Couverture de LCP_072

Article de revue

Colloques

Pages 22 à 23

English version

Travailler ensemble., Les besoins des enfants et des adolescents, les attentes des professionnels., 7 décembre 2001, Paris

1En psychiatrie, le travail en réseau existait bien avant que cette dénomination soit adoptée tant par les professionnels que par les législateurs. La nécessité d’un travail partenarial transdisciplinaire qu’il réaffirme appartenait déjà aux idées princeps de la sectorisation. C’était il y a plus d’un demisiècle. Ce colloque a permis aux intervenants de rappeler cette inscription historique mais aussi d’élaborer leurs pratiques, d’en souligner les difficultés et les insuffisances.

Réseaux et pratiques professionnelles

2Les soins aux enfants et aux adolescents en difficultés, ainsi qu’à leurs familles, retiennent particulièrement l’attention, car ils imposent la création de liens entre les professionnels qu’ils mobilisent.

3Ainsi, lors de la première table ronde animée par L. Renard (psychiatre), C. Killian (puéricultrice), A. Le Nestour (pédopsychiatre) et S. Missonnier (psychologue) ont pertinemment soutenu l’importance du travail transdisciplinaire « autour du berceau » lorsque le milieu naturel est défaillant. Travailler ensemble d’une façon humaniste (d’humain à humain) et holistique (refus du clivage psycho/soma) permet de soutenir une « bien-traitance » structurante pour des sujets en souffrance. Il s’agit de repérer avant, pendant et après la grossesse les « clignotants », signes de déficiences, mais aussi les ressources de la famille.

4La naissance d’un enfant, c’est aussi la naissance d’une mère et d’un père en proie à des émotions intenses plus ou moins avouables. Face à cette vulnérabilité, travailler de façon cohérente exige pour les professionnels de faire le deuil d’une toute puissance préventive, de déjouer leurs propres projections, d’établir des liens solides sur lesquels les parents peuvent s’étayer, de créer à chaque fois une nouvelle manière d’être ensemble. Il existe une « stéréophonie » entre ce qui se passe du côté des parents et ce qui se passe du côté des intervenants, à ces derniers de connaître leurs pratiques et leurs limites afin d’éviter la répétition et les dérives, comme la maltraitance par exemple.

5La deuxième partie de la matinée, animée par P. Huerre (psychiatre) a permis à plusieurs intervenants d’analyser en quoi « le comportement sollicitait le partenariat » : J. Duval-Héraudet (rééducatrice) en ce qui concerne l’école, M. Fillère (inspectrice de l’enfance) à propos de l’aide-sociale à l’enfance et M. Botbol (psychiatre) au sujet de « l’institution et l’adolescent », M. de Maximy (premier juge des enfants) concluant ces réflexions. Il s’agit là pour les professionnels de travailler ensemble à l’initiative du sujet et de « faire avec » ses parents en s’assurant de leur adhésion au projet même si les intervenants peuvent se sentir en « situation de pouvoir ». La prise en charge d’adolescents « difficiles » est soumise à ce qu’engendre le sujet lui-même par son comportement destructeur et ses passage à l’acte : rejet de l’institution, mise en échec des projets.

6Le réseau apparaît bien là comme « technique de soins », aidant le sujet pris dans un paradoxe insupportable à investir l’institution qui devient alors « séduisante et non séductrice » (J. Hochman) La présentation du « réseau de prise en charge des mineurs en grandes difficultés » dans le Val de Marne a illustré ce travail de coopération élargie et formalisée.

7Dans la troisième partie de la journée, D. Lauru (psychiatre, psychanalyste), N. Denni-Krichel (orthophoniste), A. Touati (psychologue), S.D. Kipman (psychiatre, psychanalyste) se sont attachés à dégager les principes fondamentaux et les difficultés du travail transdisciplinaire au sein des institutions et entre elles. Construire un réseau singulier, c’est faire preuve de créativité. Au sein de l’institution, le travail s’organise entre intersubjectivité (« espace du sujet ») et objectivité (« espace social »). Pour garantir l’espace individuel il doit s’étayer sur un cadre structuré. L’institution doit donc établir son identité, c’est à dire définir son champ de compétences, ses règles de fonctionnement et son mode d’action. De même, il importe que les professionnels prennent conscience de leur implication dans la relation au sujet et qu’ils gardent une part d’improvisation comme dans la « Comedia del Arte ».

