Notes
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[1]
(Berners-Lee 2000), (Berners-Lee et al., 2006).
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[2]
Pour Uniform Resource Identifiers (les identifiants du web à l’image de <http://example.com>).
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[3]
Hypertext Transfer Protocol, le protocole de communication entre clients et serveurs conçu pour le web, en structurant de l’information au moyen de balises. A cet égard, HTML se pose en héritier du langage SGML (Standard Generalized Markup Language) dont découle également XML (Extensible Markup Language).
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[4]
Hypertext Markup Language, le format de données permettant de produire des « pages web ».
-
[5]
Par l’expression « web de données » on désigne le tournant intervenu en 2006, lorsque le web sémantique, à savoir le projet visant à faire évoluer les contenus du Web en les structurant davantage afin de les rendre manipulables « par les machines » dans la continuité des travaux réalisés en intelligence artificielle et en ingénierie des connaissances, fut repensé à l’aune des grands principes de publication en vigueur sur la Toile, dans l’optique de publier de nombreux jeux de données. Voir en particulier (Berners-Lee, 2006), (Bizer et al., 2009) Il faut toutefois noter que le tracé exact du partage entre Web Sémantique et Web de données fait l’objet d’intenses débats.
-
[6]
Resource Description Framework, langage de représentation des connaissances du web Sémantique, fondé sur un modèle graphe.
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[7]
Internet Engineering Task Force, l’organisme de standardisation d’Internet où sont encore publiés les standards qui touchent aux identifiants du web.
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[8]
World Wide web Consortium, l’organisme de standardisation du web, créé en 1994 par Tim Berners-Lee.
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[9]
Et ce en dépit des très nombreuses réserves que l’on peut émettre à propos d’une histoire que l’on qualifiera volontiers de convenue. Sur ce point, voir les critiques salutaires de (Serres, 1995) et (Jeanneret & Davallon, 2004).
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[10]
Le soupçon qui accompagne inévitablement une approche sensible au travail des concepteurs ne doit pas masquer un fait important : il découle essentiellement de l’erreur largement répandue qui consiste à concéder aux positions que l’on critique l’essentiel de ce qu’elles défendent (validant du même coup ladite critique en même temps qu’elle en perd tout intérêt). En toute logique, parler de conception ou de création ne signifie nullement que l’on souscrive à une vision naïve de ces deux activités. Dans le cas présent, la signification que prennent ces termes dans les pages qui suivent doit s’entendre avant tout dans la continuité des analyses d’Étienne Souriau dans L’Ombre de Dieu (Souriau, 1955), qui l’amènent à privilégier le terme d’« instauration ». Pour une première esquisse à partir d’une approche pragmatiste repensée à l’aune d’une reprise de la philosophie sourialienne, cf. (Hennion & Monnin, à paraître).
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[11]
Au vu de l’accent mis sur la performation dans la suite du texte, cette critique aurait de quoi surprendre. Après tout, ne faut-il pas voir dans ces anticipations des années 60-70, le point de départ d’une lente et progressive accommodation du réel aux théories poststructuralistes par le truchement du web ? Malheureusement, il manque ici pour valider cet argument un élément essentiel, à savoir le travail de mise en conformité dudit réel avec lesdites théories. Or, une analyse circonstanciée de l’architecture du web en constate rapidement le défaut : ces connexions n’existent pas. Les travaux des media studies n’ont pas exercé d’influence notable sur les architectes du Web en dépit du partage d’un vocabulaire commun (le mot « hypertexte » par exemple, dont l’unicité masque mal l’extrême ambiguïté). La réciproque est vraie : ayant été anticipé, il était inutile de se pencher sur un réel appréhendé en priorité sous l’angle de son retard par vis-à-vis de la théorie.
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[12]
Nous avons esquissé un tel historique dans plusieurs publications, voir (Monnin, 2012a ; 2013b).
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[13]
Précisons immédiatement que nous suivons ici la caractérisation que donne Michel Callon de ce concept (Callon, 2013). Retraçant ses origines en prenant pour point de départ le dispositif foucaldien, Callon propose de réserver « la notion d’agencement à la combinaison : arrangement + action spécifique, et [de qualifier] l’agencement pour désigner le type d’action spécifique qui est en jeu » (op. cit. p. 428). L’assemblage, qui est repris en français de la traduction anglaise du mot « agencement », permet de mettre l’accent sur la multiplication des interactions entre des éléments hétérogènes avec cependant pour contrepartie qu’aucun terme ne se présente aisément à l’analyse. À l’inverse, l’agencement, en tant qu’il agit de manière spécifique, permet de mettre un terme (provisoire) à la description, sans que cette limite ne soit imputable au seul l’arbitraire de l’observateur : « la prise en compte de la complexité des agencements, en focalisant l’analyse sur l’action collective et sa structuration, permet de comprendre comment chaque agencement se simplifie lui-même la vie et du même coup celle de l’analyste » (op. cit. p. 430). En élargissant la question du mode spécifique d’agir aux différences induites par les configurations en jeu et à ce qu’elles réalisent, nous entendons conférer à nos agencements une dimension plus ouvertement ontologique que ne s’y résout Callon. Le concept d’agencement ne constitue plus le fin mot de la discussion théorique, avant de laisser la place au détail des descriptions mais bien plutôt une incitation à saisir au plus près la variété des existants et des modes d’existence à partir des descriptions.
-
[14]
Sur les débats actuels, cf. (Denis, 2006). Pour une importante reconceptualisation en termes de « performation » (de l’économie par les sciences économiques), cf. (Muniesa & Callon, 2008).
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[15]
Pareil écueil touche avant tout à ce qui demeure d’Austin dans la définition de la performativité. Aujourd’hui, de nombreuses approches conduisent à l’affiner considérablement. De ce point de vue, loin d’être incompatible avec la définition à laquelle parvient Jérôme Denis dans sa présentation des débats contemporains autour de ce concept (« une énonciation, ou plutôt une série d’énonciations et d’actions, ne sont performatives que si elles permettent de construire collectivement un monde qui tient face à différentes épreuves de réalité », (Denis, 2006, p. 8), notre propos la rejoint.
-
[16]
Étienne Souriau les nomme des « sollicitudinaires » (Souriau, 2009). La dépendance qui caractérise les sollicitudinaires ne saurait se réduire à un simple fiat intentionnel. Souriau leur restitue au contraire une épaisseur ontologique à partir d’une réflexion sur l’œuvre menée tout au long de sa vie, au cours de laquelle il fut amené à envisager une pluralité de modes d’existence, redistribuant les agences entre le créateur et l’œuvre virtuelle, tout en insistant sur la différence de statut ontologique qui les distingue. En abordant de front les questions métaphysiques afférentes au pluralisme, Souriau ouvre des pistes de recherche extrêmement précieuses pour appuyer des réflexions contemporaines aussi diverses que celles d’Isabelle Stengers sur les pratiques, ou encore Élizabeth Claverie, Albert Piette ou, plus récemment, Tanya Luhrmann, à propos du divin et de la religion. Réflexions que Philippe Gonzalez résumait de la façon suivante : « l’homme religieux se sait impliqué dans la construction de l’interaction avec les entités surnaturelles, tout en demeurant conscient de l’autonomie de ces dernières ; c’est pourquoi, il est impératif de saisir cette mise en coprésence » (Gonzalez, 2006). Une forme de dépendance a beau caractériser certaines entités, elle ne saurait s’accompagner d’un déni pur et simple de leur autonomie (relative !), voire, c’est tout le sens de « l’œuvre à faire » chez Souriau, des prises d’initiative dont elles semblent aussi capables. On peut évidemment rapprocher ces réflexions des questions relatives à l’agency, en particulier sous les traits que lui ont conférés Gomart et Hennion (1999) au titre d’un faire faire ou faire agir.
-
[17]
Pour emprunter un concept central de la réflexion menée par B. Latour. Voir en particulier (Latour, 2004 ; 2005 ; Latour & Weibel, 2005).
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[18]
Pionnier de l’intelligence artificielle aux côtés de John McCarthy, auteur du Naive Physics Manifesto et acteur de premier plan de la standardisation du web sémantique.
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[19]
Le vocabulaire heideggérien, repris dans la théorie du design de Terry Winograd et Fernando Flores (Flores & Winograd, 1989), parle de « déclosion », ce que l’anglais traduit par le terme « disclosing », d’usage beaucoup plus répandu. A l’instar de l’instauration chez Souriau, la déclosion fait peser une indétermination sur la source de l’agency qui la rend néanmoins possible (en l’occurrence, l’Être chez Heidegger, l’œuvre chez Souriau).
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[20]
Cf. (Bachimont, 2010), p. 86 : « la technique est un schématisme externalisé qui construit des objets pour lesquels on ne dispose pas forcément de concepts, qui devront donc être élaborés pour penser ces objets ».
-
[21]
Selon l’expression de Bruno Latour, reprise d’Étienne Souriau, in (Latour, 2012). Rappelons que pour Latour, les êtres de la technique introduisent en toute chose un différentiel : « Comment nommer ce mode d’existence que l’on manquerait tout à fait si l’on faisait l’erreur de le limiter aux objets laissés dans son sillage sans en reproduire le mouvement si particulier ? Je l’appellerai tout simplement le pliage technique. Ce terme nous évitera la bévue de parler de la technique de façon irrévérencieuse comme d’une masse d’objets. La technique, c’est toujours « pli sur pli », implication, complication, explication. Il y aura pliage technique à chaque fois que l’on pourra mettre en évidence cette transcendance de deuxième niveau qui vient interrompre, courber, détourner, détourer les autres modes d’existence en introduisant ainsi, par une astuce, un différentiel de matériau, de résistance, quel que soit par ailleurs le type de matériau. (…) Là où est le différentiel de résistance, là aussi est la technique. C’est d’ailleurs cette ubiquité qui explique probablement son opacité : elle est partout, dans toutes les chaînes et réseaux, chaque fois qu’il y a ce détour, ce pliage, ce gradient et ce maintien des assemblages hétérogènes » (Latour, 2010).
-
[22]
Representational State Transfer.
-
[23]
C’est à Laurent Thévenot que l’on doit ce concept permettant de mesurer les apports de la standardisation, cf. (Thévenot, 1986).
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[24]
Sur ce point, voir (Monnin, 2013b), 1re partie, en particulier chapitres 2 & 3.
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[25]
Le protocole Http comprend nativement cette fonctionnalité qui permet d’associer de manière ponctuelle une multiplicité ouverte de représentations à une même ressource, en variant divers paramètres tels les formats, les langues, etc. (Thompson, 2009).
-
[26]
(Resnick & Miller, 1996 ; Anon, 1997 ; Berners-Lee, 1997).
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[27]
(Guha n.d. ; Guha, 1996 ; Guha & Bray, 1997 ; Bray & Guha, 1997).
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[28]
Songeons ici aux travaux de Joëlle Le Marec, qui s’interroge dans son HDR sur « ce que le terrain fait au concept », cf. (Le Marec, 2002a ; 2002b).
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[29]
Pour une vision « désabusée » du travail philosophique mené dans la sphère analytique, voir le tout récent livre de Peter Unger, Empty ideas (Unger, 2014). L’ingénierie philosophique (et la philosophie du web avec elle) ouvre(nt) peut-être une voie pour que nos idées sonnent un peu moins « creux » – à condition d’accepter leur nécessaire transformation.
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[30]
Sur ce point, il existe une large littérature philosophique. Voir en particulier Courtine (2007) pour un examen historique et Nef (1998) pour des développements contemporains.
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[31]
Sur ce point, cf. (Monnin & Livet, 2014). A l’inverse de la philosophie, l’architecture du Web conduit à envisager des « types » ontologiques ne faisant pas figure de fondement pour d’autres êtres, comme c’est le cas en philosophie avec les substances, les propriétés, les tropes, etc. Les types qu’isole l’architecture du Web (URI, représentations ou encore ressources) sont eux-mêmes dérivés d’une activité de distinction qui, en se poursuivant ou en régressant débouche sur de nouveaux types. Il en découle une conception de l’ontologie qui entend prendre la mesure de l’incertitude des distinctions à venir, une ontologie en affinité avec le design et l’idée très pragmatique d’un monde « à faire » (une telle idée ne signifiant nullement que le monde serait le produit intégral d’une activité humaine, une des prémisses du constructivisme. Au contraire, le monde oppose ici ses réponses aux distinctions posées, celles-ci débouchant parfois sur des contradictions bien embarrassantes. Au plus près des systèmes formels, l’histoire des mathématiques et de la logique en témoigne également en abondance.).
-
[32]
Introduire de telles relations dans une logique est évidemment loin d’aller de soi. Aussi Hayes plaisante-t-il en comparant la relation nearly same as à l’expression slightly pregnant. Plus sérieusement, les difficultés tenant à l’emploi de la relation <owl :sameAs> sont aujourd’hui bien connues et documentées, cf. (Halpin et al., 2010). Elles proviennent de ce qu’il est impossible de traiter les objets sur le web de manière purement extensionnelle, hors de tout contexte épistémique (ou de toute « intension »), pour déterminer leur référence à l’avance. Sur cette question, voir aussi (Imbert, 1999, 206) : « si la loi de substitution salva denotationne [qui permet de substituer deux désignations d’un même objet sans risque : par exemple « Jocaste » et « la mère d’OEdipe »] et la quantification [l’opération au moyen de laquelle la logique parle d’au moins un objet ou de tous les objets] sont semblablement affectées par les contextes intentionnels ou opaques [du type « X pense que Y, ou encore « OEdipe aime Jocaste »], elle pourrait caractériser au même degré l’extensionnalité. C’est en ce sens que conclut Quine en suggérant un lien intrinsèque et constitutif entre la quantification et la composition vérifonctionnelle. » Hors de ce contexte extensionnaliste strict, qui vaut pour la logique au prix d’une exclusion de toute dimension épistémique, l’usage du critère de substitution salva denotationne ne se soutient d’aucune évidence. Il ne semble donc guère applicable à d’autres contextes, d’où les paradoxes relatifs à l’identification et à l’individuation des objets auxquels s’exposent l’Intelligence Artificielle, l’ingénierie des connaissances et le Web Sémantique. Par contraste, la solution adoptée à l’échelle du Web Sémantique repose très largement sur des procédures épistémiques complexes dans la mesure où les objets identifiés le sont en priorité par l’entremise de Wikipédia.
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[33]
Les IRI (Internationalized Resource Identifiers) sont des URI que l’on peut écrire au moyen des différents alphabets utilisés par les langues actuelles (cette précision est orthogonale à la problématique de la référence abordée dans cette partie).
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[34]
Ainsi traduirions-nous l’expression Knowledge Representation, en dépit de différences épistémologiques sensibles entre KR et IC.
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[35]
On parle de « cake » au sujet d’une représentation graphique présentant l’empilement des standards censé donner corps au web sémantique tout en décrivant ses différentes composantes (il n’en existe d’ailleurs pas de version définitive, ce qui marque bien le fait que cette représentation figure un projet en cours de réalisation). Cf. http://www.w3.org/2001/sw/layerCake.png à titre d’exemple.
-
[36]
Cf. ci-après, l’exemple de Google.
-
[37]
Implémentations dont la parfaite adéquation vis-à-vis des standards dont elle s’inspire n’est nullement garantie.
-
[38]
En horticulture, le « marcottage » (layering) consiste à « forcer la mise en contact d’une partie aérienne d’une plante avec un substrat humide, jusqu’à l’apparition de racines » (Wikipedia). C’est une traduction rêvée pour rendre le type de connexions forcées, imparfaites et fragiles, qu’induisent les standards lorsque des couches successives s’accumulent de manière à créer un milieu
« ontologiquement hétérogène » dans la mesure où la distribution des caractéristiques des entités qui y circulent subit des variations le long de ces différents étagements,, ce qu’illustrait l’exemple de la Blogique. -
[39]
Nous dirions également « ontologique », soulignant une dimension mise en avant par les STS (il n’y a d’ailleurs aucune contradiction entre ces deux assertions).
