Notes
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[1]
Organisé par le laboratoire des sciences de l’éducation de l’université Paris viii, le colloque « Les châteaux du social xixème-xxème siècle », s’est tenu du 24 au 26 novembre 2005 à Vaucresson, au cnfe-pjj.
-
[2]
Sur les premières colonies agricoles, voir Gaillac (Henri), Les maisons de correction 1830-1945, Paris, Cujas, 1991 et Carlier (Christian), La prison aux champs. Les colonies d’enfants délinquants du Nord de la France au xix ème siècle, Paris, éd. de l’Atelier, 1995.
-
[3]
Ce centre a été créé par le Service social de l’enfance en danger moral, institué en 1923 à Paris sous l’impulsion d’Olga Spitzer. Voir à ce sujet Becquemin-Girault (Michèle), Protection de l’enfance. L’action de l’association Olga Spitzer, Ramonville-Sainte-Agne, Érès, 2003.
-
[4]
Voir Tétard (Françoise), « L’abbé Plaquevent (1901-1965) : homme controversé mais pédagogue inspiré… », Empan, n° 25, mars 1997, p. 44-53.
-
[5]
Capul (Maurice), «Des châteaux comme lieux de nouveaux modèles éducatifs (région de Toulouse 1939-1945) », Empan, n° 59, septembre 2005, p. 182-189.
-
[6]
Par exemple dans Union sociale, revue de l’Union nationale interfédérale des œuvres privées sanitaires et sociales (uniopss), organisme créé en 1947.
-
[7]
Organismes entre privé et public, les arsea sont créées en 1943 afin de coordonner les initiatives au niveau régional. Elles devaient notamment ouvrir un centre d’observation ainsi qu’une école d’éducateurs.
-
[8]
Instructions de l’Education surveillée à l’inspecteur général des services d’urbanisme, juillet 1945 (cac 19980162/12).
-
[9]
Ceux de Keraoul, n° 1, juin 1946. Il s’agit du journal des enfants et des éducateurs du centre de rééducation (archives creai Bretagne, archives départementales d’Illeet-Vilaine).
-
[10]
Notice de présentation du Centre Beauregard, au Chevalon-de-Voreppe (Isère), 1950 (archives creai Bretagne, archives départementales d’Ille-et-Vilaine).
-
[11]
Joubrel (Henri), Ker Goat. Le salut des enfants perdus, Paris, éditions familiales de France, 1945, p. 13.
-
[12]
Senet (G.), « Internat et esprit de famille », Rééducation, n° 42, 1951, p. 62.
-
[13]
Voir à ce sujet le chapitre de Tétard (Françoise), « Haro sur l’internat ! », dans Peyre (Vincent), Tétard (Françoise), Des éducateurs dans la rue. Histoire de la prévention spécialisée, Paris, La découverte, 2006, p. 42-47.
-
[14]
Dr. Le Guillant (Louis) et Monnerat (E.), «Remarques sur les établissements pour enfants inadaptés », Sauvegarde de l’enfance, n° 1, janvier 1950, p. 12.
-
[15]
Riehl (Dominique), Rééducation, n° 41, juin-juillet 1952, p. 24.
1Le parc immobilier des châteaux a logé – et loge parfois encore – des œuvres à vocation éducative et sociale, entraînant une reconversion de ce patrimoine en « châteaux du social ». Doullens, Cadillac, Frasne-le-Château, Lamotte-Beuvron, Bischheim, Bordeaux, Soulins, Toulouse, Nice, Keraoul… Historien, doctorant à l’université d’Angers, Samuel Boussion nous invite ici au cœur de ces demeures d’un autre âge.
2Loin d’être aussi atypiques que le laisse supposer l’oxymore qui a servi d’intitulé à un récent colloque, [1] les « châteaux du social » sont à la fois des reconversions précoces, puisqu’on en trouve trace dès le xixème siècle, et nombreuses, accueillant diverses populations (orphelins, tuberculeux, enfants des colonies de vacances, stagiaires en formation, handicapés, etc.). La prise en charge des mineurs délinquants en constitue un volet, aussi bien du côté du secteur public, dans le cadre de l’Administration pénitentiaire puis de l’Éducation surveillée à partir de 1945, que du secteur privé habilité. C’est sur ce second versant de ce que l’on va appeler au tournant des années 1940 la « rééducation » que nous insisterons ici, afin de réfléchir à la gestation et aux développements d’un type d’internat qui a connu alors un franc succès.
