Notes
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[1]
Kenneth Waltz, Man, the State and War : A Theoretical Analysis, New York (N.Y.), Columbia University Press, 1959, p. 1.
-
[2]
Les « Relations internationales », commençant par un R majuscule renvoient à la discipline universitaire, laquelle a pour objet d’étude les « relations internationales ».
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[3]
Pour un exposé à visée pédagogique en langue française des conditions d’éclosion de la discipline, voir le chapitre sur l’« évolution de la discipline des Relations internationales », dans Dario Battistella, Jérémie Cornut et Élie Baranets, Théories des relations internationales, Paris, Presses de Sciences Po, 2019 [6e éd.], p. 79-116. Pour une remise en cause de l’historiographie traditionnelle, voir Brian Schmidt, « Anarchy, World Politics and the Birth of a Discipline. American International Relations, Pluralist Theory and the Myth of Interwar Idealism », International Relations, 16 (1), avril 2002, p. 9-31.
-
[4]
Norman Angell, The Great Illusion, Londres, Putnam, 1913.
-
[5]
Thucydide, La guerre du Péloponnèse (411 avant J.-C.), Paris, Gallimard, 2000, p. 49.
-
[6]
À vrai dire, même l’interprétation de la position de Thucydide sur ces questions est sujette à débat. Voir sur ce point Andrew Novo et Jay Parker, Restoring Thucydides : Testing Familiar Lessons and Deriving New Ones, Amherst, Cambria Press, 2020 ; Jonathan Kirschner, « Handle Him with Care : The Importance of Getting Thucydides Right », Security Studies, 28 (1), 2019, p. 1-24 ; Andrew Novo, « Where We Get Thucydides Wrong : The Fallacies of History’s First “Hegemonic” War », Diplomacy and Statecraft, 27 (1), 2016, p. 1-21 ; Richard N. Lebow, « Thucydides the Constructivist », The American Political Science Review, 95 (3), 2001, p. 547-560.
-
[7]
James Meernick, The Political Use of Military Force in US Foreign Policy, Burlington, Ashgate, 2004.
-
[8]
Jack Snyder, Myths of Empire : Domestic Politics and International Ambitions, Ithaca, Cornell University Press, 1991.
-
[9]
Plus généralement, le débat sur la « paix démocratique », lequel s’interroge essentiellement sur les raisons de l’absence de guerres entre démocraties, n’est pas à proprement parler un débat sur les causes de la guerre. Néanmoins, un raisonnement a contrario permet d’utiliser cette littérature dans ce sens : si l’on sait pourquoi certains États ne se battent pas, cela nous permet d’en déduire des hypothèses sur les raisons pour lesquelles d’autres se battent. Pour un exposé pédagogique en langue française de ce débat, voir le chapitre « Paix et guerre » dans Battistella, Cornut et Baranets, Théories des relations internationales, op. cit., p. 593-632.
-
[10]
La littérature sur le sujet est abondante, notamment depuis 1971 et l’ouvrage pionnier de Graham Allison, Essence of Decision, lequel a plus tard été réédité : Graham Allison et Philip Zelikow, Essence of Decision. Explaining the Cuban Missile Crisis, New York, Longman, 1999 [2e éd.].
-
[11]
Robert Jervis, Perception and Misperception in International Relations [1976], Princeton, Princeton University Press, 2017 [2e éd.]. Certes, cet ouvrage, comme beaucoup d’autres durant plusieurs décennies, a présenté les approches psychologiques et cognitives comme des alternatives aux approches rationalistes. L’opposition est depuis dépassée, ce qu’admet Jervis dans la préface de la seconde édition de son livre. Désormais, la tendance est davantage à la quête des déterminants psychologiques qui influencent la rationalité d’une décision. Pour une approche synthétique, voir Alex Mintz et Carly Wayne, The Polythink Syndrome : U.S. Foreign Policy Decisions On 9/11, Afghanistan, Iraq, Iran, Syria, and ISIS, Stanford, Stanford University Press, 2016.
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[12]
Alexander Wendt, Social Theory of International Politics, Cambridge, Cambridge University Press, 1999, p. 9.
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[13]
Centrales au sein des Relations internationales, ces deux perspectives ne sont pas pour autant consensuellement approuvées. Voir par exemple, dans ce numéro, l’article de Richard Ned Lebow qui propose une alternative à ces dernières.
-
[14]
Waltz, Man, the State and War, op. cit., p. 232.
-
[15]
Kenneth Waltz, Theory of International Politics, New York, McGraw-Hill, 1979.
-
[16]
Paul Senese et John Vasquez, The Steps to War : An Empirical Study, Princeton, Princeton University Press, 2008.
-
[17]
Jack Levy et William Thompson, Causes of War, Malden, Wiley-Blackwell, 2010, p. 41.
-
[18]
Kenneth Waltz, « The Stability of a Bipolar World », Daedalus, 93 (3), p. 886.
-
[19]
Scott Sagan et Kenneth Waltz, The Spread of Nuclear Weapons : A Debate, New York, W. W. Norton, 1995.
-
[20]
On ne peut pas en dire autant des théories focalisées sur la deuxième image qui sont très répandues.
-
[21]
Waltz, Man, the State and War, op. cit., p. 231.
-
[22]
Morton Kaplan, System and Process in International Politics, New York, Wiley, 1957.
-
[23]
Raymond Aron, Paix et guerre entre les nations [1962], Calmann-Lévy, 2001.
-
[24]
Hans Morgenthau, Politics Among Nations. The Struggle for Power and Peace [1948], New York, MacGraw-Hill, 2005 [7e éd.].
-
[25]
Charles Kindleberger, La grande crise mondiale, 1929-1939 [1973], Paris, Economica, 1988 ; Robert Gilpin, War and Change in World Politics, Cambridge, Cambridge University Press, 1981.
-
[26]
A. F. K. Organski et Jacek Kugler, The War Ledger, Chicago, University of Chicago Press, 1980 ; Gilpin, War and Change in World Politics, op. cit. Depuis l’article de William Wohlforth, « The Stability of a Unipolar World », International Security, 24 (1), été 1999, p. 5-41, la thèse de la stabilité du système unipolaire est devenue courante, sans nécessairement inclure le déclin à venir de l’hégémon.
-
[27]
Waltz, « The Stability of a Bipolar World », op. cit.
-
[28]
Waltz, Theory of International Politics, op. cit. Pour une réflexion quant à l’insertion de la paix comme critère de stabilité, voir Nuno Monteiro, Theory of Unipolar Politics, Cambridge, Cambridge University Press, 2014, p. 55-58.
-
[29]
Kenneth Waltz, « The Origins of War in Neorealist Theory », The Journal of Interdisciplinary History, 18 (4), 1988, p. 620.
-
[30]
Edward H. Carr, La crise de vingt ans, 1919-1939. Une introduction de l’étude des relations internationales, Bruxelles, Éditions de l’Université de Bruxelles, 2015 ; Morgenthau, Politics Among Nations, op. cit. Pour une position similaire inspirée de la théologie, voir Reinhold Niebuhr, Moral Man and Immoral Society [1932], New York, C. Scribner’s, 1947.
-
[31]
On retrouve par exemple cette conception chez des auteurs majeurs tels que John Mearsheimer, The Tragedy of Great Power Politics, New York, Norton, 2001, p. 35-36.
-
[32]
John Herz, « Idealist Internationalism and the Security Dilemma », World Politics, 2 (2), janvier 1950, p. 157-180. Notre exposé s’inspire aussi de Robert Jervis, « Cooperation Under the Security Dilemma », World Politics, 30 (2), janvier 1978, p. 167-214 et surtout de Charles Glaser, Rational Theory of International Politics : The Logic of Competition and Cooperation, Princeton, Princeton University Press, 2010, bien que ce dernier préfère se référer aux mobiles (motives) des États renvoyant au caractère profond de ces derniers, plutôt qu’à leurs intentions, lesquelles concernent avant tout leurs actions. Pour un bon exposé pédagogique du sujet en langue française, voir Pascal Vennesson, « Le dilemme de la sécurité : anciens et nouveaux usages », Espace Temps, 71-73, 1999, p. 47-58.
-
[33]
Pour plus d’informations sur cette variable, voir Stephen Van Evera, Causes of War. Power and the Roots of Conflict, Ithaca, Cornell University Press, 1999.
