Notes
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C’est l’hypothèse que pose le docteur Marcelli, psychiatre au chu de Poitiers, qui a réalisé un travail sur la question des maternités adolescentes.
1Depuis peu, Toit Accueil Vie n’est plus une structure du secteur public de la Protection judiciaire de la jeunesse. La sphère associative a repris le flambeau… Chef de service éducatif, actuellement en congé formation, Catherine Bouissou est co-fondatrice de ce dispositif atypique pour adolescentes avec enfant(s), né en 1986. Catherine Ojalvo, pour sa part, y a exercé ses fonctions d’éducatrice cinq ans durant, avant de rejoindre en septembre dernier le ptf Île-de-France. À notre demande, toutes deux se retournent sur les débuts de Toit Accueil Vie, sur son fonctionnement, ses évolutions, sa pertinence, son public…
2Il est des moments où il est nécessaire de s’accorder un temps de retour historique. Le moment de la passation de Toit Accueil Vie au secteur associatif en est un à saisir. Ce service d’hébergement diversifié était conçu depuis 1986 pour accueillir des adolescentes avec enfant(s). Deux professionnelles de la pjj, une infirmière et une éducatrice, soutenues par quelques collègues qui se reconnaîtront, avaient alors entamé une réflexion qui devait donner lieu à l’écriture d’un projet d’accueil nouveau pour la pjj.
3Le constat de départ de cette création se fonde sur le vécu des adolescentes accompagnées par la pjj lorsque, au cours de leur parcours éducatif avec nos services, elles attendent un enfant. Dès lors, le travail entrepris dans le cadre de notre institution s’efface au profit de la seule maternité qui guide alors les pistes de travail. À ce moment de fragilisation que représente une future maternité à l’adolescence, les référents et les références éducatives que connaissaient ces jeunes devaient laisser place à d’autres.
Une nouvelle réponse
4Les différents accompagnements et les témoignages recueillis auprès des adolescentes concernées motivaient de réfléchir à un nouveau mode de réponse face aux demandes de ces jeunes filles. Elles énonçaient leurs réticences, voire leur refus, d’être considérées comme seulement de « futures mères célibataires en danger », cause de nombreuses fugues et de certains abandons de bébés. De plus, elles qui majoritairement cumulaient de nombreux placements dans différents foyers, refusaient de vivre de nouveau avec leur « nouvelle famille » dans un foyer collectif.
5Ce sont ces deux positionnements d’adolescentes qui ont jalonné et fondé la création de la nouvelle réponse que représentait Toit Accueil Vie à l’époque, il y a maintenant dix-huit années. Le projet de les accueillir et de les mener vers l’autonomie en travaillant à partir d’un logement éducatif indépendant s’est imposé. Conjointement au service de la pjj, une association portant le même nom fut créée.
6Cette structure, que nous avions plaisir à nommer dispositif au sens d’un ensemble de moyens dynamiques, connaîtra différentes périodes : un début expérimental rendu possible par les directeurs départementaux de la Seine-Saint-Denis et de l’Essonne de cette époque ; puis le temps de la reconnaissance à part entière et de la validation du projet par notre institution et ses partenaires (conventionnement avec le conseil général de la Seine-Saint-Denis pour des accueils nouveaux) ; enfin les années de pérennisation de l’outil éducatif créé.
7Au fil du temps, les professionnels publics et privés, qui ont rejoint Toit Accueil Vie, ont enrichi le projet pédagogique en le questionnant, le critiquant et en le faisant évoluer au plus près de la réalité du terrain et des besoins des adolescentes. Chacun d’entre eux s’est investi, durant plusieurs années, auprès des jeunes et dans une participation active et « quasi militante » de construction de cet outil d’hébergement. Loin d’être tranquille, celui-ci a été et sera toujours porteur d’un accompagnement éducatif fort et souvent angoissant pour des éducateurs qui proposent un parcours où il s’agit de gérer la distance, où essais et erreurs se vivent dans la réalité.
La politique concernant les associations dites para-administratives est venue réinterroger le fonctionnement double, associatif et fonction publique, de cet accueil. Une période difficile s’est alors ouverte qui se traduira par la reconnaissance de la pertinence de cet hébergement et des valeurs éducatives qu’il affirme. Ce dispositif ne pouvant rester dans le réseau public, sa pérennisation s’effectuera dans la sphère associative, avec une double habilitation de la Protection judiciaire de la jeunesse et du conseil général.
Être et avoir
8Après de nombreuses années d’expérience, Toit Accueil Vie peut se permettre de poser quelques repères dans le suivi de ces jeunes adolescentes, également mères. On oublie souvent, sans doute par confort de pensée, que cette « grossesse adolescente », comme on la nomme (ce qui prête à sourire finalement : ainsi la grossesse de l’adolescente ne prendrait jamais fin, elle n’arriverait jamais à terme ?…), peut aussi s’inscrire dans un processus de mise en acte d’une souffrance. La grossesse n’est pas alors subie, elle est voulue, consciemment ou pas. La dimension du choix de l’adolescente est souvent occultée. Or in fine, c’est l’adolescente qui met en acte ou non la poursuite d’une grossesse.
