Couverture de LCDM1_019

Article de revue

Une question d’argent : le financement de la gestion de crise au sein de l’UE

Pages 115 à 125

Notes

  • [1]
    Ce chapitre a été traduit de l’anglais par Chantal Lavallée.
  • [2]
    Une liste complète des opérations de l’UE passées et en cours peut être consultée à http://www.consilium.europa.eu
  • [3]
    L’article 268 du traité sur l’UE (TUE) réfère aux revenus et aux dépenses de la Communauté, lequel est légalement juste, mais il fait plus généralement allusion au budget de l’Union – il en sera donc ainsi dans ce chapitre.
  • [4]
    Par conséquent, les options suivantes sont conçues, en théorie, comme des dépenses reliées aux « opérations » : 1) le budget de l’UE (Communauté) ; 2) le budget de l’UE (chapitre PESC, pour des opérations non militaires) ; 3) des arrangements financiers additionnels basés sur le PNB ou tout autre indice (opérations non militaires), sur décision unanime du Conseil ; 4) un arrangement financier additionnel basé sur le PNB ou tout autre indice (opérations avec des implications militaires), incluant 5) un indice spécifique pour les opérations militaires décidées avec « l’abstention qualifiée » (25 et moins). À ce jour, l’article 23 du TUE n’a cependant jamais été utilisé.
  • [5]
    Des cas notables, et précédemment cités à propos des détachements, sont ceux de François Léotard et d’Alain Le Roy dans FYROM, en 2001, et de Klaus-Peter Klaiber en Afghanistan, en 2002. Ces cas montrent aussi comment certaines pratiques peuvent engendrer un déséquilibre parmi les États membres du fait que seulement les plus grands et/ou les plus riches peuvent envoyer leurs représentants à un poste extérieur de l’UE. Actuellement, l’UE a mis en place dix représentants spéciaux, plus deux représentants personnels (respectivement sur les droits humains et sur la non-prolifération), qui sont des fonctionnaires de l’UE. Pour plus de détails, consulter http://consilium.europa.eu
  • [6]
    Acte légal qui doit être approuvé à l’unanimité et traduit dans toutes les langues officielles de l’UE.
  • [7]
    Autour de la même période (été 2005), une autre solution « créative » a été trouvée pour résoudre certains problèmes survenus dans la mission de l’UE de réforme du secteur de la sécurité dans la République démocratique du Congo (EUSEC DRC). En réalité, les membres du personnel du Conseil qui ont été détachés par l’administration du mécanisme ATHENA (voir plus bas) ont temporairement tâché, avec la gestion d’autres fonds supplémentaires rendus disponibles par certains États membres, de financer une nouvelle structure avec l’intention d’assurer le paiement des salaires des soldats de l’armée locale. Dans ce cas, la formule ad hoc fut à la fois de nature financière et administrative.
  • [8]
    La même situation s’applique aussi aux missions de Petersberg, à présent enchâssées dans l’article III-309 du TCUE. Au sujet de la Stratégie européenne de sécurité, voir les contributions de Chantal Lavallée et de Sven Biscop dans le présent ouvrage.
  • [9]
    Cet élément a énormément gagné en importance, depuis 2005, revenant approximativement à 40 % de l’ensemble du chapitre PESC, en 2006. Un tel développement n’est pas unanimement bienvenu bien qu’il consiste principalement en des subventions et des contributions pour des projets de recherche et des plans de formation qui ont une faible visibilité médiatique et, par-dessus tout, un impact qui est souvent difficile à évaluer.

1Le financement des opérations de gestion de crise est un facteur important, même s’il est parfois négligé, qui contribue à l’efficacité de la Politique européenne de sécurité et de défense (PESD) et à la Politique étrangère et de sécurité commune (PESC). L’Union européenne (UE) est engagée dans un nombre croissant d’opérations de gestion de crise, de différentes natures, sur le sol de pays tiers. Ces derniers adressent de plus en plus de demandes à l’UE afin qu’elle agisse à l’extérieur de ses frontières [2]. Pourtant, les paramètres financiers de ces opérations ont été largement improvisés ; ils ne procurent pas de structure soutenable et cohérente pour les actions futures ; et risquent de compromettre globalement la crédibilité de la politique étrangère de l’UE. Ce chapitre prétend que des enjeux, concernant les fonds techniques, émanent des fortes tensions institutionnelles entre les États et les institutions de Bruxelles, tout comme entre les institutions elles-mêmes. Ces tensions se sont intensifiées avec l’impasse sur la Constitution européenne, ainsi qu’avec des considérations politiques et financières, visant une saine gestion, et la volonté de créer une politique étrangère plus efficace.

