Couverture de LCN_123

Article de revue

Mémoires d’une culture vidéoludique sur la plateforme Youtube

Expériences de vidéastes amateurs et patrimonialisation du jeu vidéo

Pages 93 à 114

Notes

  • [1]
    Voir le n° 62 de la revue Hermès, l’ouvrage « Les jeux vidéos comme objet de recherche » de Samuel Rufat et Hovig Ter Minassian ou encore l’activité de collectifs de chercheurs comme Ludosciences ou l’OMNSH.
  • [2]
    Par exemple les associations MO5.com ou Retrotaku.
  • [3]
    Le ComputerSpiele museum de Berlin, le Vigamus de Rome, ou le projet français du Musée de l’Informatique et du Numérique.
  • [4]
    Voir les catalogues des éditeurs Pix’n’Love ou Omake Books.
  • [5]
    Le terme shrine est fréquemment utilisé comme intitulé pour des pages web consacrées à des JV anciens depuis les premières années du web.
  • [6]
    Le retrogaming renvoie d’une part à « une pratique de jeu et de collection du JV ancien (classique) des années 1970 aux années 1990, mobilisant par exemple des programmes d’émulation*, et, d’autre part, à un large phénomène culturel incluant aussi bien une grande diversité de produits de consommation [...], de pratiques muséales et universitaires, la circulation d’informations et les discussions en ligne sur le jeu vidéo ». (Citation traduite par l’auteur) (Suominen et al., 2015).
  • [7]
    Aux titres explicites : Capcom Classics Collection, Namco Museum, Mega Man Legacy Collection, etc.
  • [8]
    Relevé le 7/12/2015.
  • [9]
    Nous écartons de notre analyse ces productions dont le statut soulève d’autres débats récurrents comme l’indépendance à l’égard des éditeurs, ou l’instrumentalisation d’une « esthétique amateur » chez des vidéastes professionnalisés. Voir le dossier « Youtubeurs, des influenceurs sous influences » paru dans le n° 278 du magazine Canard PC en 2013.
  • [10]
    Rappelons que si YT fournit un moyen d’expression, elle est aussi perçue en tant qu’acteur d’une mutation économique dans le secteur culturel, produisant des formes de régulation de la créativité des contributeurs, voire notamment Bullich (2014).
  • [11]
    Représentations du passé émanant des sociétés d’éditions.
  • [12]
    Certains termes techniques suivis d’un astérisque sont définis dans un glossaire en fin d’article.
  • [13]
    Certains enquêtés se sont montrés réticents au départ au principe de l’interview par exemple.
  • [14]
    À propos de cette notion et de ses enjeux, voir (Cristofari, Guitton, 2015).
  • [15]
    Données fin novembre 2015. La quantification n’inclut pas les statistiques des vidéos hébergées sur d’autres plateformes ou serveurs par ces vidéastes.
  • [16]
    Adresse de la chaîne : https://www.youtube.com/user/AyorSaeba
  • [17]
  • [18]
  • [19]
    Il est intrinsèquement lié à l’histoire de la vidéo de JV sur le web, ce dont témoignent sa dénomination propre et sa pérennité.
  • [20]
    Comme dans le cas du longplay*.
  • [21]
    Le vidéaste relate ici la relation entre le marché de l’arcade (« jeux de café ») et des consoles domestiques qui dessina durant de longues années la commercialisation de certains genres. Sur ce point, voir par exemple (Gorges, 2012)
  • [22]
    Vidéaste américain également inspirateur de Joueur du Grenier.
  • [23]
    Dans l’entretien et dans l’une de ses vidéo, Retro Phil compare le JV à d’autres activités artistiques amateures, comme la guitare, déclarant privilégier le plaisir personnel qu’il en retire au souci de la qualité d’une performance.
  • [24]
    « Tout ce qui, dans un espace donné, sur l’axe de pertinence retenu, est utilisé par les actants pour permettre la communication » selon Odin (2011).
  • [25]
    1h 30 pour se filmer, 20 h de montage, et plus de 20 h pour « essayer de terminer le jeu » (entretien).
  • [26]
    Transposition des Frequently Asked Questions écrites, datant des premières années du web.
  • [27]
    Nous préférons ici le terme d’ancien plutôt que retro – aux connotations problématiques –, permettant d’établir un lien avec la mémoire d’autres objets et d’autres activités d’amateur.
  • [28]
    Les verbatim des vidéastes sont tirés des entretiens et réponses réalisés durant notre enquête, sauf mention contraire.
  • [29]
    Voir à ce titre Guffey citée par Dauncey et al. (2015).
  • [30]
    Youtubeur rétro français très populaire avec 2,5 millions d’abonnés : https://www.youtube.com/user/joueurdugrenier
  • [31]
    Ce constat confirmant celui de Laurence Allard à ce sujet, voir notamment BiTS le magazine de la Culture Pop, Arte.
  • [32]
    Les vidéos YT sont rémunérées principalement en fonction du nombre de vues, à raison de 1 $ pour 1 000 vues (d’autres paramètres sont pris en compte comme les droits, le nombre d’abonnés). Une infime minorité de contributeurs parviennent à retirer un revenu conséquent de leur activité. Retro Phil évoque le cas d’un Youtubeur qui avec 10 000 abonnés, touche environ 6 € par mois de la part de Youtube, et résume « il y a les gros qui gagnent beaucoup, et puis après il y a tous les autres qui gagnent quelques miettes ».
  • [33]
    Entretien avec Papa Gaming, youtubeur depuis 2015 et originaire du sud-est de la France.
  • [34]
    Pour un aperçu d’une technique d’acquisition artisanale, voir son tutoriel : https://youtu.be/b1WqkkM4CsA
  • [35]
    L’association MO5.com défend ainsi le principe de l’exposition interactive permettant aux visiteurs de prendre connaissance des jeux en jouant, plutôt que la présentation statique d’objets comme cela avait été le cas au Musée du jeu vidéo de la Défense à Paris (fermé). La question se pose aussi dans les médiathèques où l’accès au JV comme document doit permettre également d’accéder à sa jouabilité.
  • [36]
    C’est ainsi que la chaîne Arte notamment avait présenté le let’s play en ne retenant que les vidéastes les plus jeunes et les plus célèbres. Voir BiTS, le magazine de la Culture Pop, Arte.

1. Introduction

1 Si le jeu vidéo (JV) constitue un objet de recherche reconnu [1], les enjeux info-communicationnels du rapport à son passé restent peu explorés. Sa mise en visibilité publique en tant que forme culturelle fait apparaître aujourd’hui des dynamiques de patrimonialisation aux expressions nombreuses (Coville, 2014) : associations de collectionneurs [2], expositions et musées [3], ouvrages sur l’histoire des concepteurs ou des titres à succès [4], ou encore sites web d’hommage créés par des fans [5]. Dans la période récente de ces pratiques dites de retrogaming[6], l’industrie est devenue actrice en intégrant la valorisation de productions anciennes (rééditions, hommages [7]) dans des stratégies de « rétromarketing ». L’écriture émergente d’une histoire de ce média (académique ou non) s’articule à des expressions publiques de la mémoire – en tant que « passé personnel » (Todorov, 1995) – de joueurs. Environ 15 % des productions hébergées par la plateforme Youtube (YT) sont consacrées aux JV (Marshall, 2014). Les chaînes répondant au hashtag #jeuxVidéo y réunissent un total de plus de 77 millions. d’abonnés [8]. Parmi celles-ci un nombre indéterminé est consacré aux jeux anciens. Nous nous sommes intéressés, à l’écart de quelques vidéastes médiatisés et professionnalisés [9], à un type particulier de contributeurs à l’audience confidentielle et proposant des vidéos présentant des jeux (console de jeux et micro-ordinateurs). Particuliers œuvrant sous pseudonyme, ils s’appuient sur leurs expériences de jeu présentes, l’environnement matériel du JV ancien, et un « passé personnel » (Todorov, 1995) de joueur pour restituer différentes facettes des jeux dans le cadre d’une « chaîne ». En sélectionnant et en valorisant des jeux par leur monstration, en décrivant des objets et en produisant des archives, leurs contributions s’apparenteraient à une dynamique de patrimonialisation du JV en tant que « filiation inversée » (Davallon, 2006). Ces derniers correspondent à la définition de l’amateur – au sens de Flichy –, qui « dans le cadre de loisirs actifs, développe ses activités amateurs selon des standards professionnels », mobilisant « des compétences identiques à celles de l’expert » (Flichy, 2010). La complexité des pratiques regroupées sous le terme amateur[10] n’étant pas épuisée, nous considèrerons ici, comme le remarque Odin, qu’il est préférable de « prendre acte de la labilité du mot amateur » (Odin, 1999, 48). À la marge des approches associatives, académiques, journalistiques ou corporate[11], comment des individus se saisissent-ils de leur relation au passé du JV dans une pratique de joueur – vidéaste – amateur ? Quelles sont les actualisations de leur statut d’amateur dans les productions des chaînes YT ? Nous présentons ici les premiers résultats d’une recherche en information-communication.

