1Favoriser les complémentarités, développer les ouvertures, dépasser les clivages… Responsable de dispositif départemental milieu ouvert et insertion de Loire-Atlantique, Édith Coutant est convaincue de la nécessité d’une animation décloisonnée pour faciliter les élaborations communes, réintroduire du sens, consolider les articulations, renforcer la confiance… Elle l’illustre ici à travers le dispositif départemental d’accueil d’urgence qui concerne autant l’hébergement que le milieu ouvert, le secteur public que le secteur associatif. À partir d’une vignette clinique illustrant la problématique d’un adolescent en grande souffrance, Cécile Petit, psychologue clinicienne au cae et à l’ueaj de Villeneuve-la-Garenne, souligne, pour sa part, le travail conjoint mené par ces deux services. Elle retrace ainsi, dans ses grandes lignes, le parcours de Fabrice, suivi au sein de la pjj pendant une longue période, jusqu’à son orientation vers le soin, et montre comment l’institution judiciaire peut accompagner ce type de prise en charge.
2Le jeune Fabrice a été accueilli au centre d’action éducative de Villeneuve- la-Garenne dans le cadre d’une mesure d’investigation et d’orientation éducative ordonnée par le juge des enfants, suite à des passages à l’acte advenant dans le cadre scolaire. Reçu conjointement par une éducatrice et une psychologue du cae, il pourra très vite être entendu dans sa souffrance car, à l’évidence, sa problématique ne relève pas uniquement du champ judiciaire. En effet, les actes qu’il pose sont les signes visibles et manifestes d’un malaise profond, ancien, que seule une écoute avertie pourra déceler.
3Après une évaluation diagnostique approfondie, rendue possible grâce au déploiement d’une relation transférentielle, il s’avère qu’une prise en charge psychothérapeutique pour Fabrice apparaît incontournable, mais doit impérativement être précédée d’un travail en amont, que la Protection judiciaire de la jeunesse va pouvoir assurer.
Passages à l’acte
4Au plan clinique, Fabrice est très inquiétant dans les premiers temps de son suivi. Malgré l’accompagnement du milieu ouvert, il ne contient pas son impulsivité, et le « symptôme » ressurgit, après la tentative de rescolarisation du mineur. Les passages à l’acte apparaissent dans un contexte global de désinvestissement du monde extérieur : en effet, Fabrice vit replié sur lui-même. Ses investissements objectaux sont pauvres. Son seul centre d’intérêt est le monde des jeux vidéo, c’est-à-dire un monde virtuel, dont il va commencer à parler en entretien, avec la psychologue.
5Soutenu dans le transfert, il va parvenir à émettre le désir de travailler dans le domaine de l’informatique. C’est à ce moment précis un « pari » audacieux de répondre à cette demande, mais l’engagement dans le transfert est alors effectif, et le cae s’en saisit. Entendre ce désir, y voir du sens et le prendre au sérieux, c’est être « soignant » pour Fabrice.
6Le service d’insertion de Villeneuve-la-Garenne qui dispose d’un atelier informatique va pouvoir accueillir le jeune. À partir de ce moment, de nouvelles perspectives se profilent dans le suivi de Fabrice, qui va s’approprier alors pleinement l’aide conjointe proposée par les deux services.
7Fabrice va être inscrit au petit atelier informatique de l’ueaj de Villeneuve-la-Garenne par l’intermédiaire de l’éducatrice du cae. Parallèlement, le suivi en milieu ouvert se poursuit avec comme objectif d’aider le jeune et sa famille à admettre la nécessité d’un suivi thérapeutique.
8De nombreux liens et échanges entre les professionnels des deux structures, avec comme pré-requis les références de différenciation et de complémentarité, vont concourir au bon déroulement de la prise en charge de Fabrice. Quelques informations essentielles sur la fragilité de l’adolescent sont communiquées à l’éducatrice qui anime l’atelier informatique. L’intérêt est de la sensibiliser aux besoins psychiques de Fabrice, et de permettre qu’un autre lien puisse s’établir, le transfert se diffuser, et que d’autres facettes du jeune puissent ainsi être observées.
9Enfin, l’éducatrice sera écoutée dans les moments difficiles de la prise en charge, dans les tous premiers moments du suivi, puis quand Fabrice questionnera la nature et la solidité du lien établi avec elle, enfin quand elle devra établir un relais avec sa collègue, suite à une mutation.
Un espace atypique
10Le principe de l’atelier est d’accueillir des jeunes, uniquement sur la base de leur désir, même si par ailleurs ils se trouvent souvent totalement désinsérés. L’objectif visé est la production par les jeunes de cartes de visite, de plaquettes commandées à notre atelier par d’autres services de la pjj. Les jeunes viennent travailler avec l’éducatrice référente qui se trouve en quelque sorte en position « d’employeur ». En compensation du travail effectué, ils sont rétribués par des bons d’achat après chaque séance. Le postulat qui fonde le petit atelier est qu’il est possible de soutenir le désir de travail d’un jeune, dans un cadre facilitant et adapté où deux principes à première vue contradictoires coexistent et dont les effets se renforcent mutuellement.
11Ainsi, au principe de libre adhésion comme de libre participation sont énoncées en contrepartie des contraintes à valeur structurante : les horaires sont impératifs, de même que l’exigence relative à la qualité du travail effectué et à l’investissement minimal de l’activité. En dépit des apparences, le cadre a une fonction très importante dans le fonctionnement du petit atelier, et vient compléter l’aspect « ouvert » du dispositif. Il légitime l’atelier aux yeux des jeunes.
