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Article de revue

Les femmes militaires : une reconnaissance à conquérir au quotidien

Pages 205 à 215

Notes

  • [1]
    OSD, Les femmes militaires, Repères socio-démographiques, ministère de la Défense/SGA/DFP, 2000.
  • [2]
    OSD, Les femmes militaires. Aspects sociologiques, ministère de la Défense/SGA/DFP, 2000.
  • [3]
    Notons par ailleurs que « le refus de toute différenciation relève d’une incompréhension du rôle de l’effort physique dans la formation morale : dans la mesure où celui-ci a pour fonction de développer la volonté par le dépassement de soi, une double notation selon le sexe est tout à fait justifiée et répond parfaitement au but recherché. Il est même probable que dans certains cas – à Saint-Maixent par exemple – le désir des femmes d’être à la hauteur dans un milieu masculin les pousse à accomplir des efforts sur elles-mêmes que les hommes n’ont pas à fournir., », in E. Reynaud, Les femmes, la violence et l’armée – Essai sur la féminisation des armées, Paris, Fondation pour les études de défense nationale, 1988, p. 92.

1Dans l’imaginaire collectif, le militaire véhicule tous les stéréotypes de l’identité masculine. Dans ce contexte, la femme militaire stricto sensu pourrait apparaître comme une « anomalie sociologique ». En effet, les processus de socialisation concourent « normalement » à détourner les femmes du mode de vie militaire tel qu’il est spontanément imaginé. De fait, dans la société française contemporaine, les femmes continuent de s’orienter massivement vers des filières dites « féminines » (santé, enseignement, etc.). Ainsi, une certaine « originalité sociale » est conférée à ce choix quand il est effectué par une femme. Au sein des institutions militaires, cette perception est renforcée quand les spécialités qu’elles choisissent sont de type opérationnel. La plupart des femmes militaires (83 % d’après l’enquête quantitative que l’OSD a menée en 1999) [1] ont tout de même le sentiment d’être considérées par leurs collègues masculins comme des militaires à part entière. Mais, dans le même temps, elles soulignent que cette reconnaissance ne va pas toujours de soi : elle se gagne au quotidien. Les femmes militaires interviewées au cours d’une étude qualitative réalisée par l’OSD en 2000 [2] ont ainsi fait part de la nécessité dans laquelle elles se trouvaient plus particulièrement de faire leurs preuves en tant que militaires.

Des relations parfois tendues en école

2Les premiers contacts entre élèves se construisent dans un cadre bien particulier. Cette période d’intégration dans la collectivité militaire est façonnée par la pédagogie de l’épreuve physique et morale et par une émulation entretenue entre les jeunes recrues qui concourent à des postes aux attraits inégaux. C’est en effet le classement final qui détermine les affectations. Tout le monde n’est pas sûr de réussir, et chaque promotion est témoin d’un certain nombre d’abandons. Pour des épreuves jouant sur la performance d’équipe, les groupes mixtes peuvent voir se développer un effet « tête de turc » à destination de femmes accusées de freiner (et donc de dévaloriser) l’ensemble. Cette réaction de la part des hommes est particulièrement nette quand les enjeux sont importants et les femmes peu nombreuses.

Une tension exacerbée par la compétition scolaire dans les écoles d’officiers

3C’est notamment le cas des écoles d’officiers où la situation de certaines jeunes femmes peut s’avérer spécialement difficile à vivre, en particulier au cours des premiers mois de formation. Les comportements des garçons évoqués par certaines élèves officiers s’inscrivent le plus souvent dans un processus d’exclusion très marqué, qui est d’autant plus durement ressenti que les filles, comme les garçons, sont mises à rude épreuve au début de leur formation militaire.

