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Article de revue

Iran-Arabie séoudite : une (im)possible réconciliation ?

Pages 7 à 75

Notes

  • [1]
    Pour une vision « académique » arabe, voir : Awad Al Badi, « Saudi-Iranian Relations : À troubled Trajectory », in G. Bahgat et al. (dir.), Security and Bilateral Issues between Iran and its Arab Neighbours, DOI 10 ; 1007/978, King Faisal Center for Research and Islamic Studies, Saudi Arabia, 2017. Pour une synthèse documentaire rapide, voir : « Iran– Saudi Arabia proxy conflict », Wikipedia (consulté le 22 mars 2018).
  • [2]
    Le vieux schéma de l’antagonisme sunnite/chiite, avec ses clichés (croissant / arc chiite…) dissimule trop souvent des ressorts au moins aussi importants (si ce n’est plus) de la conflictualité irano-séoudienne. Pour une évaluation de la portée de ce facteur dans la conflictualité régionale, voir l’excellente analyse de Laurence Louër, « Dynamique des relations entre sunnites et chiites », Moyen-Orient n°38, avril-juin 2018. La lutte pour la suprématie ou pour plus d’influence (balance of power), ainsi que l’importance des fissures (factionnalismes) internes, sont des pistes fécondes pour mieux comprendre ces processus qui s’insèrent dans un paysage de dislocation à l’échelle régionale, à l’intérieur-même de la sphère sunnite. L’héritage du « printemps arabe » pèse durablement. Voir Mohammad Ayatollahi Tabaar, « Iran-Saudi Relations : Factional Politics All The Way Down, Policy Roundtable 2-4 : The Saudi-Iranian Cold War », The International Security Studies Forum, 20 février 2018. Voir aussi la remarquable mise en perspective de Vali Nasr dans « Bitter Rivals : Iran and Saudi Arabia, The Frontline Interview », PBS, 20 février 2018. L’héritage perturbateur des interventions étrangères en Irak et en Libye a aussi contribué à l’hostilité des deux champions : Banafsheh Keynoush, Saudi Arabia and Iran – Friends or Foes ? Palgrave, Macmillan, 2016, p. 2.
  • [3]
    Sabrina Mervin a dissipé le mythe du « croissant chiite » : « Il n’y a ni croissant, ni arc susceptible de constituer un bloc homogène conforme aux directives de la République islamique d’Iran, mais un ensemble disparate de zones… » (S. Mervin [dir], Les mondes chiites et l’Iran, Karthala-IFPO, 2007, p. 9). Comme le notent Jean-Baptiste Bégat et Pierre Ramon, « Si la politique étrangère iranienne ne peut pas s’expliquer par une logique chiite, Téhéran utilise en revanche l’argument chiite pour justifier sa politique auprès des iraniens, et pour réaffirmer l’identité chiite du pays » (« Opposition Iran chiite/Arabie séoudite sunnite. Des discours à la réalité », Diplomatie, n°91, mars-avril 2018). Les Séoudiens accusent donc l’Iran d’expansionnisme sectaire mu par une volonté chiite de conquête. À son tour, le chiisme fait office d’épouvantail brandi par les Séoudiens, à l’image de MBS : « Nous avons le régime iranien qui veut étendre son idéologie chiite extrémiste. Ils [les Iraniens] croient que s’ils le répandent, l’imam caché reviendra et régnera sur le monde entier… » (« Saudi Crown Prince : Iran Supreme Leader Makes Hitler look Good », The Atlantic, 2 avril 2018).
  • [4]
    Farideh Farhi, Iranian Power Projection Strategy and Goals, Center for Strategic & International Studies, avril 2017
  • [5]
    Voir dans ce numéro l’article de Sébastien Boussois : « Un an après le début de la crise du Golfe, la résilience du Qatar a payé »
  • [6]
    Dina Esfandiary, No Country for Oversimplification, The Century Foundation, 24 janvier 2018.
  • [7]
    Golnaz Esfandiari, « The Mystery Behind The Saudi Embassy Attack In Iran », RFE/R L, 6 janvier 2016.
  • [8]
    Voir l’excellente analyse de Jirajoj Mamadkul : « Saudi Arabia-Iran’s Foreign Policy Crisis : A Case Study of Execution of Saudi Shia Cleric Shaikh Nimr al-Nimr », RJSH Vol 4, n°1, Rangsit University, Pathumthani, Thaïlande, janvier-juin 2017.
  • [9]
    James Dorsey, « Covert wars : Iran and Saudi revisit their strategies », Modern Diplomacy, 6 janvier 2018.
  • [10]
    Jamal Khashoggi, « Why Saudi Arabia’s crown prince should be worried about Iran’s protest », The Washington Post, 3 janvier 2018.
  • [11]
    Une appréciation qui ne fait que se consolider depuis plusieurs années : Power Struggle in The Gulf : An Assessment of the Saudi Threat Perception Towards Iran’s Nuclear Program, IFAIR, 25 mars 2012.
  • [12]
    Notamment Ali Velayati (conseiller diplomatique du Guide) et Ali Younesi (conseiller de Rohani pour les minorités). Voir : de l’auteur, « Les relations entre l’Iran et l’Arabie séoudite à l’heure des choix, (1re partie) », Les Clés du Moyen-Orient, 19 mars 2015. D’autres exemples sont relevés dans : Mehdi Khalaji, « Yemen War Heats Up Iran’s Anti-Saudi Rhetoric », Policy Watch N°2423, The Washington Institute for Near East Policy, 18 mai 2015. Ali Saidi, délégué du Guide auprès des Gardiens de la Révolution, s’était déjà distingué en déclarant que l’influence stratégique de l’Iran s’étendait sur tout le continent ; voir : « Khamenei ally is accusing Iran’s liberal enemies of delaying the Mahdi’s appearance », Al Arabiya, 21 avril 2017. Selon Michael Rubin, les ambitions « impériales » de l’Iran sont mises en œuvre par une panoplie d’outils qui incluent non seulement des organisations comme le Hezbollah, des entreprises contrôlées par les Gardiens de la Révolution, mais aussi toute une gamme de structures de soft power, dont diverses organisations « charitables », culturelles, religieuses : « Strategies Underlying Iranian Soft Power », American Enterprise Institute, 7 mars 2017. Ces discours (parfois tirés de leur contexte ou réinterprétés), et ces politiques nourrissent commodément la phobie séoudienne à l’encontre de l’Iran et contrarient les tentatives de détente du gouvernement Rohani, dont Riyad conteste la crédibilité.
  • [13]
    Norman Cigar, Saudi Arabia and Nuclear Weapons : How Do Countries Think About the Bomb ?, New York, Routledge, 2016, pp. 7 et s.
  • [14]
    Mais les jeunes générations séoudiennes ont regardé avec sympathie les jeunes manifestants iraniens, dont elles partagent l’aversion pour le clergé et le carcan moral (Thomas L. Friedman, « Iranian and Saudi Youths Try to Bury 1979 », The New York Times, 9 janvier 2018.
  • [15]
    Emma Ashford, « The Saudi-Iranian Cold War », Cato Institute, 20 février 2018.
  • [16]
    « Iran ready to resume ties with Saudi Arabia under conditions », Trend, 23 janvier 2017.
  • [17]
    « Hezbollah Urges Riyadh-Tehran Dialogue », Iranian Financial Tribune, 27 mai 2017.
  • [18]
    Kingdom of Saudi Arabia Ministry of Foreign Affairs. The Ministry, Minister of Foreign Affairs Press Conferences, Remarks of Foreign Minister Adel Al Jubeir, Munich Security Conference, Munich, 19 février 2017.
  • [19]
    « China hopeful Saudi and Iran can resolve problems », Tehran Times, 9 mars 2017 ; « Iran welcomes Beijing proposal for mediation between Tehran Riyadh », IRNA, 10 mars 2017 ; « Riyadh rejected the Beijing mediation », Iranian Diplomacy, 10 mars 2017 (traduit du farsi).
  • [20]
    « Saudi Arabia’s Defense Minister Says Dialogue With Iran Impossible », The New York Times, 2 mai 2017.
  • [21]
    « Rise of new Saudi crown prince stirs serious concerns in Iran », Al-Monitor, 11 juillet 2017.
  • [22]
    « Saudi crown prince calls for Iraqi mediation with Tehran : minister », Tehran Times, 13 août 2017.
  • [23]
    « Leader’s Top Aide : Iran Welcomes S. Arabia’s Change of Behaviour », FNA, 21 août 2017. Kamal Kharrazi, chef du think tank Iran’s Strategic Council on Foreign Relations, et lui aussi conseiller du Guide, avait répété que l’Iran était ouvert au dialogue (« Iran open to dialogue, says top diplomat », France 24, 21 juillet 2017).
  • [24]
    « Official source : the Kingdom did not request any mediation with the Republic of Iran », SPA, 16 août 2017.
  • [25]
    Mehdi Kalaji, « Ideology Outweight Diplomacy in Iran’s Haji Decision », Policy Watch 2853, The Washington Institute for Near East Policy, 28 août 2017.
  • [26]
    « Saudi says Iranian talk of rapprochement is laughable », Reuters, 5 septembre 2017.
  • [27]
    Hossein Alizadeh, « What does Switzerland Have to do With Iran-Saudi Relations ? » IranWire, 30 octobre 2017.
  • [28]
    « Russia says ready to mediate between S. Arabia and Iran », Tehran Times, 12 octobre 2017.
  • [29]
    « A glimpse of a Crown Prince’s Dream ? Saudi Arabia Invades Iran in CGI », The New York Times, 20 mars 2018.
  • [30]
    Et peut-être ceux des investisseurs étrangers. Voir l’intéressante position de la COFACE qui parle de « risque systémique » à propos de l’Arabie séoudite : Julien Marcilly, « La Chine et l’Arabie séoudite, deux pays pouvant avoir un impact systémique », Le Figaro, 23 janvier 2018.
  • [31]
    Ce facteur souvent ignoré est l’une des facettes de la rivalité et des tensions entre Téhéran et l’Arabie séoudite, dont la manne pourrait à terme ne plus suffire à nourrir sa prospérité. D’où ses plans en cours d’urgente diversification vers les énergies renouvelables. L’Iran et le Qatar, riches en gaz, sont donc des cibles sensibles pour les convoitises séoudiennes (James Dorsey, « Natural Gas : An Underrated driver of Saudi hostility towards Iran and Qatar, The Turbulent World of Middle East Soccer Blog, 27 mars 2018). Le soutien financier séoudien au projet de gazoduc TAPI inquiète les experts iraniens, qui redoutent qu’il ne permette au Pakistan (et peut-être l’Inde, d’où le très délicat package de négociations entre New Delhi et Téhéran) de ne plus avoir besoin du gaz iranien, privant Téhéran d’un important marché : « Supporting TAPI Saudi Arabia tries to decrease Iran’s regional role : Expert », Tehran Times, 28 février 2018. Malgré leur antagonisme, Riyad et Téhéran savent qu’un conflit ouvert, avec blocage du détroit d’Ormuz, porterait un coup sérieux à leur économie : les deux rivaux essaieront d’éviter d’en arriver là (entretien avec Philippe Copinschi, « Pétrole : deux visions antagonistes pour un marché mondialisé », Moyen-Orient, n°38, avril-juin 2018.
  • [32]
    Paradoxalement, alors que les Séoudiens dénoncent les menaces et les appétits militaires iraniens, MBS reconnaît la modestie de l’armée iranienne et la modicité de ladite menace : « They’re the cause of problems in the Middle East, but they are not a big threat to Saudi Arabia. But if you don’t watch it, it could turn into a threat ». Beaucoup de bruit pour rien ? Il ajoute : « They are not among the top five armies in the Middle East. So they are far away ». Il lâche un aveu autrement plus significatif : « And they’ve seen that every day from’79 to today, that they are spreading their ideology » (« Crown Prince Mohammed bin Salman Interview », Time, 5 avril 2018. Autrement dit, contrairement au discours séoudien dominant, c’est bien le risque de déstabilisation interne du régime, avec l’exemple de la révolution de 1979, qui hante les dirigeants du royaume, sans oublier l’héritage du Printemps arabe.
  • [33]
    « Haley’s “Smoking Gun” on Iran Met with Skepticism at UN », Foreign Policy, 14 décembre 2017. Le rapport des experts de l’Onu a effectivement mis en lumière des éléments fabriqués en Iran.
  • [34]
    « Interview : Saudi Arabia welcomes push for U.N. action against Iran on missiles », Reuters, 18 février 2018.
  • [35]
    M. K Bhadrakumar, « What the Russian Veto on Yemeni war signifies », AsiaTimes Online, 1er mars 2018. Que Moscou ne veuille pas laisser Washington isoler l’Iran est à la fois un avertissement et un précédent.
  • [36]
    « Pakistani Troops To Play Advisory Role In Saudi Arabia : Prime Minister Shahid Khaqan Abbasi », Urdu Point, 20 février 2018 ; « Pakistan’Saudi deployment risks entanglement in Yemen », Asia TimesOnline, 18 février 2018 ; « Pakistan Deploys 1,000 Troops to Saudi Arabia amid Yemen War : Reasons, Consequences », Alwaght, 21 février 2018.
  • [37]
    « Pakistani troops in Saudi for “internal security”- minister », Dawn, 9 mars 2018.
  • [38]
    Notamment Henry Sokolski, « Keeping the Middle East from Becoming a Nuclear Wild Wild West », Testimony before a hearing of The House of Foreign Affairs Subcommittee on the Middle East and North Africa, 21 mars 2018 ; Joe Cirincione, « Trump Silence on a Saudi Nuclear Bomb », LobeLog, 30 mars 2018 ; « The Risks of Nuclear Cooperation with Saudi Arabia and the Role of Congress, ISSUE BRIEF, Vol 10, n°4, 5 avril 2018, Arms Control Association.
  • [39]
    « Saudi Prince’s Nuclear Bomb Comment may Scuttle Nuclear Deal », Bloomberg, 21 mars 2018 ; « U.S. Must Hold Saudis to Gold Standard in Any Nuclear Cooperation Agreement, Says Ros-Lehtinen, House Rep. », Ilana Ros-Lehtinen website, 21 mars 2018.
  • [40]
    « Netanyahu said to ask Trump not to sell Saudis nuclear reactors », Times of Israel, 9 mars 2018 ; Trump and Saudis engaged in nuclear talks », The Jerusalem Post, 21 mars 2018 ; « The Saudi Nuclear Program : Here’s What Should Worry Israel and Trump », Haaretz, 26 mars 2018.
  • [41]
    « Saudi Arms Buyers Won a $3.5 Billion Discount From the Pentagon », Bloomberg, 21 mars 2018.
  • [42]
    Lors de la Conférence de Munich sur la sécurité en février 2018, Al Jubeir a revendiqué le droit à un programme nucléaire, alors que Riyad négocie un accord en ce sens avec des entreprises américaines. Aux yeux du royaume, seul un durcissement de l’accord nucléaire avec l’Iran pourrait éventuellement freiner cette initiative (« Saudis Reportedly Seek Parity With Iran In nuclear Power Deal With U.S. », RFE /RL, 27 février 2018 ; « Saudi Arabia does not want to acquire any nuclear bomb, but without a doubt, we will follow suit as soon as possible”, Saudi Arabia‘s Heir To The Throne Talks to 60 Minutes », CBS News, 19 mars 2018.
  • [43]
    « Crown Prince bin Salman interview », op. cit.
  • [44]
    « Israel, Saudi Arabia have common enemy, areas of cooperation : Bin Salman », PressTV (média iranien), 5 avril 2018.
  • [45]
    Caroline B. Glick, « Our fair weathered Saudi friend », The Jerusalem Post, 4 avril 2018.
  • [46]
    « J’ai l’honneur de vous soumettre le projet de plan pour établir des relations entre le royaume et l’État d’Israël, basé sur un accord de partenariat stratégique avec les États-Unis d’Amérique qui a été discuté avec le secrétaire d’État », cité dans : « Leaked : Saudis have “plans” for official ties with Israel », PressTV, 15 novembre 2017.
  • [47]
    Philip Giraldi, « Saudi Arabia and Israël know they cannot Defeat Iran, Want to Drag US into an Uncontainable War », American Herald Tribune, 13 novembre 2017.
  • [48]
    Okaz, 14 mars 2018, cité dans Saudi Dailies : « U.S. State Department Reshuffle Is A Positive Move, Will Lead To More Pressure On Iran », MEMRI Special Dispatch n° 7386, 15 mars 2018.
  • [49]
    « Saudi Prince to Stress Shared Goals Involving Iran in US Visit », RFE/RL, 20 mars 2018.
  • [50]
    « Saudi Crown Prince, on U.S. Visit, Urges Tough Line on Iran », The New York Times, 27 mars 2018.
  • [51]
    Pour un florilège des positions de Bolton : « John Bolton on Iran », The Iran Primer, 22 mars 2018 ; « Bolton says his past comments are now behind him as he gears up for White House role », CNN, 23 mars 2018.
  • [52]
    Daniel Larison, « Bolton and the Noxious U.S.-Saudi Relationship », The American Conservative, 27 mars 2018.
  • [53]
    P. Giraldi, op. cit.
  • [54]
  • [55]
    Une hypothèse analysée par Sylvain Cypel, « Demain, une guerre entre Israël et l’Iran ? Analyse des enjeux vus du côté israélien », Orient XXI, 26 février 2018.
  • [56]
    Un scénario également envisagé par Madawi Al Rasheed : « La dernière carte de l’Arabie séoudite au Liban : se servir d’Israël pour frapper le Hezbollah », Middle East Eye, 14 novembre 2017.
  • [57]
    Pour une mise en garde, voir Mitchell Plitnik, « Avoiding Another Mistake in Lebanon », LobeLog, 22 mars 2018. Les néoconservateurs américains poussent l’administration à suspendre son aide au gouvernement libanais, accusant Hariri de couvrir la mainmise du Hezbollah.
  • [58]
    Le tonitruant ayatollah Ahmad Khatami a menacé de raser des villes israéliennes si le Hezbollah était attaqué (« Iran Cleric Warns Israel’s Cities to be Flattened if Hezbollah Attacked », Tasnim News, 7 avril 2018 ; ce type de menace apocalyptique rituel se retrouve aussi chez les Gardiens de la Révolution).
  • [59]
    Franklin Lamb, « Despite Claims, Israel-Hezbollah War is Unlikely », Counterpunch, 23 mars 2018.
  • [60]
    Aurélie Daher, « Lebanon : Saad Hariri’s Impossible Choice », LobeLog, 5 mars 2018.
  • [61]
    Ne se sentant pas en position de force pour prendre seule des initiatives frontales dures contre le Hezbollah, l’Arabie séoudite semble avoir tactiquement décidé de composer avec Saad Hariri, invité à dialoguer à Riyad le 26 février 2018. Il s’agit provisoirement de contrer le Hezbollah davantage sur le terrain de jeu des factions libanaises, ce qui n’exclut pas, à terme, d’autres voies quand le rapport de forces sera plus favorable. En attendant, le royaume veut conforter son influence au Liban : « Why Hezbollah is anxious about Saudi Arabia’s comeback in Lebanon », The Arab Weekly, 11 mars 2018 ; Raghida Dergham, « Curbing and containing Hezbollah is a key focus », The National, 7 avril 2018.
  • [62]
    « L’Arabie séoudite tente un replâtrage de ses relations avec le Liban », L’Orient-Le Jour, 28 février 2018 ; Margherita Stancati & Nazih Osseiran, « Saudis Mend Ties With Lebanon Leader After Resignation Saga », The Wall Street Journal, 28 février 2018. Le président libanais déclarait le 23 mars : « Les relations sont revenues à la normale et il n’y a rien qui puisse les altérer », L’Orient-Le Jour, 23 mars 2018.
  • [63]
    Eldar Mamedov, « Will EU Blacklist All of Hezbollah ? », Lobelog, 9 mars 2018. Tous les États-membres ne sont pas opposés à cette « désignation » : l’Allemagne y est la plus hostile, notamment en raison de ses contacts secrets : « US urges, Germany resists putting Hezbollah ban at heart of Iran’s nuclear deal », Al-Arabiya, 23 mars 2018.
  • [64]
    « Shiite Lebanese Scholar Muhammad Ali Al Husseini Calls to Revoke Nasrallah’s Citizenship », Memri Clip, 13 mars 2018.
  • [65]
    Voir notre analyse : « L’Iran entre deux orages : attentats à Téhéran et crise du Qatar », Les Clés du Moyen-Orient, 1re partie, 8 août 2017, 2è partie 17 août 2017.
  • [66]
    « Saudi-led boycotters stick to steep demands for Qatar : Report », PressTV, 13 avril 2018.
  • [67]
    « Saudi Arabia threatens to turn Qatar into an Island by digging a canal along its only land border as relations hit new low », Associated Press repris par The Daily Mail, 9 avril 2018.
  • [68]
    The New Arab, 14 octobre 2017.
  • [69]
    Andreas Krieg, « Comment les Émirats se sont unis à l’AIPAC pour s’emparer de Washington », Middle East Eye, 13 mars 2018.
  • [70]
    « How 2 Gulf Monarchies Sought to Influence the White House », The New York Times, 21 mars 2018.
  • [71]
    Youssef Al Otaiba, speaker, dans le débat « The Middle East at an Inflection Point » (discussion and Q&A Segments), Center for Strategic and International Studies, Washington, 29 janvier 2018.
  • [72]
    Sur la dégradation des relations bilatérales et le rôle de ce contentieux, voir, de l’auteur (dir.), L’Iran et les grands acteurs régionaux et globaux, L’Harmattan, 2012, pp. 55 et s.
  • [73]
    William Guéraiche, « The UAE and Iran : The Different Layers of a Complex Security Issue », in S. Akbarzadeh & D. Conduit (ed.), Iran in the World, New York, Palgrave Macmillan, 2016 pp. 75 & s.
  • [74]
    « UAE not seen a Major Trade Partner for Post-sanction Iran », Tehran Times, 9 janvier 2018.
  • [75]
    Voir Anne Gadel et Mourad El-Bouanani, « MBZ/MBS, deux hommes pressés ébranlent le Golfe », Orient XXI, 9 avril 2018.
  • [76]
    « UAE announces new Saudi Alliance that could Reshape Gulf Relations », The Guardian, 5 décembre 2017.
  • [77]
    « Sheikh Khalifa forms joint military alliance between UAE and Saudi Arabia », The National, 5 décembre 2017.
  • [78]
    Andreas Krieg, « L’axe séoudo-émirati uni contre l’unité du Golfe », Middle East Eye, 12 décembre 2017.
  • [79]
    Samuel Ramani, « The Saudi-UAE Alliance could be Weaker than it Appears », The National Interest, 11 décembre 2017.
  • [80]
    Un diagnostic partagé par plusieurs experts comme Neil Partrick, « The UAE’s War Aims in Yemen », Sada, Carnegie Endowment For International Peace, 24 octobre 2017 ; Christian Coates Ulrichsen, « Endgames for Saudi Arabia and the United Arab Émirates in Yemen », POMEPS Studies, n°29, janvier 2018 ; « How the UAE put Aden under the control of the militias », MEE, 1er février 2018 ; « Why Riyad will toe line with UAE in Yemen », MEE, 2 février 2017 ; « Analysis : Saudi Arabia plays puppet master as Yemen slowly breaks apart », MEE, 2 février 2018 ; « Abu Dhabi’s quest for an eight Emirate in Yemen », MEE, 18 février 2018. Les Émirats veulent disposer de plus de ports (Carmelo Cruz, « The UAE’s Role in Yemen », International Policy Digest, 20 mars 2018).
  • [81]
    « Saudi forces clash with UAE militia overpower in Yemen », Tehran Times, 5 février 2018.
  • [82]
    « Saudi movements to establish three military bases in Yemen », Al-Khaleej Online cité par mideastwire.com, 12 avril 2018.
  • [83]
    Une dimension à ne pas perdre de vue, au-delà du seul terrain yéménite : Eleonora Ardemagni, « Yemen’s War Reshapes Arab Gulf Armies », MEI, 15 novembre 2017.
  • [84]
    Debalina Goshal, « Houthis Missile Attacks and the Many Influences on Yemen’s Conflict », Terrorism Monitor, 9 mars 2018 ; Farzin Nadimi and Michael Knights, « Iran’s Support to Houthis Air Defenses in Yemen », Policy Watch, Washington Institute for Near East Policy, 4 avril 2018 ; « Saudi Army Base Hit by Yemeni Ballistic Missile in retaliatory Attack », Alwaght, 7 avril 2018.
  • [85]
    « The Frontline Interview : Mohammad Javad Zarif », 20 février 2018.
  • [86]
    « Iran, Britain in Serious Talks to End Yemen Crisis », Fars News, 24 février 2018.
  • [87]
    « Iran’s peace plan still the only solution to Yemen War, Zarif says », Tehran Times, 28 février 2018.
  • [88]
    Mohammad Hassan Al Qadhi, « The Iranian Role in Yemen and its Implications on the Regional Security », Arab Gulf Centre for Iranian Studies (AGCIS), 11 décembre 2017.
  • [89]
    James Mattis, secrétaire d’État américain à la Défense, a essayé de convaincre MBS en ce sens (« Pentagon chief presses for end to Yemen war in meeting with Saudi prince », Al Monitor, 22 mars 2018.
  • [90]
    « Trump, Saudi Prince Assail Iran Over Support For Yemeni Rebels », RFE/RL, 21 mars 2018.
  • [91]
    Riyad chercherait à entamer des discussions exploratoires pour sortir de ce guêpier : « Saudis in secret talks with Houthis to end Yemen’s war », Al Jazeera, 16 mars 2018. Le mouvement Ansarullah a par la suite démenti ces rumeurs de négociations (Tasnim, 16 mars 2018).
  • [92]
    « Saudi Arabia is stuck in Yemen quagmire, Iran says », Tehran Times, 12 mars 2018.
  • [93]
    « Saudi Arabia and UAE pledge nearly $1bn in aid for Yemen at UN conference », The Guardian, 3 avril 2018.
  • [94]
    « Saudi-led Coalition Accuses Iran of Supplying Huthi Missiles That Hit Riyadh », RFE/RL, 27 mars 2018.
  • [95]
    « Iran denies Supplying Missiles Used By Yemeni Rebels To Strike Saudi Arabia », RFE/RL, 28 mars 2018.
  • [96]
    « UN Condemns Missile Attacks By Iran-Allied Yemeni Rebels On Saudi Arabia », RFE/RL, 29 mars 2018.
  • [97]
    « Haji pilgrimage : more than 700 dead in crush near Mecca », The Guardian, 24 septembre 2015.
  • [98]
    « Khamenei calls for ending Saudi Arabia’s control over Haji », Dawn, 5 septembre 2016.
  • [99]
    « Saudi top cleric says Iranians “not Muslims” », Al Monitor, 6 septembre 2016.
  • [100]
    Laura Hartmann, « Saudi Arabia as a Regional Actor : Threat Perception and Balancing at Home and Abroad », SciencesPo Kuwait Program, 25 avril 2016.
  • [101]
    Bilal Y. Saab, « Iran’s Long Game in Bahrein », Issue Brief, Atlantic Council, décembre 2017 ; Michael Knights & Matthew Levitt, « The Evolution of Shi’a Insurgency in Bahrain », CTC Sentinel, janvier 2018 (ces deux auteurs néoconservateurs ont tendance à exagérer les ingérences iraniennes).
  • [102]
    En dépit de déclarations tonitruantes d’ultras iraniens comme le directeur du média Kayhan : « Bahreïn appartient à l’Iran » ; Kayhan’editor Shariatmadari, « Close To Khamenei : Bahrain Belongs to Iran ; The Region is under Iranian Control Today », MEMRI Special Dispatch n° 7379, 12 mars 2018.
  • [103]
    De l’auteur, « Iran-Arabie séoudite, quel dialogue après l’accord nucléaire ? », Orients stratégiques, n° 3, 2016.
  • [104]
    Mohammed Ali Al Houthi, président du conseil suprême d’Ansarullah, prend un malin plaisir à lancer sur France 24 que, si l’Iran lui avait réellement fourni le matériel et l’assistance nécessaires, il aurait conquis Riyad (Al Awaght, 31 mars 2018).
  • [105]
    « Dialogue with Iran is Impossible, Saudi Arabia’s Defense Minister », The New York Times, 2 mai 2017.
  • [106]
    Le ministre iranien de la Défense, Hossein Dehghan, réplique qu’en cas d’attaque sur son sol, l’Iran détruira l’Arabie séoudite, sauf La Mecque et Médine (« Iran Threatens to Destroy Saudi Arabia if Provoked », MEI, 8 mai 2017. Les menaces de destruction totale ne sont pas rares chez les Gardiens quand il s’agir d’avertir des « ennemis » comme Riyad ou Israël.
  • [107]
    De l’auteur, « L’Iran entre deux orages : Attentats à Téhéran et crise du Qatar, 1re partie », Les Clés du Moyen-Orient, 7 août 2017 ; « Iran general accuses US & Saudi Arabia of creating ISIS to Overthrow Syria in power grab », Express, 27 novembre 2017 ; « Islamist militants strike heart of Tehran, Iran blames Saudis », Reuters, 27 novembre 2017.
  • [108]
    Statement by the Command of the Coalition to Restore Legitimacy in Yemen 1439/2/17, 2017/11/06) ; « Saudi Arabia accuses Iran of “Act of War against the Kingdom” », Financial Times, 7 novembre 2017.
  • [109]
    Luca Baccarini, « Attaque d’un pétrolier séoudien par des miliciens houthis au large du Yémen : prémices d’un nouveau front sécuritaire ? », Notes de l’IRIS, 12 avril 2018.
  • [110]
    Debalina Ghoshal, « Houthi Missile Attacks and the Many Influences on Yemen’s Conflict », Terrorism Monitor, 9 mars 2018.
  • [111]
    « Saudi Arabia is the Light and Iran is the Darkness, says Foreign Minister », MEE, 24 janvier 2018.
  • [112]
    « Netanyahu : Iran is the greatest threat to the world », Al Jazeera, 18 février 2018.
  • [113]
    Eldar Mamedov, « Does Iran Constitution Promote Export of Islamic Revolution ? », LobeLog, 27 février 2018.
  • [114]
    « Iran handled over al-Qaeda Members », The Guardian, 12 août 2002.
  • [115]
    « Iran, Saudi Arabia in war of words over allegations of aiding al-Qaeda », Al Monitor, 20 mars 2018.
  • [116]
    Thomas Friedman : « Saudi Arabia “Arab Spring” at Last », The New York Times, 23 novembre 2017.
  • [117]
    « Saudi Arabia’s Heir to the throne talks to 60 Minutes », CBS News, 19 mars 2018.
  • [118]
    « Saudi Crown Prince : Iran’s Supreme Leader “Makes Hitler Look Good”, interview par Jeffrey Goldberg », The Atlantic, 2 avril 2018.
  • [119]
    « Saudi Prince warns of war with Iran in 10-15 years », The Nation, 1er avril 2018.
  • [120]
    « Iran says Saudi crown prince making “shameful, ridiculous” remarks », PressTV, 6 avril 2018.
  • [121]
    « US conditions support for Salman’s kingship to Israel normalization : Dissident Prince », ibid.
  • [122]
    « Analysis : Iranians confident Saudi Arabia’s regional role is declining », MEE, 29 août 2016.
  • [123]
    « Iran calls Saudi crown prince “delusional”, “naive” », Tehran Times, 16 mars 2018.
  • [124]
    « How Mohammed bin Salman unites usually divided Iranians », Al Monitor, 29 mars 2018.
  • [125]
    « Saudi Minister doubts that U.S. and Europe can agree on Iran deal », Reuters, 10 avril 2018.
  • [126]
    « Israel envoy, MBS, Rajavi meet in France : sources », Tehran Times, 11 avril 2018.
  • [127]
    « Prince Turki Al Faisal, at the Paris Rally to Free Iran : The Muslim World Supports You Both in Heart and Soul », Asharq al-Awsat, 9 juillet 2016 ; « Leader’s Top Adviser Seeks MKO Meeting in Paris as Political Bankrupts’Gathering », FNA, 13 juillet 2016 ; « Iran summons French Ambassador over dissident meeting in Paris », Reuters, 12 juillet 2016 ; « Zarif : Turki al-Faisal’s presence in MKO gathering shows his inefficiency », ISNA, 13 juillet 2016.
  • [128]
    « Iranian FM decries France green light to MKO activities », PressTV, 1er juillet 2017 ; « Iran Chides France for Hosting MKO meetings », Tasnim News Agency, 2 juillet 2017.
  • [129]
    « Iran Slams France over MEK meeting », Iranian Diplomacy, 2 juillet 2018.
  • [130]
    « Rouhani criticizes Paris ‘support for France-based terrorist organization », PressTV, 3 janvier 2018.
  • [131]
    « Iran Warns Europe Not to Surrender to Trump’s Psychological Warfare », Fars News, 5 mars 2018.
  • [132]
    Transcription de la conférence de presse conjointe, site de l’Élysée, 11 avril 2018.
  • [133]
    « Tehran warns France not to be influenced by bin Salman’s claims, warmongering », PressTV, 12 avril 2018.
  • [134]
    « S. Mousavian, Contrasting Leadership Styles in the Saudi-Iran Conflict », LobeLog, 4 janvier 2018.
  • [135]
    Ali Al Shihabi, « Saudi Arabia’s new doctrine », Al Arabiya, 15 décembre 2017.
  • [136]
    Gregory Gause, « Saudi-Iranian Rapprochement ? The incentives and the obstacles », Brookings articles, 17 mars 2014.
  • [137]
    Historique rappelé par Anthony Cordesman, « Saudi Arabia and Iran », Center for Strategic and International Studies, juin 2001.
  • [138]
    « Analysis : Rafsanjani death effect of Saudi-Iran Ties », Middle East Observer, 15 janvier 2017 ; Aniseh Bassiri Tabrizi, « Iran Post Rafsanjani-Heading Towards Polarization ? Commentary », RUSI, 31 janvier 2017.
  • [139]
    De l’auteur, « Les relations entre l’Iran et l’Arabie séoudite à l’heure des choix, 2e partie », Les Clés du Moyen-Orient, 21 mars 2015.
  • [140]
    « Iranian president : Saudi Arabia is a “friend and brother” », Al Arabiya, 20 septembre 2013.
  • [141]
    Le président ne manque pas de le rappeler : « Iran Says “good relations” possible if Saudi Arabia ends “friendship” with Israel », Pakistan Today, 10 décembre 2017.
  • [142]
    Kayhan Barzegar, « Pourquoi l’Iran veut éviter tout conflit avec l’Arabie séoudite », MEE, 24 octobre 2016.
  • [143]
    « Ending war in Yemen could bring Iran, Saudi Arabia closer », IRNA, 26 février 2018.
  • [144]
    « Tehran to help if Saudis consider political solution to Yemen crisis : Zarif », Tehran Times, 8 avril 2018.
  • [145]
    « Ayatollah Khamenei : For Islamic unity Iran is even ready to reach hostile states », Tehran Times, 16 janvier 2018.
  • [146]
    De l’auteur (dir.), L’Iran et les grands acteurs régionaux et globaux, op. cit. p. 86.
  • [147]
    Dina Esfandiary, « No Country for Oversimplification », The Century Foundation, 24 janvier 2018.
  • [148]
    « Zarif’s speech at the 2nd Tehran Security Conference », Iran Review, 17 janvier 2018.
  • [149]
    Javad Heiran-Nia, « Urgently Needed : A New Security Framework For the Persian Gulf », Iran Review, 6 février 2018.
  • [150]
    Hossein Mousavian, « The Widening Saudi-Iranian Divide », The Cairo Review of Global Affairs, Winter 2018.
  • [151]
    « Iran and Saudi Arabia need a “fresh security architecture” », Deutsche Welle, 18 février 2018.
  • [152]
    « Zarif, Lavrov Call for Gulf Security Dialogue », Iran Primer, 6 mars 2018.
  • [153]
    « Saudi foreign minister rejects Qatari proposal of EU-style security pact », Reuters, 19 février 2018.
  • [154]
    « Iran-proposed security architecture taken seriously », Tehran Times, 21 février 2018.
  • [155]
    « Rouhani says Iran ‘Ready’to Talk to Arab Neighbors », AFP, 28 février 2018.
  • [156]
    « Zarif says Iran will Support Saudi Arabia if it comes under Attack », Radio Farda, 14 mars 2018
  • [157]
    « Saudi FM urges Iran to Stop Supporting terror : We do not need Anyone to Defend us », Asharq al-Awsat, 24 mars 2018.
  • [158]
    International Crisis Group, « Iran’s Priorities in a Turbulent Middle East », Middle East Report n° 184, 13 avril 2018.

