Couverture de LCN_132

Article de revue

Cybervolontariat : un concept et des actions

Définition d’un type de cyberaction

Pages 25 à 50

Notes

1. Introduction

1 Les philosophes le décrivent comme le fondement de l’espèce humaine, les anthropologues l’observent en termes d’interactions sociales, les théologiens le lient à l’identité spirituelle de l’homme : il s’agit d’un besoin proprement humain. C’est la nécessité de se sentir utile, de marquer l’existence par une action autre que purement « égocentrique », mais tournée vers autrui, vers une communauté, vers des individus en difficultés. Ce type d’action se décrit comme « bénévolat » et « volontariat » et se rattache aux notions de solidarité, de compassion, d’engagement et d’action citoyenne. Historiquement, ces actions sont liées à l’homme et à sa conscience de soi et des autres. Or, avec l’avènement du World Wide Web, certaines de ces formes fondamentales d’engagement évoluent et s’effacent au profit de nouvelles formes d’entraide, dont le cybervolontariat (Lakhani et Wolf, 2005 ; Krebs, 2005). Si les volontaires sont souvent considérés comme « des pionniers, les voix de l’avenir » (Ellis, 2003 ; Samassékou [1]), quel est leur rôle dans le cyberespace ? La question sous-jacente est celle de la manière dont les pratiques ancestrales, structurantes de toutes les sociétés, s’adaptent à l’époque contemporaine et perdurent.

2 Comme le soulignent Hussherr et Rosanvallon (2001), les nouvelles technologies que sont Internet, le protocole WAP [2] et la télévision interactive nous propulsent dans une ère où le citoyen devient potentiellement de plus en plus actif et impliqué. Cette révolution avait été prédite par Marshall McLuhan dans son ouvrage The Gutenberg Galaxy (1962). Il y avait évoqué des transformations technologiques fondamentales qui entraîneraient un changement significatif affectant l’interaction entre les êtres humains. Après la lettre, une relation un-à-un, le codex a permis une diffusion limitée de textes. Mais, c’est avec l’invention de Gutenberg que la relation un-à-plusieurs a pu se développer à une plus grande échelle. Ce passage a permis une transition de l’oral à l’écrit, reproductible et diffusable sous forme de livres. Par la suite, ont été introduits de nouveaux moyens de communication visuels, avec la photo et le cinéma muet, puis l'audio de la radio, suivis de l’audiovisuel avec le cinéma parlant et la télévision. Internet, moyen de communication développé par l'armée américaine, puis des scientifiques a été démocratisé à une large échelle entre 1989 et 1995 avec l'écriture et la diffusion du Hypertext Transfer Protocol (HTTP) par Tim Burners Lee. Le web 1.0 se limitait à une « lecture seule » (O’Reilly, 2005), mais dês l'introduction du web 2.0, ce seuil de participation a changé : le visiteur d'une page web est ainsi lui-même devenu rédacteur de textes. Il peut s’inscrire et publier des contenus.

3 Les développeurs du mouvement des logiciels libres et ouverts, souvent en œuvrant de manière discrète et dans l’ombre, ont joué un rôle fondamental dans le développement du Web. Ils ont très directement et indirectement contribué à la démocratisation celui-ci.

4 Le web se présente aujourd’hui à la fois comme une gigantesque sphère d’échanges de données et d’informations et comme un espace de relations commerciales de plus en plus important. En moins de 25 ans, le web a connu une croissance sans précédent. En 1993, il y avait 200 sites Web dans le monde. La barre d’un milliard de sites web a été franchie en octobre 2014 [3]. Ce qui a commencé comme une idée innovatrice de la recherche expérimentale représente aujourd’hui des enjeux sociaux, culturels et économiques énormes.

5 Afin de mieux comprendre les enjeux du cybervolontariat, il est nécessaire de clarifier l’utilisation des termes qui sont liés à cette activité citoyenne. C’est l’objectif de cet article, qui aborde l’activité d’abord à travers une définition du bénévolat et du volontariat traditionnel avant de proposer une typologie du cybervolontariat.

2. Typologie du cybervolontariat

6 Le mot « cybervolontaire » réunit deux éléments de base : cyber, dérivé du grec kubernetes, ce qui veut dire ‘conducteur’ et volontaire qui vient du latin ‘voluntarius’. Le préfixe -cyber prit une nouvelle signification depuis l’avènement d’Internet et du World Wide Web. Il se réfère souvent à Internet mais s’emploie également pour designer la culture de l’informatique de manière plus générale. Utilisé pour la première fois en français en 1265, le mot français volontaire quant à lui signifie « qui agit librement, de son propre gré, de sa propre volonté, de son propre mouvement » (Goelzer, 1928). Il s’agit donc d’un terme employé depuis plusieurs siècles qui est aujourd’hui souvent associé au contexte social, humanitaire, mais également culturel et sportif. Par le passé, ce même terme a aussi été employé pour désigner des personnes qui s’engageaient dans l’armée sans être forcés de le faire. La racine du mot est dérivée du verbe latin velle et du français « vouloir » [4].

7 Notons encore que dans la langue française, on fait la distinction entre un ‘bénévole’ et un ‘volontaire’, distinction qui n’existe pas dans une langue telle que l’anglais, où le seul terme employé est volunteer. Selon Loubet-Grosjean (2005), « le bénévole est celui qui n’a pas de statut officiel, qui bien souvent est engagé dans des missions plus courtes que le volontaire, ne perçoit aucune indemnité et, surtout, situe son intervention en dehors de sa période de travail (temps libre, congés spéciaux, vacances ou retraite). Le volontaire, lui bénéficie d’un statut, il est lié par un contrat, interrompt ses activités ordinaires pour accomplir une mission à temps plein pas toujours mais souvent à l’étranger. Il doit avoir des compétences précises adaptées à chaque projet et a droit à des indemnités de subsistance, à une couverture sociale et une assurance de rapatriement. » Il faut cependant noter que la différenciation entre bénévole et volontaire n’est de loin pas utilisée de la sorte dans tous les pays francophones. A titre d’exemple, le nom du Groupe Romand de Promotion du Bénévolat (GRPB) utilise le terme « bénévolat », mais le centre local genevois de bénévolat est connu sous le nom de Centre Genevois du Volontariat. Dans les deux cas, il est question de structures qui œuvrent dans le domaine du bénévolat social et culturel. L’usage de ces termes permet de voir que leur emploi change sensiblement selon les cultures et le milieu où ils s'utilisent. Ainsi, le terme bénévole est plus fréquemment utilisé au Canada où il est clairement démarqué du mot anglais volunteer. Les termes employés pour designer le bénévolat/volontariat lié aux technologies et/ou au World Wide Web ne tiennent souvent pas compte de ces distinctions non plus. Ainsi, le terme ‘cybervolontaire’ est couramment employé, alors que ‘cyberbénévole’ ne l’est pas, même si le cybervolontaire n’intervient de loin pas toujours dans un cadre formel. Sans doute que ce flou lexical, plus prononcé lorsqu’il est question de bénévolat/volontariat liés aux technologies s’explique par le fait que la langue anglaise joue en rôle primordial dans l’univers du web et de l’informatique.

