Notes
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[1]
Guignard F. 2014 Les veilleurs dans la nuit, pour l’amour du vivant in : Psychanalyse de l’enfant et de l’adolescent, état des lieux et perspectives. In Press, coll. SEPEA.
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[2]
Green A. (1995) « L’Empathie théorique en dépit des différences dans la pratique » in Bulletin du Gerpen, Vol. 32, Nov 1995.p.64.
Mon amie Annie Anzieu, Florence Guignard
1Annie Anzieu nous a quittés le 10 novembre 2019, dix ans après son mari, Didier Anzieu. Elle laisse derrière elle des enfants, des petits-enfants, des anciens patients, des analystes confirmés ou encore en formation, des livres écrits seule ou à plusieurs, de nombreux articles, et trois Sociétés en deuil : l’Association Psychanalytique de France (APF), dont elle était Membre Formateur, l’Association Psychanalytique Internationale (API) dont elle était membre formateur direct pour la psychanalyse de l’enfant et de l’adolescent, et la Société Européenne pour la Psychanalyse de l’Enfant et de l’Adolescent (SEPEA), qu’elle a co-créée en 1994 avec la signataire de cet hommage.
2Elle laisse aussi beaucoup d’amis qui appréciaient sa gentillesse, sa convivialité, son esprit vif et cultivé, et l’à-propos de ses interventions. Avant d’entrer dans le champ de la psychanalyse, Annie Anzieu a suivi une formation littéraire et philosophique de haut niveau. Elle a également débuté sa carrière de thérapeute en rééduquant des troubles du langage chez l’enfant.
3Elle a épousé Didier Anzieu, qui a suivi également une formation littéraire et philosophique poussée avant de devenir psychanalyste. Ses travaux, sur l’autoanalyse de Freud, sur le groupe et sur le Moi-peau notamment, sont mondialement connus. Si Annie a indéniablement soutenu et participé avec détermination à la brillante carrière de son mari, elle n’a jamais cessé pour autant de développer ses propres compétences, tout en éduquant leurs deux enfants, Pascal et Christine, jusqu’à ce que ceux-ci aient trouvé leur voie et se soient établis dans la vie. Nous connaissons la brillante carrière de notre amie et collègue le Dr Christine Anzieu-Premmereur, et je voudrais profiter de cette occasion pour lui dire toute mon admiration pour la façon dont elle s’est construite sur un mode absolument authentique et personnel, tout en intégrant les apports de deux parents aussi remarquables.
4Devenue Membre Titulaire chargée de formation à l’Association Psychanalytique de France (APF), Annie Anzieu a exercé la psychanalyse avec des patients de tous les âges, y compris des très jeunes enfants. Elle l’a fait à une époque et dans un environnement où la psychanalyse de l’enfant était considérée comme une application mineure de notre profession ; elle s’est confrontée à une grande ambivalence du milieu de la psychanalyse française d’alors, mais aussi à une communauté d’intérêt par exemple chez Jenny Aubry, Myriam David, puis François Dolto. Elle n’a jamais abandonné ce champ de découvertes théoriques et de pratique clinique de la psychanalyse, et a cherché sa nourriture et ses appuis parmi les grandes figures mondiales de la psychanalyse d’enfants, en tout premier lieu Anna Freud, puis aussi Mélanie Klein, Winnicott, René Spitz, pour ne citer qu’eux.
5Elle a écrit de nombreux travaux, notamment sur la féminité et, évidemment, sur la psychanalyse avec l’enfant, dont un livre en collaboration avec sa fille Christine Anzieu-Premmereur. La liste de ses principales publications se trouve à la fin de cet hommage.
6Elle a aussi trouvé un appui inconditionnel en la personne du Pr Daniel Widlöcher, qui a créé très tôt pour Annie un poste d’orthophoniste, puis de psychothérapeute d’enfants à l’Hôpital de la Salpêtrière où il a accompli toute sa carrière hospitalo-universitaire.
7J’ai rencontré Annie Anzieu à la faveur du Congrès des Psychanalystes de Langues Romanes - aujourd’hui, de Langue Française - sitôt que j’ai été admise au cursus analytique en Suisse, en 1965. En 1970, lorsque j’ai quitté Genève pour Paris et la Société Suisse de Psychanalyse pour la Société Psychanalytique de Paris (SPP), j’ai eu plusieurs occasions d’échanger avec Annie Anzieu. Notre intérêt commun pour la psychanalyse de l’enfant nous a très vite réunies, et nous avons tissé les liens d’une amitié solide et durable. Un beau jour, lasses de passer nos samedis après-midi dans de doctes réunions visant à ne pas trouver de solution au problème de la formation en psychanalyse d’enfants dans nos sociétés d’appartenance, nous avons osé imaginer nous lancer à organiser une Journée théorico-clinique avec les élèves de nos séminaires privés respectifs. L’APE - Association de Psychanalyse de l’Enfant - était née, dans un enthousiasme qui a largement dépassé nos attentes. C’était en 1984. Elle a magnifiquement fonctionné pendant dix ans, et a été suivie et remplacée en 1994 par la SEPEA - Société Européenne pour la Psychanalyse de l’Enfant et de l’Adolescent - toujours active à ce jour.