Mise en contexte

2Depuis l’adoption de la PESC, de fréquentes disputes interinstitutionnelles, portant sur les questions d’ordre budgétaire, ont eu lieu entre le Conseil et le Parlement européen. À l’origine, l’article J. 11 du traité de Maastricht stipule seulement que les dépenses « administratives » sont à la charge du budget de l’UE et que les dépenses reliées aux « opérations » suivent le même principe ou sont facturées aux États membres « avec une échelle à être décidée » [3]. Dans les deux cas, la décision doit être unanime.

3À l’étape initiale, le problème clé s’était déjà posé avec l’interprétation donnée aux dépenses reliées aux « opérations » qui les distinguent des dépenses « administratives » (lesquelles couvrent au moins les coûts pour tout le personnel engagé par l’UE). Le problème n’était pas si important, du moins jusqu’à ce que l’Union décide, en octobre 1993, de se lancer dans ses premières opérations sur le terrain, de petite envergure, dont, par exemple, l’administration civile, durant deux ans, de la ville contestée de Mostar dans le Sud-Ouest bosniaque, ayant appartenu à l’ancienne République fédérale de Yougoslavie (Administration de l’UE pour Mostar ou European Union Administration of Mostar – EUAM-, 1994-1996). L’opération a alors reçu un budget initial de plus de 32 millions d’écus pour 1994, dont 17 millions ont été facturés aux États membres, selon la clé du produit national brut (PNB). Plus tard, plus de 80 millions d’écus ont été prévus au budget de 1995, et encore plus de 32 millions, en juillet 1996. Cependant, après avoir éprouvé des problèmes majeurs d’efficacité avec les allocations initiales qui devaient être versées par les États membres, il a été rapidement décidé à l’unanimité que tous les coûts pour 1995-1996 allaient être entièrement facturés au budget de l’UE. Le Conseil a finalement accepté que les dépenses dites d’« opérations » de la PESC soient classées, règle générale, comme non obligatoires. Cette décision a ainsi permis indirectement au Parlement européen de s’engager dans les procédures budgétaires, notamment dans le cas où les allocations additionnelles des États membres s’avéraient inadéquates et lentes. Le total du budget alloué par l’UE à l’EUAM a atteint 44 millions d’écus. À cela, s’ajoutent les coûts de la Force de police de l’Union de l’Europe occidentale (UEO) et du personnel civil envoyé par les États membres.

4Par la suite, le traité d’Amsterdam a élargi le champ des opérations de la PESC pour inclure les missions dites de Petersberg (article 17 du traité sur l’UE – TUE). Ceci est venu ajouter une dimension militaire explicite à la PESC, bien qu’il ne s’agisse pas encore de la PESD à proprement parler. À la lumière de l’expérience acquise avec l’EUAM et des nouvelles missions, l’article J. 11 a aussi été modifié et est devenu l’article 28 du TUE, lequel est encore en vigueur. Les nouvelles dispositions stipulent que les dépenses « administratives » sont à la charge du budget de l’UE sous un instrument communautaire. Concernant les dépenses des « opérations », le traité envisage deux options principales : a) elles peuvent aussi être facturées au budget de l’UE (sous l’alinéa consacré à la PESC à l’intérieur de l’en-tête « Action extérieure ») ; b) ou non. La seconde option a été prévue pour toujours s’appliquer aux opérations « ayant des implications militaires et de défense » ; également, pour ces opérations, les dispositions enchâssées dans l’article 23 sur l’abstention qualifiée, dite constructive, s’appliquent quand des États membres qui s’abstiennent sont exemptés de contributions financières. Pourtant, aucune indication rigoureuse n’est donnée sur l’échelle des contributions pour de telles missions militaires. Les dépenses qui s’y rapportent peuvent être partagées selon l’indice du PNB ou autrement, si le « Conseil le décide unanimement ».

