Couverture de LCD_042

Article de revue

Les sens de la médiation

Pages 67 à 69

Notes

  • [1]
    kaës (René), « Médiation, analyse transitionnelles et formation intermédiaires » in chouvier (Bernard), (dir.), Les processus psychiques de la médiation, éd. Dunod, Paris, 2004.
  • [2]
    rasse (Paul), « La médiation, entre idéal théorique et application pratique », Recherche en communication n° 13, 2000.
  • [3]
    delcambre (Pierre), « Penser les pratiques culturelles en se saisissant du concept de médiation », Études de communication n° 21, 1998, p. 137.
  • [4]
    dufrêne (Bernadette), gellereau (Michèle), « La médiation culturelle. Enjeux professionnels et politique », Hermès n° 38, 2004, p. 199 à 206.
  • [5]
    Cf. note 2.
  • [6]
    laurent (Jeanne-Marie), vinatier (Isabelle), « Médiation, enseignement, apprentissage » in La nouvelle revue de l’adaptation et de la scolarisation, n° 42, juillet 2008.

1Ils sont deux. Deux formateurs qui mettent en scène quatre acteurs : le jeune, la société, le média et le médiateur. Un texte avec beaucoup d’humour, pour faire [aussi] la transition entre Winnicot et Vygotski.

2Il est en de nombreux sujets comme du temps : tout le monde en a une expérience, mais partage une difficulté certaine à le définir concrètement. À la Protection judiciaire de la jeunesse, le faire avec compte parmi ces notions qui font consensus dans l’action, mais sans aucune définition formelle. Dans le même champ lexical, le terme de « médiation » renvoie bien plus à une réalité partagée par tous qu’à un enjeu d’explicitation. Si ce mot est commun à tous les personnels de l’administration pjj, et s’associe à des activités dans lesquelles chacun se reconnaît, il recouvre dans d’autres sphères du travail social des pratiques et des paradigmes bien différents. Les sciences de l’information et de la communication, en questionnant la médiation culturelle, ou les sciences de l’éducation, qui s’intéressent à la remédiation et à sa dimension pédagogique, participent à cette mise en perspective d’une notion dont on croit tout savoir. Comme René Kaës, [1] la pjj, dans son (in)conscient collectif, rapproche la question de la médiation de l’hypothèse winnicottienne de l’espace transitionnel. L’activité mise en œuvre par un éducateur, le temps et l’espace dédié à la prise de contact, à la relation, c’est bien cela le médiateur. Par ce dispositif tiers, qui génère un « conflit natif entre le différé et l’immédiat, entre le continu et le discontinu, entre la terreur et la pensée », l’intersubjectivité se fait jour, et avec elle, un accès partiel, partial, à la réalité intrapsychique. L’art, le sport, éventuellement la scolarité, deviennent condition et voie d’accès à la complexité et à la souffrance des jeunes les plus en difficulté. Ce qui est recherché est un « effet de langage », qui permet l’expression à soi et aux autres de ses douleurs. Le média se veut alors liaison et symbolisation.

Une structuration de l’espace public

3Mais ce dispositif, où se lient dynamiquement une activité, un passeur et un public tout autant difficile qu’en difficulté, peut se lire autrement. Ainsi, la médiation est un objet essentiellement appréhendé par les sciences de l’information et de la communication du point de vue culturel. La médiation postule évidemment l’intercession d’un tiers (homme, dispositif technique, culturel, etc.) entre deux éléments. Sur le plan conceptuel, la médiation serait ce processus par lequel le singulier et le collectif se relieraient, ou encore le liant entre sensible et symbolique [2] (Rasse, 2000). Le concept de médiation fait appel à d’autres notions qui sont couramment convoquées pour préciser la terminologie : à travers les termes de convivialité, de rencontre et d’échange, elle est du côté de la prospérité intellectuelle afin de « donner du sens aux projets des hommes ». [3] Jean Caune élargit la médiation à l’histoire individuelle et collective, qui relie les hommes aux générations passées, à travers l’héritage, le patrimoine et leur permet de se projeter dans l’avenir. Elle est considérée comme une « mise en rapport entre ce qui est et ce qui devient ». Elle est essentiellement tournée autour de la construction du lien social, [4] assurant même une certaine cohésion, et participant ainsi à la structuration de l’espace public dans le sens où elle mobilise et construit des repères communs.