8 Le schéma en figure 1 illustre, de manière visuelle, la chronologie de ces deux termes par rapport à l’apparition du mot « volontaire » qui remonte au XIIIe siècle et le situe par rapport à l’introduction relativement récente d’Internet et une panoplie de termes utilisés dans ce contexte.

Figure 1. Internet et les Volontaires, interaction entre deux concepts [5]

Figure 1. Internet et les Volontaires, interaction entre deux concepts5

Figure 1. Internet et les Volontaires, interaction entre deux concepts [5]

9Dans un but de clarté, cet article se référera au terme de 'volontaire' pour couvrir le champ lexical français de bénévole/volontaire. Le terme correspond au terme volunteer dans la langue anglaise, ainsi qu'au terme voluntario en espagnol, portugais ou encore en italien. Même s'il peut être question de bénévolat, l’article mettra donc de côté la distinction entre bénévolat et volontariat, afin de ne pas ajouter des complexités et des nuances peu utiles dans ce contexte. L’article s’intéresse aux pratiques des personnes, pas aux définitions institutionnelles et légales, même si celles-ci, peuvent avoir leur importance.

10 Dans le cadre de cet article, nous définissons le cybervolontaire comme une personne qui se porte volontaire et qui, pour accomplir les tâches et les activités qu’elle mène utilise en tout ou en partie un ordinateur et/ou Internet. Souvent ce type de volontaire dispose d’un bagage technique important. Il cherche à appliquer ses compétences en matière d’informatique au monde qui l’entoure. Il peut aussi travailler comme traducteur, rédacteur ou interprète. Ainsi, un volontaire est cybervolontaire lorsque, assis à un bureau, il donne des conseils et enseigne comment créer une feuille de calcul électronique à un individu assis dans la même pièce ou se trouvant dans un cybercafé à l’autre bout du monde.

11 Dans la pratique, il est possible de s’imaginer facilement que la grande majorité des cybervolontaires travaillent à distance, parce que c’est le seul type de volontariat qui puisse être compatible avec une activité à temps plein ou partiel et qui n'exige pas un déplacement dans un pays lointain. En effet, faire du volontariat sur place, par exemple dans un pays en développement, n’est pas une option pour beaucoup de volontaires et ce pour des raisons financières et de temps.

12 Une série d’autres termes sont employés pour designer le volontariat technologique. Ainsi, Manuel Acevedo (2004) définit le ‘volontariat lié aux TIC’ comme l’ensemble des activités effectuées par des volontaires qui ont pour objectif de favoriser l’utilisation ciblée des technologies numériques. Ismael Peña-López (2005) distingue quatre termes permettant de décrire le volontariat en lien avec les technologies numériques : le volontariat en ligne (online volunteering), le volontariat virtuel (virtual volunteering), le cybervolontariat (cybervolunteering), le volontariat lié aux TIC (ICT volunteering). Selon lui, le volontaire en ligne est un volontaire qui œuvre par le biais d’Internet et qui se trouve physiquement ailleurs que les bénéficiaires de son action, action qu’il mène par exemple depuis son domicile. Pour le volontariat virtuel, Peña se réfère à la définition proposée par Susan Ellis [6] : il s’agirait de « tâches volontaires menées en tout ou en partie par Internet ». Selon Peña-López, un volontaire en TIC est une personne qui cherche à favoriser l’utilisation des TIC. Il peut installer du matériel informatique, des logiciels ou mener à bien des programmes de formation aux TIC. Peña-López souligne que, pour être un volontaire en TIC, il n’est pas nécessaire d’être en ligne. Dans sa recherche, Peña-López utilise le terme ‘cybervolontariat’ comme un synonyme de l’expression de ‘volontariat en ligne’.

13 Or, il convient de distinguer les deux, dans la mesure où un volontaire en ligne travail forcément avec un ordinateur connecté à Internet, ce qui n’est pas nécessairement le cas d’un cybervolontaire.

14 Ainsi, dans le cadre de cet article, un volontaire en ligne (online volunteer) est un volontaire qui effectue son activité de volontariat par le web. Ce volontaire n’est pas nécessairement développeur ou programmeur, mais peut être un simple usager des technologies et d’Internet. En général, le bénéficiaire de son action ne se trouve pas au même endroit que le volontaire. Ce dernier utilise les outils informatiques pour accomplir son activité. Dans cette catégorie se trouvent par exemple certains traducteurs et rédacteurs de textes. Ils ont une maîtrise basique d’outils de bureautique et du web, sans pour autant être animés par le désir de pousser en avant le développement du dernier gadget technologique. Comme indiqué par Peña-López, il convient ainsi de mettre l’accent sur « en ligne » lorsqu’on parle du volontariat en ligne, et moins seulement sur l’usage des technologies. Par conséquent, un volontaire en ligne ne peut pas être offline pour son action. Un e-volontaire serait synonyme de volontaire en ligne. Quant au terme à ‘volontaire virtuel’ (virtual volunteer), il s’agit d’un synonyme, aussi appelé ‘volontariat à distance’ (distant volunteering) ou ‘e-volontariat’ (e-volunteering).

15 Au juste, il convient préciser qu'à la différence d'un volontaire en ligne -- forcément toujours connecté à Internet -- un ‘cybervolontaire' peut, dans certains cas, effectuer des activités technologiques qui sont réalisées de manière ‘offline’, par exemple en installant un logiciel sur un ordinateur qui n’est pas connecté à Internet ou en donnant des cours d’alphabétisation numérique à des étudiants physiquement présents.

16 Quant au terme ‘volontaire TIC' (ICT volunteer), il s’utilise dans des cercles des Nations Unies, et a vu une plus large utilisation en particulier dans le cadre du Sommet sur la Société de l’Information (SMSI) [7]. Un ICT volunteer est une personne qui effectue des activités autour des TIC qu’il soit forcément en ligne ou pas. Il serait donc possible de mentionner l’exemple des personnes qui utilisent les outils de bureautique classiques ou de base pour produire des tracts, des brochures, etc. Ce terme peut ainsi être considéré comme synonyme à celui de ‘cybervolontaire’.