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[34]
Sur le filtre psychologique au travers duquel les acteurs passent ces informations, voir Jervis, « Cooperation Under the Security Dilemma », op. cit.
-
[35]
James Davis Jr. et al., « Correspondence : Taking Offense at Offense-Defense Theory », International Security, 23 (3), hiver 1998-1999, p. 179-206.
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[36]
La guerre survient d’un désaccord sur la puissance relative des États concernés. Telle est l’explication proposée par Geoffrey Blainey, The Causes of War, New York, Free Press, 1988 [3e éd.]. Les combats font ensuite leur œuvre, mettant à jour l’écart de puissance entre les États, de telle sorte que la guerre cesse quand les évaluations de ces derniers finissent par converger.
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[37]
Sur la détermination, voir Joshua Kertzer, Resolve in International Politics, Princeton, Princeton University Press, 2016.
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[38]
Herbert Butterfield, History and Human Relations, Londres, Collins, 1951.
-
[39]
Sur le caractère insaisissable des intentions des États, et notamment des grandes puissances, voir Sebastian Rosato, « The Inscrutable Intentions of Great Powers », International Security, 39 (3), hiver 2014-2015, p. 48-88, un point de vue débattu dans International Security, 40 (3), hiver 2015-2016, p. 197-215.
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[40]
Glaser, Rational Theory of International Politics, op. cit., p. 146 et p. 153-154. Pour la défense de Mearsheimer, ce dernier, nous l’avons mentionné, exclut le critère dilemmatique de sa définition du dilemme de sécurité. De deux choses l’une, cependant : soit, de manière quelque peu absurde, on ne considère pas le dilemme de sécurité comme un dilemme, auquel cas ce dernier est compatible avec le réalisme offensif, mais au prix d’une sérieuse amputation de sa valeur analytique, soit on le considère effectivement comme un dilemme, auquel cas il devient incompatible avec le réalisme offensif. Dans tous les cas, l’utilité du concept est à peu près anéantie.
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[41]
Pour une analyse de l’historiographie de ces conflits, voir l’article de Pierre Grosser dans ce numéro.
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[42]
Glaser présume l’acteur rationnel, tout en admettant que les États ne le sont pas toujours, et qu’ils optent régulièrement pour des stratégies au rendement suboptimal. Il s’ensuit que sa théorie revêt un caractère normatif qu’il ne cherche d’ailleurs nullement à dissimuler.
-
[43]
James Fearon, « Rationalist Explanations for War », International Organization, 49 (3), été 1995, p. 379-414. Voir l’article de Sophie Panel dans ce numéro.
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[44]
Jonathan Mercer, Reputation and International Politics, Ithaca, Cornell University Press, 1996. La réputation comme facteur est un aspect abordé dans ce numéro dans l’article proposé par Richard Ned Lebow.
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[45]
Marcel Mauss, Essai sur le don : Forme et raison de l’échange dans les sociétés archaïques, Paris, Presses universitaires de France, 2012. Cette qualification est proposée par Jean-Vincent Holeindre et Laurent Testot, La guerre : des origines à nos jours, Auxerre, Éditions des Sciences humaines, 2014.
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[46]
Wendt, Social Theory of International Politics, op. cit.
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[47]
Alexander Wendt, « Anarchy Is What States Make of It. The Social Construction of World Politics », International Organization, 46 (2), printemps 1992, p. 391-425. L’article de Richard Ned Lebow, dans ce numéro, s’inscrit justement dans une perspective similaire.
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[48]
Nous sommes loin d’avoir passé en revue toutes les théories rationalistes de la guerre et de ses causes. Parmi celles que nous avons choisi de ne pas traiter se trouve en bonne place la théorie de l’utilité espérée, notamment représentée par Bruce Bueno de Mesquita. Pour une présentation critique en langue française de l’œuvre de ce dernier, voir Élie Baranets, « La rationalisation des conflits internationaux : dévoiler l’approche de Bruce Bueno de Mesquita », Dynamiques internationales, varia 8, 2015, p. 1-15.
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[49]
Voir dans ce dossier l’article de Sophie Panel.
Introduction
1« Demander qui a gagné telle guerre […], c’est comme demander qui a gagné le tremblement de terre de San Francisco [1] ». Ces mots, les premiers d’un des ouvrages de référence en Relations internationales [2], Man, the State and War de Kenneth Waltz, questionnent la rationalité du choix des armes. L’ampleur des destructions et le lot de malheurs que la guerre provoque rendraient inadéquat le concept de victoire, tant chacun semble y perdre. D’un point de vue théorique, une guerre qui survient est une énigme que des siècles de réflexions n’ont suffi à complètement résoudre. D’un point de vue pratique, on peut se demander si notre ignorance quant aux conditions d’apparition de ce phénomène ne nous condamne pas à le voir se reproduire.
2Pouvoir expliquer pourquoi la guerre éclate dans le but de se prémunir de ce scénario, tel fut le dessein des fondateurs de la première chaire de politique internationale créée au pays de Galles, initiative communément considérée comme marquant la naissance de la discipline des Relations internationales, au lendemain de la première guerre mondiale [3]. Pour autant, à croire des internationalistes libéraux du début du xxe siècle tels que Norman Angell, l’irrationalité de la guerre n’est pas suffisante pour qu’elle soit éradiquée. Aussi faut-il que chacun soit convaincu que la guerre ne profite pas, d’où l’intérêt de réaliser des études en ce sens [4].
3Il ne faut pas attendre de ces questionnements qu’ils aboutissent à la découverte de la cause des guerres. L’utilité de ces derniers tient dans les réflexions et arguments dont ils ont permis le développement. En effet, depuis Thucydide au ve siècle avant J.-C., soutenant que « la cause la plus vraie, celle aussi qui fut le moins mise en avant » de la guerre du Péloponnèse fut la montée en puissance d’Athènes inquiétant Sparte [5], il ne se dégage de consensus ni sur la nature des causes de la guerre [6], ni sur le niveau d’analyse à partir duquel il faudrait essayer de les identifier, ni sur la manière de combiner les différentes causes entre elles. En outre, ces controverses se nourrissent de l’évolution des formes de guerre et de la nature et moyens employés par les belligérants.
4Dans tous les cas, on a tôt fait d’assimiler la rationalité à une illusion lorsqu’il s’agit de la guerre, moins en vertu de l’argument des coûts amoindris qu’elle génère par rapport à une issue négociée au conflit, que de celui de l’incertitude inhérente au fait guerrier. Or, si le premier argument s’apparente à un problème substantiel aux approches rationnelles, le second ne l’est souvent qu’au prix d’une caricature de ce que constitue la rationalité dans la prise de décision au sein de la littérature scientifique. Qu’il soit impossible pour les décideurs de prédire la durée, les modalités, et l’issue d’une confrontation n’implique pas que la décision de recourir à cette confrontation relève de l’irrationalité. Cela indique simplement que la prise de décision opère dans un milieu entouré d’incertitude, paramètre que les décideurs peuvent prendre en compte avant d’agir. C’est là une contrainte que les approches rationalistes n’ignorent pas et tentent régulièrement d’intégrer à leurs calculs. Qu’ils y parviennent ou qu’ils échouent est une autre question. En l’occurrence, nous verrons que le domaine d’étude sur les causes de la guerre a bénéficié de l’apport des théories postulant l’acteur rationnel. Il est par conséquent loin d’être évident qu’il faille, au nom de la complexité des processus accompagnant le fait guerrier, se refuser à toute généralisation à son endroit, en considérant que la friction, quand ce n’est pas le chaos, l’emportent sur la raison.
