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Article de revue

Le guide Parents, familles et professionnels dans le cadre judiciaire

Pages 19 à 25

Notes

  • [*]
    Isabelle Coma est éducatrice et rédactrice, au bureau des méthodes et de l’action éducative de la sous-direction des missions de protection judiciaire et d’éducation, au sein de la direction de la Protection judiciaire de la jeunesse.
  • [1]
    Voir guide Parents, familles, document technique n°?7, « La prise en compte de la santé des mineurs faisant l’objet d’une intervention judiciaire ».

1Conçu comme un support de réflexion, le guide Parents, familles et professionnels dans le cadre judiciaire propose des recommandations ouvertes et non exhaustives pour initier, développer, renforcer les pratiques sur la question de l’implication des parents et des familles dans l’intervention éducative, en tenant compte des contraintes du cadre judiciaire.

2Ce document s’adresse à l’ensemble des acteurs de la justice des mineurs qui travaillent avec des parents et des familles confrontés au cadre judiciaire.

3L’intervention éducative auprès des mineurs dans le cadre judiciaire ne peut se concevoir sans une implication des parents et plus largement de la famille, celle-ci étant une des composantes fondatrices et essentielles de la personne.

4Ce principe d’implication est repris par la loi. Il a été réaffirmé par l’inscription des structures de la Protection judiciaire de la jeunesse au titre d’établissements sociaux et médico-sociaux dans la loi du 2 janvier 2002 rénovant l’action sociale et médico-sociale (article 311-1 et suivants du Code de l’action sociale et des familles), qui définit les modalités de mise en œuvre du droit des usagers.

5Pourtant, associer les familles à l’action d’éducation, leur donner une place dans la procédure et dans le fonctionnement de nos structures ne va pas de soi.

6Tout d’abord parce que nous, professionnels de l’enfance, sommes confrontés dans nos pratiques à des modèles familiaux en constante évolution. La réalité des familles est aujourd’hui multiforme : parents séparés, familles recomposées, monoparentales, homoparentales, élargies.

7De plus, être parent est une réalité complexe, qui se construit progressivement. On n’est pas « naturellement » parent mais on le devient au cours d’un processus complexe, parfois douloureux. Que l’on soit parent ou non, c’est avec notre propre expérience et nos représentations que nous abordons dans notre pratique quotidienne la question familiale.

8Pour accompagner les professionnels sur ce sujet et étayer leurs pratiques, la direction de la Protection judiciaire de la jeunesse (dpjj) a publié en 2011 le guide Parents, familles et professionnels dans le cadre judiciaire. Initié en 2002, il a été actualisé en 2010 au regard des évolutions législatives.

9Il est complété de quinze documents techniques, constituant des repères pratiques et juridiques sur des thématiques précises telles que l’autorité parentale en détention, la filiation ou encore la mise en place des groupes de parole de parents.

Quelques repères

10Depuis la circulaire interministérielle du 7 février 2012, relative à la coordination des dispositifs de soutien à la parentalité au plan départemental, une définition de la parentalité a été établie. Elle est le résultat des travaux des différents ministères signataires et consiste à dire que :

11« La parentalité désigne l’ensemble des façons d’être et de vivre le fait d’être parent. C’est un processus qui conjugue les différentes dimensions de la fonction parentale, matérielle, psychologique, morale, culturelle, sociale. Elle qualifie le lien entre un adulte et un enfant, quelle que soit la structure familiale dans laquelle il s’inscrit, dans le but d’assurer le soin, le développement et l’éducation de l’enfant. »

12L’autorité parentale se définit comme un ensemble de droits et devoirs ayant pour finalité l’intérêt de l’enfant (article 371-1 du Code civil).

13Mais au-delà de cette définition, l’autorité parentale est un moyen pour les parents de protéger leur enfant mineur, dans sa sécurité, sa santé, sa moralité, pour assurer son éducation et permettre son développement dans le respect dû à sa personne.

14Souvent, les situations familiales auxquelles nous sommes confrontés sont complexes. Les trajectoires et les histoires des familles nous semblent confuses, ou à l’inverse trop précises, en trompe-l’œil pour protéger l’équilibre familial.

15Qui est le père ? Qui est le beau-père ? Par qui cet enfant a-t-il été reconnu ? Quelle place les uns et les autres occupent-ils, ou leur est-elle reconnue dans la famille ?

16Une des recommandations soutenues dans le guide est d’être systématique dans l’analyse de la filiation et de l’autorité parentale. Un livret de famille peut être un premier support, une première base de travail en entretien pour mieux identifier et clarifier les places de chacun au sein de la famille, et remettre des repères là où il y a de la confusion.

Le repérage des interventions en amont

17Cette démarche est essentielle pour assurer une cohérence entre les diverses interventions et cadres de prise en charge. Elle permet d’inscrire une famille dans un parcours, en intégrant et en interrogeant les raisons qui l’ont conduite à rencontrer un juge, et repérer avec elle les effets et les réactions face aux différentes interventions.