5Un tel système est compliqué et reflète clairement le résultat d’un compromis interinstitutionnel entre le Conseil et le Parlement. Bien qu’il conserve toutes les options ouvertes pour les futures missions, le traité ne donne pas une interprétation exacte de ce que les dépenses des « opérations » devraient être [4]. Du coup, le 6 mai 1999, dans le sillage de l’entrée en vigueur du traité d’Amsterdam, les principaux acteurs institutionnels essayent d’établir un nouvel arrangement. Celui-ci a été voulu pour le substituer au Gentlemen’s agreement de 1970, portant sur la discipline et les procédures budgétaires, par lequel le Parlement et le Conseil s’abstenaient de modifier l’un ou l’autre des budgets. Un chapitre sur le financement de la PESC y est aussi inclus. Notamment, le Parlement et le Conseil s’entendent sur un traitement spécial pour les dépenses relatives à la PESC, dans la logique de ses caractéristiques propres (besoin d’une marge de manœuvre, confidentialité, recours aux capacités nationales). Classées comme des dépenses non obligatoires (distinctes des dépenses strictement communautaires), elles sont déterminées par une procédure spéciale de codécision entre les deux bras de l’autorité budgétaire, à l’intérieur de la structure de la procédure annuelle. En conséquence, chaque année, le Parlement et le Conseil doivent s’entendre sur l’ensemble des sommes allouées au budget de la PESC et sur sa répartition parmi les articles budgétaires concernés. En attendant, le Conseil et la Commission européenne s’entendent sur des règles particulières, concernant l’information et la consultation du Parlement en matière de PESC et impliquant des rapports réguliers et des prévisions financières.

État des lieux

6L’accord interinstitutionnel (IIA) de mai 1999 est entré en vigueur le 1er janvier 2000. Cependant, le Conseil et tous les conseils des présidences demeurent peu disposés à transmettre les prévisions et les rapports financiers au Parlement européen. En outre, des tensions, sur le financement de la PESC, ont suscité un autre compromis (recherché dans la conciliation budgétaire du 25 novembre 2002) grâce auquel le Conseil a convenu d’envoyer au Parlement une « estimation des coûts envisagés », immédiate et complète, chaque fois qu’une décision adoptée occasionne des dépenses dans le domaine de la PESC. Cette disposition se rapporte à toutes les décisions prises dans la sphère de la PESC incluant, pour la première fois, la PESD tout près de devenir véritablement opérationnelle. Pourtant, à ce stade, le principal enjeu concerne moins la façon dont les dépenses, se rapportant aux actions ayant des implications militaires ou de défense, vont être financées que la manière dont les différentes activités de politique étrangère/extérieure le seraient.

7En plus de ces opérations PESC, stipulées dans l’article 28 du TUE, il y a celles qui entrent sous l’instrument « Communauté », à l’intérieur du premier pilier, et qui sont financées par l’alinéa du budget communautaire approprié pour le domaine des Relations extérieures (faisant partie du large en-tête « Action extérieure »). Elles peuvent inclure des actions telles que le déminage et les DDR (la démobilisation, le désarmement et la réintégration), l’assistance d’urgence civile et l’aide humanitaire, les droits de l’homme, la construction d’institutions, la surveillance d’élections, la consolidation de la démocratie et de l’État de droit, toutes ces actions étant potentiellement identifiées comme faisant partie de la « PESC ». Avec pour résultat, en termes purement budgétaires, qu’elles peuvent être aussi nombreuses que les trois principaux types d’opérations extérieures possibles (avec davantage de sous-options, si le Conseil en décide autrement à l’unanimité), incluant plusieurs zones grises.

8Toutefois, la pratique actuelle du financement des actions extérieures a accru le risque d’ambiguïté de l’ensemble du système. Un bon exemple, sur ce point, est l’activité des « représentants spéciaux » ou des envoyés PESC. En principe, ils entrent sous le chapitre budgétaire PESC, et sont donc considérés comme relevant d’une dépense « administrative ». Ils entrent aussi sous la supervision exclusive du Conseil, suivant une décision du Conseil du 30 mars 2000. Cependant, en pratique, ils sont souvent financés d’une manière mêlée et improvisée qui combine : a) les fonds formellement réservés pour les programmes régionaux du premier pilier ; b) les fonds d’urgence de la réserve de la Communauté ; c) enfin plus ou moins explicitement, les détachements nationaux et les contributions supplémentaires des pays membres [5].

