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Article de revue

Expérimenter l’uead

Vers une thérapie familiale multidimensionnelle ?

Pages 114 à 123

Notes

  • [*]
    Jessica Filippi est chercheure en criminologie à l’École nationale de protection judiciaire de la jeunesse ; elle est membre du Conseil européen pour la justice juvénile et de l’Institut français pour la justice restaurative.
  • [1]
    Voir note d’orientation du 30 septembre 2014 de la Protection judiciaire de la jeunesse, nor : jusf1423190n.
  • [2]
    Dispositif de maintien et d’accompagnement à domicile.
  • [3]
    Dispositif d’accompagnement de retour en famille.
  • [4]
    En effet, bien souvent, les parcours des mineurs auteurs d’une infraction sont souvent caractérisés par des ruptures, des histoires de vie morcelées, des répétitions dont notamment un parcours institutionnel riche se traduisant par des séjours entre les structures de l’Aide sociale à l’enfance et la Protection judiciaire de la jeunesse et où une multiplicité d’intervenants, de mesures et de procédures judiciaires s’entrecroisent. Ces discontinuités de la vie, ces ruptures voire même ces répétitions, intervenant dans leurs parcours contribuent à favoriser leur vulnérabilité et à augmenter leurs risques de récidive.
  • [5]
    Dans le cadre de l’expérimentation de l’uead, le dipc a fait l’objet de plusieurs adaptations : il met en avant les attendus de l’ordonnance de placement provisoire et des autres décisions judiciaires. Ensuite, il aborde les besoins et les objectifs de la prise en charge et cela sous différents aspects : les relations familiales au domicile, le respect des règles à la maison et au dehors, l’insertion sociale, scolaire et/ou professionnelle, la santé. Les points de vue des parents et du jeune sont récoltés. À partir de ces observations, le service élabore des hypothèses sur les besoins potentiels des usagers.
  • [6]
    La commission de coordination de régulation des parcours sera mise en place au cours de l’année 2016. L’idée est de créer une instance de supervision regroupant la direction territoriale, les cadres de l’uead, les magistrats et le conseil général. Ce groupe de travail permettra une articulation des dispositifs civils et pénaux et de coordonner les actions pour vérifier l’entrée et les résultats de sortie après la prise en charge de l’uead, évaluer la continuité des parcours et prendre des décisions plus lointaines pour éviter les ruptures.
  • [7]
    Alimentation, sommeil, hygiène, apprentissage.
  • [8]
    La diminution des temps d’accompagnement et de présence au domicile est évaluée par l’éducateur et la psychologue.
  • [9]
    Le rapport d’évaluation finale de l’uead aborde l’origine de la mesure, du déroulement du placement à domicile, les liens du jeune et de sa famille, il reprend aussi le contexte de vie et son évolution, le rapport à la règle et au passage à l’acte, la personnalité, la santé et l’insertion professionnelle du mineur.
  • [10]
    Le repli peut être à l’initiative de la famille et/ou du jeune. Il sera validé par l’équipe de direction de l’uead. Bien souvent le repli a lieu dans des situations extrêmes ou le « vivre ensemble » n’est plus possible et les fugues sont trop fréquentes.
  • [11]