1Le présent article n’entend pas, brevitatis causa, détailler le catalogue des désaccords (dont les grands chapitres sont connus) entre Riyad et Téhéran, ni se livrer à une analyse historique [1], géopolitique, stratégique [2], anthropologique ou religieuse [3] de l’antagonisme irano-séoudien, dont l’ampleur dépasserait de loin l’espace que nous pouvons lui consacrer dans les développements qui suivent. Plus modestement, après avoir sommairement décrit cette situation et son contexte, nous tenterons d’explorer les pistes d’un éventuel rapprochement entre les deux concurrents, leur rationalité stratégique et, bien entendu, leur contenu. Nous évoquerons à cette occasion les obstacles (évidents) placés sur cette voie, tout en signalant l’intérêt et les perspectives que pourrait présenter un tel apaisement. Le caractère éminemment volatil du paysage moyen-oriental, où les sources de tensions sont à ce point multiples et bouillonnantes, impose la plus grande prudence dans ces réflexions mais ne doit pas interdire d’explorer d’autres voies que celles de l’inévitable conflit, quand bien même les pyromanes régionaux et globaux s’emploient à alimenter les foyers d’incendie qui prospèrent sous nos yeux.

2En déclenchant le 8 mai 2018 un retrait unilatéral de l’Accord Nucléaire du 14 juillet 2015 (JCPOA), Donald Trump a ouvert une boîte de Pandore qui alimente les foyers tension régionaux. En exigeant de la République islamique des conditions inacceptables pour rester dans l’Accord sans aucune contrepartie (pas même de respecter les dispositions actuelles), Trump avait programmé un retrait qui satisfait particulièrement ses « alliés régionaux », Riyad au premier chef. La Maison-Blanche s’était préalablement concertée avec les dirigeants du royaume pour s’entendre sur la stabilité du prix du pétrole avant de lancer le retrait. Cette spectaculaire étape renforce la coopération entre Washington et l’Arabie séoudite pour faire front commun contre l’Iran. Ce tournant affecte radicalement le paysage régional, avec une Amérique se sentant les mains libres pour combattre l’Iran sur tous les terrains, et jeter les bases d’un partenariat privilégié permettant de joindre les forces et appétits séoudiens et israéliens. On pourrait ainsi estimer qu’il est vain de poursuivre plus avant l’exploration de scénarios autres que celui d’un conflit armé avec l’Iran, ou d’un étranglement menant à sa vassalisation, ou au contraire à l’émergence d’un État militarisé impatient de prendre sa revanche, y compris par des opérations asymétriques. Si le contexte actuel rend passablement vains les espoirs de passer d’une logique de confrontation à celle d’une cohabitation plus collaborative entre l’Iran et son grand rival arabe, il serait hasardeux de ne pas examiner des hypothèses autres que la course au conflit. Ceci nécessite de rester lucide et prudent, sachant que les risques de déflagration régionale ont très sensiblement augmenté depuis le 8 mai : l’acrimonie séoudienne n’a en rien diminué, au contraire, nourrie aussi par cette alliance tactique (encouragée par Trump) de Riyad avec Israël.