-
[40]
(Hayes, 2009) : The ‘layer cake’ diagram is good computer architecture but really, really bad semantic architecture. Blogical forms do not naturally layer, because names have a different logical status at different levels. La différence de statut logique dont il est allégué renvoie aux performances du nom propre. Nous nous concentrons ici sur l’autre versant, ses propriétés, et par conséquent, les différences de statuts ontologiques.
-
[41]
Hayes est le co-auteur, avec le logicien et philosophe américain Christopher Menzel, du standard Common Logic, à partir duquel a été pensé RDF et qui en présente un élargissement cohérent. Common Logic n’est cependant pas un standard du web sémantique et ne semble pas non plus en prendre le chemin. Il est également le co-auteur, avec Ramanathan Guha (Guha & Hayes, 2003), de LBase, une recommandation destinée à accorder la sémantique des différents langages de représentation des connaissances standardisées au sein du W3C. Enfin, il est l’auteur de la sémantique de RDF dont on a déjà dit le peu d’adhésion qu’elle suscitait parfois. D’ailleurs, la présentation consacrée à la Blogique s’ouvre avec humour sur les phrases suivantes, Hayes imaginant par avance la réaction de ses interlocuteurs : Please, enough with the logic already. We have way too many web logics, a positive zoo of endangered OWL species, so don’t give us another one. Even if you are right, its [sic] too late. You and Guha tried, Pat, but nobody was interested in LBase and only about four people have read the Common Logic spec. Give up on it, the RDF/OWL train has left the station.
-
[42]
The same piece of logical text has several different entailment regimes applying to it, with no way to communicate which one is intended, destroying portability. This is a mess, which will get worse. It will not fix itself. We need to provide blogic as a single layer with one notion of entailment. It can have subcases, but not layers., ibidem.
-
[43]
L’expression ready-made objects, prise dans ce sens, est empruntée à Hilary Putnam (2005).
-
[44]
Dans un article consacré aux technologies des marchés boursiers, Fabian Muniesa proposait une « pragmatique des prix » inspirée de la sémiotique peircienne, les signe-prix oscillant entre « indice », « icône » et « symbole ». Au-delà du registre figé d’un métalangage dont Muniesa s’accorde à reconnaître le caractère provisionnel, demeure le constat ici partagé selon lequel « il est plus que probable que l’appareil matériel de désignation [formule qui sied à merveille au web] se comportera différemment selon les lieux et les occasions. » Muniesa d’ajouter : « dans une salle d’enchères, dans une simulation économétrique ou sur un prospectus publicitaire, ce ne sont pas les caractéristiques Peirciennes des prix qui s’affirmeront le plus ». cf. (Muniesa, 2013, 269 ; 277).
-
[45]
Voir par exemple la réponse apportée à un utilisateur sur le forum officiel de Google : <http://productforums.google.com/forum/#!topic/webmasters/TZAeo2SzMnM>
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[46]
Si l’on devait désormais identifier le problème que s’attache à résoudre l’architecture du web, ce serait sans aucun doute (telle est du moins notre thèse) celui de la référence, et du statut de ce à quoi il est fait référence. Nous en héritons à la lecture des standards. URI et ressources y occupent naturellement le devant de la scène. En revanche, la même question, abordée du point de vue des hypertextes, recevrait des réponses tout à fait différentes. Au primat des URI (identifiants, noms, pointeurs), il faudrait substituer celui des liens. Signe néanmoins de la priorité des premières sur les seconds, l’établissement d’un « lien hypertexte » requiert au préalable l’existence d’un identifiant, d’une URI, sis dans une balise qui le rend cliquable (<a href =>http://example.com</a>). Toujours dans la logique des hypertextes, aux ressources se substitueraient, on l’a vu, les pages. Au problème de la référence, enfin, celui du trajet ou de la navigation entre deux lexies. On retrouve là une problématique désormais classique, celle de la « désorientation » à laquelle seraient confrontés les utilisateurs sur la Toile. Sur ce point, voir (Ghitalla et al., 2003).
-
[47]
Monadologie et Sociologie, cité in (Latour, 2011, 20-21).
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[48]
Ibidem, p. 22.
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[49]
Point d’autant plus essentiel que la méréologie constitue le nec plus ultra contemporain en matière d’ontologie « formelle » (comprendre : non « contaminée » par un quelconque contenu empirique). Voir par exemple (Varzi, 2010 ; 2011).
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[50]
« Nous accordons beaucoup trop de poids aux dominants lorsque nous levons les doigts vers le Ciel pour désigner nos chefs ou nos supérieurs comme si nous n’occupions qu’un étage d’une pyramide dont l’extrémité se perdrait dans les nuages (…) Michel Serres l’avait proposé il y a longtemps, il faut inverser les métaphores du pouvoir et le saisir toujours comme ce qui est en-dessous, à la manière d’une sorte de bassin versant vers lequel tendrait, par la force de gravité, ce qui est plus haut et plus grand que lui. » (Latour, 2011, 30).
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[51]
L’obtention d’un résultat conforme à la logique attendue (dans le cas de RDF, des inférences garanties par une sémantique formelle modèle-théorétique), peut très bien passer par des principes fortement étrangers à cette même logique, dont le mérite repose néanmoins dans la capacité à la simuler parfaitement. L’exemple KGRAM, machine de graphes abstraits développée au sein de l’équipe Inria Wimmics, (<http://www-sop.inria.fr/edelweiss/software/corese/kgram/>), en atteste qui simule le comportement inférentiel attendu du point de vue de la sémantique formelle de RDF, tout en traitant ce langage de représentation des connaissances uniquement à la manière d’une syntaxe doté d’un modèle de graphe reconstitué par la machine (ce qui suffit à réaliser les inférences voulues). Le résultat au strict plan des inférences est identique. En revanche la sémantique sous-jacente, censée fixer la signification des signes (URI), a disparu : c’est bien une simulation.
-
[52]
Il y aurait d’ailleurs une réflexion à mener, dans le cadre ici posé, quant au lien éventuel entre cette caractérisation du pragmatisme et l’ingénierie.
-
[53]
(Smith, 1998, 264).
-
[54]
Pour Web Hypertext Application Technology Working Group.
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[55]
Cette suite de sigles (URL, URN, IRI, URN – IRL et URC ne sont pas mentionnés) renvoie aux hésitations sur le statut des identifiants du web. Si l’appellation URL (Uniform Resource Locators) domine encore auprès du grand public, elle ne compte plus de standard dédié depuis déjà une quinzaine d’années. Durée qui pourrait donc prendre fin très bientôt alors que des velléités s’expriment pour réintroduire les URL dans les standards. Ou, plus exactement, pour évacuer les dimensions dont il a été question tout au long de ce travail. En particulier la nature du lien entre mots et chose (URI et ressources) sur le web. Pertinentes pour les concepteurs du web, ces questions le sont nettement moins du point de vue des développeurs, pour qui le web se présente comme un objet stable, dont il s’agit moins de sonder les arcanes que de rendre accessible à celles et ceux qui dont l’activité professionnelle en dépend.
-
[56]
Kesteren intégra le TAG au cours de l’année 2013. Le TAG est le Technical Architecture Group chargé, au sein du W3C, de veiller au maintien des principes fondamentaux du web.
-
[57]
Tel est bien l’enjeu politique du pluralisme logé derrière le concept d’agencements, comme l’a parfaitement noté Jérôme Denis : « La définition renouvelée de la notion de performativité n’est pas sans conséquence politique.
(…) Dès lors que le caractère « performé » de certaines dimensions de notre réalité est mis en lumière, elles peuvent être à nouveau publiquement débattues. (…) la critique que rend possible le nouveau programme performatif est profondément pluraliste. Elle consiste à remettre en question la nature des éléments qui ont été assemblés (et souvent l’assemblage lui-même), afin de montrer que d’autres mises en forme sont possibles. », (Denis, 2006, 10). -
[58]
Le cas est d’autant plus remarquable lorsque ces explanantia sont de nature philosophique, leur prétention, loin d’aller de soi, posant au contraire question. À suivre Peter Unger (2014), les arguments et concepts dont la philosophie (analytique) excipe, n’ont tout simplement aucun sens. Sans aller jusque-là, nous plaidons en faveur de l’idée selon laquelle ils sont susceptibles d’acquérir une nouvelle pertinence à la faveur du travail accompli au titre de l’architecture du web. Autrement dit, à l’occasion de la reprise contemporaine, par des acteurs extérieurs au champ philosophique académique, des problèmes et des concepts de cette discipline. Un sens nouveau cela va sans dire, pour des réalités qui le sont tout autant, témoignage que cette reprise marque moins un écart vis-à-vis d’un modèle, envisagé dans sa pureté conceptuelle, que la condition à remplir pour dépasser l’écueil toujours menaçant du « non-sens ». Une telle lecture renverse bien évidemment le rapport usuel que la philosophie prétend entretenir à l’égard de ses objets. En fait, elle est très proche de la position qu’Alan Richardson attribue à Carnap, tenant d’une « ingénierie philosophique » (là encore !), laquelle se verrait confier la tâche explicite de s’émanciper des réponses que livre traditionnellement la philosophie, réponses jugées métaphysiques et par conséquent (c’est un leitmotiv carnapien) dénuées de sens. Le recours exclusif aux méthodes formelles a pour effet de transformer la nature même de l’activité du philosophe, désormais dévolue à la résolution de problèmes techniques : « Carnap sought in word and deed to overcome the history of philosophy and offer a new task for philosophy in the scientific age. » (Richardson, 2013), p. 72. Une différence majeure avec le cas présent, et plus spécifiquement avec « l’ingénierie philosophique » de Tim Berners-Lee, tient cependant à ceci que la technique se voit désormais reconnaître une véritable épaisseur (celle d’un médiateur) là où Carnap échouait à se donner les moyens de la penser autrement qu’à travers le prisme utilitaire de l’outil (à la façon d’un intermédiaire) – c’est d’ailleurs tout le sens de la critique formulée à son encontre par Richardson. L’exemple de la controverse entre Berners-Lee et Hayes témoigne d’une articulation très différente des rapports entre formalismes et technique (il n’est pas dit, d’ailleurs, que la seconde ne puisse s’envisager comme condition des premiers). On notera cependant que dans les deux cas, Berners-Lee comme Carnap avant lui donnent tous deux la priorité à l’ingénierie sur la philosophie. La nécessité d’opérer le pas de côté nécessaire pour penser la technique au cœur de l’ingénierie (ce qui, en toute occasion, fait dévier l’attendu), distingue donc la philosophie du Web de l’ingénierie philosophique proprement dite (celle de Carnap comme celle de Berners-Lee), où, à quelques exception près, ce souci est nettement moins affirmé.
-
[59]
Comparable uniquement au langage de ce point de vue, cf. l’entretien avec Tim Berners-Lee dans (Halpin & Monnin, 2014).
-
[60]
Ainsi la RFC 2386 caractérise-t-elle la ressource. Le « n’importe quoi » des standards résonne avec le quelque chose en général (aliquid) de l’ontologie classique.
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[61]
Que les standards du W3C, malgré toutes les critiques que l’on peut légitimement leur adresser, s’efforcent de mettre à la portée de « chacun » : l’écriture des ontologies s’opérant sur un mode décentralisé, sans préjuger (non plus) de leur domaine.
-
[62]
Pour plus de précisions au sujet des débats suscités par cette initiative, cf. https://news.ycombinator.com/item?id=7677898
-
[63]
Cf. AppLinks.org. Le PDG de Parse, société en charge du projet rachetée par Facebook, déclarait récemment : It’s a shame that the URL is not a big deal on mobile right now. If I try to open third-party apps, I’m stuck in the web browser where I have to log in again. There is no unified way to navigate to links across all the platforms. <http://techcrunch.com/2014/04/30/facebook-launches-applinksorg-to-make-linking-between-apps-easier/>. Évidemment, la difficulté résulte moins d’un défaut intrinsèque aux navigateurs que de la centralisation de la gestion des identités par les propriétaires de plateformes. Une gestion décentralisée des identités s’affranchirait des difficultés qu’AppLinks s’évertue moins à résoudre qu’à mettre en scène pour y puiser une justification. Sur l’identité dans le navigateur et les réseaux sociaux distribués, voir les travaux du W3C, notamment : <http://www.w3.org/2011/identity-ws/report.html> et <http://www.w3.org/wiki/webID>.
-
[64]
Cf. la distinction entre la pluralité des « métaphysiques expérimentales » et l’unité à construire caractéristique de l’« ontologie », proposée par Bruno Latour (2007).
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[65]
Parler de régularité implique qu’un tel vecteur puisse également ne pas être reconnu en tant que tel. Après tout, il n’exerce aucune contrainte mécanique ou automatique. La « force de la règle », selon la belle expression de Jacques Bouveresse, n’est jamais d’ordre causal. Aussi, négliger le type de contraintes qu’elle exerce ne saurait être en permanence suivi de sanctions immédiates. Traiter une ressource à la manière d’une page n’est certes pas conseillé, ce n’est pas toujours une catastrophe non plus (à court terme du moins). A cet égard, rien n’interdit de maintenir un environnement statique pour donner l’illusion d’avoir affaire à des documents au sens le plus traditionnel du terme. Dès lors, pourquoi parler d’« illusion » en pareil cas ? Pour une raison très simple : garantir l’accès à une page « statique » implique des effort et un investissement considérables, à court, moyen et long termes : payer un hébergeur à échéance régulière, louer un nom de domaine le temps que dure l’hébergement, administrer son « site », conserver intact le rendu visuel d’une « page » mise en ligne depuis plusieurs années alors même que logiciel utilisé pour la publication subit des mises à jours régulières, que les thèmes qu’il propose évoluent et disparaissent et, avec eux, la chartes graphique du site ; quand ce ne sont pas tout simplement les navigateur eux-mêmes qui connaissent de nouvelles itérations et qu’il devient impératif d’adapter le code de sa « page » en conséquence. Ne parlons évidemment pas des modifications que ledit code subit lui-même à chaque renouvellement des standards (balises devenues obsolète, respect variables selon les navigateurs, adoption étalée dans le temps, etc.). Décidément, la stase n’est l’état naturel d’aucune chose, moins encore sur le web qu’ailleurs où subsister se paie au prix fort.
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[66]
(Bellacasa, 2011). Voir également, p. 90 : advocating for care complements the respect for things or MoC [matters of concern] with an ethical doing : the practical responsibility to take care of the fragile gathering they constitute.
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[67]
Ibidem, p. 90.
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[68]
C’est là un trait sur lequel insiste l’ANT depuis longtemps. On le retrouve ainsi au cœur de la présentation que donne Michel Callon de la « sociologie de l’acteur-réseau » dans (Callon, 1986).
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[69]
We become able to cut in a certain way because of our own attachments, because we care for some things more than others, ibid, p. 96.
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[70]
Ibid., p. 98.
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[71]
Ibid., p. 96.
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[72]
Michael Hausenblas évoque pour sa part des entités « non directement observables » : « We note that URIs and representations are directly observable things, while resources are not directly observable » (Hausenblas, 2011), quand Sébastien Haymann, dont l’approche est centrée sur la possibilité de cartographier le Web, évoque le fait que « les liens hypertextes parcourus sont des réalisation au sens de P. Lévy, c’est-à-dire des occurrences d’un possible prédéfini » (Heymann, 2008). Nous-même avons mobilisé l’ontologie processuelle élaborée par Pierre Livet et Frédéric Nef pour fournir un soubassement ontologique aux sciences sociales, afin de rendre compte du caractère virtuel, qualifiant, de la ressource. Cf. (Nef & Livet, 2009), (Monnin, 2013a) et (Monnin & Livet, 2014).
