1Comment le faire avec se met-il en pratique ? Et, que signifie le renouveau du faire avec ? Pour répondre à ces questions, nous avons laissé la parole à un trio de professionnelles exerçant dans trois strucures diffférentes : Mounya Djabourabi, éducatrice au centre de placement immédiat (cpi) de Strasbourg ; Élise Desjardins, professeure technique au centre d’action éducative et d’insertion (caei) de Villemomble et Nathalie Douais, éducatrice au centre d’action éducative (cae) de Saint-Malo. Nous vous livrons ce débat, riche d’idées, de prises de positions et… de nouvelles questions.
2lcd : Le dossier des Cahiers dynamiques s’intitule « Le renouveau du faire avec ». Tout le monde n’entend pas la même chose dans l’expression faire avec. Que signifie-t-elle pour vous ?
3mounya djabourabi : Cette expression me dérange un peu. Je travaille en hébergement. Je trouve cette expression faire avec un peu péjorative. Cela veut dire qu’on n’en a pas envie mais qu’on fait avec. Nous ne faisons pas avec. Nous faisons plutôt de l’accompagnement. Nous accompagnons les jeunes du réveil au coucher. C’est, pour moi, une dimension globale, un accompagnement global du jeune. C’est le quotidien, la prise en charge au niveau judiciaire. L’accompagnement est un tout. Les activités en font partie. Mais je ne fais pas avec quand je fais des activités avec les jeunes. J’essaie de leur apporter quelque chose de différent d’un entretien éducatif dans un bureau. Beaucoup de choses ressortent au cours des activités. C’est un espace de parole.
4élise desjardins : Étant professeure technique, je peux dire que cette expression revient sans cesse dans notre formation quand on parle de l’activité. J’ai pensé au faire avec dans l’activité et non à « malgré ». Dans les activités, on fait parfois avec les jeunes. Pour moi, cela veut dire participer à l’activité proposée aux jeunes au même titre qu’eux, même si ce n’est pas forcément à la même place. Sauf que, dans les activités, on ne fait pas toujours avec les jeunes, c’est-à-dire qu’on laisse faire, qu’on fait faire, qu’on accompagne. L’idée de « renouveau du faire avec » m’inquiète un peu dans la mesure où cela inciterait à penser que l’on peut tout faire avec les jeunes et qu’il est intéressant d’être constamment avec eux. Dans le faire avec constamment n’y aurait-il pas l’idée de combler tout le temps, de surveiller ? Je crains un peu ça dans l’expression le renouveau du faire avec.
5nathalie douais :Au sein de notre équipe, nous avons également ce questionnement en ce moment. Que met-on derrière le terme « renouveau » ? La richesse de la pjj est d’avoir des services très diversifiés, des services d’insertion, de placement, de milieu ouvert. Pour ma part – je parle du milieu ouvert – les jeunes ont eu des parcours difficiles. Notre travail consiste à les faire aller vers l’extérieur. Pour de multiples raisons, ces jeunes manquent de confiance en eux. Le faire avec a toujours existé et il faudrait savoir ce que l’on met derrière le mot « renouveau ». Notre travail en milieu ouvert consiste à essayer de les sortir, à leur redonner goût à aller vers l’extérieur. C’est une première étape.
6lcd : Dans la pratique, dans le faire avec, qu’est-ce qui distingue un professeur technique d’un éducateur ? Au niveau pédagogique, y a-t-il des différences ?
7mounya djabourabi : Nous avons la même mission. Mais je n’ai pas la même expérience. J’ai, par exemple, mis en place un atelier cuisine dans la structure. Mais je ne suis pas une « pro » de la cuisine. J’essaye d’appliquer des recettes, de faire des gâteaux, quelque chose d’assez basique.