3Malgré ces réserves, il nous semble nécessaire de scruter plus en profondeur un paysage dont la complexité ne cesse de se renforcer. Au passage, nous essaierons de faire apparaître un certain nombre de fragilités réelles, dissimulées sous l’apparence de la force, et inversement d’exposer des positions de force que cachent des postures dégradées – le danger le plus aigu n’est pas nécessairement celui que l’on pense. Nous saisissons cette occasion pour rappeler l’importance des critères stratégiques dans l’appréciation des champs étudiés. S’agissant de l’Iran, à l’aune de ces critères, il est permis de constater, comme Farideh Farhi, une savante combinaison entre pragmatisme et idéologie dans les choix stratégiques plutôt qu’un conflit entre les deux. La posture iranienne est fondamentalement défensive dans le but d’assurer la survie du régime. Cette subtile analyste iranienne perçoit que « l’objectif général de l’Iran reste le même : il entend renforcer sa position dans la région en sorte de sauvegarder l’Iran et la République islamique, son approche du monde, et sa méthode de gouvernance (…) les efforts visibles de l’Iran pour projeter sa puissance dans des buts défensifs ont toujours été opportunistes, capitalisant sur les erreurs des acteurs globaux et régionaux »[4].

4Cette observation se vérifie spectaculairement dans les crises du Yémen et du Qatar [5], qui démontrent, par contraste, les lacunes dans l’élaboration d’une stratégie séoudienne. Pour assurer sa sécurité régionale, Téhéran se projette sur plusieurs champs où son principal concurrent lui conteste cette prétention, un jeu qu’est venue singulièrement compliquer la menace successive (et conjointe) d’al-Qaïda et de Daech (ISIS), à laquelle l’Arabie séoudite n’est pas étrangère. L’Irak est la priorité vitale de la République islamique. Le cumul du douloureux souvenir de la guerre sanglante qui opposa les deux voisins (1980-1988) et de la menace de Daech, qui s’est dangereusement approchée de la frontière iranienne, inspire une vigilance de tout instant sur son voisin. L’Iran cherche à « équilibrer la préservation de l’unité irakienne et son intégrité territoriale »[6], avec un gouvernement à Bagdad qui soit suffisamment faible pour que l’Iran puisse l’influencer. La présence des lieux saints de Najaf et Kerbela (concurrents de Qom) est un enjeu supplémentaire qui n’a d’ailleurs pas échappé à l’attention du royaume séoudien. La Syrie, comme le souligne Dina Esfandiary, est un « symbole et un moyen pour son influence dans la région ». Elle ajoute que ce champ permet à l’Iran d’étendre son influence jusqu’à la Méditerranée, face à Israël, et d’armer ses fidèles alliés dans la région. Pour ce faire, Téhéran a besoin de la survie du régime de Damas sous une forme ou une autre, et surtout de l’intégrité syrienne. Le Yémen, où l’implication iranienne est limitée, est un terrain mineur pour l’Iran, dont il est fort éloigné. L’opportunité s’est présentée de gêner Riyad à faible coût – une nuisance d’une toute autre ampleur pour le royaume, qui s’est découvert vulnérable et embourbé à grands frais. Un pion à négocier ?

Un contexte orageux

Une accumulation d’aigreurs

5Plus de deux ans se sont écoulés depuis l’étape décisive de la brouille irano-séoudienne matérialisée le 2 janvier 2016. Ce jour-là, une masse de manifestants soi-disant « spontanément indignés » avait saccagé l’ambassade séoudienne à Téhéran et le consulat du royaume à Machhad, sous l’œil indifférent des forces de l’ordre. Les incendiaires étaient encadrés par des membres de « services parallèles » qui avaient organisé cette opération [7]. L‘objectif (atteint) était au moins autant de porter un coup quasi-fatal aux relations bilatérales, déjà quasi-moribondes au vu des méfiances et des contentieux – dont le traitement désinvolte par les autorités séoudiennes des victimes iraniennes des mouvements de foule lors du pèlerinage de La Mecque le 24 septembre 2015 — accumulés jusqu’alors, que d’embarrasser le chef de l’État iranien et son gouvernement. Ces violences étaient supposées riposter à l’exécution du dignitaire religieux chiite séoudien Nimr Al Nimr. Les ultras iraniens avaient prévenu que la mise à mort du clerc était une ligne rouge à ne pas franchir. Quand elle le fut, la suite ne fut pas une surprise : il était logique de s’attendre à de vives réactions à l’issue d’une escalade verbale en Iran.

6Cette exécution répondait à plusieurs objectifs [8] : museler toute opposition assimilée à une menace « terroriste », donner satisfaction aux cercles religieux « durs », affirmer une autorité à usage interne, mais aussi envoyer un message à toutes les minorités chiites, et surtout à l’Iran. Le maître de Riyad a voulu afficher une ligne volontariste à forte tonalité agressive. En a-t-elle mesuré toutes les conséquences ? Le prix à payer, évident, d’une dégradation accrue des relations avec l’Iran semble l’avoir laissé indifférente. Il n’est pas certain que toutes les dimensions aient été pesées. Ceci est symptomatique d’un déficit de réflexion stratégique dans ce royaume, dont la conduite du conflit yéménite apporte une flagrante confirmation. Comme le relève l’excellent expert James Dorsey, « l’approche du prince Mohammed ben Salman est un jeu de puissance basé au premier chef sur une diplomatie du carnet de chèques, des tactiques de pressions et la projection du royaume comme gardien des villes les plus saintes de l’islam. C’est une approche vide de toute idéologie ou de vision du monde au-delà de la nécessité de contrer l’Iran et de soutenir le régime autocrate ou autoritaire en vue d’assurer la survie du règne familial »[9]. L’objectivité commande toutefois de préciser que la ligne des dirigeants séoudiens consistant à décrire l’Iran comme un voisin dangereux, dont le programme nucléaire faisait peser une lourde menace sur la sécurité de l’Arabie séoudite, et surtout doté d’ambitions hégémoniques sur toute la région, est une perception largement partagée [10] dans de vastes segments de la population séoudienne, au-delà des cercles dirigeants [11]. Les raisons en sont faciles à comprendre : la Révolution iranienne, qui était initialement supposée contaminer toute la péninsule, est un dangereux précédent. Le souvenir de 1979 et des premières années qui ont suivi, marquées par un discours iranien d’expansion de cette révolution sur tout le continent et au-delà, continue de planer sur l’imaginaire des décideurs séoudiens. Ces derniers ne sont pas persuadés, en dépit de l’abandon effectif des ambitions de la République islamique depuis la présidence Rafsandjani, de ce que ces visées soient totalement abandonnées. Diverses déclarations de certaines personnalités iraniennes [12] contribuent à alimenter cette phobie.

7La crainte panique qu’inspire le souvenir du « printemps arabe », qui a un peu emprunté à cette révolution, alimente aussi cette inquiétude. Enfin, la presse séoudienne, très largement contrôlée par le pouvoir [13], diffuse ces mêmes messages depuis de nombreuses années. Comment s’étonner des réflexes hostiles séoudiens, ô combien difficiles à dissiper ? Cette tendance se confirmera par la suite : les récentes manifestations populaires en Iran contre les têtes du régime ont été célébrées par les médias séoudiens pour mieux fustiger les politiques des dirigeants iraniens, mais à Riyad, les autorités du royaume observent un silence prudent et inquiet [14]. Si elles se réjouissent de tout ce qui peut affaiblir le turbulent voisin, elles redoutent le « mauvais exemple » iranien de contestation du pouvoir en place. Comme nous le disions plus haut, le syndrome « printemps arabe » est toujours présent et la stabilité, la perpétuation de la dynastie en place à Riyad est la priorité absolue – quitte à utiliser ad nauseam l’alibi de la menace extérieure pour verrouiller le pouvoir. L’enjeu interne, aux côtés de la rivalité de puissance, est à l’évidence un déterminant essentiel [15] de la posture séoudienne à l’égard de la « menace iranienne ». Paradoxalement, Riyad, comme les conservateurs iraniens, rêve du « modèle chinois » associant la modernisation de l’économie au contrôle absolu et répressif de toute vie politique intérieure sous un vernis de libéralisation de surface.

8Ceci étant rappelé, toujours est-il que le 3 janvier 2017, Adel Al Jubeir, chef de la diplomatie séoudienne, annonce la rupture des relations diplomatiques. Le gouvernement iranien, qui avait déploré la mise à mort de Nimr Al Nimr, a tout aussi catégoriquement condamné la mise à sac des locaux diplomatiques séoudiens, dont il a rapidement compris les dommages qu’elle pouvait lui causer. La préoccupation constante de la diplomatie iranienne sera non seulement de se démarquer de ces violences, mais surtout de tenter de renouer des relations diplomatiques. Le 12 janvier 2017, on apprend qu’Ali Qazi Askar, représentant du Guide en charge des affaires du pèlerinage, doit se rendre en Arabie séoudite le 23 février suite à l’invitation des autorités religieuses pour préparer le pèlerinage suivant. Une annonce suivie d’une cacophonie de déclarations contradictoires. Le 23 janvier, Bahram Qasemi, porte-parole du ministère iranien des Affaires étrangères, déclare que l’Iran est prêt à rétablir les relations avec l’Arabie séoudite si cette dernière change sérieusement de comportement : « Notre politique n’est pas d’abandonner des relations diplomatiques avec l’Arabie séoudite pour toujours »[16]. Plus surprenant, le Hezbollah libanais, sans doute inquiet de faire les frais des pics de tension entre Téhéran et Riyad, invite en mai 2017 les deux protagonistes à converser, en s’adressant aux Séoudiens. Son dirigeant Hassan Nasrallah adjure : « [votre seule solution est] de dialoguer et de négocier avec l’Iran »[17].

9Du côté séoudien, l’impasse est totale : lors de la conférence annuelle de Munich sur la sécurité, le 19 février 2017, Adel Al Jubeir est catégorique : les Iraniens veulent « parler », mais nous ne pouvons ignorer ce qu’ils font dans la région (Syrie, Yémen, etc.). Tant qu’ils ne changent pas là-dessus, on ne peut rien faire avec eux. Selon lui, l’Iran – un « État parrain du terrorisme », qui a par ailleurs violé « les accords sur les missiles balistiques » (on notera ici l’interprétation spécieuse d’Al Jubeir de l’accord du 14 juillet 2015) – est, vu ses activités de soutien à la Syrie, aux Houthis yéménites et au Hezbollah, « une partie du problème, pas la solution »[18]. Cette ligne « dure » s’est maintenue depuis, malgré diverses tentatives de médiation, dont une initiative de Pékin en mars 2017 [19] repoussée avec hauteur par Riyad, et une démarche du Koweït. Le 2 mai, Mohammed ben Salman, alors ministre de la Défense, interrogé sur la possibilité d’un dialogue direct avec l’Iran, réplique que c’est impossible en raison de la conviction religieuse de l’Iran que les chiites sont destinés à dominer le monde islamique. Il lance : « Comment avoir un dialogue avec ceci ? »[20]. Depuis lors, Riyad n’a pas dévié de cette ligne qui ne cesse de se durcir. L’inquiétude iranienne n’a fait que se renforcer depuis la « prise de pouvoir » de Mohammed Ben Salman, perçu à Téhéran comme une personnalité dépourvue de bon sens et remplie d’une illusion de supériorité qui peut mettre le feu à toute la région. [21] Paradoxal signe d’hésitations, le nouveau prince a paru esquisser timidement des signaux de demande de dialogue à l’une ou l’autre occasion. Le 13 août 2017, Qasim Al Araji, ministre irakien de l’Intérieur, révèle que son interlocuteur lui aurait demandé de servir de médiateur entre les deux rivaux [22]. Téhéran s’était félicité de ce changement d’attitude. Ali Velayati, conseiller diplomatique du Guide accueille positivement cette nouvelle approche : « Si un pays ne respecte pas les principes de bon-voisinage, mais ensuite revient sur le droit chemin, la République islamique apprécie ceci »[23]. Or, peu après, cette annonce est immédiatement démentie par les medias gouvernementaux du royaume [24].

10Cependant, la diplomatie iranienne continue de délivrer des messages d’apaisement. Malgré des débats internes intenses au sein de l’appareil religieux soumis à l’arbitrage du Guide, l’Iran décide l’organisation d’une délégation de pèlerins à La Mecque, à la fois pour afficher une posture d’unité et de responsabilité des Croyants, mais aussi comme outil diplomatique [25] au sein du monde musulman face à des « diviseurs ». La visite de diplomates séoudiens, venus en septembre 2017 inspecter les locaux dévastés de l’ambassade et du consulat, n’a pas permis d’enregistrer le moindre progrès, Téhéran ayant refusé d’organiser les entretiens demandés avec les magistrats et les autorités chargées du dossier de cette intrusion. Le ministre séoudien Adel Al Jubeir dissipe promptement toute illusion de rapprochement [26]. Le 25 octobre, la Suisse annonce qu’elle représentera les intérêts iraniens et séoudiens dans les capitales respectives. Un épisode d’une portée plus qu’administrative, confirmant que le rétablissement des relations diplomatiques est durablement dans l’impasse. Le fait que le Conseil de Téhéran ait dénommé « Nimr-Al-Nimr » la rue qui jouxte l’ambassade séoudienne sinistrée atteste l’ampleur des obstacles devant une telle restauration [27].

11Pourtant, des tentatives de médiation se sont esquissées. Moscou, tout en ne reniant pas son alliance avec Téhéran et Damas, est en train de rebattre ses cartes. Visiblement, la Russie ne joue plus du « tout Iran » ou du « tout Syrie » mais entend, tout en voulant sauvegarder un État syrien unitaire – le maintien de Bachar Al Assad au pouvoir n’est plus un impératif pour Moscou, d’ailleurs, comme pour Téhéran –, d’une part alléger un dispositif militaire qui lui coûte très cher dès que la région sera quelque peu stabilisée, et organiser au plus vite une transition politique à sa convenance. Manifestement, la Russie a son propre agenda, qui ne correspond pas nécessairement à celui de Téhéran – les deux alliés ne peuvent cacher leurs divergences – qui n’en a pas la maîtrise, n’étant pas en position de force. Le trio Moscou-Téhéran-Ankara est à la recherche de laborieux et complexes compromis. Netanyahu s’est employé lors de sa visite à Moscou le 11 juillet 2018 à persuader Vladimir Poutine (avant que celui-ci ne rencontre Trump à Helsinki le 16 juillet suivant) de pousser Téhéran et ses alliés du Hezbollah à se retirer de Syrie (de son côté, Trump tente d’obtenir de Poutine qu’il réduise son appui à l’Iran en Syrie), en échange de la renonciation d’Israël à imposer le départ de Bachar Al Assad. Depuis le sommet d’Helsinki, la Russie s’active à « vendre » aux Iraniens son « compromis », qui implique d’éloigner du Golan les éléments militaires iraniens et/ou soutenus par Téhéran pour rassurer Israël). Téhéran a d’autres motifs de contrariété : à la faveur des tentatives de règlement politique du conflit syrien, l’Arabie séoudite – d’ailleurs « invitée » par Trump à se substituer financièrement à l’Amérique pour l’assistance à la « stabilisation » de la Syrie – entend bien contrer l’influence de Téhéran en se positionnant dans le cadre des programmes d’aide à la reconstruction des zones « libérées ». Selon le député libanais hezbollahi Nawwaf Musawi, MBS aurait proposé au chef de l’État syrien un important concours financier et de ne plus s’opposer à son maintien s’il coupe ses relations avec l’Iran et le Hezbollah. Bachar Al Assad, sans surprise, aurait repoussé cette proposition. Mais plusieurs pays du Golfe approuvent (discrètement) cette option, considérant qu’il faut tirer les conséquences de ce qu’en réalité Bachar Al Assad a acquis une position de force au plan militaire. Par conséquent, Téhéran multiplie les occasions pour rappeler que l’Iran ne renonce pas à soutenir militairement Damas, avec qui un accord de coopération militaire à long terme aurait été signé au mois d’août. Incohérence supplémentaire ou bluff ? Selon certains analystes (écho invérifiable), l’imprévisible président américain serait revenu sur sa position initiale – le départ du président syrien n’est pas un préalable – pour souhaiter à présent un « changement de régime » à Damas, une recette qui devient décidément banale à la Maison-Blanche. Sans doute le recours à l’arme chimique par le régime syrien n’est pas étranger à ce tournant.

12Autre facteur décisif : la Russie pense que sa sécurité énergétique lui impose une coopération avec l’Arabie séoudite, nécessité faisant loi en dépit de désaccords persistants sur certains chapitres, en particulier le règlement politique de la crise syrienne. Aussi le Kremlin essaie-t-il de se poser en médiateur entre Iraniens et Séoudiens. La visite du roi Salman à Moscou les 4 et 5 octobre marque un tournant dans les relations entre le royaume et la Russie. L’idée d’une médiation russe, portant notamment sur une révision de l’implication iranienne au Yémen, flotte sur cette rencontre. Peu après, Mikhail Bogdanov, vice-ministre russe des Affaires étrangères, confirme que la Russie a donc proposé ses bons offices pour faciliter un rapprochement entre Iraniens et Séoudiens [28].

13Les nuages s’accumulent dans le ciel des relations irano-séoudiennes depuis le début de l’année 2018. Dès la fin de l’année précédente, le royaume distillait déjà d’étranges messages, dont la portée réelle n’est pas encore éclaircie. En décembre 2017 circulait sur les réseaux sociaux une vidéo animée montrant le prince Ben Salman dans une salle de commandement, en train de diriger une invasion de l’Iran. Dans cette « simulation », le prince ordonne des frappes redoutables sur son voisin, puis une scène montre l’encerclement du général Qassem Soleimani précédant la « libération » du pays par les Séoudiens sous les vivats du peuple iranien. On comprend tout de suite le caractère totalement surréaliste de cette « fiction », mais on s’interroge sur les mobiles de sa diffusion par un pays où les medias sont sous contrôle absolu [29]. La dynamique de confrontation semble s’accélérer, alimentée par plusieurs sources. Du côté de Riyad, une combinaison de facteurs de plusieurs natures encourage une posture de plus en plus défiante, si ce n’est agressive, alors que le royaume perçoit son rival comme une authentique menace existentielle, dont la gravité est soigneusement entretenue par un discours intérieur qui n’a rien de récent et qui reflète un antagonisme, une concurrence, qui n’a fait que croître au fil des ans.

14Deux autres éléments ont renforcé cette posture. La dégradation de la situation intérieure séoudienne qui, sous couvert de pouvoir fort, ne parvient pas à dissimuler de très graves faiblesses internes susceptibles de mettre en péril son avenir [30]. D’abord une confiscation dynastique (un coup de force qui ne dit pas son nom), suivie de l’élimination de rivaux « corrompus » contraints de rembourser ou compenser leurs détournements (curieusement, personne ne semble se demander si ces « punis » se contenteront de pleurer sur les ponctions qui ont été opérées), une incertitude majeure quant à la réussite du gigantesque plan de réforme économiques Vision 2030, un risque de rupture du pacte social (la « séoudisation de l’emploi » est un échec, le Séoudien moyen n’étant pas prêt à renoncer à son statut de rentier), un problème sévère de reconversion hors pétrole (le royaume n’importe ni n’exporte le gaz destiné à sa consommation [31]), et enfin la contamination d’une partie de la population séoudienne aux idées de Daech (choquée par la corruption, la luxure des dirigeants et leur proximité avec les infidèles américains). En bref, rien de tel qu’un « ennemi extérieur » pour tenter de dissimuler de redoutables périls intérieurs, sans doute plus existentiels que les hypothétiques missiles iraniens, en dépit des discours maladroitement martiaux de généraux iraniens à la tête d’un appareil militaire exsangue.

15En second lieu, au-delà du dossier nucléaire iranien, l’évolution des crises syrienne et irakienne ainsi que du conflit yéménite n’a fait que renforcer cette hostilité. Cette tension s’est aussi nourrie de la convergence croissante, tactique, opportuniste, du royaume avec Israël – sur laquelle il ne faut pas se méprendre. Il s’agit d’un rapprochement conjoncturel, un peu contre nature, alimenté initialement par la crainte de l’État hébreu de voir pâlir le soutien américain que la présidence Obama souhaitait alléger, pour tenter de dégager l’Amérique d’une emprise exagérément pesante, devenue potentiellement nuisible pour ses intérêts et sa sécurité nationale.