3. Dimension spatiale du cybervolontariat

17 La dimension spatiale est l'une des différences fondamentales entre la situation de bénévolat/volontariat traditionnel et le cybervolontariat. En effet, un volontaire traditionnel interviendra typiquement pour un bénéficiaire qui se trouve dans le même lieu géographique. En revanche, pour un cybervolontaire, différentes modalités géographiques de participation sont possibles. Pour la plupart des cybervolontaires, le web constitue un point central de rencontre. Il est ici question de la relation entre un volontaire, un bénéficiaire et, dans certains cas, un intermédiaire ou une organisation coordinatrice des efforts (figure 2).

18 Proulx et al. (2006) distinguent trois catégories par rapport au dispositif de communication de groupe médiatisée par l’informatique : le corps de l’internaute, le lieu de la communication, le temps de la communication. Ainsi, Internet est un espace de « tissu social et symbolique de nos sociétés ». Dans un espace qui n’est pas délimité selon les frontières d’un État-Nation, il se forme des communautés imaginaires, tenues par un sentiment d’appartenance, tel que le définit Benedict Anderson (1991).

Figure 2. Interaction entre l’organisation, le cybervolontaire et le bénéficiaire

Figure 2. Interaction entre l’organisation, le cybervolontaire et le bénéficiaire

Figure 2. Interaction entre l’organisation, le cybervolontaire et le bénéficiaire

19Selon Elihu Katz (2002), de plus en plus de communautés virtuelles se sont créées en réponse au fort besoin de sentiment d’appartenance à une identité collective. Dans un monde où la notion d’État-Nation a tendance à se modifier profondément du fait de la mondialisation et de la société de l’information, Katz a raison de souligner « qu’il est probable que de nouvelles associations transnationales – les diasporas et groupes aux intérêts mondiaux – soient de plus en plus fortes au détriment de l’État-Nation. » L’après État-Nation est caractérisé par l’apparition de nouvelles structures transnationales qui permettent de s'impliquer dans le cyberespace. Entre autre, ces structures répondent au besoin d’appartenir à une communauté d’individus. Cela touche à des concepts de l’après État-Nation tels que décrits par Jürgen Habermas dans son ouvrage éponyme (2000) et aux communautés imaginaires de Benedict Anderson (2000). L’appartenance à une communauté est un comportement naturel pour l’animal social qu’est l’homme. Cela a à voir avec les notions d’identité individuelle (qui suis-je ?), d’identification avec un groupe (quelles sont mes appartenances communautaires ?), d’identité nationale (quelle est ma nationalité ?), d’identité linguistique (quelle sont mes langues ?), d’identité religieuse et idéologique (quelles sont mes croyances et aspirations profondes ?).

20 La notion de communauté virtuelle est étroitement liée à celle du cybervolontariat dans la mesure où les développeurs de logiciels libres et ouverts font souvent partie de communautés virtuelles de programmeurs. Ils s’impliquent de leur plein gré, sans être rémunérés. Pour les hackers et les développeurs de logiciels libres et ouverts, le concept de communauté est essentiel dans la mesure où les applications d’envergure sont développées de manière collective. Le concept de communauté est également lié à l’idée du libre accès à l’information et de la liberté de contribuer à un projet de développement informatique.

21 Une communauté est définie comme un groupe de personnes liées par un certain nombre de dénominateurs communs (par exemple l’origine, la langue ou l’activité). Selon Ernest Geller (1983), un individu qui fait partie d’une communauté donnée s’identifie généralement à ce groupe. Il a donc une identité propre et un sentiment d’appartenance, par exemple à un courant de pensées qui distingue une communauté particulière d’autres communautés. Le concept implique également l’idée que les personnes qui font partie d’une communauté la soutiennent en lui donnant une cohésion. Comme le montre Howard Rheingold (2000), pour les communautés virtuelles du cyberespace, les repères sont largement idéologiques, parfois linguistiques, dans la mesure où il n’y pas de frontières géographiques telles que celles d’un État-Nation. Rheingold définit les communautés virtuelles comme des « agrégations sociales qui émergent du Net quand suffisamment de gens exercent ces discussions publiques assez longtemps, avec le sentiment humain suffisant pour former des réseaux de relations personnelles dans le cyberespace. »

22 La notion d’espace public selon Habermas est très importante pour les communautés virtuelles des cybervolontaires sur Internet. Il faut souligner que le traducteur français de l’ouvrage majeur de Jürgen Habermas a transformé die Öffentlichkeit (le caractère public de quelque chose) en « espace public ». Le glissement de sens a amené une modification du contexte théorique : il y a une cassure entre les éléments formant l’espace public et l’espace public lui-même (Viallon, 2006).

23 Les outils de gouvernance et de contrôle d’accès permettent également de créer des espaces semi-privés ou privés sur la Toile, réservés à un nombre limité d’individus initiés et autorisés. Il s’agit d’un espace où l’accès au savoir et à la connaissance est limité. Des notions de confidentialité entrent alors en ligne de compte. L’accès n’est pas lié à un espace géographique, ou à un Etat-Nation, mais à des critères d’autorisation dans l’espace virtuel, ce qui permet de prendre en considération des éléments linguistiques mais également idéologiques, comme c’est parfois le cas pour les développeurs de logiciels libres et ouverts.

24 Il existe des cas où les frontières nationales sont délimitatrices, non en termes de contenus, mais en termes d’accès. Il en est ainsi notamment dans des Etats-Nations totalitaires qui cherchent à contrôler l’accès à l’information de leurs citoyens, où certains contenus sont censurés et l’accès au Web est contrôlé et filtré [8]. D’autres facteurs entrent également en ligne de compte, notamment les limitations d’accès à Internet liées à des raisons techniques ou financières (fracture numérique).

25 Les réseaux culturels locaux sont créés de sorte que les individus puissent s’identifier, en fonction de leurs aspirations – leurs philosophies personnelles, leurs idéologies et les réseaux culturels.

26 Le développement de projets web passe par des réunions physiques et virtuelles de personnes impliquées. Habermas était optimiste quant à la possibilité de renaissance de la sphère publique. Il voyait un espoir pour l’avenir dans la nouvelle ère de communauté politique qui transcendait l’État-Nation et qui était fondée sur des similitudes ethniques et culturelles ainsi que l’égalité des droits entre citoyens. Cette théorie discursive de la démocratie exige une sphère publique militante, où les questions d’intérêt commun et les relations politiques peuvent être débattues, et où l’opinion publique peut influencer le processus décisionnel (Anderson, 1991).