Une installation progressive
3Dès le xixème siècle, quelques œuvres privées habilitées à recevoir des mineurs de justice ont installé une institution dans un château. C’est le cas de la colonie agricole Saint-Louis, près de Bordeaux, ou celle de Petit-Bourg, ouverte en 1840 dans un château de Seine-et-Oise. [2] On peut aussi citer à la même époque l’École Saint-Joseph de Frasne-le-Château, en Haute-Saône, ou encore le Englisher Hof, à Bischheim, en Alsace, tous deux établissements recevant des garçons. L’Administration pénitentiaire n’est pas en reste, qui installe en 1872 sa colonie agricole de Saint-Maurice, à Lamotte-Beuvron (Loiret-Cher), au sein d’un vaste domaine ayant servi de résidence de chasse à Napoléon III. Pour les filles, les écoles dites « de préservation » de Doullens, première du genre en 1895, et Cadillac un peu plus tard, sont ouvertes l’une dans une citadelle du xvième siècle et l’autre dans un château Renaissance.
4Pour autant, jusqu’aux années 1940, le château n’est pas une forme privilégiée pour les établissements de mineurs. Il y a bien quelques tentatives innovantes dans l’entre-deux-guerres, à Soulins par exemple, où s’est ouvert en 1928 un centre d’observation pour jeunes enfants difficiles ou délinquants des deux sexes, dans lequel le château et son environnement sont les pivots d’un nouveau régime éducatif. [3] Mais dans l’entre-deux-guerres, l’idéaltype est plus proche d’institutions de type conventuel, Bons Pasteurs et Refuges surtout, qui constituent une part écrasante de l’offre en direction des filles, ou encore de bâtiments aux allures de casernes, d’asiles et autres orphelinats.
École de préservation de Cadillac
École de préservation de Cadillac
5Pour beaucoup, la situation nouvelle de 1940 va ouvrir des brèches. D’une part, parce qu’elle va permettre de débloquer les projets de personnalités novatrices ayant leurs entrées à Vichy, tel l’abbé Jean Plaquevent. [4] S’appuyant sur son association L’Essor et sur l’aide des pouvoirs publics, il va ouvrir pas moins de quatre institutions pour enfants difficiles et délinquants dans autant de châteaux de la région toulousaine. Le noeud de son dispositif est l’institut pédotechnique, situé sur le domaine des Ormes, acquis en 1941, où il met en place trois structures distinctes : un centre de formation de rééducateurs, un centre d’observation et un service de recherches. [5] D’autre part, les circonstances permettent à de nouvelles structures d’accueil, encouragées à partir de 1942 par le ministère de la Justice pour sortir les mineurs de prison, de profiter de châteaux disponibles, à Toulouse encore ou à Nice par exemple.
6Nettement plus spectaculaire est la vague de l’immédiat après-guerre. Des associations peuvent alors profiter d’une offre importante, repérable dans la fréquence des annonces de cessions paraissant dans des revues sociales, [6] créée entre autres par la situation financière des châtelains au sortir du conflit. Elles peuvent aussi s’appuyer sur des financements plus conséquents, permettant l’ouverture ou la reconversion de centres d’accueil, d’observation ou de rééducation au sein de châteaux.
7Si dans un premier temps les associations gestionnaires doivent compter sur la charité privée ainsi que le reversement des dommages de guerre pour compléter les subventions d’équipement que l’Éducation surveillée, alors toute jeune direction sans moyens, doit répartir avec soin, l’arrivée de la Sécurité sociale change la donne. Le « temps des châteaux » atteint alors son acmé à partir de 1948, grâce à ce nouveau bailleur, qui lance un vaste plan d’équipement de l’enfance dite « inadaptée », dont les associations régionales de sauvegarde de l’enfance et de l’adolescence (arsea) [7] seront les grandes bénéficiaires.