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[73]
Sur l’aspect « moral » de cet appel, voir (Hache, 2011, 28) pour une approche pragmatiste renouvelée. Toute l’œuvre d’Étienne Souriau peut se lire comme une méditation sans équivalent à propos de la réponse qu’il convient d’apporter à l’appel du monde. Souriau l’abordant qui plus est de front, sur son versant métaphysique, sa pensée ouvre des perspectives dont il reste à prendre l’entière mesure. En écho, et peut-être en décalage par rapport à Maria Puig de la Bellacasa, qui prend ses distances vis-à-vis de la critique latourienne de la critique en tentant de repolitiser les matters of concern, devenus pour la circonstance des matters of care, soulignons que dans l’optique de l’œuvre à faire nos réponses nous jugent davantage que nos principes. La critique de la critique peut dès lors passer pour la reconnaissance implicite de la pluralité des réponses et des appels – autrement dit, des mondes à faire – ce qui ne diminue en rien, bien au contraire, l’exigence politique qui lui est associée.
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[74]
(Bellacasa, 2011), p. 96.
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[75]
Ibid., p. 100.
1 – Introduction
1L’architecture du web désigne la couche de standards et de principes sur laquelle, aujourd’hui encore, repose le web, et ce en dépit d’évolutions nombreuses où se croisent des dimensions techniques, économiques voire philosophiques. De manière canonique, on en circonscrit le périmètre à trois éléments [1] : un système de nommage à base d’URI [2], le protocole de transfert Http [3] et le langage HTML [4] (ou, dans le cas du web sémantique ou web de données [5], un autre langage, reposant quant à lui sur un modèle de graphes, RDF [6]). Prendre cette architecture pour objet revient à étudier le web à partir de l’activité déployée par les rédacteurs de ses principaux standards, édités au sein d’organismes tels que l’IETF [7] ou le W3C [8], chargés respectivement d’assurer la gouvernance technique d’Internet et du web. Autrement dit, à relativiser d’emblée, et pour une raison qu’il s’agit de préciser, les visions académiques du web. Celles-là même qui le réduisent généralement à un hypertexte, héritier de la tradition littéraire, ou l’inscrivent au titre de simple étape téléologiquement déterminée dans une filiation à laquelle est collée l’étiquette somme toute très vague de « nouveau media » (sont alors, en règle générale, invoqués de manière faussement érudite les noms de Ted Nelson, à qui l’on doit le terme « hypertexte », ou de Vannevar Bush, tenu pour le véritable père fondateur de cette tradition [9]).
2À l’inverse, la voie ici retenue nous conduit à nous intéresser au travail des « créateurs » ou « concepteurs » du web, dans la foulée de son « inventeur », Tim Berners-Lee, et, plus largement, de l’ensemble des architectes qui contribuèrent à cet édifice. Les guillemets accolés au mot « concepteur » sont de rigueur. Ils témoignent au premier chef de la nécessité, cruciale à nos yeux, de ne pas ignorer purement et simplement cette catégorie d’acteur, comme c’est encore très largement le cas aujourd’hui. Et ce, sans sacrifier pour autant à une historiographie naïve [10]. La focale adoptée vaut donc d’abord pour le privilège volontairement accordé au travail des acteurs eux-mêmes sur les généalogies produites et entretenues par le monde académique – quand ce n’est pas au détriment de toute enquête de terrain. Autrement dit, nous il nous semble important d’accorder un privilège à l’histoire – encore à faire –, par opposition à son archéologie supposée, par trop abondante. La seconde a jusqu’à présent réduit à néant les velléités de mettre en lumière la première. Ce choix nous paraît indispensable afin de ne rien négliger du cheminement précis ayant progressivement conduit à la naissance et à la stabilisation du web, et d’éviter du même coup l’écueil auquel se heurtent inévitablement les approches qui ont tendance à le réduire à la réalisation d’un programme pleinement anticipé sur le papier [11]. Ainsi, George Landow (1991) peut-il affirmer que les concepts du post-structuralisme français (Barthes, Foucault, Derrida) « s’incarnent » désormais dans le web, l’ayant intégralement préfiguré. Le corollaire de cette conception est simple : l’objet, ainsi nié dans sa spécificité, ne peut plus faire événement, n’étant guère que le support d’idées toujours-déjà anticipées par des chercheurs auxquels seul le qualificatif de clairvoyants paraît désormais convenir.
3L’objet de cet article est moins de substituer à ces généalogies convenues un rectificatif historiquement informé [12] que d’engager, à partir d’exemples précis tirés de l’étude de l’architecture du web, une réflexion d’ordre plus général. Il s’agira en effet d’interroger le type de démarche auquel s’engage le chercheur lorsqu’il s’évertue, en jetant sur lui une lumière inédite, de rectifier le portrait généralement dressé de son objet d’étude – tâche à laquelle on ne s’essaiera ici que par petites touches successives. S’il s’agit de décrire des agencements [13] au plus près (et l’on verra que c’est bien le cas ici), en justifiant par conséquent de l’emploi d’une conceptualité mobilisée à cette fin, difficile de ne pas se pencher sur la relation nouée par le chercheur avec ces agencements eux-mêmes. La performativité (ou performation) [14], plus encore que la réflexivité, figure aujourd’hui au rang des préoccupations majeures des sciences sociales. Cependant, une fois admis que la recherche ne saurait s’inscrire dans une position d’extériorité radicale vis-à-vis de son objet, le risque est grand de se heurter à de nouveaux dualismes. Ni engagé ni dégagé, le chercheur oscille-t-il désormais entre une vision passée, qui lui conférait l’impuissance de l’observateur impartial, et une nouvelle hubris démiurgique ? Contre la brutalité d’une telle alternative, par-delà même les compromis qu’elle laisse entrevoir, nous tenterons de dégager une autre voie [15]. Celle d’un chercheur aux prises avec des entités fragiles, dépendantes [16], aisément passées sous silence, contribuant à recomposer, aux côtés des acteurs et en vertu de ses attachements, une autre politique des choses [17].
4Dans une première partie, il s’agira donc de cerner les conditions d’émergence d’un type d’entités spécifique au web, la ressource, véritable pivot de cette architecture, en détaillant les conditions de sa « découverte », les agencements nécessaires à son maintien, de même que les efforts indissociables destinés à en assurer la prise en considération. En guise d’approfondissement, la seconde partie s’appuiera sur un exemple précis, à savoir le développement du web sémantique, pour mettre en lumière les agencements nouveaux qu’il opère sous deux modalités contradictoires et néanmoins contemporaines l’une de l’autre : la simplification et la complexification du web. Enfin, une fois reconnue l’importance de l’attention portée aux choses et aux arrangements qui les font tenir, la conclusion se penchera brièvement, toujours à partir de l’exemple de la ressource, sur les phénomènes que cette attention aux invisibles permet de déceler. En particulier, le développement de dispositifs destinés à créer des agencements concurrents, porteurs d’une toute autre politique des choses, interroge directement le chercheur pris dans d’autres agencements que ces dispositifs entendent offusquer, le confrontant rien moins qu’à la disparition potentielle de son objet d’étude. Cette « production active d’ignorance » (agnotologie), une fois rapportée aux êtres fragiles et « dépendants » dont il est ici question, ne saurait par conséquent dissimuler sa portée proprement ontologique – fût-ce selon une acception profondément renouvelée de l’ontologie, marquée par le nécessaire soin à apporter aux objets.
2 – Agencements et fragilité ontologique
2.1 – L’importance de la technique
5L’anti-fétichisme (Hennion & Latour, 1993) de la démarche qui vise à piocher dans un répertoire conceptuel bien établi de quoi rendre compte intégralement d’une situation, est patent. Ses conséquences se déclinent à tous les niveaux : la place du chercheur, l’aptitude du réel à surprendre et la capacité à en rendre compte. Parallèlement, il faut bien reconnaître, dans le cas d’espèce étudié ici, que l’attention portée aux standards et le respect dû aux acteurs, d’où l’on tire cette critique, sont en grande partie motivés par la propension de ces derniers à discuter de questions ouvertement… philosophiques. Noms propres, objets, signification, sens ; le répertoire de la philosophie du langage résonne d’un écho familier et rassurant aux oreilles de quiconque fut formé à l’école analytique. C’est d’ailleurs le cas d’une partie non négligeable des acteurs impliqués dans la standardisation du web ; à plus forte raison du web sémantique, évolution à laquelle travaille le W3C depuis 1996. L’idée fascinante qui ne manque pas de se faire jour au vu d’un tel constat est celle d’un devenir-artefact des concepts philosophiques, aujourd’hui plongés dans le bain rafraîchissant de l’ingénierie par la grâce de l’architecture du web. Ce devenir, nous l’avons baptisé du nom d’« artéfactualisation » (Monnin 2009 ; 2012b ; 2013b), au risque de nous exposer aux deux écueils concomitants tantôt dénoncés : l’anti-fétichisme d’une part, et ce que Brian Cantwell Smith (1998) nomme « l’erreur d’inscription », d’autre part, soit la projection sur un objet de concepts et de méthodes soustraits à tout examen. Sans doute est-ce là un risque qu’il convient de mettre en perspective pour commencer.
6La caractérisation des identifiants du web, lors des discussions menées par ses architectes, étant calquée sur le modèle des noms propres philosophiques, ceux-ci ont offert un point d’entrée rêvé dans ces débats. A mesure que s’affine l’enquête, peut-être s’agit-il néanmoins de procéder à une mise à distance de la référence à un explanans philosophique. Cette mise à distance procède en effet d’une prise de conscience de plus en plus nette de ce que les oppositions entre systèmes philosophiques ne suffisent pas, à elles seules, à épuiser a priori (donc en anticipant l’avenir), tous les possibles. Y compris en ces matières relativement abstraites mais qui, du fait du caractère artéfactuel des objets désormais considérés, voient remises en cause les oppositions purement formelles ou conceptuelles qui prévalaient autrefois.
7Ce point a déjà été mis en avant par Tim Berners-Lee lui-même, lors d’une controverse qui l’opposa à Patrick Hayes [18] au sujet des URI. Berners-Lee s’appuyait sur les standards du web pour souligner les modalités tout à fait spécifiques en fonction desquelles les URI signifient, quand Hayes protestait des enseignements de la sémantique formelle, supposés intangibles et censés valoir tel un a priori formel indifférent à toutes autres considérations. De ce débat, une fois passé au microscope, ressort une citation particulièrement instructive, Berners-Lee alléguant avec force de la capacité du web à instaurer quelque chose de nouveau :
(…) we are not analyzing a world, we are building it. We are not experimental philosophers, we are philosophical engineers. We declare « this is the protocol ». When people break the protocol, we lament, sue, and so on. But they tend to stick to it because we show that the system has very interesting and useful properties.
9Dans ce cas précis, l’un des effets du déplacement tantôt mentionné des noms propres vers les URI tient à la préséance d’une autre question, dont ni Berners-Lee ni Hayes n’ont véritablement traité au cours de ce débat, consistant à se demander ce que désignent les identifiants/noms propres du web : des documents ? Des fichiers ? Des pages ? Standards et architectes du web apportent de concert une réponse au moins nominale à cette interrogation : il s’agirait en effet de « ressources ». Mais personne n’a semble-t-il brossé leur portrait avec précision. Il eut été aisé pour cette raison de minorer leur portée en excipant d’une invention lexicale (s’agit-il seulement d’un concept idiosyncrasique, et par conséquent de peu d’importance ? D’une invention complaisante des architectes du web ?). Autrement dit, d’écraser l’explanandum des acteurs sous un explanans quelconque. Pourvu qu’il soit tiré du répertoire philosophique, et, pour cette raison, censément mieux établi. En accord avec les choix précédents, et la volonté de ne pas escamoter la métaphysique des acteurs au profit de concepts canoniques (et néanmoins discutables : pensons aux riches sédimentations que recouvrent des mots tels que « documents », « pages », « fichiers », « objets », etc.), nous défendrons ici la position inverse en accordant du crédit non seulement aux idées des architectes du web mais également aux êtres à l’existence desquels leur activité de conception (de design) nous rend sensible [19].
10L’artéfactualisation bien pensée renvoie elle aussi à l’inattendu qui caractérise en propre l’ingénierie. Inattendu de solutions risquées dans un monde en transformation. D’où le parallèle à établir entre les possibles du pragmatisme et de l’ingénierie (nous parlons de « possibles » car aussi bien l’ingénierie que le pragmatisme souffrent de leurs déformations respectives : d’une part l’opportunisme, et, d’autre part, l’application de la science rendue d’autant plus indiscutable qu’elle est devenue opératoire).
11En tout état de cause, la démarche consistant à envisager ce qui fait dérailler la machinerie conceptuelle une fois muée en véritable machine s’avère nettement plus féconde. Y compris lorsque cette transition signifie avant tout que ses rouages sont désormais couchés dans les standards. La technique n’est pas la matière, l’artéfactualisation excède la « matérialisation ». Elle est ce qui fait dévier l’attendu, l’imprévu dans un schéma bien établi, l’excès par rapport au concept [20]. En rupture avec la prétention des philosophes à constituer un espace de discours formel sur le langage, la logique ou l’ontologie. Ces dimensions sont soumises à la nouveauté d’un monde qui se transforme, la technique permet de le mesurer plus que tout autre « mode d’existence » [21].
2.2 – REST et la ressource
12Pour le montrer, arrêtons-nous un instant sur la fameuse ressource tantôt évoquée, afin de mesurer l’ampleur de la déviation qu’elle induit. Ceci nous conduit sur la piste d’une thèse (Fielding, 2000), rédigée par un architecte du web peu connu de ceux que ce dernier n’intéresse guère, du moins sur un plan technique, à savoir Roy Fielding (voir également (Fielding & Taylor, 2002 ; Fielding, 2008)). Thèse par ailleurs immensément connue pour de toutes autres raisons. Accessible en ligne depuis 2000, elle présente une « méthode » (en le disant volontairement de manière impropre), baptisée REST [22], de conception de services web ; autrement dit, d’applications en ligne. Or, si tel est bien ce que la postérité en a retenu, telle n’a jamais été la finalité ultime de ce travail.
13En réalité, le rôle décisif joué par ce mémoire de doctorat n’a guère été souligné en dehors du cercle des architectes. En effet, son auteur se vit confier la charge de rendre explicites les spécificités du web en termes de design, à la demande expresse de Tim Berners-Lee. À l’époque, en 1995, les premiers standards dédiés au web, les premiers « investissements de formes » [23] destinés à le stabiliser, venaient d’être publiés dans la foulée de la création du W3C. Ceux-ci portaient en germe des contradictions gênantes qui n’allaient pas tarder à percer (Monnin, 2012a). Le travail de Fielding a consisté, pourrait-on dire, à « mettre le web en adéquation avec lui-même » (Monnin, 2012a). Soit, à extraire des standards existants (en particulier le protocole Http) une philosophie cohérente pour mieux la réviser, la perfectionner, la généraliser et finalement la rendre autonome vis-à-vis de cela-même qui en constituait pourtant la source. Les standards initiaux en fournissant, in fine, une illustration devenue imparfaite (Fielding (2006) explique au passage qu’il ne s’agit pas de comprendre cette évolution à l’aune du paradoxe de l’oeuf et de la poule mais sur le modèle d’un développement soumis à des transformations graduelles, à l’image de l’évolution du dinosaure se muant progressivement en nos modernes gallinacés !). Autrement dit, à opérer la jonction entre le web des origines et un web « moderne », enfin stabilisé, en déjouant les contradictions passées au nom de principes nouveaux, censés néanmoins refléter des contraintes architecturales valant dès les commencements. Cette séquence articule des temporalités complexes, depuis la découverte de l’architecture profonde censé rendre compte depuis toujours des propriétés du web, et qui fut néanmoins mise au jour à la suite d’un travail d’interprétation ou de réinterprétation achevé par la réécriture de ses standards, finalisé une dizaine d’année après les débuts du web. Sans compter que la thèse de Fielding, où le style REST est détaillé, fut achevée après (en 2000) la réécriture des standards qu’elle inspira néanmoins (entre 1997 et 1998) !