La conjonction des perturbateurs

L’obsession américaine

16L’élection de Donald Trump a été, pour les dirigeants séoudiens et israéliens, un tournant béni, le locataire de la Maison Blanche ayant tôt fait de montrer sa méfiance extrême à l’égard de la République islamique, sa volonté de se débarrasser de l’accord nucléaire du 14 juillet 2015 (JCPOA) considéré comme le plus mauvais accord conclu par les États-Unis. Ne pouvant le réduire à néant immédiatement, le président américain a patiemment et progressivement accumulé les conditions qui pourraient y mettre un terme. Il a initialement donné l’apparence de vouloir simplement éliminer les « lacunes » ou ambiguïtés du JCPOA, chargeant son secrétaire d’État Rex Tillerson de bâtir un ultimatum « pour combler ces lacunes » (to fix it) de telle façon qu’il soit inacceptable pour Téhéran – tant sur le fond que la forme. Mieux, Donald Trump a chargé les trois pays européens parties à l’accord (France, Angleterre, Allemagne) de mettre l’Iran au pied du mur : Téhéran doit consentir non seulement à revoir les sunset clauses (le régime applicable à partir de 2025) du JCPOA, mais aussi à souscrire des engagements non compris dans cet accord. Au premier chef, la réduction du programme de missiles balistiques, que l’administration Trump et ses alliés néoconservateurs s’évertuent à qualifier de violation de la résolution 2231 du Conseil de sécurité des Nations unies, au motif que celle-ci interdirait à l’Iran de fabriquer et mettre en œuvre ces missiles balistiques alors que le texte se borne à « inviter » (call upon) l’Iran à s’abstenir de poursuivre ce programme. L’administration Trump n’a de cesse de brandir la menace que font peser ces missiles pour affirmer qu’ils constituent une violation des dispositions de l’cccord. Malgré des efforts démesurés, elle n’est jamais parvenue à faire reconnaître par le Conseil de sécurité que les essais successifs de missiles conduits par les Iraniens sont la violation d’une interdiction prévue par cette résolution 2231. Tirant profit de la terminologie ambigüe de la résolution, l’Iran a constamment prétendu que ces essais ne sont pas interdits et que de plus, ces missiles n’ont pas vocation à emporter des charges nucléaires – une interprétation discutée – et qu’ils sont un outil indispensable à la défense du territoire iranien, donc pas négociables. L’Arabie séoudite, qui voit ces missiles balistiques comme une authentique menace, adhère totalement à la vision américaine sur le sujet : c’est l’un des points forts de convergence entre Riyad et Washington.

17De même Donald Trump exige-t-il que l’Iran cesse de soutenir les Houthis au Yémen et dénonce avec vigueur la fourniture par Téhéran de missiles nord-coréens, « améliorés » par l’Iran et bénéficiant assurément de l’aide de « conseillers » iraniens. L’implication militaire iranienne, brandie comme un épouvantail terrible par les Séoudiens, est en réalité modeste, l’appareil militaire des Gardiens et d’Artesh (l’ancienne armée classique) étant à bout de souffle [32]. De fait, les tirs de missiles vers des cibles séoudiennes, indépendamment de leur modeste efficacité réelle, ont produit à Riyad une très vive frayeur, accrue par les doutes sur les performances des missiles anti-missiles Patriot américains. L’administration américaine a semble-t-il convaincu plusieurs pays européens, en particulier la France, de la dangerosité des missiles « iraniens », qu’il s’agisse des lanceurs balistiques, ou de ceux utilisés par les rebelles houthis vers l’Arabie séoudite. Une offensive de persuasion sans précédent (présentation, dans une base près de Washington de restes de missiles houthis tirés sur l’aéroport séoudien King Khaled le 4 novembre, où l’on voit des marques de fabrication iranienne sur des composants [33]) a été conduite par Nikki Haley, la représentante permanente des États-Unis à l’Onu, afin d’obtenir du Conseil de sécurité l’adoption d’une résolution condamnant ces tirs iraniens. L’Arabie séoudite a manifesté son espoir que cette résolution bloque l’exportation de missiles Iraniens vers les Houthis [34]. En dépit d’une mise en scène savamment orchestrée, elle s’est heurtée à un veto de Moscou, [35] qui prétexte ne pas être convaincu de la réalité de l’implication de Téhéran dans ces missiles. En fait, la Russie veut infliger un camouflet à Washington.

18À l’évidence, la posture américaine, qui s’est accompagnée d’un renforcement sans précédent de son assistance militaire sur le front yéménite, conforte l’axe stratégique Riyad-Washington mais enfonce davantage le royaume dans un bourbier où il s’englue sans espoir de victoire militaire. Il en est réduit à une sanglante fuite en avant, engageant à grands coûts une coalition hétéroclite dont certains jouent leur partition, tandis que le Pakistan veille à limiter son implication militaire (entraînement de troupes séoudiennes [36] peu convaincantes), positionnement de troupes à la frontière en s’abstenant de s’engager dans le piège des zones montagnardes yéménites. Ceci pour préserver sa coopération avec le royaume tout en ne cassant pas sa relation avec Téhéran. Le Pakistan, qui a besoin de l’aide financière séoudienne et qui est confronté à de lourds défis énergétiques, n’a pu résister aux amicales pressions de Riyad, malgré les réserves des parlementaires pakistanais [37] devant ces perspectives. Il n’est pas exclu que le royaume cherche aussi à cultiver un volet nucléaire militaire dans sa collaboration avec Karachi au moment où il négocie un important accord avec Washington en vue de se doter d’un outil nucléaire civil dans le cadre de sa tentative de sortir du tout-pétrole. Appâté par la perspective de juteux profits, Trump déploie tous ses efforts pour parvenir à conclure cet accord, quitte à alléger les exigences de garanties pour que ce pays ne puisse s’orienter vers un programme militaire. Ce laxisme préoccupe beaucoup de nombreux spécialistes américains de la prolifération nucléaire [38], et inquiète tout autant certains élus au Congrès [39] que les responsables israéliens, qui perçoivent avec inquiétude la perspective de voir un voisin se doter le cas échéant de l’arme atomique. En tout cas, Netanyahu s’était évertué à essayer de convaincre Trump et le Congrès de renoncer à ces contrats [40], craignant que les Séoudiens puissent avoir accès aux technologies et compétences nucléaires militaires. Il n’a pas été entendu, le président américain (America & Trump First !) leur accordant une haute priorité [41].

19L’arrivée du nouveau premier ministre Imran Khan à la tête du gouvernement pakistanais a suscité en Iran l’espoir de trouver chez cet interlocuteur une personnalité capable non seulement d’améliorer les relations bilatérales mais de se poser en médiateur entre Téhéran et Riyad. L’intéressé s’est déclaré désireux de contribuer à l’apaisement au Moyen-Orient. Un exercice délicat tant le Pakistan est l’objet de pressions séoudiennes et américaines pour se placer dans « le bon camp ». Le royaume essaie aussi de pousser ses pions en Asie centrale.

20Les déclarations séoudiennes [42] laissant entendre que le royaume – signataire du Traité de non-prolifération nucléaire qu’il dénoncerait de ce fait, signal catastrophique pour tout le Moyen-Orient – pourrait se doter de la bombe si l’Iran relance son programme nucléaire militaire ont-elles été perçues comme une première fissure dans la lune de miel entre Riyad et Jérusalem, même si elles peuvent avoir au moins initialement une simple valeur déclaratoire ? Pour l’instant, rien ne l’indique, mais c’est un petit rappel des limites d’une alliance tactique qui n’est pas dépourvue d’ambiguïtés. En effet, le prince MBS a déclaré d’un côté : « Il semble que nous ayons un ennemi commun [l’Iran], et que nous ayons beaucoup de domaines possibles de coopération économique »[43], mais il nuance : « Nous ne pouvons avoir une relation avec Israël avant de résoudre le problème de la paix, les Palestiniens, parce que les deux [peuples] ont le droit de vivre et de coexister. Et jusqu’à ce que jour advienne, nous observerons ». Comme n’ont pas manqué de le relever des analystes iraniens, il est symptomatique que ces propos aient été publiés juste après la parution d’une autre interview dans The Atlantic, dans laquelle MBS semblait placer Israéliens et Palestiniens sur un même pied comme ayant droit à leur propre territoire. Devant l’agacement qu’a entraîné cette sorte de parité, le roi a dû réaffirmer au cours d’une conversation téléphonique avec Trump son soutien aux Palestiniens et à leurs « droits légitimes » à un État indépendant [44]. Du côté israélien, elle ne rassure pas davantage ; pire encore, l’ambiguïté du vocabulaire de MBS inquiète certains observateurs. Ils se demandent si le prince séoudien ne se limite pas à un constat factuel (Israël existe) sans toutefois aller jusqu’à la reconnaissance d’un « droit à exister » pour Israël en tant qu’État [45]. La réponse du prince héritier à Jeffrey Goldberg dans l’interview précitée de The Atlantic ne les convainc pas. Pourtant, l’automne précédent, le support libanais Al-Akhbar avait publié le 14 novembre 2017 une correspondance entre Adel Al Jubeir, ministre séoudien des Affaires étrangères, et MBS, dans laquelle ce dernier évoquait un projet de normalisation des relations du royaume avec Israël, où ce partenaire était qualifié d’« État ». Il n’avait pas caché pour autant les risques inhérents à ce plan pour l’Arabie séoudite, notamment eu égard au problème palestinien. En conséquence, Riyad ne devrait pas s’engager dans cette voie sans avoir évalué les véritables sentiments américains vis-à-vis de l’Iran. [46]

21Selon la même source, ce texte contient d’autres positions intéressantes : d’une part, ce rapprochement suppose une « équivalence » entre ces deux partenaires : « Au niveau militaire, Israël est considéré comme le seul pays doté d’armes nucléaires au Moyen-Orient… par conséquent, le royaume doit acquérir cette dissuasion ou chercher à éliminer celle d’Israël. » Cette indication montre instantanément les limites d’un tel « axe » bilatéral. Tout aussi instructif, l’un des points du « plan de paix » séoudien désormais bien connu que le royaume veut imposer, à savoir la position des Séoudiens sur l’avenir des Palestiniens : pas de droit au retour ; les Palestiniens seront réinstallés dans les pays où ils sont hébergés plutôt que de revenir sur leur terre natale ; Jérusalem serait placé sous contrôle international exercé par l’ONU. Dans ce document, l’Iran est décrit comme la « principale menace » dans la région, et la résolution du conflit palestinien est ainsi destinée à permettre de se concentrer sur la République islamique. Les deux partenaires doivent tenter d’obtenir plus de sanctions américaines et internationales contre l’Iran du fait de son programme de missiles, et presser les signataires de l’Accord nucléaire de veiller à son application stricte et de profiter des problèmes économiques iraniens pour augmenter les pressions sur la République islamique. Sans que l’on puisse se prononcer sur l’authenticité de ce document, force est de constater, avec le recul, que son contenu correspond largement aux positions connues de ces deux acteurs. Philip Giraldi, analyste « vétéran » réputé, se demande si, derrière le « buzz » entretenu autour de cette proximité séoudo-israélienne – dirigée contre l’Iran mais ayant aussi vocation à poursuivre une certaine normalisation déjà engagée entre Israël et plusieurs pays arabes – il n’y a pas une illusion d’optique qui laisse croire que les deux pays « ont formellement décidé de combiner leurs forces pour accroître leur pression à la fois militaire et économique sur l’Iran, que tous deux voient comme leur principal rival dans la région »[47]. Il vaudrait mieux parler, selon nous, de convergences tactiques, même si les tentatives d’Israël de se rapprocher de plusieurs États arabes constituent une tendance lourde et stratégique inscrite dans la durée. Révélée par le media émirati Al-Khaleej le 13 septembre 2018, la vente par Israël à Riyad du système anti-missiles Dôme de Fer, en concertation avec Washington (qui a donné à l’État hébreu, ayant initialement refusé cette transaction, des assurances contre d’éventuels risques), conforte la relation tactique du royaume avec son nouvel « ami » dirigée contre l’Iran conformément aux souhaits de la Maison-Blanche. Cet équipement a visiblement pour but de mettre un terme à la vulnérabilité séoudienne aux missiles houthis tirés depuis le Yémen. Un « game changer » ?

22Le président américain veut aussi que Téhéran cesse son appui au Hezbollah libanais ainsi qu’aux milices chiites en Irak et ailleurs, notamment en Syrie. C’est dire si cette posture convient parfaitement à Riyad, qui voit avec soulagement une Amérique alliée, incertaine sous Obama, s’affirmer pilier d’un axe stratégique sous la présidence actuelle. Le limogeage expéditif du secrétaire d’État Rex Tillerson, jugé trop « mou » par Donald Trump à l’égard de l’Iran (il a clairement indiqué qu’une des principales raisons de ce licenciement était un vrai désaccord avec Tillerson, à qui il reprochait explicitement de préserver le JCPOA) soulage le Royaume. La satisfaction séoudienne devant son remplacement par Mike Pompeo, ancien chef de la CIA, est spectaculairement visible – Riyad espère que le nouveau chef de la diplomatie américaine sera docile aux attentes séoudiennes, et en particulier que Washington exercera de lourdes pressions sur l’Iran. À l’image du journal Okaz, la presse séoudienne se félicite également du tournant prévisible, à savoir que l’administration américaine se consacrera à « combattre le danger causé par l’Iran ». [48] C’est dans ce contexte que se déroule la visite du prince Ben Salman à Washington le 20 mars, dans le cadre d’une tournée de plusieurs jours marquant un renforcement spectaculaire (juteux contrats d’armement à l’appui) des relations bilatérales, qui prennent la couleur d’un axe stratégique. MBS est venu presser Trump d’exercer des pressions très vigoureuses sur l’Iran, présenté comme menace commune. Dès le 19 mars, le ton est donné par le ministre séoudien des Affaires étrangères, dont la ligne ultra dure ne connaît aucune inflexion : « Notre vision de l’accord nucléaire est que c’est un accord lacunaire »[49]. Il rappelle qu’il a demandé pendant des années des politiques plus fermes à l’encontre de l’Iran, et ajoute : « nous sommes en train de regarder les moyens par lesquels nous pouvons lutter contre les activités nocives de l’Iran dans la région », notamment le soutien iranien au régime de Damas et aux insurgés houthis du Yémen.

23Rencontrant la presse le même jour avant ses entretiens avec Trump, il réaffirme sa position : l’accord nucléaire n’empêche pas l’accès de Téhéran à la bombe atomique mais ne fait que le retarder. MBS est catégorique, en parfaite harmonie avec la pensée du président américain : « Retarder ceci et les regarder obtenir la bombe signifie que vous attendez que la balle atteigne votre tête »[50]. Il accuse l’Iran de vouloir se doter de la bombe atomique pour pouvoir agir en toute liberté sans risque au Moyen-Orient : « Nous connaissons les cibles de l’Iran ». Pour lui, le JCPOA devrait être remplacé par un autre accord qui garantira que l’Iran n’obtiendra jamais une arme nucléaire, tout en traitant les autres activités de l’Iran au Moyen-Orient. Visiblement, il ne fait pas grand cas des évaluations de l’AIEA (Agence internationale de l’énergie atomique). Dans ce contexte de parfaite identité de vues sur l’Iran – avec des nuances sur le Yémen, au moins au niveau du Département d’État – la nomination de John Bolton en remplacement de H. R. Mc Master, limogé le 22 mars, comme principal Conseiller à la sécurité nationale remplit autant d’aise les Séoudiens. Viscéralement hostile à l’accord nucléaire du 14 juillet 2015, qu’il rêve d’anéantir, Bolton est un fervent partisan d’un changement de régime à Téhéran, et pour l’emploi de la force contre la République islamique [51]. Sa proximité avec le MEK/MKO (Mouvement des moudjahidines du peuple, Conseil national de la Résistance iranienne, etc..) ravit les dirigeants du royaume. Sa promesse faite devant cet auditoire de célébrer ce régime change avec lui à Téhéran en 2019 [52] lui attire les sympathies de Riyad sur cet axe simpliste. Pour sa part, Al Jubeir a qualifié Bolton d’« ami » ferme sur l’accord nucléaire.

Le jeu israélien

24Reste à savoir si Bolton n’envisagerait pas de pousser Séoudiens et Israéliens à entraîner Washington dans une crise initialement limitée aux alliés de l’Iran, qui s’élargirait à la véritable cible (Téhéran) dès que la République islamique s’impliquerait, même de façon symbolique. C’est l’hypothèse soulevée par P. Giraldi dans son analyse précitée [53]. Un câble du ministère israélien des Affaires étrangères, fuité dans la chaîne israélienne Channel 10[54] avait été un peu trop rapidement interprété comme révélant un plan de coordination séoudo-israélienne en vue du déclenchement d’un conflit armé avec l’Iran. Parler d’alliance lui semble très exagéré, au vu de son expérience, notamment parce que les deux « alliés » seraient bien en peine de mener un conflit armé contre l’Iran sans le concours déterminant des États-Unis. À cet égard, il pense que le candidat-cible idéal pourrait être le Liban, objet de convoitises concurrentes de l’Iran et de l’Arabie séoudite. Une série d’incidents militaires mineurs [55], exacerbés par une communication agressive, permettrait de susciter un trouble qui pourrait être exploité par Israël et les Séoudiens [56] pour susciter une attaque de plus grande ampleur contre le Hezbollah, qui engendrerait à son tour l’éclatement de la fragile coalition gouvernementale libanaise. En pareil cas, il serait difficile d’éviter une intervention américaine [57], qui ne manquerait pas de viser alors l’Iran venant au secours du Hezbollah [58], scénario dont la probabilité n’est ni assurée [59] ni mesurable, mais qu’on ne peut exclure.

25En clair, le Liban est le vrai maillon faible de cet échiquier. L’Arabie séoudite a-t-elle retenu la leçon de l’échec de la quasi-détention de Saad Hariri, forcé de « démissionner » le 3 novembre alors qu’il était « retenu » sur le territoire séoudien, sommé de placer le Hezbollah au ban de la nation libanaise, et qui était revenu au Liban (avec le concours de la France) pour reprendre ses fonctions et assurer le Hezbollah de sa place dans le pays ? La réponse à cette question n’est pas évidente [60], même si la position séoudienne a officiellement évolué [61] vers plus de « normalité » [62]. Pour les dirigeants séoudiens, comme pour Israël et Washington, le Hezbollah demeure une menace majeure, une cible à affaiblir prioritairement. On se souvient de ce que, parmi les exigences assignées aux Européens pour « sauver » le JCPOA, Trump a ajouté de désigner le Hezbollah entier comme organisation terroriste, sanctions à l’appui, alors que l’Union souhaite jusqu’ici conserver une distinction entre l’appareil militaire et le groupe politique [63]. On détecte cependant des signes de lassitude dans la communauté chiite libanaise [64] face aux pertes humaines et aux coûts de toutes sortes liés à l’engagement massif du Hezbollah, en Syrie et sur les divers champs de conflits, comme exécutant des objectifs iraniens, sans parler des craintes liées aux menaces israéliennes – la même lassitude exhibée par les manifestants iraniens à l’hiver 2017-2018.