27 Ainsi les idées d’Habermas sur la sphère publique restent d’actualité à plein d’égards : virtuelle mais bien réelle, la cyber-sphère est composée d’individus qui ne se connaissent pas toujours. Habermas appelle le cyberespace « Post-Nation », car les frontières dans cet espace ne sont plus liées à un espace physique, avec des frontières physiques, mais plutôt délimitées par les sphères d’usages choisies par les individus en fonction de leurs intérêts, leur langue et leur univers et espace référentiel. La motivation est du coup un facteur déterminant dans la délimitation et la création de cet espace. Il y a souvent une recherche de soi, une envie de découvrir l’autre. L’autre peut être proche ou bien à l’autre bout du monde. Le cybervolontaire est fasciné par les technologies de l’information et de la communication et veut les utiliser de manière positive.

28 Ainsi, l’altruisme, la solidarité, l’entraide sont des concepts spécifiquement humains [9] qui gardent tout de même une certaine importance dans le cyberespace. La libre volonté, elle aussi, dans la mesure où l’homme peut prendre des décisions raisonnées, pensées et réfléchies, où il peut s’engager en faveur d’une activité bienveillante ou au contraire maligne.

3.1. L’envoi de volontaires

29 Il existe un certain nombre d’organisations spécialisées dans l’envoi de volontaires sur le terrain, dont certaines travaillent avec des volontaires spécialisés en matière technologique.

30 A titre d’exemple, il convient de mentionner le European Volunteer Service (EVS) [10] qui propose différents postes de cybervolontariat dans un pays autre que le pays de résidence du cybervolontaire et qui supposent un déplacement de celui-ci. Au moment de la rédaction de cet article, EVS listait 23 opportunités de ce genre.

31 Entre 1999 et 2006, Industrie Canada a financé un programme qui s’appelait Cyberjeunes, un consortium entre neuf organisations différentes. Durant ces années, le consortium Cyberjeunes a envoyé plus de 1.700 jeunes cybervolontaires à l’étranger. Le budget initial du programme s’élevait à 4,6 millions de dollars canadiens pour les échanges de ces volontaires, où de jeunes Canadiens ont été placés en tant que cybervolontaires dans différentes organisations de développement en particulier dans les pays en développement (Afrique, Amérique latine et Asie). Le programme s’est poursuivi dans un format réduit après 2006, mais a été définitivement abandonné en 2009.

3.2. L’accompagnement à distance de personnes dans le besoin

32 Une forme de cybervolontariat est celle qui consiste à accompagner à distance des personnes dans le besoin. Beverly Ann Beisgen et Marilyn Crouch Kraitchman (2002) consacrent un chapitre de leur ouvrage pratique au « vieillissement positif » grâce aux cybervolontaires qui assistent les personnes âgées en Amérique du nord. L’ouvrage s’adresse aux travailleurs sociaux, thérapeutes, infirmières, gérontologistes, administrateurs de centres pour personnes âgées et aux étudiants.

33 De la même manière, Moira McCarthy et Jake Kushner (2007) relèvent l’exemple des cybervolontaires qui assistent les enfants diabétiques. Le cas échéant, près de cent cybervolontaires offrent leur expertise en matière de diabète juvénile par le biais de la Toile. Ils accompagnent ainsi à distance des parents d’enfants diagnostiqués du diabète. Dans les deux exemples cités, le cybervolontaire ne se déplace pas. Il se connecte par le biais du net et communique avec une autre personne grâce à Internet.

4. Cybervolontariat et réseaux sociaux

34 Les réseaux sociaux permettent aux cybervolontaires de mettre en place des pages et groupes d’intérêt ainsi que d’échanger avec d’autres personnes quant à leur pratique de cybervolontariat. Ils peuvent publier des images, des commentaires, des événements, voire même des vidéos. Quelle que soit la plateforme spécifique utilisée, les cybervolontaires sont impliqués dans ce que Christian Fuchs (2008) appelle l’auto-organisation (Self-organization). Selon Fuchs, « Internet peut être interprété comme un catalyseur technologique d’une lutte sociale ». La dimension sociale d’Internet est fondamentale, dans la mesure où c’est elle qui lui donne vie. Internet n’est pas alors uniquement un outil de protocoles techniques, mais englobe une dimension liée à la socialisation, et au réseautage entre individus.

35 Les communautés virtuelles permettent aux cybervolontaires de développer un sentiment d’appartenance. Plus le web est interactif, plus il est possible pour une personne de s’impliquer facilement, si elle le souhaite (cf. discussion en ligne, forums, Facebook, etc.). Les cybervolontaires participent à la dynamique du web et sa construction à laquelle ils contribuent d’un point de vue technique, à travers le développement de sites Internet et d’applications qui seront ensuite utilisées par un grand nombre d’internautes. Actifs dans les forums techniques, les cybervolontaires participent à l’élaboration de contenus dans différentes langues et s’impliquent dans l’une ou l’autre communauté virtuelle.

36 Si les outils de socialisation ont été développés par des sociétés telles que Facebook, aujourd’hui cotée en bourse, ses utilisateurs et créateurs de groupes d’intérêt et pages spécifiques sont typiquement des individus, représentant dans certains cas des projets à but non lucratif animés par des bénévoles/volontaires et des cybervolontaires (www.facebook.com/senclip).

37 La cyberculture se développe dynamiquement, comme un système d’auto-organisation dans lequel les pratiques culturelles et les structures de production et reproduction sont poursuivies de façon continue les unes avec les autres en boucles autoréférentielles. Ainsi, dans le système de la cyberculture, les identités, les modes de vie, les communautés, les significations et les valeurs sont définies et redéfinies en permanence en ligne. Les communautés virtuelles s’auto-organisent autour d’intérêts communs. Cette auto-organisation est basée sur les interactions dynamiques entre acteurs (agents) dans des systèmes complexes, fondés sur le micro-niveau (bottom-up) (Fuchs 2008).

5. Les activités des cybervolontaires

38 Il est possible d’organiser les activités de cybervolontaires en différentes sous-catégories : 1) La création et gestion de sites web (webmasters) ; 2) La programmation et création de codes (hackers) ; 3) L’animation de forums techniques ; 4) La rédaction et l’édition de textes ; 5) La traduction et l’interprétation ; 6) Le graphisme et la photographie ; 7) La création de vidéos et autres éléments multimédias ; 8) Le calcul volontaire ; 9) La recherche en ligne ; 10) La formation, la sensibilisation et le développement de compétences ; 11) Les campagnes en lignes et la mobilisation ; 12) Le travail de relais de terrain.

