1Implanté dans une petite commune de 600 habitants, au cœur du département de la Charente-Maritime, le centre éducatif renforcé d’Aumagne a ouvert ses portes en septembre 1998. Dès l’origine, il a opté pour un programme axé sur le sport, les activités manuelles et les stages en entreprise. Avec, in fine, la volonté d’aider les adolescents pris en charge à trouver les ressources nécessaires pour penser positivement leur avenir. Présentation sous la plume d’Antoine Soteras, chef de service éducatif du cer.
2La rupture, préconisée dès l’origine de la création des centres éducatifs renforcés, constitue un outil qui permet aux adolescents de se dégager d’un engrenage de délits ou d’incivilités. Pour autant, le placement s’inscrit dans la continuité d’une histoire personnelle unique. L’histoire familiale, souvent douloureuse, les difficultés d’insertion, d’intégration ne peuvent être ignorées lorsque l’on veut construire avec le jeune un projet individuel viable.
3Le projet de service du cer d’Aumagne repose donc sur l’idée d’ouvrir des passages, de faciliter des transmissions et de faire lien entre des personnes, des domaines, des espaces séparés. Cette action se conçoit dans un travail étroit entre l’équipe du cer et les services de la Protection judiciaire de la jeunesse dont la fonction est de faire lien avec l’histoire du jeune et de sa famille avant, pendant et après le placement. L’équipe travaille à la fois sur l’appartenance, à la famille, à un groupe social, et sur le potentiel d’insertion de l’adolescent. Les adultes s’attachent également à la culpabilité de l’adolescent, par rapport aux délits commis, tout en le valorisant sur son attitude.
4Le projet du cer s’est bien sûr construit à partir des prescriptions du cahier des charges établi par le ministère de la Justice, qui précise que les centres éducatifs renforcés sont des établissements publics ou privés habilités prenant en charge des mineurs délinquants multirécidivistes en grande difficulté, placés au titre de l’ordonnance de 1945. Leurs missions consistent à aider les mineurs confiés, durant un placement limité à trois mois, à construire leur identité, à faire l’apprentissage des règles qui régissent les relations sociales, à restaurer les liens familiaux et préparer leur insertion sociale par une action renforcée (c’est-à-dire menée par une équipe éducative importante assurant une prise en charge basée sur le « vivre avec » et le « faire avec »).
Question d’image
5Les jeunes pris en charge sont souvent prisonniers de leur propre image. Ils se sont forgé un personnage de caïd, de rebelle dans le groupe auquel ils appartiennent. L’attitude, l’apparence font souvent l’appartenance chez l’adolescent en général. Chez ces jeunes en particulier, les difficultés familiales, sociales, l’échec scolaire, le racisme parfois, font naître un sentiment d’exclusion. C’est sur cette même identité d’exclus qu’ils s’appuient pour se construire.
6Le projet du cer se base sur la nécessité de leur proposer d’autres modèles identificatoires, de leur prouver qu’ils sont capables de se réaliser autrement que dans le rejet systématique de la norme. Il s’agit de passer de la démesure irrationnelle à l’acceptation de la règle repérée à travers les bénéfices qu’ils pourront percevoir.
7Les objectifs principaux sont l’adaptation à un rythme de vie normal, le respect des personnes, l’acceptation de règles de vie. Cette première étape franchie, un travail sur le projet individuel se met en place. Cette parenthèse que constitue le placement doit permettre au jeune de faire le point sur sa situation personnelle et d’envisager son avenir de manière positive en prenant en compte ses capacités.
À l’origine…
8Certains cer ont fait le choix de la rupture géographique et culturelle comme outil de travail avec cette population. Le cer d’Aumagne a opté pour un programme basé sur le sport, les activités manuelles et les stages en entreprise dès son projet initial. Un premier projet avait été soumis par Gérard Balay, alors directeur d’une maison d’enfants à caractère social de l’Association de la sauvegarde de l’enfance et de l’adolescence, dès 1996. Celui-ci est resté en gestation jusqu’en septembre 1998, date d’ouverture du cer dans une petite commune rurale de 600 habitants.
9La constitution de l’équipe éducative s’est avérée difficile en raison notamment du manque de candidatures de professionnels. En effet, à l’origine, la création des structures cer (ueer, der puis cer) a suscité de vives réactions de la part des éducateurs. Perçue comme une réponse répressive faite à ces adolescents, les professionnels se sont montrés très réticents à participer à cette expérience. Encore aujourd’hui, les équipes cer sont constituées à 70 % de personnels non formés. Depuis 2004, une formation spécifique a été toutefois mise en place afin que ces personnels accèdent par le biais de la validation des acquis à des qualifications dans les métiers du social.
10Afin d’être en cohérence avec le projet pédagogique, un profil particulier avait été retenu : avoir des compétences dans le domaine sportif, avoir encadré des jeunes dans ce type d’activité et posséder une formation professionnelle dans un domaine manuel (menuiserie, forestage, maçonnerie…). Ce sont donc, en grande majorité, des personnes non diplômées en travail social qui furent recrutées comme faisant fonction d’éducateurs techniques.
11Aujourd’hui, l’équipe est constituée par :
- un chef de service sous l’autorité de Dominique Roche, directeur général de l’adsea ;
- un psychologue à mi-temps ;
- neuf intervenants en cer.