4Les jeunes femmes qui sont passées par des lycées militaires formant spécifiquement à ces écoles racontent qu’elles ont été l’objet d’attitudes de rejet systématique. Le nombre d’écoles étant réduit et le nombre de places disponibles limité, cette filière très sélective transforme vite l’émulation normale en rivalité. Dans ces espaces de compétition traditionnellement réservés aux hommes, la majorité masculine pèse alors de tout son poids à travers une attitude conformiste et discriminatoire dirigée contre les « intruses ».

5Toutefois, ces attitudes de rejet des jeunes femmes ont tendance à s’atténuer avec le temps. Au fil de la scolarité, des relations interpersonnelles se nouent entre les femmes et certains hommes. Pour autant, les hommes qui ont des relations avec ces jeunes femmes recherchent le plus souvent la discrétion, et évitent les tête-à-tête en présence de l’ensemble de la promotion. Mais ils se montrent ensuite moins intransigeants lorsqu’ils se trouvent en groupe et contribuent à atténuer le clivage entre le groupe des hommes et celui des femmes. Le facteur décisif du renversement de comportement des hommes s’explique bien souvent par le fait que ces derniers ont rencontré celle avec qui ils envisagent de se marier. À ce moment-là, l’hostilité s’estompe, leurs camarades féminines cessent d’être ignorées et cette amélioration est alors perçue comme un véritable soulagement par les jeunes femmes.

Une présence banalisée par un effectif conséquent en école de sous-officiers

6Dans les écoles de sous-officiers, le nombre important d’élèves féminins empêche ces phénomènes de marginalisation. La mixité des groupes est la norme. Dans ce contexte, la solidarité sans faille exigée pour assurer les activités réclamées par l’encadrement fédère le groupe et assure une ambiance positive qui donne alors aux femmes la possibilité de trouver leur place. Elles sont ainsi peu nombreuses à conserver un mauvais souvenir de cette période de formation militaire. Au cours de celle-ci, l’adversité se trouve soit logée en soi (pour le sport, par exemple), soit objectivée par l’ennemi (manœuvres). Dès lors qu’elles jouent le jeu, les femmes sont soutenues par leurs collègues de promotion et s’intègrent à la communauté de l’effort.

7Ainsi, si la question des barèmes sportifs différenciés selon le sexe est parfois soulevée pour contester l’équité des règles du jeu, il s’avère que l’effort fourni, la détermination et l’investissement personnel sont autant reconnus que les résultats en eux-mêmes [3]. D’une manière générale, on constate que la pratique d’un sport en dehors des activités comptant pour le classement final peut s’avérer un excellent moyen d’intégration pour des filles isolées en milieu « hostile ».

L’affrontement quotidien aux préjugés

8Dans le monde du travail, l’accueil d’une personne nouvellement recrutée passe généralement par une période plus ou moins formalisée d’examen de ses capacités à remplir la mission qui lui a été confiée. Avant de savoir réellement à quoi s’en tenir, les plus anciens confrontent leurs attentes aux caractéristiques immédiatement perceptibles du nouveau venu. Dans le cas des femmes militaires, il semble que l’identité féminine masque, au moins dans un premier temps, toute autre considération. Mais le fait d’être une femme susciterait davantage un sentiment de méfiance qu’une simple attitude d’incertitude et d’expectative neutre.

Des compétences différentes

9Le premier obstacle à la neutralité se rapporte à l’opinion que chacun se fait des aptitudes professionnelles des femmes, souvent perçues a priori comme inférieures à celles des hommes. Ainsi, à tous les échelons de la hiérarchie, les femmes font valoir que la nécessité de « faire leurs preuves » s’en trouve accrue. Certains personnels masculins reconnaissent eux-mêmes être plus intransigeants avec une femme débutante qu’avec un homme. C’est en partie la peur de l’inconnu, moins maîtrisable, qui se manifeste ainsi. En effet, les réticences a priori concernent particulièrement des postes habituellement occupés par des hommes (postes embarqués dans la marine, en brigade de gendarmerie, postes à responsabilité, etc.). Outre les opinions sur la place à accorder aux femmes dans les armées, le fait que des hommes réussissent dans ces fonctions amène certains à considérer qu’une femme ne pourrait pas donner satisfaction. Ce regard des hommes oblige la femme à être particulièrement vigilante. Déjà symboliquement coupable de prendre la place d’un homme, elle imagine souvent que la moindre faute ne lui sera pas pardonnée : un échec aurait de grandes chances d’être mis sur le compte de sa féminité.

