser à la diffusion quasi immédiate des événements du 11 septembre 2001 aux États Unis [4]. À Paris et à l’échelle mondiale, la discussion mène très vite à l’interprétation des attentats. La solidarité s’étend du mot-dièse #JesuisCharlie, tweeté plus de 3 millions de fois le jour même, jusqu’aux manifestations dites « marches républicaines » des 10 et 11 janvier partout en France [5]. Relativement vite se forme un autre camp, nettement plus petit, qui se déclare « ne pas être Charlie » et qui nie s’identifier avec le journal et les victimes pour des raisons diverses [6]. En dépit de cette critique très visible, la majorité du web francophone et les espaces publics francophones sur les réseaux sociaux se déclare solidaire avec Charlie Hebdo [7].
5Certes, il est évident que la portée de ce traumatisme doit être mise en perspective pour pourvoir l’historiciser. Seul un recul temporel nous permettra cette contextualisation. Néanmoins il importe d’analyser non pas les attaques mais les réactions et les débats déclenchés, car on peut juger, en vue de l’énorme portée du débat, que « l’écho immédiat de cette tragédie a été en lui-même un événement » [8]. Ce sont ces réactions qui ont construit une image de Charlie Hebdo visible pendant les débats politiques en relations internationales. C’est la raison pour laquelle il nous semble décisif de précisément faire la différence entre les attentats d’un part et la couverture médiatique d’autre part comme objet de l’analyse. Le décalage temporel joue donc un rôle important dans la mesure où c’est la presse imprimée qui construit ces représentations par les articles publiés, en donnant une tribune aux acteurs divers. Les réactions en direct représentent donc le spectre de toutes les positionnements immédiats, des voix discordantes, solidaires et critiques. Or, en ce qui concerne la presse imprimée, la réaction chez les journalistes après que l’information sur les attentats devient publique est néanmoins claire. Dans la presse, il se répand très vite l’idée d’avoir subi un choc qui touche à l’ensemble du peuple français :
- « La France vient sans doute de vivre l’un de ses plus puissants traumatismes depuis la Seconde Guerre mondiale. À travers l’assassinat de toute une rédaction de presse, c’est une de nos valeurs les plus chèrement acquises qu’on a voulu abattre : la liberté d’expression » [9].
7Il s’agit de souligner l’immense portée émotionnelle de l’événement et de créer un « nous ». Dans la presse française, qui joue le rôle constructeur du discours public après les attaques, il s’est, à travers ces actes brutaux, formé une entité collective :
- « Leur [des victimes] assassinat est un affront, un crime contre l’esprit, une atteinte à l’histoire de France. Comme leurs familles, auxquelles nous pensons avec émotion, nous sommes orphelins » [10].
- « La sauvagerie, cette fois, nous frappe au cœur. […] La guerre est parmi nous. Chacun de nous désormais, sur les marchés, dans les transports, au spectacle, à son travail, est un soldat désarmé » [11].
9Ces extraits de deux articles différents du Figaro illustrent plusieurs aspects qui sont largement présents dans les débats. D’une part, il s’agit de créer un lien entre deux groupes, les lecteurs et les victimes. Les victimes qui sont présentées comme faisant partie de l’histoire de la France ont presque un lien de parenté avec l’auteur du texte qui se sent désormais « orphelin », donc malheureux comme quelqu’un qui a perdu ses parents ou un être cher, quelqu’un privé de protection. D’autre part, dans le texte qui date du lendemain des attentats, l’auteur évoque le groupe désigné par « nous ». Cette fois-ci il s’agit d’un groupe qui continue à vivre la vie quotidienne avec un changement majeur. Si l’auteur du premier texte se concentrait sur le côté tragique et triste des attentats, le deuxième utilise un vocabulaire qui mélange le quotidien avec l’extraordinaire de la guerre. Non seulement il y a d’un côté les victimes qu’on peut pleurer mais le danger de mort s’est en plus encore élargi, et il s’est formé un groupe qui se trouve menacé dans leur quotidien.
10Cette description de la situation évoque chez le lecteur donc plusieurs émotions surtout négatives. D’abord, le sentiment d’affiliation à un groupe – qui est plutôt positif en général – et ensuite l’émotion liée à la perte d’un parent et d’être exposé, de même que de vivre son quotidien dans un danger perpétuel sans pouvoir se défendre. On retrouve cette dynamique répandue dans la majorité les journaux analysés.
- Chaque semaine, armée de ses seuls crayons, elle [l’équipe de CH] continuait son combat pour la liberté de penser et de s’exprimer. Certains ne cachaient pas leur peur, mais tous la surmontaient. Soldats de la liberté, de notre liberté, ils en sont morts. Morts pour des dessins [12] ».