14Réflexion où se cristallise la philosophie du web, le style d’architecture REST oeuvra par conséquent à la manière d’un méta-investissement de forme, à partir duquel furent révisés les standards dans la seconde moitié des années 1990. Révision appelée par un objet dont Fielding n’avait pas assuré la création, à la demande de Tim Berners-Lee qui l’avait pour sa part en grande partie élaboré sans avoir été en mesure de le conceptualiser jusqu’au bout. Entre ces deux extrémités, intervinrent d’autres enquêtes, collectives, et les nombreuses mises à l’épreuve qu’elles supposèrent. Ce travail, exposé dans une thèse et un seul article, n’en représente pas moins l’aboutissement de très nombreuses controverses portant sur le statut des entités qui composent l’architecture du web. Un effort collectif de mise à l’épreuve dont REST fait figure de tentative de ressaisissement. Là furent posées les distinctions d’où naquirent des entités autochtones au caractère récalcitrant, forgées par les épreuves et la controverse. Nulle part n’apparaît avec davantage de précisions, et avec autant de justifications, la métaphysique expérimentale des architectes du web, qui ne se réduit nullement au point de vue et encore moins aux intentions de ses concepteurs, ceux-ci ayant considérablement erré, en butte aux résistances que le web leur opposait, avant de parvenir à la stabiliser [24]). La liste des acronymes envisagés pour rendre compte de la couche de nommage du web (UDI, URI, URN, URC, IRL, URI/IRI) rend compte de ces hésitations et de la nécessité d’apporter progressivement des corrections en réponse aux objections qu’oppose le système (à condition bien sûr de lui faire crédit : si le web est une œuvre à faire, la réponse de ses architectes, pariant sur sa cohérence et s’efforçant de la mettre au jour, les juge certainement).
15Précisons incidemment que Fielding n’est pas un acteur isolé dont on aurait exagéré le rôle pour les besoins de la cause. Du point de vue des associations tissées, il occupe une place éminemment singulière pour avoir non seulement repensé les choix ayant abouti à l’architecture moderne du web mais également été l’éditeur des standards relatifs aux URI ainsi qu’au protocole Http (les deux spécifications les plus importantes du web, révisées et mises partiellement en accord avec le style REST). Enfin, il présida aux destinées de la fondation Apache, à l’origine de l’écrasante majorité des serveurs web. Résumé d’une traite, il contribua à réviser la couche de nommage du web (les URI), le protocole de transfert entre clients et serveurs, présida l’organisme dont émanent lesdits serveurs et élabora les normes selon lesquelles l’ensemble de ces éléments furent repensés et standardisés à nouveaux frais – une situation sans équivalent, moins par sa position de surplomb qu’en vertu de la cohérence des associations tissées.
2.3 – Des êtres fragiles
16Arrêtons-nous plus précisément sur la caractérisation de l’explanans dont les architectes du Web eurent besoin pour en assurer la cohérence tant du point de vue de la conception que de la conceptualisation, la standardisation se situant à l’interface de ces deux dimensions. Les ressources, dans REST, sont assimilées à des « ombres » inaccessibles, manipulées indirectement par le biais de contenus pour leur part accessibles – on parle alors de « représentations-Http ». Sans entrer dans les détails sur lesquels nous sommes revenus ailleurs (Monnin 2013b ; 2014), notons simplement que, par le biais de l’architecture du web, se met en place une conception très fine de l’objet. Irréductible à la chose concrète, elle ne s’épuise nullement dans une présence physique intégralement circonscrite, se détachant à l’inverse sur fond d’absence. La page d’accueil du Monde à laquelle j’accède ponctuellement (une représentation-Http) n’épuise pas la ressource, en elle-même inaccessible dans son intégralité. Qui plus est, celle-ci se donne selon des modalités plurielles, rendant de ce fait illusoire l’association fonctionnelle entre une URI et un fichier ou une page web (en conformité avec les fonctionnalités natives du protocole Http, à commencer par la négociation de contenu [25]). En fin de compte, ce décalage originel invalide les narrations où se succèdent par phases les évolutions du web, sur la base d’une première itération de nature documentaire (le fameux web 1.0, composé, en réalité, de pages toujours-déjà changeantes, de forums de discussion typiques du web « social » ou 2.0, sans oublier la présence de données structurées, les premiers efforts en la matière remontant à la seconde moitié des années 1990, suite aux développements, contemporains l’un de l’autre, de PICS [26] et MCF [27], deux des ancêtres de RDF, le langage principal du web de données). In fine, l’architecture du web, que l’on qualifie parfois d’orientée-ressource, repose la question de la nature des objets, en opérationnalisant la réponse apportée par le biais des agencements qu’elle requiert.
17Qu’en déduire ? D’une part, cette architecture interroge le rôle du philosophe et le statut d’une philosophie de l’objet déjà nichée au cœur du web. Celle-ci appelle moins une théorisation extérieure à son objet, à même de le saisir inconditionnellement – une pensée tout-terrain [28] – qu’une capacité à recueillir et respecter le particulier. Nommons « philosophie empirique » l’approche qui s’en inspire, expression rencontrée chez Bruno Latour, Annemarie Mol ou encore Albert Piette. Comme nous l’écrivions dans un récent article, commentant une citation de David Lapoujade :
La philosophie sait instaurer des êtres de pensées ainsi qu’en témoignent les Idées de Platon, la substance d’Aristote, le cogito de Descartes, les monades de Leibniz, etc. Nous ajoutons à cette liste la ressource des ingénieurs philosophiques.
19Les ressources sont parties prenantes d’une philosophie en acte, opérationnelle, dont les épreuves quotidiennes assurent au web une grande partie de son succès, sans équivalent comparable du côté des noms propres [29], attestant du passage vers une « ingénierie philosophique » (Tim Berners-Lee, 2003).
20« Localement », écrivait Adrian Cussins (2001), « les acteurs modifient la métaphysique du monde », marquant par-là un point d’accord avec la théorie de l’acteur-réseau (ANT). Avec l’architecture du web, c’est une nouvelle « ontologie », au sens historiquement fondé d’une « théorie de l’objet » [30], d’un nouveau régime des objets en général, qui se fait jour. Reste à en apprécier le statut. Autrement dit, à s’appliquer à soi-même et aux acteurs, traités comme des pairs, le « principe d’irréduction » imaginé par Brian Cantwell Smith (1998), en vertu duquel aucun concept, aucune méthode ni présupposé ne saurait a priori recevoir la moindre prééminence sans examen consciencieux. Une fois ce principe rapporté à une métaphore commerciale, on dira alors qu’aucun présupposé ne se verra accorder la moindre prééminence sans s’acquitter au préalable du prix à payer pour rendre compte d’un tel privilège. L’application de ce principe amène Smith à poser trois questions, que nous reprenons volontiers à notre compte en les rapportant à nos objets :
211. « Où l’a-t-on acheté ? (Where one bought it ?) ». Autrement dit, dans quel contexte une description ou un concept sont-ils originairement en usage (la théorie littéraire ou le poststructuralisme, par exemple, dans le cas de l’hypertexte) ?
222. « Combien a-t-il coûté ? (How much one paid ?) » Quelles sont les conséquences de son adoption ? Importer les concepts de la théorie littéraire ou de la philosophie du langage, où le texte et les noms propres occupent une place prépondérante, dans un environnement technique radicalement étranger au livre, au document, ainsi qu’à tout ce qui constitue l’ordinaire des philosophes du langage, oblige à interroger au préalable le bien-fondé d’une telle démarche.
233. « Comment l’a-t-on déplacé d’un point a vers un point b ? (How one got it from there to here ?) » Le déplacement d’un contexte d’utilisation vers un autre engendre des distorsions qu’il convient impérativement de mesurer.
24Si les techniques évoquent aisément l’idée d’un monde en devenir, sur lequel pèse l’inattendu qu’engendrent leurs déviations et la prise en compte de ce delta au cœur de nos descriptions, la ressource, quant à elle, exige peut-être davantage encore, du fait de son évanescence et de sa fragilité. En fonction des agencements réalisés sur le web, d’autres « interprétations matérielles » sont en effet performées par un surcroît d’ingénierie. Ainsi Google substitue-t-il à la ressource, en vertu de la mobilisation de moyens immenses, la fameuse « page web » à partir de laquelle il s’évertue à bâtir une économie du lien florissante basée sur le bien nommé PageRank (cf. infra) qui rappelle les principes de la scientométrie et l’économie documentaire qui en découle. Et ce n’est qu’un exemple parmi tant d’autres. La ressource ne « subsiste » qu’en vertu de configurations favorables, elles-mêmes continuellement troublées ou contrariées. La ressource n’est donc jamais donnée d’emblée. Elle n’est pas ontologiquement première [31], ni ne se rencontre dans le monde sans s’y disposer au préalable ; sans une attention aux agencements défaisables qui la rendent « nécessaire » et dont elle-même assure la cohérence – pas de ressource « double-clic », par conséquent, selon l’expression de Bruno Latour (2012).
3 – Le web, le web sémantique et les agencements : l’exemple de la « Blogique »
3.1 – URI et ressource ou nom et objet ?
25L’occasion de prolonger cette exploration des agencements, de préférence en suivant les acteurs, nous est fournie de manière presque inespérée par Hayes lui-même, à rebours de ses précédentes prises de positions sur la sémantique formelle, esquissées plus haut de façon très succincte. Dans la perspective défendue au cours du débat avec Tim Berners-Lee, l’accent était mis sur les URI « déréférençables », à savoir ces URI qui donnent accès à des contenus en ligne, les représentations au sens du protocole Http. Mais comment de telles URI font-elles référence ? Tels des noms propres logiques ? Simples auxiliaires sans signification auxquels l’on assigne des objets en spécifiant leur dénotation ? Ou selon d’autres modalités, spécifiques au web ?
26Personne n’a mieux décrit cette situation que Patrick Hayes lui-même, à l’origine d’une percée théorique qui l’a amené, à l’encontre de ses précédentes prises de position (lui qui distinguait radicalement accès technique et référence logique, architecture du web et sémantique formelle, (Hayes & Halpin, 2008)) à intégrer les médiations techniques au cœur de sa réflexion. C’est en 2009, dans une keynote prononcée à l’occasion d’une conférence parmi les plus importantes dévolues au web sémantique, ISWC (International Semantic web Conference), qu’il présenta ses idées sur la Blogic (la logique du web, contraction de web Logic). La thèse au cœur de sa présentation est simple : when logic gets on the web, it really needs to be re-thought from the ground up. It is a new subject (Hayes, 2009).
27Hayes met en avant cinq raisons expliquant en quoi ce déplacement induit des changements :
281. Le « principe de portabilité » (cf. figure 1, supra) : les assertions logiques qui composent le web sémantique prennent la forme minimale de « triplets RDF » associant trois URI selon le schéma Sujet-Prédicat-Objet. Or, pour faire droit aux exigences du web sémantique, ces URI doivent être utilisables en position de Sujet, de Prédicat ou d’Objet. C’est à cette condition qu’il devient possible a) de parler d’un Sujet, b) de parler d’autre chose au moyen d’un Prédicat qui relie Sujets et Objets, ou c) de qualifier un Sujet donné à l’aide d’un Objet. Ce qui est impossible avec la logique du premier ordre traditionnelle (traditional first-order logic, TFOL) car, ce faisant, un même nom sera employé indifféremment pour désigner un objet ou une propriété (une relation), toutes choses que RDF ou Common Logic autorisent mais que la logique du premier ordre prohibe. En effet, dès lors qu’un prédicat, ou plutôt une fonction, est enchâssé dans une autre fonction (« P(X) »), les limites de cette logique sont atteintes et l’on franchi alors le seuil de la logique du second ordre. Une construction où le nom < :Married> figure à la fois en position de sujet (du triplet en haut à gauche) et de prédicat (du triplet en haut à droite), ne peut ainsi être prise en charge par les formalismes classiques.
Le principe de portabilité
Le principe de portabilité
292. « Noms et identification ». Point sur lequel nous allons revenir ci-après.
303. « Le principe d’Horatio » : There are more things in heaven and earth, Horatio, than are dreamt of in your ontology. Autrement dit, l’impossibilité de quantifier sur tous les objets du web, uniquement sur les objets d’une classe déterminée. C’est l’équivalent de « l’Hypothèse du Monde Ouvert » (Open World Assumption).
314. SameAs not the same as : Il faut être en mesure d’exprimer la coréférence (symbolisée par une relation < :sameAs> dans le langage OWL) à un niveau minimal, sans que cela implique the acceptance of an entire conceptualization. Ce qui revient à employer deux URI différentes pour faire référence à une « personne » (par exemple) sans que cela implique un accord fondamental et définitif sur ce concept (endurant, perdurant, construction sociale, fruit d’une lente opération de subjectivation associée à des techniques de soi, etc.). Les ontologies légères « règlent » le problème en collant pour la plupart au plus proche de la nomenclature, sans ajouter davantage de précisions (Hayes & Halpin, 2008). La solution que propose ici Hayes vise à distinguer différents « degrés d’engagements ontologique » en vue de proposer de nouvelles relations du type nearly same as [32].
325. Death by layering. Dernier point sur lequel nous allons également revenir dans la suite.
33L’étude des URI nous intéresse tout particulièrement. Hayes entend souligner à quel point les propriétés des « noms propres du web » diffèrent de celles des noms propres classiques. Il faudrait, selon lui, inventer une logique qui s’accordât avec elles :
Names are central in blogic. They are global in scope. They have structure. They link blogical content to other meaningful things, including other blogical content. They embody human/social meanings as well as being conduits and route maps for information transfer. In many ways, the web is constituted by the links which are the blogic names, and the logical content which we write using those names is only one component, perhaps a minor one, of the whole social and technical structure which determines their meanings [je souligne].
35Dans le passage souligné, non seulement le social meaning est reconnu, mais qui plus est, l’accès ou la publication, l’engagement éditorial et l’engament computationnels (Monnin et al. 2012 ; Delaforge et al. 2012) au cœur du web, ajoutent leur contribution aux significations que reçoivent les URI.
And yet seen from the perspective of the logic, these IRIs [33] are merely “logical names”, elements of an arbitrary set of meaningless character strings. In AI/KR, we teach our students that the names are irrelevant, because one can replace them all with gensyms without changing the logical meaning.
37Parallèlement, du point de vue de l’intelligence artificielle et de l’ingénierie des connaissances [34], les noms « propres logiques » font figure de pièces interchangeables, très peu investies par les chercheurs. Les riches associations qui caractérisaient les URI disparaissent ainsi d’un coup :
Clearly, there is something unsatisfactory about this picture, a serious disconnect between the classical logical view of names as simply uninterpreted strings waiting in a kind of blank innocence to have their possible interpretations controlled by the pure semantic power of the axioms that use them.
39Ceci constitue une allusion directe à la sémantique de RDF, basée sur la théorie des modèles, qui assigne une pluralité d’interprétations aux noms propres uniquement en fonction des descriptions logiques qui leur sont assignées.