10Lorsque les femmes sont affectées à des emplois moins marqués par une tradition masculine, elles sont accueillies avec un peu moins de réticence de la part de leurs collègues. Seuls les militaires masculins dont la spécialité est traditionnellement féminine dans le civil (soit essentiellement administrative) restent un obstacle éventuel, car ils sont susceptibles de voir en ces femmes des concurrentes pour leur métier.

Des femmes séductrices

11La crainte de possibles relations de séduction au sein de l’unité constitue une autre source de méfiance. Cette menace concerne l’équilibre relationnel en vigueur quand il n’y a que des hommes. La femme est perçue par le gestionnaire comme un élément perturbateur potentiel. Pour le bien du groupe, l’altérité féminine, source de zizanie, serait donc à neutraliser. Cette perception collective explique que les réactions masculines de rejet puissent parfois être très fortes, alors que sur un plan individuel, les hommes sont loin d’être hostiles. Tout autant qu’ils observent la nouvelle arrivante, les hommes s’observent mutuellement et s’assurent de ce que chacun demeure à la place qui lui est attribuée au sein du groupe, surtout en milieu clos. Il arrive même que l’absence d’incident devienne alors presque anormale. Plus indirectement, l’appréhension porte sur d’éventuelles relations de séduction qui entraîneraient des traitements de faveur pour les femmes.

Une moindre disponibilité

12Enfin, certains hommes craignent que les femmes soient moins disponibles qu’eux, notamment en raison des responsabilités familiales qu’elles assument le plus souvent. De ce fait, leur arrivée en lieu et place d’un homme signifie alors pour eux une augmentation potentielle de leur charge de travail. Cette crainte est d’autant plus présente que les militaires masculins délèguent le plus souvent la sphère domestique à leur conjointe pour remplir leurs missions professionnelles. Conscients des contraintes familiales auxquelles leurs collègues femmes sont confrontées, trouvant par ailleurs légitime qu’elles veuillent les assumer, le doute qu’ils émettent porte en fait sur la capacité des femmes à concilier vie personnelle et vie professionnelle.

Un respect qui se gagne différemment

13Face aux préjugés dont elles sont l’objet, les femmes militaires tiennent à être respectées pour ce qu’elles sont réellement. En outre, le respect dû à l’uniforme et à la hiérarchie est partie prenante des valeurs qui les ont en partie attirées vers l’institution militaire. Ainsi pour elles, le fait de se faire respecter dans leur rôle de militaire concrétise véritablement leur intégration dans une discipline de vie à laquelle elles ont choisi de se soumettre, mais dont elles comptent aussi tirer bénéfice.

Une autorité fondée sur une plus grande écoute

14Le cadre réglementaire qui fixe les rapports entre subordonnés et cadres est sécurisant. Il assure au minimum à la femme gradée l’obéissance due à son statut. Mais en situation de commandement, elles pensent avoir moins de ressources qu’un homme pour s’imposer physiquement à un public sensible aux valeurs viriles : le mode d’autorité militaire traditionnel transforme quelques caractéristiques féminines en handicaps potentiels. La mise en doute a priori de leurs aptitudes, la familiarité avec laquelle elles sont abordées ou encore les réflexes des hommes dans leur comportement vis-à-vis des femmes en général sont autant de données à prendre en considération dans l’exercice de ces responsabilités.