5Reste à déterminer l’identité de l’acteur sur lequel se focaliser, acteur qui est aussi celui à qui cette rationalité est conférée. Une première approche consiste à se concentrer sur les acteurs internes. Une des plus célèbres, mais aussi une des moins robustes, souligne les efforts des responsables politiques pour conduire une guerre contre un ennemi extérieur dans le but de détourner l’attention du public des problèmes internes qui embarrassent le pouvoir. De telles « guerres de diversion », si elles peuvent se produire, à l’image du cas de l’Argentine lors de la guerre des Malouines en 1982, interviennent de manière trop ponctuelle pour que la théorie du même nom soit considérée comme pertinente [7]. Beaucoup plus solides apparaissent les études montrant l’intérêt de certains acteurs internes à user de leur influence pour précipiter une guerre car ils en tirent un avantage particulier, tandis que les coûts de cette confrontation armée sont diffus. Cette proposition générale, qui peut concerner des acteurs internes variés tels que les décideurs, certaines élites, le « complexe militaro-industriel » et avec lui certains lobbies, a sans doute vu une de ses plus belles applications dans l’étude sur l’impérialisme qu’a produite Jack Snyder [8]. À cet égard, discriminer les États en fonction de leur régime politique s’est affirmé comme une étape cruciale. La propension des États démocratiques à demeurer en paix a d’ailleurs été massivement étudiée [9]. Enfin, les études quant aux modalités de la prise de décision ont apporté un éclairage précieux, qu’elles mettent l’accent sur l’importance des rouages bureaucratiques et logiques organisationnelles [10] ou sur les perceptions des décideurs et sur les biais cognitifs qui les caractérisent [11].
6Mais bien que les approches centrées sur les acteurs internes affichent un fort dynamisme au sein des Relations internationales, l’acteur qui a suscité le plus d’attention demeure l’État. Pour beaucoup, ses capacités propres, notamment en termes de légitimité et d’attributs militaires, apparaissent comme les plus adaptées à la configuration anarchique des relations internationales. Les théoriciens réalistes, qui ont longtemps dominé la discipline, illustrent cette tendance. Pour d’autres, l’État est l’acteur « naturel » des Relations internationales, du fait même de l’objet d’étude que la discipline s’est assigné [12]. Si tous ne pensent pas ainsi, cette disposition à faire de l’État l’acteur majeur est suffisamment répandue pour que nous en fassions un angle d’approche premier. Par souci de clarté et de place, nous nous concentrerons sur les analyses qui voient dans l’État un acteur unitaire. C’est le cas des théories qui, se situant au niveau du système international, étudient la distribution de la puissance entre les différents États. Nous les présenterons dans un premier temps. C’est aussi le cas des théories qui, se situant au niveau plus « micro » des interactions entre États, étudient la relation d’un État à l’autre. Nous les présenterons dans un second temps [13].
L’état et la distribution de la puissance à l’échelle systémique
7En attribuant des causes aux phénomènes, l’observateur est en mesure de proposer un « récit » ou « narratif » (narrative) quant à leurs origines. Un même phénomène donnera lieu à des narratifs distincts en fonction de l’angle par lequel il est étudié. Pour être cohérent et intelligible, chaque narratif donne la priorité à certains aspects de la réalité par rapport à d’autres. Il s’ensuit que plusieurs narratifs du même phénomène peuvent coexister sans pour autant que l’un d’entre eux doive nécessairement être considéré comme invalidé. Il en va de même pour la guerre. L’idée qu’on se fera de ses causes dépendra du niveau privilégié pour en faire l’analyse.
8En Relations internationales, Kenneth Waltz, dans Man, the State and War, a pour ainsi dire « sanctuarisé » la manière dont nous différencions les niveaux d’analyse, ou plutôt, ainsi qu’il les appelle, les « images » par lesquelles on s’attache à se représenter les causes de la guerre. Il en distingue trois. La première image renvoie à la nature humaine, la seconde à l’organisation interne de l’État, la troisième à la nature du système international. C’est cette dernière image qu’il cherche à valoriser. Les causes immédiates des guerres peuvent bien être en lien avec la nature humaine ou la forme de l’État, elles n’ont un effet qu’en vertu de la troisième image.
9Contrairement à la croyance répandue, Waltz ne nie pas l’importance des première et deuxième images, reconnaissant que chacune renvoie à des facteurs de l’éclosion de la violence armée. Mais le rôle qu’elles jouent est conditionné par la nature anarchique d’un système international dénué d’autorité régulatrice effective. La troisième image nous permet alors de comprendre que « les guerres ont lieu car il n’est rien qui puisse les empêcher [14] ». Si Waltz ne disqualifie pas les deux premiers niveaux d’analyse, il se montre très critique vis-à-vis des théories centrées sur celles-ci, car leur ignorance des facteurs relevant de la troisième image les rend inaptes à déterminer les conditions pour lesquelles les propositions qu’elles portent s’appliquent. Quel est, par exemple, le pouvoir explicatif d’une théorie des causes de la guerre fondée sur la nature humaine si les périodes de guerre et de paix se succèdent, tandis que la nature humaine, elle, reste inchangée ? Quant à la pacification des attentes de certains États, potentiellement due à leur forme, elle n’expliquera que peu de choses sur le degré de pacification de la scène internationale sans prise en compte des interactions avec les autres États qui, elles, relèvent de la troisième image : comment, sans cela, expliquer que l’Allemagne nazie devenait, non pas moins, mais plus agressive à mesure que les démocraties occidentales affichaient leur pacifisme ?
10Ce positionnement appuie les fondations du néoréalisme, approche majeure au sein de la discipline. En soi, néanmoins, on n’y trouve pas encore de théorie, ni sur les relations internationales, ni sur les causes de la guerre. Ce n’est que vingt années plus tard, avec Theory of International Politics, que Waltz assume cette ambition [15]. Cet effort de théorisation fera de Waltz l’auteur dont l’impact sur le champ a été le plus fort ; car si tous les auteurs ne s’inscrivent pas dans son sillon, tous ou presque se situent par rapport à lui, la plupart du temps négativement d’ailleurs. Certes, Waltz n’est pionnier ni dans le fait de qualifier le système international d’anarchique, ni dans celui de considérer l’équilibre de la puissance comme un mécanisme central de la politique internationale. Mais le statut qu’il donne à ces propositions en a fait un auteur incontournable. Considérable, son influence sur l’orientation des débats entre internationalistes justifie que nous prenions les variables systémiques comme point de départ de notre exposé.
11Les théories auxquelles nous allons nous référer n’ont pas toutes été élaborées dans l’unique but d’expliquer l’occurrence de la guerre. Certaines d’entre elles entendent rendre compte d’une multitude de mécanismes tels que le choix de contracter des alliances ou de se renforcer militairement. Mais puisque ces approches appréhendent également le recours à la force, il est logique de les considérer comme des théories des causes de la guerre, et elles sont d’ailleurs largement perçues comme telles.
12On retiendra de la perspective de Waltz que, situés dans un environnement dénué d’autorité régulatrice, les États s’attachent avant tout à assurer leur survie. À cet égard, politique interne et politique internationale diffèrent fondamentalement. La structure anarchique du système international pousse les États à ne compter que sur eux-mêmes et à s’uniformiser, tant par la compétition que par la socialisation, tandis qu’ils adaptent leur comportement à la précarité sécuritaire induite par l’anarchie qui les entoure. Waltz ne juge alors pas nécessaire de postuler la rationalité de l’acteur. Systémique, son approche identifie les contraintes qui agissent sur les États, contraintes qui émanent de la structure anarchique dans laquelle ces derniers évoluent. Les États rationnels s’y adaptent, et imitent ceux qui connaissent le plus de réussite. D’autres États peuvent bien en dévier, ils en subiront les conséquences, au contraire de la théorie de Waltz qui ne trouve guère d’utilité à rendre compte du choix de tels acteurs, condamnés à l’insignifiance.
13Ce sont donc moins les contraintes de la politique interne que celles issues du système international qui importent. Si, dans un marché de petites firmes, le choix de chacune d’elles est insignifiant pour le tout, il en va autrement dans un marché oligopolistique. La scène internationale peut être assimilée à ce dernier. Le nombre de grandes puissances compte par conséquent pour beaucoup en politique internationale, et c’est notamment de lui que dépend le risque de guerres.
14Pour Waltz, c’est la structure bipolaire, c’est-à-dire comprenant deux grandes puissances étatiques, qui semble offrir le plus de garanties. Les grandes puissances, satisfaites de leur sort et soucieuses de conserver leur rang, ont moins d’interactions que si elles étaient nombreuses, ce qui génère moins d’interdépendance. Or, il s’agit d’un processus que Waltz perçoit, au contraire des théoriciens libéraux, comme belligène. Dans un système bipolaire, la position et le comportement de chacun sont relativement lisibles pour tous les autres acteurs, réduisant le risque de guerres à la suite d’erreurs de jugement.
