1La prise en charge d’adolescents en grande difficulté impose bien souvent de pouvoir disposer de réponses multiples, favorisées par le développement d’un travail en réseau. Dans le Cantal, le réseau Ados 15 est né, il y a quelques années, d’une volonté de partenariat entre la Protection judiciaire de la jeunesse et les services de pédopsychiatrie. Sylvie Riveron, directrice départementale de la pjj de la Meuse depuis le 1er février 2008, après avoir été directrice départementale du Cantal, nous invite au cœur de ce dispositif de référence, auquel participent les unités éducatives de milieu ouvert du département.
2La circulaire du 3 mai 2002, commune à la santé et à la justice, a participé d’une prise en charge concertée des troubles psychiques des jeunes en difficulté. Ce texte a fixé la volonté des deux ministères d’un réel décloisonnement des interventions des différents professionnels.
3La nécessité d’une approche pluridisciplinaire et partenariale de la gestion des prises en charge des mineurs en grandes difficultés, reconnue par tous les professionnels, impose la recherche d’une cohérence, d’une complémentarité et de réponses multiples à la fois éducatives, sociales, médicosociales, judiciaires et/ou thérapeutiques.
4Les réseaux sont des espaces de lien et de coordination permettant la mise en commun organisée des compétences et la complémentarité des rôles. Un réseau ne se décrète pas : il doit correspondre à une dynamique locale suscitée par les acteurs sociaux, médico-sociaux, sanitaires et éducatifs eux-mêmes. Construire un réseau doit être encouragé par les décideurs institutionnels locaux (préfets, agences régionales de l’hospitalisation, présidents des conseils généraux…). Il convient, de fait, de noter l’importance d’une formalisation au niveau de ces institutions. Il est nécessaire que ces décideurs valident les objectifs communs dans lesquels le travail en réseau s’inscrit. Cette formalisation permet de garantir la pérennité et la continuité du travail développé par les professionnels à partir de leur volonté et de leur engagement.
Une volonté partenariale
5Le réseau Ados 15 est né d’une volonté de partenariat entre la Protection judiciaire de la jeunesse et les services de pédopsychiatrie pour répondre aux problématiques des jeunes dont la prise en charge alliait le soin, l’éducatif et le judiciaire.
6Le cae d’Aurillac avait constaté un morcellement des interventions, une difficulté à échanger sur les pratiques professionnelles et se trouvait en difficulté pour préconiser des orientations dans les suivis les plus complexes et mettre en œuvre les obligations de soins. De son côté, le secteur médical se sentait parfois confronté à des situations d’urgence qu’un travail en partenariat aurait permis de juguler.
7Les réunions initiées par les deux institutions ont fait émerger divers questionnements susceptibles de mobiliser l’ensemble des intervenants sur le secteur (services associatifs, intersecteur, service de prévention, inspection académique…). De nombreux partenaires se sont engagés dans une dynamique de réflexion, menée soit en réunion plénière, soit en commissions de travail en petits groupes, portant sur :
- le travail avec les familles ;
- la notion de secret partagé ;
- la « crise » (repérage, anticipation…) ;
- le travail sur les notions de responsabilité, de loi et des liens avec les forces de l’ordre ;
- le travail avec l’Éducation nationale (réflexion sur des dispositifs d’aménagement du temps scolaire).
Principes fédérateurs
8Le réseau Ados 15 s’est fédéré autour de principes forts tels que :
- une libre adhésion dans une continuité de participation ;
- un respect des positionnements et des places de chacun, l’idée étant d’échanger sur des pratiques et non d’aboutir à un discours à tout prix consensuel ;
- un repérage des problématiques propres aux adolescents et un raisonnement en termes de trajectoire, de continuité de prise en charge : l’idée étant d’éviter répétitions et ruptures ;
- une volonté d’échange sur les représentations que les professionnels se font tant du public suivi que du fonctionnement des services ou associations intervenant auprès de ce public à des titres différents.
9Outre l’amélioration des échanges portant sur les pratiques professionnelles, cette dynamique a favorisé un certain nombre d’actions concrètes.
10Dans les prises en charge les plus complexes, l’idée était d’optimiser les compétences de chacun et de faire en sorte que les structures s’engagent pour des temps donnés et avec des objectifs précis auprès d’un adolescent, sans attendre d’une structure qu’elle résolve seule la situation (séparation des prises en charge, évitement des ruptures totales et des points de non-retour).
11Un premier dispositif mobilisable rapidement dans la prise en charge d’un adolescent a été mis en œuvre sous la forme « d’Alerte réseau ». Le demandeur sollicitait le service de la pjj pour l’intervention de partenaires susceptibles de pouvoir fournir des éléments de réponses.