Une pédagogie de l’illusion
8À première vue, le château ne paraît pas être une spécification des autorités de tutelle. Mais les conceptions éducatives, formalisées autour de l’ordonnance de 1945 sur l’enfance délinquante, induisent indirectement l’acquisition d’un tel bâtiment. Les nouveaux établissements doivent être articulés autour du système dit « pavillonnaire », où chaque groupe d’enfants doit posséder ses propres réfectoires, salles de vie communes, dortoir, etc. En outre, ils doivent prévoir des ateliers pour la formation professionnelle, se situer sur une vaste surface, de préférence boisée « afin de mieux séparer les pavillons et de pouvoir donner à l’établissement un aspect un peu plaisant », [8] tout en étant maintenus « à l’écart de toute entreprise bruyante : champ de courses, foires, gares, etc. ».
9En clair, ce n’est pas tant le château en luimême qui prévaut, même s’il représente une vitrine pour les associations, figurant en bonne place sur les plaquettes de présentation, mais surtout son parc ainsi que son relatif isolement. Du reste, assez vite, le bâtiment principal est abandonné aux services administratifs et au logement du directeur et de sa famille. Au centre de Keraoul en 1946, on se réjouit de la décision d’abandonner le château et de constater qu’« il était sage de ne pas y loger les enfants comme cela a été fait au début ». [9] L’espace offert par le domaine permet, en revanche, la mise en application d’une pédagogie inspirée pour beaucoup du scoutisme ainsi que la pratique d’activités physiques collectives. Le château génère ainsi ses propres ressources éducatives, d’autant plus qu’il ne va jamais sans entretien ni travaux, tâches en général effectuées par les mineurs sous le regard de leurs éducateurs.
10Si le quotidien de ces institutions, qui portent parfois les stigmates de la guerre, est assez éloigné de ce qu’on entend par « vie de château », un autre de leurs ressorts est de reposer sur leur propre fantasmagorie. Les centres de rééducation des années 1940 semblent ainsi fonctionner sur des fictions qui agissent comme compensations. À ces enfants et adolescents privés de famille, il faut des éducateurs et éducatrices qui sont autant de substituts parentaux et de la même façon, à ces enfants issus des quartiers populaires, il faut offrir un cadre plaisant qui puise ses inspirations « […] au Grand Meaulnes plutôt qu’aux sources incertaines duMiracle de la Rose ». [10] Même hors des châteaux, la référence fonctionne, comme dans ce centre installé dans des baraques : « Le château de Ker-Goat… La prison de Ker-Goat, où les barreaux sont les arbres de la forêt. » [11]
Le château est conçu comme un espace de possibles, proposant en somme un modèle de rupture par rapport aux institutions disciplinaires et correctives, austères et scandaleuses. La réalité, parfois contraignante, y est ainsi sublimée : « Je pense à tel château […], paradis des rats et des chouettes, envahi un jour par un groupe d’éducateurs et de garnements. Tout manquait et pourtant il y avait tout. Parce que c’était une maison et non une caserne d’enfants. Une maison avec des cheminées où l’on pourrait faire du feu, se réunir devant, dut-on s’asseoir sur le plancher faute de sièges. » [12]
Un espace controversé
11Mais en même temps qu’il génère ses thuriféraires, ce modèle doit affronter assez vite ses détracteurs. À la fin des années 1940, un débat fait rage dans les milieux de la rééducation à propos de l’internat et dans lequel, à mots couverts, le château occupe une certaine place. [13] Louis Le Guillant, psychiatre communiste, défend ainsi une conception différente, s’emportant contre les ouvertures à grands frais de centres de rééducation, et plaidant pour une alternative. Il croit ainsi en la formule de « l’internat urbain dispersé », donnant conseil d’acheter, louer ou construire des « maisons comme les autres », [14] en banlieue.
