Psychanalyser un enfant aujourd’hui. Quelles indications ? Quelles évaluations ? Quelles évolutions ? Journées de l’Institut Édouard Claparède, 13 et 14 janvier 2007, Paris
1Le coup d’envoi de ces Journées fut donné par la présentation d’Anne Bolin qui montre la mise en route d’un processus analytique au début de la cure d’une fillette de 8 ans. Cette présentation constituera le fil conducteur du thème de ces journées de travail que Dominique Arnoux, Médecin Directeur de l’Institut Édouard Claparède depuis 2001, a introduit par quelques réflexions sur la genèse et la généalogie de l’appareil psychique, de son fonctionnement, et de leurs avatars. Ainsi a-t-il rappelé que la généalogie de la psyché et de ses instances met en jeu des processus intrapsychiques et intersubjectifs. Le processus de subjectivation en jeu au cours d’un travail d’analyse impose à l’enfant de s’approprier un héritage psychique, ce qui ne peut se faire que par l’instauration par l’enfant d’un écart par rapport à ce qu’il reçoit ; le narcissisme s’appuie sur la génération précédente, liant et articulant sujet et intersubjectivité. Mais “pour que la transmission se pense comme une butée structurante à l’omnipotence infinie du Moi, elle doit se représenter autrement que comme une blessure narcissique ou l’horreur d’être né.”
2À Claparède, l’accent est mis sur le travail d’analyse des enfants et des adolescents, ce travail commence par les consultations psychanalytiques avec la famille. Ces consultations permettent de poser les indications de traitement, individuel ou en groupe, notamment de psychothérapies familiales psychanalytiques qui ont été instaurées à Claparède par Simone Decobert et développées par Dominique Arnoux. Celui-ci s’est aussi attaché à inciter l’exercice d’analyses d’enfants et d’adolescents à raison de trois séances par semaine. Ceci est une inflexion majeure donnée par lui, révélatrice de l’esprit qu’il a voulu insuffler.
3Après ces premières interventions, la parole fut donnée à des représentants de chaque temps possible de la prise en charge d’un enfant. Chaque étape a été illustrée par des illustrations cliniques. Ce sont les assistantes sociales qui assument les premiers liens entre les familles et l’institution. Quatre d’entre elles, Marie-France Paillard, Annie Langueneur, Christine Lepot et Maïder Iribanne ont expliqué leur travail. Elles reçoivent la demande de soins exprimée par la famille et aident à son élaboration.
4Xavier Giraut a présenté la consultation psychanalytique avec l’enfant et sa famille comme un moment charnière entre les premiers entretiens et la mise en place d’un traitement psychanalytique. Ce temps de la consultation permet d’installer un cadre pour les parents et d’élaborer avec eux le projet thérapeutique. Elle constitue un champ qui favorise l’instauration d’un processus analytique pour l’enfant, compte tenu du fait qu’une amorce de transformation psychique chez les parents et chez l’enfant au cours de la consultation favorise l’instauration d’un cadre thérapeutique pour l’enfant. La consultation familiale est habituellement poursuivie parallèlement à la cure de l’enfant. Le consultant ne doit pas être le psychanalyste en charge du traitement. L’évaluation et la mise en place de l’indication thérapeutique peuvent être éclairées par un bilan psychologique, en particulier des tests projectifs.
5Deux psychologues cliniciennes, Hélène Suarez-Labat et Sophie Baudin, ont fait part de leurs réflexions sur les possibilités de repérage des potentialités de changement lors de la passation de tests projectifs, CAT et Rorschach, et sur les mécanismes et processus de transformations en jeu. Elles ont illustré le fruit de leurs élaborations par la présentation de tests et retests passés à plusieurs années d’intervalle au décours d’une psychothérapie. Retenons, parmi leurs hypothèses, l’accent mis sur le rôle de l’écoute lors de la passation des tests qui constitue, en elle-même, une rencontre singulière autour des “objets tests medium” et sur l’interprétation psychanalytique des associations suscitées par le matériel à partir duquel pourront être dégagées les capacités de symbolisation. La possibilité pour l’enfant de s’appuyer sur le maillage pare-excitant du clinicien fait partie des indices cliniques révélateurs de potentialités de transformations intrapsychiques. Un temps important est celui de la restitution des résultats en présence du consultant, temps qui participe à l’historicisation de la prise en charge.
6Le travail du groupe constitué par Olivier Pariset, psychanalyste, Marie-Claude Appenzeller, orthophoniste, et Fanny Chedin, psychomotricienne, portait sur les “apports réciproques des diverses rééducations et de la psychanalyse : deux techniques en résonance”. S’il peut être utile de recourir à des bilans d’orthophonie et/ou de psychomotricité lors de l’évaluation d’un enfant dès son arrivée à Claparède, ces techniques de rééducation peuvent aussi participer au suivi de l’enfant en tant qu’intervention tiercéisante au cours d’une thérapie psychanalytique, le temps d’un bilan, ou bien relever d’un soin au long cours parallèlement à l’analyse. Les exemples cliniques proposés montrent que ces techniques peuvent favoriser l’accès à la pensée et faciliter l’intégration de l’interprétation, contribuer à la consolidation de l’objet interne et au développement de capacités d’identification. Les objets et les moyens des psychothérapies et des rééducations psychopédagogiques sont différents, mais leurs effets demeurent complémentaires, s’intriquent et se renforcent.