2. Méthodologie : techniques de recueil et positionnement

2 Nous avons analysé la présentation, la structure et des vidéos de quatre chaînes YT francophones proposant des let’s play* [12] et des vidéo-tests de jeux, et réalisé des entretiens semi-directifs avec leurs créateurs. Dans une optique sémio-pragmatique nous envisageons ici la construction de sens à l’intersection de l’espace domestique du vidéaste comme condition de l’expérience ludique/ informatique, de l’espace de la relation au passé du jeu vidéo (socialisation en tant que fan, environnement matériel), et de l’espace du partage de vidéos amateurs en ligne. Après l’identification d’une première chaîne, nous avons repéré les suivantes par effet boule de neige parmi les recommandations de la plateforme. Celles-ci ont été retenues suivant plusieurs critères : elles entretiennent un niveau d’activité très régulier depuis plusieurs années, comptent au moins un millier d’abonnés (cf. tableau 1), et proposent un nombre significatif de vidéos (d’une cinquantaine à plusieurs centaines). Leurs créateurs ont vécu la période de diffusion des jeux traités, réalisent leurs vidéos durant leur temps libre, et leurs productions ne sont pas ou peu monétisées. Des premiers contacts à la passation des entretiens, l’ensemble de l’enquête a été réalisé à distance : des entretiens en audio- ou visioconférence, ainsi qu’un recueil d’informations par messagerie. Cette approche limitée a permis un recueil conséquent, qui n’aurait peut-être pas été possible en procédant différemment [13]. Notre positionnement est proche de celui d’academic fan (aca-fan) au sens de Jenkins [14]. Les questionnements proviennent d’une investigation personnelle préalable des productions concernant le JV en tant qu’objet culturel et patrimonial, et notamment la mise en exposition de la micro-informatique et du JV. Ce cadre a permis la découverte des productions de ces vidéastes en tant que médiations singulières faites d’enregistrements audiovisuels artisanaux et mettant en exergue un point de vue de joueur. Ce positionnement a aussi facilité l’accès au terrain via notre rapport à cette pratique culturelle, et suscité une approche compréhensive tenant compte de l’expertise des enquêtés.

Tableau 1. Récapitulatif des données descriptives des chaînes analysées [15]

Nom de la chaîne Année de création Nombre de vidéos Nombre d’abonnés Nombre de vues cumulées
AyorSaeba20065152 2671 208 399
Doc mc coy20113001 117 226 444 
Retro Phil2013502 10297 603
Retro Vision20071012 516181 568

Tableau 1. Récapitulatif des données descriptives des chaînes analysées [15]

3. Faire revivre le gameplay* du passé

3.1. Présentation des chaînes analysées et de leurs créateurs

3 Le vidéaste AyorSaeba est né en 1981 et réside dans le sud-ouest de la France. Après d’autres activités de contribution sur le web comme le sous-titrage amateur, sa chaîne est consacrée aux jeux sur console et ordinateur des années 1980 à aujourd’hui. Il produit principalement des vidéo-tests et d’autres types de vidéos basées sur des captures, ainsi que du streaming live. Il dispose d’un site et d’un nom de domaine éponyme, dont il diffuse les mises à jour sur les réseaux sociaux. Il est concepteur/développeur [16].

4 Doc mc Coy est né en 1981 et habite dans le nord de la France. Avant de créer sa chaîne il contribue sur des forums consacrés aux logiciels libres. Sa chaîne est consacrée aux jeux sur console et ordinateur des années 1980, jusqu’aux années 2000. Il réalise principalement des vidéo-tests et des tutoriels. Il poste également sur Facebook des informations concernant sa chaîne. Il travaille dans une grande enseigne d’électroménager et de multimédia.

5 Retro Phil[17] est né en 1975 et réside en Auvergne-Rhône-Alpes. Avant de créer sa chaîne il réalise des sketches avec des amis qu’il poste sur une autre plateforme. Il se consacre principalement à une seule machine : l’Atari ST (1985). Ses vidéos de jeux rétro sont associées à des vidéos consacrées aux comics rétro (qui rencontrent un succès beaucoup plus important). Il est technicien d’étude en bâtiment.

6 Robin (R.), le créateur de Rétrovision TV[18], est né en 1977 et vit près de Montréal (Québec). Auparavant animateur dans une radio associative, sa chaîne est consacrée aux jeux sur console et micro-ordinateurs des années 1970, jusqu’aux années 1990 principalement. Il est informaticien.

3.2. Vidéo-test et let’s play : écritures audiovisuelles et discours

7 La démarche consistant à rendre compte du gameplay est ici centrale, adoptant des formes variées. Ces vidéos cherchent notamment à aborder l’expérience interactive via un montage associant la captation des traces audiovisuelles de la partie à un commentaire. Le vidéaste est à la fois joueur, commentateur et réalisateur. Par sa proximité médiatique avec le JV, et en comparaison avec d’autres supports, la vidéo permet une représentation audiovisuelle très proche du jeu original, excepté son interactivité. L’articulation entre images du JV, prises de vues réelles, et commentaires permet de différencier trois types d’écritures audiovisuelles amateurs observées sur les 4 chaînes. La mémoire d’une sélection de productions vidéoludiques s’articule avec la mémoire du joueur (temporalités multiples de l’expérience de jeu), et avec des informations factuelles relatives à l’histoire du média.

3.2.1. Un magazine amateur entre web et télévision (Retrovision)

8 S’inspirant notamment de Mémoire vive de la chaîne Game One, Retrovision s’apparente à un magazine télévisé mensuel comportant une succession de 5-6 tests de jeux (2-3 min) et autres rubriques pour un total de 20 min environ. Chaque vidéo comporte un habillage et un logotype, un générique original de début et de fin. Un sommaire débute l’émission, suivi des tests et d’un dossier. Les captures – constituant le matériel audiovisuel principal – sont séparées par des fondus au noir et un cartouche précise les références de chaque jeu testé. Le montage des captures vise à montrer un jeu de manière synthétique : son introduction, quelques extraits des différents niveaux et des environnements graphiques. Le dossier comporte des archives d’anciennes publicités de jeux et de machines trouvées sur le web (scans de magazines, numérisation de VHS), des photographies de matériel et de créateurs et d’ingénieurs, des prises de vues de matériel (originales ou provenant du web).