8élise desjardins : Les professeurs techniques ont un domaine de compétence. Ils ont des spécialités de base. Notre formation pédagogique est plus axée sur des activités auxquelles nous avons réfléchi. En gros, nous voyons les adolescents vingttrois heures par semaine. Ce ne sont pas des activités ponctuelles mais menées sur du long terme. Nous travaillons avec une éducatrice. Elle peut mener des activités scolaires, comme je le fais. Mais elle, avec sa formation d’éducatrice, aura un regard différent. La richesse est là. La formation d’un professeur technique, celle d’un professeur des écoles de l’Éducation nationale et celle d’un éducateur, ne donnent pas les mêmes regards. Mais cela se coordonne très bien et c’est très intéressant, quand nous discutons de ce qu’a fait un jeune, de ne pas avoir les mêmes analyses, les mêmes réflexes. Mon travail est plutôt de concevoir les activités et les séquences pédagogiques, mais les éducateurs peuvent en concevoir aussi en fonction de leur parcours personnel.
9nathalie douais : En milieu ouvert, quand nous présentons un jeune au service d’insertion, c’est surtout pour de l’étayage, pour que le jeune reprenne confiance en lui. Il aura face à lui un adulte qui, de sa place, va voir ses capacités, lui redonner le goût de faire, de reprendre un rythme. En tant qu’éducatrice en milieu ouvert, je laisse mes collègues d’insertion créer le lien avec le jeune. Je n’interviens que si des difficultés importantes apparaissent ou pour faire un premier bilan. D’où l’importance de ne pas tout faire, sinon quel sens cela aurait-il pour le jeune ? Pour les parents, savoir qu’il y a un professeur qui vaapprendre des choses au jeune… C’est une bonne clef pour nous.
10élise desjardins : Beaucoup de jeunes arrivent dans les ateliers de la pjj, en caei, avec la difficulté, pour eux, de ne pas être dans une école normale. Ils ne sont plus, ni au collège, ni à l’Éducation nationale. Le fait d’avoir des professeurs rassure énormément, et les familles, et les jeunes. Qu’il y ait un éducateur à côté ne les dérange pas. Il y a une reconnaissance de la norme quand on dit qu’il y a un professeur.
11lcd : Est-ce que l’objectif du faire avec, pour un professeur technique, est l’apprentissage ? Et, les éducateurs ? Ont-ils le même objectif ?
12élise desjardins : Ce n’est pas forcément pour que le jeune apprenne. Quand on est professeur technique à la pjj, dans un service d’insertion, l’apprentissage est un support. Je pense que nous travaillons beaucoup plus, en amont, sur la revalorisation, sur le fait de réussir à faire quelque chose, atteindre un but. L’apprentissage est derrière. Ce n’est pas forcément la visée principale.
13nathalie douais : J’ai entendu un professeur technique dire qu’il ne laissait jamais à un jeune dire qu’il était nul. Pour la plupart des jeunes, il faut un long cheminement. La qualification est une finalité mais, en amont, il y a un long travail de mise en confiance. Il leur faut aussi retrouver un rythme. En revanche, il y a un engagement minimum à tenter de tenir auprès de chaque jeune, tel que celui de venir tel ou tel jour pour tel ou tel type d’activité.
14mounya djabourabi : Il y a aussi une différence entre l’éducateur en milieu ouvert et celui en hébergement. Pour nous, centre d’hébergment, la pratique d’activités sert aussi à valoriser le jeune. Nous avons des jeunes déscolarisés. Nous avons la chance d’avoir le plateau de l’ueaj [Unité éducative d’activité de jour] qui nous aide beaucoup. Mais tous les jeunes n’y sont pas inscrits. Je pense que la relation adulte-jeune ne va pas être la même avec le professeur technique, l’éducateur en milieu ouvert et celui en hébergement. Je vois pratiquement tout le temps les jeunes et je fais partie de leur quotidien.
15Mais nous avons plusieurs missions en hébergement. Ce matin, j’étais au tribunal. Cet après-midi, j’animerai le ciné-club.