    Il s’agit d’un modèle formalisé par Henggeler et coll. (1999). V.S.W. Henggeler, G.B. Melton, M.J. Brondino, D.G. Scherer, J.H. Hanley, « Multisystemic therapy with violent and chronic Juvenile Offenders and their families: the role of treatment fidelity in successful dissemination », dans Journal of Consulting and Clinical psychology, 1997, vol.65, n° 5, p. 821-833 ; S.W. Henggeler, S.K. Schoenwald, C.M. Borduin, M.D. Rowland, P.B. Cunningham, Multisystemic Therapy for Antisocial Behavior in Children and Adolescents, 2e éd., New York (N.Y.), Guilford Press, 2009, 324p ; S.W. Henggeler, S.G. Pickrel, M.J. Brondino, « Multisystemic treatment of substance abusing and dependent delinquents: Outcomes, treatment fidelity and transportability », dans Mental Service Reasearch, n° 1, p. 171-184.
  • [12]
    Les thérapies familiales multidimensionnelles sont des modèles, qui au départ, s’adressaient aux personnes ayant des problèmes d’addiction, puis ces thérapies se sont progressivement développées auprès de personnes présentant divers problèmes du comportement sans avoir de lien avec des problèmes d’assuétude. V.H.A. Liddle, G.A. Dakof, K. Parker, G.S. Diamond, K. Barrett, M. Tejeda, « Multidimensional family therapy for adolescents drug abuse: results of a randomized clinical trial », American Journal of Drug and Alcohol Abuse, n° 27, 2001, p. 651-688 ; C. Bonnaire, N. Bastard, J.-P. Couteron, A. Har, O. Phan, « La thérapie familiale multidimensionnelle (mdft) : quelles influences, quelles spécificités ? », L’Encéphale, vol. 40, issue 5, octobre 2014, p. 408-415 ; P. Spapen, T. Angelidis, V. Antoniali, K. Van Gerwen, « La thérapie familiale multidimensionnelle des adolescent(e)s dépendants du cannabis. Une nouvelle approche systémique en Europe dans le cadre d’une recherche plurinationale », Thérapie familiale, vol. 31, 2/2010, p. 117-132.
  • [13]
    V. Psychopathologie et traitement des auteurs d’agressions sexuelles, Conférence de consensus des 22 et 23 novembre 2001, Fédération Française de Psychiatrie, John Libbey, Eurotext, 2001 ; R.J. Wilson et A. McWhinnie, « Les cercles de support et de responsabilité. Un partenariat international en management du risque en milieu ouvert », Dossier éviter la récidive du délinquant sexuel, dans aj Pénal, décembre 2012, p. 621-641 ; R.J. Wilson, F. Cortoni, A. McWhinnie, « Circle of support and accountability : A canadian National Replication of Outcome Findings », Sexual Abuse : A Journal of Research and Treatment, n° 21, 2009, p. 412-430 ; G. Coco, S. Corneille, « Quand la justice restaurative rencontre le Good Lives Model de réhabilitation des délinquants sexuels : fondements, articulations et applications », Psychiatrie et violence, vol. 9, n° 1, 2009.
  • [14]
    V.H. Zehr, The little book of restorative justice, Good books Pub., 2002, 72 p. ; traduction en français, La justice restaurative. Pour sortir des impasses de la logique punitive, Ed. Liber et fides, 2012, 98 p ; R. Cario, Justice restaurative, Principes et promesses, Paris, L’Harmattan, 2e éd., 2010, 300 p ; du même auteur « “Changing lenses”. Autour de l’œuvre d’Howard Zehr », dans Les Cahiers de la justice, Revue de l’École nationale de la magistrature (enm), Ed. Dalloz 2006-1, p. 45-58 ; Voir « La justice restaurative », dans Revue professionnelle de la Protection judiciaire de la jeunesse, Les Cahiers dynamiques, Toulouse, érès, n° 9, septembre 2014, 141 p.
  • [15]
    V.M. Foucault, « Dits et écrits 1984, Des espaces autres » (conférence au Cercle d’études architecturales, 14 mars 1967), dans Architecture, Mouvement, Continuité, n° 5, octobre 1984, p. 46-49. L’hétérotopie est une localisation physique de l’utopie. Ce sont des espaces concrets qui hébergent l’imaginaire, comme une cabane d’enfant ou un théâtre [ndlr].
  • [16]
    V.M. Vaillant, « L’ordinaire de la violence », Journal du droit des jeunes, n° 17, 1998, p. 19-25.

