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Article de revue

La sophro lutte sur le tapis

CPI de Metz

Pages 54 à 56

1Novembre 2004. Début de l’aventure. L’espace de sept semaines, jusqu’en janvier 2005, une quinzaine d’adolescents du cpi de Metz vont découvrir une activité atypique : la sophro lutte.

Petit détour

2Vous avez dit sophro lutte ? Petit détour étymologique et symbolique. La sophrologie est une science médicale, fondée en Espagne par le psychiatre colombien Alfonso Caycédo. L’étymologie du mot est grecque. Ses racines ? Sos signifiant quiétude, sérénité, harmonie, phren signifiant cerveau et logos signifiant science, étude. Dès lors, la sophrologie se définit comme une science de l’harmonie du cerveau ; le cerveau étant le chef d’orchestre de notre vie quotidienne. La sophrologie via le médiateur corporel va permettre l’entrée en contact avec ce dernier, une prise de conscience et une modification des schémas de penser, d’être, si nécessaire.

3Science médicale, mais aussi philosophie, elle s’ancre dans les trois grands courants philosophiques orientaux : Yoga en Inde ; Bouddhisme au Népal ; Zen au Japon. L’enracinement de cette approche thérapeutique est profond, chargé d’histoire, de symboles et de sens. Les adolescents accueillis au cpi, souvent en alternative à l’incarcération, se « coltinent » un comportement asocial, manifestation de leur souffrance psychique. Adolescents en dérive d’eux-mêmes, en perte d’amour de la vie. Adolescents en période d’adolescence où les identités humaine et sexuelle sont remises sur le tapis psychique que le soma corporalise. La conjonction inévitable du corps et de l’esprit constitue le fil rouge de la sophrologie qui, d’un point de vue pratique, repose sur les changements d’états de conscience. En modifiant la conscience de soi, nous intervenons par ricochet sur les comportements.

4La lutte, quant à elle, est incontestablement de tous les sports celui qui plonge le plus profondément et le plus universellement ses racines dans l’histoire de l’humanité. Invention spontanée de l’homme pour lequel elle constituait un mode de défense, elle remonte à la préhistoire. Plus tard, elle est à l’honneur en Mésopotamie et surtout en Égypte, puis en Grèce. Elle traverse le temps et les différents peuples jusqu’à nos jours. Onze nations réparties sur les cinq continents font aujourd’hui partie de la Fédération internationale de lutte amateur.

5Quelques règles ? C’est à l’intérieur d’un cercle de 9 mètres que se déroule le combat d’une durée de 5 minutes effectives et sans interruption. Un cercle symbolique, résumé du monde : toujours trop petit pour celui qui recule, et toujours trop grand pour celui qui poursuit l’autre. Occuper l’espace, presser l’autre, l’obliger à reculer ou s’engager, être le patron du combat, c’est aussi maîtriser la situation ou plutôt en être responsable, comme dans la vie.

6La victoire peut être obtenue par « tombé » (l’adversaire au dos sur le tapis), aux points, par disqualifications. Le jeu s’organise avec deux lutteurs, un rouge et un bleu, et un arbitre. Il s’agit d’une trilogie comme le couple et l’enfant, trilogie qui préside à l’entrée dans la vie sociale.

7Aucune brutalité n’est autorisée. Il est interdit de faire mal à son adversaire volontairement. La victoire ne repose pas sur la force mais sur un savoir d’utilisation de son corps et de son équilibre. Associer sophrologie et lutte, c’est renforcer l’approche corporelle pour mobiliser le cerveau ou psyché.

Un cadre fondateur

8Le cadre constitue l’élément fondateur de l’activité. Quelles sont les limites, quels sont les objectifs, quel est le rôle propre de chacun ? Nous serons trois responsables de l’activité, présents à chaque séance : trilogie symbolique évoquée ci-avant et mise en œuvre réelle d’une interdisciplinarité.

9Interdisciplinarité avec :

  • un agent de justice en poste au centre de placement immédiat ; son rôle : relais entre les ados, faire le lien avec le cpi et soutenir l’activité dans le quotidien de la vie au centre ;
  • un éducateur sportif et lutteur de haut niveau ; son rôle : approche pédagogique de la lutte ;
  • moi-même, sophrologue et psychologue clinicienne ; mon rôle : mener les séances de sophrologie.
Le cycle est mixte et comprendra sept séances : ni trop peu pour qu’une imprégnation se fasse, ni trop long car l’adolescent se lasse vite. C’est aussi permettre une continuité et un investissement, une projection à court terme, dans la semaine, expérience souvent nouvelle pour des participants essentiellement dans l’ici et maintenant.

10La séance a toujours lieu le même jour à la même heure, de 17hoo à 20hoo. Un calendrier a été donné à chaque participant, plus un affichage au centre. À chaque séance, deux temps de sophrologie : un au début, suivi d’un échauffement puis d’un temps de lutte, puis un autre à la fin. Il s’agit d’une boucle, rotondité qui sécurise.

11Toutes les séances se terminent toujours par un temps de parole où chacun exprime son vécu de la séance de sophrologie et de l’ensemble de l’activité : prise de conscience et représentation psychique si souvent défaillantes chez le public pris en charge. L’activité se déroule à l’extérieur du cpi, dans une salle de lutte. Valorisation de l’activité et inscription dans le social : « Je ne reste pas au cpi, je vais vers l’extérieur en toute sécurité. »

12Le nombre de participants a été en moyenne de 5,3, mouvance due à la mission propre du cpi. Il n’y a pas de groupe stable, ce qui nécessite un maintien du cadre de manière accrue par les trois responsables. Dès lors, malgré les contraintes de changement de lieu, de durée, de décalage du repas et d’obligation de présence à l’activité, le cycle se déroule au mieux. L’agressivité est parfois présente entre les jeunes, dans le prolongement de ce qui se passe à ce moment-là au centre. Elle est verbale, parfois actée, et cependant gérée.

Une juste articulation

13L’activité mobilise toute l’attention des responsables, leur disponibilité, leur capacité d’écoute des mouvements dans le groupe. Il s’agit de garantir la sécurité tant pour les non-actifs qui regardent que pour ceux qui luttent. Pour les ados, comme pour l’agent de justice, cette activité a constitué une véritable découverte.

14Concernant la sophrologie, le lâcher prise a été possible pour certains jeunes. Cependant, la crainte d’un jugement – « c’est nul, t’as l’air de… » – minore la participation active. Restés au bord du tapis, les non-actifs sont très attentifs et vivent la séance en catimini. Il manquera le partage du vécu, mais l’imprégnation est néanmoins active.

15À propos de la lutte, elle a permis aux participants de découvrir un rapport au corps sans violence et le plaisir de réussir une prise, un mouvement hors jugement et critique négative. La sophro lutte est manifestement une juste articulation de l’éducatif et du psychologique via le corps.

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