18Repérer les interventions en amont, c’est aussi éviter une certaine usure de la répétition pour la famille comme pour les professionnels, et parfois « déjouer » les stratégies familiales qui bloquent ou qui freinent toute évolution.

19Depuis la loi du 5 mars 2007 relative à la protection de l’enfance, chaque département a mis en place une cellule de recueil, de traitement et d’évaluation de l’information préoccupante (crip), concernant les enfants et les adolescents en danger ou en risque de l’être. La crip procède à une évaluation pluridisciplinaire de la situation.

20Tout professionnel peut s’adresser à la cellule départementale pour recueillir des éléments (dont dispose le juge) dès lors qu’il engage une intervention à la suite d’une saisine judiciaire.

21Le droit fait principalement référence aux père et mère, détenteurs de l’autorité parentale. Mais il est possible de tenir compte de l’ensemble des membres de la famille recomposée. Il est important d’interroger et de trouver le sens des choix qui sont faits dans ce domaine, y compris par la famille.

Se préoccuper de la continuité des parcours

22La succession et la multiplication des mesures peuvent provoquer l’incompréhension des familles. Il est important que les éducateurs développent des pratiques visant à limiter le risque de morcellement et à maintenir un cadre rassurant pour les familles.

23Pour cela, il est nécessaire :

  • de communiquer sur ce qui a été fait par chaque intervenant (et pas seulement sur les familles) ;
  • de ne pas disqualifier les interventions précédentes ;
  • de faciliter, autant que faire se peut, la continuité au-delà de la mesure des relations avec certains intervenants qui se sont beaucoup investis ;
  • de favoriser un retour d’informations aux personnes qui ont accompagné la situation.

La place fondamentale des parents en matière d’investigation

24La mesure judiciaire d’investigation éducative (mjie) a été créée par la circulaire d’orientation du 31 décembre 2010 et l’arrêté du 2 février 2011.

25Dans le champ civil comme dans le champ pénal, l’investigation auprès d’un mineur et de sa famille est une démarche dynamique. Elle encourage le professionnel à associer étroitement la famille du mineur au déroulé de la mesure, afin qu’elle repère elle-même ses propres ressources et potentialités et qu’elle envisage ses propres réponses.

26La mjie n’est pas susceptible d’appel et s’inscrit dans un cadre procédural pouvant porter atteinte aux libertés individuelles du mineur comme à celles des détenteurs de l’autorité parentale. En effet, dans le cadre civil, compte tenu des compétences des conseils généraux et des dispositions de l’article L 226-4 du Code d’action sociale et des familles (casf), de l’existence des mesures d’évaluation en protection administrative, le rôle de l’investigation judiciaire porte dorénavant sur des situations déjà connues des services sociaux et qui présentent une particulière complexité.

27En conséquence, les enjeux en termes de libertés individuelles sont d’autant plus importants et renforcent la nécessité d’un positionnement très clair au regard du cadre judiciaire contradictoire.

28Ainsi, les conclusions de l’investigation doivent être systématiquement exposées aux intéressés et discutées avec eux avant d’être adressées au magistrat. Cette phase de restitution est primordiale.

29En matière pénale, ce qui est au centre, c’est l’adolescent et son acte, et la procédure qui en découle obéit au formalisme du droit pénal des mineurs.

30Mais le parent reste parent lorsque son enfant a transgressé la loi et cela le concerne.

31La circulaire d’action d’éducation dans le cadre pénal du 2 février 2010 réaffirme la place des parents et la nécessité de les impliquer tout au long de la procédure et dans le déroulé des mesures éducatives. Toute action d’éducation doit se faire avec les parents et doit les impliquer, depuis l’élaboration du projet individuel jusqu’à sa mise en œuvre, et son évaluation régulière qui mène à la formation de propositions destinées aux juridictions, « en s’appuyant sur leurs ressources propres, leurs capacités, et en leur rappelant leurs droits et leurs devoirs ».

32À ce titre, on doit s’interroger véritablement sur l’absence d’un des deux parents aux convocations ou aux audiences, en allant au-delà de la ou des premières raisons invoquées par le parent présent. Il peut y avoir une raison particulière et valable à une absence, il y a surtout des fonctionnements familiaux singuliers qui méritent d’être repérés pour ne pas les accentuer. L’absence d’un parent n’est jamais indifférente à un enfant ou un adolescent.

33Lorsqu’un mineur est placé, ses parents restent détenteurs de l’autorité parentale. L’anesm a publié en septembre 2009 un document à l’usage des professionnels intitulé : « L’exercice de l’autorité parentale dans le cadre du placement ».

34Ce document encourage toutes les initiatives qui associent les parents au placement de leur enfant et qui visent à développer les contacts : les éducateurs sont encouragés à faire visiter le lieu de placement aux parents, ou à inviter régulièrement les parents lors des réunions, dans le but d’apaiser les conflits.

35En matière d’éducation par exemple, des choix continuent à incomber aux parents (choix d’un lycée, redoublement ou pas, etc.).