1Parmi les modalités de prise en charge des mineurs en placement, le panel des réponses proposé est peu diversifié. Issue d’un appel à projet national relatif à la diversification des modes de prise en charge en placement judiciaire[1], l’expérimentation de l’unité éducative d’accompagnement à domicile (uead) a pour volonté de répondre à cette préoccupation. Inspirée des dispositifs relatifs à la Protection de l’enfance, elle a cours depuis le 1er juin 2015 dans le département du Pas-de-Calais et trouve son essence à la fois dans le maintien à domicile (dmad[2]) et l’accompagnement au retour en famille (darf[3]). Une modalité qui, sous réserve de changements, pourrait se rapprocher d’un modèle de thérapie familiale multidimensionnelle.

2L’adolescence est une période au cours de laquelle des changements à la fois biologiques, cognitifs et émotionnels s’opèrent. Une période où les jeunes veulent se définir comme des individus différents. Alors qu’une grande majorité des mineurs auteurs d’une infraction ont, dès leurs premiers faits et à la suite d’une prise en charge, cessé leurs agissements infractionnels, d’autres poursuivent leur trajectoire délinquante. Ces derniers connaissent généralement de multiples lieux de rupture, d’échecs et/ou de difficultés dans leurs parcours de vie. Des ruptures provoquées soit par l’institution et le cadre judiciaire [4], soit par la vie du mineur et dans laquelle l’institution se doit de l’accompagner au mieux, ou encore des ruptures provoquées par le mineur dans sa résistance au cadre. Les mineurs délinquants, qui intègrent le dispositif de l’uead sont, pour la plupart, bien connus des structures de la Protection judiciaire de la jeunesse (pjj). Ils ont un parcours institutionnel très diversifié, ne sont pas placés, ou sortent d’un centre éducatif fermé (cef), d’un centre éducatif renforcé (cer), d’une unité éducative d’hébergement collectif (uehc), ou d’une détention. Ils connaissent pour la plupart des relations « parent-enfant » difficiles, dont la dynamique peut modeler, influencer, voire renforcer leurs trajectoires délinquantes.

3Ces observations attestent de la complexité du phénomène criminel juvénile obligeant à ce que son traitement soit adapté à la personnalité du mineur, à ses compétences, à ses appétences et à ses conditions de socialisation, qui bien souvent constituent l’une des conditions d’émergence et de consolidation des comportements agressifs. L’expérimentation de l’uead souhaite répondre à ces problématiques.

La saisie de l’uead

4Le recours à l’uead a lieu dans différentes situations : dans le cadre d’une mise sous protection judiciaire, d’un contrôle judiciaire, d’une liberté surveillée, d’une liberté surveillée préjudicielle ou encore d’un sursis avec mise à l’épreuve. Elle survient dans deux situations, soit dans le cadre d’un placement immédiat, soit dans le cadre d’un placement préparé. Ce dispositif est une intervention « flash ». Il dure trois mois en général et peut être renouvelé une fois.

5Dans la première situation, la permanence éducative auprès du tribunal saisit le responsable de l’unité éducative (rue) de l’uead par contact téléphonique puis par voie écrite dans laquelle figure le recueil de renseignements sociaux éducatifs (rrse). Ce rapport permet d’éclairer les professionnels sur le mineur, son état d’esprit, son parcours, les différentes ruptures qu’il a connues, les ressources familiales et leurs besoins respectifs. Si le mineur séjourne dans un cef, un cer ou encore une uehc, le déroulement de leurs prises en charge est transmis. Ces rapports permettent d’avoir un état des lieux sur la situation du mineur, une approche systémique qui au final permet de révéler les éléments déterminant d’une part la faisabilité du placement à domicile et d’autre part, les modalités de prises en charge nécessaires à son effectivité. À la lecture des rapports et du rrse, le rue se prononce de manière favorable ou défavorable sur la nécessité d’une prise en charge du mineur dans le cadre d’un accompagnement à domicile. Cette décision repose sur la capacité de prise en charge de l’uead, l’urgence et l’intensité de la situation de rupture. Dans le cadre d’un accueil sans délai, un éducateur de l’unité de placement à domicile est présent à l’audience et l’accompagnement du mineur et de la famille débute dès la sortie du tribunal.