16élise desjardins : En insertion, la différence c’est que nous travaillons sans les mesures judiciaires. Quand les jeunes viennent au caei, ce n’est pas une obligation. C’est l’éducateur qui leur propose. Nous avons un champ et un domaine de compétence dans lequel le jeune doit pouvoir évoluer, faire des stages, etc. Mais le rapport au juge ne nous appartient pas. L’éducateur va intégrer dans son écrit ce que nous allons dire au bilan. Nous n’avons qu’une seule casquette, celle de l’insertion, de l’activité qui mène à l’insertion. C’est assez différent. Il y a forcément un objectif de transmission de savoirs mais, ce qui importe avant tout, c’est que les adolescents viennent au moment où ils doivent venir, qu’ils accrochent à l’activité, qu’ils reprennent un rythme, qu’ils n’aient pas peur de mal faire. S’ils prennent confiance en eux, rapidement l’apprentissage va de pair, un certain nombre de choses se débloque. La différence entre éducateur et professeur technique se trouve simplement dans l’entrée que nous pourrons avoir, du fait d’une formation différente.
17lcd : On parle d’activités de médiation éducative, les ame. Pour le professeur technique, est-ce que cela fait partie du vocabulaire professionnel ?
18élise desjardins : Je pense que ça fait partie de notre vocabulaire professionnel. Les professeurs techniques sont un élément de l’action éducative globale, plutôt menée par le milieu ouvert et l’hébergement. Nous avons une spécificité, mais qui contribue à l’action éducative, avec une place particulière, des activités précises et un accompagnement dans le temps. Nous contribuons à l’action éducative par un regard spécifique. Par exemple, je pense que les professeurs techniques ne sont pas des pros de l’entretien avec les jeunes. Quand j’entends dire qu’il faut passer du « face à face » au faire avec, je me dis qu’on ne peut pas opposer les deux. On ne peut pas dire qu’il ne faut que de l’entretien et du face à face, ou que du faire avec. Je pense qu’il y a des moments pour les jeunes où l’entretien va être important. Les éducateurs ont des techniques d’entretien. Je ne pense pas qu’il faudrait donner plus d’importance à l’un qu’à l’autre. Nous pouvons en tant que professeur technique, apporter aux collègues du milieu ouvert et au juge des informations sur les compétences du jeune, comment les mettre en valeur.
19nathalie douais : Pourquoi les jeunes vont-ils à l’insertion ? En milieu ouvert, nous sommes dans la pesanteur de l’histoire familiale et nous sommes là sur la durée. Bien souvent nous avons été témoins des difficultés scolaires. En fonction de chaque jeune, le temps est différent pour les amener à l’insertion. Nous le travaillons. Nous ne pouvons pas l’obliger à y aller parce que cela ne fonctionnerait pas. Je trouve que les jeunes savent bien faire la différence. C’est important que les lieux soient bien différents. En milieu ouvert, nous ne les voyons pas tous les jours.
20lcd : Est-il facile, concrêtement, de mettre en place des activités ?
21mounya djabourabi : En hébergement, c’est assez facile quand ce sont des activités qui ne nécessitent pas énormément d’argent, comme la cuisine. Quand on demande quarante euros par semaine pour aller faire les courses, ça va. Pour le cinéclub, une fois par mois, nous n’avons eu aucun problème pour obtenir un nouveau projecteur. Mais, s’il faut faire intervenir un professionnel ou un artiste, il y aura un peu plus de difficultés.
22élise desjardins : Auparavant, nous avions un financement du Fonds social européen mais maintenant, il ne donne de l’argent que pour les activités professionnalisantes. Cela nous permettait notamment de payer des intervenants. Quand on fait de la radio, un intervenant journaliste coûte cher. Aujourd’hui, nous sommes un peu bloqués. On peut encore faire des projets un peu coûteux mais il faut faire attention et c’est parfois un peu compliqué.
23lcd : Au niveau de l’équipe, est-ce une pratique partagée de faire des activités avec les jeunes ? Y a-t-il des blocages ?
24mounya djabourabi : Pas du tout. Au contraire. Cela fait du bien à l’équipe et du bien au jeune. Mais tout le monde ne met pas en place des activités au cpi. Pour la cuisine ou le ciné-club, il y a toujours des éducateurs qui participent. L’éducateur en service pendant l’atelier cuisine essaie de participer en demandant aux jeunes ce qu’ils ont fait et comment. Nous avons invité le directeur du foyer au ciné-club, qui a lieu une fois par mois. Ce sont des films avec une véritable histoire dont on peut débattre ensuite. Après le film, il y a un petit goûter. Quand le directeur vient, cela fait du bien aux jeunes de le voir participer au débat, donner son avis. Que quelqu’un de la direction se déplace et participe avec les jeunes, change beaucoup de choses.