9 Préalablement écrit, le commentaire off s’apparente à une critique structurée. Il expose des connaissances sur le jeu (caractéristiques éditoriales, versions), décrit son synopsis et le situe parmi des genres (shoot-em-up, point’n’click), puis en décrit les principaux mécanismes « pendant votre route vous serez attaqués par des hélicoptères qui vous lanceront des missiles », ainsi que les commandes : « en haut pour vous envoler, le bas pour poser la dynamite ». La critique porte également sur les qualités esthétiques : « graphiquement, HERO s’en sort plutôt bien ». Celles-ci sont situées relativement à la connaissance des limitations techniques de la période 80-90, dont le vidéaste témoigne implicitement : « chose très rare à l’époque » où « n’oublions pas que nous sommes sur Atari 2600 ». Chaque test se conclut par une appréciation générale sur le plaisir procuré par l’expérience de jeu, parfois convertie en prescription : « Si vous avez un doute, foncez, vous ne serez pas déçus ». Le principe de la voix off implique ici une distance à l’égard de l’expérience de jeu elle-même. Le titre et la présentation de l’émission suscitent une immersion dans la production vidéoludique du passé. Cette immersion peut-être suscitée par une connivence entre la mémoire du vidéaste et celle de son public :

10

Si comme les membres de l’équipe de Retrovision vous avez grandi dans les années 1980 [etc.].

11 La réalisation et le montage de ces éléments hétérogènes comportent un grand nombre de contraintes. Son créateur, qui travaille à temps complet, nous dit disposer seulement de 5h par semaine pour s’y consacrer, et décrit les enregistrements et le montage comme chronophages. La pérennité de l’émission a nécessité une optimisation minutieuse du temps (« j’enregistre mes voix [...] juste avant de partir au boulot ») et de la répartition des tâches au sein d’une équipe de bénévoles permettant à l’émission de traverser l’évolution de la vie personnelle du fondateur : « C’est [...] grâce à ces personnes là que Retrovision continue [...], sinon elle se serait arrêtée. [...] Je ne gagne pas ma vie avec mes vidéos YouTube ».

3.2.1. Vidéo-test et let’s play : une écriture audiovisuelle émergente ? (AyorSaeba et Doc mc coy)

12 Le principe du let’s play* (« jouons ») [19] et du vidéo-test associent une capture d’une partie jouée au commentaire du vidéaste enregistré à la volée, et ne traitent souvent que d’un seul jeu. Nous décrivons ici plusieurs types de vidéos s’appuyant sur l’enregistrement d’une partie « dans les conditions du direct », et ne comportant pas de prises de vues du joueur lui-même. La continuité de la vidéo rend compte du flux de l’expérience du joueur, dépourvue de montage a posteriori, proposant au spectateur les images du jeu dans son déroulement « réel ». La vidéo est homogène et le principal – voire le seul – matériau est la capture. Souvent totalement dépourvue de titrage ou d’habillage, elle peut aussi faire l’objet d’une simple scénographie basée sur un layout dans lequel l’image capturée est insérée : « je trouvais dommage de laisser de grosses bordures noires lorsqu’on joue sur des jeux en 4/3 » (AyorSaeba). Elle commence la plupart du temps par l’introduction du jeu et sa séquence de « démonstration », se poursuit par une ou plusieurs parties sans coupure et se termine par la fin d’une partie, ou du jeu. Le commentaire joue ici un rôle crucial puisque c’est ce qui différencie la production d’une simple capture d’un jeu [20]. Le statut du vidéaste renvoie à une multiplicité de rôles. La voix est off lorsqu’il s’agit d’exposer des connaissances encyclopédiques sur un jeu et son contexte. Mais la production du discours est souvent indissociable de l’expérience courante, avec des commentaires simultanés des actions réalisées : déroulement de l’histoire, description de la jouabilité*... La voix est donc alternativement in au sens où le locuteur exerce une influence sur ce qui se passe dans le champ :

13

Quand on rappuie sur saut (...) on plane (...) là vous voyez que vous avez une barre W donc quand je saute et que je plane, la barre se consume et quand elle arrive à zero, Firebrand est épuisé et il arrête de voler.
(Doc mc Coy)

14 La majeure partie du commentaire repose sur cette description live du jeu (jouabilité et design), et en grande partie sur le niveau diégétique (personnages, récit). L’expérience directe du joueur est propice à l’expression spontanée, la parole étant déterminée par les feedbacks retournés au vidéaste par le jeu en cours d’enregistrement. Le commentaire in peut être alors relié à des réflexions, des positions. Déplorant les bugs techniques d’un jeu sur console, Doc mc coy relie par exemple son expérience à l’histoire des techniques du JV (qu’il connaît au travers de ses lectures et de l’architecture des machines) :

15

Vous voyez, ça rame ! [...] c’est un peu dommage, c’est le problème de cette période-là, 88-89, c’est-à-dire que sur arcade, on avait du 16 bits [...] [et] la console de salon de l’époque c’était la Mastersystem.
(test de Dynamite Dux) [21]

16 Dans ce type de vidéos, le rapport entre passé personnel et expérience filmée s’établit dans l’évocation de souvenirs personnels : « alors là l’écran de sélection avec une musique derrière qui est [...] excellente, là ça me rappelle pas mal de souvenirs » (AyorSaeba, Périple Soleil). Des fragments de témoignage ponctuant la partie : « C’est un vieux jeu que j’ai connu en cassette [...] j’ai eu envie de rejouer à ce jeu par nostalgie » « ça va peut-être être pourri pour vous » (AyorSaeba, compil Amstrad).

17 Le principe du let’s play et du vidéo-test ne comporte que peu de contraintes de post-production. Ces vidéos ne demandent aucun montage a posteriori et sont mises en ligne après un visionnage routinier (vérifications, ajouts éventuels d’erratums écrits). Au-delà du contenu, cet aspect explique sans doute également le succès de ce format, particulièrement adapté aux conditions de production des amateurs dont il émane.

3.2.1. Le test humoristique : entre let’s play et fiction (Retro Phil)

18 Les créations de Retro Phil associent images de jeux et prises de vues du vidéaste filmé. Ses vidéo-tests s’appuient sur la mise en scène et le montage a posteriori des parties jouées, et s’inspirent d’un youtubeur américain AVGN (the Angry Video Game Nerd) [22], et de l’émission Level One (Game One). Le viewer peut partager la découverte d’un jeu par le vidéaste, basée sur le tirage au hasard du titre présenté. L’expérience du joueur-vidéaste fait l’objet d’un récit, alternant en champ-contrechamp les prises de vues réelles du « joueur jouant », et les captures du jeu. Ce récit s’appuie notamment sur une posture de joueur ordinaire : Retro Phil ne se considère pas comme un « bon joueur » et tire parti de cette caractéristique en mettant en exergue ses échecs multiples, plaçant d’emblée le viewer en sympathie : « j’adore jouer mais je suis pas très bon » [23]. L’alternance permet ici de figurer les réactions non verbales (spontanées et jouées) du vidéaste : yeux écarquillés, réactions de déception. Des effets de zoom, des inserts humoristiques, et des bruitages additionnels rythment les vidéos.

19 Le type d’informations dispensé au spectateur est en partie similaire au vidéo-test. En revanche la partie est ici une fiction reconstituée, et le texte est « joué » par le vidéaste, qui incarne son propre personnage découvrant le jeu au fur et à mesure de la vidéo. Les informations générales et les éléments de gameplay et de diégèse sont distillés suivant le fil conducteur de la découverte figurée. Comme dans les autres écritures audiovisuelles précitées, l’expérience de jeu personnelle constitue un « opérateur de communication » [24] central, justifiant l’existence de la vidéo elle-même, comme lorsque le vidéaste constate la difficulté d’un jeu : « Je vais recommencer, j’ai été nul, il va pas durer longtemps ce test » (Test Nebulus). Seconde différence : l’omniprésence de l’humour potache, du second degré et de l’autodérision. Une troisième spécificité relève d’une intertextualité propre aux contributions pro am de la plateforme : le vidéaste fait référence à d’autres youtubeurs en effectuant des citations (vidéo), ou commente (regard caméra) la progression de son audience : « Ça me fait plaisir de dépasser les 500 abonnés, je pensais pas y arriver ! ».