6Dans la deuxième situation, le rue de milieu ouvert saisit le rue de l’uead. La prise de décision repose sur un échange oral au vue d’une situation éducative et des enjeux judiciaires, les rapports restent rarissimes. En pratique, le rue de l’uead ou le directeur de l’établissement de placement éducatif (epe), donnent une réponse favorable ou défavorable à la demande de placement à domicile, selon les mêmes critères que le placement immédiat. Lorsque la réponse est favorable, le service de milieu ouvert adresse au juge des enfants ou au juge d’instruction, une demande d’audience dans le cadre du placement à domicile. Cette dernière est un préalable avant la mise en place du dispositif. Elle contribue à sa réussite en ce qu’elle permet au juge de fixer le cadre, les objectifs et la durée de l’intervention en uead. Il remet ensuite une ordonnance de placement provisoire qui confie le jeune à l’epe, support de l’action dans le cadre de l’uead. Les acteurs de cette mesure sont le mineur, ses représentants légaux, un éducateur et un psychologue.

Une mise en œuvre sous couvert d’observations et d’évaluations continues

7Au cours des quinze premiers jours du placement à domicile et pendant les temps forts (levers, couchers, repas) et les temps partagés (conception des repas) de la journée, l’éducateur et le psychologue, au-delà de l’accompagnement à la prise en charge, observent et évaluent de manière globale les usagers afin d’affiner la compréhension des risques à l’origine de la rupture. Cette évaluation comprend, le parcours du jeune, sa personnalité, son projet scolaire ou sa formation, le fonctionnement familial. À partir de ces éléments émergent des hypothèses sur une prise en charge adaptée à la problématique présentée par le jeune. En plus de ces aspects, le psychologue organise deux entretiens : avec le mineur seul, puis avec le mineur accompagné de ses représentants légaux. Ils permettent de recueillir leurs points de vue. C’est aussi l’occasion, pour le psychologue d’analyser la « construction » de l’histoire des usagers et de créer avec eux un espace de réflexion.

8À l’issue de ces quinze jours, l’évaluation se termine par trois rendez-vous institutionnels. Lors du premier entretien, un document individuel de prise en charge (dipc) est rempli en présence du rue de l’uead, des usagers (représentants légaux, le mineur) et des acteurs de la prise en charge (éducateur, psychologue). Ce document permet de définir les objectifs vers lesquels souhaite tendre le placement à domicile [5]. Lors du deuxième entretien, l’éducateur et la psychologue présentent devant la commission de coordination de régulation des parcours [6], leurs observations, les hypothèses de travail sur la prise en charge, les objectifs de l’accompagnement et les difficultés rencontrées. Enfin, ils rédigent un rapport faisant état de ces éléments pour les transmettre par la suite au magistrat après validation du rue de l’uead et du responsable des politiques institutionnelles (rpi) coordinateur. Pour terminer, a lieu la rédaction de la convention conjointe de prise en charge (ccpc) entre l’uead et le service de milieu ouvert. Cette étape a pour objectif de définir et de formaliser le rôle de chaque structure dans la prise en charge du jeune et de la famille.

9Dans le cadre du placement, l’accompagnement intervient sur deux plans : le cadre familial et le jeune. Les règles de la vie en communauté, l’instauration d’un cadre pour organiser la gestion de la maison [7] et les relations sont des compétences auxquelles veillent les professionnels qui participent également au soutien dans la poursuite ou la reprise d’un projet scolaire ou professionnel par le mineur. Dans le cas où celui-ci n’est pas inséré scolairement et/ou professionnellement, un planning d’activités est mis en place afin de faire émerger une dynamique de projet chez le jeune. C’est de manière soutenue et régulière que l’éducateur et le psychologue accompagnent le mineur et sa famille dans leurs démarches quotidiennes. Au fur et à mesure de la prise en charge, l’intervention se fait moindre afin de tendre vers une autonomisation des usagers [8]. Selon Benoist Jolly, responsable des politiques institutionnelles à la direction territoriale du Pas-de-Calais, en charge du pilotage de l’uead : « on passe progressivement du « faire à la place de » à du « laisser faire ».

10La fin de la prise en charge est anticipée lors des quinze derniers jours. L’uead se montre moins présente dans le cadre de l’accompagnement et donne le relais aux intervenants de milieu ouvert et d’insertion assurant la continuité de l’accompagnement. Une synthèse est organisée avec le milieu ouvert et les usagers. Un écrit de fin de prise en charge est transmis au magistrat, dix jours avant la fin de placement, afin de faire part de l’évaluation de la situation et des degrés d’atteinte des objectifs par rapport au premier rendez-vous [9]. Si l’accompagnement n’a pas rempli les objectifs fixés, l’instance de régulation des parcours est saisie et peut proposer au juge un nouvel accompagnement (prise en charge par le milieu ouvert, placement collectif ou diversifié).