Le rôle des EAU

26Autre exemple de la conjonction des perturbateurs : la crise du Qatar [65]. Lors de la visite du président américain à Riyad les 20 et 21 mai 2017 dans un cérémonial délirant, celui-ci avait vivement critiqué l’Iran, qu’il convenait selon lui d’isoler, approuvant sans réserve la posture du royaume. Les dirigeants séoudiens avaient profité de l’occasion pour obtenir du président, irréfléchi et grisé, son aval pour étrangler le Qatar rebelle, que Trump n’hésita pas à qualifier de « complice des terroristes », avant de se souvenir que le dit « complice » abritait la principale base militaire américaine au Moyen-Orient ! Il dut promptement annoncer par la suite des livraisons d’avions F15 à l’Émirat indocile mais pourtant allié. Riyad voulait à la fois contraindre le petit voisin rebelle à cesser de contester son leadership et sa pratique politique interne, mais aussi à se distancer de l’Iran. Si Tillerson dut ensuite péniblement essayer de réparer cette gaffe, ce qui nous intéresse ici est que non seulement Riyad n’est pas parvenu à « mater » l’Émirat rebelle, mais que ce dernier a sensiblement amélioré ses relations avec Téhéran – qui, sans être mauvaises, n’étaient guère chaleureuses – et Ankara, que séparent des divergences sérieuses sur la Syrie. Bref, un fiasco stratégique assez remarquable attribuable à l’aveuglement conjoint de Washington et Riyad qui, semblet-il, n’ont toujours pas tiré les leçons de ce lourd contre-sens. Le « groupe » des Quatre a régulièrement renouvelé son ultimatum au Qatar, sommé de se soumettre aux « 13 exigences » formulées au début du blocus [66]. Début avril 2018, Trump a timidement de nouveau demandé à l’Arabie et ses suiveurs de mettre un terme au différend « pour restaurer l’unité parmi les pays Arabes du Golfe et présenter un front uni contre l’Iran ». Mais ceci ne semble guère dissuader Riyad : le media séoudien en ligne Sabq a révélé à cette période que l’Arabie séoudite projetait de faire creuser un canal maritime (Salwa) qui isolera le Qatar de la terre ferme, transformant le petit État en île, projet au financement duquel les Émirats arabes unis seraient associés, ce qu’ils n’ont pas démenti. Il prévoirait également de construire une zone militaire et une aire de stockage de déchets nucléaires – les EAU envisagent aussi de construire une telle zone à proximité de sa frontière avec le Qatar. Bien que Salwa n’ait pas encore reçu toutes les autorisations nécessaires, il inquiète vivement le petit Émirat, qui y voit une tentative d’étranglement à peine dissimulée, et une menace pour sa sécurité et sa souveraineté. L’émir qatari Tamim bin Hamad Al Thani s’est ouvert de ses inquiétudes le 9 avril à Washington auprès du secrétaire d’État à la défense Jim Mattis avant d’en discuter avec Trump. [67] La posture des Émirats à l’égard du Qatar reste solidement alignée sur celle du groupe mené par l’Arabie séoudite : le Qatar doit se soumettre au diktat qui lui est imposé. Les motifs de friction entre Riyad et Doha s’enrichissent régulièrement : ce dernier a récemment accusé la chaîne séoudienne beoutQ d’avoir piraté et retransmis par le satellite Arabsat des matches de football dont la chaîne qatarie beIN sports avait acquis les droits exclusifs (la FIFA a été saisie d’une plainte). Le football ne serait pas la seule discipline ainsi piratée : le Qatar a aussi annoncé vouloir poursuivre l’Arabie séoudite et les Émirats devant la Cour internationale de justice pour avoir piraté l’agence de presse qatarie.

27Car un autre acteur joue sa partition : les Émirats arabes unis. En premier lieu, ils se sont alignés sur la position de Trump concernant l’Iran, attisant les messages de craintes sur l’expansionnisme iranien, faisant cause commune avec le lobby pro-israélien AIPAC et des think tanks néo-conservateurs. Abou Dhabi a approuvé la déclaration de Trump refusant de re-certifier le 13 octobre l’accord nucléaire avec l’Iran, à qui les EAU reprochent d’avoir profité de cette occasion « pour intensifier son attitude provoquante et déstabilisante ». La déclaration émiratie est sans appel : « Les EAU apprécient et soutiennent la nouvelle stratégie des États-Unis. Nous affirmons notre engagement de travailler avec [eux] et nos alliés pour combattre toute la gamme des activités déstabilisantes de l’Iran et son soutien aux extrémistes »[68]. Cette posture fort peu diplomatique entre le cadre d’une offensive de très grande ampleur destinée à accroître l’influence du petit État sur les décideurs de Washington [69]. L’ambassadeur émirati, remarquablement introduit, est le pivot de cette offensive. Il s’est aussi appuyé sur l’intermédiaire véreux George Nader – sur lequel enquête le procureur spécial Mueller – qui a aussi assisté le prince MBS dans sa rencontre avec Trump à Washington le 20 mars [70]. Il y a donc une offensive conjointe de persuasion des deux monarchies en direction de Trump pour « contrer » l’Iran au Moyen-Orient, notamment au Yémen. À la différence de Trump et de Riyad, les Émirats (du moins dans leurs propos officiels) [71] ne vouent ni le président ni le gouvernement iranien aux gémonies, malgré un doute sur leur caractère modéré, mais regrettent que cette « modération » qui a prévalu pour la négociation de l’Accord nucléaire ne s’exerce pas au niveau régional, dont la politique iranienne est, selon l’habile ambassadeur Al Otaiba, conduite par les pasdarans et le Guide. Les Émiratis ont compris que s’arrimer à la ligne dure de Trump contre l’Iran pourrait leur valoir des dividendes : aussi se plaisent-ils à proclamer, à sa demande, qu’ils sont prêts à assumer une plus grande responsabilité (militaire) dans la sécurité régionale, autrement dit pour contrer l’Iran.

28Est-ce la seule raison de l’attitude émiratie, qui assume clairement sa méfiance à l’égard de son voisin iranien (mais moins que Riyad pour ce qui est de la « menace nucléaire ») ? Un facteur, pourtant stratégiquement important, est à notre sens trop négligé par les analystes : le contentieux des îles d’Abou Mousa, de la Petite et de la Grande Tomb, occupées par l’Iran et dont les deux pays revendiquent la souveraineté. Les Émirats s’indignent à juste titre du refus catégorique iranien, malgré leurs demandes répétées depuis de nombreuses années, de négocier ce différend directement ou de le porter devant une juridiction arbitrale ou la Cour internationale de justice, au motif (officiel) que les « droits historiques » de l’Iran n’ont pas à être négociés [72]. Al Otaiba (op. cit.) estime que cet entêtement est davantage lié à l’importance stratégique majeure de ces îles, situées à l’entrée du Golfe, qu’à leurs ressources en hydrocarbures. Il est clair que ce refus entretient entre l’Iran et les monarchies du Golfe une méfiance qui fait obstacle à un rapprochement et contribue, parmi d’autres éléments [73], à la dégradation continue des relations bilatérales depuis plusieurs années. Ce dossier est l’une des motivations qui poussent le souverain émirati dans son hostilité à l’égard de la République islamique ; les dirigeants iraniens n’ont pas pris la mesure de l’exaspération de leur voisin jusque-là patient. Par ailleurs, la levée d’une partie des sanctions a décru l’importance du commerce Iran-Émirats depuis que plusieurs partenaires commerciaux de l’Iran échangent directement avec lui sans nécessité d’intermédiaire. La période 21 mars 2017-21 décembre 2017 a enregistré une chute sans précédent du commerce bilatéral. [74]

29Mais il semble clair que la crise qatarie a joué un rôle significatif dans la constitution d’un véritable axe séoudo-émirati [75] dirigé contre l’Iran. Alors qu’elle poursuit depuis plusieurs mois, Riyad ayant enrôlé quatre voisins dans la tentative de blocus du Qatar, les Émirats ont annoncé le 5 décembre 2017 lors du sommet du Conseil de Coopération du Golfe (CGG) au Koweït – l’infortuné médiateur entre Riyad, Téhéran et Doha, à qui une humiliation supplémentaire est infligée – la formation d’une « alliance » avec l’Arabie séoudite, [76] dont on se demande si elle ne va pas vulnérabiliser encore plus un Conseil déjà fragile. Une commission bilatérale à vocation politique, militaire et économique, allait voir le jour [77], reflétant la formation d’un duo « jeune » MBS / Mohammed ben Zayed ou MBZ où l’Émirati joue un peu le rôle de mentor du second et espère être payé en retour [78]. Le 8 juin 2018 s’est tenue la première réunion du Conseil de Coordination séoudo-émirati sous la présidence des deux princes, avec la signature de 44 projets stratégiques communs sous les auspices d’une « Stratégie de la Détermination » qui devrait être établie par 350 responsables et 139 organismes, notamment militaires, des deux pays. Si ceux-ci ont engagé une concertation favorable à leur développement économique mutuel, il apparaît, en dépit de l’ampleur de leurs engagements militaires dans la coalition, que ceux-ci sont loin d’être cohérents en raison, notamment, d’objectifs divergents, d’ambitions concurrentes. Aussi cette alliance n’est-elle peut-être pas aussi solide que ses promoteurs ne l’imaginent. Sur l’Iran, avec qui les Émirats entretenaient de solides relations commerciales, favorisées notamment par une implantation ancienne de familles d’origine iranienne, les Émiratis ne partagent pas la vision séoudienne [79] d’un conflit principalement alimenté par un antagonisme sunnite-chiite souvent présent dans le discours séoudien.

30Au Yémen, les divergences entre les deux « alliés » sont de plus en plus visibles sur le terrain, les affinités et objectifs n’étant pas totalement identiques [80]. Les Émirats soutiennent des factions et ont des visées d’influence territoriale qui sont en concurrence avec celles des Séoudiens. Au grand embarras des deux « alliés », des incidents violents ont opposé les factions qu’ils soutiennent respectivement [81]. Bien plus, la nature de leur concurrence réelle apparaît de plus en plus clairement, et n’a pas grand-chose à voir avec l’Iran : une rivalité pour assurer des points de contrôle sur des zones stratégiques via la construction de bases militaires sur le territoire yéménite [82]. L’importance de l’implication militaire émiratie – qui a un rôle prééminent, avec pour conséquence une reconfiguration du paysage militaire régional par les armées des deux pays [83] – ne doit pas faire illusion. L’impasse prolongée de la crise risque de ternir le lustre de ce qui les réunit : lutter contre des adversaires alliés à l’Iran, donc contrer l’influence iranienne. Les Émirats n’ont pas la même vulnérabilité que le royaume dont les frontières sont, comme on le voit de plus en plus, le lieu de départ d’opérations sérieusement dommageables pour sa sécurité.

Le paradoxe yéménite

31L’Iran diabolisé, qui crée en Arabie séoudite un climat d’insécurité largement supérieur aux moyens et personnels déployés au Yémen, laisse le royaume s’embourber dans un bain de sang sans victoire possible. L’épouvantail iranien dissimule le substrat d’une crise historique – relevant de la problématique de l’État failli, des rivalités tribales, claniques, du sous- développement économique et politique mâtiné de rêves d’annexion – que Riyad ne sait (veut) pas traiter. Ce « Viêtnam » financièrement ruineux pour le royaume humilié expose ses vulnérabilités, malgré l’énormité de l’assistance militaire reçue, principalement occidentale, et les frappes aériennes massives sur un pays dévasté, affamé par un blocus impitoyable. Les insurgés houthis sont parvenus à améliorer progressivement l’efficacité des missiles perfectionnés par Téhéran, dont la présence physique est modeste mais l’aide efficace. L’accroissement quantitatif et qualitatif (diversification, portée, etc.) des tirs de missiles houthis [84], grâce à la coopération iranienne, nourrit à la fois une réelle inquiétude en Arabie séoudite, et renforce évidemment considérablement l’acrimonie des Séoudiens contre Téhéran décrit comme source de tous les maux régionaux. Le paradoxe est double : en premier lieu, compte tenu de l’état très affaibli de l’appareil militaire iranien, il est étonnant de le voir décrit comme présentant une telle dangerosité. En second lieu, avec un rapport coût-efficacité qui lui est favorable, l’Iran a engrangé sur ce champ des points qu’il pourrait abandonner sans grand dommage, vu leur modicité, mais surtout sachant que le Yémen, loin des frontières, n’est pas stratégique pour sa sécurité. Le ministre iranien des Affaires étrangères, Mohammad Javad Zarif, répondait sans détour le 20 février 2017 à un journaliste qui l’interrogeait sur l’intérêt stratégique du Yémen pour l’Iran : « Aucun. Nous savons que le Yémen est important pour l’Arabie séoudite »[85]. De fait, pour Riyad, c’est devenu un vrai abcès de fixation. Il est intéressant de noter que lors de sa visite à Londres, le 22 février, le vice-ministre iranien a pu esquisser avec la diplomatie britannique des pistes de solutions pour mettre un terme au désastre humanitaire yéménite [86]. Le 27 février, Zarif a rappelé, juste après le véto russe au projet de résolution visant à condamner l’Iran pour avoir fourni des missiles aux Houthis, que le Plan de paix en quatre points qu’il avait soumis en avril 2018 à Ban Ki Moon, alors secrétaire général de l’Onu, restait d’actualité. Ce plan prévoyait un cessez-le-feu immédiat, la fin de toute action militaire étrangère, le retour à un large dialogue national et la constitution d’un gouvernement d’unité nationale élargi [87].

32La vision arabe de la posture iranienne et de ses objectifs au Yémen, comme on peut le lire dans une des très rares publications [88] essayant d’esquisser une analyse stratégique au-delà de slogans caricaturaux, est que fondamentalement, l’Iran a une approche offensive au Yémen qui vise prioritairement, d’abord à étendre son influence, tout en s’employant à diminuer son insécurité, dont il a une très forte perception, ensuite affaiblir les puissances voisines du Yémen, au premier chef l’Arabie séoudite, et enfin accroître la légitimité du régime iranien grâce à des succès à l’extérieur. La principale différence entre cette réflexion et la doctrine généralement prêtée à l’Iran est que le ressort principal de l’attitude de la République islamique est ici essentiellement offensif, expansionniste, tandis que Téhéran présente sa propre stratégie comme fondamentalement défensive. Les rappels des vieux rêves d’Empire inspirés du glorieux passé perse, imprudemment brandis par certains cercles militaires idéologisés iraniens, ont été pris au pied de la lettre dans ces réflexions arabes, pour qui ils sont une aubaine justifiant la défiance à l’encontre des vieux démons antiques. Malgré tout, ces évaluations n’en retiennent pas moins – ce qui est significatif – que l’Iran, vu la faiblesse de ses moyens, pourrait in fine se retirer du théâtre yéménite. Peut-être une convergence inattendue ?

33L’Arabie séoudite tint conjointement avec D. Trump le 21 mars un discours à deux messages répété ad nauseam tant dans leurs communications communes qu’individuelles : d’une part, la « menace » que les insurgés houthis font peser sur la région, assistés par le corps des Gardiens de la Révolution iraniens, d’autre part la recherche d’une solution politique au conflit [89], « indispensable pour répondre aux besoins du peuple yéménite »[90] ; or ces deux axes (lutte contre les « menaçants » et quête d’une issue politique) [91] sont parfaitement contradictoires. Les dirigeants iraniens se sont fait un plaisir de souligner que Riyad est dans une impasse sans issue et ferait mieux de changer de politique : comme le souligne Bahram Qasemi, porte-parole du ministère des affaires étrangères, « Cesser l’agression militaire contre le Yémen est la première étape. Les Yéménites devraient entamer des conversations politiques sous la supervision des pays de la région et des organisations internationales et résoudre leurs problèmes »[92]. Paradoxalement, juste après avoir procédé à un bombardement meurtrier sur le port de Hodeidah, Séoudiens et Émiratis ont annoncé le 3 avril 2018 à la conférence des donateurs pour le Yémen verser 930 millions de dollars pour aider le pays, soit près de la moitié du montant total annoncé [93].

34Les salves de missiles houthis vers l’Arabie séoudite se multiplient. Sont-ils livrés par l’Iran ou fournis en pièces détachées puis montés sur place avec le concours d’experts iraniens ? Ces interrogations ne sont pas entièrement levées. Après que sept missiles ont été tirés le 25 mars contre plusieurs cibles séoudiennes, Turki Al Malki, porte-parole de la coalition des pays engagés, met en cause l’Iran : « Les missiles lancés contre le territoire séoudien ont été introduits en contrebande depuis l’Iran »[94]. Il ajoute : « Nous nous réservons le droit de riposter contre l’Iran au bon moment et au bon endroit [de façon] appropriée ». Les Gardiens de la Révolution ont opposé à ces accusations un démenti catégorique, bien que peu convaincant. Le général Yadollah Javani, conseiller politique des Pasdarans, se gausse de ces soupçons : « Le but de telles prétentions par l’Arabie séoudite est de détourner l’attention de l’opinion publique des atrocités qu’ils [les Séoudiens] commettent au Yémen »[95]. Il poursuit sa défense en avançant qu’il était justement impossible d’envoyer des armes au Yémen en raison du blocage imposé par la coalition dirigée par l’Arabie sur les ports yéménites depuis l’an passé. À notre sens, la contribution iranienne à ces missiles est indiscutable et aucun démenti ne peut effacer la réalité de la présence de pièces ou composants de fabrication iranienne. Les modalités comme l’ampleur de fournitures matérielles sont en revanche plus difficiles à cerner. Les Houthis ont-ils acquis des compétences et capacités techniques leur permettant la mise en œuvre de ces missiles ? Impossible à vérifier. Au-delà des matériels, les conseils et l’assistance technique des Gardiens ne font guère de doute : les experts iraniens présents sur place dispensent aussi leur aide aux combattants. Néanmoins il convient de conserver un sens des proportions : l’aide iranienne en personnels comme en équipements ne peut être massive – les Gardiens, loin de leurs frontières, étant tenus à une économie de moyens. Le 28 mars, le Conseil de sécurité condamne fermement les tirs de missiles houthis contre des cibles civiles séoudiennes et les perspectives de répétition de ces actes, tout en exprimant sa préoccupation devant la situation humanitaire tragique du Yémen et en invitant les parties à respecter l’embargo sur les livraisons d’armes (sans nommer l’Iran) [96]. L’Onu poursuit malgré tout ses efforts pour tenter de trouver une solution politique, malgré les nombreux obstacles en chemin, en tentant d’organiser des concertations à Genève. Pendant ce temps, Trump fait face à des critiques des élus du Congrès de plus en plus mal à l’aise devant les frappes aveugles des forces menées par les Séoudiens sur des populations civiles innocentes. Un certain nombre de parlementaires exigent de la transparence sur l’usage des matériels fournis par les États-Unis. D’aucuns souhaitent suspendre les fournitures d’armes au royaume. Au mépris de rapports concordants, Pompeo et Mattis ont attesté que les Séoudiens s’emploient à minimiser les pertes civiles. Les pressions des industriels de l’armement se sont avérées efficaces. L’un des bénéficiaires de ce choix est Al Qaïda au Yémen, qui ne cesse de se renforcer.

Le discours séoudien sur l’Iran, une crispation sans espoir ?

L’escalade hostile

35En considérant le flot de déclarations de responsables séoudiens depuis plus de deux ans, le constat s’impose, au-delà de leur masse quantitative, d’une remarquable continuité dans la dénonciation de l’Iran comme double menace : épouvantail nucléaire et ambition hégémonique régionale. Riyad considère fondamentalement que les deux sont liés, le nucléaire étant au service de cette visée offensive et dominatrice. On peut considérer que, de façon peu convaincante, comme montré plus haut, le royaume essaie de justifier sa propre attitude en décrivant l’antagonisme entre les deux pays comme le reflet d’un combat entre le sunnisme et le chiisme, le second rêvant de conquérir la suprématie de l’autre et de quitter son statut de minoritaire. Lors des bousculades meurtrières de La Mecque en 2015, où la désinvolture séoudienne avait causé de nombreuses victimes iraniennes [97] – et bien d’autres encore, y compris de nombreux sunnites – Téhéran avait mené campagne dans les instances islamiques internationales pour que Riyad, vu son incurie, se voie retirer la garde des lieux saints qu’il faudrait confier à d’autres [98], ce qui avait valu aux Iraniens de se faire traiter de non-musulmans par des clercs séoudiens [99]. Personne n’a davantage oublié la véritable « paranoïa » séoudienne, accusant Téhéran d’être derrière les manifestations et revendications des chiites bahreïnis mécontents de leurs conditions économiques et sociales [100]. Une possible prise de pouvoir chiite fut considérée comme une menace directe contre la sécurité du royaume, qui intervint manu militari pour écraser les trublions. Bahreïn est depuis lors une quasi dépendance du royaume, au niveau politico-militaire. L’implication de Téhéran, appuyant quelques cellules d’activistes [101], est de toute façon limitée [102]. De même Riyad brandit-elle les « ingérences iraniennes » derrière les frustrations de sa minorité chiite vue comme le « cheval de Troie » de Téhéran.