25nathalie douais : La majorité, mais pas tous, y trouve un intérêt. Cela demande de l’énergie pour être mis en place. Bien souvent on prévoit quelque chose et on se retrouve avec beaucoup moins de jeunes que prévu. Il y aussi l’aspect des déplacements. Quand il faut une heure et demie, aller et retour, pour accompagner un jeune… Et ce sont souvent des jeunes très isolés qui ont besoin de sortir de leur famille. Les possibilités, pour un camp par exemple, sont limitées et c’est bien dommage qu’il y ait moins cette possibilité de faire des séjours. Pourtant, lorsqu’un placement est prévu, un camp permet de les éloigner de la famille pour quelques jours. Pour moi, un service qui a des activités est un service qui va bien dans l’ensemble. J’ai remarqué que, quand un service va très mal, ne se sent pas sécurisé, il n’a plus goût à faire. Nous rencontrons des situations très lourdes, très anxiogènes. Le fait que des activités existent provoque un appel d’air. Même les collègues qui ne participent pas présentent des jeunes. Cela permet une respiration qui n’est pas négligeable. C’est peutêtre également le rôle du directeur d’y réfléchir et de faire émerger des idées…
26lcd : J’imagine que d’amener les jeunes à des activités, ou à l’insertion, ne doit pas toujours être facile. Est-ce que les jeunes viennent spontanément ?
27mounya djabourabi : Oui, et je ne me vois pas obliger un jeune à faire une activité. Il a suffisamment d’obligations, et je pense qu’il apprécie qu’on lui demande si ça l’intéresse. Pour la cuisine, je leur demande ce qu’ils veulent faire puis, nous invitons le directeur pour le goûter. Ils veulent tous savoir ce qu’il pense être le plus réussi. Cela les valorise énormément parce qu’on leur fait confiance, qu’on les responsabilise. Ils lisent la recette. Je donne les ingrédients. J’encadre mais je ne dis rien sur la façon de faire. J’essaie d’intervenir le moins possible pour les responsabiliser et les valoriser. Le plat que nous allons réaliser va toujours être goûté, soit par les membres de l’équipe, soit que nous l’apportions au Resto du Coeur. Et ça crée vraiment des liens. C’est important, surtout en hébergement.
28nathalie douais :Une association, Culture du cœur, permet de retirer des places de théâtre. Nous avons constaté que les jeunes retiraient des places mais n’y allaient pas sauf si on les accompagnait. Des collègues ont accompagné des jeunes voir une pièce de Molière. Une présentation de la pièce avait été effectuée au préalable dans le but de la rendre plus accessible. Ce sont souvent des jeunes qui restent chez eux ou dans leur quartier. Ou bien, quand ils vont à Paris, c’est toujours dans les mêmes endroits. Je pense que ce genre d’activité leur est accessible mais demande un accompagnement au préalable.
29élise desjardins : La plus grande difficulté, c’est la première fois. Une fois que le jeune est là, c’est à nous de l’intéresser suffisamment. La difficulté réside dans le premier contact, la première approche. Ensuite certaines choses ne sont pas négociables, comme le contenu de la séquence pédagogique. Si je prends l’exemple de l’activité radio que nous mettons en place, et qui est une activité ponctuelle sur une semaine, il n’est jamais arrivé qu’un jeune vienne le lundi et pas les jours suivants. La contrainte même de l’activité, c’est-à-dire le projet de réaliser une émission qui sera diffusée sur une radio professionnelle, l’oblige à rester parce qu’il s’est engagé collectivement dans un projet valorisant, ce qui fait qu’il revient pour aller jusqu’au bout de cette expérience. À nous de trouver des activités qui soient quelque peu inhabituelles, valorisantes, portées sur l’extérieur.