36L’accueil dans un lieu de placement est un moment privilégié pour aborder les questions de santé et appréhender la façon dont les détenteurs de l’autorité parentale y répondent. Le carnet de santé, propriété des parents, est un atout précieux pour repérer un fonctionnement familial et engager une action d’éducation [1].

Préparer les séparations ou placements

37Même quand une mesure de séparation du mineur avec son milieu familial est nécessaire, sa préparation peut limiter les effets psychologiques négatifs de celle-ci. Elle peut consister dans une présentation ou une visite préalable de l’institution, une rencontre des personnes qui vont suivre le jeune, un aménagement avec les parents de certains aspects de la prise en charge, un rappel de l’aspect réversible de la mesure, etc.

38Même s’il est toujours vécu difficilement, il est nécessaire que le discours général tenu sur le placement évolue en mettant en avant :

  • son aspect réversible (rien n’est définitif) ;
  • le soulagement qu’il peut amener dans une situation difficile ;
  • le maintien des liens qui y sera organisé ;
  • le maintien des prérogatives de l’autorité parentale.
Même si les parents ont de grandes difficultés sur certains aspects de l’accompagnement quotidien de leurs enfants, on peut les solliciter sur d’autres dimensions. Dans les établissements ou les familles d’accueil, de multiples idées peuvent ainsi rendre possible la contribution des parents au quotidien de leur enfant.

Être attentif aux potentialités et ressources

39Même s’il est banal de le dire, il est important de ne pas se contenter de s’intéresser à ce qui ne va pas, mais aussi d’identifier les ressources, les compétences ou potentialités.

40Quelles sont les réponses que les parents ont eux-mêmes cherché à apporter ? Sur quoi ont-ils pris appui ? De quelle manière les parents se préoccupent-ils de leur enfant ?

41Il est toujours possible de rechercher les personnes mobilisables dans la famille élargie. Trouve-t-on, dans la famille proche, des personnes pouvant jouer un rôle de relais, accueillir l’enfant à certains moments ?

42Être attentif aux ressources et potentialités d’une famille suppose une réflexion systématique au sein d’une équipe et nécessite un travail interdisciplinaire. Quand les difficultés sont importantes, c’est en posant ou en se posant explicitement la question qu’on peut trouver une réponse.

La visite à domicile : une pratique professionnelle qui s’élabore

43La visite à domicile est inhérente à la prise en charge éducative ; à cet égard, elle est souvent présentée aux éducateurs et assistants de service social, notamment en début de mesure, comme un « passage obligé ».

44Elle peut constituer une intrusion dans l’intimité familiale dont il s’agit de mesurer les enjeux.

45La visite à domicile expose plus qu’ailleurs le professionnel à la déstabilisation ; il va « au-devant ». Ce volontarisme active des appréhensions fortes, d’autant que l’intervenant se retrouve pris dans le paradoxe du nécessaire respect de la sphère privée et du débusquement du danger pour l’enfant, ou l’adolescent en difficulté.

46Elle permet l’évaluation des conditions de vie du mineur et de sa famille, la prise en compte de leur environnement et l’évaluation d’un risque de danger éventuel au domicile.

47La visite à domicile ne peut pas être engagée sans objectifs maîtrisés ; il convient en amont de les travailler avec une méthodologie rigoureuse, suffisamment partagée par le groupe des professionnels que constitue l’équipe interdisciplinaire, et communiquée à la famille.

Changer de regard

48Changer de regard sur la place faite aux parents, aux détenteurs de l’autorité parentale, à la famille est essentiel pour que les propositions de travail ne soient pas traitées comme des « recettes », des solutions magiques, ou des obligations qu’il suffit de respecter a minima. Car tout cela revient à les disqualifier et les faire échouer.

49Il n’y a là aucun angélisme sur les difficultés du travail avec les parents et les familles mais la conviction et l’expérience que le travail réalisé est ainsi meilleur et plus proche des missions que la collectivité a confiées à tous ceux qui interviennent dans l’action d’éducation au sein du cadre judiciaire.

50Mais changer de regard, c’est aussi maintenir constante sa réflexion sur la continuité du lien familial. Tout professionnel connaît au quotidien des situations familiales inextricables, très perturbantes voire toxiques pour les enfants.

51Dans les situations familiales extrêmes, où la protection des mineurs nous semble primordiale, ne devons-nous pas parfois mettre en place une certaine distance entre les parents et leurs enfants, pour permettre aux uns de prendre soin d’eux-mêmes et aux autres de se construire et d’avancer ?


Date de mise en ligne : 31/05/2013

https://doi.org/10.3917/lcd.055.0019

Notes

  • [*]
    Isabelle Coma est éducatrice et rédactrice, au bureau des méthodes et de l’action éducative de la sous-direction des missions de protection judiciaire et d’éducation, au sein de la direction de la Protection judiciaire de la jeunesse.
  • [1]
    Voir guide Parents, familles, document technique n°?7, « La prise en compte de la santé des mineurs faisant l’objet d’une intervention judiciaire ».

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