15Le milieu où va évoluer le personnel féminin tout au long de sa carrière est décrit comme un réseau restreint où les informations circulent bien. Il semble alors que la réputation acquise par la femme (à propos du registre dans lequel elle se situe) soit destinée à ne plus la quitter, et renforce l’idée selon laquelle elle n’a pas le droit à l’erreur. Un des écueils à éviter absolument pour conserver sa crédibilité est de laisser planer une ambiguïté quant au degré de proximité des relations entretenues avec un militaire en particulier.

16Pour assumer leurs responsabilités hiérarchiques dans le quotidien des relations humaines, elles peuvent néanmoins mobiliser d’autres facteurs. Les femmes militaires cherchent ainsi à s’attirer une confiance en leurs compétences professionnelles, et plus globalement à faire oublier leur identité féminine en tant que particularité notable qui réduirait leur identité professionnelle. Préserver sa vie privée peut aussi être un moyen d’asseoir son autorité. En tentant de garder une part d’identité cachée dans un milieu où tout se sait, la femme assoit sa personnalité en laissant comprendre qu’elle ne laissera personne déstabiliser son professionnalisme.

17Pour affirmer leur autorité, les femmes font valoir la nécessité de se mettre à distance, sans pour autant s’éloigner de leurs collègues. Les relations s’établissent autour d’une pudeur où chacun puise son identité. Cette distance peut néanmoins prendre des formes très diverses selon les niveaux de grade. Les sous-officiers ne craignent pas de se tutoyer ou de se faire la bise. Les officiers ne le font que rarement. Chacune trouve en fait la distanciation qui convient à la situation de son travail, et qui lui permettra d’esquiver ici un poncif machiste, là une blague grivoise ou une proposition indécente sous couvert d’humour.

18Lorsqu’elles sont en position de commandement, les femmes adaptent la gestion de leur équipe à leur personnalité et aux atouts qu’elles peuvent valoriser. Elles renoncent à se ridiculiser en forçant leur voix ou en n’assumant pas pleinement leur apparence. L’apprentissage d’un chant militaire peut par exemple être délégué à un collègue masculin. L’autorité « naturelle », la détermination, la confiance en soi aident à dépasser la simple domination physique.

19Dans des spécialités peu opérationnelles le plus souvent, elles assurent un encadrement aux caractéristiques proches de celui pratiqué dans le civil. Plus le travail à effectuer est d’ordre intellectuel plutôt que purement pratique, et plus les rapports hiérarchiques sont atténués au profit de rapports techniques. En outre, la maturité et l’expérience réduisent les appréhensions ressenties et aident à s’imposer plus simplement.

20Pour tout homme ou femme qui arrive dans un poste à l’issue de sa formation dispensée en école, l’expérience peut être nulle et la compétence entièrement théorique. À chaque changement de grade, la compétence du nouveau venu est, pour un temps, moindre que celle qui était la sienne au grade inférieur, ou que celle de ses collègues de même grade plus anciennement nommés dans le poste. Si la compétence professionnelle des femmes, comme celle des hommes d’ailleurs, entre pour une bonne part dans le respect qu’ils acquièrent, les femmes semblent plus attentives à ne pas s’accrocher à leur simple titre pour affirmer leur autorité, et à témoigner d’assez de souplesse et d’écoute pour s’adapter au fur et à mesure à une pluralité d’individualités. Dans les petites brigades de Gendarmerie où la cohabitation peut être plus pressante, ce phénomène est particulièrement marqué.

Une approche stratégique de la maternité

21Conscientes de la manière dont est perçue la maternité par leurs collègues masculins et inquiètes des éventuelles conséquences d’une interruption de leur activité sur leur carrière, les femmes retardent bien souvent la naissance de leur premier enfant afin, d’une part, de ne pas gêner leur intégration professionnelle et, d’autre part, de ne pas altérer leur projet de carrière. Il apparaît de toutes façons assez fréquemment qu’au moment de leur engagement, les femmes ne se posent pas forcément concrètement la question de la maternité et de ses incidences éventuelles sur leur vie professionnelle.