• Réseaux et organisation des soins

8Tout au long de ce colloque, les professionnels ont souligné le décalage qu’ils ressentent entre leur conception du travail en réseau et celle des instances tutélaires. En effet, si depuis les ordonnances de 1996 la notion de travail en réseau est inscrite dans la loi, sur le terrain les directives législatives et les choix politico-économiques ne contribuent pas toujours à en faciliter la mise en place (à moins de réduire la notion de « réseau de soins » à celle de « filière »).

9Ainsi R. Misès (professeur de psychiatrie) a rappelé que la mise en place du secteur et donc l’ouverture vers un travail partenarial ont initialement été soutenues par les instances gouvernementales. Par contre, actuellement, des obstacles majeurs s’opposent aux efforts engagés. Ainsi, les réductions budgétaires se sont traduites par une pénurie organisée des acteurs psychiatriques de ce travail (psychiatres, infirmiers) et par la nécessité d’un transfert de compétences vers d’autres catégories professionnelles. De même, l’égalisation des moyens entre les régions se fait le plus souvent au détriment des actions engagées dans la communauté des régions « trop pourvues ». R. Misès a également dénoncé l’orientation préférentielle des crédits vers la mise en place d’actions codifiées et d’actes techniques. Pour lui, il s’agit là d’un choix qui fait abstraction de la spécificité du travail en psychiatrie, c’est à dire de la nécessité d’un travail interstitiel au quotidien et sur le terrain.

10Dans le même registre, L. Renard a souligné l’évitement collectif que permettent l’instrumentalisation des dispositifs de soins et la rationalisation de la souffrance mentale. Cette dernière ne pouvant être abordée dans sa complexité est ainsi enkystée et rejetée. Face à ces difficultés, tous les intervenants de cette journée ont réaffirmé leur volonté de poursuivre les efforts engagés. Certains d’entre eux ont également appuyé la nécessité de formaliser des réseaux interinstitutionnels. Comme l’a souligné P. Huerre, la création d’un réseau singulier autour et pour un patient s’oppose aux injonctions hiérarchiques et peut donc apparaître inconciliable avec l’existence de réseaux inter-institutionnels formalisés. La formalisation des réseaux de soins doit permettre aux réseaux singuliers de se créer et de se recréer en permanence sans que cette dynamique dépende uniquement de la volonté de quelques uns.
En fin de journée, M. Jaeger (directeur de Buc Ressources) a abordé le délicat sujet de l’articulation entre le champ médical et le champ médico-social. Il a ainsi souligné que ces deux champs restent encore fortement cloisonnés au niveau ministériel. La « logique de la pile » (empilement de législations, de montages institutionnels, de corps professionnels, de formations professionnelles) favorise la « logique de la bulle » c’est à dire un fonctionnement institutionnel replié sur lui-même. M. Jaeger propose en priorité un décloisonnement aux deux extrémités : au niveau législatif et au niveau des formations professionnelles.

• Conclusion

11Ce colloque s’est achevé sur l’intervention de B. Golse sur la notion de transmission. Indissociable de la notion de confiance et de celle de transmission trans-générationnelle, la transmission entre les professionnels se décline à plusieurs niveaux. Transmission de l’information dans une volonté de créer des liens autour du sujet, transmission des connaissances pour permettre l’émergence d’un langage commun indispensable à un travail à l’interface des différentes approches. En définitif, transmettre doit permettre à chacun de « savoir dire », de « savoir être » et de « savoir faire » au sein d’un travail partenarial.

12Enfin, nous retiendrons que si les réseaux de soins peuvent et doivent conduire à un « niveau de pensée supérieur » et doivent nous permettre de rester des « rebelles constructifs » (B. Golse), les dissonances actuelles entre les professionnels et les tutelles appellent au rétablissement d’un « débat d’idées » (R. Misès). Sans cela, le concept de travail en réseau risque de devenir un instrument au service d’une gestion comptable et rationalisée à outrance de la souffrance mentale.

13Élisabeth Lambert et Françoise Penin

14Psychiatre et infirmière


Date de mise en ligne : 01/03/2010

https://doi.org/10.3917/lcp.072.0022

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