15À l’inverse, le système multipolaire génère une grande flexibilité qui en complexifie la compréhension. Toute puissance est rendue vulnérable par la défection potentielle d’un allié, même mineur. Ce n’est guère le cas au sein d’un système bipolaire au sein duquel les grandes puissances ont d’ailleurs tendance à contrôler la puissance de l’autre en s’appuyant sur leurs capacités propres (internal balancing), un processus moins hasardeux et ambigu que ne l’est le recours aux alliances (external balancing). Certaines études empiriques ont par la suite conforté cette intuition, soulignant qu’à la formation d’alliances succède souvent l’usage de la violence armée [16]. On se gardera pour autant d’en déduire le caractère belligène de l’alliance. Quand bien même existe une corrélation alliances-guerre, on pourrait tout aussi bien en conclure que ce ne sont pas les alliances qui conduisent à la guerre, mais plutôt que les États décident de nouer des alliances lorsqu’ils estiment l’affrontement probable [17].
16D’un point de vue empirique, néanmoins, la période de guerre froide témoigne de la propension d’un système bipolaire à générer des réactions excessives de la part de chacun des pôles au regard de la faible dangerosité objective qui caractérise la situation initiale. En ce qu’il affecte avant tout les moyens alloués à la défense et la conduite de guerres limitées, cet effet pervers demeure moins dangereux que ne l’est le risque de mauvais jugement, déclencheur potentiel de guerres majeures, et propre au système multipolaire.
17Précisons que tous les systèmes multipolaires ne se valent pas. Instable, le système tripolaire ouvre la voie à une alliance entre deux puissances contre la troisième, débouchant sur un changement de système. Des systèmes à quatre ou cinq puissances laissent envisager certains scénarios d’alliances permettant d’équilibrer la puissance à l’échelle systémique. Selon Waltz, ils sont toutefois moins stables que ce qu’en dit la croyance populaire, laquelle néglige le rôle de l’incertitude dans la formation de ces alliances complexes. Quoi qu’il en soit, cette possibilité de rééquilibrage se réduit à mesure que le nombre de pôles de puissance croît. Mais alors comment se fait-il qu’il soit courant de considérer que l’équilibre offert par le système bipolaire soit particulièrement précaire ? Cette instabilité perçue de la bipolarité, Waltz l’attribue notamment au fait que certains systèmes multipolaires instables sont assimilés, à tort, à des systèmes bipolaires. C’est le cas lorsque plusieurs puissances se réunissent autour de deux blocs. Il s’agit d’une confusion car un bloc est à différencier d’un pôle, lequel ne peut être constitué que d’un seul État. Si ces systèmes sont en effet instables, ils sont également, et c’en est même la raison, multipolaires et non bipolaires.
18Quelle place accorder à la dissuasion nucléaire dans ces conditions ? Ne devrait-on pas attribuer la stabilité du système international durant la guerre froide, non pas au fait que les grandes puissances étaient au nombre de deux, mais plutôt au fait qu’elles détenaient des armes au potentiel si dévastateur qu’elles rendaient l’usage de la force plus irrationnel que jamais ? À l’image de la plupart des théoriciens de la polarité, Kenneth Waltz rechigne à faire des armes nucléaires un facteur autonome de paix et de stabilité, et préfère interpréter les enjeux nucléaires au prisme de la structure du système international [18], ce qui ne l’empêchera pas par la suite de souligner l’effet stabilisateur de l’atome. Il se montrera alors autrement moins pessimiste quant aux risques induits par la prolifération nucléaire qu’un Scott Sagan avec lequel il a débattu [19].
19Discuter des mérites et des limites du néoréalisme de l’approche générale de la politique internationale outrepasse notre questionnement. L’approche waltzienne nous intéresse ici en ce qu’elle ambitionne de rendre compte de l’apparition des conflits armés. Très influente, elle a contribué à discréditer la centralisation de certains débats savants autour de la première image [20] et a servi de base à un grand nombre d’enquêtes prenant en compte la structure du système international. Elle a également fait l’objet de critiques, la plus récurrente étant sans doute celle qui consiste à lui reprocher de n’être capable que de dévoiler une condition permissive de la guerre, sans jamais être en mesure d’en révéler la cause.
20Waltz ne cherche pas à identifier les origines précises des guerres, mais les causes plus générales qui font que certaines situations sont propices à l’affrontement armé. Dès 1959, Waltz souligne que la troisième image qu’il met en avant n’a pas vocation à théoriser les « causes accidentelles » de la guerre, mais à théoriser le cadre qui fait que de tels accidents, de toute nature potentielle, puissent déclencher une guerre [21].
21Cependant, si les conditions mises en lumière par Waltz sont à l’origine, bien qu’indirectes, des guerres, il n’y a pas de raison de les disqualifier comme causes potentielles de celles-ci. Certes, les conditions de la guerre mises en avant par Waltz n’en sont ni des causes suffisantes, ni des causes immédiates. Elles en sont des conditions nécessaires et lointaines. En cela, elles sont aptes à générer un narratif quant à l’apparition des guerres, et ainsi à prétendre au statut de cause de ces dernières. Il s’ensuit que l’œuvre de Waltz offrira un éclairage qui sera, au mieux, insuffisant à quiconque entreprend une recherche sur les origines d’une guerre en particulier. Elle pourrait en revanche se révéler utile au chercheur désireux de monter en généralité.
22Pour autant que les variables systémiques peuvent être considérées comme des causes de guerre, il n’existe pas de consensus parmi les théoriciens sensibles à la distribution de la puissance pour dire quelle structure est la plus pacifique. Avant Waltz, il était relativement courant de conférer cette propriété au système multipolaire. L’argument récurrent soutenant cette thèse tient alors dans la multiplicité des choix d’alliances possibles qui s’offre à chaque entité. S’ensuit une grande fluidité qui permet de contenir les velléités expansionnistes de n’importe quel État tiers, générant un équilibre de la puissance qui, quoique précaire, demeure la moins mauvaise garantie contre l’instabilité d’un monde au sein duquel la puissance règne. La relative quiétude du Concert européen plaidait en faveur de cette proposition, par ailleurs portée par des auteurs majeurs. Morton Kaplan est l’un d’eux [22]. C’est aussi le cas de Raymond Aron et de Hans Morgenthau. Auteur plus sophistiqué que la plupart des théoriciens réalistes aux côtés desquels il est traditionnellement catégorisé, Aron rechigne à faire de la seule polarité la raison de l’absence d’hostilités, et préfère inclure dans son analyse des variables internes. Selon lui, l’équilibre propre au Concert européen provient également de la proximité idéologique des grandes puissances, caractérisant ce qu’il appelle un « système homogène » qu’il oppose au « système hétérogène ». Plus encore, il connecte cette variable interne avec la variable systémique de configuration des forces en considérant le système multipolaire comme plus propice qu’un autre à générer de l’homogénéité, et donc de la stabilité [23]. Morgenthau, quant à lui, ne passe pas explicitement en revue les différentes configurations en termes de polarité pour évaluer les vertus de chacune. Mais en soutenant que la flexibilité en termes d’alliances tend à rendre les acteurs prudents, il fait du système multipolaire le plus stable de tous [24].
23Quant à la stabilité du système unipolaire, elle est notamment défendue par les théoriciens de la stabilité hégémonique. En amassant des capacités matérielles, la puissance dominante dispose de moyens accrus pour dissuader d’éventuels challengers de menacer sa position au sommet de ce qui peut s’apparenter à une hiérarchie internationale. La grande puissance peut même envisager de façonner les normes du système international pour que sa domination paraisse acceptable, ce qui en ferait un hégémon [25]. S’ils affirment la stabilité du système unipolaire, beaucoup de ces théoriciens soulignent les difficultés, à terme, de maintenir une telle domination. L’unipolarité devient ainsi un objet d’étude, moins par la stabilité qu’elle induit que par l’instabilité qui caractérise sa progressive disparition du fait de la baisse de puissance de l’hégémon, ainsi que le mettent en avant les théories de la transition de puissance [26].