12Il s’agit d’une image qui décrit les journalistes comme les « soldats », le lexique de la guerre est lié à la sidération en vue de la démesure des représailles usées. Mourir « pour des dessins » devient un acte de guerre, et, par conséquent, dessiner est considéré comme acte martial. C’est dans cette perspective que, dans l’exemple (c) l’auteur annonce que « chacun de nous désormais […] est un soldat désarmé ». Cette image renvoie au danger de mort que court la population par son mode de vie quotidien. Le « soldat désarmé » se trouve dans une situation angoissante, sans issue, et éprouve une émotion de terreur. L’auteur construit une analogie entre les attentats contre le journal et une situation de guerre. L’image du soldat désarmé évoque l’idée d’un violent choc émotionnel qui causerait chez le lecteur, chez le « nous » décrit, une transformation fondamentale. Les attentats seraient la cause de ce choc partagé par un « nous » virtuel. Il s’agit d’après ces textes et dans la perception publique, d’un traumatisme collectif [13]. La référence au traumatisme de la Seconde Guerre mondiale inscrit le choc de janvier 2015 dans un contexte historique et introduit dès le début du texte le champs sémantique guerrier en proposant ce cadre référentiel. Le traumatisme des victimes qu’est la perte personnelle de proches, des familles n’est pas directement en question ; ces émotions sont projetées sur l’échelle nationale voire internationale par le fait qu’elles sont publiées dans les journaux suprarégionaux. Le traumatisme consiste de manière fondamentale dans la brutalité déployée par les assassins et ce traumatisme est encore augmenté par le fait que la brutalité se porte partiellement sur des journalistes. Le fait qu’une telle brutalité soit déployée au centre de Paris touche à la population parisienne, la médiatisation de l’acte terroriste par les images et les vidéos créé des images pertinentes et en fait un événement qui s’imprègne dans le mémoire du public [14].
13Ces journalistes jouent deux rôles dans la perception. D’une part, ce sont des personnes connues en France et appréciées par beaucoup de journalistes français, surtout dans le cas des caricaturistes plus âgés, du fait de leur présence médiatique durant des dizaines d’années. Dans les débats dans la presse française se trouve une appréciation très émotionnelle des morts : cela reflète à quel point les journalistes ont été formés par la présence de Charlie Hebdo. Certes, tous ne partageaient pas leurs avis, mais on observe dans ces réactions émotionnelles la manifestation d’une structure homogène, majoritairement parisienne, des journalistes. Plusieurs textes où les auteurs évoquent leurs relations avec la rédaction de Charlie Hebdo témoignent des liens personnels entres les acteurs au-delà de la solidarité professionnelle entre journalistes [15]. Les liens de parenté sont créés dans le deuil et les notices nécrologiques : « Cabu, c’était mon deuxième père » [16].
14D’autre part, ils incarnent en tant que journalistes caricaturistes la liberté de la presse, décrite dans les articles comme une « valeur » des sociétés démocratiques, l’interprétation la plus répandue dans les débats :
- « Ce n’est pas une attaque contre la République abstraite ni contre la démocratie théorique, c’est une attaque contre ce que la République et la démocratie représentent concrètement dans le quotidien : la liberté d’expression, la liberté de la presse, la liberté de croire ou de ne pas croire, de se moquer, d’exprimer librement ses convictions. C’est vraiment cela qui est attaqué. On tue les gens qui incarnent cette liberté-là » [17].
16Dans cette perspective constructiviste, le traumatisme produit le « nous », cet ensemble virtuel affecté par les attaques. On trouve des interprétations semblables qui touchent à l’émotion non seulement en France, mais aussi au plan international. En Allemagne et dans d’autres pays sont publiés les textes qui déclarent la solidarité avec les victimes et qui soulignent ce que les journalistes représentent. Par d’autres journalistes, leur métier est mis en avant afin de proposer une grille d’interprétation des événements :
- « L’attaque du 7 janvier contre Charlie Hebdo à Paris et l’atroce assassinat de nos collègues, qui étaient tous les défenseurs passionnés de la liberté d’expression, n’est pas seulement une attaque contre la liberté de la presse et de l’opinion. Il s’agit d’une attaque contre les valeurs fondamentales de notre société démocratique en Europe » [18].
18Cette lettre est publiée le 8 janvier dans plusieurs journaux en Allemagne, en Angleterre, en Espagne, en France ainsi qu’en Pologne et montre sur le plan international européen la perspective des journaux et des rédacteurs, qui se solidarisent et interprètent la liberté de presse comme une caractéristique des « valeurs démocratiques ». En France, un communiqué comparable est publié la veille par les éditeurs de presse français :
- « En s’en prenant à une rédaction, les auteurs de cet acte particulièrement odieux ont visé la liberté de la presse. Ils s’attaquent ainsi à la liberté d’expression et à la démocratie, valeurs républicaines fondamentales partagées par tous » [19].
20Ce qui frappe, c’est la construction d’un groupe directement lié à ce traumatisme, une collectivité définie par des caractéristiques parfois bien précises qui non seulement se solidarise mais qui également s’identifie directement avec les victimes comme le montrent les réactions nombreuses qui utilisent la formule « Je suis Charlie ». Ce slogan [20] d’identité assignée devient énormément populaire sur les réseaux sociaux, notamment sur Twitter, et suscite aussi des rejets qui s’expriment par les différentes identifications [21]. D’autres positions vont plus loin : au-delà d’une identification, on attribue des caractéristiques : « Nous avions des adversaires. Désormais, nous avons un ennemi » [22].
- « Le Süddeutsche Zeitung n‘est pas Charlie Hebdo – mais néanmoins nous sommes aussi Charlie Hebdo. Nous savons que beaucoup de journaux et lecteurs en Allemagne, en Europe et ailleurs dans le monde pensent tous que nous ne pouvons vivre ensemble qu‘en défendant le magnifique droit de la liberté d’opinion. Les fanatiques ont ouvert le feu sur ce droit qui est menacé par des zélateurs de tous bords. Pourtant, on dit : on ne passe pas, ils ne passeront pas » [23].