8Cette Européanisation de notre activité nous a apporté beaucoup d’espoir et a considérablement enrichi nos week-ends de travail, facilitant les échanges avec d’éminents psychanalystes d’enfants européens, et aussi avec de jeunes candidats qui ont apprécié notre manière d’aborder la clinique psychanalytique avec l’enfant. Outre nos traditionnels week-ends parisiens-qui comportent une journée entière de huit ateliers cliniques - et nos dix samedis de séminaires théoriques et cliniques par an à Paris, nous organisons des Journées SEPEA chaque année à Rouen, à Aix-en-Provence, à Lyon et à Lisbonne (Portugal), et tous les deux ans à Bologne (Italie). Des partenariats se nouent de plus en plus en France et en Europe avec d’autres sociétés à buts similaires.
9Lorsque Daniel Widlöcher était Président de l’API (2001-2005), et sous l’impulsion de notre regrettée collègue helvético-britannique Anne-Marie Sandler, le Committee On Child and Adolescent Psychoanalysis (COCAP) de l’Association Psychanalytique Internationale (API) nous a élues, Annie et moi, membres directs de l’API en qualité de formateurs en psychanalyse de l’enfant et de l’adolescent. C’était une main tendue par cette Association qui regroupe toutes les Sociétés psychanalytiques dont elle reconnaît les compétences et le cursus de formation, pour offrir à nos deux sociétés d’appartenance - APF et SPP - la possibilité d’amorcer rapidement une formation officielle en psychanalyse de l’enfant, chacune en leur sein, dans une période de l’histoire où la psychanalyse avait le vent en poupe et était accueillie a bras ouverts dans les universités et les structures hospitalières.
10Aucune des deux sociétés n’ayant accepté cette possibilité, et ni Annie ni moi n’ayant souhaité sortir de nos sociétés respectives pour en créer une nouvelle, la France se trouve encore aujourd’hui dépourvue de formation en psychanalyse de l’enfant reconnue par le COCAP et agréée par l’API.
11Nous avons organisé une formation en psychothérapie psychanalytique à la SEPEA, formation qui est tolérée par les tutelles financières de la Formation Permanente malgré le discrédit dont la psychanalyse est devenue trop souvent l’objet actuellement, en France et ailleurs. Grâce à la compétence et à la détermination des praticiens que nous avons formés, nous survivons néanmoins et poursuivons nos efforts en espérant des jours meilleurs.
12Annie était une force tranquille. Pendant de nombreuses années, en attendant la relève qui est fort heureusement arrivée maintenant, nous avons, elle et moi, assuré la présidence de notre association en alternant le titre de Présidente et de Vice-Présidente, sans aucun souci de préséance, attelées ensemble au même cheminement et visant le même but. Ce compagnonnage a duré 35 ans, et il cesse brutalement aujourd’hui avec sa disparition.
13Dans les temps difficiles que vivent aujourd’hui les sciences humaines, prise entre le travail d’assimilation des magnifiques découvertes dues aux neurosciences et le rejet ambiant de toute forme d’intériorité et de fonctionnement psychique qui dépasse la binarité de l’intelligence artificielle, la psychanalyse a plus que jamais besoin de reconquérir une place dans le socius et dans la formation des cadres de notre société civile.
14Je pense toujours, comme je l’ai écrit en 2014 [1], que la pratique psychanalytique avec l’enfant et l’adolescent demeure le fer de lance des découvertes cliniques et théoriques en psychanalyse. Annie Anzieu fut l’une des magnifiques pionnières de cette discipline. Sa disparition nous laisse entre le chagrin et la gratitude, et avec un exemple incomparable de courage et de détermination à ne jamais baisser les bras dans l’adversité.
15Florence Guignard
Ce que la parole doit au corps, Laurence Kahn
16« La prison du langage n’enferme pas l’entière vie d’un corps ». S’il est un territoire où Annie Anzieu manifesta sa sensibilité et sa perspicacité, ce fut bien celui où l’entière vie prenait précisément corps dans ce que cette analyste acceptait d’accueillir des enfants qui consultaient auprès d’elle. À ses yeux, les cures des enfants n’étaient pas concevables sans un tel engagement. « L’enfant bouge, joue, rit, agit et symbolise souvent en dehors du langage. Que reste-t-il de l’analyse dite "classique" dans cette situation ? Le nombre de séances ? Le cadre ? Le transfert ? » Oui, le transfert, et de manière cruciale dans des traitements qui posent de manière troublante la question de la neutralité, où le vécu corporel est non seulement le premier vecteur, mais parfois le seul dont dispose l’analyste pour approcher la souffrance qui affecte l’enfant, ou la terreur qui le paralyse. Oui, le transfert mais à travers ce « cumul d’affects qu’on dit "contre-transfert" ». Cumul d’affect et entrelacs de perceptions corporelles : pour Annie Anzieu, l’emprise du corps était une donnée essentielle de notre fonctionnement d’analyste.