30lcd : On retrouve les mêmes idées, quelle que soit l’institution : valorisation du jeune, recherche de son adhésion et aussi relation avec l’extérieur.
31mounya djabourabi : Oui, et en hébergement, nous avons aussi besoin de l’insertion pour pouvoir bien travailler avec les jeunes. Quand le jeune revient de l’ueaj, nous le questionnons. Il va nous expliquer ce qu’il a fait. Ce travail fait à l’extérieur est important pour nous. Le jeune qui revient est toujours zen parce que valorisé. L’ueaj envoie des rapports au magistrat. Ce travail est très enrichissant. Par ailleurs, nous commençons à intervenir dans le cadre d’une maj [mesure d’activité de jour, NDLR]. Pour l’instant, c’est tout frais. Là, il s’agit d’une obligation. Nous avons une première réunion de synthèse avec les services concernés. Nous allons définir des axes de travail bien spécifiques par rapport à l’insertion. C’est essentiellement l’ueaj qui va mettre en place cette mesure. Pour l’instant, un mois d’observation a été proposé. À la fin de ce mois d’observation, le foyer va envoyer un rapport d’évolution concernant le comportement du jeune, le travail avec la famille et la santé. L’ueaj va également envoyer un bilan d’observation et proposer des objectifs de travail avec le jeune. Néanmoins, pour le jeune qui a une maj cela fait trois référents : un au cpi, un à l’ueaj et un en milieu ouvert, il est parfois un peu difficile de lui rappeler qui sont ses référents…
32élise desjardins : Cela pose question quand on travaille sur l’insertion. L’activité est un mot qui revient énormément. Que met-on derrière ce mot ? L’activité pour l’activité ne sert à rien. L’activité est un support à l’insertion. Quand on parle d’insertion, ça veut dire parcours, projet, mais aussi période de progression, absentéisme pendant deux mois, puis raccrochage à une autre activité. Il arrive qu’un jeune ne vienne pas pendant deux mois parce qu’il y a une difficulté tellement forte dans la famille que cela ne va pas être le moment. On le reprend après et on peut le changer d’atelier. Les jeunes, souvent, ne sont pas affectés à un atelier. Ils sont inscrits au caei. Cette souplesse, risque de ne plus exister avec la mesure d’activités de jour. Que va-t-on travailler quand il y aura des mesures d’activités de jour ? Est-ce qu’on va encore travailler à l’insertion ? Nous allons être dans un temps limité.
33Quand on travaille l’insertion, on n’est pas dans un temps limité. Nous pouvons même aller au-delà de la mesure. Un service de milieu ouvert, ou un hébergement, nous adresse un jeune. Si la mesure se termine, nous pouvons continuer, en tant que caei, parce que nous avons droit à 25 % de jeunes sans mesure.
34lcd : La formation (des professeurs techniques ou des éducateurs) vous a-t-elle apporté un savoir-faire ? Ou bien vient-il de vos convictions, de votre personnalité ?
35nathalie douais : Nous manquons parfois d’outils. C’est vraiment important de faire plaisir à des gamins qui ne vont pas bien. En formation continue, j’ai découvert des techniques qui ne sont pas très compliquées. Ces formations nous permettent de mieux en réaliser l’intérêt et de savoir le transmettre aux jeunes. Cela a peut-être changé, mais je trouve que, dans la formation de base, on n’apprend pas suffisamment ces petites techniques faciles à mettre en pratique.
36élise desjardins : Il est difficile de parler de l’amélioration de la formation des professeurs techniques, le recrutement ayant été arrêté !
37nathalie douais : Je trouverai regrettable qu’on ne recrute plus de professeurs techniques. Amener les jeunes vers une activité, c’est un tout. Un professeur permet aux jeunes d’acquérir des savoirs de bases, mais dans un ensemble qui a une logique, qui redonne aussi le goût à apprendre. S’il s’agit uniquement d’activités pour les occuper et que rien derrière n’est construit au niveau d’une réflexion professionnelle, ce serait dommage.