9Inutile de dire que de jongler ainsi avec les lignes d’allocation – même si indirectement, la nature interpiliers de la gestion de crise et de la politique étrangère de l’UE est soulignée – n’aide pas à l’examen minutieux et à la transparence. Cela rend la planification d’opérations complètes et durables très difficile et particulièrement assujettie à toute sorte de contingences ainsi qu’aux intérêts nationaux. Cependant, c’est parce que les procédures sont tellement lentes et tortueuses, pour un recours effectué de façon convenable au chapitre budgétaire PESC, que les dispositions des affaires courantes existent. Non seulement le processus de négociation entre le Conseil et le Parlement est de longue haleine et plein d’escarmouches, mais quand un accord est trouvé, la responsabilité administrative ultime pour l’exécution du budget de l’UE – en lien avec l’article 274 du TCE – incombe à la Commission.

10Les batailles de compétences interinstitutionnelles ont créé une situation dans laquelle la plupart des États membres et le Conseil sont réticents à l’idée de négocier avec le Parlement sur les détails des allocations annuelles, ou à celle d’être trop dépendants de la Commission pour les dépenses. En conséquence, le Parlement européen a réduit progressivement le chapitre PESC – à un ridicule 30 millions d’euros encore en 2002 –, afin de se rapprocher, entre autres, du Conseil à la table des négociations et d’augmenter sa force de levier sur la PESC. En fait, c’est seulement, depuis 2003, avec le commencement des véritables opérations de la PESD que le Parlement a été forcé d’accroître de nouveau le budget à 60 millions d’euros alloués pour 2005 et approximativement à 100 millions d’euros pour 2006, avec l’espoir implicite que ses examens minutieux sur la PESC/PESD augmenteraient aussi. À son tour, la Commission européenne a voulu garder le chapitre PESC aussi bas que possible, car il n’entre pas à l’intérieur de sa compétence officielle, bien que dans l’administration des activités du second pilier, il arrive qu’elle soit le seul vrai levier dans le collège. Aussi, afin d’être un joueur plus efficace dans la gestion de crise, la Commission a-t-elle établi, en 2002, un nouvel instrument financier pour les actions de courte durée, le « Mécanisme de réaction rapide » (ou Rapid Reaction Mechanism – RRM), et a-t-elle relâché les règles recourant à la réserve des fonds d’urgence. La plupart des États membres, pour leur part, ont tendance à avoir recours aux lignes d’allocation du premier pilier toutes les fois que nécessaire. C’est une méthode simple et rapide, mais il est intéressant de constater qu’ils préfèrent le faire derrière les coulisses.

11Un cas typique sur ce point est représenté par les missions d’enquête (appelées fact-finding missions) qui précèdent normalement la décision de lancer une opération spécifique et sa mise en œuvre. Puisque le fonds de n’importe quelle opération PESC/PESD est assuré seulement à travers une Action commune [6] consacrée aux dépenses préliminaires pour de telles missions – lesquelles peuvent ou non (comme ce fut le cas avec le Darfour) conduire à une opération –, celles-ci ne sont donc couvertes que par les domaines communautaires, lesquels en retour requièrent un minimum d’entente, au moins entre le Conseil et la Commission.

La dispute Aceh

12De temps en temps, cependant, les vieilles disputes de principes (et de compétences) refont surface et remettent particulièrement en question la faisabilité des opérations civiles sur laquelle un accord politique a déjà été trouvé. Ceci a notamment été le cas de la Mission de surveillance à Aceh (AMM), durant l’été 2005. À ce moment-là, le chapitre budgétaire PESC pour 2006 était déjà presque entièrement alloué. Après quelques coopérations initiales entre le Conseil et la Commission sur le fonds appelé « Présence initiale d’assistance » (IMP), une controverse a explosé sur l’offre de la Commission de rendre disponible des fonds supplémentaires, venant à la fois du Mécanisme de réaction rapide et du Programme Asie et Amérique latine, afin de les transférer dans une nouvelle structure destinée aux États membres souhaitant prendre en charge des opérations civiles de l’UE dans la région. Cette offre a suscité une confrontation âpre entre le service légal du Conseil et la Commission : le premier objectant qu’il n’y avait pas de base légale pour une telle structure et considérant cette offre comme une initiative susceptible de créer un dangereux précédent, car elle affecterait, entre autres choses, les prérogatives du Comité politique et de sécurité (COPS) en matière de contrôle politique. En réaction, la Commission a décidé de recourir à la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE) contre le Conseil, alléguant pour sa défense ses compétences exclusives dans le domaine de la démobilisation, du désarmement et de la réintégration (DDR), lequel a aussi été lié au champ d’action de l’opération à Aceh.