40Par contraste avec cette vision logiciste, la réalité de la publication des ressources apparaît bien différente, qui oblige à tenir compte de nombreux détails – ou réputés tels – de l’écriture des URI à leur possession, en passant par le soin accordé à les rendre pérennes ou à leur assigner des contenus accessibles (déréférençables). Toutes choses n’ayant « rien à voir avec des assertions logiques ». D’où une richesse indéniable que la sémantique de RDF, fondée sur la théorie des modèles, n’a guère les moyens de restituer :
(…) and the reality of the almost unrestricted referential power that these names actually have in the dynamics of the web. Think of the concern and attention that is devoted to their choice, who owns them, who is responsible for maintaining and controlling them, and the ways they are decomposed and used in the planet-wide machinery called the Internet, none of which has very much at all to do with logical assertions [je souligne].
Another way to put it : IRIs are *identifiers*, not mere logical names. Unfortunately, nobody seems to be able to say what in God’s name that can possibly mean. (…) HTTP-range-14 is just one symptom of this disconnect.
42La conclusion est forte. Si l’on refuse de purifier d’emblée les URI pour n’en conserver que les attributs qui s’accordent avec ceux des noms propres traditionnels, il n’y a plus aucunes raisons d’ignorer plus longtemps leurs véritables performances, ce qu’elles font (et font faire) quotidiennement sur le web. Il convient de se demander quelles propriétés leur accorder afin de mettre les secondes (les propriétés) en conformité avec les premières (les performances). En somme, Hayes expose l’erreur d’inscription sur laquelle repose le web sémantique… sans chercher à la réparer pas pour autant. Les réflexions sur la Blogique sont de loin les plus ambitieuses jamais énoncées dans ce domaine, néanmoins le saut exigé pour mettre les standards au niveau de cette description fidèle du web est tout simplement hors d’atteinte (voire hors de propos rapporté au but affiché par l’effort de standardisation). L’artefact dépasse le concept selon Bachimont. Il dépasse aussi les standards, car ceux-ci opère une simplification. Plutôt que de nourrir à nouveau la critique à partir de ce constat, force est de penser la présente situation à rebours de l’idéal qui nous est tendu afin de saisir dans un même mouvement la simplification et la complication opérées par les standards du web sémantique ; ce qu’ils ajoutent, comme ce qu’ils retranchent.
43Il convient de ne pas écarter trop vite la « référence », selon l’acception que lui confère le web sémantique et que mobilisait Hayes : des signes dénués de signification intrinsèque d’après la sémantique de RDF, héritent d’une signification spécifiée logiquement, faisant peser des contraintes qui spécifient la nature du référent (performances). Aussi faut-il en conclure que les URI sont bien des noms propres, des étiquettes interchangeables sans aucune signification (propriétés). Il serait ainsi plus juste de prétendre que les URI sont des noms propres qui font référence, en ajoutant immédiatement : « dans le contexte du web sémantique » (le modèle RDF se présente comme la principale couche de la pile de standards qui définissent le web sémantique [35] et qui se sont ajoutés aux recommandations de l’architecture du Web). Le corollaire de ce constat est simple : une fois déplacées dans le « contexte matériel » de RDF, contexte établi à destination des moteurs d’inférences qui consomment les données structurées du web sémantique, et à cette condition seulement, les URI en viennent à revêtir les habits traditionnels qui, aux yeux de la logique ou de la philosophie, siéent aux noms propres
3.2 – Le « marcottage »
44Dans cette perspective, l’ensemble des associations que tisse la ressource, la manière dont elle « fait société » en accordant serveurs, fichiers, algorithmes, auteurs, webmasters, etc. pour générer des représentations adéquates, devient tout simplement hors de propos, extérieur au contexte défini. Aussi convient-il de penser les différents modes d’existence « d’un même objet » pris au tamis des nombreux standards (ou assimilés [36]) qui ont prise sur lui via leurs implémentations – afin de pas demeurer un vain mot, le contexte doit se déployer matériellement [37]. Ceci afin de déterminer de quelle manière ses propriétés se modifient au fil de cet étagement : de normes en dispositifs, d’une couche de standards à une autre, du nom propre logique à l’URI de plein droit, de l’objet logique à la ressource, etc. Lorsque Hayes évoque son cinquième point, Death by layering (la mort par « marcottage » [38]), il résume parfaitement les choses : names have a different logical [39] status at different levels [40]. Il faut dire que le problème que nous posons est redoublé au sein même du web sémantique, les sémantiques des langages RDF, RDFS et OWL (1 et 2) ne s’accordant pas « naturellement », ni « logiquement » (ce point mériterait une autre étude à lui tout seul). Seulement, Hayes critique cet état de choses. Ayant une conscience aigüe de l’investissement nécessaire pour accorder des logiques hétérogènes [41], la solution passe selon lui par la définition d’un cadre commun uniforme, destiné à construire l’espace logique cohérent qui fait actuellement défaut – qui fait défaut par défaut [42], pourrait-on dire. Il n’y a d’harmonie que post-établie. Encore faut-il que l’investissement censé y pourvoir n’engendre pas de nouveaux effets de marcottage, ce qui semble douteux hors de toute idéalisation.
45Dans l’immédiat, une autre question s’impose à nous : comment concilier l’approche par agencements, qui voit dans la ressource une véritable société de médiateurs, avec le web sémantique et ses ready-made objects, ses objets pré-individués, disponibles sans travail d’objectivation préalable [43]. Sans doute est-il possible de mobiliser la critique du point de vue de l’architecture du web afin de bien distinguer la définition de la ressource qui se fait jour dans cette dernière, des objets de la logique qu’entend manipuler le web sémantique. Objets coupés des processus d’objectivation indispensables à leur identification dans le contexte du web (Monnin 2013b).
46Pour autant, la critique des artefacts n’a pas la vertu alléguée de la critique philosophique, censée à elle seule « dissiper » les cibles de sa réprobation. Nous sommes donc condamnés à comprendre la composition des objets du web sémantique et des ressources de l’architecture du web, des URI et des noms propres. Le marcottage s’apparente davantage au symptôme d’une situation actuelle marquée par la nature non-formelle, du moins pas en intégralité, des standards formels (les logiques du web, dans leur pluralité difficile à réduire). Loin de toute tentative d’unification, celle-ci intégrerait la richesse matérielle et technique des médiateurs. Ce dont témoigne la multiplication des layers, des piles de standards, qui ne débouche sur aucune stabilisation (ou contrôle) des multiples déplacements induits par chaque strate [44]. Si des régularités émergent, c’est d’agencements locaux, explicitement constitués et maintenus. Les raisonneurs respectent-ils la logique inférentielle des standards ? Sans doute mais il n’y a nulle magie là-dedans, plutôt un dur labeur qui ne tait d’ailleurs pas son nom, à l’issue duquel un comportement logiquement attendu est obtenu.
47L’ajout de nouveaux standards modifie donc les propriétés des objets par lesquels ils circulent. Il en va de même lorsque Google déploie des efforts techniques colossaux pour indexer le web en s’aidant de principes proches de la bibliométrie (ou scientométrie), de sorte à constituer une économie à sa mesure. Ce faisant, l’opérateur de Mountain View outille et performe une intelligence matérielle du web qui écarte la notion de ressource au profit de la fameuse « page web », une nouvelle lexie à la mode hypertextuelle.
48Google, en effet, établit bien des liens, ce fut même longtemps sa principale activité. Il est le métaconnecteur du web. Entre des ressources ? Non, entre des pages. Ainsi le moteur traite-t-il la problématique de la navigation. Mais pour ce faire, il n’a pas besoin de modifier en profondeur l’architecture du web : il en outille une autre intelligence grâce à ses moyens considérables. Car Google relie entre elle des représentations-Http traitées comme des pages (ou plus précisément, des « lexies », pour utiliser le vocabulaire des théoriciens de l’hypertexte) après les avoir rapatriées dans son index. En d’autres termes, ses robots parcourent le web, invoquant les ressources en déréférençant leurs URI, ce qui génère des représentations-Http. Celles-ci sont ensuite « canonisées » dans son index au titre d’une « page web » unique, qui ne change pas et entre de ce fait en correspondance avec une adresse unique – au moins le temps que dure son stockage avant son remplacement par un nouvel enregistrement. Cela suppose de transiger avec les principes du web « vivant », en ignorant notamment la négociation de contenu [45] (quand il ne s’agit pas, purement et simplement, de dissuader d’y avoir recours [46]).
49En règle générale, c’est bien un web « canonisé » que s’efforcent de représenter les graphes censés le donner à voir. Difficile en effet de dépeindre graphiquement, au moyen de marques discrètes, les espaces d’invocation auxquels s’apparentent les ressources, en particulier lorsque leur représentations-Http sont générées à la demande. À l’inverse, il s’avère plus aisé de figurer, à l’aide d’un graphe comme celui-ci, les serveurs physiques connectés au réseau et le trafic qu’ils génèrent. Ce qui revient à troquer la représentation du web au profit des basses couches d’Internet (dont le rendu visuel nous en apprendra certes beaucoup mais sans toutefois que cela suffise pour en déduire une image véritablement fidèle de la Toile). Qui plus est, le nombre et la nature même des liens sortants, recensés sur les pages canonisées par Google, varient en fonction des terminaux utilisés comme de la négociation de contenu. En d’autres termes, un même espace d’invocation donnera naissance simultanément à des représentations-Http (les contenus accessibles en ligne) ne contenant pas les mêmes pointeurs (URI), dessinant de ce fait une multitude de graphes virtuellement parallèles les uns aux autres. C’est encore plus vrai dans certains scénarios typiques du web de données, où la négociation de contenu intervient explicitement. Accéder à une page HTML sur la tour Eiffel ou à sa description RDF, produite à l’aide d’URI décrivant les types d’une ontologie, garantit l’accès à des ensembles très labiles de pointeurs. Aux résultats variables de cette négociation de contenu répond l’hétérogénéité des graphes figurant les relations entre ressources, loin de toute cartographie stable et univoque. Guère plus apparentées à des readymade objects qu’à des lexies hypertextuelles, les ressources ne sauraient être représentées sous la forme de noeuds localisables une fois pour toutes sur une carte figurant un territoire fixe : « le » graphe du web. En vérité, ce dernier est en perpétuelle recomposition : en invoquer les ressources pour le visualiser revient déjà à le modifier (c’est également vrai de Google, réalisant autant qu’il la performe par ses classements, sa cartographie du web).
50RDF, et à travers lui le web sémantique, à l’instar de Google, simplifient donc chacun à leur manière le web autant qu’ils le compliquent en s’y surajoutant.
3.3 – Une étrange méréologie
51Bruno Latour rappelle un motif fondamental de la pensée de Gabriel Tarde, susceptible d’éclaircir ce paradoxe, à savoir que « le tout n’est jamais supérieur aux parties » (Latour, 2011, 20) :
Dans chacun de ces grands mécanismes réguliers, le mécanisme social, le mécanisme vital, le mécanisme stellaire, le mécanisme moléculaire, toutes les révoltes internes qui finissent par les briser sont provoquées par une condition analogue : leurs éléments composants, soldats de ces divers régiments, incarnation temporaire de leurs lois, n’appartiennent jamais que par un côté de leur être, et par d’autres côtés échappent au monde qu’ils constituent. Ce monde n’existerait pas sans eux ; mais sans lui ils seraient encore quelque chose. Les attributs que chaque élément doit à son incorporation dans son régiment ne forment pas sa nature tout entière ; il a d’autres penchants, d’autres instincts qui lui viennent d’enrégimentations différentes ; d’autres enfin, par suite, qui lui viennent de son fonds, de lui-même, de sa substance propre et fondamentale sur laquelle il peut s’appuyer pour lutter contre la puissance collective, dont il fait la partie, et qui n’est qu’un être artificiel composé de côtés et de façades d’êtres. [47]
53Dans le contexte de toute cette discussion, il s’agit avant tout pour Latour de contrer l’idée selon laquelle les individus sont inclus dans la société comme dans un grand ensemble qui les dépasse et les englobe. Rapporté aux web, cette inclusion est d’emblée problématique car c’est bien la ressource (l’individu) qui fait société, constituant un réseau « social », fruit de nombreux agencements. Comme l’écrit Latour :
(…) nous prêtons chacun une fraction infime de notre propre complexité, de notre propre pullulement, de notre propre démographie galopante, à la simplification partielle et provisoire d’une institution qui n’extrait et ne retient qu’une parcelle, qu’une façade, de chacun de nous pour en faire un tout infiniment plus petit que ses parties. [48]
55La problématique méréologique stricto sensu (ou plutôt contre-méréologique ici [49]), du tout et des parties, nous importe moins que la prise incomplète qu’exerce chaque élément d’une pile de standards (ou de standards de fait, dans le cas de Google) en se surajoutant aux autres. Le cake du web sémantique ressemble à s’y méprendre à une pyramide dont les échelons supérieurs domineraient les échelons inférieurs, comme si les nouveaux standards exerçaient leur emprise sur les anciens [50]. Pourtant, rien n’est moins vrai. La réalité première du web se situe du côté de ces quelques standards qui forment son architecture, donnant appui à une multiplicité de nouveaux « touts » dessinant autant de paradigmes possibles du web : Google et l’hypertexte, Facebook et le réseau social, le web sémantique, etc. À nouveau, le commentaire de Latour éclaire cet aspect :
(…) le Tout est toujours inférieur et toujours plus petit que les parties à l’intérieur desquelles il circule à la façon d’un agrégat de formatages provisoirement liés. (…) le tout (…) ne saurait être la raison des parties puisqu’elles ne lui prêtent jamais qu’un aspect et qu’une façade d’elles-mêmes. (…) il ne faut donc plus dire que les parties « rentrent » à l’intérieur d’une totalité, mais que les totalités emboîtées simplifient une portion infime de leurs mondes pour laisser passer de l’une à l’autre un fragment d’entre elles pris pour le tout. (…) le tout est une partie prise pour le tout et qui circule grâce à des formes auxquelles il faut porter la plus extrême attention.
57Pour être précis, les « formes », autrement dit les standards qui assurent la « simplification partielle » par laquelle circulent des touts relatifs doivent s’actualiser à l’aide de médiations concrètes. Décréter un standard n’y suffit pas. Parmi les points de contacts ponctuels qui assurent une prise fragile (le marcottage toujours !) entre web et web sémantique, mentionnons les moteurs d’inférence logiques. Ces dispositifs machiniques raisonnent par inférences conformément à ce qu’exige la sémantique de RDF car tel est l’objectif qui leur est fixé. La logique ne régit pas d’emblée leur comportement : il faut accorder la réponse aux exigences posées, quitte à employer pour cela d’autres moyens. Logique et machines ne sont harmonisées qu’au prix d’efforts consentis en ce sens [51].
58URI et ressources circulent dans ces emboîtements disparates, devenant tantôt des liens et des lexies par la force du dispositif mis en place par Google, tantôt des noms propres logiques d’objets amorphes corrélés à des modèles, dans le cas du web sémantique. Des agencements hétérogènes eux-mêmes constamment ré-agencés en différents « touts » qui modifient leurs performances comme leurs propriétés. Pourquoi s’intéresser plus particulièrement à l’architecture du web dans ces conditions, outre le fait qu’elle s’apparente à une « partie » qui circule dans chaque tout, figurant ce bassin versant à l’incontournable force de gravité dont parlait Michel Serres ?