22La profession de foi en faveur de la liberté de la presse est le leitmotiv de ces discussions. La solidarité se transpose à travers ce concept évoqué comme base commune d’identification. La reproduction des caricatures du prophète par d’autres journaux sert à montrer la fraternité. La définition du « nous » prend forme à travers la notion de la liberté de la presse. Il se construit donc une forme de division en deux groupes, le « nous », ceux qui publient les caricatures – les traumatisés, les adhérents à la liberté de la presse – et les autres, ceux qui ne sont pas traumatisés, qui ne sont pas Charlie et par conséquent, ne font pas partie du groupe. Ce découpage s’étend même à un niveau géographique concret : « […] avec ces assassinats de sang-froid, nous avons franchi une étape supplémentaire dans la guerre que l’islamisme radical mène contre l’Occident » [24]. C’est une image de dichotomie entre « l’Occident » et « l’Islamisme » souvent utilisée dont se sert ici le romancier Pascal Bruckner pour souligner sa position politique. Il inscrit les événements autour de Charlie Hebdo dans le contexte d’un débat sur l’histoire migratoire de la France et un conflit politique. L’évocation d’un front entre l’islamisme et l’Occident reprend l’image du choc des civilisations répandue largement après le 11 septembre 2001 et propagée non seulement dans le contexte des guerres au Moyen-Orient mais également dans les débats autour des mouvements de migration au xxie siècle. La reprise de cette image renforce une définition réductrice des relations internationales ; la vision du monde est réduite à un front belliqueux entre « l’Occident » et « l’Orient », une image schématique fondamentalement contestée depuis les années 1990 [25]. Comme cette division simplifiée fait partie d’une dynamique mondiale plus large et souvent n’est pas aussi schématique que ces citations le suggèrent, il s’agit de regarder de plus près le fonctionnement des formes de solidarité sur le plan international.
Solidarité et liberté de la presse en Turquie : « Her Şey Affedildi »
23Début 2015, le gouvernement turc mène des négociations concernant l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne. Le pays, dont l’histoire reflète une relation incertaine avec l’Europe centrale depuis sa création en 1923, est officiellement candidate depuis 1999. La république de Turquie, membre de l’ONU depuis 1945 et de l’OTAN depuis 1952, a posé sa candidature à la Communauté européenne (CEE) en 1959 et y est formellement associée en 1963, profitant depuis 1996 d’un accord douanier avec l’UE. En 1999, le Conseil européen accorde à la Turquie le statut officiel de candidat à l’adhésion, ce qui déclenche dans les années suivantes, notamment à partir de 2001, plus de 34 changements à la constitution et 148 changements à la législation turque, répondant ainsi partiellement aux exigences européennes [26].
24Sous le Parti de la Justice et du développement (AKP), au pouvoir depuis 2002, la Turquie commence officiellement les négociations avec l’UE le 3 octobre 2005 ; une adhésion rapide en étant le but principal. Différentes questions, par exemple sur le statut de Chypre, l’économie et la politique économique du pays, la question kurde, la géopolitique moyen-orientale, l’unité et la rivalité religieuse en Turquie, etc., relèvent de problématiques diverses à négocier. Cela devient notamment évident pendant les mouvements protestataires en 2013, manifestations nommé « Gezi » d’après le parc stambouliote où elles se déroulent. [27] C’est également à l’occasion de plusieurs conflits avec les soldats kurdes à la frontière turco-syrienne en 2014 que les réactions des représentants de l’UE lient leurs critiques envers le gouvernement turc directement à la question de l’adhésion [28]. Erdoğan, jusqu’alors premier ministre du pays, est élu président en août 2014 avec la majorité absolue de 51,8 %. L’AKP aborde la question kurde avec une perspective libérale et fait progresser la situation de cette minorité en Turquie par les moyens légaux. Grâce à ces progrès, la Commission européenne constate une situation politique qui permettraient de continuer le dialogue [29]. Or, le président de la Commission Jean-Claude Juncker s’était prononcé très défavorablement à l’élargissement, liant la non-compatibilité turque à l’EU directement au fait que le gouvernement avait bloqué Twitter pour tout le pays avant les élections municipales en mars 2014 [30]. La question de savoir si la Turquie pourrait faire partie de l’UE touche explicitement à des questions politiques, économiques, culturelles et souvent aussi à la question des droits politiques, notamment lié au fonctionnement démocratique. La liberté d’opinion et de communication font partie des aspects pris en compte lors du processus de la prise de décision sur l’adhésion.
25C’est dans ce contexte que le journal Cumhuriyet se montre solidaire avec Charlie Hebdo en publiant la Une et quatre pages traduites en turc dans l’édition du 14 janvier du numéro post-attentat de Charlie Hebdo ; deux journalistes mettent la vignette de la couverture de Charlie dans leurs colonnes. Cumhuriyet est un des deux journaux qui sont autorisés par l’hebdomadaire à traduire et à imprimer ces pages – l’autre journal est Il Fatto Quotidiano italien. Le rédacteur en chef de Charlie, Gérard Biard, explique cette particularité pendant une conférence de presse en présentant le nouveau numéro 1178 de Charlie :
- « […] je dirais que s’il n’y avait qu’une seule traduction, qu’un seul journal avec lequel on aurait travaillé c’est celui-là, c’est Cumhuriyet, en Turquie, parce qu’aujourd’hui la Turquie vit un moment difficile et la laïcité est attaquée. Et là, dans l’événement qu’on est en train de vivre, c’est la laïcité qui est attaquée » [31].