Les objectifs généraux du placement en uead

11Benoist Jolly et Olivier Mignot – rue de l’uead, perçoivent cette expérimentation comme nécessaire dans les prises en charge du mineur et de son évolution dans le cadre familial et cela, d’autant plus dans un cadre pénal.

12L’uead permet d’assurer la continuité du parcours éducatif en effectuant un suivi dans la prise en charge du mineur et cela notamment par une présence éducative et institutionnelle « soutenue et régulière » dans la sphère privée. Par ce dispositif, le mineur est pris en considération dans son environnement familial et est accompagné par les professionnels et la famille. Elle permet ainsi de préparer le jeune dans son retour en famille et de déployer un soutien à la parentalité au domicile.

13La prise en charge d’un mineur, dans le cadre d’une structure de la Protection judiciaire de la jeunesse ou d’un service associatif habilité, le conduit à des apprentissages sur les plans cognitifs et comportementaux. Il reprend contact avec la loi, l’éducation mais aussi le soin. Il se reconstruit, se remobilise. Il convient donc de penser que cette évolution peut être conduite à néant s’il réintègre un environnement « carencé » (famille insuffisante, délinquante, liens émotionnels faibles avec le mineur, échec scolaire, association à des pairs délinquants). De plus, l’occurrence d’événements infractionnels, qu’ils soient répétés ou non, d’une manière générale, a un impact sur la cohésion du groupe qui garantit la paix sociale. La famille, l’école et les loisirs sont des lieux de socialisation et de cohésion. Les liens qui animent ces groupes peuvent donc être déséquilibrés par l’arrivée d’un événement perturbateur. Dans le cadre d’une infraction commise par le mineur, les conséquences de l’acte peuvent se traduire par un rejet de la famille, une perte de confiance chez les parents dans leur capacité à assumer ce rôle, une perte de confiance chez le mineur, une désillusion chez les usagers concernant les institutions judiciaires de prise en charge pouvant alors amener à accentuer leurs difficultés.

14Ainsi la prise en charge par l’uead se concrétise par le partage des temps forts (le lever, le repas, le coucher) et des temps d’activité (la conception des repas, les activités ludiques par exemple les jeux de société, les devoirs) au sein du domicile familial. Ce placement permet de mieux cerner la place du mineur au sein de la famille et de retravailler avec les parents le retour et l’accompagnement de leur enfant. L’intervention de l’éducateur et du psychologue offrent aux usagers la possibilité de développer et de consolider leurs compétences (d’autant plus chez les parents), de les soutenir afin de garantir un environnement sécurisant au mineur. L’uead donne également au jeune et sa famille la possibilité de devenir co-acteurs de la prise en charge. Il se dégage alors une véritable association de la famille au projet du jeune qui évolue en fonction de leurs besoins, des risques et/ou des difficultés qu’ils présentent, des accompagnements et des temps d’activité partagés. L’uead remobilise les liens sociaux au sein de la famille et plus largement, au sein de la communauté. En effet, lors de la mise en œuvre de l’uead, le contact avec le milieu ouvert n’est pas rompu, bien au contraire, le réseau de droit commun est maintenu puisque la prise en charge souhaite aussi doter les usagers d’un panel de ressources extérieures pour garantir la sécurité durable des mineurs et tendre vers leur autonomie. Ainsi ces derniers sont mis en relation avec différentes structures qu’ils pourront solliciter : centre social, activités sportives ou culturelles, soutien scolaire, etc. La présence de ces structures permet aussi de veiller sur l’évolution de la famille et du mineur.

15Dans l’hypothèse où le retour présente des difficultés (de la part du jeune ou des parents), un repli à l’uehc est envisageable [10].