5.1. La création et gestion de sites web (webmasters)

39 De nombreux sites Internet sont presque exclusivement gérés par des cybervolontaires, des webmasters bénévoles. Ils créent et gèrent des sites Internet bénévolement pour des ONG et des associations. Le webmaster est souvent informaticien, programmeur et consultant. Il dispose généralement d’un bagage technique conséquent. Si son travail reste technique, il l’est un peu moins qu’au début du web, car les Content Management Systems (CMS) lui permettent de configurer des sites sans devoir développer tout le code depuis 0. Il/elle utilise des CMS, puis rajoute sa propre programmation, mais est également en mesure de modifier des contenus et des images avec des logiciels tels que Photoshop. Les CMS les plus utilisés aujourd’hui comprennent une série de fichiers avec un code source ouvert. Le webmaster peut ensuite adapter certains de ces modules, ou écrire un module entièrement nouveau, puis le mettre à disposition de la communauté de programmeurs, par exemple la communauté de Joomla, de WordPress [11], etc. Ainsi, en tant que programmeur, il peut lui-même écrire des lignes de code dans des langages de programmation tel que PHP [12]. Des forums techniques sont à la disposition des communautés de programmeurs.

5.2. La programmation et création de code (hackers)

40 Les hackers contribuent au code source ou à la documentation liée à un projet existant. Il est possible de distinguer trois types de situations. Celles où un hacker : 1. contribue au code ou à la documentation d’un projet existant ; 2. participe à la documentation et à l’écriture de manuels d’utilisation ; 3. initie un nouveau projet lui-même seul ou en créant une communauté.

5.3. L’animation de forums techniques

41 Les cybervolontaires peuvent intervenir comme animateurs/trices de forums techniques facilitant les discussions et la communication entre différentes personnes impliquées dans la gestion de sites web, le développement d’applications, etc.

42 Des organisations telles que W3C [13] et Free Software Foundation (FSF) [14] disposent d’équipes pour récolter les dernières informations sur l’une ou l’autre question technique qui apparaît. Elles s’appuient fortement sur l’aide de cybervolontaires pour rester à jour et pour informer à leur tour les internautes, techniciens et programmeurs. Ainsi, les cybervolontaires envoient des informations concernant le système GNU/Linux à des forums et des organismes tels que la FSF. Le but est d’informer d’autres internautes pour qu’ils sachent ce qui fonctionne le mieux. Ils partagent également des témoignages décrivant la manière dont les logiciels libres sont utilisés dans une entreprise. En outre, ils contribuent à des ressources partagées de référence telles que le Free Software Directory, répertoire qui regroupe actuellement plus de 4.000 données sur des expériences et projets GNU/Linux. Ils soutiennent des campagnes, participent à la gestion du centre de campagne et initient des groupes d’utilisateurs aux logiciels libres et ouverts.

5.4. La rédaction et édition de textes, journaliste et éditeur

43 Si une ligne de téléphone et un ordinateur constituent des éléments indispensables pour la publication d’articles sur le web, cette publication dépend au bout du compte des personnes qui mettent en forme l’information publiée. Font partie des activités de cybervolontariat le fait de créer, par exemple, des blogs éducatifs, pratiques et ludiques. Certains cybervolontaires écrivent également pour des revues techniques. D’autres font partie de communautés en ligne et partagent leur savoir-faire technologique [15].

44 Ainsi, les cybervolontaires d’ICVolontaires ont mis en ligne des « online news » pour des conférences sociales, médicales et humanitaires depuis une vingtaine d’années [16]. Wikipedia, la plus importante encyclopédie en ligne, est quant à elle, alimentée par des milliers de contributeurs qui rédigent des articles en de nombreuses langues [17] (aussi voir 6.1.).

5.5. La traduction et l’interprétation

45 Le multilinguisme dans le cyberespace requiert des personnes qui se chargent d’une part, de la traduction (écrite) et, d’autre part, de l’interprétation (orale). Les traductions faites par les cybervolontaires sont envoyées par le web (par le biais d’une plateforme de publication ou par courriel). Pour l’interprétation à distance, l’interprète, quant à lui, fait un travail linguistique oral. Il peut travailler en simultané, en real time, ou de manière consécutive et différée. Les supports de transmission varient dans ce cas. Ainsi, la vidéo est utilisée, entre autres, pour l’interprétation consécutive. Pour l’interprétation simultanée, des outils permettant d’établir un contact direct entre l’orateur, l’interprète et le public sont la solution. Il existe différents outils pour cela, dont Skype [18] mais aussi des outils de téléconférence.

5.6. Le graphisme et la photographie

46 Le web comprend non seulement du code, mais également de plus en plus de graphismes. Des cybervolontaires s’impliquent comme graphistes et dessinateurs, par exemple pour proposer une charte graphique, dessiner un logo ou refaire l’aspect visuel d’un site web.

5.7. La création de vidéos et autres éléments multimédias

47 Ces dernières années, et grâce notamment au développement d’outils vidéo en ligne, la création de vidéos éducatives et autres matériels multimédias a connu un essor significatif. Ainsi, YouTube [19] héberge des milliers de vidéos, et d’autres plateformes Internet permettent de télécharger des fichiers MP3. Bien que la plateforme Youtube en tant que telle soit la propriété de Google, une société privée, ce sont ses usagers qui l’animent et lui donnent une dynamique. Les cybervolontaires œuvrent comme créateurs et éditeurs de certaines de ces vidéos, que ce soit de manière indépendante ou dans le cadre d’un engagement formel pour une organisation à but non lucratif.

5.8. Le calcul volontaire

48 Les personnes qui participent à des projets de calcul volontaire offrent des ressources informatiques et la puissance de calcul de leurs ordinateurs alors que ces derniers sont en veille (Krebs, 2010). En outre, ils s’impliquent souvent dans les projets qu’ils soutiennent, en fournissant des suggestions techniques concrètes. MalariaControl.net est un tel projet qui a mobilisé plusieurs milliers de cybervolontaires de par le monde (Krebs, 2010) (aussi voir 6.3.).

5.9. La recherche en ligne

49 Ce type de cybervolontariat se concentre sur la collecte d’informations et la constitution de dossiers pour la recherche de fonds, la conception et mise en route de nouveaux projets, la définition de notions théoriques, etc. L’activité peut également englober la création de questionnaires d’enquête diffusés auprès de personnes par le biais de la Toile, afin de réunir des données, se documenter sur un sujet spécifique ou collecter des références et des coordonnées.

5.10. La formation, la sensibilisation et le développement de compétences [20]

50 Les cybervolontaires formateurs s’impliquent dans la formation informatique et l’alphabétisation numérique ainsi que le renforcement des capacités dans ce domaine. Il existe de nombreux exemples pour illustrer ce type d’initiative et d’effort. Au Mali, ISOC-Mali offre des formations pour formateurs, tant pour la création de contenus que pour la gestion de réseaux informatiques. Au Mali et au Sénégal, le Programme CyberVolontaires d’ICV collabore avec des cybervolontaires pour recueillir des données, former des volontaires de terrain aux rudiments de l’informatique et travailler avec des agriculteurs pour son AgriGuide [21] et le Programme E-TIC.net [22].