13Incontestablement, la dispute a été exacerbée par tout le climat politique créé par la crise sur la ratification du Traité constitutionnel de l’UE (TCUE). Le rejet du traité par les référendums français et néerlandais de mai et de juin 2005 a soudainement jeté un doute sur la perspective de mettre en commun les ressources du Conseil et de la Commission, sous le parapluie du ministre des Affaires étrangères de l’UE et du Service Action extérieure, comme prévu dans le nouveau texte. Cette situation est venue temporairement raviver les vieilles batailles de compétences. Au premier chef, l’impasse sur le financement a compromis le lancement de l’opération, initialement prévu durant ces semaines-là et impliquant un nombre de pays asiatiques et l’ONU. Ainsi un sérieux coup a été infligé à la crédibilité de la politique étrangère de l’UE. En fin de compte, un arrangement ad hoc fut trouvé. Il fut conclu que l’ensemble des coûts de l’AMM viendrait des fonds résiduels disponibles pour la PESC plus les contributions volontaires (en argent et en espèce) des États membres et aussi des États tiers « disposés et capables ». Ce qui a permis de réaliser l’opération – et ce, avec succès –, mais a fini par appliquer partiellement à une opération civile la logique des opérations militaires. Sans que l’on s’en étonne, dans la foulée de l’adoption de l’Action commune appropriée, pas moins de dix États membres de l’UE ont admis clairement que certaines solutions pourraient ne pas créer de précédent pour le futur [7].

Le mécanisme ATHENA

14Concernant les opérations militaires proprement dites, le Conseil Affaires générales du 17 mai 2002 est parvenu à un accord préliminaire sur leur financement qui a été traduit dans les conclusions de la présidence du Conseil européen de Séville du 20 juin 2002. En conséquence, une distinction a été introduite entre coûts « communs » – c’est-à-dire qui incluent les coûts des quartiers généraux (transport, administration, personnel embauché localement, les abris et les moyens de communication) et les coûts pour le soutien des forces armées (infrastructures et soins médicaux) – et les coûts « individuels » (troupes, armes, équipements) qui doivent être assumés par chaque État membre engagé selon le critère que « les coûts sont associés au principe dans lequel ils tombent ». Le Conseil décidant, sur la base du cas par cas, si les coûts pour le transport des forces et leur logement doivent être financés en commun.

15Certains accords furent révisés après juin 2004, à la lumière de l’expérience opérationnelle actuelle. Cette évolution a probablement mené à l’approbation du mécanisme ATHENA, créé « pour administrer le financement des coûts communs des opérations UE ayant des implications militaires ou de défense », et finalisé à travers des révisions successives entre février 2004 et janvier 2005. Le mécanisme consiste dans l’établissement d’une autorité à but non lucratif et ayant une responsabilité légale. Ouvert à tous les États membres (sauf le Danemark en vertu de ses statuts spéciaux) et aux autres États contributeurs, ce mécanisme est chargé d’administrer les coûts des différentes missions et opérations (incluant les exercices militaires) se rapportant à la gestion de crise de l’UE. Il crée un ensemble de cadres de référence et aussi certaines règles pour que les paiements des États membres arrivent rapidement et au bon moment, de façon à rendre la planification et le lancement des opérations militaires plus faciles. Cela veut dire aussi s’attaquer aux enjeux des dépenses préliminaires et matériellement reliées, souvent cruciaux pour le déploiement rapide des forces. Une préoccupation d’ailleurs présente dans l’esprit des rédacteurs du traité constitutionnel.

16La seule modification insérée dans l’article 28 du TUE, à la fois par la Convention européenne et par la Conférence intergouvernementale qui s’ensuit, concerne en fait la possibilité de créer « un fonds pour démarrer la préparation des activités » : ici, ce qui est intéressant, c’est que certains fonds pourraient être créés et fonctionner selon le vote à la majorité qualifiée (article III-313 du TCUE). Ceci n’était pas et n’est pas le cas avec le mécanisme ATHENA, mais le mécanisme répond au vide laissé par la ratification manquée du traité constitutionnel et rejoint aussi les exigences de base pour que le financement des opérations militaires de l’UE soit séparé des opérations civiles.