17Imaginez la petite Sara, ses boucles, sa fausse modestie. Elle a deux ans et vient pour un bégaiement survenu aussitôt après la naissance d’un petit frère alors qu’elle est une troisième fille. Annie Anzieu perçoit, dès les premiers moments de cette consultation qui dure deux heures - et ce fut une unique consultation -, l’enjeu phallique à la clé de la « belle manière de parler » qui s’est brutalement dégradée. Impuissance de la petite fille, et l’analyste se garde d’intervenir activement, de contraindre Sara à parler, c’est-à-dire à bégayer. Elle maintient le contact en lui permettant de « montrer ce qu’elle sait être et ce qu’elle n’arrive pas à être ». Et l’on voit se déployer la résistance de cette enfant à la passivité, « sa révolte contre une féminité déjà inadmissible ». Entre excitation et régression, c’est toute la confusion pulsionnelle de Sara qui se trouve ainsi mobilisée dans la relation qu’Annie Anzieu parvient à créer. Agressivité et tendresse, excitation, paroles murmurées, érotisme. Tandis que, s’adressant aux baigneurs trouvés dans la boîte de jouets, Sara semble avoir soudain retrouvé autorité et détermination dans l’usage de la parole, Annie s’inquiète de l’avenir : « J’ai toujours pensé ?, écrit-elle, que le bégaiement est un symptôme plus grave chez la fille que chez le garçon en ce qu’il évoque l’érection verbale comme la revendication d’une possibilité inaccessible, une castration basique sur laquelle il peut être douloureux de revenir. »
18C’est peu de dire que la mise en jeu de sa « condition féminine » ne se limitait pas pour Annie Anzieu à quelque contenant maternel dont le bon usage aurait assuré de salutaires fonctions pare-excitantes. Le sexuel infantile, le rôle crucial de l’investissement des zones érogènes et, ce faisant, les liens internes aux objets que permettent le dessin, sa décharge sensori-motrice et la création de formes, étaient au centre de sa conception des traitements d’enfants et de ce qu’ils lui apprenaient. Elle mit inlassablement ce discernement au service de ce qu’elle élaborait autrement, mais néanmoins si près de cette expérience, dans les analyses d’adulte. Parfois, écrit-elle, « la transmission directe de corps à corps, d’inconscient à inconscient suppose l’élimination d’un pare-excitation protecteur, et quasiment la transgression de la règle de neutralité », alors que l’analyste conserve de son propre corps « une apparente certitude de sa stabilité ». Jusqu’au moment où il faut à cette analyste élaborer les bizarres échos de borborygmes qui l’affectent en même temps que sa patiente. Peut-être cette « conversation intestinale » et le mal-être éprouvé par Annie Anzieu traduisaient-ils une dévalorisation du contenant maternel ? Peut-être, mais à la condition de ne pas ignorer ce que la rivalité féminine et l’intense transfert homosexuel infligent aux tentatives de maintenir haute l’idéalisation. C’est dans cette veine qu’Annie Anzieu élabora les tenants et aboutissants du masochisme féminin - en particulier cette difficulté de « montrer la puissance de se penser fille face à la mère » d’où résulte souvent un silence opaque.
19Mais est-ce dans une autre veine qu’elle aborda ces enfants qui n’étaient « pas installés dans leur propre corps » ? À l’entendre parler de David, raide, le regard vide, « comme absent de ce miroir maternel primordial », à l’entendre évoquer son désir de plaire à ce garçon afin qu’il la « reçoive », on mesure la profondeur de l’intrication entre séduction et régression, entre plaisir de la gestation et mobilisation profonde de traces sensorielles archaïques qu’Annie Anzieu mettait en œuvre dans ces cures où l’analyste est en prise directe avec le désarroi et le chaos. Mais là encore en faisant toujours sa place au sexuel et à ce qu’il porte de potentielle réorganisation. Ainsi du dessin dans ces thérapies si difficiles : tel un cri, décharge d’excitation, signe d’effroi, il n’a pas de contenu représentatif. « Pourtant il laisse une trace et l’effort de l’analyste est de vivifier cette trace, de lui donner un sens pulsionnel, de s’y nommer comme objet et d’organiser ainsi une ébauche de représentation ».
20Je ne me suis pas formée à la psychanalyse des enfants auprès d’Annie Anzieu. Mais sitôt entrée à l’APF, j’ai participé à son séminaire et elle m’a beaucoup appris. Elle m’a en particulier appris ce que la parole doit au corps. Son écoute sensible, sa fermeté attentive, sa manière propre d’entendre les « traits d’union » imperceptibles entre l’analyste et ses jeunes patients ont marqué durablement ma pratique.
21Laurence Kahn
22Les citations de A. Anzieu sont extraites de :
- « Réflexions sur la situation de l’analyste auprès des enfants », Documents & Débats, APF, 1988, de « Propos sur la féminité », Revue française de psychanalyse, vol. 69, n°4, 2005, pp. 1103-1116, de « Corps et contre transfert » ;
- Le Carnet PSY, n° 111, sept.-oct. 2006, pp. 27-32 ;
- A. Anzieu, L. Barbey, S. Daymas et al., Le travail du dessin en psychothérapie de l’enfant, Dunod, 1996.
Une évocation d’Annie Anzieu, Pr Bernard Golse
23Je connaissais Annie Anzieu par ses travaux sur la psychanalyse de l’enfant et son engagement vigoureux dans ce champ, et c’est en partie pourquoi je lui avais demandé si elle accepterait d’assurer la poursuite de la supervision de ma deuxième cure d’adulte dans le cadre de ma formation à l’Association Psychanalytique de France, lorsque cette deuxième supervision s’était vue, hélas, interrompue par la mort de Pierre Fédida. Passer d’un superviseur homme psychanalyste d’adultes à une superviseuse femme psychanalystes d’adultes et d’enfants, me paraissait en effet intéressant dans l’absolu mais aussi par rapport à la problématique particulière de ma patiente.