4 – Quels agencements ? Le soin apporté aux choses
59Arrêtons-nous un instant sur la place qui échoie au chercheur dans cette perspective [52]. Résumée d’un trait, l’attitude pragmatiste entend notamment contribuer à faire exister cela même à quoi l’on participe. Elle porte en elle une mise en garde (« contribuer à faire exister ») immédiate contre tout constructivisme excessif, en adéquation avec une idée fondamentale de Brian Cantwell Smith selon qui l’objet prend non seulement une part active dans les processus d’individuation ou d’instauration mais qui plus est, la part la plus grande (I will also give credit to the object [53]). À l’instar, en particulier, de la fiction chez le philosophe Étienne Souriau, dont on étendra avec profit le régime spécifique à tous les objets. Accepter d’être leur « polygone de sustentation », d’apporter son concours pour qu’ils puissent se poser comme « objet », oui ; mais toujours soumis au primat d’une agentivité repensée sur le mode du faire faire/agir, à laquelle on accorde en fin de compte l’essentiel du crédit.
60L’état actuel de la discussion complexifie encore un peu plus le constat dressé jusqu’ici. Du point de vue des standards, la tendance est en effet à l’abandon du terme même de « ressource ». Trop complexe, trop philosophique, trop exigeant surtout, son usage, voire sa seule mention, semblent contredire la finalité des efforts métrologiques en cours, moins préoccupés par l’impératif originel de concevoir ou designer activement le web, que d’en livrer une version moins idiosyncrasique, plus accessible, davantage accommodée aux conceptions que nourrissent par défaut ingénieurs et développeurs web. Ainsi, Ed Summers, informaticien à la Bibliothèque américaine du Congrès, dresse-t-il le constat suivant dans un récent article :
More recently, the web Hypertext Application Technology Working Group (WHATWG) has been further standardizing the URL in the context of HTML 5 (Kesteren, 2012). In 2004 the WHATWG [54] was formed, as a venue outside of the W3C, for browser implementers and others to continue work on HTML, since they observed that the W3C was more focused on development of XHTML and XML related technologies. The WHATWG’s standardization work around the URL has been focused on simplifying the landscape by simply talking about URLs instead of URIs, IRIs, URNs [55] and providing a single algorithm and test suite for processing them. As with other work streams of the WHATWG, their work on the URL has been very much focused on improving web application software. Interestingly, and perhaps wisely, Kesteren (2012) is completely silent on the nature of resources [je souligne] [56].
These technical specifications aside, it may very well be that the confusion around the nature of resources on the web is best understood in the wider context of the philosophical nature of identity and language. Hayes and Halpin’s (2008) work studying the dual role in location (retrieval) and naming (reference), provides an important backdrop to the technical debates about the use of URLs on the web. The authors connect the Linked Data’s agenda of naming things with URLs with the more general mechanics of naming in language :
When you use a language successfully we can usually assume people share agreement without relying on the impossible task of unambiguously connecting names to referents… Adding richer formal ontologies to a notion does not reduce ambiguity of reference, but it increases it by providing for finer ontological distinctions..
Seen in this light, it is conceivable that the introduction of a separate class of resources known as information resources has paradoxically made it more difficult to know what a resource is on the web. Given Monnin and Halpin’s (2012) continued work examining the philosophical shoulders that Linked Data stands on top of, makes the depth and difficulty of the debates around identity on the web much more understandable.
63À suivre Summers, personne ne nourrirait donc d’idées précises sur toutes ces questions… à l’exclusion d’Harry Halpin (l’autre « philosophe du web »), Patrick Hayes, et nous-même ! Étrange renversement où percent les conceptions les plus traditionnelles du rôle de la philosophie, à rebours des efforts jusqu’ici déployés. À force de prendre au sérieux la métaphysique expérimentale des architectes du web, sans doute plus qu’eux-mêmes, en sommes-nous quasiment devenus, à notre corps défendant, les principaux dépositaires. Ce faisant, sans doute convient-il de justifier pareil engagement existentiel. Moins à construire des agencements ex nihilo – c’est là la fiction d’un chercheur démiurge, qui se donne à entendre jusque dans les versions les plus fines de la co-production des savoirs, et davantage à se disposer à opérer une « sélection » au sein des agencements produits par les acteurs eux-mêmes, sous leur gouverne [57]. Quitte, parfois, à discuter avec eux, publiquement, de la validité en situation des explanantia issus de la recherche qu’ils sont parfois prompts à mobiliser [58]. Comment rendre justice dans ce cas précis à nos attachements ?
64La réponse, on a commencé à le voir précédemment, entremêle la réflexion sur le sens à accorder à certains agencements et la prise de conscience de leur progressive mise sous l’éteignoir. En l’occurrence, si le web passe pour un extraordinaire « appareil matériel de désignation », c’est avant tout en vertu de la liberté totale qu’il octroie en la matière [59]. Du fait de son architecture, il est en effet loisible à quiconque, par le truchement d’une URI, de faire référence à « n’importe quoi » [60], à n’importe quelle ressource. Aussi est-ce en fin de compte en partant de la question ontologique par excellence, « qu’y a-t-il ? » (what there is ?, selon la formule de Quine), qu’une interrogation sur la nature du collectif et les modalités de l’établissement d’un monde commun se fait jour. Wikipédia, de même que le web sémantique, passent alors pour des réponses possibles à l’échelle du web. Avec Wikipédia, véritable mise en pratique contributive et décentralisée d’une « politique des choses », il s’agit bien de dégager un collectif partagé en s’appuyant sur des sources publiques mobilisant les scientifiques et leurs réseaux. Quant au web sémantique, les questions soulevées par les ontologies informatiques [61] et touchant à la « représentation » des connaissances évoquent des enjeux ressortissant à l’ingénierie autant qu’à la politique (sur lesquels se sont penchées les STS, notamment dans le domaine médical). Au final, on peut déceler dans ce double mouvement convergent (l’application centrale du web sémantique étant la version structurée de Wikipédia, DBpedia) l’émergence d’une « démocratie ontologique », entée sur les possibles de l’architecture du web, et plus particulièrement la philosophie de l’objet dont elle est porteuse au titre de la ressource. (Cf. Monnin, 2012a ; 2013b, 5e partie ; 2014).
65Par contraste, en tant que plate-forme ouverte, le web propage également des applications et des modèles qui contredisent ses conditions initiales. A minima, désigner une ressource et rendre une URI déréférençable exige de maintenir une forme de coordination entre une attente, liée à un engagement éditorial semblable à une promesse (la ressource), actualisée et satisfaite par un contenu en adéquation avec celle-ci (les Http-représentations). Or, de nombreux développements actuels, à première vue d’origines disparates, dessinent de nouveaux agencements dont la généralisation aboutirait à l’élimination progressive de la ressource et de tout ce dont elle est porteuse. D’un tel mouvement on ne retiendra ici que deux points, particulièrement saillants :
66a) Les révisions actuelles des standards concernant les URI tendent, nous l’avons vu, à faire disparaître la notion de ressource corps et âme, avec pour conséquence immédiate d’entraver l’engagement éditorial caractéristique du web, centré sur l’attente et la promesse (vecteurs premiers de la confiance, valeur cardinale du web et du web sémantique). En outre, la distance nécessaire pour que l’on puisse continuer à parler d’objets (en tous genres) se trouve dès lors abolie, et avec elle la portée « ontologique » de cette architecture, rabattue sur des formes beaucoup plus traditionnelles de publication documentaire. Sans ressources, plus d’URI : on en revient donc à la distinction entre URL et URN, (distinction dont il s’est avéré, par le passé, qu’elle était proprement intenable (Monnin, 2013a)).
67b) Autre mouvement d’ampleur, la tendance à l’offuscation des URI a été récemment rendue manifeste à l’occasion de la publication d’une version Alpha du navigateur Chrome de Google (Canary, v. 36.0.1968.0 [62]), qui proposait purement et simplement de faire disparaître ces dernières au profit des noms de domaine de premier et second niveaux (de type <wikipedia.org>). Déjà, par le passé, Chrome avait innové en substituant à la barre de navigation, censée contenir les URI, une « omnibox » destinée également à recevoir les requêtes adressées aux moteurs de recherches par les utilisateurs, privant du même coup les URI de lieu propre. De même, à un autre niveau, les applications des téléphones mobiles tendent également à remplacer les URI, leur principe de fonctionnement recoupant celui des signets, à ceci près, et la différence est notable, que les applications sont souvent payantes et, dans tous les cas, confinées derrière les frontières d’un système d’exploitation. Récemment, Facebook est allé plus loin encore avec son projet AppLinks [63], qui propose d’organiser la navigation mobile autour des seules applications, en transformant toute URI en son équivalent mobile, de manière à appeler un maximum d’applications en substituant au navigateur unique un écosystème applicatif hautement fragmenté (principe résumé de la façon suivante : deep linking between apps). Une fois supprimées les URI à leur tour, ne restent que des ressources littéralement « anonymes » – selon l’expression de Bruno Bachimont. Celui-ci qualifie ainsi l’objet numérique décontextualisé, rendu à l’arbitraire des données dont il se compose, une fois coupé de tout engagement éditorial. Les données numériques sont en effet reconstructibles et exprimables de multiples façons. Hors de tout contexte, de toute éditorialisation comme de toute promesse, aucune ne s’impose d’elle-même. En fin de compte, en l’absence d’URI la liberté de désigner ou de lier des ressources entre elles disparaît. On en revient à un stade qui se situe en-deçà de la simple publication. Concomitamment, on observe également une tendance à la fragmentation du web. Le principe de la publication décentralisée le cède en effet à l’avènement de multiples espaces concurrentiels de diffusion (plateformes en lignes, systèmes d’exploitation, etc.), pris en charge par les grands acteurs de la nouvelle industrie du web et plus ou moins étanches les uns vis-à-vis des autres.
68Porter un tel discours nécessite d’isoler volontairement les agencements au sein desquels se déploient certains éléments plutôt que d’autres (les éléments d’une métaphysique expérimentale qui ne comptent pas encore au nombre des éléments d’un monde communs [64]). Pour le chercheur, point de ressources comme pragmata, comme chose à faire, sans un engagement minimal à les faire exister. David Lapoujade (2011) écrit magnifiquement : « On sait bien que le plus sûr moyen de saper une existence, c’est de faire comme si elle n’existait pas. Ne pas même se donner la peine de nier, seulement ignorer. En ce sens, faire exister c’est toujours faire exister contre une ignorance ou une méprise. » Pour les usagers du web, la ressource, ce qui est identifié par les URI, fait agir. Elle est le principe de coordination des contenus accessibles en ligne, soit le vecteur de régularité sur le web [65]. À l’instar de la règle, ni causalement déterminante ni indifférente, l’agency de la ressource (ne) tient (qu’)à son faire faire – pourvu que l’on s’y dispose. C’est, croyons-nous, dans un esprit finalement très proche qu’Etienne Souriau parlait des « sollicitudinaires », des êtres qui « nous font agir, croire, penser, en fonction de la manière d’être qui leur est propre. » (Lapoujade, 2011 ; Monnin 2013a). Le souci de ces êtres, qui demande notre sollicitude et notre consentement, n’ouvre-t-il pas de nouvelles perspectives, et notamment un élargissement du care aux non-humains, à la mesure d’une fragilité devenue ontologique ?
5 – Conclusion
69Le soin apporté à maintenir active et vivace la possibilité de tels agencements, de leur performance comme de leur maintien, témoigne autant pour ces agencements eux-mêmes que des forces qui s’y opposent et conduisent dès lors à spéculer sur leur potentielle absence. La longue citation de Summers annonçait déjà les considérations à venir. En effet, peut-être faut-il, comme le suggère Maria Puig de la Bellacasa, en venir à traiter les agencements sociotechniques moins comme des matters of concern au sens que Latour donne à cette expression, mais bien comme des matters of care [66]. Le care ajoute selon elle à la question des concerns, héritée du pragmatisme, un sens de l’attachement et de l’engagement envers quelque chose. Mieux, une obligation : we must take care of things in order to remain responsible for their becomings [67].
70Responsabilité accrue par la multiplication des agencements (le marcottage) : il ne peut en effet s’agir de les étudier exhaustivement, à la manière d’une pluralité en acte. En rappelant la définition de Michel Callon, nous avons noté que ces agencements ont pour caractéristique de simplifier du fait même de leur mode d’action [68]. C’est pourquoi il est illusoire de les aborder comme une pluralité d’agences spécifiques, détachées les unes des autres quand, bien souvent, l’action simplificatrice d’un agencement s’applique à d’autres agencements, rendus dès lors invisibles ou inopérants. Ainsi faut-il peut-être entendre, aujourd’hui, l’impératif selon lequel le multiple est à faire : il s’agirait moins de dresser la cartographie de toutes ces dimensions déjà actualisées que de prendre la mesure de que, au cœur de la conflictualité qu’ils exhibent, nos attachements électifs et le soin/souci dont nous témoignons à l’égard des choses participent du mouvement même de pluralisation du monde, forcément partielle et partiale, en tous les cas, jamais totalisant [69]. Cette participation ne témoigne néanmoins d’aucune garantie de succès : elle n’est pas « performative » au sens critiqué plus haut. Ni démiurgique, s’il fallait encore s’en défendre. Comme l’écrit à nouveau Puig de la Bellacasa : Taking responsibility for what and whom we care for doesn’t mean being in charge [70].
71Toujours selon elle, une telle prise de responsabilité implique également un recours à la spéculation afin de faire droit aux absents (comme à l’absence elle-même) : This involves not only detecting what is there, what is given in the thing we are studying, but also to think about what is not included in it and about what this thing could become. [71] Ceci semble particulièrement convenir à la ressource, dont le mode d’existence repose précisément sur la coordination de médiateurs mobilisés et rendus présents (accessibles) sur un irrémédiable fond d’absence. Littéralement, la ressource n’est pas localisable – non plus qu’accessible. Elle est une « ombre » [72]. Mais une ombre insistante, dont la prise en compte par les architectes résulte d’une demande [73] de mise en cohérence imputable avant tout au web lui-même, témoignant de ses contraintes architecturales (fussent-elles virtuelles, et par conséquent en demande d’actualisation). Puig de la Bellacasa ajoute, it can be a speculative commitment to think about how things would be different if they generated care [74]. Tout en partageant ce jugement, il nous semble néanmoins tout aussi crucial de spéculer, en tant que chercheur cette fois, sur la disparition possible – ou plutôt en cours – des choses qui « contribuent à rendre le monde vivable » [75] – et le web démocratique. Souvenons-nous que le spéculatif, notion-clef chez Whitehead, en vient, selon Isabelle Stengers, à désigner une certaine sensibilité aux êtres, une capacité à se laisser affecter par ces derniers. C’est là le sens à donner, selon nous, à l’engagement dont voudrait témoigner une philosophie du web bien comprise.
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Notes
-
[1]
(Berners-Lee 2000), (Berners-Lee et al., 2006).
-
[2]
Pour Uniform Resource Identifiers (les identifiants du web à l’image de <http://example.com>).
-
[3]
Hypertext Transfer Protocol, le protocole de communication entre clients et serveurs conçu pour le web, en structurant de l’information au moyen de balises. A cet égard, HTML se pose en héritier du langage SGML (Standard Generalized Markup Language) dont découle également XML (Extensible Markup Language).
-
[4]
Hypertext Markup Language, le format de données permettant de produire des « pages web ».
-
[5]
Par l’expression « web de données » on désigne le tournant intervenu en 2006, lorsque le web sémantique, à savoir le projet visant à faire évoluer les contenus du Web en les structurant davantage afin de les rendre manipulables « par les machines » dans la continuité des travaux réalisés en intelligence artificielle et en ingénierie des connaissances, fut repensé à l’aune des grands principes de publication en vigueur sur la Toile, dans l’optique de publier de nombreux jeux de données. Voir en particulier (Berners-Lee, 2006), (Bizer et al., 2009) Il faut toutefois noter que le tracé exact du partage entre Web Sémantique et Web de données fait l’objet d’intenses débats.
-
[6]
Resource Description Framework, langage de représentation des connaissances du web Sémantique, fondé sur un modèle graphe.