24Comme beaucoup de théoriciens de la polarité, ces derniers préfèrent parler de stabilité plutôt que de paix lorsqu’ils étudient l’impact du nombre de grandes puissances. La nuance est significative car seules les théories qui s’appliquent à la paix peuvent être considérées comme des théories des causes de la guerre. Si, dans certains cas, la stabilité apparaît comme un synonyme de paix, dans d’autres, elle comprend la paix, mais également la durabilité du système. Parfois, enfin, la stabilité exclut la paix et ne concerne plus que la durabilité du système ou sa résilience aux crises. La littérature, sur ce point, n’est donc pas claire, et beaucoup d’auteurs, même pris individuellement, ne le sont pas davantage. Waltz, par exemple, incluait dans un premier temps la paix dans sa définition de la stabilité [27], jusqu’à ce qu’il décide de l’exclure, en tout cas formellement, puisqu’il continuait de lui appliquer ses propositions de manière ponctuelle [28]. Il n’est donc guère d’autre choix que de procéder à la vérification au cas par cas de l’objet sur lequel s’applique la théorie concernée.
25En tout état de cause, une perspective systémique doit permettre de prendre la mesure des impératifs qui pèsent sur les décideurs. Ceux-là proviennent de l’environnement dans lequel les États évoluent, environnement qui fait apparaître les calculs en termes de sécurité et de puissance comme essentiels, quand bien même, d’une part, cela pourrait précipiter l’usage de la force et, d’autre part, un tel usage ne semble profiter à personne. Mais doit-on réellement présumer que nul ne gagne à s’affronter violemment ? Et si tel est le cas, comment expliquer la décision de recourir à la guerre. Sa théorie, admet sans détour Kenneth Waltz, explique « la sombre récurrence de la guerre à travers les âges », mais certainement pas « pourquoi des guerres en particulier ont lieu » [29]. On pourrait sans doute généraliser cette remarque aux recherches focalisées sur la polarité du système international. Une analyse située au niveau des interactions entre deux États offre davantage de pistes de réflexion afin d’éclaircir ce point spécifique.
Les états face à face : le dilemme de sécurité
26Le projet pacificateur qui a accompagné la création des Relations internationales comme discipline a suscité le scepticisme de la part de ceux qui considéraient que la nature humaine était incompatible avec ce projet idéaliste [30]. La suite des événements que furent notamment l’échec de la Société des Nations, l’éclatement de la seconde guerre mondiale et le début de la guerre froide dans la foulée, semble leur avoir donné raison. Mais peut-être ce dénouement ne valide-t-il leur positionnement qu’en surface, dans le sens où la politique de puissance peut tout aussi bien découler de principes ne provenant pas de la première image. C’est en tout cas la direction qu’a prise la recherche. En politique internationale, nul besoin d’être animé d’intentions agressives pour se comporter de manière agressive. Cette idée va se développer et se préciser dans la littérature en étant traduite par le concept de « dilemme de sécurité ».
27Théories de la polarité et dilemme de sécurité se rejoignent au sujet des contraintes induites par la structure anarchique du système international, valorisant la politique de puissance. Mais là où les théories de la polarité que nous avons exposées examinent des processus qui opèrent à l’échelle systémique, le dilemme de sécurité saisit les interactions entre deux États, au niveau dyadique. Dans son acception élargie, le dilemme de sécurité renvoie à l’idée que les mesures prises par un État pour augmenter sa sécurité font diminuer celle des autres [31]. Dans son application plus restrictive, il qualifie la situation problématique dans laquelle se trouve l’État A qui, incertain quant aux intentions de l’État B, augmente ses capacités militaires afin d’augmenter sa sécurité. L’État B, placé dans la même situation délicate et réciproquement incertaine quant aux intentions de l’État A, voit sa sécurité diminuer, ce qui le conduit lui-même à augmenter ses capacités, enclenchant un cercle vicieux ouvrant la voie à la compétition militaire, qui se concrétise par une course à l’armement, par la formation d’alliances, et/ou par le déclenchement d’un conflit armé.
28La seconde version a notre préférence, car plus fidèle à la description qu’en fait John Herz, auteur à l’origine de la formule [32]. Surtout, cette version restrictive est plus fertile théoriquement dans le sens où sa plus grande précision fait apparaître un phénomène contre-intuitif qu’elle se propose d’expliquer : le fait que la compétition militaire prenne place en l’absence de toute intention d’en découdre de la part de chacun des deux États. Cette apparente anomalie provient du fait qu’en situation d’anarchie, les États 1) craignent pour leur sécurité, 2) ne sont pas assurés que les intentions de l’autre soient bénignes, et 3) ne parviennent pas à communiquer leurs intentions (dont on suppose qu’elles sont bénignes). Il devient alors envisageable d’expliquer le recours à la compétition militaire, voire à la guerre, sans l’abandonner à l’irrationalité des humains. Encore faut-il spécifier les conditions de cette compétition dans la littérature sur le dilemme de sécurité. Nous en recenserons quatre.
29La première condition concerne le coût requis pour conduire une attaque, comparé au coût nécessaire à l’État attaqué pour s’en défendre. Ce rapport, connu sous le nom d’équilibre de l’offensive et de la défensive, dépend essentiellement de conditions géographiques (frontières naturelles, espace) et facteurs technologiques (selon que l’état des innovations favorise l’attaque ou la défense). Le paramètre pertinent à considérer ici n’est pas la nature de l’arme mais son influence dans le ratio attaque/défense. Par exemple, les armes nucléaires, armes pourtant intrinsèquement offensives, font pencher l’équilibre du côté de la défensive car il faut moins de moyens investis dans cet armement pour dissuader une attaque contre soi qu’il n’en faut à l’attaquant pour empêcher le défenseur de le dissuader d’attaquer. Moins l’attaque est coûteuse comparativement à la défense, plus la sévérité du dilemme de sécurité augmente [33]. On pourra toutefois se demander si l’élément à prendre en compte est l’équilibre de l’offensive et de la défensive en soi, ou bien sa perception, au regard, par exemple, du comportement des belligérants durant la première guerre mondiale agissant sur la croyance biaisée d’un avantage conféré à l’attaque [34].
30La deuxième condition concerne l’aptitude à différencier capacités militaires défensives et offensives. En cas de différentiation possible, un État peut augmenter sa sécurité en se dotant de ressources à usage ostensiblement défensif. La sécurité des autres États ne s’en trouve pas diminuée : le dilemme de sécurité disparaît. De tous les arguments mobilisés par les théoriciens du dilemme de sécurité pour se représenter les situations propices à l’absence de compétition militaire, celui-ci est sans doute le plus remis en cause. L’une des raisons de ce scepticisme tient dans ce que la nature d’un armement compte moins que l’usage qui en est fait, rendant la différenciation entre capacités offensives et défensives, si ce n’est fallacieuse, pour le moins délicate à établir [35].
31La troisième condition concerne le différentiel de puissance entre les deux États concernés [36]. Même s’il augmente ses capacités militaires, l’État A risque de ne pas susciter de crainte, et donc ne pas provoquer de réaction de la part de l’État B, à condition que ce dernier se considère suffisamment plus puissant que l’État A. C’est le cas lorsque ce dernier se juge vulnérabilisé par ce changement marginal dans le rapport de force. Si c’est l’État A qui est cette fois significativement plus puissant que l’État B, et qu’il décide d’augmenter ses capacités, l’État B pourrait également décider de ne pas augmenter les siennes, mais pour une raison différente. Loin d’être rassuré par les manœuvres de l’État A, l’État B anticipe néanmoins que s’il augmente ses capacités à son tour, il pourrait amorcer une spirale de compétition militaire. Or, cette spirale conduit à une course à l’armement voire à un conflit armé ouvert, deux formes de compétitions qu’il a toutes les chances de perdre étant donné que la puissance supérieure de son adversaire lui permet d’injecter plus de ressources dans cette opposition que l’État B ne peut espérer en injecter lui-même. Aussi vaut-il mieux pour ce dernier renoncer à l’escalade après que l’État A a augmenté ses capacités. Bien que la sécurité de l’État B se trouve amoindrie par rapport à la situation initiale, il la ménage davantage en cas de retenue qu’en cas de compétition perdue. En outre, cette alternative lui permet de disposer de plus de ressources économiques susceptibles d’être investies en interne.