24J’ai continué à aller la voir longtemps au-delà de cette supervision car j’aimais beaucoup me retrouver chez elle pour parler de tout et de rien, de tout surtout et de la psychanalyse bien entendu. L’une des choses qu’Annie Anzieu m’a apprise et sur laquelle elle attirait souvent mon attention, est l’intérêt qu’il y a - à certains moments des traitements - de savoir manifester au patient notre présence d’analyste et de la faire sentir en intervenant « à la première personne » disait-elle, c’est-à-dire finalement en deçà des mots et en tant que personne de chair et d’os.
25Il y a deux domaines où, me semble-t-il, Annie Anzieu aura beaucoup apporté dans le champ de la psychanalyse de l’enfant, c’est celui des psychothérapies d’enfants et celui des supervisions. Annie Anzieu a écrit en 2003 un livre passionnant sur Le travail du psychothérapeute d’enfant dont j’avais rédigé une note de lecture dans les pages de cette même revue. Dans cette note de lecture que je relis aujourd’hui, je soulignais la simplicité et la profondeur du style de l’écriture d’Annie Anzieu, mais celles-ci caractérisaient aussi le style même de sa personne et de sa pratique analytique fondamentalement vivante, humaine et engagée.
26Dans cet ouvrage, elle insistait également sur le fait que chaque analyste d’enfant a à se trouver lui-même et à se forger son propre style en tenant compte de ce qu’il est, bien entendu, mais en empruntant aussi à divers corpus théoriques sans pour autant s’aliéner à aucun d’entre eux. C’est là une donnée que j’essaye aujourd’hui de transmettre dans ma propre activité de formation, et le souvenir d’Annie Anzieu joue pour moi sur ce point comme une représentation encore très émouvante.
27En ce qui concerne les supervisions, Alain Braconnier et moi lui avions proposé d’écrire un livre pour la section « enfant » de la collection du « Fil rouge » que je dirigeais aux Presses Universitaires de France depuis longtemps déjà avec Philippe Jeammet et Gilbert Diatkine et dont je continue à assumer la responsabilité. Elle avait en effet une expérience importante et une vision particulière de ce domaine particulier de la formation. Annie Anzieu avait à la fois envie de se lancer dans cette rédaction et peur d’être déjà trop âgée pour y parvenir. Je lui avais dit que nous procéderions par interviews et qu’Alain Braconnier et moi nous chargerions entièrement de la rédaction. Son mélange d’envie et de crainte se maintenait et finalement ce travail n’a pas vu le jour, ce que je regrette infiniment.
28J’ai participé il y a quelques mois à un congrès à Bruxelles consacré à la tendresse d’un point de vue psychanalytique, et je n’ai cessé de penser à Annie Anzieu. Elle incarnait pour moi un mélange très particulier de simplicité et de profondeur comme je l’ai déjà dit, mais aussi d’infinie tendresse, et ceci sans la moindre trace d’angélisme. La tendresse dans sa complexité, et dont l’effet est parfois si thérapeutique. Je ne sais toujours pas si je l’ai assez remerciée de cette incroyable leçon de vie qu’elle m’a donnée avec tant de délicatesse.
29Merci Annie Anzieu de tout ce que vous avez fait et de ce que vous étiez, tout simplement.
30Pr Bernard Golse
Annie Anzieu. L’art de l’assemblage du transfert et du contre-transfert, Hélène Suarez Labat
31Annie était une grande dame de la psychanalyse de l’enfant. Lorsque, dans une vie, on a la chance de rencontrer une personne comme Annie, on conserve pour toujours la trace du contact singulier qui s’est établi. Annie était une femme très attentive au contenu latent de ce que l’on pouvait lui transmettre, ses pensées galopaient, sa fermeté était enveloppée par une voix chaleureuse, particulière, qui est inoubliable. En me remémorant ces années de travail à la SEPEA où nous nous sommes retrouvées régulièrement avec Florence Guignard, son amie de longue date, ce qui demeure, ce qui fait force d’identification, c’est l’esprit indépendant d’Annie. Elle avait une liberté de pensée qui nous conduisait à engager des débats qui souvent ouvraient de nouveaux champs de réflexion. Annie était une femme déterminée, éprise de vérité, mouvement qu’elle partageait profondément avec ses contemporains, son mari Didier Anzieu et leur fille Christine Anzieu-Premmereur qui le transmet également. En fait, une famille éprise de liberté de pensée et de créativité.
32Si l’on revient aux travaux d’Annie, à ses découvertes de l’âme enfantine, elle s’est beaucoup intéressée aux différentes expressions non verbales chez l’enfant, pour toujours ajuster ses mouvements contre-transférentiels. Son intérêt pour les assemblages psychiques produits par le dessin et le jeu a fait l’objet de deux ouvrages. Un premier ouvrage à propos du travail du dessin en psychothérapie de l’enfant, qu’elle a dirigé avec ses collègues de la Salpêtrière, Loïse Barbey, Jocelyne Bernard-Ney, Simone Daymas et Elisabeth Dejours. Elle a créé et animé un groupe de réflexion sur les modes d’interprétations du dessin dans la psychothérapie de l’enfant. Et je dois dire que j’aimerais lui parler de ce travail, le mettre en débats à l’heure où d’autres modes de pensée se sont développés. D’ailleurs, comme le rappelait A Green en 1995 lors d’un hommage à Frances Tustin, « Je pense que le meilleur hommage qu’on puisse rendre à quelqu’un qui est disparu n’est pas de répéter ce qu’il a dit, mais de le discuter comme s’il était là, car au fond les œuvres écrites qu’on nous laisse sont des œuvres de pensée, des œuvres pour penser, et des œuvres qui doivent être continuées par la discussion de ce qu’elles ont soulevé en nous » [2]. Je crois que Annie y aurait été effectivement sensible, alors continuons à débattre des thèmes qui la passionnaient, et qui connaissent de nouveaux approfondissements.