16L’uead est une modalité de prise en charge qui, par l’observation, souligne les facteurs de risques dynamiques, les facteurs de protection, les attitudes antisociales et les forces et les faiblesses des interactions familiales afin de proposer par la suite un accompagnement adapté. Dans le champ de l’action, l’uead, modèle intégré, a les caractéristiques d’une thérapie familiale multisystémique dont l’intervention des professionnels se déroule principalement au sein de la famille. Elle améliore le fonctionnement familial, réduit les conflits et les troubles du comportement du jeune en ce qu’elle renseigne les parents sur leurs compétences pour répondre aux problèmes des adolescents [11]. La famille devient un levier dans la prise en charge du jeune. Dans les situations où la famille est dysfonctionnelle, des aménagements sont prévus pour l’aider à modifier son fonctionnement. Le travail effectué par les professionnels sur les relations entretenues entre les parents et leurs enfants (réconfort/affection) et leurs compétences de structuration parentale (surveillance/supervision) permet d’obtenir des changements positifs. De plus, le placement en uead offre aux jeunes la possibilité d’être soutenus par des dispositifs de droit commun dans leur scolarisation et la réalisation de leurs projets professionnels. Un suivi qui s’adapte au gré de l’évolution de chacun.

L’uead et après ?

17Mais qu’advient-il du suivi lorsque le mandat de l’uead se termine ? Est-ce que le jeune maintient le lien avec les structures mentionnées ? Est-ce que la famille suit toujours les recommandations mises en place par les professionnels éducateurs ? Afin de maintenir les « efforts » et de limiter les « rechutes » du jeune et de sa famille, il demeure primordial que les éducateurs préparent les bénéficiaires à la sortie de ce dispositif. Pour cela, il peut être envisagé que les éducateurs prennent contact avec l’environnement extra-familial du jeune constituant d’autres personnes ressources (habiletés pro-sociales, stimulantes, soutenantes) sur lesquelles le mineur et la famille peuvent s’appuyer à savoir les voisins, le/la petit(e) ami(e), un professeur que le jeune affectionne, l’entraîneur d’une activité sportive qu’il pratique… L’objectif d’une telle démarche est, qu’en complémentarité du dispositif de droit commun accompagnant le jeune, des personnes ressources se montrent présentes pour s’assurer de son investissement. Un processus qui s’apparente à une thérapie familiale multidimensionnelle [12].

18Dans d’autres circonstances, lorsqu’un jeune sort d’un dispositif de la Protection judiciaire de la jeunesse, qu’il présente un isolement social certain, peu de ressources (personnelles, familiales, environnementales, etc.), ou encore se rapproche de la majorité, il serait nécessaire, pour préparer la fin de sa prise en charge, sa réinsertion et gérer les risques de récidive qu’il présente, de lui proposer de participer à des cercles d’accompagnement et de ressources ou des cercles de soutien et de responsabilité (auteur d’infraction sexuelle [13]). D’une manière concrète, il s’agit d’articuler deux cercles autour du jeune. Le cercle intérieur regroupe le jeune et les membres bénévoles de la société civile (3 à 5 personnes). Le cercle extérieur est composé de professionnels locaux issus de champs divers liés à la réinsertion du jeune (une dizaine : éducateurs, agents de probation, professionnels de la justice, personnes spécialisées dans l’aide à l’emploi, le soin, l’aide au logement, etc.). Entre ces deux cercles, un coordonnateur supervise et gère les communications entre le cercle interne et les professionnels. Sélectionnés et spécialement formés, ils soutiennent et responsabilisent de manière intensive le participant dans ses démarches d’insertion sociale (scolarité, santé, recherche d’un emploi, recherche d’un stage, démarche pour des aides…). La temporalité des rencontres et la durée de vie du cercle, dépendent des besoins criminogènes ou des facteurs dynamiques de récidive, de l’évolution et de la motivation du jeune. Différents des thérapies familiales multidimensionnelles, ces cercles se situent entre la justice restaurative [14] et l’hétérotopie [15].