32La quatrième et dernière condition du dilemme de sécurité est non matérielle et concerne les perceptions par l’État A et l’État B de leurs intentions réciproques. Deux États rassurés sont une condition suffisante pour éteindre le dilemme de sécurité. L’État A peut tenter d’empêcher la spirale de la compétition militaire s’il persuade l’État B du caractère bénin de ses propres intentions. À cette fin, et dans un environnement anarchique caractérisé par la suspicion, les discours en disent moins que les actes. Ce sont donc les engagements concrets qui seront scrutés. Afin de rassurer l’État B, l’État A peut par exemple limiter ses capacités à la défense du territoire, ne pas procéder à des manœuvres agressives alors qu’existe pourtant un avantage à mobiliser ou à frapper le premier, et plus généralement, prendre des mesures qui seraient irrationnelles s’il était autre chose qu’un État dénué d’intentions pernicieuses. Il serait toutefois imprudent de chercher à rassurer un État qui serait animé d’intentions malignes. S’engager de manière coopérative plutôt que compétitive, par exemple à travers un régime de maîtrise des armements, vous expose dans la mesure où votre homologue risque de ne pas respecter ses engagements, puis de profiter de sa défection à vos dépens. De plus, vouloir persuader du caractère bénin de ses propres intentions peut être interprété comme le signe d’un manque de détermination, ce qui inciterait un État aux intentions malignes à se comporter de manière agressive à votre encontre [37].
33Ces quatre conditions sont décrites de manière simplifiée dans leur contenu. En outre, pour des raisons heuristiques, nous les présentons distinctement, alors qu’elles opèrent en réalité de concert. Enfin, elles ne sont pas stables dans le temps et c’est d’ailleurs leur évolution que les acteurs tentent d’anticiper dans leurs calculs. Pour être plus complet (sans pour autant être exhaustif car nous pourrions dupliquer les degrés de lecture à l’infini), il faut spécifier que si des États veulent s’assurer de l’élimination du dilemme de sécurité, il ne suffit pas que chacun soit assuré des intentions bénignes de l’autre. Il faut aussi qu’ils estiment que l’autre ne les considère pas comme dangereux. En effet, si l’État A ignore que l’État B le perçoit comme non menaçant, il risque de s’attendre (à tort) à un comportement agressif de l’État B, et de prendre par précaution des mesures agressives fondées sur une (mauvaise) anticipation.
34Une question corollaire consiste à se demander ce que dit le dilemme de sécurité des situations pour lesquelles les États ne sont pas dotés d’intentions bénignes. La réponse est claire : par définition, le dilemme de sécurité n’opère pas. Ce dernier découle des implications des croyances et comportements d’États qui cherchent à garantir leur sécurité. S’ils nourrissent d’autres desseins, alors c’est un autre mécanisme qui est à l’œuvre. Le déclenchement de la seconde guerre mondiale, par exemple, ne relève pas du dilemme de sécurité, du fait de la nature expansionniste des desseins de l’Allemagne nazie. Que le dilemme de sécurité ne s’observe pas n’implique pas l’impossibilité de la guerre. Cela implique plutôt que si cette dernière a lieu, elle fera suite à un processus distinct. Peu d’auteurs considèrent d’ailleurs que c’est du dilemme de sécurité que doivent naître tous les conflits armés. Herbert Butterfield fait, certes, figure d’exception [38]. Néanmoins, sa position singulière peut s’expliquer par la particularité qui est la sienne de faire reposer le dilemme de sécurité, moins sur les contraintes induites par la nature anarchique du système international que sur l’universelle nature humaine.
35Plus encore, il ne suffit pas qu’existe un état d’insécurité entre États, une course aux armements, ni même que le premier entraîne la seconde, pour que l’on soit autorisé à parler de dilemme de sécurité. Il faut avant toute chose qu’existe un dilemme. Par conséquent, quoi qu’en dise John Mearsheimer, la version offensive du réalisme qu’il propose ne peut pas reposer sur le dilemme de sécurité. Incapables de cerner leurs intentions respectives, les États, selon Mearsheimer, imaginent le pire. Ils ont alors raison de conclure que l’augmentation de leurs capacités fera moins pour diminuer leur sécurité qu’un comportement coopératif, qui les met dans une position de vulnérabilité [39]. À l’inverse, il ne fait guère de sens de renoncer à augmenter ses capacités de crainte que son ennemi se retrouve dans un état d’insécurité, puisqu’en effet ce dernier est, quoi qu’il en soit, condamné à l’insécurité [40]. Nul dilemme ici.
36Le dilemme de sécurité est autrement plus applicable aux versions défensives du réalisme. Il permet d’expliquer le comportement agressif d’États pourtant moins disposés à accumuler de la puissance. On n’en saisit que mieux les conditions d’application d’un des mécanismes auquel il est le plus fait référence en Relations internationales, et régulièrement mis en avant pour expliquer les origines de la première guerre mondiale, de la guerre des Six-Jours, et surtout les choix des deux Grands durant la guerre froide [41]. On en conclura, avec Charles Glaser, que, même dans des conditions de dilemme de sécurité, la compétition n’est pas toujours l’option la plus optimale, qu’augmenter sa sécurité passe souvent par le ménagement de celle de l’autre, que ce n’est pas parce que l’on peut avoir un avantage militaire qu’il faut chercher à l’avoir, et que l’on aurait tort de présumer le pire au sujet des intentions des autres [42]. A contrario, on aura pu en déduire les conditions pour lesquelles le choix de la compétition militaire s’impose, avec le risque de guerre que cela implique.
37Ce détour par le dilemme de sécurité nous permet donc de dissiper le brouillard, non pas de la guerre, mais des conditions de son apparition. Pour autant, la vue n’est pas encore complètement dégagée. Certes, les théories que nous avons exposées identifient les conditions propices à la montée de la conflictualité, et elles le font sans avoir à caractériser cette conflictualité comme une folie. Elles échouent néanmoins à résoudre l’énigme fondamentale que représente la décision ultime des acteurs politiques de faire la guerre plutôt que d’opter pour une solution négociée.
38Affirmer qu’en guerre, tout le monde y perd, signifie que l’on raisonne en termes absolus. Le constat doit être formulé de manière différente à partir du moment où l’on raisonne en termes relatifs : si je perds moins que ce que perd mon ennemi, je suis gagnant relativement à lui, une nuance que Kenneth Waltz, mieux que quiconque, est apte, voire prompt, à prendre en considération. La guerre peut donc faire des gagnants si on les (ou s’ils se) compare(nt) aux perdants. Cette conclusion ne résiste pas néanmoins à la comparaison de leur situation avec celle qui aurait été la leur s’ils n’avaient pas recouru à la guerre. Car si la guerre semble parfois profiter à certains États, c’est seulement en comparaison de leur situation antérieure, ou de la situation des autres États. En réalité, toutes les parties combattantes se trouvent, à l’issue d’une guerre, dans une situation moins avantageuse que celle qui aurait été la leur si elles avaient trouvé une solution similaire quant à leur désaccord, mais négociée, c’est-à-dire sans que le processus de résolution de conflit implique de destruction. En d’autres termes, chaque combat diminue la part du gâteau que les belligérants auront à se partager une fois la paix conclue. On devrait alors s’attendre à ce que des États rationnels se transmettent entre eux les informations critiques leur permettant de trouver un règlement optimal de leur différend.
39S’emparant de ce problème fondamental pour les théories rationalistes de la guerre dans un article de 1995, Rationalist Explanation for War [43], James Fearon pense identifier la cause rationnelle principale d’une telle rétention d’information : la tentation de déguiser la réalité aux yeux de son ennemi afin d’obtenir le règlement du différend le plus favorable possible. Certes, Fearon identifie deux autres mécanismes permettant de concilier les deux postulats que sont l’État comme acteur unitaire et l’État comme acteur rationnel. Il leur confère toutefois une validité moindre. Il s’agit des incitations qu’ont les États en situation d’anarchie à ne pas respecter leurs engagements (notamment en cas de changement de rapport de force), et l’indivisibilité de certaines questions de politique étrangère aux yeux des deux parties (d’où la difficulté de trouver un compromis).
40Un autre intérêt apparaît dans le choix de la guerre : celui du signal qu’une telle décision envoie aux autres États. Par exemple, refuser une offre négociée devient rationnel si l’on compte que cela véhicule l’image d’un État qui ne cédera pas facilement. Mais si de telles stratégies semblent faire sens, elles ne sont pas payantes pour autant, car, comme le montre Jonathan Mercer, les décideurs ont moins de leviers sur la réputation de l’État qu’ils incarnent qu’ils ne le pensent [44]. Dans tous les cas, cela implique de prendre en compte des facteurs exogènes à la dimension dyadique, et donc de dépasser le cadre que nous nous sommes fixé.