En trois actes
12Ainsi, le programme actuel se décline en trois phases. Dès l’accueil du groupe d’adolescents – six par session –, sont mis en place des activités sportives le matin et des chantiers l’après-midi. L’objectif premier est l’acquisition d’un rythme de vie normal. Parallèlement, les jeunes font l’acquisition de règles de vie en groupe : respecter les personnes, participer aux tâches quotidiennes…
13Peu à peu, en fonction de l’attitude générale du groupe, les activités à l’extérieur du cer se multiplient : séances de sport avec des intervenants extérieurs, chantiers pour des municipalités. L’objectif est de valoriser la socialisation tout en mettant en avant les capacités, les compétences des adolescents. Des bilans scolaires, bilans de compétences sont effectués en interne ou en partenariat avec la mission locale d’insertion ou le centre d’information et d’orientation. Cette période est génératrice de conflit avec l’autorité. Durant environ un mois, s’engage un bras de fer entre les jeunes et les adultes. Lorsque l’autorité est repérée et acceptée, les jeunes parviennent alors à dépasser leur angoisse et à se livrer aux éducateurs.
14Pour ces adolescents inscrits dans la délinquance, dans l’errance, cette première étape constitue déjà une victoire. Alors qu’ils ont vécu l’échec, l’abandon, de manière répétée, dans leur scolarité, dans leurs relations familiales, ils sont confrontés à des adultes qui conservent le cap, coûte que coûte. Les adultes, garants du cadre, deviennent des repères fiables : ils réagissent de manière cohérente, mesurée et aussi juste que possible. Ces jeunes, qui ont souffert pour la plupart de carences affectives, qui sont dans la confusion intergénérationnelle, finissent par trouver dans ce fonctionnement une forme d’apaisement.
15Durant le second mois, le programme se poursuit sur les mêmes bases, mais les contacts avec l’extérieur s’intensifient. Avec le soutien permanent des adultes, les jeunes prennent enfin conscience des réels enjeux du placement. La décision de placement du magistrat, qui jusque-là était vécue comme une sanction, devient une chance potentielle de « rebondir ».
16Le projet individuel prend forme. Les adolescents parviennent à faire le point sur leur parcours, leurs difficultés et commencent à réfléchir à l’avenir, à l’après cer. Pour ces jeunes, souvent incapables de gérer la frustration, vivant dans l’instant, la réflexion sur un projet professionnel, un projet de vie, est, en soi, une avancée considérable. Les adultes ne sont plus perçus comme des ennemis potentiels mais comme des personnes susceptibles de les aider. Les perspectives s’ouvrent : il ne s’agit plus d’être dans une logique de lutte permanente contre le système, mais d’en tirer bénéfice de manière constructive. Il ne s’agit plus de satisfaire exclusivement des désirs individuels dans l’urgence, mais d’évoluer dans un environnement, y compris en acceptant ses contraintes. Chacun percevant peu à peu l’intérêt de s’inscrire dans un projet.
17Pour une grande majorité d’adolescents, l’objectif consiste à renouer avec une activité de formation. Exclus, souvent depuis longtemps, du système scolaire, ils s’orientent vers une formation professionnelle de type cfa ou afpa. L’acquisition d’un rythme de vie régulier, la valorisation de leurs capacités au travers de la pratique d’activités manuelles durant les deux premiers mois, leur permettent de choisir une orientation professionnelle.
18Ainsi, la troisième phase est consacrée à un stage individuel en entreprise. Il permet au jeune de vérifier son intérêt pour telle ou telle activité, ses capacités d’intégration dans le monde du travail, sa sociabilité.
19Si un programme type existe, l’équipe éducative se doit d’être réactive. La constitution d’un groupe d’adolescents est une alchimie complexe. À chaque nouvelle session se jouent des situations inédites, auxquelles l’équipe éducative doit faire face afin de préserver l’essence du projet.
Au bout du parcours
20À partir des constats de fin de session concernant l’élaboration des projets individuels, ainsi que des retours qui nous sont faits par les éducateurs de la Protection judiciaire de la jeunesse à l’issue des placements, nous considérons que la moitié environ des adolescents confiés s’engage dans un réel processus d’insertion après le cer.
21Pour autant, certains jeunes nous font part de leur crainte de retrouver leur milieu naturel après le séjour, de leur angoisse de « replonger ». Certains même, un ou deux par session, nous demandent s’il est envisageable de refaire un séjour. Compte tenu de la progression qui s’effectue dans notre programme, nous ne pouvons leur répondre favorablement.
22Face à de telles demandes, le cer étudie actuellement la possibilité de créer un chantier d’insertion dans lequel quelques jeunes pourraient s’inscrire afin de confirmer leur désir de formation. Cette nouvelle structure s’articulerait également avec d’autres services de l’adsea, comme l’équipe de prévention spécialisée par exemple.
Des bénéfices nécessaires
23Le centre éducatif renforcé n’a pas pour prétention de revenir sur des processus d’éducation qui ont échoué. Il faut plus simplement faire avec et développer des stratégies utiles. Le cer devient le lieu des solutions minimales, celles du possible, en particulier l’établissement de la nécessaire zone transitionnelle telle que la définissait Winnicott, sorte de fondement élémentaire du processus institutionnel.
24Il s’agit de proposer un cadre recouvrant des espaces contradictoires s’exprimant dans le fonctionnement de chacun :
- le chef de service qui décide, qui tranche tout en étant l’écouteur privilégié de tous ;
- l’éducateur à la fois relais affectif essentiel à l’adolescent et en même temps sa limite extérieure inévitablement répressive quelque part ;
- le psychologue à la fois analyseur inquisiteur et en même temps respectueux du narcissisme du groupe et de chaque individu.
25Les adolescents nous disent souvent : « Vous n’allez pas me changer du jour au lendemain. » Telle n’est pas notre ambition. Le cer n’est qu’une étape qui doit leur permettre, avec le soutien des adultes, de se renarcissiser et de trouver les ressources nécessaires pour penser leur avenir.