36Mais la période récente montre bien plus qu’une continuité : une escalade dans le degré d’hostilité à l’égard de Téhéran. Riyad a seulement admis du bout des lèvres qu’Obama signe l’accord du 14 juillet 2015 avec Téhéran [103], regrettant que le JCPOA n’interdise pas purement et simplement tout programme nucléaire iranien, considéré comme intrinsèquement dangereux – que Téhéran puisse conserver des capacités d’enrichissement d’uranium insupporte en particulier le royaume autant que Netanyahu. Les deux acteurs sont très contrariés de n’avoir pas réussi à infléchir ce texte que, comme Trump, ils considèrent comme fondamentalement mauvais. Les dirigeants séoudiens ont donc saisi l’arrivée d’un nouveau locataire à la Maison Blanche (voir plus haut) pour encourager les néoconservateurs américains et les lobbys pro-israéliens (dont AIPAC, FDD, etc.), sans oublier le MKO/MEK (Moudjahidines du peuple), à obtenir de Trump qu’il anéantisse (nix) le JCPOA sous couvert de le compléter (fix).

37Pour convaincre la communauté internationale d’adhérer à sa vision d’un Iran fondamentalement dangereux, l’Arabie séoudite a haussé le ton de façon spectaculaire au fur et à mesure que la dégradation du conflit yéménite s’amplifiait, en dépit des moyens militaires déployés par la coalition, avec un appui massif des Américains. Les tirs successifs de missiles houthis qui se sont multipliés, avec des succès très inégaux (soit ratant leurs cibles, soit en étant interceptés) ont créé un sentiment d’insécurité [104] imposant une dénonciation encore plus véhémente de l’expansionnisme « hégémonique » iranien. Ces propos n’ont visiblement pas ralenti la cadence de ces tirs, pas plus que les bombardements massifs de cibles houthies. De leur côté, ces derniers accélèrent leurs tirs, percevant qu’ils détiennent un levier impressionnant plus par son image que ses (maigres) résultats. Ce faisant, ils espèrent se doter d’un outil de négociation. Impotent devant cette tactique, Riyad n’a guère d’autre choix que de tourner son aigreur vers l’Iran diabolisé, d’où l’escalade verbale en cours.

38De fait, le vocabulaire est révélateur : le 2 mai 2017, MBS, déjà ministre séoudien de la Défense, déclare : « Nous sommes une cible prioritaire du régime iranien », accusant Téhéran de chercher à prendre le contrôle des lieux saints de La Mecque, en direction de laquelle un missile houthi avait été tiré en octobre 2016. Il ajoute : « Nous n’attendrons pas que la bataille soit en Arabie séoudite. À la place, nous nous emploierons à ce que la bataille soit en Iran »[105]. D’après lui, le dialogue avec l’Iran est impossible, car les Iraniens croient au Mahdi [Messie] dont il faut hâter le retour en créant les conditions nécessaires. Qu’entend MBS par porter le conflit à l’intérieur de l’Iran ? On peut en tout cas supposer que, du côté iranien, ce discours alimente les accusations de Téhéran [106] dénonçant les Séoudiens comme soutenant activement Daech, et en particulier les réseaux terroristes qui ont commis le 7 juin 2017 des attentats à Téhéran [107] et sont infiltrés dans plusieurs provinces, notamment au Sistan-Baloutchistan et au Kurdistan iranien. Le 4 juillet suivant, le général Jafari, commandant des Gardiens de la Révolution, dénonce les visées anti-iraniennes de Riyad (« Aujourd’hui, les Séoudiens sont en train de devenir un État terroriste dans la région ») tout en laissant entendre qu’un dialogue reste possible et en démentant les propos de « certains qui disent que nous sommes contre une interaction ».

39Quatre mois plus tard, l’Arabie annonce avoir intercepté un missile houthi visant sa capitale Riyad. Pour la première fois, MBS – en même temps qu’il fait enfermer dans un hôtel de luxe un groupe de hautes personnalités accusées d’avoir détourné des sommes considérables – accuse l’Iran d’avoir commis « un acte de guerre » contre le royaume en fournissant, avec le Hezbollah (autre bête noire), des missiles aux Houthis [108]. Ces derniers ripostent peu après, en attaquant le 3 avril en mer Rouge le pétrolier séoudien MT Abqaiq avec un missile anti navires Al Mandeb 1 [109], une nouvelle étape dans la montée en puissance de feu des insurgés, qui menacent ainsi potentiellement la liberté de navigation dans la région [110].

40Depuis lors, cette menace n’a cessé de prendre de l’ampleur, non seulement par l’efficacité des tirs houthis à l’aide de matériels dotés de composants iraniens, mais aussi parce que cette liberté de navigation est devenue un enjeu dans la stratégie américaine d’étranglement de l’Iran. Le 13 juillet 2018, Steven Mnuchin, secrétaire d’État au Trésor, confirme que l’Amérique a demandé à ses « interlocuteurs » de réduire à zéro leurs importations de pétrole brut iranien. Il n’y aura pas d’exception ni de dispense générale, tout au plus, quelques allègements « au cas par cas » pour quelques pays ayant commencé à les réduire mais auxquels une interruption complète poserait de gros problèmes. Par ailleurs, juste avant d’annoncer le retrait américain de l’accord nucléaire du 14 juillet 2015, un responsable de l’administration américaine avait contacté MBS pour demander à l’Arabie de faire en sorte que les cours du baril restent stables au cas où la décision de Washington aurait perturbé la fourniture de pétrole. Comme nous l’indiquions en note dans le présent texte, la réaction iranienne est vigoureuse : Rohani proclame en Suisse le 3 juillet qu’il serait inconcevable que l’Iran soit le seul pays de la région à ne pas pouvoir exporter son pétrole ; ce qui peut être compris comme : l’Iran fera en sorte de bloquer les exportations des autres, une menace de blocus du détroit d’Ormuz. Ceci est confirmé par le vice-ministre iranien des Affaires étrangères, Abbas Araqchi : « Si l’Iran ne peut pas exporter son pétrole, il ne restera pas inerte et ne regardera pas les autres exporter le leur ». Le 21 juillet, le Guide déclare sur son site qu’il approuve les propos du chef de l’État « qui reflètent la politique et l’approche du système ». Sans attendre, les responsables militaires iraniens emboîtent le pas et se déclarent prêts à mettre en œuvre le blocage du détroit. La tension ne cesse de monter à l’occasion de rudes échanges de menaces entre Trump et le président iranien. Le général Soleimani prend la défense de Hassan Rohani, violemment attaqué par Trump, en déclarant : « La mer Rouge qui était en sécurité ne l’est plus pour la présence américaine ».

41C’est dans ce contexte tendu que le ministre séoudien de l’Énergie annonce le 26 juillet que le royaume suspend ses expéditions de pétrole à travers Bab el-Mandeb, au motif que deux pétroliers appartenant à la compagnie maritime nationale auraient été attaqués par des Houthis le 25 juillet en mer Rouge après avoir passé le détroit. Cet épisode pourrait marquer un tournant. Le Koweït a fait savoir qu’il étudiait aussi une interruption mais qu’aucune décision n’était prise. Un curieux épisode montre l’embarras iranien : le 7 août, selon l’agence iranienne Fars, proche des Gardiens, le général Nasser Shabani aurait déclaré : « Nous [le Corps des Gardiens] avons dit aux yéménites [houthis] de couler deux pétroliers séoudiens, et ils l’ont fait ». Ces propos ont été immédiatement démentis par le général Ramezan Sharif, chargé des relations extérieures des Pasdarans, qui les a attribués à « certains médias occidentaux » fondés sur des déclarations d’un « commandant en retraite ». Or Shabani n’est nullement retraité…

42Le 24 janvier, au Forum de Davos, Al Jubeir met en garde : l’Iran doit cesser de vouloir restaurer un empire « détruit il y a plusieurs milliers d’années ». Le chef de la diplomatie séoudienne compare les deux rivaux (« Au Moyen-Orient, nous avons une vision de lumière et une vision d’obscurité ») et se plaint de s’être « assis pendant trente-cinq ans [pour parler] en vue de négocier et tout ce que nous avons obtenu fut mort et destruction »[111]. Il reproche aux critiques de la conduite séoudienne de contester son engagement après avoir fustigé sa passivité. Son homologue bahreïni Mehmet Simsek abonde dans le même sens : « L’Iran doit changer de comportement ». À la conférence de Munich 2018 sur la sécurité, le ton monte encore d’un cran. Benjamin Netanyahu frappe les imaginations en proclamant le 18 février que l’Iran est la « plus grande menace du monde » et le compare à… Hitler, car la République islamique promeut une « foi supérieure » exactement comme l’Allemagne nazie avait soutenu une « race supérieure » [112]. Le Premier ministre israélien reprend le thème, déjà avancé par les Séoudiens, sur les rêves iraniens de conquête (« un empire voisin, reliant Téhéran à Tartous »). On comprend ici que Netanyahu ne laissera pas l’Iran poursuivre son implantation militaire en Syrie, près des frontières d’Israël, prévenant qu’il agira sans hésitation non seulement contre les alliés (proxies) « mais contre l’Iran lui-même ». Dans les mois qui suivent, il met ses menaces à exécution en bombardant des sites iraniens en Syrie. Pour sa part, Al Jubeir ajoute le 22 février à ses accusations un nouveau grief, devant un Parlement européen médusé : la Constitution iranienne imposerait à l’Iran d’exporter la révolution islamique et de protéger tous les chiites du monde, quelle que soit leur nationalité. À la députée européenne lui demandant de citer l’article contenant cette disposition, il se garde bien de répondre [113].

43Peu avant de rencontrer Trump, MBS, dans une interview à l’émission 60 minutes sur la chaîne CBS le 18 mars, reprend les reproches désormais classiques contre l’Iran, et les étend en accusant Téhéran d’être complice d’al-Qaïda et d’en abriter des membres actifs – dont le fils d’Oussama ben Laden –, de refuser de livrer ceux-ci à la justice ou de consentir aux demandes d’extradition américaines, alors que plusieurs membres de l’organisation avaient été expulsés d’Iran vers… l’Arabie séoudite [114]. La réplique iranienne ne se fait pas attendre : Bahsam Qasemi, porte-parole du ministère iranien des Affaires étrangères, rappelle que les pouvoirs publics séoudiens ne sont pas étrangers à la création du groupe terroriste du 11 septembre (15 des 19 membres étaient Séoudiens) et attribue la naissance d’al-Qaïda aux services de renseignement du royaume. [115] Le sujet ne semble pas épuisé : le média arabe Asharq Al-Awsat rapporte le 6 août 2018 que, selon des sources proches de la famille d’Osama ben Laden, l’Iran aurait envoyé en Afghanistan un de ses fils, Hamza, qui résidait avec sa mère à Téhéran. L’escalade verbale ne tarit pas. En novembre, MBS qualifie le guide Khamenei de « nouvel Hitler du Moyen-Orient », ajoutant « mais nous avons appris de l’Europe que la conciliation ne marche pas. »[116] Il confirmera régulièrement sa position sur Khamenei, prétendant que ce dernier veut étendre son projet sur tout le Moyen-Orient comme le Führer autrefois sur l’Europe [117], allant jusqu’à suggérer que le Guide est pire : « Je crois que le Guide suprême d’Iran fait qu’Hitler a l’air bon »[118]. Étrangement, il préconise de contrer ce si dangereux personnage par de simples « moyens politiques et économiques, ainsi que le renseignement » ; plus surprenant encore, il ajoute : « Nous voulons éviter la guerre ».

44La disproportion entre les menaces ou paysages apocalyptiques (Hitler, conquête du monde…) répétés en toutes occasions et les « ripostes » proposées, qui semblent se situer à un niveau inférieur aux périls brandis, laisse perplexe. On peut penser qu’une clé de lecture est une stratégie déclaratoire, comme le suggère le recours aux médias américains. Sans doute le prince séoudien sait-il qu’il ne peut se lancer seul dans une aventure militaire frontale contre Téhéran et que les responsables militaires américains ne sont guère tentés par une telle fuite en avant. Surtout, comme on le voit à travers la posture russe, défiante à l’égard de Washington en Syrie, Moscou ne laissera pas Téhéran subir une attaque frontale sans réagir : le déploiement dans la région de missiles anti-missiles AS 300, puis AS 400, est un message russe clair en matière de sanctions. Or celles-ci sont présentées par Washington comme la panacée, vers laquelle les États-Unis tentent d’entraîner leurs alliés dans une perspective de régime change en Iran à laquelle Riyad adhère. Ben Salman le proclame dans le Wall Street Journal : « Si nous ne réussissons pas à faire ce que nous essayons de faire [imposer des sanctions à Téhéran], nous aurons probablement une guerre avec l’Iran d’ici dix à quinze ans », s’associant de la sorte à la manœuvre lancée par Trump pour le 12 mai.

Les réactions iraniennes

45Les déclarations séoudiennes sont considérées avec un mélange d’inquiétude, de perplexité, mais aussi d’ironie à Téhéran. Les responsables iraniens soulignent l’irréalisme de ces positions, mettent en garde le jeune prince contre l’aventurisme et se gaussent de son inexpérience juvénile : Bahsam Qasemi, porte-parole du ministère des Affaires étrangères, avertit ce dernier : « Ne jouez pas avec la mort ! »[119], et invite les responsables séoudiens expérimentés à « instruire le délirant novice » du sort advenu à Saddam Hussein après que l’Irak ait défié l’Iran. Les messages séoudiens laissant entendre que (sous réserve de ce qu’une solution soit trouvée au problème palestinien), des relations officielles pourraient être nouées avec Israël sont dénoncés par Téhéran comme une véritable trahison à l’égard des musulmans en général, et des Palestiniens en particulier. L’indignation iranienne est à son comble [120]. Téhéran accuse Riyad d’avoir négocié l’appui de Washington en lui versant des millions de dollars et en soutenant Israël tout en abandonnant les Palestiniens, à qui une mascarade de plan de paix serait imposée. Selon le prince séoudien dissident Khaled b. Farhan Al Séoud, en exil en Allemagne depuis 2007, Washington aurait en effet obtenu du royaume la décision de principe de normaliser ses relations avec Israël et la garantie de libre-passage de navires israéliens venant de la mer Rouge à travers les détroits de Tiran. L’État hébreu se verrait aussi confier un rôle dans le projet de création d’une ville et d’une zone économique dans la région de Tabuk, au nord-ouest du pays [121]. En outre, l’Arabie séoudite devra soutenir un « plan de paix » qui priverait les Palestiniens de tout droit sur Al Qods (Jérusalem). En échange, selon les mêmes sources, MBS bénéficiera de l’appui américain pour monter sur le trône. Les « plans palestiniens » du prince seront sans doute contrariés par l’opposition du roi, qui réaffirme l’appui du royaume aux Palestiniens et en même temps rappelle au jeune ambitieux qu’il est encore le monarque.

(Im)possible réconciliation ?

46Le sombre tableau que nous venons de dresser conduit à écarter à horizon visible toute réconciliation entre les deux rivaux, tant les sujets de fâcheries sont multiples et profonds, et les facteurs de tensions abondants et actifs. Le président américain et le Premier ministre israélien, pyromanes qui ne sont pas même pompiers, versent à plaisir, et avec une régularité qui ne se dément pas, de lourdes cargaisons de combustible sur des incendies incontrôlés. Ces errements, cette incapacité à mener une politique extérieure cohérente et efficace – comme on le voit au Yémen, mais aussi à l’égard du Qatar – attestent une absence de vision stratégique cohérente à la tête du royaume. La pratique de la fuite en avant, partagée avec Washington et l’actuel gouvernement israélien, l’incapacité de tirer des leçons des échecs, sont un frein au changement de comportement. Cela interdit-il pour autant la recherche d’alternatives ?

En Iran, menaces et mépris

47Face à ce langage martial, l’Iran oppose par principe une posture de défiance et répète un message constant : toute attaque contre lui vaudra à ses auteurs (Arabie séoudite, Israël…) ruine et dévastation et, s’agissant de Riyad, non seulement serait voué à l’échec, mais entraînerait l’effondrement du royaume. Les Iraniens n’hésitent pas à souligner l’échec militaire séoudien du bourbier yéménite et invitent le royaume à concentrer ses efforts sur la lutte contre Daech et le terrorisme islamique. Pointant du doigt l’inexpérience du juvénile prince séoudien, ils dénoncent son inconséquence, son incompétence et ses alliances douteuses avec Israël – une trahison de la communauté musulmane. Une autre dimension de cet échec est que les menaces séoudiennes ont réussi à renforcer l’unité nationale iranienne : conservateurs et réformateurs obéissent au réflexe nationaliste classique. Déjà en 2016, un député conservateur, Hesmatollah Falahatpisheh, membre de la commission de la Sécurité nationale et des Affaires étrangères, reflétait un sentiment partagé en déclarant : « L’Arabie séoudite est un grand pays dans le monde musulman. Mais, à mon avis, il est maintenant frappé de suicide en politique étrangère ». Il rappelle les mises en garde de Khamenei : « Si vous prêtez attention aux positions du Guide suprême concernant l’Arabie séoudite, vous verrez qu’il conseille constamment l’Arabie séoudite d’abandonner cette voie suicidaire et suggère à ses jeunes (en fait véritables) dirigeants de s’orienter vers des interactions islamiques et de modérer leur comportement. Je crois que cette préconisation est un conseil fraternel et paternel »[122].

48Mais les responsables iraniens ne cachent pas le peu de considération qu’ils accordent à Mohammad Ben Salman et aux dirigeants séoudiens. Le 15 mars 2018, Bahram Qasemi réplique aux propos tenus le même jour par MBS sur la chaîne américaine CBS, dans lesquels il moquait le petit format de l’armée iranienne comparée à celle de Riyad et vantait la supériorité de l’économie séoudienne à côté de celle de l’Iran : « Ses paroles ne méritent pas que l’on y réponde, car c’est un individu délirant et naïf qui ne dit que des mensonges et ne voit la politique comme rien d’autre que de prononcer des remarques inconsidérées ». Il ajoute que ces dernières sont irrationnelles et pleines de « bigoterie inconvenante » qui est le reflet de sa complète ignorance (jahiliyah) [123]. Ces critiques n’émanent pas des seuls représentants gouvernementaux : la colère iranienne est largement répandue sur les réseaux sociaux. Selon l’analyste iranien Saïd Jafari, des hackers auraient ciblé des sites liés au prince, notamment Special Royal, consacré aux images et à la vie de ce dernier, après que des commentateurs iraniens ont lancé contre lui des commentaires acerbes en persan et en arabe [124]. Le même observateur rapporte l’opinion de Nosratollah Tajik, ancien ambassadeur d’Iran en Jordanie : « Les Iraniens ne prennent pas les menaces [de MBS] au sérieux pour plusieurs raisons. D’abord, l’Arabie séoudite est assise sur plusieurs lignes de fractures critiques, y compris la question de la succession et les attentes croissantes de la population qui restent encore à satisfaire. C’est pourquoi il est en train de traverser une période délicate. En second lieu, pour contourner ses crises intérieures, il a besoin de créer un ennemi extérieur. D’un autre côté, il essaie d’obtenir l’appui politique et militaire de Trump ». C’est ce dernier qui, en réalité, ajoute du danger et change la donne. Notons une certaine symétrie dans les deux pays confrontés à des problèmes internes et pour lesquels l’ennemi extérieur est un outil bien commode : « Ce parvenu sans expérience, dont les mots ne sont que des vœux pieux et qui rêve de guerre, ne sait pas ce qu’est une guerre, ou n’a pas étudié l’histoire, ou, malheureusement, n’a pas consulté de personne avisée ».