Conclusion
41Fait social total, dans le sens où l’entend Marcel Mauss, c’est-à-dire potentiellement mobilisateur de « la totalité de la société et de ses institutions [45] », la guerre échappe aux cloisonnements des disciplines universitaires. Elle ne concerne pas que les soldats sur le champ de bataille et ne se limite qu’exceptionnellement à un noyau d’activités dont les contours seraient préalablement circonscrits. Inversement, son étude nous révèle quelque chose, au-delà du fait belliqueux, sur ce qui caractérise les hommes et leurs interactions en société. Mais si aucune discipline n’a le monopole sur l’étude de la guerre et de ses causes, il en est une qui a consacré à cette question plus de place que n’importe quelle autre : les Relations internationales. Plus encore, ces dernières se sont instituées comme discipline dans le but d’identifier les causes de la guerre. C’est à ce titre que nous leur avons attribué une place particulière.
42Assigner une cause à un événement, néanmoins, est toujours incertain tant la cause jugée pertinente pourra changer en fonction de la perspective empruntée pour ce faire. Pour ce qui est de la guerre, cette difficulté est accrue du fait de la multiplicité des dimensions affectées par le phénomène. En outre, l’échelle des guerres, tantôt interne, tantôt régionale, tantôt mondiale, est variable, tout comme la nature des acteurs engagés et celle des moyens qu’ils utilisent pour combattre. Pour offrir un panorama relatif à cette littérature abondante, nous n’avions par conséquent guère d’autre choix que de privilégier un angle d’approche au détriment d’autres. Celui de cet article a été celui de l’acteur étatique unitaire et rationnel.
43Apparaît alors une anomalie. Faire la guerre est si coûteux pour les belligérants qu’il peut sembler irrationnel pour eux d’y recourir. Mais bien que, pour l’État, la guerre paraisse ne pas payer, on ne sera pas surpris qu’elle puisse subvenir dans un environnement dénué d’autorité régulatrice. Plusieurs programmes de recherches au sein du champ ont eu pour rôle d’élaborer des propositions pour, sinon résoudre cette énigme, au moins identifier les situations belligènes. C’est le cas des approches opérant à l’échelle systémique, d’une part, et de celles situées à l’échelle dyadique, d’autre part.
44Les approches systémiques reposent notamment sur la manière dont la puissance est distribuée dans le système (international) entre les différents pôles étatiques. C’est de cette configuration que naîtront des situations plus ou moins propices à l’affrontement. Les théories de l’équilibre de la puissance nous aident à établir ces différences.
45Si les travaux que nous avons mentionnés font la part belle à la polarité et donc à la puissance, ce n’est pas le cas de toutes les approches systémiques. Dans la foulée d’Alexander Wendt [46], l’idée s’est développée en Relations internationales que l’anarchie n’impliquait une lutte de puissance dans un climat d’hostilité que si les acteurs percevaient leur environnement ainsi. Les normes répandues au niveau systémique façonnent les perceptions des agents qui, en retour, façonneront celles-ci, et de ce processus dépend la nature des interactions entre acteurs du système international. Le degré de compétition à l’intérieur de l’anarchie relève donc de la construction sociale, un prisme qui serait bien plus à même d’expliquer les relations d’inimitiés propices à l’affrontement armé que les approches matérialistes des théoriciens de la polarité, lesquels ont failli à comprendre que l’« anarchie est ce que les États en font [47] ».
46Les approches situées à l’échelle dyadique, quant à elles, reposent sur l’interaction entre deux États. Celles que nous avons mises en avant concernent plus précisément le dilemme de sécurité. Elles tentent d’identifier les conditions qui font que les mesures prises par un État afin d’augmenter sa sécurité génèrent de l’insécurité chez l’autre et peuvent enclencher une série de contremesures finissant par rendre de plus en plus probable le recours à la force armée [48].
47Si ces travaux ont permis d’améliorer notre compréhension des origines du fait guerrier, le caractère rationnel du recours à la guerre se dessine aussi lorsque l’on considère que l’État n’est pas une entité « unitaire ». Des acteurs internes peuvent avoir un intérêt tout particulier pour le choix des armes, à rebours de l’intérêt de la collectivité, et influencer le processus décisionnel en ce sens [49]. Mais les présenter dépasserait le cadre de cet article.
Notes
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[1]
Kenneth Waltz, Man, the State and War : A Theoretical Analysis, New York (N.Y.), Columbia University Press, 1959, p. 1.
-
[2]
Les « Relations internationales », commençant par un R majuscule renvoient à la discipline universitaire, laquelle a pour objet d’étude les « relations internationales ».
-
[3]
Pour un exposé à visée pédagogique en langue française des conditions d’éclosion de la discipline, voir le chapitre sur l’« évolution de la discipline des Relations internationales », dans Dario Battistella, Jérémie Cornut et Élie Baranets, Théories des relations internationales, Paris, Presses de Sciences Po, 2019 [6e éd.], p. 79-116. Pour une remise en cause de l’historiographie traditionnelle, voir Brian Schmidt, « Anarchy, World Politics and the Birth of a Discipline. American International Relations, Pluralist Theory and the Myth of Interwar Idealism », International Relations, 16 (1), avril 2002, p. 9-31.
-
[4]
Norman Angell, The Great Illusion, Londres, Putnam, 1913.
-
[5]
Thucydide, La guerre du Péloponnèse (411 avant J.-C.), Paris, Gallimard, 2000, p. 49.
-
[6]
À vrai dire, même l’interprétation de la position de Thucydide sur ces questions est sujette à débat. Voir sur ce point Andrew Novo et Jay Parker, Restoring Thucydides : Testing Familiar Lessons and Deriving New Ones, Amherst, Cambria Press, 2020 ; Jonathan Kirschner, « Handle Him with Care : The Importance of Getting Thucydides Right », Security Studies, 28 (1), 2019, p. 1-24 ; Andrew Novo, « Where We Get Thucydides Wrong : The Fallacies of History’s First “Hegemonic” War », Diplomacy and Statecraft, 27 (1), 2016, p. 1-21 ; Richard N. Lebow, « Thucydides the Constructivist », The American Political Science Review, 95 (3), 2001, p. 547-560.
-
[7]
James Meernick, The Political Use of Military Force in US Foreign Policy, Burlington, Ashgate, 2004.
-
[8]
Jack Snyder, Myths of Empire : Domestic Politics and International Ambitions, Ithaca, Cornell University Press, 1991.
-
[9]
Plus généralement, le débat sur la « paix démocratique », lequel s’interroge essentiellement sur les raisons de l’absence de guerres entre démocraties, n’est pas à proprement parler un débat sur les causes de la guerre. Néanmoins, un raisonnement a contrario permet d’utiliser cette littérature dans ce sens : si l’on sait pourquoi certains États ne se battent pas, cela nous permet d’en déduire des hypothèses sur les raisons pour lesquelles d’autres se battent. Pour un exposé pédagogique en langue française de ce débat, voir le chapitre « Paix et guerre » dans Battistella, Cornut et Baranets, Théories des relations internationales, op. cit., p. 593-632.
-
[10]
La littérature sur le sujet est abondante, notamment depuis 1971 et l’ouvrage pionnier de Graham Allison, Essence of Decision, lequel a plus tard été réédité : Graham Allison et Philip Zelikow, Essence of Decision. Explaining the Cuban Missile Crisis, New York, Longman, 1999 [2e éd.].
-
[11]
Robert Jervis, Perception and Misperception in International Relations [1976], Princeton, Princeton University Press, 2017 [2e éd.]. Certes, cet ouvrage, comme beaucoup d’autres durant plusieurs décennies, a présenté les approches psychologiques et cognitives comme des alternatives aux approches rationalistes. L’opposition est depuis dépassée, ce qu’admet Jervis dans la préface de la seconde édition de son livre. Désormais, la tendance est davantage à la quête des déterminants psychologiques qui influencent la rationalité d’une décision. Pour une approche synthétique, voir Alex Mintz et Carly Wayne, The Polythink Syndrome : U.S. Foreign Policy Decisions On 9/11, Afghanistan, Iraq, Iran, Syria, and ISIS, Stanford, Stanford University Press, 2016.
-
[12]
Alexander Wendt, Social Theory of International Politics, Cambridge, Cambridge University Press, 1999, p. 9.