12Cette double polarité du cadre fonctionne plutôt bien avec des jeunes en questionnement identitaire, ou à l’acmé de leur crise d’adolescence, ces derniers ayant en commun une grande ambivalence face à la relation avec l’adulte.
13En effet, le cadre du petit atelier n’est pas perçu comme un cadre à potentialité intrusive, voire « fusionnelle ». La relation avec l’adulte, si souvent anxiogène pour ces mineurs, s’y décline selon d’autres modalités : le contact avec l’éducatrice est possible, mais n’est pas énoncé comme un but en soi. Le contact est toujours médiatisé par l’outil informatique et la finalité de production inhérente à l’atelier est fréquemment soulignée. L’atelier informatique n’est pas un atelier à vocation « occupationnelle », « l’à peu près » en est exclu. Le caractère « sérieux », formel de l’activité est, entre autres, rendu lisible par la « rétribution » accordée en fin de séance, et aussi par la validation et l’approbation du travail par notre chef de service.
14Tous ces éléments participent grandement de la revalorisation, de la renarcissisation de ces mineurs, qui peuvent dépasser parfois leur sentiment massif d’impuissance et d’échec. Enfin, l’atelier favorise la créativité : on sollicite parfois l’avis, voire les conseils des jeunes qui peuvent se décaler alors d’une position passive, parfois tant redoutée et pathogène.
Une évolution marquante
15Fabrice va venir au petit atelier pendant deux ans, et investir particulièrement l’activité. Dans cet espace, qu’il va appréhender comme un espace pour lui, il ne se montrera jamais persécuté ni menaçant.
16Dans un premier temps, l’adolescent a généré beaucoup d’angoisse et d’interrogations tant son manque de distance et le caractère « régressif » de ses demandes étaient massifs. Il s’est montré « adhésif » avec l’éducatrice, cherchant même le contact physique. Les exigences inhérentes au cadre de l’activité ont fait alors office de « tiers » facilitant l’émergence d’un lien plus secondarisé.
17L’outil informatique est devenu progressivement vecteur de relation : par le biais de celui-ci, à l’appui d’un travail à accomplir, d’une gratification à obtenir, la communication a pu émerger, puis se déployer.
18La « neutralité bienveillante » qui a caractérisé le positionnement de l’éducatrice a rassuré Fabrice et a rendu possibles de vrais échanges. L’adolescent va pouvoir parler dans ce lieu de membres de sa famille, très investis affectivement et supports identificatoires pour lui, traduisant ainsi la remobilisation des liens inter-personnels et intra-psychiques.
19Durant toute cette première période, les échanges intra et inter-services ont soutenu le travail éducatif, permettant notamment que le jeune ne soit pas « rejeté », qu’on puisse mettre du sens sur ses demandes et son comportement, a priori « décalé ». Tirant de son travail de plus en plus de satisfactions réelles et symboliques (accès possible à une forme d’autonomisation), Fabrice a pu se sentir narcissisé. Valorisé, contenu, Fabrice va poursuivre son cheminement au sein de l’unité éducative d’activité de jour, puis au sein d’un dispositif de soin du département.
20L’année suivante, nous avons participé à un suivi pluri-partenarial qui va porter ses fruits. Fabrice va alors « avancer » considérablement. À l’ueaj, il va pouvoir « gérer » la séparation d’avec l’éducatrice, tant investie, et créer du lien avec la nouvelle référente.
21Il est enfin accepté par les autres jeunes qui ne le fuient plus. Les échanges s’enrichissent avec ces derniers, mais aussi avec tous les professionnels de l’unité. Il parvient à différencier les fonctions de chacun, et repère en particulier la fonction de notre chef de service.
22Son rapport à la réalité a considérablement évolué : il a accepté l’idée du soin, comme un passage nécessaire dans son parcours, et il va commencer à en parler à l’ueaj comme une perspective valorisante : un « autre » lieu, parfaitement adapté à son profil, peut l’accueillir.
Entre cadre et ouverture
23Fabrice a investi le lieu de l’insertion comme un lieu contenant, socialisant, valorisant. Son fonctionnement psychique et son mode relationnel se sont nettement enrichis tout au long de sa prise en charge. Le cadre spécifique auquel il a été confronté à l’insertion l’a aidé à réinvestir le champ de la relation.
24Le petit atelier est véritablement un espace ressource où les jeunes peuvent entrer en contact avec un éducateur et s’approprier ce lien à leur rythme, en fonction de leurs défenses et besoins psychiques, puis prendre appui sur ce lien pour « grandir ».
25Le fonctionnement du petit atelier, dans sa dualité entre « cadre et ouverture », « principe de plaisir et de réalité », semble bien avoir quelques points communs avec l’espace « transitionnel » winnicottien.
26Nous avons tenté de montrer comment un espace d’insertion professionnelle, qui n’est pas un espace de soin, peut apporter sa contribution dans la prise en charge de jeunes psychologiquement fragiles.
27Ce travail prend tout son sens dans une perspective globale, à laquelle s’associe le travail fédérateur du milieu ouvert. Les approches différenciées entre le cae et l’ueaj de Villeneuve-la-Garenne mais articulées et orientées vers un même objectif, ont eu indéniablement des effets de « soin » chez Fabrice en amont de sa prise en charge effective par le secteur de pédopsychiatrie.