12D’un autre côté, à la même période, viennent s’ajouter les griefs du personnel, qui partage le quotidien des mineurs, à l’encontre de ces microsociétés éloignées de tout. Dominique Riehl, directrice de l’institution publique d’éducation surveillée (ipes) de Brécourt, s’en fait la porte-parole : « On ne peut pas assez mettre les administrateurs en garde contre la tentation d’acheter des châteaux perdus dans la campagne et dont personne ne veut… ; l’instabilité ou le découragement du personnel éducateur n’a pas d’autre origine que la mauvaise situation “?géographique”? des établissements. » [15]
13Au final, le château de la rééducation a-t-il été autre chose qu’un modèle de rupture, fonctionnant sur ses propres images ? Les décennies suivantes offrent quelques réponses puisque l’on y voit le château s’effacer progressivement, comme l’internat avec lui, devant de nouvelles formes de prise en charge, du milieu ouvert à la cure libre par exemple. Il s’éteindra aussi devant les exigences de nouveaux cadres du social et de la planification, qui souhaitent des locaux plus fonctionnels. Enfin, ultime renversement des représentations, les années 1970 consacreront le château de la rééducation (aussi bien imp que centres de rééducation) comme l’un des avatars les plus aboutis des « institutions totales »…
IPES de Saint-Biez-en-Belin
IPES de Saint-Biez-en-Belin
Notes
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[1]
Organisé par le laboratoire des sciences de l’éducation de l’université Paris viii, le colloque « Les châteaux du social xixème-xxème siècle », s’est tenu du 24 au 26 novembre 2005 à Vaucresson, au cnfe-pjj.
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Sur les premières colonies agricoles, voir Gaillac (Henri), Les maisons de correction 1830-1945, Paris, Cujas, 1991 et Carlier (Christian), La prison aux champs. Les colonies d’enfants délinquants du Nord de la France au xix ème siècle, Paris, éd. de l’Atelier, 1995.
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[3]
Ce centre a été créé par le Service social de l’enfance en danger moral, institué en 1923 à Paris sous l’impulsion d’Olga Spitzer. Voir à ce sujet Becquemin-Girault (Michèle), Protection de l’enfance. L’action de l’association Olga Spitzer, Ramonville-Sainte-Agne, Érès, 2003.
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[4]
Voir Tétard (Françoise), « L’abbé Plaquevent (1901-1965) : homme controversé mais pédagogue inspiré… », Empan, n° 25, mars 1997, p. 44-53.
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[5]
Capul (Maurice), «Des châteaux comme lieux de nouveaux modèles éducatifs (région de Toulouse 1939-1945) », Empan, n° 59, septembre 2005, p. 182-189.
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[6]
Par exemple dans Union sociale, revue de l’Union nationale interfédérale des œuvres privées sanitaires et sociales (uniopss), organisme créé en 1947.
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[7]
Organismes entre privé et public, les arsea sont créées en 1943 afin de coordonner les initiatives au niveau régional. Elles devaient notamment ouvrir un centre d’observation ainsi qu’une école d’éducateurs.
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[8]
Instructions de l’Education surveillée à l’inspecteur général des services d’urbanisme, juillet 1945 (cac 19980162/12).
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[9]
Ceux de Keraoul, n° 1, juin 1946. Il s’agit du journal des enfants et des éducateurs du centre de rééducation (archives creai Bretagne, archives départementales d’Illeet-Vilaine).
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[10]
Notice de présentation du Centre Beauregard, au Chevalon-de-Voreppe (Isère), 1950 (archives creai Bretagne, archives départementales d’Ille-et-Vilaine).
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[11]
Joubrel (Henri), Ker Goat. Le salut des enfants perdus, Paris, éditions familiales de France, 1945, p. 13.
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[12]
Senet (G.), « Internat et esprit de famille », Rééducation, n° 42, 1951, p. 62.
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[13]
Voir à ce sujet le chapitre de Tétard (Françoise), « Haro sur l’internat ! », dans Peyre (Vincent), Tétard (Françoise), Des éducateurs dans la rue. Histoire de la prévention spécialisée, Paris, La découverte, 2006, p. 42-47.
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[14]
Dr. Le Guillant (Louis) et Monnerat (E.), «Remarques sur les établissements pour enfants inadaptés », Sauvegarde de l’enfance, n° 1, janvier 1950, p. 12.
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[15]
Riehl (Dominique), Rééducation, n° 41, juin-juillet 1952, p. 24.