Questions d’organisation
12Le fonctionnement du réseau Ados 15, dans ses modalités informelles d’organisation, a soulevé un certain nombre de questionnements portant sur sa légitimité, sa pérennisation et son organisation structurelle. Le travail portant sur les représentations et les pratiques professionnelles a démontré l’opérationnalité du dispositif. Aussi, après un bilan élaboré en commun, a été construite la charte du réseau Ados 15, aujourd’hui signée par plus de 35 partenaires institutionnels, à la fois du secteur de la protection de l’enfance (conseil général du Cantal, Protection judiciaire de la jeunesse), de la psychiatrie, de la prévention, de l’insertion, de l’Éducation nationale, de la ddass et de l’Assurance maladie.
13À travers cette charte, le réseau Ados 15 a alors trouvé sa légitimité afin de :
- s’informer et se former autour des problématiques et des prises en charge des adolescents ;
- concevoir et mettre en œuvre des outils communs favorisant le repérage, l’analyse, l’accompagnement des adolescents, dont les règles d’utilisation seront à déterminer par le réseau ;
- promouvoir les objectifs et les pratiques déterminées dans le cadre du réseau.
Le réseau aujourd’hui
14Ce qui fonctionne :
- le groupe d’appui du Réseau Ados 15 ;
- les commissions de travail : maisons pour adolescents ; information partagée ; gestion de l’urgence ;
- les réunions plénières : échange ; validation d’une politique commune ;
- les retombées du colloque du Réseau Ados 15 des 18 et 19 mai 2006 au niveau local : rencontre de nouveaux partenaires ;
- le champ de la prévention a pu être investi ;
- le retour du professeur Pommereau dans le Cantal après le colloque ;
- la formation organisée avec Jeunesse et Sports auprès des animateurs ;
- la création du dispositif relais : partenariat Protection judiciaire de la jeunesse/Education nationale ;
- la validation du Réseau Ados 15 dans le cadre du schéma conjoint de protection de l’enfance.
- un outil n’est pas utilisé : la grille référentielle commune. Elle a été construite par un groupe de travail mais quasiment aucun partenaire ne l’utilise ;
- aujourd’hui, ce ne sont pas toujours les mêmes professionnels qui participent à l’ensemble des réunions ;
- certains professionnels ne viennent plus car ils n’ont pas eu de réponses immédiates à leur demande.
Perspectives pour 2008
15Un outil a été validé dans le cadre du schéma conjoint de protection de l’enfance, l’équipe mobile. Ce sera un outil supplémentaire qui devrait conduire à prendre en compte l’exclusion. Une réflexion est en cours concernant l’urgence dans le cadre de situation de crise, afin de favoriser une meilleure connaissance du travail de chacun, une éventuelle formation commune et l’élaboration d’un protocole de prise en charge commune.
16Une évaluation du réseau Ados 15 et de ses outils va aussi être très bientôt réalisée. Il s’agira d’une évaluation externe par le dispositif local d’accompagnement (dla) présent dans chaque département.
17Le réseau est ainsi amené à jouer un rôle de référence dans le département. Il est aussi question d’une recherche-action élaborée par Christian Laval, sociologue, « vers une clinique psychosociale » qui conduit à faire des propositions cliniques pour la prise en charge de mineurs en favorisant des pratiques éducatives de santé mentale dans le champ de la Protection judiciaire de la jeunesse. Il s’agira de « penser clinique » et de « faire avec » dans le champ de l’action éducative, d’où le nom de clinique éducative. C’est ainsi qu’à chaque moment de la prise en charge d’un mineur, chacun adoptera une position clinique singulière, mais toujours reprise par une pensée collective et pluridisciplinaire.
18Aussi, quelques pistes de travail de plus long terme pourraient se dégager et ce dans la continuité du réseau Ados 15 :
- organiser des réunions de synthèse mensuelles autour de ces cliniques tantôt dans les locaux de la Protection judiciaire de la jeunesse, tantôt à l’hôpital ;
- créer une commission départementale sur les cas difficiles. Cela est déjà mis peu ou prou en place dans le cadre du réseau ;
- mettre en œuvre des formations croisées en favorisant une transversalité des échanges et des interventions.
La place de l’usager
19Une dernière question reste à poser : celle de la place de l’usager dans le réseau. Il faut d’abord définir l’usager, le mineur ou sa famille ? Ensuite, est-ce qu’on s’y substitue ou est-ce qu’on fait avec et qu’on l’accompagne ? La pratique du réseau institutionnel refonde le modèle sanitaire et social, les professionnels ayant pris conscience des limites de leurs compétences.
20Il apparaît nécessaire d’entrer dans une logique de droits (cf. la loi du 4 mars 2002 sur les droits des malades et la loi du 2 janvier 2002 rénovant l’action sociale et médico-sociale reconnaissant des droits aux usagers) et de faire participer l’usager et sa famille au réseau.
21Ainsi, c’est dans cet entre-deux, l’usager et le professionnel, le savoir et le pouvoir, que nous pourrons passer d’un partenariat obligé à un partenariat partagé.