1Le centre éducatif renforcé « La tête de l’eau » [1] a installé ses quartiers voilà quelques mois dans une péniche des années cinquante. Un mode de vie atypique attend les jeunes, filles et garçons, accueillis pour des périodes de trois à six mois, avec navigation fluviale, chantiers d’insertion – en partenariat avec les Voies navigables de France – et activités sportives au programme. Chef de service éducatif du cer, Christophe Lecointre assure la visite pour les Cahiers dynamiques.

2Le téléphone sonne, mon interlocuteur demande à joindre un des jeunes accueillis.. « Attendez juste un instant s’il vous plaît, je me trouve dans le rouf [2] arrière, et il me semble que votre fils est près du pic [3] avant… » Je gravis les quelques marches qui me mènent à la marquise, [4] j’accède aux plats-bords. [5] Je longe tout d’abord l’atelier, je vérifie par le hublot si le jeune homme ne s’y trouve pas, personne. Je poursuis en prenant garde de ne pas trébucher sur les boulards. [6] La salle d’eau passée, je jette un œil dans la cuisine et la salle à manger, mon intuition était la bonne, il se trouve bien à l’avant. Arrivé au niveau de la passerelle d’embarquement, je lâche la main courante et me hisse jusqu’à la première plate-forme. Le soleil brille ce matin, la réverbération due à l’eau et à la blancheur du pont éblouit légèrement. Une trentaine de mètres parcourus, me voici à l’autre extrémité du centre éducatif renforcé « La tête de l’eau ».

Sur le pont…

3Installé à bord d’une péniche de type Freycinet, [7] le cer « La tête de l’eau » navigue depuis le 6 mars 2006. Pour aménager ce bateau de 38 m 50 de long sur 5 m 05 de large, construit en 1958, il a fallu associer les impératifs liés à la réglementation navale et celles d’un accueil de 6 à 7 mineurs, filles et garçons, ayant commis des actes de délinquance. La notion d’adaptation a rapidement fait son apparition. Direction tout d’abord le pont. Lieu de passage, cette première terrasse est également un premier lieu de rangement. Nous y retrouvons les vtt, la barque de sauvetage, ainsi que le bras de la grue permettant d’y déposer notre voiture si cela est nécessaire. Des garde-corps préservent de toute chute malencontreuse.

4Il est maintenant temps d’entrer. Quelques marches à descendre pour franchir la porte d’accès principale. L’espace de vie se dévoile sur deux niveaux : sur le niveau bas se trouvent la salle à manger, le salon et les cabines ; sur le niveau haut, la cuisine, la salle d’eau et l’atelier.

Espace de vie

5La cuisine, la salle à manger et le salon forment une unique et spacieuse grande pièce. Ce volume limite la sensation de promiscuité lorsque tout le monde se retrouve à l’intérieur du bateau.

Une péniche éducative renforcée au fi

Une péniche éducative renforcée au fi

6Descendons dans cet espace de vie. De la salle à manger, la lumière est exceptionnelle : 9 grandes fenêtres, situées sur le niveau haut, accentuent la sensation d’espace, nous sommes presque à ciel ouvert… Tout le long du niveau bas, des hublots permettent d’avoir une vue imprenable sur l’eau et ravivent le charme de la vie à bord d’un bateau. Après le salon, un long couloir donne accès aux cabines. 8 couchages répartis en 4 chambres de 3 m × 1 m 60 dotées chacune d’un lit superposé et de deux armoires. Un ameublement qui implique de réduire à l’essentiel les besoins vestimentaires… Au bout du couloir, deux cabines bénéficient de 60 centimètres de plus en longueur. Cela a permis d’y intégrer la cabine « chambre de veille/bureau » des éducateurs, ainsi qu’une petite salle informatique.

7Dans ces espaces restreints, la rigueur du rangement n’est pas un luxe, elle est rapidement devenue une nécessité. Chacun, jeunes et adultes, s’emploie alors, au quotidien, à respecter l’espace de l’autre.

8Il est temps d’accéder au niveau haut. Sa création découle de la nécessaire installation à bord d’un réseau d’eau. En effet, nous retrouvons dessous un espace où sont entreposées les cuves d’eau potable et d’eaux usées. D’une capacité respectivement de 6 et 5,5 tonnes, ces cuves permettent une autonomie d’environ une semaine.

9Cet espace, accessible depuis la salle à manger, permet également de ranger l’ensemble de l’outillage et les vêtements nécessaires à la réalisation des chantiers effectués en partenariat avec les Voies navigables de France.

10Pièce centrale du cer, la cuisine, au-delà de son objet gustatif, donne un accès visuel à l’ensemble du bateau ainsi qu’à l’extérieur. Depuis la cuisine, nous accédons à la salle d’eau. Deux douches, deux wc, deux lavabos, ainsi que la machine à laver et le sèche-linge se partagent un espace de 4 mètres sur 4. La porte du fond nous mène alors à l’atelier.

11Dernière pièce avant la timonerie, l’atelier est également la première où les jeunes ne peuvent se rendre non accompagnés d’un adulte. En effet, lieu de rangement et de stockage, nous y retrouvons le tableau électrique du bateau, le panneau de contrôle du choix du réseau (batteries, groupe électrogène ou branchement au réseau edf), mais aussi le matériel de chantier (débroussailleuse, tronçonneuse, tondeuse, etc.).

12La timonerie, hormis la salle des machines, est le seul espace qui est resté dans son apparence d’origine. En bois, capitonnée de cuir, elle garantit l’ambiance batelière. Le tableau de contrôle s’est étoffé de quelques tableaux de contrôles supplémentaires, associant tradition et modernisme. Le macaron [8] d’origine, en bois, est impressionnant de taille. Les jeunes lorsqu’ils apprennent à naviguer sont tout d’abord intimidés puis ravis de manipuler ce volant hors norme.

13Enfin, nous retrouvons le rouf arrière. L’ancien logement batelier, rebaptisé « espace polyvalent », abrite deux bureaux, une salle d’eau et une pièce multifonctions. En effet, il suffit de modifier en quelques instants l’agencement des meubles pour qu’il devienne un lieu d’accueil pour les familles, une salle de réunion, ou encore un espace d’entretien individuel.

14Lors des périodes de navigation lointaine, il retrouve son rôle premier en redevenant un petit logement, permettant un douzième couchage. Sous cet espace polyvalent, la salle des machines cache un moteur gm 12 cylindres en v, mais aussi les cuves de carburant, la chaudière, le groupe électrogène et les batteries, l’électricité. C’est également le lieu pour des activités éducatives liées à l’entretien du moteur.

Leviers éducatifs

15Vivre à bord d’une péniche est une première rupture pour les jeunes accueillis. Chacun y découvre un autre mode de vie, un rythme différent, ainsi qu’une confrontation quotidienne à une réalité liée aux consommables. Par exemple, en période de navigation, il est nécessaire de sensibiliser les jeunes à une consommation raisonnable d’eau et d’électricité. Il serait dommage, entouré d’eau, de tomber à sec.

16Cette préoccupation quotidienne, ainsi que la nécessaire rigueur de rangement, deviennent alors des leviers éducatifs incontournables, directement associés à cet habitacle particulier qu’est le centre éducatif renforcé « La tête de l’eau ».