-
[13]
Centrales au sein des Relations internationales, ces deux perspectives ne sont pas pour autant consensuellement approuvées. Voir par exemple, dans ce numéro, l’article de Richard Ned Lebow qui propose une alternative à ces dernières.
-
[14]
Waltz, Man, the State and War, op. cit., p. 232.
-
[15]
Kenneth Waltz, Theory of International Politics, New York, McGraw-Hill, 1979.
-
[16]
Paul Senese et John Vasquez, The Steps to War : An Empirical Study, Princeton, Princeton University Press, 2008.
-
[17]
Jack Levy et William Thompson, Causes of War, Malden, Wiley-Blackwell, 2010, p. 41.
-
[18]
Kenneth Waltz, « The Stability of a Bipolar World », Daedalus, 93 (3), p. 886.
-
[19]
Scott Sagan et Kenneth Waltz, The Spread of Nuclear Weapons : A Debate, New York, W. W. Norton, 1995.
-
[20]
On ne peut pas en dire autant des théories focalisées sur la deuxième image qui sont très répandues.
-
[21]
Waltz, Man, the State and War, op. cit., p. 231.
-
[22]
Morton Kaplan, System and Process in International Politics, New York, Wiley, 1957.
-
[23]
Raymond Aron, Paix et guerre entre les nations [1962], Calmann-Lévy, 2001.
-
[24]
Hans Morgenthau, Politics Among Nations. The Struggle for Power and Peace [1948], New York, MacGraw-Hill, 2005 [7e éd.].
-
[25]
Charles Kindleberger, La grande crise mondiale, 1929-1939 [1973], Paris, Economica, 1988 ; Robert Gilpin, War and Change in World Politics, Cambridge, Cambridge University Press, 1981.
-
[26]
A. F. K. Organski et Jacek Kugler, The War Ledger, Chicago, University of Chicago Press, 1980 ; Gilpin, War and Change in World Politics, op. cit. Depuis l’article de William Wohlforth, « The Stability of a Unipolar World », International Security, 24 (1), été 1999, p. 5-41, la thèse de la stabilité du système unipolaire est devenue courante, sans nécessairement inclure le déclin à venir de l’hégémon.
-
[27]
Waltz, « The Stability of a Bipolar World », op. cit.
-
[28]
Waltz, Theory of International Politics, op. cit. Pour une réflexion quant à l’insertion de la paix comme critère de stabilité, voir Nuno Monteiro, Theory of Unipolar Politics, Cambridge, Cambridge University Press, 2014, p. 55-58.
-
[29]
Kenneth Waltz, « The Origins of War in Neorealist Theory », The Journal of Interdisciplinary History, 18 (4), 1988, p. 620.
-
[30]
Edward H. Carr, La crise de vingt ans, 1919-1939. Une introduction de l’étude des relations internationales, Bruxelles, Éditions de l’Université de Bruxelles, 2015 ; Morgenthau, Politics Among Nations, op. cit. Pour une position similaire inspirée de la théologie, voir Reinhold Niebuhr, Moral Man and Immoral Society [1932], New York, C. Scribner’s, 1947.
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[31]
On retrouve par exemple cette conception chez des auteurs majeurs tels que John Mearsheimer, The Tragedy of Great Power Politics, New York, Norton, 2001, p. 35-36.
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[32]
John Herz, « Idealist Internationalism and the Security Dilemma », World Politics, 2 (2), janvier 1950, p. 157-180. Notre exposé s’inspire aussi de Robert Jervis, « Cooperation Under the Security Dilemma », World Politics, 30 (2), janvier 1978, p. 167-214 et surtout de Charles Glaser, Rational Theory of International Politics : The Logic of Competition and Cooperation, Princeton, Princeton University Press, 2010, bien que ce dernier préfère se référer aux mobiles (motives) des États renvoyant au caractère profond de ces derniers, plutôt qu’à leurs intentions, lesquelles concernent avant tout leurs actions. Pour un bon exposé pédagogique du sujet en langue française, voir Pascal Vennesson, « Le dilemme de la sécurité : anciens et nouveaux usages », Espace Temps, 71-73, 1999, p. 47-58.
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[33]
Pour plus d’informations sur cette variable, voir Stephen Van Evera, Causes of War. Power and the Roots of Conflict, Ithaca, Cornell University Press, 1999.
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[34]
Sur le filtre psychologique au travers duquel les acteurs passent ces informations, voir Jervis, « Cooperation Under the Security Dilemma », op. cit.
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[35]
James Davis Jr. et al., « Correspondence : Taking Offense at Offense-Defense Theory », International Security, 23 (3), hiver 1998-1999, p. 179-206.
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[36]
La guerre survient d’un désaccord sur la puissance relative des États concernés. Telle est l’explication proposée par Geoffrey Blainey, The Causes of War, New York, Free Press, 1988 [3e éd.]. Les combats font ensuite leur œuvre, mettant à jour l’écart de puissance entre les États, de telle sorte que la guerre cesse quand les évaluations de ces derniers finissent par converger.
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[37]
Sur la détermination, voir Joshua Kertzer, Resolve in International Politics, Princeton, Princeton University Press, 2016.
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[38]
Herbert Butterfield, History and Human Relations, Londres, Collins, 1951.
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[39]
Sur le caractère insaisissable des intentions des États, et notamment des grandes puissances, voir Sebastian Rosato, « The Inscrutable Intentions of Great Powers », International Security, 39 (3), hiver 2014-2015, p. 48-88, un point de vue débattu dans International Security, 40 (3), hiver 2015-2016, p. 197-215.
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[40]
Glaser, Rational Theory of International Politics, op. cit., p. 146 et p. 153-154. Pour la défense de Mearsheimer, ce dernier, nous l’avons mentionné, exclut le critère dilemmatique de sa définition du dilemme de sécurité. De deux choses l’une, cependant : soit, de manière quelque peu absurde, on ne considère pas le dilemme de sécurité comme un dilemme, auquel cas ce dernier est compatible avec le réalisme offensif, mais au prix d’une sérieuse amputation de sa valeur analytique, soit on le considère effectivement comme un dilemme, auquel cas il devient incompatible avec le réalisme offensif. Dans tous les cas, l’utilité du concept est à peu près anéantie.
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[41]
Pour une analyse de l’historiographie de ces conflits, voir l’article de Pierre Grosser dans ce numéro.
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[42]
Glaser présume l’acteur rationnel, tout en admettant que les États ne le sont pas toujours, et qu’ils optent régulièrement pour des stratégies au rendement suboptimal. Il s’ensuit que sa théorie revêt un caractère normatif qu’il ne cherche d’ailleurs nullement à dissimuler.
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[43]
James Fearon, « Rationalist Explanations for War », International Organization, 49 (3), été 1995, p. 379-414. Voir l’article de Sophie Panel dans ce numéro.
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[44]
Jonathan Mercer, Reputation and International Politics, Ithaca, Cornell University Press, 1996. La réputation comme facteur est un aspect abordé dans ce numéro dans l’article proposé par Richard Ned Lebow.
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[45]
Marcel Mauss, Essai sur le don : Forme et raison de l’échange dans les sociétés archaïques, Paris, Presses universitaires de France, 2012. Cette qualification est proposée par Jean-Vincent Holeindre et Laurent Testot, La guerre : des origines à nos jours, Auxerre, Éditions des Sciences humaines, 2014.
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[46]
Wendt, Social Theory of International Politics, op. cit.
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[47]
Alexander Wendt, « Anarchy Is What States Make of It. The Social Construction of World Politics », International Organization, 46 (2), printemps 1992, p. 391-425. L’article de Richard Ned Lebow, dans ce numéro, s’inscrit justement dans une perspective similaire.
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[48]
Nous sommes loin d’avoir passé en revue toutes les théories rationalistes de la guerre et de ses causes. Parmi celles que nous avons choisi de ne pas traiter se trouve en bonne place la théorie de l’utilité espérée, notamment représentée par Bruce Bueno de Mesquita. Pour une présentation critique en langue française de l’œuvre de ce dernier, voir Élie Baranets, « La rationalisation des conflits internationaux : dévoiler l’approche de Bruce Bueno de Mesquita », Dynamiques internationales, varia 8, 2015, p. 1-15.
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[49]
Voir dans ce dossier l’article de Sophie Panel.