33Donc, pour montrer la richesse et la profondeur de la pensée d’Annie, je vais reprendre son récit d’un cas d’autiste dans le premier ouvrage consacré au dessin. Annie y raconte comment elle a travaillé avec un enfant autiste de 5 ans et demi, Benoît, audimutique, avec un regard égaré, un corps enraidi et qui était devenu très agressif dans le service de la Salpêtrière où il était hospitalisé. Le médecin ne savait plus quoi faire de ce garçon, dans quel sens se diriger. Il avait tenté une dernière chance en le conduisant vers Annie Anzieu. Elle l’a reçu 4 fois par semaine, à la même heure pour qu’il puisse construire des repères dans le temps et dans l’espace. Dans un premier temps, elle cherche à mobiliser son attention. Elle trouve matière à assemblages, elle présente la pâte à modeler qui fait son effet, Benoît s’en saisit mais s’installe dans un mouvement répétitif, en modelant de longues ficelles. Annie ne se contente pas de ce réinvestissement qui pourrait s’enliser, elle dynamise le transfert en s’appuyant sur son contre-transfert, elle construit devant lui un personnage en pâte à modeler. Elle lui met sous les yeux, dit-elle, elle capte le lieu qui organise les mouvements de projection et d’introjection, son regard et peut-être son mode d’investissement de sa vision également. Les liens d’échanges qui étaient chez Benoît, aux arrêts, pétrifiés dans l’enraidissement psychique et corporel s’animent face à la proposition d’Annie. Un modèle d’assemblage pulsionnel et émotionnel est sollicité chez Benoît, il y répond, il entoure soigneusement la tête, les oreilles, la bouche puis tout le corps du bonhomme avec des bandelettes qu’il avait roulées sous ses doigts, ceci au grand émerveillement intérieur d’Annie.
34Annie avait gagné une première bataille, réincarnée par les mouvements transférentiels. Un espace de création en double, dans un cadre pare-excitant du fait des repères donnés par la thérapeute s’est créé. Benoît a construit une momie, commente Annie, qui rend les portes du corps inutilisables pense-t-elle. Si nous pouvions reprendre cet échange avec Annie, nous pourrions lui dire que Benoît a besoin de passer par cette première géographie identificatoire, des premières limites entre dedans et dehors. Mais Annie ne se décourage pas face aux projections de Benoît vers le retour à l’inanimé. Elle relance le mouvement en dessinant un bonhomme, elle lui donne un visage, elle rend utilisable la première sphère d’échange, le tête à tête elle reconnecte les zones érogènes et l’investissement des autoérotismes. Le sadisme primaire est ainsi partagé par Annie et Benoît, tout comme Mélanie Klein avec Dick ou Frances Tustin avec John. Annie a emprunté ce chemin contre-transférentiel tortueux imposé par les réinvestissements parsemés d’embuches de ces articulations et des traces du repli autistique. Relancer l’assimilation des clivages sensoriels de base et réduire peu à peu les confusions de zones érogènes produisent leurs effets. Benoît s’est mis à parler dans le service, mais il a conservé encore quelques temps le mutisme pendant les séances. Annie a rencontré ses parents qui constatèrent l’évolution de leur fils, qu’il voyait pendant les week-ends, une petite sœur était née, Annie qui avait relié dans ses interprétations auprès de Benoît les liens entre le bébé et l’analité (le bébé-caca), montre dans son récit avec toute la modestie qui la caractérisait, combien elle traquait toujours au plus près la vérité transférentielle, tout en demeurant très mesurée et très prudente dans ses interprétations. En relisant cette vignette clinque des années 90, le regret de ne pas avoir suffisamment parlé avec elle de ces expériences renouvelées auprès de ces jeunes patients, toujours uniques, peut nous avertir sur la prise de conscience du temps qui passe et nous inciter à relire, à échanger avec les plus jeunes collègues autour de cette clinique incarnée par la recherche de l’authenticité contre-transférentielle, gage de liberté et d’intimité avec le patient. Comme le rappelait Didier Anzieu qui voulait rendre hommage à sa femme, à leurs échanges dans un article : Comment devient-on Mélanie Klein, je reviendrais sur la formulation : Comment devient-on Annie Anzieu ?
35A toi pour toujours très chère Annie.
36Hélène Suarez Labat
Lettre à Annie Anzieu
37Très chère Annie,
38Nous voilà donc orphelines, nous, vos « filles de la Salpêtrière ».Votre mort nous laisse tristes, désemparées, seules tout d’un coup, mais aussi riches de cette belle aventure et du chemin parcouru à vos côtés pendant si longtemps.
39Quelle émotion au souvenir de ce minuscule bureau de la Salpêtrière où nous vous retrouvions tous les mardis matin, presque essentiellement des femmes, entassées, de plus en plus nombreuses à venir rendre compte de nos balbutiements en psychanalyse d’enfants et d’adolescents. Trente ans après, nous voici réunies encore une fois, pour témoigner de ce que nous avons vécu auprès de vous en supervision.