27Dans la perspective de Biard, Charlie et Cumhuriyet sont des alliés dans la mesure où le terrorisme en France et la situation en Turquie représentent la même problématique, l’attaque contre la laïcité. Cette manière de penser se fonde sur l’idée que, si la France est un pays laïc, c’est aussi le cas pour la Turquie. La laïcité fait partie des principes fondateurs de la République de Turquie. Le propos de Biard fait référence à l’histoire turque et la configuration du système républicain. Après la proclamation de la République en 1923 et l’entrée en vigueur de la constitution de 1924 qui garantit la liberté de la religion et qui abolit la censure préventive, plusieurs réformes transforment successivement la relation entre l’espace public turc et la religion. C’est donc dès le début de l’histoire de la république que le gouvernement intègre la séparation de l’État et la religion dans l’identité du régime politique turc. La laïcité, un des six principes du kémalisme, s’incorpore d’abord dans le Diyanet İşleri Başkanlığı (Présidence des Affaires religieuses) qui est fondé en 1924 pour l’administration publique et non-politique de la religion et qui dépossède l’autorité du Cheikh al-Islam, jusqu’à lors plus haute autorité religieuse de l’État. La séparation de la religion et de l’État fait partie de la constitution turque depuis 1937. Or, le Diyanet exerce jusqu’à aujourd’hui le pouvoir sur toute affaire religieuse dans la sphère publique mais – et cela constitue la particularité de la laïcité turque – est placé sous le contrôle du Premier Ministre. Au début du xxe siècle et après l’abolition du sultanat ottoman, la laïcité représentait un principe d’État républicain et la surveillance du pouvoir religieux par le gouvernement impliquait l’appropriation d’une très grande autorité. Il s’agit donc d’un mécanisme de contrôle exercé par un gouvernement républicain pour pourvoir garantir la liberté de religion. Cette logique de démocratisation « forcée » par Atatürk est un sujet souvent critiqué, avec un parallèle fait entre Mustafa Kemal et Erdoğan [32]. Ce système de contrôle repose sur plusieurs conditions précises, la principale étant l’existence d’un gouvernement qui agit en fonction des idées kémalistes, notamment de la laïcité. Dans le cas où un gouvernement non-séculaire serait au pouvoir et risquerait d’abuser du Diyanet pour installer une religion d’État, un deuxième mécanisme de contrôle, à savoir l’armée turque, entrerait en action et renverserait le gouvernement. C’est dans cette dynamique que les coups d’État et les interventions militaires en 1960, 1971, 1980 et 1997 se sont déroulés.
28 Dans l’histoire turque, la séparation des pouvoirs qui garantit le fonctionnement des différentes institutions est étroitement liée au concept kémaliste. Cela explique à quel point l’interaction entre les différents organes dépend du respect des idées fondamentales de la république. Les analogies entre la presse turque et française suggéré par Biard s’appuient sur cette conception. L’atteinte à la laïcité et la restriction de la liberté de la presse pour des raisons religieuses représentent donc des attaques aux principes républicains de la Turquie et sont conséquemment critiqués par Gérard Biard qui y lit un parallèle entre la France et la Turquie. Quand Charlie Hebdo est attaqué en janvier 2015, les journalistes du quotidien Cumhuriyet, fondé en 1924, se solidarisent avec le journal et produisent une traduction du numéro 1178. Le prophète Mahomet dessiné par Luz tient dans ses mains un panneau déclarant « Ben Charlie’yim », il s’identifie avec Charlie en turc, une larme à l’œil. On lit au-dessus de sa tête la traduction de la phrase connue : « Her şey affedildi » – tout est pardonné. Quatre pages traduites apparaissent dans le hors-série du 14 janvier sans reproduction de la couverture qui montre la caricature du prophète. Le fac-similé, pourtant, se retrouve imprimé dans les deux colonnes de Ceyda Karan et Hikmet Çetinkaya à l’intérieur du journal.
29Après l’annonce de la publication turque prévue pour le lendemain du 13 janvier lors d’une conférence de presse à Paris, les autorités turques réagissent. La nuit du 13 au 14, les policiers sont déployés à Istanbul et Ankara devant les rédactions, le camion de l’imprimerie à Istanbul est arrêté et le journal est fouillé à la recherche des images de Mahomet. Comme les policiers ne trouvent pas la couverture qui montre le prophète, ils laissent passer le camion et l’édition apparait le matin du 14 janvier en même temps que Charlie Hebdo publie le numéro vert en France.
30En Turquie, la reproduction ne reste pas sans conséquence : le tribunal de Diyarbakır interdit la diffusion des images sur internet et des manifestations contre le journal se déroulent devant la rédaction à Ankara. Si Cumhuriyet est le seul journal à diffuser les images de Charlie Hebdo, il n’empêche que d’autres journaux se solidarisent en ligne par la reproduction du panneau noir et blanc « Je suis Charlie ». En avril 2016, Ceyda Karan et Hikmet Çetinkaya sont condamnés à deux ans de prison [33]. Ils sont jugés coupable pour avoir incité, par la reproduction de la couverture, à la haine et l’hostilité. Ils sont relaxés de l’accusation d’insulte aux valeurs religieuses [34]. Le gouvernement turc condamne officiellement les attaques contre Charlie Hebdo, le premier ministre Ahmet Davutoğlu est présent à la marche républicaine à Paris le 11 janvier avant de voyager en Allemagne et à Bruxelles pour des rencontres relatives à l’adhésion turque à l’UE. Les réactions françaises et allemandes à l’atteinte à la liberté de la presse en Turquie sont diverses et cherchent à expliquer la situation. Une structure d’argumentation se répand rapidement, il s’agit de l’émergence du « Charlie-Test », un motif qui semble révélateur de la politique culturelle européenne.