9La dynamique de pensée dans laquelle se trouve l’adolescente, au moment du choix, pourrait s’inscrire comme telle : « Pour être, il faut avoir, il faut posséder. Pour exister face aux autres, il faut “?avoir ”? un enfant et l’on est ainsi considérée avec un autre regard, l’on accède à un statut différent, l’on parvient à une place, autant dans la sphère sociale que dans la sphère psychique et relationnelle. »
10L’adolescente idéalise ce regard porté sur les mères, car ce regard est fondamentalement « décalé » dès lors que cette mère s’avère être aussi une adolescente, très jeune, « trop » jeune. Ce qui était fui, se retrouve, au détour du chemin de la maternité, amplifié. C’est cette amplification de ce que l’adolescente croyait quitter qui se trouve réactivée, paradoxalement tout à la fois processus de restauration et en même temps détérioration de l’image, ainsi qu’atteinte au corps.
11Les adolescentes que nous avons connues avaient, pour une grande partie d’entre elles, vécu des situations de maltraitance sexuelle, physique et psychologique. Leurs histoires de vie étaient jalonnées de violences commises à leur égard et dont elles demandaient, plus ou moins consciemment, réparation à la justice. Conduire l’action éducative dans le cadre judiciaire s’inscrivait là dans le domaine des préjudices subis dans l’enfance par ces adolescentes.
12Cette réparation/reconnaissance du défaut de protection par la justice, dans un temps décalé des actes eux-mêmes, peut permettre d’asseoir deux axes fondamentaux du travail éducatif : une confiance re-construite par un accès à leur histoire et à sa compréhension, sur leur valeur propre, doublée d’une confiance qui se trouve ré-enclenchée dans les valeurs de la société et du monde adulte. Ce double mouvement permettant peut-être d’éviter une répétition dans leurs relations parentales en élaboration.
Problématiques similaires
13En cela, la question de la maternité adolescente relève aussi du domaine de compétences de la pjj qui assure la prise en charge d’adolescents, dits difficiles, en souffrance. Les jeunes filles accueillies à Toit Accueil Vie connaissaient les mêmes problématiques que d’autres jeunes suivis dans d’autres services de la Protection judiciaire de la jeunesse. Nous nous inscrivions donc dans la continuité du parcours éducatif, en relais avec les services demandeurs.
14Certaines des jeunes nous étaient adressées au titre de l’ordonnance de 1945, mais il est à soutenir que celles admises au titre de la loi de 1975 étaient elles aussi l’enjeu d’une problématique liée à la violence et souvent aux délits, mais ce n’était pas cette facette de leur histoire d’adolescente que retenait en premier lieu la décision de placement du magistrat.
15La grossesse ne protège pas de l’acte délictuel. L’enfant, une fois vigoureusement ancré dans le réel, ne suture pas les plaies. D’autres questions lancinantes se font jour, réinterrogent une filiation défaillante, mettent à proximité ce qui était maintenu à distance et qui concerne la maltraitance dont ces adolescentes ont été la cible. Ces jeunes filles relèvent de problématiques proches de celles des garçons, sur le versant d’un passage à l’acte, d’une prise de risque du côté de la sexualité. [1]
16Toit Accueil Vie avait pris le risque et fait le pari éducatif, à chaque admission, d’articuler l’idée de l’individualisation de l’hébergement à la fondation de la famille, à partir de l’adolescente. L’adolescente et son enfant, parfois son compagnon (père ou non de l’enfant), dès lors qu’ils occupaient l’appartement éducatif, pouvaient s’essayer à construire cette famille, mais surtout étaient reconnus comme étant en capacité de fonder leur propre « loi familiale », avec l’aide de l’équipe éducative. Le pari de l’autonomie n’était plus alors un objectif à atteindre, mais un préalable donné quasiment comme acquis ou en voie de l’être.
Adolescence et parentalité
17Toutefois, l’équipe avait à l’esprit une autre dimension : celle de favoriser le temps de l’adolescence en lien avec l’élaboration d’une parentalité à construire. Sur dixhuit années de fonctionnement, il y a eu très peu d’échecs, de ceux pour qui l’équipe posait la question d’un signalement concernant l’enfant, évènement culpabilisant pour la structure, porteuse des éventuelles « erreurs éducatives ».