Perspectives d’avenir

17Vraisemblablement, certaines distinctions entre les dépenses militaires et civiles risquent de perdurer, malgré les demandes croissantes pour qu’émergent des structures et des concepts intégrés pour la gestion de crise. Les principes doctrinaux et l’ensemble des lignes directrices dans la Stratégie européenne de sécurité de décembre 2003, qui élargit de façon significative la portée originale de la PESC et de la PESD [8], ainsi que les derniers développements organisationnels, concernant la mise en place d’une cellule de planification civilo-militaire au sein du Secrétariat du Conseil, s’orientent en fait vers une coopération et une coordination toujours plus étroites entre les deux bras de la gestion de crise européenne, à Bruxelles aussi bien que sur le terrain. Cependant, ceci ne semble pas s’appliquer aux arrangements de financement de la gestion de crise européenne. Au contraire, une combinaison des besoins opérationnels et des animosités institutionnelles résiduelles peuvent conduire à davantage de complications.

18Toujours dans le sillage de la dispute de l’AMM, le Haut représentant pour la PESC, Javier Solana, a présenté lors du Conseil européen informel de Hampton Court, en octobre 2005, une communication illustrant les principaux problèmes reliés au financement de la PESD. Du côté militaire, l’accent fut presque exclusivement mis sur le développement de capacités communes – spécialement pour le transport stratégique et les communications – qui maintenant s’inscrit à l’intérieur des compétences de l’Agence européenne de défense (AED) nouvellement établie. Du côté civil, sa communication attire l’attention sur la dotation structurellement pauvre du chapitre budgétaire de la PESC, de même que sur les insuffisances des procédures actuelles pour mobiliser des ressources supplémentaires avec la rapidité requise pour les décisions en matière de gestion de crise. Javier Solana fait aussi allusion à la possibilité de combiner des mécanismes supplémentaires pour s’attaquer à de tels problèmes, devenus plus aigus avec l’avenir incertain des dispositions du TCUE et du rôle grandissant de l’UE sur la scène internationale. Bien qu’un large consensus ait été trouvé sur le renforcement du chapitre PESC, pour le prochain exercice budgétaire couvrant 2007-2013 (à cette occasion, le Chancelier sortant Gerhard Schröder est allé jusqu’à proposer un plafond de 300 millions d’euros par année), le débat reste ouvert – à Hampton Court et par la suite – à propos de la possibilité d’arranger une sorte de mécanisme ATHENA pour les opérations civiles, et à propos du fait que cette possibilité puisse relever du Secrétariat du Conseil sans aucun engagement de la Commission et du Parlement européen (comme ce fut justement le cas avec la mission ATHENA). Notamment, plusieurs États membres attachés à l’esprit communautaire s’y sont opposés, puisqu’une telle solution risque de favoriser un affaiblissement de l’ensemble de la cohérence et aussi de la transparence de la PESD, bien que les structures décisionnelles, à travers l’Union, soient inutilement en double. À la place, plus d’attention devrait être consacrée à chercher des façons de rendre le transfert de fonds plus facile et plus rapide, d’une ligne à une autre à l’intérieur de l’en-tête « Action extérieure » (et d’une année budgétaire à une autre, comme ce fut le cas avec l’aide humanitaire à travers le Service d’Aide humanitaire de la Commission européenne, ECHO).

19En attendant, après des mois de dispute entre les États membres, le Conseil européen des 15 et 16 décembre 2005 est parvenu à une entente sur ce qui prend le nom de « Perspectives financières 2007-2013 », c’est-à-dire le budget de l’UE pour les sept prochaines années. Suivant la procédure de codécision, le brouillon de l’entente a alors été soumis au Parlement européen pour ratification. À la suite d’un rejet initial par le Parlement européen et d’un retour aux négociations du « trilogue » (impliquant le Parlement, la Commission et la Présidence de l’UE), un nouvel accord interinstitutionnel fut virtuellement scellé en mars et adopté par le Parlement européen le 17 mai 2006. En conséquence, le vieil en-tête « Action extérieure » fut renommé « L’UE comme acteur global » (en-tête 4) : l’ensemble de ses dotations augmente approximativement de 50 milliards d’euros sur sept ans (entre 6 et 7 milliards par année), c’est-à-dire un pourcentage de 6 % sur l’ensemble du budget de l’UE, mais il couvre diverses activités, telles que les fonds de préadhésion, les relations de voisinage et de partenariat, et l’aide au développement.