38lcd : Est-ce que l’idée d’institutionnaliser le faire avec, de l’inscrire dans l’emploi du temps du jeune, notamment en hébergement, va à l’encontre de ce que vous dites ?
39élise desjardins : Dans un hébergement, institutionnaliser des activités repérées dans la semaine, ressemble à de l’occupationnel. Pour travailler l’autonomie et la réalité de la vie, les activités internes trouvent rapidement des limites. Avec des emplois du temps où les jeunes doivent faire neuf heures de socle commun, quatre heures d’activités manuelles, tous les jeunes risquent d’avoir les mêmes emplois du temps ! Pour notre public, les choses doivent être individualisées.
40mounya djabourabi : Il faut que cela aille dans les deux sens, qu’il y ait un travail d’échange, pour parvenir à du positif. Si on lui dit ce qu’il doit faire, c’est clair qu’on se heurtera à un refus. Au cpi tous les jeunes ont un emploi du temps hebdomadaire affiché. Le jeune sait ce qu’il doit faire. Mais, même si on a affiché qu’il doit arroser le jardin, il ne le fera pas s’il n’en a pas envie.
41nathalie douais : Il faut laisser du temps, ne pas faire de l’activisme à tout prix. Un jeune sans aucune activité peut avoir envie au bout d’un moment de faire quelque chose. En hébergement, je trouve qu’il y a de plus en plus de jeunes qui ont des problèmes psy, de lourdes problématiques. Ce sont souvent des jeunes dont même l’hôpital ne veut pas. Il y a aussi l’effet de groupe. Même si je suis convaincue que faire des activités avec les jeunes est très positif, il me semble que ce doit être réfléchi, et aussi individualisé, pour que cela fonctionne. Parfois aussi les activités peuvent être mises en échec et on peut travailler sur cela. J’ai l’exemple concret d’un jeune multiplacé, rejeté de partout, ayant eu une formation spécialisée qu’il a mis en échec. À partir de cet « échec » j’ai pu retravailler avec lui, en lui montrant qu’il fallait réfléchir à un autre projet. Aujourd’hui, il travaille dans une boulangerie-pâtisserie.
42lcd : Une conclusion ?
43mounya djabourabi : J’ai juste envie de dire que les activités, ludiques ou sportives, sont très importantes, autant en hébergement qu’en insertion ou en milieu ouvert, mais avec un projet réfléchi et jamais dans l’obligation. Je pense qu’imposer quelque chose à un jeune ne marchera pas. C’est très important dans la vie du jeune, pour emplir ses journées, pour oublier ses problèmes. Mais on ne peut pas obliger un jeune pjj à faire des activités. On peut l’inviter mais pas l’obliger. Je pense que, dans le cadre de la formation des éducateurs, ce ne serait pas mal qu’il y ait un volet « activités », des petites activités comme le bricolage, qui permettraient de faire découvrir à des jeunes des activités simples.
44élise desjardins : Je pense que c’est la qualité, l’exigence et la contrainte de l’activité, qui vont faire que le jeune va se sentir obligé d’aller jusqu’au bout, d’accomplir une performance, plutôt que la contrainte d’un éducateur. Il faut que nous puissions faire preuve d’une certaine souplesse. Par contre, l’exigence c’est de proposer des activités valorisantes. Il y aura des contraintes, mais ce seront celles de l’activité.
45nathalie douais : L’activité est un support d’insertion, professionnelle, culturelle ou sportive, qui permet de reprendre confiance en soi. De découvrir aussi, un thème que nous n’avons pas tellement abordé, et de s’ouvrir sur l’extérieur. Mes collègues ont emmenés récemment des adolescents au Festival du film britannique de Dinard, voir un film sous-titré. Si on arrive à leur faire faire ça, c’est parce qu’il y a un étayage. Il y a tout un contexte pour leur donner envie de faire. Chaque professionnel a aussi des goûts personnels et sa propre expérience. J’ai eu une collègue dont la passion était le tir à l’arc. Pour un autre, ce sera la voile ou le théâtre. Il faudrait donner des moyens aux éducateurs qui ont des passions et qui souhaitent les transmettre aux jeunes.