-
[7]
Internet Engineering Task Force, l’organisme de standardisation d’Internet où sont encore publiés les standards qui touchent aux identifiants du web.
-
[8]
World Wide web Consortium, l’organisme de standardisation du web, créé en 1994 par Tim Berners-Lee.
-
[9]
Et ce en dépit des très nombreuses réserves que l’on peut émettre à propos d’une histoire que l’on qualifiera volontiers de convenue. Sur ce point, voir les critiques salutaires de (Serres, 1995) et (Jeanneret & Davallon, 2004).
-
[10]
Le soupçon qui accompagne inévitablement une approche sensible au travail des concepteurs ne doit pas masquer un fait important : il découle essentiellement de l’erreur largement répandue qui consiste à concéder aux positions que l’on critique l’essentiel de ce qu’elles défendent (validant du même coup ladite critique en même temps qu’elle en perd tout intérêt). En toute logique, parler de conception ou de création ne signifie nullement que l’on souscrive à une vision naïve de ces deux activités. Dans le cas présent, la signification que prennent ces termes dans les pages qui suivent doit s’entendre avant tout dans la continuité des analyses d’Étienne Souriau dans L’Ombre de Dieu (Souriau, 1955), qui l’amènent à privilégier le terme d’« instauration ». Pour une première esquisse à partir d’une approche pragmatiste repensée à l’aune d’une reprise de la philosophie sourialienne, cf. (Hennion & Monnin, à paraître).
-
[11]
Au vu de l’accent mis sur la performation dans la suite du texte, cette critique aurait de quoi surprendre. Après tout, ne faut-il pas voir dans ces anticipations des années 60-70, le point de départ d’une lente et progressive accommodation du réel aux théories poststructuralistes par le truchement du web ? Malheureusement, il manque ici pour valider cet argument un élément essentiel, à savoir le travail de mise en conformité dudit réel avec lesdites théories. Or, une analyse circonstanciée de l’architecture du web en constate rapidement le défaut : ces connexions n’existent pas. Les travaux des media studies n’ont pas exercé d’influence notable sur les architectes du Web en dépit du partage d’un vocabulaire commun (le mot « hypertexte » par exemple, dont l’unicité masque mal l’extrême ambiguïté). La réciproque est vraie : ayant été anticipé, il était inutile de se pencher sur un réel appréhendé en priorité sous l’angle de son retard par vis-à-vis de la théorie.
-
[12]
Nous avons esquissé un tel historique dans plusieurs publications, voir (Monnin, 2012a ; 2013b).
-
[13]
Précisons immédiatement que nous suivons ici la caractérisation que donne Michel Callon de ce concept (Callon, 2013). Retraçant ses origines en prenant pour point de départ le dispositif foucaldien, Callon propose de réserver « la notion d’agencement à la combinaison : arrangement + action spécifique, et [de qualifier] l’agencement pour désigner le type d’action spécifique qui est en jeu » (op. cit. p. 428). L’assemblage, qui est repris en français de la traduction anglaise du mot « agencement », permet de mettre l’accent sur la multiplication des interactions entre des éléments hétérogènes avec cependant pour contrepartie qu’aucun terme ne se présente aisément à l’analyse. À l’inverse, l’agencement, en tant qu’il agit de manière spécifique, permet de mettre un terme (provisoire) à la description, sans que cette limite ne soit imputable au seul l’arbitraire de l’observateur : « la prise en compte de la complexité des agencements, en focalisant l’analyse sur l’action collective et sa structuration, permet de comprendre comment chaque agencement se simplifie lui-même la vie et du même coup celle de l’analyste » (op. cit. p. 430). En élargissant la question du mode spécifique d’agir aux différences induites par les configurations en jeu et à ce qu’elles réalisent, nous entendons conférer à nos agencements une dimension plus ouvertement ontologique que ne s’y résout Callon. Le concept d’agencement ne constitue plus le fin mot de la discussion théorique, avant de laisser la place au détail des descriptions mais bien plutôt une incitation à saisir au plus près la variété des existants et des modes d’existence à partir des descriptions.
-
[14]
Sur les débats actuels, cf. (Denis, 2006). Pour une importante reconceptualisation en termes de « performation » (de l’économie par les sciences économiques), cf. (Muniesa & Callon, 2008).
-
[15]
Pareil écueil touche avant tout à ce qui demeure d’Austin dans la définition de la performativité. Aujourd’hui, de nombreuses approches conduisent à l’affiner considérablement. De ce point de vue, loin d’être incompatible avec la définition à laquelle parvient Jérôme Denis dans sa présentation des débats contemporains autour de ce concept (« une énonciation, ou plutôt une série d’énonciations et d’actions, ne sont performatives que si elles permettent de construire collectivement un monde qui tient face à différentes épreuves de réalité », (Denis, 2006, p. 8), notre propos la rejoint.
-
[16]
Étienne Souriau les nomme des « sollicitudinaires » (Souriau, 2009). La dépendance qui caractérise les sollicitudinaires ne saurait se réduire à un simple fiat intentionnel. Souriau leur restitue au contraire une épaisseur ontologique à partir d’une réflexion sur l’œuvre menée tout au long de sa vie, au cours de laquelle il fut amené à envisager une pluralité de modes d’existence, redistribuant les agences entre le créateur et l’œuvre virtuelle, tout en insistant sur la différence de statut ontologique qui les distingue. En abordant de front les questions métaphysiques afférentes au pluralisme, Souriau ouvre des pistes de recherche extrêmement précieuses pour appuyer des réflexions contemporaines aussi diverses que celles d’Isabelle Stengers sur les pratiques, ou encore Élizabeth Claverie, Albert Piette ou, plus récemment, Tanya Luhrmann, à propos du divin et de la religion. Réflexions que Philippe Gonzalez résumait de la façon suivante : « l’homme religieux se sait impliqué dans la construction de l’interaction avec les entités surnaturelles, tout en demeurant conscient de l’autonomie de ces dernières ; c’est pourquoi, il est impératif de saisir cette mise en coprésence » (Gonzalez, 2006). Une forme de dépendance a beau caractériser certaines entités, elle ne saurait s’accompagner d’un déni pur et simple de leur autonomie (relative !), voire, c’est tout le sens de « l’œuvre à faire » chez Souriau, des prises d’initiative dont elles semblent aussi capables. On peut évidemment rapprocher ces réflexions des questions relatives à l’agency, en particulier sous les traits que lui ont conférés Gomart et Hennion (1999) au titre d’un faire faire ou faire agir.
-
[17]
Pour emprunter un concept central de la réflexion menée par B. Latour. Voir en particulier (Latour, 2004 ; 2005 ; Latour & Weibel, 2005).
-
[18]
Pionnier de l’intelligence artificielle aux côtés de John McCarthy, auteur du Naive Physics Manifesto et acteur de premier plan de la standardisation du web sémantique.
-
[19]
Le vocabulaire heideggérien, repris dans la théorie du design de Terry Winograd et Fernando Flores (Flores & Winograd, 1989), parle de « déclosion », ce que l’anglais traduit par le terme « disclosing », d’usage beaucoup plus répandu. A l’instar de l’instauration chez Souriau, la déclosion fait peser une indétermination sur la source de l’agency qui la rend néanmoins possible (en l’occurrence, l’Être chez Heidegger, l’œuvre chez Souriau).
-
[20]
Cf. (Bachimont, 2010), p. 86 : « la technique est un schématisme externalisé qui construit des objets pour lesquels on ne dispose pas forcément de concepts, qui devront donc être élaborés pour penser ces objets ».
-
[21]
Selon l’expression de Bruno Latour, reprise d’Étienne Souriau, in (Latour, 2012). Rappelons que pour Latour, les êtres de la technique introduisent en toute chose un différentiel : « Comment nommer ce mode d’existence que l’on manquerait tout à fait si l’on faisait l’erreur de le limiter aux objets laissés dans son sillage sans en reproduire le mouvement si particulier ? Je l’appellerai tout simplement le pliage technique. Ce terme nous évitera la bévue de parler de la technique de façon irrévérencieuse comme d’une masse d’objets. La technique, c’est toujours « pli sur pli », implication, complication, explication. Il y aura pliage technique à chaque fois que l’on pourra mettre en évidence cette transcendance de deuxième niveau qui vient interrompre, courber, détourner, détourer les autres modes d’existence en introduisant ainsi, par une astuce, un différentiel de matériau, de résistance, quel que soit par ailleurs le type de matériau. (…) Là où est le différentiel de résistance, là aussi est la technique. C’est d’ailleurs cette ubiquité qui explique probablement son opacité : elle est partout, dans toutes les chaînes et réseaux, chaque fois qu’il y a ce détour, ce pliage, ce gradient et ce maintien des assemblages hétérogènes » (Latour, 2010).
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[22]
Representational State Transfer.
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[23]
C’est à Laurent Thévenot que l’on doit ce concept permettant de mesurer les apports de la standardisation, cf. (Thévenot, 1986).
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[24]
Sur ce point, voir (Monnin, 2013b), 1re partie, en particulier chapitres 2 & 3.
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[25]
Le protocole Http comprend nativement cette fonctionnalité qui permet d’associer de manière ponctuelle une multiplicité ouverte de représentations à une même ressource, en variant divers paramètres tels les formats, les langues, etc. (Thompson, 2009).
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[26]
(Resnick & Miller, 1996 ; Anon, 1997 ; Berners-Lee, 1997).
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[27]
(Guha n.d. ; Guha, 1996 ; Guha & Bray, 1997 ; Bray & Guha, 1997).
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[28]
Songeons ici aux travaux de Joëlle Le Marec, qui s’interroge dans son HDR sur « ce que le terrain fait au concept », cf. (Le Marec, 2002a ; 2002b).
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[29]
Pour une vision « désabusée » du travail philosophique mené dans la sphère analytique, voir le tout récent livre de Peter Unger, Empty ideas (Unger, 2014). L’ingénierie philosophique (et la philosophie du web avec elle) ouvre(nt) peut-être une voie pour que nos idées sonnent un peu moins « creux » – à condition d’accepter leur nécessaire transformation.
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[30]
Sur ce point, il existe une large littérature philosophique. Voir en particulier Courtine (2007) pour un examen historique et Nef (1998) pour des développements contemporains.
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[31]
Sur ce point, cf. (Monnin & Livet, 2014). A l’inverse de la philosophie, l’architecture du Web conduit à envisager des « types » ontologiques ne faisant pas figure de fondement pour d’autres êtres, comme c’est le cas en philosophie avec les substances, les propriétés, les tropes, etc. Les types qu’isole l’architecture du Web (URI, représentations ou encore ressources) sont eux-mêmes dérivés d’une activité de distinction qui, en se poursuivant ou en régressant débouche sur de nouveaux types. Il en découle une conception de l’ontologie qui entend prendre la mesure de l’incertitude des distinctions à venir, une ontologie en affinité avec le design et l’idée très pragmatique d’un monde « à faire » (une telle idée ne signifiant nullement que le monde serait le produit intégral d’une activité humaine, une des prémisses du constructivisme. Au contraire, le monde oppose ici ses réponses aux distinctions posées, celles-ci débouchant parfois sur des contradictions bien embarrassantes. Au plus près des systèmes formels, l’histoire des mathématiques et de la logique en témoigne également en abondance.).
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[32]
Introduire de telles relations dans une logique est évidemment loin d’aller de soi. Aussi Hayes plaisante-t-il en comparant la relation nearly same as à l’expression slightly pregnant. Plus sérieusement, les difficultés tenant à l’emploi de la relation <owl :sameAs> sont aujourd’hui bien connues et documentées, cf. (Halpin et al., 2010). Elles proviennent de ce qu’il est impossible de traiter les objets sur le web de manière purement extensionnelle, hors de tout contexte épistémique (ou de toute « intension »), pour déterminer leur référence à l’avance. Sur cette question, voir aussi (Imbert, 1999, 206) : « si la loi de substitution salva denotationne [qui permet de substituer deux désignations d’un même objet sans risque : par exemple « Jocaste » et « la mère d’OEdipe »] et la quantification [l’opération au moyen de laquelle la logique parle d’au moins un objet ou de tous les objets] sont semblablement affectées par les contextes intentionnels ou opaques [du type « X pense que Y, ou encore « OEdipe aime Jocaste »], elle pourrait caractériser au même degré l’extensionnalité. C’est en ce sens que conclut Quine en suggérant un lien intrinsèque et constitutif entre la quantification et la composition vérifonctionnelle. » Hors de ce contexte extensionnaliste strict, qui vaut pour la logique au prix d’une exclusion de toute dimension épistémique, l’usage du critère de substitution salva denotationne ne se soutient d’aucune évidence. Il ne semble donc guère applicable à d’autres contextes, d’où les paradoxes relatifs à l’identification et à l’individuation des objets auxquels s’exposent l’Intelligence Artificielle, l’ingénierie des connaissances et le Web Sémantique. Par contraste, la solution adoptée à l’échelle du Web Sémantique repose très largement sur des procédures épistémiques complexes dans la mesure où les objets identifiés le sont en priorité par l’entremise de Wikipédia.
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[33]
Les IRI (Internationalized Resource Identifiers) sont des URI que l’on peut écrire au moyen des différents alphabets utilisés par les langues actuelles (cette précision est orthogonale à la problématique de la référence abordée dans cette partie).
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[34]
Ainsi traduirions-nous l’expression Knowledge Representation, en dépit de différences épistémologiques sensibles entre KR et IC.
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[35]
On parle de « cake » au sujet d’une représentation graphique présentant l’empilement des standards censé donner corps au web sémantique tout en décrivant ses différentes composantes (il n’en existe d’ailleurs pas de version définitive, ce qui marque bien le fait que cette représentation figure un projet en cours de réalisation). Cf. http://www.w3.org/2001/sw/layerCake.png à titre d’exemple.
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[36]
Cf. ci-après, l’exemple de Google.
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[37]
Implémentations dont la parfaite adéquation vis-à-vis des standards dont elle s’inspire n’est nullement garantie.
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[38]
En horticulture, le « marcottage » (layering) consiste à « forcer la mise en contact d’une partie aérienne d’une plante avec un substrat humide, jusqu’à l’apparition de racines » (Wikipedia). C’est une traduction rêvée pour rendre le type de connexions forcées, imparfaites et fragiles, qu’induisent les standards lorsque des couches successives s’accumulent de manière à créer un milieu
« ontologiquement hétérogène » dans la mesure où la distribution des caractéristiques des entités qui y circulent subit des variations le long de ces différents étagements,, ce qu’illustrait l’exemple de la Blogique. -
[39]
Nous dirions également « ontologique », soulignant une dimension mise en avant par les STS (il n’y a d’ailleurs aucune contradiction entre ces deux assertions).
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[40]
(Hayes, 2009) : The ‘layer cake’ diagram is good computer architecture but really, really bad semantic architecture. Blogical forms do not naturally layer, because names have a different logical status at different levels. La différence de statut logique dont il est allégué renvoie aux performances du nom propre. Nous nous concentrons ici sur l’autre versant, ses propriétés, et par conséquent, les différences de statuts ontologiques.
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[41]
Hayes est le co-auteur, avec le logicien et philosophe américain Christopher Menzel, du standard Common Logic, à partir duquel a été pensé RDF et qui en présente un élargissement cohérent. Common Logic n’est cependant pas un standard du web sémantique et ne semble pas non plus en prendre le chemin. Il est également le co-auteur, avec Ramanathan Guha (Guha & Hayes, 2003), de LBase, une recommandation destinée à accorder la sémantique des différents langages de représentation des connaissances standardisées au sein du W3C. Enfin, il est l’auteur de la sémantique de RDF dont on a déjà dit le peu d’adhésion qu’elle suscitait parfois. D’ailleurs, la présentation consacrée à la Blogique s’ouvre avec humour sur les phrases suivantes, Hayes imaginant par avance la réaction de ses interlocuteurs : Please, enough with the logic already. We have way too many web logics, a positive zoo of endangered OWL species, so don’t give us another one. Even if you are right, its [sic] too late. You and Guha tried, Pat, but nobody was interested in LBase and only about four people have read the Common Logic spec. Give up on it, the RDF/OWL train has left the station.