20 L’utilisation d’une caméra permet d’utiliser d’autres éléments profilmiques. Le décor de ses vidéos est principalement constitué d’étagères remplies de comics et de collections diverses, témoignant d’un parcours de geek. Retro Phil montre dans une vidéo son exemplaire d’Atari ST en fonctionnement avec une disquette de jeu d’époque (test de Speedball 2), puis les boîtes de différentes versions issues de sa collection personnelle. Les souvenirs d’enfance sont enfin évoqués au travers des jeux adaptés de séries TV, comme dans le test de Cosmo Cats où le dessin animé est évoqué par des extraits du générique.

21 La réalisation comporte d’importantes contraintes, et occupe une partie importante de son temps libre : le derushage, le montage et la préparation d’une vidéo demandent plus de 40 h sur plusieurs semaines [25].

4. La chaîne Youtube et la pratique de vidéaste amateur

4.1. Du « joueur d’ancien » au vidéaste en ligne

4.1.1 La nostalgie du jeu vidéo des années 1970 à 1990

22 La parole des vidéastes permet de situer le lien entre rapport à la mémoire et trajectoire de vidéaste : au travers de l’enquête, mais aussi dans de longues vidéos FAQ [26], ou « bilans » adressés à leurs abonnés. Ce sont d’abord des « joueurs d’ancien » [27] qui marquent un fort intérêt parfois exclusif pour le passé du JV. Jouer aux jeux du passé leur procure une satisfaction particulière permettant de raviver les souvenirs d’une jeunesse vécue. La nostalgie est évoquée spontanément dans les entretiens :

23

Il y a déjà une grosse part de nostalgie [...] C’est des choses qui me parlent parce que j’y ai joué quand j’étais plus jeune
(Doc mc Coy) [28]

24

Ça me rappelle la ville ou j’habitais, la pièce où j’étais, ça me fait penser au canapé, à la télé, au poste de radio que j’avais, au collège (...) À la base je suis quelqu’un de très nostalgique. (...) Ça me fait chaud au cœur quand je joue à ces jeux là. 
(R.).

25 La préférence est associée à certaines qualités : la créativité et la jouabilité* des JV anciens, reposant sur des mécanismes simples et rapidement appréhendés (« des bonnes idées avec trois pixels » résume Retro Phil). Le passage de la représentation graphique en 2D à la 3D est parfois désigné comme une rupture (« il y a quelque chose qui s’est cassé » dans les années 1990 remarque Doc mc Coy). Cela s’accompagne – en miroir – d’une critique des productions actuelles jugées moins satisfaisantes sur le plan ludique, esthétique, thématique ou commercial.

26 Si le jeu ancien est souvent pratiqué ou redécouvert via l’utilisation d’ordinateurs récents pour reproduire le fonctionnement de systèmes possédés auparavant (émulation*), le rapport individuel à l’environnement matériel est toujours présent, qu’il s’inscrive dans une série d’objets conservés ou une quête tardive de l’âge adulte. Dans la vidéo FAQ d’AyorSaeba, l’énumération commentée de l’historique des consoles et micro-ordinateurs possédés durant l’enfance établit un lien entre une trajectoire de joueur « ordinaire » et l’activité de vidéaste. R. exprime son souhait de reconstituer sa collection de jeunesse, ainsi que Doc mc Coy en retrouvant des traces au domicile familial : « dans un carton j’ai trouvé mes jeux [...] Je pensais que je les avais vendus et en fait non. Du coup [...] j’ai racheté une console, une autre, etc. ». Ces récits mentionnent un souci de préservation : garder, retrouver, etassigner une valeur à ces objets. Ces attitudes nostalgiques se distinguent de la dénomination rétro, qui désigne largement d’autres types d’attitudes ouvertement ironiques, détachées [29], comme celles qui ont contribué au succès du youtubeur Joueur du Grenier[30].

4.1.1. De l’informatique de plaisance à la création en ligne

27 Le passage d’une activité de joueur d’ancien à celle de vidéaste s’ancre dans des dispositions et des éléments déclencheurs. Si les technologies facilitant une telle pratique n’existaient pas à l’époque dont ils traitent, leur usage dépend aussi d’un rapport préalable à la technique, relevant par exemple du film familial (Retro Phil :« Je fais tout le temps des montages, que ce soit pour les naissances de mes enfants, pour les vacances »), d’activités « centrées autour du PC » (Doc mc coy) et plus généralement d’une « culture geek » (Peyron, 2013). La création d’une chaîne s’inscrit parfois dans un tournant plus personnel, comme Rétro Phil : « je m’ennuyais (...) à cause du boulot, c’était pas super passionnant (...) j’avais du temps de libre » ; ou dans un « besoin de créer quelque chose, de produire » antérieur (R.). Les premières tentatives font suite à une pratique spectatorielle préalable [31] : les enquêtés sont tous spectateurs d’autres vidéastes sur le web (Hooper, Retrocore) ou d’émissions de télévision suscitant un positionnement créatif a posteriori.

4.2. Intentions et contraintes de la chaîne : des dynamiques éditoriales

28 La chaîne permet la diffusion d’un flux de mise à jour, l’archivage des vidéos, leur classification, enregistre les échanges entre vidéaste et internautes dans une structure globale attachée à l’identité du vidéaste. Elle constitue une échelle d’analyse indissociable des productions, permettant de saisir les affinités du contributeur, une ligne éditoriale, des contraintes. Dans les productions analysées, le statut d’amateur se déploie en fonction de réponses à des contraintes, et de positions relatives à la vie personnelle du vidéaste (trajectoire de joueur), à celle du rapport au passé du jeu vidéo (réappropriation, archive, identité de geek spécialisé), et à celle de la contribution en ligne (culture du let’s play, formats de vidéo, style et subjectivité critique). Relativement au blog ou au podcast, le support vidéo est considéré comme « évident », et plus vivant (Doc mc Coy : « en vidéo tu peux mettre une part de fun »). L’objectif est souvent de faire connaître des productions qu’ils estiment a priori méconnues de leur public. AyorSaeba considère que le let’s play permet également à des personnes qui manquent de temps de découvrir un jeu sans avoir à y jouer. Les critères de sélection des jeux sont variables. Les choix s’appuient – au départ – sur les machines et les jeux possédés durant (ou depuis) l’enfance. AyorSaeba consacre plusieurs vidéos aux machines qui ont jalonné son parcours : l’une sur l’Intellivision, dans laquelle il filme « un aperçu de l’étagère ou se trouvent la console avec les différents jeux » avant une série de tests, ou encore une série de 10 vidéos de compilations de tests de jeux Amstrad. Le choix des jeux traités est également contraint par le temps comme dans le cas de R. privilégiant des genres lui permettant une prise en main rapide : « Il faut que ce soit pas trop compliqué à jouer [...] c’est plus des plateformers, des shooters, des pointer-cliquer des choses comme ça ». Il l’est également par l’argent lorsque les jeux testés sont des originaux, comme pour Doc mc Coy, qui évoque régulièrement le prix des jeux d’occasion, teste l’une de ses trouvailles en vidéo (vente d’occasion), ou déplore à ce sujet l’augmentation de la côte des jeux d’occasion entraînée par la spéculation relative à la « mode » du retrogaming.