4Il apparaît que la médiation culturelle n’a pas pour but premier de résoudre les problèmes de diffusion de la culture et de fracture sociale. Le sens du travail des médiateurs, tel que l’analyse les sciences de l’information et de la communication, est à ramener aux pratiques de terrain de la médiation culturelle, où, en effet, la médiation aurait à solliciter, fidéliser, éduquer, rééduquer, développer le désir, amener à comprendre, etc. [5] Elle serait enfin l’espace de communication où se joueraient de la négociation, de l’apprentissage, de la traduction, de l’explicitation, de la confrontation nécessaires à l’appropriation sociale, culturelle et politique des individus. Un autre aspect abordé par Paul Rasse est le principe de totalité du concept, « la médiation ne peut se limiter à cela, elle recouvre l’ensemble des dispositifs de communication des organisations culturelles saisies dans leur complexité ».

5De nombreux éducateurs se reconnaîtraient aussi dans ces missions du médiateur, telles qu’elles sont ici décrites. Des spectacles, des visites au musée, des découvertes, font partie des pratiques professionnelles en œuvre à la pjj. Loin des espaces transitionnels ; les professionnels, en foyer, en milieu ouvert, en unité éducative d’activité de jour (ueaj), accompagnent des jeunes en activité, mais aussi vers des activités. Comme le médiateur culturel, avec en partie les mêmes motivations, ils ouvrent les publics confiés vers de nouveaux horizons, de nouvelles appétences. Ils guident les jeunes vers ce que société et culture peuvent offrir, sinon vers la société elle-même.

L’accompagnement vers le savoir

6Les sciences de l’éducation posent sur la médiation le même type de regard, un regard que les professionnels de la pjj pourraient partager bien qu’on soit loin de son sens psychologique. De la médiation cognitive à la médiation didactique, de la médiation instrumentale à la résilience par médiation, le vocable est connu et les analyses pointues. [6] La référence théorique première n’est alors plus Winnicott, mais Vygotski. Celui-ci a en effet mis en lumière les rapports didactiques entre l’apprentissage dans le cadre d’interactions sociales et développement psychique. La transmission de savoir n’est pas la seule ni la plus pertinente des modalités pédagogiques. L’accompagnement vers le savoir, vers la maîtrise d’un support, d’une technique, d’un art, en est une autre, tout aussi importante. Si l’éducateur dit, si l’éducateur montre, il faut aussi que l’éducateur fasse avec pour que l’espace de médiation se construise. Accompagné, l’apprenant prend confiance en lui, certes par le dialogue qui se crée et qui laisse vivre ses pensées, mais aussi par la satisfaction d’un obstacle franchi, d’une chose apprise, d’un geste enfin acquis. Comme l’évoquent et l’étudient les sciences de l’information et de la communication, vraiment centrales dans la question de la médiation, ce sont les systèmes de communication, les conditions de l’énonciation, les interactions qui vont être déterminantes dans la manière d’appréhender cet objet.