Les relations euro-turques et Charlie
31L’adhésion est au premier plan de la politique étrangère turque en janvier 2015. Dans le contexte des attentats contre Charlie Hebdo et la réception en Turquie de ces événements, il se produit un motif qu’on peut résumer sous le terme « test Charlie », un terme employé par des journalistes allemands :
- « Le ‘test Charlie‘ de la Turquie : la dispute sur les caricatures de Mahomet montre à quel point la liberté de la presse est menacée en Turquie. Il vaut le coup d’observer le ‘test Charlie‘ de près. Son résultat pourrait sceller la fin de la liberté de la presse déjà ébranlée » [35].
33Il s’agit pour le journaliste Cengiz Aktar d’un test décisif sur la situation de la liberté de la presse turque. Le pays serait, suite aux attentats et suite au traitement du journal Cumhuriyet par les autorités, en train d’échouer au test dont le résultat le classerait parmi les « pays musulmans » [36] sans liberté de la presse. Aktar évoque dans son article non seulement les réactions négatives qu’a eu la diplomatie turque après les dessins de presse danois en 2005, mais également les réactions actuelles du gouvernement qui juge les caricatures du prophète « provocatrices » [37]. Lié directement par Aktar à une résolution du Parlement européen prise le 15 janvier 2015 [38], la situation de la liberté de la presse en Turquie devient, par le « test Charlie », un aspect concret dans le discours public sur les relations euro-turques. La résolution du Parlement européen n’évoque pas les répressions envers Cumhuriyet mais envers d’autres journaux pendant les derniers mois de 2014 [39]. La critique s’adresse au gouvernement turc et demande non seulement l’examen des cas de plusieurs journalistes emprisonnés mais « souligne l’importance de la liberté de la presse et du respect des valeurs démocratiques aux fins du processus d’élargissement de l’Union […] » [40]. Il s’agit d’un moyen d’exercer une pression sur la Turquie, dont la régression quant aux droits de l’homme fait évidemment partie des considérations du Parlement européen avant même les événements autour de Charlie. Or, c’est sous le « test Charlie », – donc à travers le traumatisme collectif – que les relations euro-turques sont évaluées dans les débats publics. Cette dynamique est reprise dans la couverture du voyage de Davutoğlu en Europe :
- « La tête du gouvernement turc Ahmet Davutoğlu a affirmé son attachement au but de l’adhésion turque à l’Union Européenne lors d’une rencontre avec le président du conseil européen Donald Tusk à Bruxelles. L’adhésion devrait se réaliser le plus tôt possible. Pourtant, aucun des deux n’a annoncé une date précise. Tusk a dit qu’il y avait des différences concernant l’évaluation des caricatures publiées par le journal satirique Charlie Hebdo » [41].
35Il s’agit d’une simplification des interprétations qui se fondent sur la censure des caricatures, déniant par ce biais une « identité européenne » au pays riverain. Une tendance comparable se retrouve également en France :
- « Les membres de l’UE ont de multiples – et bonnes – raisons de négocier avec la Turquie. Mais passer par pertes et profits la liberté de la presse est lamentable et contre-productif. Les valeurs européennes ainsi que les journalistes turcs qui tentent courageusement de faire leur métier méritent mieux que ça » [42].
37Comme le montrent ces exemples, un lien causal est créé entre la liberté de reproduire les caricatures et la question de savoir si la Turquie pourrait faire partie de l’Europe. L’évaluation des caricatures est étroitement liée aux négociations politiques. Le traumatisme et, par conséquent, la question de la solidarisation sont des facteurs de tension entre les pays. La représentation de la Turquie comme politiquement incompatible avec l’UE se fonde sur l’idée que la liberté de la presse est une caractéristique européenne essentielle. Dans cette logique, elle se manifeste lors du positionnement face aux attentats contre Charlie Hebdo. La liberté de la presse, à travers les attentats contre le journal, devient ainsi un critère d’appartenance à un espace cognitif. Le sujet est politisé et mène à des tensions entre les acteurs. Ces situations peuvent, dans certains contextes, se manifester par des exigences symboliques, voire des exigences et accusations concrètes. Le vocabulaire d’un contexte militaire et une langue explicitement émotionnelle construisent des représentations d’identité et d’altérité qui se manifestent ensuite dans des décisions politiques.