29 Les quatre vidéastes ont ensuite en commun de souhaiter rétablir un manque, une absence de certains jeux dans les contributions existantes ; de souhaiter exprimer un point de vue divergeant de ces dernières ; et de poursuivre la découverte des productions des années 1970 à 1980. Doc mc Coy et R. cherchent à représenter une diversité de consoles et d’ordinateurs, de genres, et également de qualité (en incluant par exemple des jeux médiocres), soucieux de ne pas lasser leurs spectateurs : 

30

Niveau diffusion j’essaie d’alterner, tout le temps [...] c’est quelque chose que je me suis imposé dès le départ.
(Doc mc coy)

31 Retrophil entend rééquilibrer la mémoire de l’Atari ST dont il dit qu’il l’a suivi toute sa vie, et le trouvant un peu oublié sur le web, pour « faire découvrir des grands classiques à des personnes qui ne connaissent pas [...]. Y’a pas que Mario et Zelda, il y a aussi Speedball 2 ». AyorSaeba présente des jeux rétro « pour partager [des] souvenirs ou bien découvrir des perles – ou pas – qu’[il n’a] pas pu connaître ». Pour Doc mc Coy, la vidéo incite souvent les viewers à essayer à leur tour un jeu qu’il teste. Ainsi Doc mc Coy classe ses vidéos par plateforme, AyorSaeba propose une classification par univers ou licence (Disney, Megaman...), ou par genre de vidéo (« périple », live différé, etc.). Les vidéastes opèrent une classification permettant de trouver une vidéo à partir de « playlists » thématiques. Signalons enfin la réalisation d’autres types de vidéos sur ces chaînes : Doc mc Coy réalise des tutoriels pour des personnes susceptibles de créer leurs propres vidéos, dans le but d’apprendre à améliorer à la captation d’une voix par exemple. D’autres vidéastes réalisent des billets vidéo ou vlogs (Retro Phil), des bilans et des FAQ s’adressant directement à leurs abonnés. Au travers de ces dernières et dans l’ensemble de leur production, la part de métacommunications dans lesquelles les vidéastes expliquent leur démarche est importante. La monstration et l’expérience du jeu ancien sont indissociables sur ces chaînes d’une relation directe avec les spectateurs, s’articulant de manière plus ou moins diffuse avec un besoin de partager des savoir-faire et des retours d’expériences. Ces derniers sont plutôt bienveillants (ce qui n’est pas le cas de toutes les vidéos sur YT) : appréciations sur le jeu testé, partage de souvenirs, réaction aux prises de position du vidéaste. Les enquêtés répondent à la totalité ou presque des commentaires postés par les viewers, ce qui est facilité par le faible nombre de vues de chaque vidéo.

4.3. Du temps libre à l’indépendance : variations autour d’un artisanat

32 Les vidéastes insistent sur la dimension hédonique de cette activité, qu’ils opposent au principe de la monétisation des vidéos et à la « course aux abonnés », suscitant un positionnement. Ils s’expriment sur l’impossibilité de capter un nombre suffisant de viewers pour en retirer une rémunération significative [32] :

33

J’ai bientôt 40 ans [...], il faut vraiment que ça reste du plaisir parce que si c’est financier, ça sert à rien parce que j’y arriverai jamais.
(Retrophil). 

34

Je ne comprends pas qu’on puisse donner de l’argent à des gens qui se contentent de jouer à un jeu vidéo et de parler dessus.
(Doc mc coy, vidéo FAQ).

35

Si c’est pour avoir derrière des contraintes sur ce que je fais, pas vraiment. J’ai déjà un boulot pour ça.
(AyorSaeba).

36 La maîtrise de la production d’un bout à l’autre domine la pratique ainsi qualifiable d’artisanale. Cela s’accompagne d’un souci d’indépendance à l’égard des plateformes qu’ils considèrent comme de simples hébergeurs (deux des vidéastes expliquent avoir quitté Dailymotion en 2015). Le positionnement des contributeurs s’effectue également relativement au journalisme et aux médias traditionnels. Doc mc Coy critique par exemple la presse écrite spécialisée, qui selon lui a « un lourd passif de connivence [...] à force de privilégier les éditeurs au détriment de l’esprit journalistique [...] de plus en plus d’abonnés n’ont plus confiance en leur avis ». Un vidéaste débutant (hors corpus) considère que les chaînes YT spécialisées dans le JV ont investi un espace abandonné par la télévision généraliste : « sur les chaînes grand public [...] il n’y avait rien, pas d’émission, contrairement au cinéma », « pour combler une sorte de vide [...] des gens ont fait leur chaîne YouTube et ça a intéressé plein de monde » [33].

4.4. D’autres bénéfices pour les vidéastes : se cultiver et réinvestir la mémoire

37 Tandis que leur discours témoigne du peu d’attentes en termes financiers, ces contributeurs mentionnent de nombreux apports personnels procurés par cette activité de diffusion. Cette dimension n’avait pas été envisagée et est apparue au fur et à mesure de l’enquête. Certains relèvent de l’apprentissage pour eux-mêmes, comme le fait d’apprendre à gérer son temps, d’améliorer la connaissance de logiciels et de la réalisation. D’autres relèvent de la sociabilité : la chaîne permet d’échanger avec des utilisateurs, de recueillir des suggestions postées dans les commentaires, d’échanger avec d’autres vidéastes. Nous avons constaté que certains vidéastes commentent mutuellement leurs vidéos (Retro Phil et Retrovision par exemple). Ensuite des bénéfices relèvent de la mémoire : Cette pratique s’inscrit ainsi dans la continuité d’une volonté de raviver les souvenirs de joueur, comme support d’une mémoire d’individu au travers du JV :

38

Ça vient plus me chercher lorsque je joue à ces jeux-là. [...] Je me suis fait une liste de tous les jeux que j’avais, et puis j’y rejoue régulièrement pour ne pas les oublier [...] je revois les lieux, et les personnes de l’époque.
(R. Retrovision)

39 La réalisation d’une chaîne permet de structurer et de renouveler la pratique des jeux anciens. S’adresser à un public transforme l’expérience de jeu, en lui attribuant une autre valeur et en rationalisant sa temporalité, et en la ritualisant :

40

Les Let’s Play me permettent de finir des jeux auxquels je n’ai pas eu l’occasion de jouer.
(AyorSaeba)

41

Ça te force à jouer, parce que des fois t’as pas le temps, ou tu te dis ben je vais faire autre chose [...] Et puis j’aime bien le challenge d’essayer de terminer le jeu, chose que je ne ferai pas si j’avais pas une obligation de faire une vidéo.
(Retro Phil)

4.5. Traces et représentations du passé : le substrat de l’amateur

4.5.1. La nostalgie entre implication et distanciation

42 Le rapport au passé dont témoigne l’activité globale d’une chaîne dans sa globalité est complexe. Il oscille entre nostalgie et recul relativement à cette nostalgie. Il existe plusieurs façons de s’en distancier. L’enregistrement de la vidéo fournit l’occasion d’une confrontation des souvenirs d’enfance au regard d’aujourd’hui. Doc mc Coy parle ainsi de « souvenirs trompeurs » :

43

Il y a des jeux que j’ai adoré à l’époque et quand j’y rejoue aujourd’hui [...] objectivement il y a quand même ça [...] qui va pas [...]. Je me dois d’en parler [...] Je pense pas que c’est faire offense au jeu, ou une offense à ma mémoire d’enfant que de souligner les défauts d’un jeu.
(Doc mc Coy)

44

C’est assez rigolo de rejouer à des jeux de notre enfance. Soit les souvenirs sont corrects et le jeu est bon, soit c’est véritablement une catastrophe ! C’est fou comment on peut embellir quand on est enfant.
(AyorSaeba)

45 Cette mise à distance conduit à une réflexion sur la capacité d’un jeu à résister au temps. Retro Phil distingue ainsi la nostalgie réelle qu’il éprouve lorsque ses qualités intrinsèques la dépassent :

46

C’est pas de la nostalgie, il y a plein de jeux que j’aime mais si je mets quelqu’un devant il va me dire enlève-moi cette daube, et il y a des jeux comme Speedball 2 tu peux encore y jouer il a encore de l’intérêt.
(Retro Phil).