18Cela est arrivé deux fois en dix-huit années. Deux fois de trop peut-être, mais l’on peut dire aujourd’hui que ces situations n’ont pas été négatives et déstructurantes pour les adolescentes et leurs enfants. Elles mettent en lumière cependant le travail que nous devions réaliser avec l’adolescente pour modérer l’idéalisation, parfois excessive, de cette modalité d’accueil si particulière. Celle-ci était si prégnante que les écueils que nous lui signalions, ne pouvaient être entendus par l’adolescente, trop portée vers cette solution d’hébergement, relevant quasiment du « miracle », « d’une aubaine », à saisir coûte que coûte, à n’importe quel prix. Gommée la solitude, gommé le face-à-face avec l’enfant, gommée la dure réalité de gérer le temps, gommée la totale responsabilité de soi et de son enfant au fil du quotidien, gommée enfin, et c’est peut-être le plus crucial, la réalité de l’abandon familial.
19Ce travail particulier était grandement facilité par la souplesse qu’offrait le fonctionnement bi-partite (pjj et associatif ) de Toit Accueil Vie, du point de vue d’un partenariat très élargi, comme d’un point de vue budgétaire… Cette richesse d’un travail à construire ensemble, entre direction de la pjj, réseau associatif et services du conseil général, obligeait et favorisait la prise en compte de valeurs et d’attentes éducatives parfois différentes. Cette articulation a toujours dynamisé l’adaptation et l’inventivité de l’équipe.
Profond remaniement
20Le mode de prise en charge en appartements éducatifs individuels permet de se trouver concrètement confronté au désir émis d’être indépendant et de ne plus « subir » le collectif. Il permet en miroir de s’essayer aux règles et aux limites de la vie sociale, fût-ce à l’adolescence. Cette expérience est toujours actrice d’une dynamique, difficile pour les jeunes, mais fructueuse en termes d’acquis et d’évolution.
21Mais au fil de notre pratique, nous avons dû faire le constat qu’une « trop grande installation » dans le logement éducatif inversait le processus du mouvement vers l’autonomie. Ainsi, le parti pris fondateur de Toit Accueil Vie, qui était de pouvoir donner les moyens à l’adolescente de « s’installer », de se considérer dans l’appartement éducatif comme « chez elle », a évolué et s’est nuancé, non sans débats et sans frustrations, vers une optique de « pas trop d’installation ».
22Le « temps de l’installation » s’est donc transformé en « temps d’hébergement ». Ce glissement a supposé un changement dans notre discours, et un réaménagement des procédures d’admission. Cette variation a entraîné un remaniement important du projet. C’est à cette période précise que les modifications de la structure administrative de Toit Accueil Vie ont été annoncées. C’est à cette période également qu’on a pu noter une nette augmentation des demandes émanant des services du département particulièrement, mais aussi des départements alentours, puisque la structure n’était pas sectorisée pour les demandes pjj.
L’équipe alors en poste passera en quelque sorte le flambeau de sa réflexion à une future équipe issue du secteur associatif. Face à l’incontournable de la réalité administrative, en lien avec le contexte institutionnel, une nouvelle évolution du projet porté par Toit Accueil Vie est annoncée.
Une dimension militante
23Il est nécessaire aujourd’hui d’insister sur la dimension « militante » des personnels qui ont fait partie de ce dispositif atypique. Sans une réelle conviction sur la validité du cadre de leur intervention auprès de ces jeunes filles, sans une forte certitude que le risque éducatif permet aussi aux adolescentes d’apercevoir des potentialités nouvelles, de sortir d’un carcan de représentations auquel nous sommes pourtant, jeunes et équipes, largement soumis, rien de ce qui fut construit et affirmé dans cette institution expérimentale, devenue pérenne, n’aurait été possible.
24Il nous faut ici assumer de dire que le risque éducatif se situe tout autant du côté du jeune que de l’éducateur. Ensemble, nous avons choisi de croire que ce « risquelà » incarne toujours un choix créatif.
25Les professionnels de notre administration, ceux qui travaillaient à Toit Accueil Vie comme ceux qui ont toujours contribué à l’évolution des actions éducatives en les ancrant fortement dans des actions novatrices, peuvent s’appuyer sur des « réussites » comme celle relatée ici, pour être demain, au sein de notre institution, force de proposition de nouveaux projets éducatifs. Des projets forgés ensemble, à l’écoute des adolescents et en lien avec les valeurs et les missions de la Protection judiciaire de la jeunesse.
26Une page du livre de Toit Accueil Vie se tourne. D’autres s’écriront, l’important étant que les adolescents puissent toujours bénéficier de ce mode d’accueil et que des professionnels continuent l’action entreprise et transforment le projet au plus près des besoins des jeunes et des attentes sociales d’aujourd’hui. La route continue. Souhaitons bon voyage, des passages à gué et des lumières pour « passer les ponts », aux jeunes qui vont y être accompagnés et aux équipes qui vont les y conduire.
Notes
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C’est l’hypothèse que pose le docteur Marcelli, psychiatre au chu de Poitiers, qui a réalisé un travail sur la question des maternités adolescentes.