19Innovante, tant sur la forme que le fond, l’uead est une initiative pleine de promesses qui apporte un renouveau dans la prise en charge des mineurs. Complémentaire aux autres dispositifs de placement judiciaire, bienveillante, l’uead est une modalité de prise en charge résolument éducative donnant « du sens, du cadre et du temps [16] » au plus près des besoins des usagers. Un dispositif qu’il est nécessaire de soutenir et d’étendre, dans sa mise en œuvre, à d’autres personnes. Comme mentionné précédemment, il peut être envisagé le soutien et l’accompagnement du jeune par des personnes appartenant à son environnement extra-familial et/ou des membres bénévoles de la société civile afin, de maintenir les bénéfices du dispositif de l’uead, de veiller à l’apprentissage du jeune de la vie en collectivité, de permettre sa réinsertion et de favoriser son évolution positive. Pour finir l’évaluation de ce dispositif s’avère être essentielle pour constater la viabilité des interventions dans le changement positif des comportements et la limitation de la récidive.

Notes

  • [*]
    Jessica Filippi est chercheure en criminologie à l’École nationale de protection judiciaire de la jeunesse ; elle est membre du Conseil européen pour la justice juvénile et de l’Institut français pour la justice restaurative.
  • [1]
    Voir note d’orientation du 30 septembre 2014 de la Protection judiciaire de la jeunesse, nor : jusf1423190n.
  • [2]
    Dispositif de maintien et d’accompagnement à domicile.
  • [3]
    Dispositif d’accompagnement de retour en famille.
  • [4]
    En effet, bien souvent, les parcours des mineurs auteurs d’une infraction sont souvent caractérisés par des ruptures, des histoires de vie morcelées, des répétitions dont notamment un parcours institutionnel riche se traduisant par des séjours entre les structures de l’Aide sociale à l’enfance et la Protection judiciaire de la jeunesse et où une multiplicité d’intervenants, de mesures et de procédures judiciaires s’entrecroisent. Ces discontinuités de la vie, ces ruptures voire même ces répétitions, intervenant dans leurs parcours contribuent à favoriser leur vulnérabilité et à augmenter leurs risques de récidive.
  • [5]
    Dans le cadre de l’expérimentation de l’uead, le dipc a fait l’objet de plusieurs adaptations : il met en avant les attendus de l’ordonnance de placement provisoire et des autres décisions judiciaires. Ensuite, il aborde les besoins et les objectifs de la prise en charge et cela sous différents aspects : les relations familiales au domicile, le respect des règles à la maison et au dehors, l’insertion sociale, scolaire et/ou professionnelle, la santé. Les points de vue des parents et du jeune sont récoltés. À partir de ces observations, le service élabore des hypothèses sur les besoins potentiels des usagers.
  • [6]
    La commission de coordination de régulation des parcours sera mise en place au cours de l’année 2016. L’idée est de créer une instance de supervision regroupant la direction territoriale, les cadres de l’uead, les magistrats et le conseil général. Ce groupe de travail permettra une articulation des dispositifs civils et pénaux et de coordonner les actions pour vérifier l’entrée et les résultats de sortie après la prise en charge de l’uead, évaluer la continuité des parcours et prendre des décisions plus lointaines pour éviter les ruptures.
  • [7]
    Alimentation, sommeil, hygiène, apprentissage.
  • [8]
    La diminution des temps d’accompagnement et de présence au domicile est évaluée par l’éducateur et la psychologue.
  • [9]
    Le rapport d’évaluation finale de l’uead aborde l’origine de la mesure, du déroulement du placement à domicile, les liens du jeune et de sa famille, il reprend aussi le contexte de vie et son évolution, le rapport à la règle et au passage à l’acte, la personnalité, la santé et l’insertion professionnelle du mineur.
  • [10]
    Le repli peut être à l’initiative de la famille et/ou du jeune. Il sera validé par l’équipe de direction de l’uead. Bien souvent le repli a lieu dans des situations extrêmes ou le « vivre ensemble » n’est plus possible et les fugues sont trop fréquentes.