47 La mémoire n’est pas seulement idéalisée, mais également travaillée par un souci d’objectivité – variable mais prégnant – qui opère progressivement dans le maintien d’une chaîne depuis plusieurs années. La prise de recul est ainsi contextualisée relativement à la production d’époque : un jeu est donc « plus moche » ou « moins marrand » que dans les souvenirs (Doc mc Coy), mais doit être situé dans son contexte historique de diffusion.

4.5.2. Émulation ou matériel d’origine ? La capture entre qualité technique et enjeux culturels

48 Précisons d’abord que même lorsque la structure et rudimentaire, les vidéastes apportent un soin important à la qualité globale des vidéos dont le rendu est souvent d’une qualité conforme aux standards professionnels (comme l’utilisation de la HD en 60 images/secondes ou FPS). Le choix de la technique de production des images révèle également selon nous des enjeux culturels. La capture vidéo implique soit la capture vidéo de l’écran en utilisant l’émulation comme système d’accès à des archives dématérialisées (Lignon, 2000), soit l’acquisition du signal issu du matériel d’origine appartenant au vidéaste (solution plus complexe). Ces deux techniques recèlent des enjeux relevant de la production d’archives (vidéo) et de l’exploitation d’archives (logicielles et préexistantes) (Treleani, 2014). La capture à partir d’un émulateur est la plus simple sur le plan opératoire. Les émulateurs sont souvent des logiciels libres, tandis que les jeux (« roms dumpées ») sont issus de bases d’archives logicielles créées à partir des jeux originaux par des utilisateurs et diffusées à la marge de la légalité (Baret, 2014). L’émulation permet surtout d’accéder à l’intégralité des jeux d’une machine et cette accessibilité a contribué à développer une critique amateur des jeux anciens.

49 La capture sur matériel d’origine est beaucoup plus complexe et onéreuse pour parvenir à une qualité satisfaisante mais elle relie la production de la vidéo aux traces matérielles du passé abordé (Doc mc Coy y est particulièrement attaché, comme le mentionne la présentation de sa chaîne [34]). Elle demande un investissement en temps et/ou en argent qui témoigne de l’importance accordée à la recherche d’une fiabilité optimale des images produites. Si l’émulation domine largement la pratique, nous avons pu constater qu’à l’échelle d’une chaîne, les vidéastes utilisent de manière complémentaire l’émulation et la réalisation – plus ou moins artisanale – d’images à partir de leur propre matériel. Le choix de la technologie récente de la diffusion en 60 FPS, utilisée par deux enquêtés (AyorSaeba et Doc mc Coy) au moment de sa disponibilité technique (2014) et parfois avant les contributeurs professionnels, est à ce titre notable : même si l’animation de jeux anciens sont d’une finesse moindre, la capture et la diffusion en 60 FPS permet de restituer plus fidèlement certains effets spéciaux comme le clignotement d’un personnage « touché », et plus globalement la fluidité de l’animation. Les vidéastes expliquent et justifient à leurs abonnés ce changement technique impliquant des contraintes (taille de la vidéo), mais permettant une restitution plus proche de l’animation du jeu original.

5. Regards sur quelques youtubeurs nostalgiques : quels apports ?

50 Les jeux vidéo valorisés dans les chaînes analysées correspondent principalement à la période de la composition graphique en 2D, plastiquement éloignée des modélisations 3D photo-réalistes qui suivront. L’histoire des jeux vidéo est en effet longtemps marquée par un déterminisme technologique : l’augmentation de la puissance des machines et leur renouvellement étant censés améliorer l’esthétique mais aussi l’expérience de jeu, comme le vantaient les campagnes publicitaires mettant en exergue les spécifications techniques. Les chaînes analysées formalisent et amplifient le regard rétrospectif des consommateurs sur le passé des JV, fournissant peut-être l’indice d’une transformation de la relation au passé et au présent de ces produits des industries culturelles. À l’opposé de la représentation futuriste autrefois dominante de la technologie vidéoludique, les expressions analysées dans ces pages cohabitent actuellement au sein d’une diversité de mémoires du jeu vidéo, et aux côtés des productions actuelles (comme cela se produit dans le domaine de la musique enregistrée par exemple).

51 Ces chaînes contribuent à une valorisation de la mémoire du jeu vidéo en tant qu’objet culturel, à laquelle s’articule ensuite ponctuellement la mémoire des joueurs-vidéastes, qu’elle relève de l’évocation biographique, du fragment de témoignage (connaissance de la période), de la connaissance des objets (préservation et recherche de matériel et de logiciels), ou d’une démarche visant à réinvestir cette mémoire (pratique de jeu). L’éthos des vidéastes amateurs se dessine à partir de leur trajectoire de joueur, d’une nostalgie décisive qui fait ensuite l’objet de diverses distanciations, et d’une réflexivité relativement à leur pratique communicationnelle qui se construit au fil de la pratique. Plus précisément cette réflexivité s’appuie sur le regard critique fondé en tant que spectateur de vidéo YT, sur la mobilisation d’un substrat de pratiques amateur (émulation, abandonware) préexistantes, sur le recyclage d’archives diverses, ou la possibilité d’imiter ou transformer des formes médiatiques disparues. La dimension patrimonialisante de cette pratique amateur est d’abord dessinée par sa distance à l’égard de la production éditoriale officielle (incluant le rétromarketing vidéoludique). L’objet de la mémoire est désolidarisé de facto de l’actualité éditoriale globale du JV et de son agenda setting. En s’appuyant sur d’autres pratiques amateurs préexistantes comme l’émulation et l’archivage dématérialisé du JV, les vidéastes se réapproprient des produits qui ne sont majoritairement plus commercialisés, et proposent une interprétation du passé du JV avec des moyens différents de ceux des journalistes professionnels ne traitant que de l’offre légale par exemple. Comme le déclame l’ancien testeur amateur Usul dans une de ses vidéos, la technique de l’émulation a permis de nombreuses appropriations, et un accès généralisé aux œuvres propice à un foisonnement de la production de critiques par des amateurs :

52

L’émulation a grandement contribué à produire des joueurs nouveaux [...] plus aguerris [...] plus avisés. Et c’est de cette culture du partage tout droit héritée de celle des pionniers du net et des hackers que nous vient l’émulation.
(Usul Master, 2013)

53 Si la constance de la nostalgie peut constituer pour ces vidéastes une limite dans l’élaboration de connaissances sur les JV, celle-ci n’est jamais totalement isolée. On retrouve les différents ordres de la nostalgie théorisés par Fred Davis : les vidéastes marquent parfois une préférence pour le jeu ancien en affichant une nostalgie assumée, mais peuvent également produire une réflexion sur la « justesse » de cette nostalgie, et enfin une capacité à interpréter l’objet de sa nostalgie en déplaçant leur propre subjectivité dans le contexte d’époque (Fred Davis à partir de Bierwerth, Infra.). Les différentes modalités de ce rapport à la nostalgie dans les discours – de la motivation initiale à la mise à distance – semblent constituer pour ces amateurs l’un des principes de leur identité de vidéaste (« c’est important de faire la part des choses [...] cette nostalgie que certains exacerbent quand ils testent » remarque Doc mc Coy). Alors que la nostalgie fait l’objet d’une mobilisation croissante dans la communication ou les productions des industries culturelles (Kizzire, 2014) faisant appel aux souvenirs des consommateurs, celle-ci peut échapper aux seules stratégies commerciales.