40Peut-on parler de naissance à propos de cette démarche qui a bouleversé nos vies, en nous marquant profondément ? Après vous avoir rencontré longuement, nous avons intégré votre séminaire à la Salpêtrière. Là, nous nous sommes engagés à suivre trois fois par semaine, un ou deux enfants ou adolescents, hospitalisés ou en consultation, dans le service du Professeur Basquin. Lorsqu’il s’agissait de décider de la prise en charge que le service venait demander, votre regard passait de l’une à l’autre puis s’arrêtait en silence. « Vous », disiez-vous, tranquillement. Ce même regard allait nous accompagner, nous questionner avec attention, précision, exigence et bienveillance pendant les mois, les années de la supervision. Le groupe était accueillant avec les nouvelles arrivantes. Et nous nous retrouvions régulièrement ensemble ensuite, pour partager un repas et continuer à discuter.
41Quelques phrases nous reviennent de vos interventions : « Je ne suis pas dans la séance, pouvez-vous me dire pourquoi vous êtes intervenue ainsi ? » « Qu’avez-vous pensé à ce moment-là ? » « Ce dessin, il a été tracé à quel moment ? L’intuition ne suffit pas, vous devez savoir ce que vous faîtes ». Vos questions nous prenaient par surprise, relançaient notre pensée, celle du groupe, toujours enveloppant pour celle qui présentait, car il faut bien dire que nous n’en menions pas large au début. « N’oubliez pas que nous sommes des voleuses d’enfants ». « Nous devons en tenir compte dans nos relations avec l’enfant et ses parents ». Parents qui au début étaient un peu tenus à l’écart de nos séances et qu’avec notre insistance, sont devenus des alliés thérapeutiques qui ont modifié votre point de vue initial. Les Journées de la Salpêtrière, de l’A.P.E. puis de la SEPEA étaient des moments de travail intense pour celles qui devaient présenter un cas, y intervenir, mais aussi de moments privilégiés, d’échanges plus libres, informels, pleins de gaité souvent.
42Ce regard sévère parfois, lumineux toujours que vous portiez sur nous se faisait pétillant. Les écrits de V. Kandinsky, le journal de P. Klee, le bleu de Klein nous ramenaient au dessin d’enfant, au trait, à la couleur, aux affects. Nous nous sommes formées, constituées de tout ce que vous nous donniez pendant les deux heures, parfois trois des supervisions du mardi. Pour beaucoup d’entre nous, la psychanalyse d’enfant restera notre noyau, notre être en présence.
43Ces derniers temps, nous avons échangé et partagé les mêmes mots, les mêmes sentiments, nous avons beaucoup reçu, nous avons eu une chance exceptionnelle de vous rencontrer et travailler si longtemps avec vous, votre présence nous accompagne encore aujourd’hui. Merci.
44Dominique Fessaguet, Jacqueline Peignot
Les élèves d’Annie Anzieu
45C’est avec Annie Anzieu, pour la plupart d’entre nous, dans le service de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent de la Salpêtrière du Pr Basquin à l’époque, et dans son groupe de supervision, que nous avons fait nos premiers pas à partir du projet qu’Annie nous proposait, celui d’explorer l’approche psychanalytique de la relation thérapeutique avec l’enfant en thérapie d’enfant ou d’adolescent. Nous nous souvenons avec une immense affection d’Annie, qui a été pour nous, « apprentis du groupe de supervision », un maître à penser, une grande dame dont la présence vivante est inscrite en nous pour toujours.
46Et c’est également, dans ce même service, qu’Annie Anzieu a participé, chaque année, avec ses collègues du département de psychothérapie et de psychanalyse du service (Loïse Barbey, Simone Daymas, puis Agnès Lauras-Petit, ainsi que Christian Flavigny, Lionel Rotenberg, puis aujourd’hui Estelle Louët, Caroline Thompson et moi-même) à l’organisation des journées annuelles à thème, mémorables et passionnantes, dites Les journées du département, toujours attendues et très appréciées, qui réunissaient les psychiatres et psychologues du service ainsi que des psychanalystes venus d’autres services parisiens et de nombreux psychothérapeutes en formation.
47Les premières années, le tempérament affirmé d’Annie nous impressionnait, mais ses enseignements étaient un trésor unique, et inaccessible ailleurs (ou si peu à cette époque). Nous avons, durant de nombreuses années, eu la chance immense de bénéficier auprès d’Annie, de la grande richesse de sa pensée, de la qualité exceptionnelle de son écoute, et aussi de son plaisir si communicatif dans les échanges que nous avions à travers nos présentations cliniques. Elle soulignait des aspects importants dans notre travail, avec précision et subtilité, et de ce fait élargissait aussitôt le champ de nos réflexions tout en renouvelant notre confiance et notre gratitude.
48Tout ceci était si précieux que nous ne pouvions que renouveler chaque année, notre inscription dans le groupe pour continuer d’apprécier la finesse de son approche et poursuivre avec elle nos échanges cliniques. Le groupe se renouvelant au fur et à mesure, et certains des « anciens » souhaitant continuer leur participation au travail de réflexion toujours approfondi d’Annie, accueillaient à ses côtés (je dirais même, aprenaient à accueillir) les plus jeunes, dans la bienveillance et le respect de cette écoute et de la réflexion commune dans le groupe, qu’elle nous a habilement appris à maintenir, les uns pour les autres.