51 L’ONG Women of Uganda Network (Wougnet) [23] utilise les TIC pour améliorer les conditions de vie des femmes en Ouganda en développant leurs compétences et leurs possibilités d’échange, de collaboration et de partage d’informations. De nombreux programmes de Wougnet impliquent des volontaires, dont le Space Satellite Radio Program (WSRP) qui a pour objectif de rendre accessible la radio satellite. Les volontaires de Wougnet installent également du matériel informatique, forment des bénéficiaires et assurent le suivi technique.

5.11. Le travail comme connecteur de terrain

52 Le travail du relais de terrain comprend différentes dimensions : d’une part, il est médiateur culturel et technologique. Il sert d’interface pour des personnes qui ne pourraient pas utiliser les technologies seules mais ont besoin d’un accompagnateur/intermédiaire. Typiquement, les relais de terrain font souvent également un travail de collecte de données, par exemple lorsqu’il y a lieu de réaliser une enquête décentralisée, avec des données qui doivent ensuite être collectées et centralisées. Dans certains cas, les relais de terrain peuvent également se servir d’outils technologiques tels que les enregistreurs ou encore les caméras vidéo.

5.12. L’activisme, les campagnes en ligne et la mobilisation

53 Les cybervolontaires peuvent jouer un rôle important comme vecteurs pour le changement social, auteurs de messages ciblés sur Facebook [24], dans des forums et à travers des campagnes par courriel. Cette activité est à la limite entre le cybervolontariat et le cyberactivisme, car l’activité poursuit un objectif politique. Chris Dornan et Jon H. Pammett (2004) donnent l’exemple des cybervolontaires impliqués dans les élections canadiennes et qui ont été actifs dans la diffusion des messages électoraux. Steve Davis, Larry Elin et Grant Reeher (2002) analysent comment, pour la première fois dans l’histoire américaine, Internet a joué un rôle dans les élections présidentielles aux États-Unis en l’an 2000. Huit ans plus tard, la campagne d’Obama a encore été beaucoup plus loin dans cette mobilisation politique à l’aide des outils d’Internet. On parlait alors d’Obamania et les journaux ont témoigné d’un changement des campagnes politiques. Ce phénomène est décrit par Claire Cain Miller (2008) dans son article « How Obama’s Internet Campaign Changed Politics » publié dans le New York Times. De nombreux messages ont inondé les boîtes mail de ceux qui ont contribué à faire de la campagne Obama le plus grand phénomène de l’histoire politique américaine, les invitant à faire participer leurs foyers ou à assister à l’un des événements « Le changement est venu ».

6. Quantifier le cybervolontariat

54 Il n’est n’est pas aisé de mesurer le cybervolontariat d'un point de vue quantitatif et qualitatif. Comme déjà évoqué, peu de pays incluent dans leurs statistiques nationales des éléments sur le bénévolat/volontariat, et encore moins sur le cybervolontariat. Il n’est donc pas question de présenter un portrait statistique complet, mais plutôt de fournir quelques indications de mesure du phénomène.

55 Il est possible de distinguer différentes formes de mesure : 1) par le nombre d’individus qui participent en tant que cybervolontaires à un projet particulier ; 2) par le nombre de lignes de code de programmation créées ou de textes écrits ; 3) par la quantité de travail informatique effectué par le net grâce à la participation de cybervolontaires, notamment dans le domaine du calcul volontaire.

6.1. Mesurer le nombre de cybervolontaires

56 Alors qu’il n’est pas possible de mesurer le nombre de cybervolontaires sur le plan mondial, des chiffres de projets et organisations spécifiques donnent une idée de l’ampleur du phénomène. À titre d’exemple, la communauté de contributeurs à Wikipedia comprend, selon Wikipedia-même 31.000 contributeurs bénévoles qui rédigent des articles en ligne gratuitement. Environ la moitié des rédacteurs passent au moins une heure par jour à rédiger des articles, et un cinquième passe plus de trois heures quotidiennement [25]. Selon Jimmy Wales, fondateur de Wikipedia, beaucoup de contributeurs sont des experts dans un domaine particulier. Ils modifient les articles déjà soumis par d’autres, ce qui fait qu’un seul article aura de nombreux contributeurs qui vérifient l’information et qui la complètent et la rectifient.

57 Le Service de Volontariat en Ligne [26], initiative mise en place par le programme des Volontaires des Nations Unies (VNU), permet de mobiliser des volontaires pour différentes activités de développement. En 2010, les 15.109 opportunités de volontariat en ligne proposées par des organisations de développement via le Service Volontariat en Ligne ont toutes attiré les candidatures de nombreux volontaires qualifiés. Selon le site du programme, environ 55 pourcent des 10.127 volontaires en ligne qui ont mené à bien ces tâches étaient des femmes, et 62 pourcent venaient de pays en développement. En moyenne, ils étaient âgés de 30 ans. En 2010, plus de 91 pourcent des organisations et des volontaires ont jugé leur collaboration bonne ou excellente.

58 Le navigateur Mozilla [27] implique des milliers de cybervolontaires [28]. Selon le site de Mozilla, « le projet Mozilla est une communauté mondiale de personnes qui croient que l’ouverture, l’innovation et les opportunités sont la clé d’un Internet en bonne santé. » Le projet Mozilla a débuté en 1998 afin de garantir qu’Internet soit développé d’une manière qui profite à chacun. Mozilla, une fondation à but non lucratif, et la communauté mondiale de cybervolontaires qui contribuent au développement du navigateur Mozilla (aussi appelé « Firefox ») ont élaboré des principes qu’ils considèrent importants pour qu’Internet puisse continuer à bénéficier du bien public. Ces principes sont contenus dans le Manifeste Mozilla [29]. Le navigateur a été traduit en 70 langues. Mozilla dispose d’un important ensemble de listes et d’outils pour les développeurs cybervolontaires. Ces outils sont également disponibles sur son site [30]. Le logiciel Debian [31], quant à lui, figure parmi les plateformes d’application en logiciel libre les plus populaires. Les cybervolontaires impliqués dans de tels projets aident à améliorer des applications et contribuent à la mise en œuvre de projets spécifiques. ICVolontaires [32], organisation à but non lucratif de communication œuvre avec un réseau de plus de 10.000 cybervolontaires, originaires de plus de 100 pays.