54 Ces chaînes YT constituent selon nous une forme de célébration (Davallon, 2002) du patrimoine vidéoludique : après une sélection d’objets du passé et la production d’une connaissance permettant de les relier à leurs « mondes d’origine », les vidéos de gameplay constituent une manière convaincante de présenter un jeu à un public, de l’exposer virtuellement. L’association capture/commentaire solutionne d’une certaine façon la question de la présentation de l’interactivité du jeu, récurrente dans la patrimonialisation du JV [35]. À l’échelle de la chaîne ou de chaque vidéo, le rôle du vidéaste s’apparente ici à celui d’un guide accompagnant une visite, synthétisant pour un public des informations, lui permettant de découvrir des objets culturels, d’être « surpris et émerveillé » (Davallon, 2002). Comme dans certains types de médiation culturelle patrimoniale menés par des passionnés parfois bénévoles (Gellereau, 2005), la légitimité de la prise de parole des vidéastes est articulée à un souci de connaissance, à une interprétation subjective reliée au parcours et au statut de témoin d’une époque, et à sa personnalité (humour, voix...).

55 Les analyses permettent enfin d’apporter un point de vue contrebalançant les caractéristiques de productions des youtubeurs d’audience élevée (plusieurs millions d’abonnés). Nous ne souhaitons pas ici idéaliser de vrais amateurs en face de youtubeurs devenus professionnels (Cyprien Gaming, Squeezie, etc.) [36], mais attirer l’attention sur le sens d’autres parcours que ceux de ces derniers. La relativisation de cette téléologie de la success story nous semble nécessaire pour aborder la diversité de ces pratiques contributives. Les enquêtés se montrant lucides sur les faibles opportunités de professionnalisation et de ses contraintes, leur conception de l’amateur semble se tourner vers la recherche du succès d’estime permettant une relation interactive avec leur public. La satisfaction apportée par leur audience modeste et la proximité qu’elle leur offre au travers du fil de commentaires, paraissent d’autant signifiantes si on les compare à la situation du fanzinat spécialisé des années 1990 (un fanzine à cette époque s’adressant souvent à quelques centaines ou milliers d’abonnés).

6. Conclusion et perspectives

56 Les résultats obtenus à partir de cette enquête exploratoire ne sont pas généralisables. Les chaînes sélectionnées sont peu représentatives de la diversité de telles pratiques amateurs autour du JV, mais cet éclairage permet d’envisager des pistes de recherche. Le rôle structurant de la plateforme YT, qui n’a pas pu être abordé ici, nécessite par exemple d’être questionné. Une autre perspective envisagée est l’étude de la réception : cela permettrait notamment de saisir les usages et appropriations par les spectateurs, la relation entre la mémoire des vidéastes et celle des abonnés, et la relation entre statut de membre du public et statut de vidéaste. Le corpus proposé ici étant limité à un type de youtubeur, une future recherche pourrait porter sur un corpus plus large, étendu à une plus grande diversité de profils et de parcours (incluant la professionnalisation), et à d’autres formes de vidéos portant sur la mémoire, comme les vidéos de monstration de collection : une requête à partir du simple mot clé « collection » sur YT renvoie en première occurrence à une vidéo du collectionneur de JV Kirby 54 (plus de 100 000 abonnés). Enfin les particularités du let’s play – basé sur les conditions du direct – sont aujourd’hui fréquemment transposées dans des performances de joueurs en streaming live (sur des plateformes spécialisées du type Twitch). L’étude systématique de ces performances live permettrait – en dépassant les débats simplificateurs que leur médiatisation a suscités (Voir par exemple Audureau, 2015) – de saisir les formes de renouvellement du direct dans les productions de vidéastes amateurs centrées sur l’expérience de jeu.

57 Remerciements

58L’auteur remercie les vidéastes cités, qui ont bien voulu consacrer une partie de leur temps libre à cette enquête.

Glossaire

59 Émulation. Selon la définition proposée par Wikipedia, « l’émulation consiste à substituer un élément de matériel informatique – tel un terminal informatique, un ordinateur ou une console de jeux – par un logiciel ». L’ordinateur sur lequel un système est émulé est généralement plus puissant que ce dernier, impliquant de fait son antériorité (voir également Office québécois de la langue française, Disponible à l’adresse : http://www.granddictionnaire.com/).

60 Jouabilité/Gameplay. « Ensemble des éléments liés à l’interaction entre le joueur et le jeu, dont les règles et les possibilités d’actions, qui sont définis et intégrés au jeu lors de la création d’un jeu vidéo, et qui contribuent au plaisir de jouer, découlant de l’interactivité, ressentie pendant le jeu » (Office québécois de la langue française).

61 Let’s play (et let’s player ). Vidéo amateur posté sur internet et qui montre un jeu vidéo « joué » par un joueur, qui dans le même temps commente ce qu’il fait (à partir de la FAQ du site Let’s play archive). Il existe également sous des formes statiques composées de pages web et de captures d’écran statiques. Les usages du terme divergent : la vidéo montre parfois le jeu dans son intégralité, diverses acceptions coexistent. Concernant son origine, selon le journaliste Patrick Klepek, le terme let’s play daterait approximativement de 2005, et la pratique de 2004 (Klepec, 2015). Pour Markus, journaliste de la chaîne de TV Gameone, il s’agirait plutôt d’une invention télévisuelle (Level One, 1998) dont il revendique la paternité : « On se demandait comment parler de jeux vidéo à la télévision » (BiTS, le magazine de la Culture Pop, Arte). La part de l’originalité d’un contenu au travers de la contribution du vidéaste, et la question de propriété intellectuelle au travers des sources utilisées semblent indissociables de son analyse. À noter qu’en 2015, le constructeur Sony Computer Entertainment aurait tenté de déposer la marque « Let’s play » (MacGregor, 2016).

62 Long play. Vidéo amateur présentant un jeu dans son intégralité, sans aucun commentaire. Les nombreuses archives de long play constituent l’une des ressources citées par les enquêtés dans la préparation de leurs propres vidéos.

L’auteur remercie les vidéastes cités, qui ont bien voulu consacrer une partie de leur temps libre à cette enquête.

Bibliographie

Bibliographie

  • Audureau W. (2014, 1er septembre). Antoine de Caunes s’excuse d’avoir “froissé” les joueurs de jeu video. Le monde [en ligne].
  • Baret J. (2014). Abandonwares et émulateurs, est-ce légal ?, Les echos [en ligne], 19/11.
  • Bierwerth G. (2012).  Revisiter et ré-habiter la maison d’enfance : le retour aux lieux d’origine d’expulsés allemands. Actes du 11e Colloque Artefact, p. 23-42.
  • BiTS (2015, mars). Le Magazine De La Culture Pop, “Le succès des vidéos Let’s play révèle un fossé générationnel dans l’utilisation d’Internet”, Arte, disponible à l’adresse : https://www.youtube.com/watch?v=5ALVdt5MQoA.
  • Bullich V. (2014).  La régulation de la créativité par Youtube. Injonction de créativité et création sous contrainte : parallèles entre secteur culturel et monde du travail à l’épreuve du numérique, 82e Congrès de l’ACFAS, Montréal, p. 88-95.
  • Coville M. (2014). Créateurs de jeux vidéo et récits de vie : la formation d’une figure hégémonique. Revue française des sciences de l’information et de la communication,n° 4.
  • Cristofari C. et Guitton M. J. (2015).  L’aca-fan : aspects méthodologiques, éthiques et pratiques », Revue française des sciences de l’information et de la communication, n° 7.
  • Dauncey H., Tinker C. (2015). La Nostalgie dans les musiques populaires,vol. 11, n° 2, p. 7-17.
  • Davallon J.  (2002). Comment se fabrique le patrimoine, Sciences Humaines, n° Hors-série n° 36.
  • Davallon J. (2006). Le don du patrimoine : Une approche communicationnelle de la patrimonialisation. Paris, Hermes Science Publications.
  • Flichy P. (2010). Le sacre de l’amateur : Sociologie des passions ordinaires à l’ère numérique. Paris, Seuil.
  • Gellereau M. (2005). Les mises en scène de la visite guidée. Paris, L’Harmattan.
  • Gorges F. (2012). L’histoire de Nintendo : vol. 3, 1983-2003 Famicom - Nintendo Entertainment System. Châtillon, Omaké Books.
  • Kizzire J. (2014). The place I’ll return to someday : Musical Nostalgia in Final Fantasy IX, Music in video games : studying play, New York, Routledge.
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  • Lignon F. (2000). Le patrimoine vidéoludique, Cinémaction, n° 97, p. 108-113.
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  • Marshall C. (2014). 15% of all Youtube videos relate to gaming : Minecraft & Pewdiepie FTW, Reelseo. The video marketer’s guide,disponible à l’adresse : http://www.reelseo.com/15-per-cent-youtube-gaming-videos/
  • Odin R. (1999) La question de l’amateur, Communications, vol. 68, n° 1, p. 47-89.
  • Odin R. (2011). Les Espaces de communication : Introduction à la sémio-pragmatique, Grenoble, PUG.
  • Peyron D. (2013). Culture geek, Limoges, Fyp.
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  • Todorov T. (1995). La mémoire devant l’histoire. Terrain. Revue d’ethnologie de l’Europe, n° 25, p. 101-112. DOI 10.4000/terrain.2854.
  • Treleani M. (2014). Mémoires audiovisuelles. Les archives en ligne ont-elles un sens ? Montréal, Presses de l’Université de Montréal.
  • Usul Master (2013). L’émulation, 3615 Usul, disponible sur : https://youtu.be/4ovTtBzshio.