20Le chapitre PESC fut renouvelé et élevé à un total d’environ 2 milliards d’euros pour toute la période 2007-2013, ce qui signifie une dotation initiale de 150 millions pour 2007, avec une augmentation progressive chaque année. Le chapitre doit couvrir : les opérations de gestion de crise (seulement les opérations civiles, bien sûr) ; de prévention des conflits, de résolution et de stabilisation ; de surveillance et de mise en œuvre des processus de paix et de sécurité ; de non-prolifération et de désarmement [9] ; les mesures d’urgence ; les mesures préparatoires et suivantes ; les envoyés spéciaux de l’UE. Néanmoins, une animosité résiduelle entre le Conseil et le Parlement a continué de bloquer un accord pour 2007, du moins jusqu’à présent (décembre 2006). De plus, les incertitudes politiques générales au sujet du lancement éventuel d’une opération de police de l’UE au Kosovo (qui pourrait coûter, à elle seule, jusqu’à 100 millions d’euros par an) rendent presque impossible d’établir et d’arrêter, une fois pour toutes, la taille définitive du budget PESC pour l’année 2007 (et pour les années suivantes).

21En plus, à l’intérieur du budget général de l’UE, deux autres lignes ont été combinées pour couvrir les actions reliées à l’aide humanitaire, appelées « la Réserve de l’aide d’urgence », destinée à donner une réponse rapide aux pays tiers affectés par des urgences de nature variée (plus de 200 millions d’euros par année) ; et pour couvrir aussi le Fonds de solidarité de l’UE, visant à jouer un rôle similaire, mais seulement « sur le territoire de l’un des États membres ou d’un pays candidat » (jusqu’à un maximum d’un milliard d’euros par année). Ces aspects sont tout à fait cohérents avec l’accent mis récemment par l’UE sur la gestion d’urgence et de secours, en cas de désastres autant à l’intérieur qu’à l’extérieur du territoire de l’UE.

22Dans l’ensemble, l’amélioration du cycle budgétaire précédent est significative, s’expliquant en partie par la pression supplémentaire exercée par le Parlement européen au sein des négociations du « trilogue ». De plus, un haut degré de flexibilité dans la mobilisation et la réallocation des fonds semble avoir été accepté par toutes les parties et enchâssé dans le nouveau IIA. Cependant, il semble difficile d’évaluer si ces calculs sont en accord avec les ambitions déclarées par l’UE sur la scène internationale, spécialement depuis que l’ensemble des coûts actuels et prévisibles de la gestion de crise européenne ne peut plus être évalué en raison des « coûts associés au principe dans lequel ils tombent » pour les opérations militaires. En fait, en termes de personnel (et d’équipement) sur le terrain, les opérations militaires dépassent encore largement les opérations civiles bien que ces dernières soient formellement plus nombreuses. Au sommet de cela, les règles et les procédures adoptées individuellement par les États membres pour financer le déploiement de leurs forces militaires à l’étranger, comme elles varient énormément à travers l’Union et produisent rarement des chiffres officiels fiables, rendent toute comparaison et tout calcul justes virtuellement impossibles.

23Le dernier problème, mais non le moindre, concerne la gestion de crise qui est en partie imprévisible et qui, par conséquent, requiert une démarche axée sur l’improvisation et sur la réaction. À cet égard, un budget multiannuel avec peu d’allocations constantes représente un outil essentiellement rigide. Finalement, certaines incertitudes demeurent sur la portée exacte de telles lignes budgétaires, comme l’« Instrument de Stabilité » – qui propose d’aborder les « crises et les défis sous l’angle de la stabilité et de la sécurité » –, et sur la flexibilité des sommes réelles pour les transferts horizontaux et les réallocations rapides, car elles restent dépendantes des négociations interinstitutionnelles ad hoc. Il peut, par conséquent, être sage de planifier une réévaluation complète des dépenses, sous l’en-tête 4, à l’occasion de la revue générale déjà planifiée pour 2008-2009 : l’agriculture n’est pas la seule politique dont les ressources et les priorités devraient être revisitées.

24Malgré tout, ceci n’est peut-être pas nécessairement une mauvaise chose, spécialement si les institutions et les États membres décident, à la lumière de l’accroissement des responsabilités et des obligations de l’Union dans ce domaine, d’accentuer le sens de la common ownership de la politique étrangère de l’UE, sans distinguer les différents outils et les capacités à travers les Vingt-cinq (et plus), et les ressources à la disposition des différents organes et institutions. Une tâche aussi complexe, telle l’institution-building, peut difficilement être, pour l’instant, un domaine exclusif de l’un ou l’autre des piliers : les fonds de la Communauté devraient être utilisés à cette fin sans provoquer de disputes interinstitutionnelles légales et politiques. De la même façon, les États membres devraient être capables individuellement de mettre des ressources supplémentaires à la disposition de l’Union, si et chaque fois que nécessaire, sans déclencher suspicion et jalousie parmi les officiels de la Commission.