6.2. Mesure par quantité de lignes de code de programmation/textes écrits

59 Terry Hancock (2008) estime que si le logiciel libre Debian GNU/Linux n’avait pas été développé par des milliers de cybervolontaires de par le monde, sa réalisation aurait coûté près de 13 milliards d’US$ pour payer tous les programmeurs salariés. Cette estimation est basée sur un calcul à partir de la mesure appelé SLOC (Source Lines of Code) (figure 3). Dans le cadre de cette analyse, la méthode SLOC permet de présenter de manière cumulative les différentes composantes nécessaires pour la publication de Debian GNU/LINUX. Chaque édition est le cumul de différents éléments intégrés dans la programmation.

Figure 3. Croissance de Debian GNU/Linux et Composantes. Source : Hancock (2008) [33]

Figure 3. Croissance de Debian GNU/Linux et Composantes. Source : Hancock (2008)33

Figure 3. Croissance de Debian GNU/Linux et Composantes. Source : Hancock (2008) [33]

60Comme indiqué précédemment, Wikipedia s'appuie fortement sur un réseau de cybervolontaire. Lancée en 2001, la plateforme web , Wikipedia compte aujourd’hui plus de 1,8 millions d’articles en 200 langues. Quelque 800.000 entrées sont en anglais. L’organisation utilise un wiki, un logiciel libre qui permet à des lecteurs de devenir rédacteurs de contenus. Ils sont en mesure de modifier, ajouter, supprimer ou remplacer un article. Il s’agit de textes, formatés dans le wiki, par des lignes de code simples.

6.3. Mesure par la quantité de travail informatique effectué par le net

61 Les cybervolontaires sont fondamentaux aussi pour Boinc, le calcul volontaire et la pensée volontaire. 318.778 cybervolontaires et 555.772 ordinateurs, produisent en moyenne 1.487.99 TeraFLOPS de puissance de calcul en 24 heures : ce sont les chiffres donnés en 2009 par la plateforme Boinc (Berkeley Open Infrastructure for Network Computing [34]). Le calcul volontaire [35] (volunteer computing) permet à des projets scientifiques d’utiliser la puissance de calcul de millions d’ordinateurs en veille partout dans le monde. Boinc est utilisée pour un nombre croissant de projets et d’applications. Ainsi, MalariaControl.net, développé dans le cadre du projet Africa@home [36], a permis de puiser des ressources auprès de 15.000 ordinateurs proposés par des bénévoles-volontaires lui permettant d’effectuer les calculs nécessaires pour faire avancer la modélisation du paludisme (Maire, 2007). En moyenne, le projet a pu bénéficier de 10.000 machines actives, ce qui correspond à un total de 25.000 participants. Début 2009, la puissance de calcul obtenue grâce au calcul volontaire pour ce projet correspondait à 30.000 années de puissance d’un seul ordinateur. En plus du don de puissance de calcul, les cybervolontaires de Boinc sont fréquemment engagés dans le partage du savoir technique et scientifique (pensée volontaire). La suite de cette recherche, donnera lieu à une analyse des motivations des cybervolontaires impliqués dans MalariaControl.net et Boinc (Krebs, 2010). Il convient de préciser que des indications sur les motivations ont à la fois été données par des personnes contribuant à MalariaControl.net de multiples manières ainsi que celles qui offrent du temps de calcul grâce au partage de la puissance de CPU de leur ordinateur avec la communauté scientifique.

7. Les motivations des cybervolontaires

62 Les motivations sont liées à un désir de développement professionnel, mais également au souhait de connaître de nouvelles personnes et de nouveaux domaines d’activités. Pour les personnes qui ont un certain âge, il est important de pouvoir restés impliqués. La solidarité est un facteur mentionné par certains. Les cybervolontaires peuvent également être motivés par une cause ou encore le désir de partager leurs connaissances et compétences. Le plaisir et l’amusement ainsi que l’expression personnelle sont également mentionnés par certains cybervolontaires. La suite de cette analyse reviendra plus en détail sur des exemples spécifiques de motivations données (tableau 1).

8. Conclusion

63 Par une approche épistémologique, ce travail fournit un éclairage quant à la définition et aux pratiques du cybervolontariat.

64 Un cybervolontaire est une personne qui se porte volontaire et qui, pour accomplir les tâches et les activités qu'elle mène utilise en tout ou en partie un ordinateur et/ou Internet.

65 La typologie du cybervolontariat présentée dans cet article distingue douze catégories de cyberactivité. La majorité d'entre elles est effectuée grâce à l'outil web, mais certaines peuvent combiner des actions en ligne et hors ligne. Si certaines supposent un bagage technologique important (travail de développeur web), d'autres sont parfaitement faisables pour une personne qui maîtrise les outils de bureautique.

66 La notion de communauté virtuelle introduite par Katz et Anderson est liée au sentiment d'appartenance d'un individu à une communauté qu'il ou elle rejoint grâce au web. C'est aussi dans ce contexte qu'il convient d'aborder la notion d'espace public au sens habermassien du terme.

67 Et enfin, les motivations déterminent ce qui pousse pourquoi un individu à faire du cybervolontariat. Ces motivations peuvent être intrinsèques (inhérentes à l'individu) ou extrinsèques (externes à la personne, liées à des pressions sociales notamment).

68 Les cybervolontaires ont joué un rôle fondamental jusque-là pour le développement du web. Si leur travail n’est pas assez connu, ils sont les architectes d’éléments fondamentaux du web, tels que les logiciels libres et ouverts. Ils ont été les gardiens d’une certaine approche ouverte du web, avec le développement de communautés virtuelles organisées par domaine d’intérêt, langue et activité. Ils sont aussi rédacteurs, traducteurs, interprètes, formateurs. Ils sont actifs dans un espace virtuel qui ne connaît pas de frontières nationales. Les cybervolontaires travaillent dans des zones et avec des populations en marge de l’ère du numérique, que ce soit avec des communautés rurales en Afrique ou encore des personnes âgées en Europe, qui risquent de se retrouver en difficulté lorsqu’on leur demande de trouver des informations sur la toile ou encore de s’inscrire sur Internet pour tel ou tel autre service.

69 Si les réseaux sociaux ont à priori permis une plus grande ouverture du web, permettant à des personnes peu technologiques de s’impliquer et de publier des informations, cette démocratisation est quelque peu trompeuse. En effet, que ce soit Facebook [37], Twitter [38], Instagram [39] ou Youtube [40], le partage d’informations est de mise. Cependant, avec l’arrivée en force des multinationales de l’information, une multitude de questions et de défis se posent quant à la propriété intellectuelle des informations publiées, de la confidentialité ou encore de la marchandisation des données personnelles des Internautes. Ce qui a commencé comme une idée innovatrice de la recherche expérimentale représente aujourd’hui des enjeux sociaux, culturels et économiques énormes. Si les GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon) s’invitent dans nos vies au quotidien, ils laissent en marge des populations qui n’y ont pas accès ou qui ne sont pas « intéressantes » d’un point de vue commercial.