Date de mise en ligne : 14/09/2016.

Notes

  • [1]
    Voir le n° 62 de la revue Hermès, l’ouvrage « Les jeux vidéos comme objet de recherche » de Samuel Rufat et Hovig Ter Minassian ou encore l’activité de collectifs de chercheurs comme Ludosciences ou l’OMNSH.
  • [2]
    Par exemple les associations MO5.com ou Retrotaku.
  • [3]
    Le ComputerSpiele museum de Berlin, le Vigamus de Rome, ou le projet français du Musée de l’Informatique et du Numérique.
  • [4]
    Voir les catalogues des éditeurs Pix’n’Love ou Omake Books.
  • [5]
    Le terme shrine est fréquemment utilisé comme intitulé pour des pages web consacrées à des JV anciens depuis les premières années du web.
  • [6]
    Le retrogaming renvoie d’une part à « une pratique de jeu et de collection du JV ancien (classique) des années 1970 aux années 1990, mobilisant par exemple des programmes d’émulation*, et, d’autre part, à un large phénomène culturel incluant aussi bien une grande diversité de produits de consommation [...], de pratiques muséales et universitaires, la circulation d’informations et les discussions en ligne sur le jeu vidéo ». (Citation traduite par l’auteur) (Suominen et al., 2015).
  • [7]
    Aux titres explicites : Capcom Classics Collection, Namco Museum, Mega Man Legacy Collection, etc.
  • [8]
    Relevé le 7/12/2015.
  • [9]
    Nous écartons de notre analyse ces productions dont le statut soulève d’autres débats récurrents comme l’indépendance à l’égard des éditeurs, ou l’instrumentalisation d’une « esthétique amateur » chez des vidéastes professionnalisés. Voir le dossier « Youtubeurs, des influenceurs sous influences » paru dans le n° 278 du magazine Canard PC en 2013.
  • [10]
    Rappelons que si YT fournit un moyen d’expression, elle est aussi perçue en tant qu’acteur d’une mutation économique dans le secteur culturel, produisant des formes de régulation de la créativité des contributeurs, voire notamment Bullich (2014).
  • [11]
    Représentations du passé émanant des sociétés d’éditions.
  • [12]
    Certains termes techniques suivis d’un astérisque sont définis dans un glossaire en fin d’article.
  • [13]
    Certains enquêtés se sont montrés réticents au départ au principe de l’interview par exemple.
  • [14]
    À propos de cette notion et de ses enjeux, voir (Cristofari, Guitton, 2015).
  • [15]
    Données fin novembre 2015. La quantification n’inclut pas les statistiques des vidéos hébergées sur d’autres plateformes ou serveurs par ces vidéastes.
  • [16]
    Adresse de la chaîne : https://www.youtube.com/user/AyorSaeba
  • [17]
  • [18]
  • [19]
    Il est intrinsèquement lié à l’histoire de la vidéo de JV sur le web, ce dont témoignent sa dénomination propre et sa pérennité.
  • [20]
    Comme dans le cas du longplay*.
  • [21]
    Le vidéaste relate ici la relation entre le marché de l’arcade (« jeux de café ») et des consoles domestiques qui dessina durant de longues années la commercialisation de certains genres. Sur ce point, voir par exemple (Gorges, 2012)
  • [22]
    Vidéaste américain également inspirateur de Joueur du Grenier.
  • [23]
    Dans l’entretien et dans l’une de ses vidéo, Retro Phil compare le JV à d’autres activités artistiques amateures, comme la guitare, déclarant privilégier le plaisir personnel qu’il en retire au souci de la qualité d’une performance.
  • [24]
    « Tout ce qui, dans un espace donné, sur l’axe de pertinence retenu, est utilisé par les actants pour permettre la communication » selon Odin (2011).
  • [25]
    1h 30 pour se filmer, 20 h de montage, et plus de 20 h pour « essayer de terminer le jeu » (entretien).
  • [26]
    Transposition des Frequently Asked Questions écrites, datant des premières années du web.
  • [27]
    Nous préférons ici le terme d’ancien plutôt que retro – aux connotations problématiques –, permettant d’établir un lien avec la mémoire d’autres objets et d’autres activités d’amateur.
  • [28]
    Les verbatim des vidéastes sont tirés des entretiens et réponses réalisés durant notre enquête, sauf mention contraire.
  • [29]
    Voir à ce titre Guffey citée par Dauncey et al. (2015).
  • [30]
    Youtubeur rétro français très populaire avec 2,5 millions d’abonnés : https://www.youtube.com/user/joueurdugrenier
  • [31]
    Ce constat confirmant celui de Laurence Allard à ce sujet, voir notamment BiTS le magazine de la Culture Pop, Arte.
  • [32]
    Les vidéos YT sont rémunérées principalement en fonction du nombre de vues, à raison de 1 $ pour 1 000 vues (d’autres paramètres sont pris en compte comme les droits, le nombre d’abonnés). Une infime minorité de contributeurs parviennent à retirer un revenu conséquent de leur activité. Retro Phil évoque le cas d’un Youtubeur qui avec 10 000 abonnés, touche environ 6 € par mois de la part de Youtube, et résume « il y a les gros qui gagnent beaucoup, et puis après il y a tous les autres qui gagnent quelques miettes ».
  • [33]
    Entretien avec Papa Gaming, youtubeur depuis 2015 et originaire du sud-est de la France.
  • [34]
    Pour un aperçu d’une technique d’acquisition artisanale, voir son tutoriel : https://youtu.be/b1WqkkM4CsA
  • [35]
    L’association MO5.com défend ainsi le principe de l’exposition interactive permettant aux visiteurs de prendre connaissance des jeux en jouant, plutôt que la présentation statique d’objets comme cela avait été le cas au Musée du jeu vidéo de la Défense à Paris (fermé). La question se pose aussi dans les médiathèques où l’accès au JV comme document doit permettre également d’accéder à sa jouabilité.
  • [36]
    C’est ainsi que la chaîne Arte notamment avait présenté le let’s play en ne retenant que les vidéastes les plus jeunes et les plus célèbres. Voir BiTS, le magazine de la Culture Pop, Arte.
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