22Pourtant, la potentialité de l’événement ne peut être indéfiniment éludée. Certains choix de début de carrière peuvent s’avérer déterminants pour instaurer les conditions du bon déroulement des maternités. Ainsi, il est fréquent que les élèves officiers et sous-officiers féminins intègrent la perspective d’avoir une vie familiale dès leur sortie d’école, dans le choix de l’arme d’affectation. Elles anticipent la complexité du « calendrier familial ». Il s’agit de planifier dans le flou des événements que l’on souhaiterait plus spontanés.

23Quelle que soit l’importance qu’elles aimeraient accordera la constitution d’une famille, les femmes militaires ont, dès la naissance de leur premier enfant, plusieurs options pour s’accommoder des nouvelles contraintes. Le départ de l’armée est la solution la plus radicale. Afin de privilégier leur enfant, d’autres femmes ont préféré demander des congés spécifiques, avec le risque de freiner leur carrière. Mais pour demeurer actives le plus longtemps possible pendant la grossesse et surtout pouvoir s’occuper de leurs enfants par la suite, la stratégie la plus répandue semble être celle consistant à rechercher les affectations permettant d’occuper des emplois moins éprouvants physiquement, ou qui requièrent une disponibilité moins importante. Ni l’accès à ce type de poste, ni le fait de le conserver par la suite ne sont cependant garantis. En cas d’échec, il faut se rabattre sur une autre solution. Parmi celles destinées à terminer leur carrière en état-major, certaines attendent ce moment en concentrant leurs efforts sur la réussite de ce parcours. D’autres vivent un dilemme entre leur désir d’enfant et l’examen des contraintes exercées par leur profession sur un tel projet. L’échéance de la première naissance ayant déjà été repoussée, les limites portent alors sur le nombre total d’enfants. Les familles de plus de deux enfants, considérées comme « nombreuses », sont ainsi vues comme des exceptions quand la femme a réussi une belle carrière militaire.

Conclusion : vers une redéfinition de l’identité militaire ?

24Alors que pour les hommes la mise à l’épreuve se limite fréquemment à la période de formation initiale, les femmes risquent davantage de la voir se renouveler à chaque nouvelle affectation. Pour se faire accepter, toutes n’usent pas de la même stratégie. Certaines jouent la carte de la différence et ne renoncent pas à leur féminité dans le cadre de leur activité professionnelle. D’autres, au contraire, se font un devoir de gommer toute différence immédiatement perceptible (maquillage, cheveux longs, etc.). Ces attitudes différentes sont commentées par les femmes, parfois sur le ton du reproche. Ainsi, les secondes disent des premières qu’elles font le jeu des hommes en renonçant au principe d’uniformité. Les premières estiment pour leur part qu’il est vain de vouloir se comporter comme s’il n’y avait pas de différences entre hommes et femmes.

25Or, pour tous, militaires masculins et féminins réunis, il y a bien des différences. Deux reviennent en particulier systématiquement : la force physique et la maternité. Ainsi, les hommes tendent à considérer la moindre force physique moyenne des femmes comme un handicap pour tous les aspects opérationnels du métier. D’autres militaires, et parmi eux les femmes, estiment pour leur part que les métiers militaires évoluent, devenant de plus en plus techniques et nécessitant de ce fait plus rarement des qualités physiques de haut niveau. Si les femmes parviennent à faire admettre ce dernier argument par leur pratique professionnelle, les problèmes liés à la maternité sont bien plus difficiles à faire entendre. Sur le plan symbolique, la capacité à enfanter rappelle avec force la spécificité des femmes par rapport aux hommes, et peut être perçue comme contradictoire avec une activité militaire susceptible d’amener à ôter la vie. Plus concrètement, la maternité complique parfois la gestion de la disponibilité professionnelle, et c’est ce qui est principalement stigmatisé par certains personnels d’encadrement. Au-delà de l’événement de la maternité, la constitution d’une famille peut s’avérer à terme plus perturbatrice. Certains militaires vont même jusqu’à juger que les femmes ne sont plus en mesure d’assumer complètement leur statut militaire dès lors quelles sont mères de famille. La maternité semble renforcer le phénomène de carrière en deux temps (postes opérationnels puis postes plus « calmes »), qui est observé également chez les hommes mais de façon moins précoce ; elle tend aussi à accentuer la présence des femmes dans des postes moins opérationnels et requérant moins de disponibilité. Or, la capacité à être opérationnel et la disponibilité sont deux des piliers de la condition militaire.