Bibliographie
Sources imprimées
Articles du journal Le Monde
- « Libres, débout, ensemble » 9 janvier 2015
- « La France est une nation résiliente », 12 janvier 2015
- « Un journal turc prend le risque de publier les caricatures de Charlie Hebdo », 14 janvier 2015
- « Les journalistes turcs, ces héros », 11 mai 2016
Articles du journal Le Figaro
- « Un crime contre l’esprit », 8 janvier 2015
- « Cette tragédie abominable doit nous ouvrir les yeux », 9 janvier 2015
- « Nous sommes tous les Charlie Hebdo », 9 janvier 2015
Article du journal Libération
- « La presse française choquée, unie et déterminée », 9 janvier 2015
Article du journal Le Parisien
- « On est tous profondément touchés au cœur », 8 janvier 2015
Articles du journal Süddeutsche Zeitung
- « Einig gegen die Fanatiker », 9 janvier 2015
- « Davutoglu wirbt in Brüssel für Türkei-Beitritt », 15 janvier 2015
- « Der Charlie-Test der Türkei », 23 janvier 2015
Article du journal Cumhuriyet
- « Çetinkaya ve Karan’a 2’şer yıl hapis... Salonda tekbir sesleri », 28 avril 2016
Article du journal Sabah
- « Oğuz Güven’e Hz. Muhammed’e hakaretten 5 ay hapis cezası », 1er août 2018
- Présentation par Gérard Biard, le 13 janvier 2015, du numéro 1178 de Charlie Hebdo, vidéos disponibles en ligne sur : https://www.rtl.be/info/monde/france/le-mahomet-de-charlie-hebdo-vachement-plus-sympa-que-celui-des-tueurs-j-ai-ecrit-tout-est-pardonne-puis-j-ai-pleure--691450.aspx [consulté le 12 novembre 2018]
- Critères d’adhésion définis lors du Conseil européen à Copenhague en 1993 : https://eur-lex.europa.eu/summary/glossary/accession_criteria_copenhague.html?locale=fr, [consulté le 12 novembre 2018]
- Juncker Jean-Claude, My Foreign Policy Objectives, http://juncker.epp.eu/my-priorities [consulté le 12 novembre 2018]
- Résolution du Parlement européen du 15 janvier 2015 sur la liberté d’expression en Turquie : récentes arrestations de journalistes et de responsables de médias, et pressions systématiques sur les médias (2014/3011(RSP), https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=CELEX%3A52015IP0014, [consulté le 12 nov. 2018]
- Commission européenne, « Turkey Progress Report 2014 », https://www.avrupa.info.tr/en/regular-reports-turkey-744, les résumés : http://europa.eu/rapid/press-release_MEMO-14-559_fr.htm, [consulté le 12 novembre 2018]
- BBC, « EU delays Turkey membership talks after German pressure » 25 juin 2013, https://www.bbc.com/news/world-europe-23044600 [consulté le 11 novembre 2018]
- Les Actualités du Parlement européen, « Kobané : les députés appellent la Turquie à faire davantage pour aider la ville syrienne menacée par l’EI », http://www.europarl.europa.eu/news/fr/headlines/eu-affairs/20141017STO74417/kobane-les-deputes-appellent-la-turquie-a-faire-davantage [consulté le 11 novembre 2018]
Bibliographie
- Badouard Romain, « ‘Je ne suis pas Charlie’. Pluralité des prises de parole sur le web et les réseaux sociaux », dans Pierre Lefébure & Claire Sécail (dir.), Le défi Charlie. Les médias à l’épreuve des attentats. Paris, Lemieux, 2016. p. 187-220
- Boucheron Patrick & Riboulet Mathieu, Prendre dates. Paris 6 janvier-14 janvier 2015, Paris, Verdier, 2015. p. 55
- Busse Dietrich & Teubert Wolfgang, « Ist Diskurs ein sprachwissenschaftliches Objekt? Zur Methodenfrage der historischen Semantik », dans Dietrich Busse, Fritz Hermanns, Wolfgang Teubert (dir.), Begriffsgeschichte und Diskursgeschichte. Methodenfragen und Forschungsergebnisse der historischen Semantik, Opladen, 1994, p. 10-28
- Dressler Markus, « Erdoğan und die ‘fromme Generation’ – Religion und Politik in der Türkei », Apuz, n° 9-10, 2017, p. 23-29
- Garcia Patrick, « Quelques réflexions sur la place du traumatisme collectif dans l’avènement d’une mémoire-Monde », Journal français de psychiatrie, n° 1, 2010, p. 37-39
- Hansen Stig Jarle, Mesoy Atle, Kardas Tuncay (dir.), The Borders of Islam: Exploring Huntington’s Faultlines, from Al-Andalus to the Virtual Ummah, New York, Columbia University Press, 2009
- Neisser Ulrich et al., « Remembering the Earthquake: Direct Experience vs. Hearing the News », Memory, vol. 4, n° 4, 1996, p. 337-357
- Sirinelli Jean-François, « L’événement-monde », Vingtième Siècle. Revue d’histoire, n° 4, 2002, p. 35-38
- Spieß Constanze, « Diskurshandlungen. Theorie und Methode linguistischer Diskursanalyse am Beispiel der Bioethikdebatte », Sprache und Wissen, Bd. 7, 2011
- Jisun An Haewoon Kwak, Yelena Mejova et al., « Are You Charlie or Ahmed? Cultural Pluralism in Charlie Hebdo Response on Twitter », dans International AAAI Conference on Web and Social Media, North America, 2016, https://www.aaai.org/ocs/index.php/ICWSM/ICWSM16/paper/view/12997 [consulté le 12 nov. 2018]
Notes
-
[1]
La vidéo était diffusée sur les réseaux sociaux après les attaques et a été retirée le 11 janvier par le ministre de l’Intérieur. Elle est toujours disponible en ligne.
-
[2]
Romain Badouard, « ‘Je ne suis pas Charlie’. Pluralité des prises de parole sur le web et les réseaux sociaux », dans Pierre Lefébure & Claire Sécail (dir.) Le défi Charlie. Les médias à l’épreuve des attentats, Paris, Lemieux, 2016, p. 187-220. p. 188.