  • [11]
    Il s’agit d’un modèle formalisé par Henggeler et coll. (1999). V.S.W. Henggeler, G.B. Melton, M.J. Brondino, D.G. Scherer, J.H. Hanley, « Multisystemic therapy with violent and chronic Juvenile Offenders and their families: the role of treatment fidelity in successful dissemination », dans Journal of Consulting and Clinical psychology, 1997, vol.65, n° 5, p. 821-833 ; S.W. Henggeler, S.K. Schoenwald, C.M. Borduin, M.D. Rowland, P.B. Cunningham, Multisystemic Therapy for Antisocial Behavior in Children and Adolescents, 2e éd., New York (N.Y.), Guilford Press, 2009, 324p ; S.W. Henggeler, S.G. Pickrel, M.J. Brondino, « Multisystemic treatment of substance abusing and dependent delinquents: Outcomes, treatment fidelity and transportability », dans Mental Service Reasearch, n° 1, p. 171-184.
  • [12]
    Les thérapies familiales multidimensionnelles sont des modèles, qui au départ, s’adressaient aux personnes ayant des problèmes d’addiction, puis ces thérapies se sont progressivement développées auprès de personnes présentant divers problèmes du comportement sans avoir de lien avec des problèmes d’assuétude. V.H.A. Liddle, G.A. Dakof, K. Parker, G.S. Diamond, K. Barrett, M. Tejeda, « Multidimensional family therapy for adolescents drug abuse: results of a randomized clinical trial », American Journal of Drug and Alcohol Abuse, n° 27, 2001, p. 651-688 ; C. Bonnaire, N. Bastard, J.-P. Couteron, A. Har, O. Phan, « La thérapie familiale multidimensionnelle (mdft) : quelles influences, quelles spécificités ? », L’Encéphale, vol. 40, issue 5, octobre 2014, p. 408-415 ; P. Spapen, T. Angelidis, V. Antoniali, K. Van Gerwen, « La thérapie familiale multidimensionnelle des adolescent(e)s dépendants du cannabis. Une nouvelle approche systémique en Europe dans le cadre d’une recherche plurinationale », Thérapie familiale, vol. 31, 2/2010, p. 117-132.
  • [13]
    V. Psychopathologie et traitement des auteurs d’agressions sexuelles, Conférence de consensus des 22 et 23 novembre 2001, Fédération Française de Psychiatrie, John Libbey, Eurotext, 2001 ; R.J. Wilson et A. McWhinnie, « Les cercles de support et de responsabilité. Un partenariat international en management du risque en milieu ouvert », Dossier éviter la récidive du délinquant sexuel, dans aj Pénal, décembre 2012, p. 621-641 ; R.J. Wilson, F. Cortoni, A. McWhinnie, « Circle of support and accountability : A canadian National Replication of Outcome Findings », Sexual Abuse : A Journal of Research and Treatment, n° 21, 2009, p. 412-430 ; G. Coco, S. Corneille, « Quand la justice restaurative rencontre le Good Lives Model de réhabilitation des délinquants sexuels : fondements, articulations et applications », Psychiatrie et violence, vol. 9, n° 1, 2009.
  • [14]
    V.H. Zehr, The little book of restorative justice, Good books Pub., 2002, 72 p. ; traduction en français, La justice restaurative. Pour sortir des impasses de la logique punitive, Ed. Liber et fides, 2012, 98 p ; R. Cario, Justice restaurative, Principes et promesses, Paris, L’Harmattan, 2e éd., 2010, 300 p ; du même auteur « “Changing lenses”. Autour de l’œuvre d’Howard Zehr », dans Les Cahiers de la justice, Revue de l’École nationale de la magistrature (enm), Ed. Dalloz 2006-1, p. 45-58 ; Voir « La justice restaurative », dans Revue professionnelle de la Protection judiciaire de la jeunesse, Les Cahiers dynamiques, Toulouse, érès, n° 9, septembre 2014, 141 p.
  • [15]
    V.M. Foucault, « Dits et écrits 1984, Des espaces autres » (conférence au Cercle d’études architecturales, 14 mars 1967), dans Architecture, Mouvement, Continuité, n° 5, octobre 1984, p. 46-49. L’hétérotopie est une localisation physique de l’utopie. Ce sont des espaces concrets qui hébergent l’imaginaire, comme une cabane d’enfant ou un théâtre [ndlr].
  • [16]
    V.M. Vaillant, « L’ordinaire de la violence », Journal du droit des jeunes, n° 17, 1998, p. 19-25.
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