49Plus tard, c’est à son domicile qu’Annie nous a permis de continuer de nous réunir, nous accueillant avec son dynamisme souriant et enthousiaste, rejointe par la suite par son amie et co-fondatrice de la SEPEA, Florence Guignard, tout aussi stimulante… jusqu’au jour où Annie a pu s’autoriser un peu de repos.
50Nous gardons des souvenirs particulièrement émus, de la délicatesse avec laquelle Annie, véritable orfèvre de la parole, choisissait chaque mot pour éclairer son propos, pour le rendre clair et vivant, au plus proche des perceptions des sensations et des mouvements psychiques du patient (ou des nôtres) dans la situation analytique, amenant ainsi progressivement notre propre pensée à saisir de nouvelles nuances, infiniment précieuses, illuminant alors pour nous tout un champ de compréhension.
51Agnès Lauras-Petit, psychanalyste, nous rappelle également qu’ « Annie était aussi une psychanalyste de terrain, engagée au-delà des positions classiques trop rigides : nous la revoyons encore, dans la Salpêtrière, raccompagner au volant de sa petite voiture un jeune autiste qu’elle entourait ainsi de son enveloppe psychique jusqu’à l’hôpital de jour au sortir de sa séance ». Francoise Fradin, psychanalyste également, qui a participé à des supervisons de groupe auprès d’Annie au Pilat, vous joint cette photo, rappelant des souvenirs chaleureux : « Et Annie nous avait accueillis au Pilat … pour partager nos patients, nos questionnements, nous proposer ses précieux éclairages, mais aussi quelques moments plus intimes, souvenirs de ses débuts professionnels… ».
52Hélène Artigala, Agnès Lauras-Petit, Françoise Fradin
53Carnet Psy a publié en avril 2005 (n°98- p.30-31) un texte d’Annie d’Anzieu dans le dossier « Psychanalyse et psychothérapie ». Nous avons souhaité le reprendre dans cet hommage. (La rédaction).
Sur la formation des psychothérapeutes d’enfants
54Il est clair que je ne saurais admettre que quelqu’un s’engage dans la profession de psychothérapeute sans avoir fait soi-même l’expérience, selon les règles les plus strictes possibles, de la discipline qu’il prétend appliquer. Il me paraît fort regrettable qu’en France les Sociétés de Psychanalyse rattachées à l’IPA (Association Internationale de Psychanalyse) n’aient jamais jugé valable l’inclusion d’une pareille formation à leur programme d’enseignement. Tout au plus un semblant d’intérêt se manifeste, qui n’a jamais abouti à un vrai programme jusqu’ici. Par ailleurs, il est bien évident qu’une formation à l’analyse d’adulte n’est pas toujours suffisante pour parvenir à soigner des enfants, surtout lorsqu’on doit aborder des cas dits « difficiles ». La particularité du transfert, des conditions du cadre, des relations avec les parents et surtout des modes d’expression de l’enfant (activité motrice, jeu, etc.) bousculent inévitablement l’image de l’analyse dite « classique ». L’image de soi de l’analyste est ici mise en question et requiert une aide extérieure la plupart du temps. C’est, sans doute, ce genre de problème posé par les particularités de la technique analytique auprès de l’enfant, qui fait que nombre d’analystes renoncent à cette pratique.
55L’analyste, surtout dans son rapport avec l’enfant, doit faire la part du processus économique qui fonctionne chez lui et fait appel à son propre infantile. Il doit aussi prendre en compte de façon plus évidente la réalité sensorielle et la part de la mégalomanie qui donne l’illusion du pouvoir sur la personne de l’autre. Depuis bien longtemps donc, il m’est apparu qu’une formation spécifique est une nécessité pour les psychothérapeutes d’enfants, qu’ils soient, ou non, déjà psychanalystes. Il convient désormais d’en établir les normes. Il est bien connu à présent que nombre de mes collègues qui sont engagés auprès des enfants, ont déjà officialisé leur travail en ce sens. Ce que je fais moi-même avec Florence Guignard depuis un certain temps (Association pour la Psychanalyse d’enfant -APE) qui s’est étendue à l’Europe (SEPEA, 1993).
56Si ce n’est certes pas une idée récente pour moi qu’une formation spécifique soit nécessaire au psychothérapeute d’enfants, cette nécessité me paraît devenir de plus en plus urgente du fait que le nombre d’enfants traités par la psychothérapie s’accroît sensiblement et rapidement. Peu importent les raisons de ce fait : on ne peut que le constater. Les psychanalystes engagés comme moi auprès des enfants, sont pour la plupart, en accord avec moi sur la nécessité de cette formation qui implique pour celui qui s’y engage un investissement long et serieux.
57Je me place, ici, dans une perspective psychanalytique bien que la formation des psychothérapeutes ne coïncide pas toujours avec celle des psychanalystes. Se former à une discipline et, tout particulièrement, à la psychanalyse suppose des connaissances de base complétées par un développement personnel. La technique appliquée par le soignant dépend non seulement de ses connaissances, mais aussi de la manière dont il peut s’utiliser soi-même en tant que lieu du transfert.
58Ma propre expérience et celles que j’ai faites auprès de nombreux thérapeutes, m’ont enseigné que cette sorte de formation exige un investissement solide et durable et que le transfert de l’enfant présente des caractères qui font appel à l’auto-analyse du thérapeute. Or, dans les conditions actuelles de la demande de plus en plus intense en vue du traitement des enfants, les psychanalystes font défaut. Ce sont les psychologues qui répondent le plus souvent aux besoins. On ne peut que constater que, parmi ceux qui ont la chance d’accéder à un poste dans une institution, le nombre de personnes susceptibles de traiter un enfant par la psychanalyse est bien réduit. Ils sont, le plus souvent mis face à une situation pour laquelle ils ne sont pas armés.