26Mettre l’accent sur les arguments de la force physique et de la maternité revient en fait à mettre en cause l’aptitude des femmes à être des militaires à part entière. L’oscillation entre identités militaire et féminine, qui se fondent sur des valeurs et des représentations traditionnellement opposées, constitue bien le cœur de la problématique sociologique portée par la présence des femmes militaires au sein des armées. Cet enjeu identitaire conduit à s’interroger sur ce qu’est, aujourd’hui, un militaire. Si l’on accepte l’idée que dans l’imaginaire collectif, le militaire est l’incarnation caricaturale rie la virilité, les militaires masculins ne peuvent plus être tout à fait ces hommes « exemplaires » qu’ils ont incarnés pendant des siècles, dès lors que les femmes peuvent être des militaires comme les autres. Il n’est donc pas étonnant de constater que la présence des femmes est d’autant plus difficilement acceptée qu’elles intègrent des spécialités marquées par une forte tradition masculine (troupes de marine, pilotes de chasse, etc.). En revanche, là où les militaires se définissent avant tout comme des techniciens, la féminisation des armées est perçue comme une réalité tout à fait recevable. En effet, même si c’est peut-être aussi pour mieux souligner leurs prétendues faiblesses physiques, les qualités intellectuelles des femmes ne sont pas contestées.

27La question de l’identité militaire est d’autant plus récurrente qu’elle croise celle de la « civilianisation » des effectifs. La professionnalisation, en contribuant, notamment, à ouvrir la communauté militaire en son sein à la société civile, met à mal les repères identitaires militaires classiques et les principes de fonctionnement de cette communauté professionnelle. En réponse à ces bouleversements, cette dernière est partagée entre un repli sur ses spécificités et la défense de ses valeurs d’une part, et des interrogations sur de possibles aménagements de sa condition, d’autre part. En même temps, la présence de civils au sein des unités apparaît aussi comme un moyen de réaffirmer son statut militaire. C’est, précisément, ce que font de nombreuses femmes militaires qui mettent en évidence les différences de statut avec les civils pour rappeler à leurs collègues masculins qu’elles sont des militaires au même titre qu’eux.

Notes

  • [1]
    OSD, Les femmes militaires, Repères socio-démographiques, ministère de la Défense/SGA/DFP, 2000.
  • [2]
    OSD, Les femmes militaires. Aspects sociologiques, ministère de la Défense/SGA/DFP, 2000.
  • [3]
    Notons par ailleurs que « le refus de toute différenciation relève d’une incompréhension du rôle de l’effort physique dans la formation morale : dans la mesure où celui-ci a pour fonction de développer la volonté par le dépassement de soi, une double notation selon le sexe est tout à fait justifiée et répond parfaitement au but recherché. Il est même probable que dans certains cas – à Saint-Maixent par exemple – le désir des femmes d’être à la hauteur dans un milieu masculin les pousse à accomplir des efforts sur elles-mêmes que les hommes n’ont pas à fournir., », in E. Reynaud, Les femmes, la violence et l’armée – Essai sur la féminisation des armées, Paris, Fondation pour les études de défense nationale, 1988, p. 92.
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