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[42]
The same piece of logical text has several different entailment regimes applying to it, with no way to communicate which one is intended, destroying portability. This is a mess, which will get worse. It will not fix itself. We need to provide blogic as a single layer with one notion of entailment. It can have subcases, but not layers., ibidem.
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[43]
L’expression ready-made objects, prise dans ce sens, est empruntée à Hilary Putnam (2005).
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[44]
Dans un article consacré aux technologies des marchés boursiers, Fabian Muniesa proposait une « pragmatique des prix » inspirée de la sémiotique peircienne, les signe-prix oscillant entre « indice », « icône » et « symbole ». Au-delà du registre figé d’un métalangage dont Muniesa s’accorde à reconnaître le caractère provisionnel, demeure le constat ici partagé selon lequel « il est plus que probable que l’appareil matériel de désignation [formule qui sied à merveille au web] se comportera différemment selon les lieux et les occasions. » Muniesa d’ajouter : « dans une salle d’enchères, dans une simulation économétrique ou sur un prospectus publicitaire, ce ne sont pas les caractéristiques Peirciennes des prix qui s’affirmeront le plus ». cf. (Muniesa, 2013, 269 ; 277).
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[45]
Voir par exemple la réponse apportée à un utilisateur sur le forum officiel de Google : <http://productforums.google.com/forum/#!topic/webmasters/TZAeo2SzMnM>
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[46]
Si l’on devait désormais identifier le problème que s’attache à résoudre l’architecture du web, ce serait sans aucun doute (telle est du moins notre thèse) celui de la référence, et du statut de ce à quoi il est fait référence. Nous en héritons à la lecture des standards. URI et ressources y occupent naturellement le devant de la scène. En revanche, la même question, abordée du point de vue des hypertextes, recevrait des réponses tout à fait différentes. Au primat des URI (identifiants, noms, pointeurs), il faudrait substituer celui des liens. Signe néanmoins de la priorité des premières sur les seconds, l’établissement d’un « lien hypertexte » requiert au préalable l’existence d’un identifiant, d’une URI, sis dans une balise qui le rend cliquable (<a href =>http://example.com</a>). Toujours dans la logique des hypertextes, aux ressources se substitueraient, on l’a vu, les pages. Au problème de la référence, enfin, celui du trajet ou de la navigation entre deux lexies. On retrouve là une problématique désormais classique, celle de la « désorientation » à laquelle seraient confrontés les utilisateurs sur la Toile. Sur ce point, voir (Ghitalla et al., 2003).
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[47]
Monadologie et Sociologie, cité in (Latour, 2011, 20-21).
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[48]
Ibidem, p. 22.
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[49]
Point d’autant plus essentiel que la méréologie constitue le nec plus ultra contemporain en matière d’ontologie « formelle » (comprendre : non « contaminée » par un quelconque contenu empirique). Voir par exemple (Varzi, 2010 ; 2011).
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[50]
« Nous accordons beaucoup trop de poids aux dominants lorsque nous levons les doigts vers le Ciel pour désigner nos chefs ou nos supérieurs comme si nous n’occupions qu’un étage d’une pyramide dont l’extrémité se perdrait dans les nuages (…) Michel Serres l’avait proposé il y a longtemps, il faut inverser les métaphores du pouvoir et le saisir toujours comme ce qui est en-dessous, à la manière d’une sorte de bassin versant vers lequel tendrait, par la force de gravité, ce qui est plus haut et plus grand que lui. » (Latour, 2011, 30).
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[51]
L’obtention d’un résultat conforme à la logique attendue (dans le cas de RDF, des inférences garanties par une sémantique formelle modèle-théorétique), peut très bien passer par des principes fortement étrangers à cette même logique, dont le mérite repose néanmoins dans la capacité à la simuler parfaitement. L’exemple KGRAM, machine de graphes abstraits développée au sein de l’équipe Inria Wimmics, (<http://www-sop.inria.fr/edelweiss/software/corese/kgram/>), en atteste qui simule le comportement inférentiel attendu du point de vue de la sémantique formelle de RDF, tout en traitant ce langage de représentation des connaissances uniquement à la manière d’une syntaxe doté d’un modèle de graphe reconstitué par la machine (ce qui suffit à réaliser les inférences voulues). Le résultat au strict plan des inférences est identique. En revanche la sémantique sous-jacente, censée fixer la signification des signes (URI), a disparu : c’est bien une simulation.
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[52]
Il y aurait d’ailleurs une réflexion à mener, dans le cadre ici posé, quant au lien éventuel entre cette caractérisation du pragmatisme et l’ingénierie.
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[53]
(Smith, 1998, 264).
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[54]
Pour Web Hypertext Application Technology Working Group.
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[55]
Cette suite de sigles (URL, URN, IRI, URN – IRL et URC ne sont pas mentionnés) renvoie aux hésitations sur le statut des identifiants du web. Si l’appellation URL (Uniform Resource Locators) domine encore auprès du grand public, elle ne compte plus de standard dédié depuis déjà une quinzaine d’années. Durée qui pourrait donc prendre fin très bientôt alors que des velléités s’expriment pour réintroduire les URL dans les standards. Ou, plus exactement, pour évacuer les dimensions dont il a été question tout au long de ce travail. En particulier la nature du lien entre mots et chose (URI et ressources) sur le web. Pertinentes pour les concepteurs du web, ces questions le sont nettement moins du point de vue des développeurs, pour qui le web se présente comme un objet stable, dont il s’agit moins de sonder les arcanes que de rendre accessible à celles et ceux qui dont l’activité professionnelle en dépend.
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[56]
Kesteren intégra le TAG au cours de l’année 2013. Le TAG est le Technical Architecture Group chargé, au sein du W3C, de veiller au maintien des principes fondamentaux du web.
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[57]
Tel est bien l’enjeu politique du pluralisme logé derrière le concept d’agencements, comme l’a parfaitement noté Jérôme Denis : « La définition renouvelée de la notion de performativité n’est pas sans conséquence politique.
(…) Dès lors que le caractère « performé » de certaines dimensions de notre réalité est mis en lumière, elles peuvent être à nouveau publiquement débattues. (…) la critique que rend possible le nouveau programme performatif est profondément pluraliste. Elle consiste à remettre en question la nature des éléments qui ont été assemblés (et souvent l’assemblage lui-même), afin de montrer que d’autres mises en forme sont possibles. », (Denis, 2006, 10). -
[58]
Le cas est d’autant plus remarquable lorsque ces explanantia sont de nature philosophique, leur prétention, loin d’aller de soi, posant au contraire question. À suivre Peter Unger (2014), les arguments et concepts dont la philosophie (analytique) excipe, n’ont tout simplement aucun sens. Sans aller jusque-là, nous plaidons en faveur de l’idée selon laquelle ils sont susceptibles d’acquérir une nouvelle pertinence à la faveur du travail accompli au titre de l’architecture du web. Autrement dit, à l’occasion de la reprise contemporaine, par des acteurs extérieurs au champ philosophique académique, des problèmes et des concepts de cette discipline. Un sens nouveau cela va sans dire, pour des réalités qui le sont tout autant, témoignage que cette reprise marque moins un écart vis-à-vis d’un modèle, envisagé dans sa pureté conceptuelle, que la condition à remplir pour dépasser l’écueil toujours menaçant du « non-sens ». Une telle lecture renverse bien évidemment le rapport usuel que la philosophie prétend entretenir à l’égard de ses objets. En fait, elle est très proche de la position qu’Alan Richardson attribue à Carnap, tenant d’une « ingénierie philosophique » (là encore !), laquelle se verrait confier la tâche explicite de s’émanciper des réponses que livre traditionnellement la philosophie, réponses jugées métaphysiques et par conséquent (c’est un leitmotiv carnapien) dénuées de sens. Le recours exclusif aux méthodes formelles a pour effet de transformer la nature même de l’activité du philosophe, désormais dévolue à la résolution de problèmes techniques : « Carnap sought in word and deed to overcome the history of philosophy and offer a new task for philosophy in the scientific age. » (Richardson, 2013), p. 72. Une différence majeure avec le cas présent, et plus spécifiquement avec « l’ingénierie philosophique » de Tim Berners-Lee, tient cependant à ceci que la technique se voit désormais reconnaître une véritable épaisseur (celle d’un médiateur) là où Carnap échouait à se donner les moyens de la penser autrement qu’à travers le prisme utilitaire de l’outil (à la façon d’un intermédiaire) – c’est d’ailleurs tout le sens de la critique formulée à son encontre par Richardson. L’exemple de la controverse entre Berners-Lee et Hayes témoigne d’une articulation très différente des rapports entre formalismes et technique (il n’est pas dit, d’ailleurs, que la seconde ne puisse s’envisager comme condition des premiers). On notera cependant que dans les deux cas, Berners-Lee comme Carnap avant lui donnent tous deux la priorité à l’ingénierie sur la philosophie. La nécessité d’opérer le pas de côté nécessaire pour penser la technique au cœur de l’ingénierie (ce qui, en toute occasion, fait dévier l’attendu), distingue donc la philosophie du Web de l’ingénierie philosophique proprement dite (celle de Carnap comme celle de Berners-Lee), où, à quelques exception près, ce souci est nettement moins affirmé.
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[59]
Comparable uniquement au langage de ce point de vue, cf. l’entretien avec Tim Berners-Lee dans (Halpin & Monnin, 2014).
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[60]
Ainsi la RFC 2386 caractérise-t-elle la ressource. Le « n’importe quoi » des standards résonne avec le quelque chose en général (aliquid) de l’ontologie classique.
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[61]
Que les standards du W3C, malgré toutes les critiques que l’on peut légitimement leur adresser, s’efforcent de mettre à la portée de « chacun » : l’écriture des ontologies s’opérant sur un mode décentralisé, sans préjuger (non plus) de leur domaine.
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[62]
Pour plus de précisions au sujet des débats suscités par cette initiative, cf. https://news.ycombinator.com/item?id=7677898
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[63]
Cf. AppLinks.org. Le PDG de Parse, société en charge du projet rachetée par Facebook, déclarait récemment : It’s a shame that the URL is not a big deal on mobile right now. If I try to open third-party apps, I’m stuck in the web browser where I have to log in again. There is no unified way to navigate to links across all the platforms. <http://techcrunch.com/2014/04/30/facebook-launches-applinksorg-to-make-linking-between-apps-easier/>. Évidemment, la difficulté résulte moins d’un défaut intrinsèque aux navigateurs que de la centralisation de la gestion des identités par les propriétaires de plateformes. Une gestion décentralisée des identités s’affranchirait des difficultés qu’AppLinks s’évertue moins à résoudre qu’à mettre en scène pour y puiser une justification. Sur l’identité dans le navigateur et les réseaux sociaux distribués, voir les travaux du W3C, notamment : <http://www.w3.org/2011/identity-ws/report.html> et <http://www.w3.org/wiki/webID>.
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[64]
Cf. la distinction entre la pluralité des « métaphysiques expérimentales » et l’unité à construire caractéristique de l’« ontologie », proposée par Bruno Latour (2007).
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[65]
Parler de régularité implique qu’un tel vecteur puisse également ne pas être reconnu en tant que tel. Après tout, il n’exerce aucune contrainte mécanique ou automatique. La « force de la règle », selon la belle expression de Jacques Bouveresse, n’est jamais d’ordre causal. Aussi, négliger le type de contraintes qu’elle exerce ne saurait être en permanence suivi de sanctions immédiates. Traiter une ressource à la manière d’une page n’est certes pas conseillé, ce n’est pas toujours une catastrophe non plus (à court terme du moins). A cet égard, rien n’interdit de maintenir un environnement statique pour donner l’illusion d’avoir affaire à des documents au sens le plus traditionnel du terme. Dès lors, pourquoi parler d’« illusion » en pareil cas ? Pour une raison très simple : garantir l’accès à une page « statique » implique des effort et un investissement considérables, à court, moyen et long termes : payer un hébergeur à échéance régulière, louer un nom de domaine le temps que dure l’hébergement, administrer son « site », conserver intact le rendu visuel d’une « page » mise en ligne depuis plusieurs années alors même que logiciel utilisé pour la publication subit des mises à jours régulières, que les thèmes qu’il propose évoluent et disparaissent et, avec eux, la chartes graphique du site ; quand ce ne sont pas tout simplement les navigateur eux-mêmes qui connaissent de nouvelles itérations et qu’il devient impératif d’adapter le code de sa « page » en conséquence. Ne parlons évidemment pas des modifications que ledit code subit lui-même à chaque renouvellement des standards (balises devenues obsolète, respect variables selon les navigateurs, adoption étalée dans le temps, etc.). Décidément, la stase n’est l’état naturel d’aucune chose, moins encore sur le web qu’ailleurs où subsister se paie au prix fort.
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[66]
(Bellacasa, 2011). Voir également, p. 90 : advocating for care complements the respect for things or MoC [matters of concern] with an ethical doing : the practical responsibility to take care of the fragile gathering they constitute.
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[67]
Ibidem, p. 90.
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[68]
C’est là un trait sur lequel insiste l’ANT depuis longtemps. On le retrouve ainsi au cœur de la présentation que donne Michel Callon de la « sociologie de l’acteur-réseau » dans (Callon, 1986).
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[69]
We become able to cut in a certain way because of our own attachments, because we care for some things more than others, ibid, p. 96.
-
[70]
Ibid., p. 98.
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[71]
Ibid., p. 96.
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[72]
Michael Hausenblas évoque pour sa part des entités « non directement observables » : « We note that URIs and representations are directly observable things, while resources are not directly observable » (Hausenblas, 2011), quand Sébastien Haymann, dont l’approche est centrée sur la possibilité de cartographier le Web, évoque le fait que « les liens hypertextes parcourus sont des réalisation au sens de P. Lévy, c’est-à-dire des occurrences d’un possible prédéfini » (Heymann, 2008). Nous-même avons mobilisé l’ontologie processuelle élaborée par Pierre Livet et Frédéric Nef pour fournir un soubassement ontologique aux sciences sociales, afin de rendre compte du caractère virtuel, qualifiant, de la ressource. Cf. (Nef & Livet, 2009), (Monnin, 2013a) et (Monnin & Livet, 2014).
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[73]
Sur l’aspect « moral » de cet appel, voir (Hache, 2011, 28) pour une approche pragmatiste renouvelée. Toute l’œuvre d’Étienne Souriau peut se lire comme une méditation sans équivalent à propos de la réponse qu’il convient d’apporter à l’appel du monde. Souriau l’abordant qui plus est de front, sur son versant métaphysique, sa pensée ouvre des perspectives dont il reste à prendre l’entière mesure. En écho, et peut-être en décalage par rapport à Maria Puig de la Bellacasa, qui prend ses distances vis-à-vis de la critique latourienne de la critique en tentant de repolitiser les matters of concern, devenus pour la circonstance des matters of care, soulignons que dans l’optique de l’œuvre à faire nos réponses nous jugent davantage que nos principes. La critique de la critique peut dès lors passer pour la reconnaissance implicite de la pluralité des réponses et des appels – autrement dit, des mondes à faire – ce qui ne diminue en rien, bien au contraire, l’exigence politique qui lui est associée.
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[74]
(Bellacasa, 2011), p. 96.
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[75]
Ibid., p. 100.