-
[3]
La méthode d’analyse du discours linguistique utilisée recourt au travail de Dietrich Busse & Wolfgang Teubert, « Ist Diskurs ein sprachwissenschaftliches Objekt? Zur Methodenfrage der historischen Semantik. », dans Dietrich Busse, Fritz Hermanns, Wolfgang Teubert (dir.), Begriffsgeschichte und Diskursgeschichte. Methodenfragen und Forschungsergebnisse der historischen Semantik, Opladen 1994, p. 10-28 ; Constanze Spieß, « Diskurshandlungen. Theorie und Methode linguistischer Diskursanalyse am Beispiel der Bioethikdebatte », Sprache und Wissen, Bd. 7, 2011.
-
[4]
Jean-François Sirinelli, « L’événement-monde », Vingtième Siècle. Revue d'histoire, vol. 76, n° 4, 2002, p. 35-38.
-
[5]
Romain Badouard, « ‘Je ne suis pas Charlie’ », art. cité.
-
[6]
Jisun An, Haewoon Kwak, Yelena Mejova et al., « Are You Charlie or Ahmed? Cultural Pluralism in Charlie Hebdo Response on Twitter », dans International AAAI Conference on Web and Social Media North America, 2016, https://www.aaai.org/ocs/index.php/ICWSM/ICWSM16/paper/view/12997 [consulté le 12 nov. 2018].
-
[7]
Romain Badouard, « ‘Je ne suis pas Charlie’. » art. cité.
-
[8]
Jean-François Sirinelli, « L’événement-monde », art. cité, p. 36.
-
[9]
Frédéric Lenoir, « La France est une nation résiliente », Le Monde, 12 janvier 2015.
-
[10]
Bertrand de Saint Vincent, « Un crime contre l’esprit », Le Figaro, 8 janvier 2015.
-
[11]
Jean d’Ormesson, « Nous sommes tous les Charlie Hebdo », Le Figaro, 9 janvier 2015.
-
[12]
Gilles van Kote, « Libres, debout, ensemble » Le Monde, 9 janvier 2015.
-
[13]
Le traumatisme, dans le lexique médical, décrit un choc psychique pertinent qui a un effet à long-terme sur la victime. En tant que traumatisme collectif, il forme « une catégorie de la pathologie de la mémoire collective », Patrick Garcia, « Quelques réflexions sur la place du traumatisme collectif dans l’avènement d'une mémoire-monde », Journal français de psychiatrie, vol. 36, n° 1, 2010, p. 37-39, ici, p. 9.
-
[14]
Il existe une vidéo de revendication de Coulibaly, ainsi que les vidéos de la course-poursuite des frères Kouachi et une vidéo de l’assassinat du policier Ahmet Merabet. D’après le Narrative Rehearsal Hypothesis, la mémoire des consommateurs de médias est fortement formée par les images reproduites de façon répétée, ce qui mène à la construction d’un mémoire uniforme chez tous les spectateurs. C’est en particulier le cas pendant les événements extraordinaires comme les cataclysmes et les actes terroristes. Ulrich Neisser et al., « Remembering the Earthquake: Direct Experience vs. Hearing the News », Memory, vol. 4, no 4, 1996, p. 337-357.
-
[15]
Anne Jouan, « Cabu, ‘bouffeur’ de presse, fan de jazz et antimilitariste », Le Figaro, 8 janvier 2015.
-
[16]
Ibid.
-
[17]
« On est tous profondément touchés au cœur », interview de Christine Taubira, propos recueillis par Philippe Martinat, Le Parisien, 8 janvier 2015.
-
[18]
Originaux des articles allemands traduits par l’auteur, « Der Angriff auf Charlie Hebdo am 7. Januar in Paris und die abscheuliche Ermordung unserer Kollegen, die alle leidenschaftliche Verfechter der freien Meinungsäußerung waren, ist nicht nur ein Angriff auf die Presse- und Meinungsfreiheit. Es ist ein Angriff auf die fundamentalen Werte unserer demokratischen Gesellschaft in Europa », « Solidaritätsbrief von SZ, Guardian, El País, La Stampa, Le Monde und Gazeta Wyborcza », publiée dans Süddeutsche Zeitung, 8 janvier 2015.
-
[19]
« La presse française choquée, unie et déterminée », Libération, 9 janvier 2015.
-
[20]
Comme l’évoquent Patrick Boucheron et Mathieu Riboulet, le mot « slogan » peut être traduit de l’origine gaélique par « cri de guerre ». Cela fait également référence au lexique guerrier utilisé au cours des débats après les attentats. Patrick Boucheron, Mathieu Riboulet, Prendre dates. Paris 6 janvier-14 janvier 2015. Paris, Verdier, 2015, p. 55.
-
[21]
Cf. notamment le travail sur les prises de parole diverses par Romain Badouard, « ‘Je ne suis pas Charlie’ », art. cité.
-
[22]
Jean d’Ormesson, « Nous sommes tous », art. cité.
-
[23]
Kurt Kister, « Einig gegen die Fanatiker », SZ, 9 janvier 2015.
-
[24]
Pascal Bruckner, « Cette tragédie abominable doit nous ouvrir les yeux », Le Figaro, 8 janvier 2015.
-
[25]
Cf. la réception critique de l’hypothèse de Samuel Huntington (The Clash of Civilisations, 1996) dans Hansen, Stig Jarle, Mesoy, Atle, Kardas, Tuncay (dir.), The Borders of Islam: Exploring Huntington’s Faultlines, from Al-Andalus to the Virtual Ummah. New York, Columbia University Press, 2009.
-
[26]
Cf. les critères d’adhésion définis lors du Conseil européen à Copenhague en 1993. https://eur-lex.europa.eu/summary/glossary/accession_criteria_copenhague.html?locale=fr, [consulté le 12 nov. 2018].