59En effet, les études universitaires indispensables à cette pratique engagent ceux qui les entreprennent uniquement dans leur fonctionnement intellectuel. Dans cette situation on ne peut accepter une apparence de savoir procurée par des diplômes universitaires en ce qui concerne la charge d’un psychothérapeute d’enfant. Il lui incombe bien plus, ne serait-ce que la prise en considération de l’environnement familial qui pèse, parfois fortement sur le traitement entrepris.
60Les conditions de travail intellectuel et personnel étant remplies, il n’en reste pas moins que l’expérience de la psychothérapie de l’enfant soumet à bien des épreuves qui sont épargnées, en général, à l’analyste d’adultes. C’est pourquoi il paraît nécessaire de suivre un entraînement que proposent quelques associations : un enseignement en participation à des groupes d’élaboration de textes de discussion de cas, et de situations institutionnelles dans lesquelles les psychologues se trouvent souvent démunis. Il ne faut pas oublier que l’enfant met en scène plutôt que de parler. Il s’exprime par le jeu et souvent dans la provocation et la séduction. La relation du thérapeute passe par l’activité motrice avant la parole.
61L’initiation par un superviseur reconnu est indispensable pour que le thérapeute apprenne à utiliser ses propres capacités de compréhension de soi-même. Le contretransfert est souvent suscité de manière très vive par les comportements des enfants et nécessite le recours à un processus auto-analytique.
62Il est remarquable, par ailleurs, que le travail en groupe apporte des possiblités de communications fort enrichissantes, du fait du partage des expériences. Il diversifie les points de vue et les retours sur la dynamique professionnelle propre à chacun. Ces ressources sont déjà mises en œuvre dans plusieurs groupements français et européens. Il faut reconnaître que les décrets ministériels et leurs divers amendements n’ont pas jusque là mis au clair les formes que peut prendre cette formation cependant indispensable. Toujours est-il que la personne du thérapeute n’y est mise en question d’aucune autre manière que par la reconnaissance de diplômes universitaires, ce qui n’est pas admissible si on se place dans un esprit de psychanalyste. Quelles que soient les décisions officielles prises à l’avenir, et les positions lointaines des instances qui nous gouvernent, le travail avec les enfants, s’il veut être valable, sérieux, doit être initié par une formation rigoureuse.
63Annie Anzieu
Biographie
■ Membre titulaire de l’Association Psychanalytique de France (APF).
■ Co-fondatrice, avec Florence Guignard, de l’Association pour la psychanalyse de l’enfant en 1984, puis de la Société européenne pour la psychanalyse de l’enfant et de l’adolescent (SEPEA) en 1994, elle en a été la vice-présidente et membre honoraire.
■ Responsable du Département de Psychanalyse de l’enfant à l’Hôpital de la Salpétrière.
■ Psychothérapeute au Centre Claparède et au Centre Claude Bernard.
■ Epouse du psychanalyste Didier Anzieu (1923-1999)
Bibliographie
Principales publications d’Annie Anzieu (liste non exhaustive)
Ouvrages
- Le Jeu en psychothérapie de l’enfant, avec Christine Anzieu-Premmereur & S. Daymas, 2000, réédition 2015.
- Le travail du psychothérapeute d’enfant, Paris, Dunod, coll. « Psychothérapies », 2003, réedition 2014.
- Les enveloppes psychiques (coll.), Dunod, coll. « Inconscient et culture », 1993, réédition 2013.
- Le travail du dessin en psychothérapie de l’enfant, avec L. Barbey & J. Bernard Ney, Paris, Dunod, 1996, réédition 2012.
- Des images pour la pensée, avec Sesto Marcello Passone et al., In Press, coll de la SEPEA, 2010.
- La femme sans qualité. Esquisse psychanalytique de la féminité. Paris, Dunod, 1990, réédition 2004.
- Traumatisme et contre-transfert, In Press, coll de la SEPEA, 2004.
- Psychanalyse et langage : du corps à la parole (coll.), Dunod, 1977, réédition 2003.
Articles
- Le psychanalyste dans son fauteuil. In G. Favez et al. Etre psychanalyste. Paris, 1976, 148-1669.
- Du corps à la parole, in : Psychanalyse et langage, coll. Inconscient et culture, 1977.
- L’inquiétante féminité. A propos de l’adolescence, Adolescence 21, 1993/1, « Clinique de la honte ».
- Détachement, renoncement, séparation, in Journal de la psychanalyse de l’enfant, n°16, Ruptures et changements, 1997.
- Propos sur la féminité. Revue française de psychanalyse, vol. 69(4), 1103-1116, 2005.
- Quelques réflexions sur une psychanalyse possible des bébés. La psychiatrie de l’enfant, vol. 50(2), 417-422, 2007. DOI : 10.3917/psye.502.0417
Notes
-
[1]
Guignard F. 2014 Les veilleurs dans la nuit, pour l’amour du vivant in : Psychanalyse de l’enfant et de l’adolescent, état des lieux et perspectives. In Press, coll. SEPEA.
-
[2]
Green A. (1995) « L’Empathie théorique en dépit des différences dans la pratique » in Bulletin du Gerpen, Vol. 32, Nov 1995.p.64.