25Jusqu’à présent, rien n’aiderait plus à parachever un tel sens de la common ownership qu’un accord politique spécifique entre les États membres sur la mise en œuvre rapide du poste de ministre des Affaires étrangères de l’UE et du Service de l’Action extérieure. Ceci pourrait bien se produire avant et indépendamment de n’importe quelle réforme institutionnelle complète issue du TCUE, en envisageant, par exemple, une double casquette du Haut Représentant pour la PESC, en tant que Commissaire responsable des Relations extérieures (rôle que Chris Patten a joué dans la Commission Prodi) et que vice-président de ce collège. Ce faisant, cette réforme établirait une seule ligne de responsabilité et de transparence pour la gestion de crise de l’UE (et la politique étrangère en général) ; ce qui, en retour, pourrait engendrer une approche plus cohérente et plus synergique de ses dimensions budgétaires et financières.


Date de mise en ligne : 20/08/2018

https://doi.org/10.3917/lcdm1.019.0115

Notes

  • [1]
    Ce chapitre a été traduit de l’anglais par Chantal Lavallée.
  • [2]
    Une liste complète des opérations de l’UE passées et en cours peut être consultée à http://www.consilium.europa.eu
  • [3]
    L’article 268 du traité sur l’UE (TUE) réfère aux revenus et aux dépenses de la Communauté, lequel est légalement juste, mais il fait plus généralement allusion au budget de l’Union – il en sera donc ainsi dans ce chapitre.
  • [4]
    Par conséquent, les options suivantes sont conçues, en théorie, comme des dépenses reliées aux « opérations » : 1) le budget de l’UE (Communauté) ; 2) le budget de l’UE (chapitre PESC, pour des opérations non militaires) ; 3) des arrangements financiers additionnels basés sur le PNB ou tout autre indice (opérations non militaires), sur décision unanime du Conseil ; 4) un arrangement financier additionnel basé sur le PNB ou tout autre indice (opérations avec des implications militaires), incluant 5) un indice spécifique pour les opérations militaires décidées avec « l’abstention qualifiée » (25 et moins). À ce jour, l’article 23 du TUE n’a cependant jamais été utilisé.
  • [5]
    Des cas notables, et précédemment cités à propos des détachements, sont ceux de François Léotard et d’Alain Le Roy dans FYROM, en 2001, et de Klaus-Peter Klaiber en Afghanistan, en 2002. Ces cas montrent aussi comment certaines pratiques peuvent engendrer un déséquilibre parmi les États membres du fait que seulement les plus grands et/ou les plus riches peuvent envoyer leurs représentants à un poste extérieur de l’UE. Actuellement, l’UE a mis en place dix représentants spéciaux, plus deux représentants personnels (respectivement sur les droits humains et sur la non-prolifération), qui sont des fonctionnaires de l’UE. Pour plus de détails, consulter http://consilium.europa.eu
  • [6]
    Acte légal qui doit être approuvé à l’unanimité et traduit dans toutes les langues officielles de l’UE.
  • [7]
    Autour de la même période (été 2005), une autre solution « créative » a été trouvée pour résoudre certains problèmes survenus dans la mission de l’UE de réforme du secteur de la sécurité dans la République démocratique du Congo (EUSEC DRC). En réalité, les membres du personnel du Conseil qui ont été détachés par l’administration du mécanisme ATHENA (voir plus bas) ont temporairement tâché, avec la gestion d’autres fonds supplémentaires rendus disponibles par certains États membres, de financer une nouvelle structure avec l’intention d’assurer le paiement des salaires des soldats de l’armée locale. Dans ce cas, la formule ad hoc fut à la fois de nature financière et administrative.
  • [8]
    La même situation s’applique aussi aux missions de Petersberg, à présent enchâssées dans l’article III-309 du TCUE. Au sujet de la Stratégie européenne de sécurité, voir les contributions de Chantal Lavallée et de Sven Biscop dans le présent ouvrage.
  • [9]
    Cet élément a énormément gagné en importance, depuis 2005, revenant approximativement à 40 % de l’ensemble du chapitre PESC, en 2006. Un tel développement n’est pas unanimement bienvenu bien qu’il consiste principalement en des subventions et des contributions pour des projets de recherche et des plans de formation qui ont une faible visibilité médiatique et, par-dessus tout, un impact qui est souvent difficile à évaluer.

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