Le dilemme français

49Or les Séoudiens ne semblent en rien fléchir, non seulement s’appuyant sur leur allié américain, mais s’employant à obtenir le soutien de la France, comme on l’a vu lors de la visite de MBS à Paris les 9 et 10 avril derniers. À l’issue de ses rencontres, Al Jubeir, le chef de la diplomatie du royaume, a déclaré qu’il doutait que l’Europe et les États-Unis parviendraient à un compromis sur le JCPOA, estimant que la France, l’Angleterre et l’Allemagne ont convenu qu’il faut traiter le problème posé par le programme balistique iranien et les activités régionales iraniennes, mais que ces pays ne sont pas d’accord avec l’Amérique, l’Arabie séoudite et Israël pour remodeler le JCPOA : « Je crois que leur position est que si vous avez un accord, vous ne devez pas rouvrir la négociation ». Il ajoute que juguler les activités régionales de l’Iran ne pourrait attendre, et que Trump a clairement établi que « pas d’accord vaut mieux qu’un mauvais accord ». Reprenant l’image des bons et des méchants : « Il y a deux visions au Moyen-Orient, une vision de lumière, où vous voulez réformer votre pays… et une vision d’obscurité pour utiliser le sectarisme, exporter votre révolution, soutenir le terrorisme. Ceci est le modèle iranien »[125]. Il est symptomatique qu’à l’occasion de cette visite, MBS, l’ambassadeur israélien à Paris et Maryam Rajavi, qui dirige le MKO/MEK (Conseil national de la résistance iranienne), se soient réunis dans une résidence appartenant au prince. Selon le média iranien Pars Today (information invérifiable), celui-ci aurait remercié Mme Rajavi pour sa contribution aux récentes manifestations en Iran et assuré son mouvement du soutien séoudien [126]. Quelle que soit la réalité de cette concertation, dont l’orientation correspond de toute façon à la ligne de ses participants, rappelons que les contacts entre le MKO et les dirigeants séoudiens à Paris ne sont pas inédits. Le 9 juillet 2016, Turki Al Faisal, ancien chef des services de renseignements séoudiens, avait pris la parole lors d’un grand rassemblement du MKO en France et souhaité un changement de régime en Iran – ce qui avait suscité une protestation solennelle du gouvernement iranien [127] – réitérant ce message un an plus tard devant la même audience, un spectaculaire affichage qui a encore suscité de vigoureuses protestations de Téhéran [128], dénonçant la collusion entre ce mouvement et Riyad. Ce dossier, désormais qualifié de « point épineux » par Zarif [129], contribue à la dégradation continue des relations franco-iraniennes. Le 2 janvier 2018, Rohani réplique à Emmanuel Macron, qui s’inquiète de la répression des récentes manifestations en Iran, en invitant Paris à prendre des mesures immédiates [130] contre le « groupe terroriste » MKO/MEK ; le 5 mars suivant, lors d’un entretien fort tendu avec Jean-Yves Le Drian, le ministre français des Affaires étrangères, Ali Shamakhani, secrétaire du Conseil suprême de la Sécurité nationale, confirme que l’appui français au MKO nuit à ces relations et l’invite fermement à ne pas céder à « la guerre psychologique de Trump » [131]. L’arrestation à Bruxelles, le 30 juin, de deux ressortissants belges d’origine iranienne, en lien avec un diplomate iranien interpellé en Allemagne, qui préparaient un attentat contre l’Organisation des Moudjahidines du Peuple rassemblée à Villepinte, a été suivie le 20 août d’instructions du Quai d’Orsay demandant aux diplomates français de s’abstenir de tout déplacement en Iran, ce qui aggrave la dégradation des relations franco-iraniennes, attestée par l’absence de nomination d’un ambassadeur à Téhéran depuis plusieurs mois.

50Lors de la visite de MBS à Paris, il ne semble pas que la France ait compris les risques et limites de son adhésion à une partie notable de la posture commune séoudo-américano-israélienne à l’égard de l’Iran. Certes, Paris et Riyad ne sont pas entièrement alignés sur l’accord nucléaire avec l’Iran. Le discours séoudien est assez largement calqué sur celui de Trump et de Netanyahu, pour qui le JCPOA est fondamentalement mauvais, et dont il faut idéalement que Washington se retire, et au pire qu’elle continue à y adhérer à la seule condition qu’il soit considérablement sévérisé et qu’il soit complété d’exigences très dures sur les autres sujets (missiles, Yémen, Syrie, Hezbollah, etc.). Dans la conférence de presse conjointe du 10 avril, Emmanuel Macron déclare : « Nous avons une vue tactique différente sur l’accord nucléaire dit JCPOA mais nous avons, je crois pouvoir le dire, une vision stratégique cohérente »[132]. La France veut « préserver le cadre » de l’accord. En revanche, pour le Yémen, Paris affiche un alignement total sur Riyad, affirmant « se tenir aux côtés de l’Arabie séoudite pour assurer sa sécurité face aux tirs balistiques dont elle fait l’objet ». Apparemment, le gouvernement français ne semble guère s’interroger sur la légitimité des ambitions séoudiennes sur le Yémen et encore moins sur celle des frappes qui touchent aveuglément et massivement les populations civiles yéménites. La déclaration de principe de la France, rappelant son attachement aux droits de l’Homme, et les encouragements de Paris aux actions humanitaires paraissent bien pâles dans leur ignorance des exactions commises par les bombardements sur des cibles non militaires. Dans la déclaration conjointe diffusée le 11 avril, tout en reconnaissant la nécessité d’une solution politique, les deux parties « condamnent les attaques par missiles balistiques lancées par les milices houthies contre le royaume d’Arabie séoudite et souligné que les pays qui fournissent aux milices houthies des armes et des missiles balistiques devraient se conformer aux résolutions pertinentes des Nations unies qui interdisent de tels actes. » Là encore, l’alignement est parfait. On notera que l’Iran est implicitement désigné comme violant l’embargo sur les fournitures militaires mais ne serait pas le seul (« les pays ») : le Liban est-il visé au titre du Hezbollah ? La Russie, la Chine seraient-elles aussi montrées (anonymement) du doigt ? Pour l’Iran, l’accusation est clarifiée in fine : « Les deux parties sont convenues de la nécessité d’empêcher l’Iran de se doter d’armes nucléaires ». À moins d’imposer des éléments non compris dans le texte du JCPOA, on ne voit pas – ou du moins, on ne dit pas – ce que ceci implique de plus. Le texte poursuit : « Les deux pays ont évoqué les mesures à prendre pour endiguer le programme balistique de l’Iran et contrer les éléments menaçants de sa politique régionale », affirmant que « la fourniture de missiles et de soutien à des milices et à des groupes armés est inacceptable » et sommant l’Iran de se conformer aux règles internationales de bon voisinage et de non-ingérence dans les affaires d’autres pays. De son côté, le ministère iranien des Affaires étrangères met Paris en garde contre la tentation de céder aux sirènes séoudiennes et dénonce les ventes d’armes françaises à l’Arabie séoudite [133].

51Résumant la nature profonde de l’antagonisme irano-séoudien, Hossein Mousavian, ancien négociateur nucléaire iranien ayant exercé à Princeton, et considéré comme un « porte-messages » du gouvernement iranien, cite les différences profondes qui séparent les dirigeants des deux grands rivaux : du côté séoudien, un jeune prince impétueux qui a fait sienne l’hostilité viscérale à l’égard de l’Iran, avec une rhétorique de guerre. Face à lui, le Guide Khamenei, 78 ans, doté d’une lourde expérience, y compris en période de conflit armé (notamment durant la guerre Iran-Irak). Ce dernier a bâti une stratégie de défiance à l’égard des États-Unis, dont MBS a fait son allié. Bien plus, l’Iran considère qu’en s’affranchissant de toute tutelle étrangère, il a conforté son poids régional. À l’inverse de Riyad, Téhéran se méfie d’Israël, perçu comme un agresseur nourri de noirs desseins. Enfin, les dirigeants iraniens se sentent plus légitimes du fait de l’expression du suffrage populaire dont ils se sentent proches, loin des palais dynastiques. [134]

Un quelconque rapprochement est-il envisageable ?

52Au terme des présentes réflexions, il nous faut tenter d’esquisser une réponse à la question posée sur ce qui pourrait fournir matière à un rapprochement entre Riyad et Téhéran.

Le précédent des ouvertures iraniennes

53La première observation est que, d’un côté, on serait en peine de trouver dans le discours séoudien ou dans la posture du royaume des symptômes d’une recherche de relations normalisées. Le ton dominant est : l’Iran doit changer. Cette position n’est pas le seul fait des dirigeants séoudiens, mais se conforte et s’accentue en s’alignant sur celle de deux autres acteurs, Israël et l’Amérique, qui veulent au minimum un changement de régime et, le cas échéant, un conflit armé. La marge de manœuvre en vue d’un rapprochement s’en trouve singulièrement réduite. Comme le souligne l’analyste arabe Ali Al Shihabi, la nouvelle doctrine séoudienne introduite par MBS repose sur trois piliers : « renforcer sa puissance militaire, réévaluer ses alliances et contrer avec agressivité l’expansionnisme iranien ».[135] Par contraste, si l’on excepte quelques discours martiaux iraniens rappelant de façon inopportune des vieux rêves d’empire, promettant l’effondrement du gardien des Lieux Saints, ou un anéantissement total pour quiconque serait tenté de s’attaquer à la République islamique, Téhéran affiche avec une constance sans faille sa volonté d’entretenir des relations apaisées avec le royaume et de résoudre les différends existants par la voie diplomatique. Même en période de pics de tension, le langage des dirigeants iraniens, tout en n’excluant pas de vigoureuses condamnations, est une invitation constante au dialogue et à la solution pacifique de leurs antagonismes, un plaidoyer pour des issues politiques aux conflits régionaux.

54Les recherches d’apaisement et de dialogue entre les deux rivaux bénéficient d’une certaine antériorité attestant que cette option, même si elle n’a pas connu la concrétisation escomptée, est une constante, au moins au sein d’une partie de l’establishment iranien. L’excellent spécialiste de l’Arabie séoudite Gregory Gause le souligne justement : même sous le premier mandat présidentiel de Mahmoud Ahmadinejad, il y eut des tentatives de modus vivendi : en avril 2007, celui-ci fut ainsi reçu à Riyad pour tenter de diminuer la tension au Liban. [136] Les véritables tentatives de rapprochement s’esquissent en 1997 sous la présidence Khatami, mais leur impulsion vient de l’ancien président Rafsandjani (le pilier de cette orientation) qui sera reçu par le roi Fahd en février 1998 pour une importante visite où les deux pays examineront les divers champs possibles de dialogue, voire de coopération [137]. Le fossé ne cessera de se creuser ensuite, mais Rafsandjani continuera à œuvrer et plaider en faveur d’une normalisation entre les deux pays, considérant que la poursuite des tensions bilatérales est dangereuse non seulement pour l’Iran et sa sécurité, mais aussi pour toute la région, y compris son voisin. Il s’emploiera à tenter de convaincre les dirigeants de son pays, Guide compris, de la justesse stratégique de son calcul, et ce jusqu’à son décès – sur lequel sa famille se pose quelques questions. Aussi, à sa mort, d’aucuns se demandèrent si ce trépas sonnait aussi le glas d’une possible normalisation [138]. Il est vrai que depuis sa disparition, les voix autorisées d’un tel rapprochement manquent de part et d’autre alors que la tension monte.

55Mais rareté ne signifie pas inexistence. Il convient d’abord de rappeler le rôle discret mais de première importance d’Ali Shamkhani, qui présente la particularité d’être un iranien arabe. Ministre de la Défense sous Khatami, où il s’employa à améliorer les relations de Téhéran avec les royautés du Golfe, il fut étroitement associé aux démarches de Rafsandjani [139] et a été l’un des rares Iraniens à être distingué par une décoration séoudienne en 2004. À présent, il occupe le poste clé de secrétaire du Conseil suprême de la sécurité nationale, où se décident des orientations majeures du pays. En second lieu, Rohani, dès sa première élection, tint à affirmer que l’amélioration des relations bilatérales était sa plus grande priorité [140]. L’importance de cet axe ne s’est jamais démentie [141] malgré les aléas et tensions croissantes depuis lors, et en dépit du fait que deux courants s’affrontent en Iran : les pragmatiques et les partisans de la dureté, voire du défi face à l’Arabie séoudite (le clan des idéologisés au sein des pasdarans, religieux et autres ultras), qui troublent le jeu [142]. Bien entendu, le chef de la diplomatie iranienne est étroitement associé à la préservation de la ligne pragmatique, même si cette dernière est régulièrement contrée.

Les pistes d’amélioration à la recherche de crédibilité

56Éteindre les incendies doit toujours être une priorité. À cet égard, emprunter au plus vite la voie d’une solution politique de la crise du Yémen est une urgence. Hossein Mousavian, évoqué plus haut, le confirmait dans le quotidien allemand Frankfurter Allgemeine : « Il existe un potentiel pour une percée diplomatique dans la guerre du Yémen »[143]. S’il avoue que l’Histoire ne pousse pas à l’optimisme, il souligne que le JCPOA est un modèle de résolution pacifique des différends. L’une des difficultés qui se dresse devant une négociation est le manque de canaux de communication (multilatéraux ou de type « track 2 ») entre l’Amérique et l’Iran, alors que les tensions ne cessent de croître. Mousavian estime qu’un « consensus international de résolution diplomatique peut amener les belligérants à la réconciliation, combler le fossé séoudo-iranien et diminuer l’ambiance de confrontation entre la Maison-Blanche et l’Iran (…) Avec le soutien diplomatique européen, le conflit yéménite peut être le début du dialogue et de la désescalade entre l’Iran et l’Arabie séoudite ». Selon lui, une formule expérimentée en Irak et en Afghanistan pourrait alors être envisagée : préservation de l’intégrité territoriale, partage du pouvoir entre les principales factions locales, respect de la volonté de la majorité et des droits des minorités, élections libres sous le contrôle des Nations unies et coopération sous forme d’assistance humanitaire et économique afin de reconstruire les zones dévastées.

57Le problème est que ce sympathique programme n’a pas été vraiment appliqué dans les exemples cités. Si les deux grands « parrains » décident d’opter pour cette voie pour parvenir à une solution politique du conflit yéménite, pense Mousavian, ils pourront en tracer des contours, qui seraient ensuite à solidifier par les Nations unies. Or, à ce jour, on ne perçoit pas encore de traces significatives d’une telle approche, même si l’on devine qu’avec sa discrétion coutumière, le très efficace sultanat d’Oman n’est pas inerte. De son côté, Zarif déclare le 8 avril, dans une interview diffusée par la BBC en arabe, que Téhéran était disposé à prêter son concours diplomatique pour résoudre la crise yéménite à condition que l’Arabie séoudite soit disposée à une solution politique – on a vu que des rumeurs non confirmées circulaient sur des contacts exploratoires menés par Riyad avec les Houthis – tout en précisant que « toute approche [devait] être basée sur des conversations inter-yéménites »[144]. Le ministère iranien a de son côté reconnu que Téhéran poursuit des négociations avec l’Union européenne sur le conflit yéménite, et des conversations sur la Syrie avec François Séménaud, ancien ambassadeur en Iran, qui suit le dossier à l’Élysée.

58Plus inattendue mais hautement significative est la prise de position du Guide en mai, après l’annonce par Trump de la perspective de la reconnaissance de Jérusalem comme capitale d’Israël. Sans surprise, Khamenei condamne sévèrement cette initiative américaine, qu’il promet à un échec complet. Mais, après avoir appelé à une mobilisation des pays musulmans pour aider à résoudre les crises de Bahreïn et du Yémen, il indique que l’unité islamique est si importante que l’Iran est « même prêt à agir de façon fraternelle à l’égard de ceux qui nous sont apparus violemment inamicaux »[145]. On retrouve là le fumet du vieux refrain traditionnel iranien : écartons les étrangers de nos différends, traitons nos affaires entre nous, néanmoins on voit mal pour l’instant MBS écarter le protecteur américain de la région.

Organiser la sécurité collective, une panacée ?

59On constate une reprise croissante par les responsables gouvernementaux de ce schéma qui exhume une idée déjà maintes fois propagée par le passé à un stade de vagues généralités. Nous avions déjà signalé en ce temps [146] que, pour séduisant qu’il soit, il se heurte à l’option diamétralement inverse des autres protagonistes (l’ensemble des monarchies du Golfe) qui, au contraire, s’appuient sur les puissances occidentales pour assurer leur sécurité, entraînant mécaniquement la présence de la Russie et de la Chine en concurrents actifs. À présent, c’est dans le double contexte d’une réduction (au moins territoriale) de Daech et d’une nouvelle tentative de réduction des tensions avec l’Arabie séoudite – qu’il s’agit de rassurer sur le bien-fondé du JCPOA – que la proposition de créer un outil de sécurité régionale est relancée par les responsables iraniens.

La « doctrine » iranienne

60Dina Esfandiary, analyste minutieuse de la posture des acteurs de cette zone, suggère de partir des échanges coopératifs sur l’organisation des pèlerinages de La Mecque, qui contraignent les protagonistes à un dialogue au moins « technique » sur fond de respect des obligations de toute la communauté musulmane, et de tirer profit des initiatives de dialogue entre l’Iran et ses voisins impulsées par le Koweït en début 2017. Elle perçoit que le premier thème d’échanges de vues est naturellement le traitement des crises régionales, où doit être abordé la question du retrait de la présence iranienne. Mais sur ce point particulier, certains considèrent que ledit retrait doit être un préalable aux négociations au lieu d’en être un des sujets. L’autre thème potentiellement fructueux, toujours selon Dina Esfandiary, serait la constitution à des niveaux plus subalternes de liens durables entre groupes d’experts sur des domaines spécifiques d’intérêt commun, comme la lutte contre le trafic de stupéfiants, les problèmes d’environnement, la sécurité et la sûreté nucléaires. Pour ce faire, elle considère indispensable que « les Américains et leurs partenaires européens exercent leur influence pour amener Riyad et ses partenaires à la table de négociations ». [147] Le ministre iranien des Affaires étrangères multiplie d’ailleurs les appels à la construction d’un système de sécurité régionale dont l’Iran serait partie prenante, une façon de signifier le fiasco du CCG à cet égard. Il présente une « doctrine » iranienne pour faire face aux défis sécuritaires régionaux. Sans doute espère-t-il en cultivant cet axe amoindrir, à défaut de supprimer, le déficit de confiance abyssal entre les deux grands protagonistes. Il n’est pas certain que ceci soit suffisant.

61La « doctrine » iranienne a été notamment exposée à Téhéran par Zarif lors de la seconde conférence sur la sécurité régionale qui a débuté le 8 janvier 2018 [148] et dont nous reprenons les principaux éléments ci-après. Elle part d’une série de constats et d’objectifs prioritaires :

  1. Daech (ISIS) a enregistré des reculs sévères mais n’a pas disparu ;
  2. le respect des frontières nationales et de l’État-Nation, minés par les groupes terroristes et leur idéologie (takfiris), doit être restauré ;
  3. il est impératif de préserver la cohérence nationale et l’intégrité territoriale des pays de la région (il vise clairement les tentations de démembrement de l’Irak et de la Syrie, autant que les mirages d’indépendance kurde) ;
  4. la priorité est à la reconstruction de l’Irak et de la Syrie ;
  5. les « agressions » commises contre le peuple yéménite, notamment par des frappes et « crimes de guerre » contre les civils, doivent cesser ; il faut abandonner les options militaires et rechercher un consensus national par voie de dialogue ;
  6. les politiques et interventions américaines dans la région ont nourri les crises plutôt que de les éteindre et ont compliqué la situation, notamment par leur présence militaire en Syrie ;
  7. l’occupation [par Israël] de la Palestine est « le problème le plus critique de la région » qui influe sur tous les autres. La reconnaissance de Jérusalem (Al Qods) par les États-Unis a confirmé qu’elle est (selon Zarif) « l’ennemie des musulmans et des pays islamiques » et « offre à l’extrémisme et au terrorisme une nouvelle opportunité de reprendre ».