Quatre acteurs

7Mais ce n’est pas une opposition qu’il faut construire entre médiation psychique et médiation pédagogique. Si les mots sont les mêmes, c’est que les dispositifs sont semblables. Sur une unique scène, on retrouve toujours les quatre mêmes acteurs. Mais le jeu entre eux diffère. Les jeunes sont là, objets de toutes les attentions. Le public, à la fois société et culture, est pour une fois, de par ces attentes, acteur à part entière. Car, comme tout spectacle, c’est une rencontre entre lui et les jeunes, acteurs eux aussi, qui est attendue. Les professionnels de la pjj, sur scène tiennent un rôle actif, au même titre que l’activité médiatrice. Si Winnicott est le metteur en scène, l’activité prend place entre le jeune et l’éducateur et fait lien entre eux. L’activité devient média et permet l’élaboration d’un cadre structurant de découverte et de travail sur soi. Qu’on laisse la main à Vygotski, ou à Bruner, et la pièce devient tout autre. Le média disparaît pour faire place au médiateur, et c’est l’adulte qui devient lien entre l’adolescent et l’activité, et par là entre le jeune et la société. Le dispositif est bien le même, mais son organisation, son économie, diffèrent. La dynamique entre les acteurs change, et le statut du média aussi. D’activité prétexte, il devient – et la mesure d’activité de jour interroge en ce sens le processus de médiation – objet de la prise en charge éducative.

Sens divergents et d’intérêts communs

8Le constat fait de sens divergents et d’intérêts communs à ces deux types de médiation, la tentation est forte de partir en quête d’une définition unique, apte à décrire cette communauté de pratique. Mais comment fusionner une dimension psychologique, un rôle dévolu aux enseignants, une certaine idée de la diplomatie et une volonté de réparation sous un terme unique ? Comment sans réduire, sans minimiser, décrire une pratique au cœur des métiers et du quotidien des professionnels éducatifs ? Il convient au contraire d’accepter, d’assumer la polysémie. La qualité des pratiques médiatrices dépend en effet de leurs diversités, en termes de dispositifs comme en termes d’objectifs. Encore fautil en formation expliciter cette polysémie. De l’expérience vécue par les éducateursstagiaires en atelier de médiation éducative aux enseignements qualifiants, en sport ou en informatique, disponibles en formation continue, la gamme des propositions de travail, des séquences d’apprentissage autour des médias est vaste. Un continuum est à construire, à expliciter par les formateurs pour que la médiation soit perçue pour ce qu’elle est : une activité indispensable aux pratiques éducatives, multiple dans ses objectifs, nécessitant à la fois écoute des jeunes et maîtrise pédagogique des médias. Les pratiques professionnelles d’accompagnement des adolescents doivent prendre ancrage dans une didactique des activités de médiation, où progressivité et scénarios pédagogiques sont abordés. Mais ces séquences ne prendront sens que dans la perspective toujours à renouveler d’une rencontre avec le jeune, une rencontre où celui-ci s’autorise la mise en mots.

9La médiation est média. Elle est aussi remède. Et celui-ci est à large spectre. L’approche ne peut être que globale et une définition du mot ne saurait en effacer une autre.

Notes

  • [1]
    kaës (René), « Médiation, analyse transitionnelles et formation intermédiaires » in chouvier (Bernard), (dir.), Les processus psychiques de la médiation, éd. Dunod, Paris, 2004.
  • [2]
    rasse (Paul), « La médiation, entre idéal théorique et application pratique », Recherche en communication n° 13, 2000.
  • [3]
    delcambre (Pierre), « Penser les pratiques culturelles en se saisissant du concept de médiation », Études de communication n° 21, 1998, p. 137.
  • [4]
    dufrêne (Bernadette), gellereau (Michèle), « La médiation culturelle. Enjeux professionnels et politique », Hermès n° 38, 2004, p. 199 à 206.
  • [5]
    Cf. note 2.
  • [6]
    laurent (Jeanne-Marie), vinatier (Isabelle), « Médiation, enseignement, apprentissage » in La nouvelle revue de l’adaptation et de la scolarisation, n° 42, juillet 2008.
bb.footer.alt.logo.cairn

Cairn.info, plateforme de référence pour les publications scientifiques francophones, vise à favoriser la découverte d’une recherche de qualité tout en cultivant l’indépendance et la diversité des acteurs de l’écosystème du savoir.

Avec le soutien de

Retrouvez Cairn.info sur

18.97.9.171

Accès institutions

Rechercher

Toutes les institutions