70 Aujourd’hui, le rôle des cybervolontaires reste fondamental pour la dynamique d’ouverture et d’inclusion du web.

Bibliographie

Bibliographie

  • Acevedo M. (2004). Introduction, Volontariat et TIC, Construire le cadre pour agir. Introduction, Sommet Mondial sur la Société de l’Information (SMSI), éd. Krebs Viola, ICVolontaires, Genève, Suisse., http://www.icvolunteers.org/wsis2003/
  • Anderson B. (1991). Imagined Communities, éd. Verso, London, 3rd édition, 2000.
  • Beisgen Beverly A., Crouch Kraitchman M. (2002). Senior centers: opportunities for successful aging, Ed. Springer Publishing Company, Philadelphia, USA, pp. 49-59.
  • Bénévolat (2007) Les dispositions les plus récentes, www.associations.gouv.fr/IMG/pdf/guide_benevolat.pdf
  • Cain Miller C. (2008). How Obama’s Internet Campaign Changed Politics, November 7, 2008, New York Times, http://bits.blogs.nytimes.com/2008/11/07/how-obamas-Internet-campaign-changed-politics/.
  • Collond M.-C., Gerber C.-L. (1999). Des repères et des outils pour tous les acteurs de la vie associative, Action bénévole, Lettre semestrielle, Lausanne.
  • Davis S., Elin L. and Reeher G. (2002). Click on Democracy: The Internet’s Power to Change Political Apathy into Civic Action. Boulder, CO: Westview Press.
  • Dornan C., Pammett J. H. (2004). The Canadian general election of 2004, éd. Dundurn Press Ltd., Canada, p. 225.
  • Ellis S. (2003, décembre). Energize, Conférence sur le volontariat et les TIC, Genève.
  • Fuchs C. (2008). Internet and Society: Social Theory in the Information Age, Routledge Research in Information Technology and Society, Taylor & Francis Group, New York.
  • Geller E. (1983). Nations et nationalisme, éd. Payot, Paris.
  • Goelzer H. (1928). Dictionnaire de Latin, éd. Garnier Frères, Bordas.
  • Grey F. (2009). Viewpoint : The Age of Citizen Cyberscience. CERN Courrier, 29 April 2009. http://cerncourier.com/cws/article/cern/38718.
  • Habermas J. (2000). Après l’État Nation, éd. Fayard.
  • Hancock T. (2008). Impossible thing #1: Developing efficient, well engineered free software like Debian GNU/Linux, www.freesoftwaremagazine.com, 2008-10-31.
  • Hussherr F.-X., Rosenvallon J. (2001). e-Communication, Tirer projet d’Internet : le sixième media... et plus encore, éd. Dunod, Paris.
  • Independent Sector and Untied Nations Volunteers, Measuring Volunteering: a practical toolkit, Independent Sector, Washington DC, 2001, www.independentsector.org/programs/research/toolkit/IYVfrench.pdf.
  • Katz E. (2002). Media Technologies, Social Organization and Democracy Polities, in Identify, Culture and Globalization, éd. Eliezer Ben Rafael with Sternberg Yitzhak, Leiden Bill. pp. 307-317.
  • Krebs V. (2010). Motivations of cybervolunteers in an applied distributed computing environement: MalariaControl.net as an example, First Monday, vol. 15, n° 2, February.
  • Krebs V. (2005). Volunteers: an essential building block for an inclusive knowledge society, The World Summit on the Information Society: Moving from the Past into the Future, Kleinwächter Wolfgang et al. Introduction by H.E. Kofi Annan and H.E. Ambassador Stauffacher, UNICT Task Force, New York, , pp. 191-198.
  • Krebs V. et Acevedo M. (2004). Volontariat et TIC, Construire le cadre pour agir. Sommet Mondial sur la Société de l’Information (SMSI), ICVolontaires, Genève.
  • Lakhani K. R., Wolf R. G. (2005). Why Hackers do what they do: Understanding Motivation and Effort in Free/Open Source Software Projects, MIT Press.
  • Le Robert Méthodique (1990). Paris, France.
  • Loubet-Grosjean M.-F. (2005). Chômeurs et bénévoles : Le bénévolat des chômeurs en milieu associatif en France, éd. L’Harmattan.
  • Maire N. (2007). Using Volunteer Computing to Stimulate the Epidemiology and Control of Malaria : malariacontrol.net. In Distributed & Grid Computing – Science Made Transparent for Everyone. Tectum Verlag, Marburg.
  • McCarthy M., Kushner J. (2007). The Everything Parent’s Guide to Children with Juvenile Diabetes: Reassuring Advice for Managing Symptoms and Raising a Healthy, Happy Child. Ed. Everything Books, pp 135, 253.
  • McLuhan M. (2008). The Gutenberg Galaxy: The Making of Typographic Man, University of Toronto Press, 1962, latest ed.
  • O’Reilly T. (2005). What Is Web 2.0. O’Reilly Network. Visited 2005-09-30.
  • Peña López I. (2008). E-Learning for Development : a model, UOC Doctorate on the Information Society Research, ICTlogy Working Paper Series #1, ©2005 Standard Copyright License, Spanish, March 13.
  • Proulx S., Senecal M., Poissant L. (2006). Communautés virtuelles, Penser et agir en réseau, Laboratoire de communautique appliquée, chap. les « Environnements sociotechniques de communication en ligne », pp. 19-21, Les Presses de l’Université Laval.
  • Rheingold H. (2000). The Virtual Community: Homesteading on the Electronic Frontier, Edition: 2, revised, éd. MIT Press.
  • The Economist. (2007). « Spreading the Load », Technology Quarterly, 6 December.
  • Thompson J. B., Held D. (1987). Habermas: Critical Debates. Patrick Murray and Jeanne Schuler, Social Forces, vol. 65, n° 3, Oxford University Press, pp. 892-894.
  • Viallon P. 2006. Communication et médias en France et en Allemagne, éd. L’Harmattan, Paris.
  •  

Notes

bb.footer.alt.logo.cairn

Cairn.info, plateforme de référence pour les publications scientifiques francophones, vise à favoriser la découverte d’une recherche de qualité tout en cultivant l’indépendance et la diversité des acteurs de l’écosystème du savoir.

Avec le soutien de

Retrouvez Cairn.info sur

18.97.14.80

Accès institutions

Rechercher

Toutes les institutions