7Autre approche : celle de Béatrice Lehalle, une psychanalyste dans la cité qui se déplace dans une crèche, un univers où “les berceaux se substituent au divan”. Son écoute analytique s’appuie sur la référence à une conflictualité psychique face à un univers mental en pleine construction. Elle est à la disposition des enfants, du personnel et des parents. Ce contexte pose, plus particulièrement encore, la question du cadre et des processus en jeu chez ses interlocuteurs. Le cadre externe est celui de la crèche, le cadre interne, “une forme particulière de réceptivité” des affects. Réinstaurer un contenant pour les mouvements psychiques, faire un tri entre des angoisses de séparation et des angoisses plus primitives, prêter sa fonction alpha aux enfants et au groupe, ainsi décrit-elle, en une première approche, sa fonction. Ce faisant, elle favorise la possibilité d’un étayage pour la mise en forme des processus psychiques du bébé et elle suggère d’introduire l’idée de “pré-processus”, préforme ou possibilité de mise en forme des processus psychiques.
8Au terme de cette première journée, Michel Soulé dont l’expérience l’a amené à s’intéresser aux interactions biologiques entre le foetus et la mère pendant la grossesse a proposé un document sonore, “Ma vie, mon œuvre, mon dévouement”, où “il donne la parole au placenta”. Ce faisant, il a développé des théories complexes. Les interactions biologiques pendant la grossesse sont constitutives du lit somatique. Ainsi, la vie entière est-elle un après-coup de notre vie biologique intra-utérine. Les noyaux psychosomatiques primaires sont la conséquence de la défaillance de la fonction placentaire dont il souligne les rôles d’échange et de filtre, les fonctions immunologiques et endocrines. Interviennent “inquiétante étrangeté” et “violence fondamentale” entre le foetus et la mère, ce qu’atteste la mise en jeu de mécanismes de rejet neutralisés par le placenta. Rémi Puyuelo, lors de la discussion, a noté que, hormis la remarquable scientificité de cette présentation très humoristique, la métaphore que constitue le placenta qui travaille en toute discrétion puis s’éclipse est particulièrement émouvante au moment où Michel Soulé passe le flambeau de la présidence du conseil d’administration de Claparède à Thierry Bokanovski.
9Des supervisions dans les murs ont été proposées aux cliniciens par deux psychanalystes extérieures à l’institution, Florence Guignard et Laurence Kahn, afin que soient préservées la liberté de parole et l’autonomie de ceux qui y participaient et l’absolue confidentialité des propos échangés. Elles ont proposé un dialogue intitulé “La parole et l’enfant” dans le champ analytique. Florence Guignard a développé les notions de “température et de distance” indispensables à respecter en tant que “paramètres de la cure” (Donald Meltzer), notamment lors de l’interprétation du transfert, particulièrement du transfert négatif et du transfert sexuel. Elle a souligné l’impact du genre de l’analyste dans les cures (sujet d’un séminaire avec D. Arnoux à la SPP) et elle a terminé son exposé par des réflexions sur les conséquences des changements de société sur la psychopathologie de l’enfant, notamment sur la disparition progressive de la phase de latence que l’on peut observer.
10Laurence Kahn a centré son exposé sur les conditions et les modalités du traitement de l’excitation dans l’économie d’une séance, question dont elle a souligné l’importance non seulement pour l’enfant, mais aussi pour l’analyste. Cette excitation est inhérente à la séance dans la mesure où la séduction qui constitue la relation analytique est portée par la règle qui fonde l’échange dans la cure et concerne aussi l’analyste, puisqu’est mise en jeu la charge sexuelle de son propre infantile. La dernière intervention, “De l’interdit du toucher à la découverte du tact”, fut celle d’Hélène Suarez-Labat et d’Alain Sombret, “un couple de psychanalystes au travail avec une famille”, rendait compte d’une thérapie familiale. “L’interdit du toucher” est une règle organisatrice qui définit des limites à la famille au cœur de la thérapie. Quant au tact, c’est une qualité à laquelle Sàndor Ferenczi faisait référence au sujet de l’exercice de l’analyse. Si cette qualité lui apparaissait indispensable en tant qu’analyste, la transmettre à une famille dont la violence était manifeste apparaît un exploit. Retenons cette phrase de la mère, prononcée au terme de plusieurs années de travail, qui témoigne de la prise de conscience d’un insight : “Que nous est-il donc arrivé ?”
11Quel travail fut réalisé par ces deux analystes qui ont donné deux récits personnels et complémentaires de cette aventure !
12Ces Journées de l’Institut Édouard Claparède, très instructives, ont témoigné de la qualité du travail d’analyse d’enfants et d’adolescents effectué dans cette institution, qualité très certainement liée à l’authenticité des échanges dans les divers groupes de travail. Cela ne laisse aucun doute quand on sait quelle peut être la violence que soulèvent certaines configurations familiales et individuelles auxquelles sont confrontées les thérapeutes. Ce thème de la violence sera le sujet des prochaines journées de l’Institut Edouard Claparède en janvier 2009.
Dominique Baudesson
Psychiatre, psychanalyste, SPP.