Notes
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Mireille Stissi, chef du bureau des partenaires institutionnels et des territoires (K3), sous-direction des missions de protection judiciaire et d’éducation.
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Cellule (départementale) de recueil (et de traitement) des informations préoccupantes (article L226-3 du csaf).
1La signature par le garde des Sceaux, le 6 mai 2010, d’une circulaire d’orientation relative au rôle de l’institution judiciaire dans la mise en œuvre de la réforme de la protection de l’enfance invite les différentes composantes de la Justice à prendre une part active dans les évolutions nées de la loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance à laquelle elle se réfère. Avec cette loi en effet, s’écrit une nouvelle page de l’histoire du système français de protection de l’enfance, système à double entrée : l’une administrative, l’autre judiciaire. Il ne s’agit pas d’un simple pas franchi, mais d’un véritable tournant puisqu’elle porte l’ambition d’en finir avec la simple juxtaposition des deux cadres d’intervention en matière de protection de l’enfance en s’attachant à préciser les rôles respectifs de l’un par rapport à l’autre.
2Retours sur quelques étapes de l’histoire de la place de la justice dans ce système.
31945-1958 : la protection judiciaire pour le seul mineur délinquant
4Jusqu’à l’Ordonnance de 1958, c’est paradoxalement lorsque le mineur a commis un acte de délinquance qu’il est le mieux protégé par l’intervention judiciaire. Les moyens d’éducation mis à la disposition du juge des enfants par l’Ordonnance de 1945 sont refusés à de nombreux enfants que leurs conditions de vie mettent en danger physique ou moral, que leur situation ou leur état prédestine à la délinquance et aux formes graves de l’inadaptation sociale.
51958-1984 : du cadre administratif au cadre judiciaire : des compétences étatiques
6C’est l’ordonnance de 1958 relative à la protection de l’enfance et de l’adolescence en danger, qui fonde la protection judiciaire civile des mineurs, refond une législation morcelée et modernise ses dispositions en les regroupant en un seul texte. Les services de l’Éducation surveillée, puis de la pjj, prennent leur part de la prise en charge des mineurs en assistance éducative, ce qui va favoriser le développement et la diversification des méthodes de l’action éducative. Cette double compétence (civile et pénale) se construit en miroir avec celle des juges des enfants, emblématique d’un regard croisé posé sur l’enfance en difficulté.
7Deux administrations de l’État, la dass et l’Éducation surveillée, tracent les contours d’une protection de l’enfance à deux versants : l’un administratif, l’autre judiciaire.
81984-2007 : avec la décentralisation, l’ancrage de la protection de l’enfance au sein d’une action sociale territorialisée
9La décentralisation des compétences de l’État en matière d’action sociale et de protection de l’enfance bouleverse profondément la configuration des acteurs, les circuits de décision, les structures, les financements. La dimension territoriale prend toute sa place avec le rapprochement entre les lieux de définition des politiques et les populations et problématiques qu’elles concernent.
10Vingt ans plus tard, force est de constater que des progrès fondamentaux restent encore à faire. Les travaux consultatifs préparatoires à la loi de 2007 vont dresser un tableau à la fois critique et mobilisateur pour l’ensemble des acteurs de la protection de l’enfance, judiciaire comme administrative : le placement comme réponse quasi indistincte aux situations de danger et aux situations de précarité sociale, des pratiques non renouvelées dans les relations aux familles, des parcours d’enfants fragmentés par des logiques d’institution, un dispositif de prévention trop éloigné des besoins, des articulations insuffisantes à produire la connaissance et le traitement des situations.
11Ces constats, égrenés dans le rapport d’inspection « Naves-Cathala » (2000) puis dans celui des sénateurs Louis de Broissia et Philippe Nogrix (2004), malheureusement suivis de la période noire des procès d’Angers, de Drancy et d’Outreau, en 2004-2005, viennent sceller les grands axes de la réforme : clarification des cadres d’intervention, administratif et judiciaire, identification du circuit de signalement et diversification des modes de prises en charge.
122007-2010 : Les temps de la clarification des champs de compétence au sein du dispositif de protection de l’enfance
13Sur cette base, le rôle de la Justice des mineurs en protection de l’enfance est clairement repéré : l’autorité judiciaire se voit confier, de façon encore plus explicite, les situations les plus complexes car les plus litigieuses ou les plus graves en termes de danger subi par les enfants. Cette évolution est un vrai défi, d’une part pour le parquet, dont le rôle de filtre à l’entrée dans le système de protection de l’enfance appelle un renouvellement de la collaboration avec les services des conseils généraux, au travers de la constitution des crip [1] ; d’autre part pour le juge des enfants dont l’activité est désormais consacrée exclusivement à des situations graves, conflictuelles, et qui doit préparer au mieux le passage vers la protection administrative dès qu’est restaurée la capacité de la famille à consentir à une aide, dans une approche « réversible » de l’intervention judiciaire vers l’intervention administrative ; et enfin pour les services intervenant dans le cadre de la décision judiciaire, qui doivent adapter leurs méthodes à ces situations graves, notamment celles des adolescents et des familles les plus réticents à se saisir d’une aide, même contrainte.
14Pour autant, cette clarification des rôles et des interventions voulues dans les dispositions de la loi ne saurait signifier la séparation des acteurs car elle serait gravement préjudiciable à la qualité de la prise en charge des mineurs et des familles.
15La circulaire invite fortement à renouveler la coordination de la protection administrative et de la protection judiciaire, de l’action éducative au civil et de l’action éducative au pénal.
16Dans ce cadre, l’institution judiciaire a un rôle déterminant à jouer au sein des protocoles de traitement des informations préoccupantes et des signalements, mais aussi au sein des observatoires de la protection de l’enfance. Ce sont en effet deux lieux pensés par le législateur pour accompagner la modernisation de l’ensemble du système : faire en sorte que les modalités de prévention puissent intervenir plus tôt dès que les difficultés apparaissent, diversifier les modes d’accompagnement, faire évoluer les pratiques professionnelles. Cela implique que les parcours des enfants et des adolescents soient envisagés d’emblée dans une globalité, dans une cohérence de la réponse sociale et éducative, qui ne fige plus le traitement de problématiques complexes dans un seul type de réponse.
17La loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance n’a pas fini de produire ses effets. Trois ans après son vote, la circulaire Justice du 6 mai 2010, seule circulaire relative à la protection de l’enfance signée par le Garde des Sceaux depuis deux décennies, vient acter le nouveau rôle de la Justice en la matière.
18Deux « messages » inscrits dans ce texte résonnent particulièrement aux oreilles des professionnels : le principe de l’inclusion du champ du traitement de la délinquance comme partie intégrante de la protection de l’enfance et son corollaire, celui de la constante de l’objectif d’éducation, que l’on intervienne dans un cadre judiciaire civil ou pénal… une autre façon de rappeler ce qu’affirmait déjà le préambule de l’ordonnance de 1945 : « Il est peu de problèmes aussi graves que ceux qui concernent la protection de l’enfance, et, parmi eux, ceux qui ont trait au sort de l’enfance traduite en justice. »
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Mireille Stissi, chef du bureau des partenaires institutionnels et des territoires (K3), sous-direction des missions de protection judiciaire et d’éducation.
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Cellule (départementale) de recueil (et de traitement) des informations préoccupantes (article L226-3 du csaf).