-
[27]
Suite aux actions déployées par la police turque contre les manifestations de « Gezi » plusieurs chefs des gouvernements européens ont voté contre la poursuite des négociations sur l’adhésion en juin 2013. « EU delays Turkey membership talks after German pressure » BBC, 25 juin 2013, en ligne : https://www.bbc.com/news/world-europe-23044600 [consulté le 11 novembre 2018].
-
[28]
La protection des droits des minorités est un des critères d’adhésion et est surtout liée à la question de la minorité kurde. Suite à la menace de la ville kurde Kobané située à la frontière turco-syrienne par Daech en octobre 2014, les députés du Parlement européen ont appelé le gouvernement turc à aider les Unités de protection du peuple (YPG), organisation considérée comme terroriste par la Turquie. Le pays candidat devrait soutenir davantage la lutte contre Daech. Un rapport est disponible sur les Actualités du Parlement européen : « Kobané : les députés appellent la Turquie à faire davantage pour aider la ville syrienne menacée par l’EI », http://www.europarl.europa.eu/news/fr/headlines/eu-affairs/20141017STO74417/kobane-les-deputes-appellent-la-turquie-a-faire-davantage [consulté le 11 novembre 2018]
-
[29]
Cf. « Turkey Progress Report 2014 ». Les rapports concernant la Turquie sont publiés chaque année par la Commission européenne et sont disponibles en ligne : https://www.avrupa.info.tr/en/regular-reports-turkey-744, les résumés en anglais : http://europa.eu/rapid/press-release_MEMO-14-559_fr.htm [consulté le 12 novembre 2018].
-
[30]
« En ce qui regarde la Turquie, le pays est clairement loin d’une affiliation à l’UE. Un gouvernement qui bloque Twitter n’est certainement pas prêt pour une adhésion », Jean-Claude Juncker, My Foreign Policy Objectives, EPP 23 avril 2014, http://juncker.epp.eu/my-priorities [consulté le 12 nov. 2018].
-
[31]
Biard, le 13 janvier 2015 lors de la présentation du numéro 1178, vidéos disponibles en ligne sur : https://www.rtl.be/info/monde/france/le-mahomet-de-charlie-hebdo-vachement-plus-sympa-que-celui-des-tueurs-j-ai-ecrit-tout-est-pardonne-puis-j-ai-pleure--691450.aspx [consulté le 12 nov. 2018].
-
[32]
Markus Dressler, « Erdoğan und die ‘fromme Generation’ – Religion und Politik in der Türkei », Apuz, n° 9-10, 2017, p. 23-29, ici p. 29.
-
[33]
Cf. l’article dans Cumhuriyet, http://www.cumhuriyet.com.tr/haber/turkiye/523818/Cetinkaya_ve_Karan_a_2_ser_yil_hapis..._Salonda_tekbir_sesleri.html [consulté le 12 nov. 2018].
-
[34]
En août 2018, le rédacteur en chef de Cumhuriyet, Oguz Güven, est condamné à une peine de cinq ans, sursis avec mise à l’épreuve, pour la publication en ligne des caricatures suivant la condamnation de Ceyda Karan et Hikmet Çetinkaya. Cf. l’article dans Sabah (en turc) https://www.sabah.com.tr/gundem/2018/08/01/oguz-guvene-hz-muhammede-hakaretten-5-ay-hapis-cezasi [consulté le 12 nov. 2018].
-
[35]
« Der ‘Charlie-Test’ der Türkei: Der Streit um die Mohammed-Karikaturen zeigt, wie schlecht es um die Pressefreiheit in der Türkei steht. […] Es lohnt sich, den Charlie-Test genau zu beobachten. Sein Ausgang könnte das Ende der ohnehin schon angeschlagenen Pressefreiheit besiegeln […] », Cengiz Aktar, « Der Charlie-Test der Türkei » SZ, 23 janvier 2015.
-
[36]
Cengiz Aktar, « Sein Ausgang könnte das Ende der ohnehin schon angeschlagenen Pressefreiheit besiegeln – in einem der letzten muslimischen Länder, in denen es sie, mit Einschränkungen, noch gibt », SZ, 23 janvier 2015.
-
[37]
Ibid.
-
[38]
Ibid.
-
[39]
Il s’agit de l’arrestation des journalistes de Zaman, journal proche du mouvement Gülen, le 14 décembre 2014. Entre autres le rédacteur en chef Ekrem Dumanlı et le directeur général du groupe de radio Samanyolu Hidayet Karaca. Ce dernier a été condamné à 31 ans de prison en novembre 2017.
-
[40]
https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=CELEX%3A52015IP0014, [consulté le 12 nov. 2018]. Dans le texte sont nommés les journalistes concernés par les arrestations, le contrôle judiciaire et les menaces.
-
[41]
« Der türkische Regierungschef Ahmet Davutoğlu hat bei einem Treffen mit EU-Ratspräsident Donald Tusk in Brüssel bekräftigt, dass er an dem Ziel eines EU- Beitritts seines Landes festhält. […] Der Beitritt solle so bald wie möglich erfolgen. Einen Termin nannte allerdings keiner der beiden. Tusk sagte, es gebe Unterschiede in der Bewertung der Cartoons, die die Satirezeitschrift Charlie Hebdo veröffentlichte ». Luisa Seeling, « Davutoglu wirbt in Brüssel für Türkei-Beitritt », SZ, 15 janvier 2015.
-
[42]
« Les journalistes turcs, ces héros », Le Monde, 11 mai 2016.