62Après cet inventaire à la Prévert, qui contient quelques réflexions intéressantes (surtout 1, 2, 3 et 4) mâtinées de considérations plus polémiques, ce texte présente les deux axes de la doctrine iranienne : une région forte et un « réseautage de sécurité » (security networking). Le premier consiste en la renonciation par les acteurs régionaux à une tentation hégémonique, alors que la concurrence, notamment économique, est une situation normale. Mieux vaut, à l’exemple d’autres régions (l’Europe ?), favoriser la coopération. La course aux armements est à la fois dangereuse car elle exacerbe les crises, et financièrement nocive car absorbant des ressources que l’on pourrait mieux utiliser pour le bien des populations. Pour intéressante qu’elle soit, cette partie de la « doctrine » iranienne semble un peu courte, plutôt un catalogue de vœux pieux sans indication claire des orientations et modalités de mise en œuvre d’une coopération régionale organisée. On devine d’ailleurs sans peine ce que Riyad pourrait rétorquer : le Conseil de Coopération du Golfe (sous son contrôle !) est bien l’outil adéquat pour renforcer la région. À moins que Téhéran n’ait vocation à le rejoindre, ce qui semble durablement exclu.

Le « réseautage de sécurité »

63Il est au cœur de la proposition iranienne. Zarif part du constat que les interactions modernes rendent inefficaces les « blocs » et « alliances » traditionnels dans un Golfe à la composition hétérogène, et que de ce fait les tentatives de créer des systèmes de sécurité collective ont échoué. En lieu et place il suggère ce « réseautage de sécurité », qui serait basé sur la « synergie » et « l’inclusion », ouvert à tous les États de la région et fonctionnerait selon les buts et les principes de la Charte des Nations unies – égalité entre États, renonciation à la menace ou l’usage de la force, respect de l’intégrité territoriale, résolution pacifique des conflits, non-ingérence dans les affaires intérieures des pays, respect du droit à l’auto-détermination des peuples. Aussi Zarif suggère-t-il la conclusion d’un arrangement durable afin d’assurer la sécurité régionale et de l’abriter des tentations hégémoniques par des acteurs locaux ou supra régionaux. Pour progresser dans cette voie, le ministre iranien indique deux « voies et moyens » : le dialogue et les mesures de confiance. Ce dialogue « people to people » viserait à combler le déficit de connaissance mutuelle et à exposer les préoccupations partagées, puisque les États de la région sont condamnés par la géographie à vivre ensemble. Il devrait remplacer les guerres de communication par médias interposés, et inclut une coopération en matière de tourisme – notamment tourisme halal –, échanges d’étudiants, voyages d’études, compétitions sportives, encouragement aux contacts d’hommes d’affaires, contacts et coopérations artistiques de sorte à permettre aux populations de mieux se familiariser avec les modes de vies des autres et une réforme des livres scolaires qu’il faudrait purger des jugements négatifs sur les voisins. Ce à quoi il convient d’ajouter une coopération face aux catastrophes naturelles, et dans la lutte contre le sectarisme et l’extrémisme. Autre suggestion : encourager les femmes et les jeunes à s’engager dans les divers domaines de la vie sociale. Ce schéma ne semble pas avoir prévu, pour la restauration de la communication (principalement entre l’Iran et l’Arabie séoudite) le recours aux médiateurs (de type Oman), ni à ce qu’on appelle « Track 2 diplomacy » (échanges entre « porteurs de messages », intermédiaires discrets, interlocuteurs officieux…) qui a fait ses preuves dans maintes crises.

64En revanche, les dirigeants iraniens n’ont guère été explicites sur les modèles d’organisation du « réseautage », pour lesquels divers modèles sont concevables. L’expert iranien Javad Heiran-Nia, après avoir souligné que le CCG n’a pas répondu à cet impératif, signale l’intérêt de l’ASEAN (avec lequel l’Iran a signé un accord d’adhésion) comme exemple de coopération régionale, mais que cette structure se consacre surtout à de la coopération économique et n’est pas en mesure de traiter de problèmes de sécurité. L’autre outil dont on pourrait, selon lui, s’inspirer pourrait être la Conférence pour la sécurité et la coopération en Europe (CSCE), qui précéda l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE). Le même analyste rappelle le précédent de la Déclaration de Damas (Traité « 6+2 »), qui a montré qu’il est possible de créer un dispositif de sécurité régionale [149]. Hossein Mousavian suggère pour sa part de lancer d’urgence une concertation entre les ministres des Affaires étrangères des membres du CCG et également de se pencher sur la possibilité d’inspirer du CSCE. Il préconise aussi de se fonder sur la résolution 598 du Conseil de sécurité des Nations unies qui a posé les bases du cessez-le-feu entre l’Iran et l’Irak, et demande au secrétaire général de l’ONU d’examiner avec les parties les moyens de renforcer la sécurité et la stabilité dans la région. [150]

Les mesures de confiance

65La seconde voie consiste à proposer ce mode classique de solution des conflits. Zarif avance quelques éléments à inclure dans ce chapitre : outre le dialogue direct (« face to face »), il prône une série de mesures, pour certaines indispensables afin d’éviter la montée de tensions ou les diminuer et surtout prévenir les affrontements découlant d’accidents ou erreurs d’interprétation. Ceci augmenterait la prévisibilité des comportements et, par conséquent, diminuerait le problème des actions par surprise de la part de tout acteur régional. Il cite en exemple : éviter les déclarations ou comportements à caractère de provocation, procéder à des échanges de responsables, fonctionnaires ou personnes civiles sur des durées de plusieurs semaines ou mois pour discuter avec leurs homologues, entreprendre des mesures de confiance dans les zones frontalières, là où existent des tensions ou problèmes liés à des mouvements ou des extrémistes et, enfin, mettre en place des hotlines permettant des contacts directs entre responsables gouvernementaux à haut niveau. L’ensemble des mesures de confiance devrait faire l’objet d’un suivi, par la formation d’une commission conjointe et de groupes de travail ad hoc. La première étape imaginée par Zarif serait de lancer un « Forum de dialogue régional », qui pourrait à la fois encourager une concertation officielle entre responsables gouvernementaux et faciliter les échanges entre experts et intellectuels émanant de la société civile – un cadre propice à lancer des consultations préliminaires sur la façon de mettre en œuvre les mesures de confiance.

66On ne peut qu’acquiescer à cette visée, qui reflète une volonté de sortir de l’impasse actuelle. Il reste que l’organisation proprement dite de la sécurité ne semble pas être très élaborée au-delà de généralités succinctes. Surtout, il manque une véritable stratégie pour parvenir à amener les principaux protagonistes régionaux, en particulier l’Arabie séoudite et l’Iran, (quid d’Israël ?) autour d’une table. Compte tenu des interférences des grandes puissances, il manque aussi une invitation à ces dernières de peser de tout leur poids sur leurs alliés locaux pour qu’ils acceptent d’entamer un dialogue. Nous en sommes loin. Si une meilleure concertation entre Moscou, Washington, Téhéran, Damas et Ankara devait aboutir à l’esquisse d’un dialogue sur la Syrie (au lieu de la concurrence de forums de négociation rivaux), ceci pourrait permettre de créer les conditions dudit dialogue. L’ONU devrait ainsi être remis au centre du jeu. Trump est-il prêt à y consentir ?

67Les réflexions sur un « format » de discussion et particulièrement de gestion de la sécurité régionale se poursuivent. Le 18 février, le prolixe Hossein Mousavian suggère de s’inspirer du modèle des accords d’Helsinki (1975), basé sur dix points à appliquer sur base de volontariat [151]. Peu avant, le 16 février, l’émir du Qatar proposait une vision du même type : « Le temps est venu pour une sécurité régionale plus large (…) Nous pouvons copier les expériences de l’Union européenne ». Al Thani rappelle qu’en dépit de multiples conflits au cours des siècles, des régions sont capables de pratiquer la diplomatie, de faire preuve de pragmatisme et d’adopter des règles pour prévenir les conflits et assurer une sécurité à long terme. Au même moment, un expert conseiller séoudien (anonyme) affirme examiner, selon le média allemand Deutsche Welle, les principes contenus dans le Traité de Westphalie, qui mit fin en 1648 à des décades de conflit en Europe. Zarif, pour sa part, plaide pour son approche auprès de Moscou, dont il a obtenu le soutien à la conférence sur la sécurité européenne de Munich 2018 et au Forum de Valdai. [152]

68Campant sur une position inflexible, le ministre séoudien des Affaires étrangères, Adel Al Jubeir, rejette la suggestion de l’émir du Qatar de constituer une structure de sécurité régionale selon un modèle européen. La méfiance personnelle d’Al Jubeir – les autorités américaines avaient déclaré le 11 octobre 2011 que ce dernier, alors ambassadeur séoudien à New York, avait fait l’objet d’un complot visant à l’assassiner – conforte celle de MBS. Al Jubeir, sans surprise, rétorque que c’est inutile : « Nous avons déjà une structure en place [le CCG] » [153]. Zarif, pour sa part, pense que son « message » a été bien reçu par les « gens sérieux », dont le secrétaire général de l’Onu. [154] De son côté, Rohani répète que l’Iran est disposé à discuter directement avec ses voisins arabes : « Nous sommes prêts à parler à nos voisins et amis hors de la présence d’étrangers ».[155] Allant plus loin, Zarif déclare devant un centre stratégique pakistanais que, non seulement il approuve la proposition de l’ancien Premier ministre Mohammad Nawaz Sharif d’entamer un dialogue avec Riyad, mais que l’Iran est prêt à appuyer l’Arabie séoudite si le royaume devait subir une « agression étrangère ». Il déplore que « les Séoudiens pensent qu’il est profitable pour eux si le monde considère que l’Iran est une menace contre l’Arabie ».[156] La sèche réplique séoudienne ne tarde pas : « Le royaume n’a besoin de personne pour le défendre. L’Iran doit cesser ses ingérences »[157]. L’impasse est donc rude.

69Comme le conclut le remarquable rapport de l’International Crisis Group (ICG) consacré à la posture régionale de l’Iran, « un changement dans la doctrine stratégique de Téhéran exigera probablement que les parties prenantes régionales et extrarégionales s’engagent avec l’Iran dans une épineuse mais nécessaire discussion sur une future architecture de sécurité régionale »[158]. Selon les experts de l’ICG, toutes les parties doivent reconnaître les préoccupations de sécurité les unes des autres et Téhéran doit « prendre des mesures prouvant que l’Iran est véritablement prêt à assumer les responsabilités découlant de la stature régionale à laquelle il aspire ». Le rapport invite le pays à diminuer le caractère menaçant de sa doctrine militaire, à veiller à ne pas entretenir les divisions sectaires sous couvert du contraire et surtout à cesser d’agir militairement par « sous-traitants » interposés, ce qui ruine la crédibilité des proclamations iraniennes de non-ingérence. Ces forces non-étatiques devraient être intégrées dans les forces armées officielles – notons que, si certaines milices irakiennes seraient ainsi concernées par l’intégration, le Hezbollah résiste toujours à ce type de sollicitation. Parallèlement, les adversaires de l’Iran devraient, d’après l’ICG, faire preuve de réalisme en cessant de surestimer les capacités et implications réelles de l’Iran – nous avons nous-mêmes souligné les limites de l’appareil militaire iranien – et comprendre que Téhéran a une légitimité dans une région dont il est un acteur que l’on ne peut éradiquer ; il pense comme d’autres que l’on pourrait tirer parti de la résolution 598 qui mit fin au conflit Iran-Irak et donna mission au secrétaire général de l’Onu pour jeter avec les intéressés les bases d’une architecture de sécurité régionale. De même, l’ICG souligne enfin que l’on devrait profiter de ce que, parmi les décideurs iraniens, un certain nombre de responsables considèrent que le maintien des tensions avec l’Arabie séoudite entre autres est un vrai danger pour la sécurité du pays.

70Nous ne pouvons qu’approuver ces sages recommandations. Il reste à imaginer comment fléchir la raideur séoudienne, et surtout comment persuader Trump de ne pas perturber une scène internationale déjà incandescente. Les États-Unis comme Netanyahu ont la possibilité d’exercer des pressions sur Riyad ; encore faut-il que le locataire de la Maison Blanche en comprenne les enjeux. Le naufrage du JCPOA ne peut qu’encourager les tensions régionales, et celles-ci ont un coût.

71En dressant le catalogue des incohérences américaines à l’issue des diktats de Washington lancés avant le naufrage du JCPOA et étrangement réitérés après le 8 mai, Zarif rappelle dans un texte diffusé par son ministère le 20 juin qu’au bout du compte, la seule solution envisageable pour assurer la stabilité de la région est de lancer un « forum de dialogue régional » où les parties prenantes régionales mettraient à plat leurs problématiques de sécurité. Sera-t-il entendu ? Le royaume persiste à envoyer des signaux négatifs en campant sur une position alignée sur Trump, comme on le voit dans les déclarations du ministre saoudien des affaires étrangères, Adel Al Jubeir, le 14 juillet : l’Iran doit changer de politique, sinon son isolement de fera que croître.

72Pour l’heure, Téhéran est confronté à l’Arabie séoudite sur le terrain des hydrocarbures, sur lequel se joue prioritairement la stratégie d’étranglement économique de l’Iran décidée par Trump. Une des dimensions de cette asphyxie est la fixation des quotas et des cours du baril à l’OPEP ; bataille dans laquelle Trump, on l’a vu, a « enrôlé » Riyad. Téhéran lutte avec acharnement pour tenter d’éviter une augmentation des niveaux de production et voit avec beaucoup de contrariété le dialogue qui s’est instauré entre Moscou et Riyad à ce sujet. Les deux acteurs auraient envisagé en juin d’augmenter dès juillet leur production d’un million de barils/jour. Le ministre iranien du Pétrole, Zanganeh, a tenté de dissuader l’OPEP dans cette voie. Trump pousse les Séoudiens à non seulement augmenter la production de pétrole mais à maintenir des prix bas. Il n’a pas hésité à leur rappeler les coûts de l’appui américain à leur défense (restant muet sur les profits) et n’est pas totalement satisfait du niveau encore trop élevé à son goût des cours du baril. À la vive contrariété du locataire de la Maison-Blanche, Il s’avère qu’il ne maîtrise pas le fonctionnement de l’OPEP où paradoxalement, Téhéran et Riyad ont l’habitude de forger des compromis… Enfin, il ne faut surtout pas oublier un moteur essentiel dans l’acrimonie sÉoudienne : le péril interne. C’est bien la survie d’un régime miné par les dissensions, rancœurs et purges successives, qui est en cause ; le péril extérieur est l’alibi classique des pouvoirs fragiles. L’Arabie séoudite fait face à des défis intérieurs qui dépassent de loin les troubles liés aux réformes sociétales. La répression qui frappe une partie de la dynastie est un symptôme grave. Le conflit du Yémen, ingagnable, est une sorte de Vietnam qui génère des coûts considérables pour une issue incertaine.

73L’hostilité séoudo-iranienne pourrait avoir causé une victime collatérale : le Conseil de Coopération du Golfe, malmené par la volonté de Riyad d’imposer à ses membres de suivre le royaume dans son conflit avec le Qatar et dans son combat contre l’Iran. Au vu des réserves du Koweït, on comprend que le CCG n’en sort pas intact. Depuis l’été 2017, Trump essaie sans succès de mettre un terme à la crise qui secoue le Conseil déstabilisé. À partir du printemps 2018, il s’évertue à susciter l’organisation d’un sommet à Camp David, dont la date est plusieurs fois reportée. Pour le président américain, la division des États du Golfe crispés sur la crise du Qatar est nocive, car il a besoin d’un front uni contre l’Iran. Il multiplie donc les appels à résoudre ces querelles et à se focaliser sur la lutte contre l’influence « déstabilisatrice » de l’Iran. Un moment envisagé pour l’automne 2018, l’hypothétique sommet est encore reporté en 2019, en raison de l’impasse sur le Qatar. Le chef de la diplomatie séoudienne, Adel Al Jubeir, avait en mars 2018 exclu qu’un sommet à Camp David puisse aborder le dossier du Qatar, le différend étant « un problème inter CCG ». La Maison-Blanche entend concrétiser à cette occasion le concept d’« OTAN arabe », une alliance militaire et politique avec six pays du Golfe, l’Égypte et la Jordanie. Cette idée, dont la paternité initiale est séoudienne, dénommée MESA (Middle East Strategic Alliance) est étudiée, selon la Maison-Blanche « avec nos partenaires régionaux depuis plusieurs mois ». Les thèmes de coopération sont : défense anti-missiles, entraînement militaire et contre-terrorisme, aux côtés du renforcement de la coopération diplomatique et économique. Comme le confirme un porte-parole du Conseil de sécurité nationale de la présidence américaine, « La MESA servira de rempart contre l’agression iranienne, le terrorisme, l’extrémisme, et apportera la stabilité au Moyen-Orient ». La viabilité d’un tel projet ne semble guère évidente, ce qui réjouit assurément les « observateurs » (iraniens). Au-delà d’un outil pour « contenir » l’Iran, d’aucuns voient dans la MESA un moyen d’empêcher la Russie et la Chine de prendre des parts du très juteux marché de l’armement. Un vice fatal pèse sur ce projet : là où Obama espérait que les acteurs régionaux prennent leur sécurité en main, Trump veut créer un monolithe autour de l’Arabie séoudite, dont le principe unificateur serait de faire bloc contre l’Iran. Le leader de ce pôle étant l’imprévisible prince héritier séoudien, dont l’action passée a été principalement d’engager son pays et d’autres dans le bourbier yéménite et de cultiver les réactions brutales et incontrôlées, il y a lieu de penser que ce rêve est voué à l’échec, d’autant que le Conseil est guetté par la fragmentation. De même, l’Organisation de la Coopération islamique est aussi perturbée par ces clivages. La ligne de Riyad réaffirmée au cours de l’été 2018 par le prince Khalid Ben Salman, ambassadeur du royaume à Washington, est plus que jamais : méfions-nous de l’Iran qu’il faut contrer, ne cédons pas à la tentation de l’apaisement. Un message à l’adresse de tous ceux qui, aux États-Unis, plaideraient pour un accommodement.

74Reste-t-il après ce sombre tableau une place quelconque pour le dialogue politique entre les deux adversaires ? L’analyste iranien Davoud Hermidas Bavand explique dans une interview au site Iranian Diplomacy (dirigé par l’ancien ministre Kamal Kharrazi, à la tête du think tank proche du pouvoir dont il porte officieusement les messages) confirme que la politique de Rohani demeure de trouver une détente avec ses voisins de la région. Il souligne que les propos « durs » du président sur un blocage d’Ormuz doivent être « décodés » et s’adressent plus à Trump qu’aux pays du Golfe. En second lieu, Riyad et Téhéran ont récemment convenu de rétablir des relations diplomatiques : l’Iran ouvrira une section d’intérêt en Arabie, abritée par la Suisse. Les prochains mois seront donc décisifs pour voir dans quelle mesure l’impasse actuelle perdurera. Le 28 août, Hossein Jaberi Ansari, un des proches conseillers de Zarif, répète que l’Arabie séoudite et les Émirats devraient plutôt s’engager dans la voie du dialogue politique plutôt que de s’enfermer dans des logiques conflictuelles. Au même moment, l’Hojjatoleslam Seyyed Ali Qazi-Askar, représentant du Guide en charge du pèlerinage, soulignait l’utilité des rencontres entre officiels iraniens et leurs homologues séoudiens pour jeter les bases d’un dialogue durable. Lors de la 3e Conférence Asie de l’Ouest qui s’est tenue les 5 et 6 septembre à New Delhi, H. Moussavian a présenté la vision iranienne des postures stratégiques respectives de Riyad et Téhéran, et a conclu le sombre tableau de la dangereuse situation régionale en adjurant les deux pays d’abandonner le « statu quo de la confrontation » et de s’atteler à un effort de meilleur discernement des menaces et préoccupations réciproques. Puis il formule une série de recommandations pour Riyad et Téhéran : 1) ouvrir ouvertement un dialogue sans condition préalable et mettre sur la table toutes leurs préoccupations et objectifs ; 2) mettre en place des forums de dialogue bilatéraux où se rencontreraient des technocrates (plutôt que des politiques) de toutes disciplines ; 3) en vue de diminuer la « sectarisation » du monde musulman, mettre en place des forums de dialogue entre sunnites et chiites, avec la participation d’experts sunnites d’al-Azhar (l’université théologique du Caire) et d’autres pays sunnites, et de religieux chiites des séminaires de Qom et Najaf ; 4) lancer un dialogue entre les 6 membres du Conseil de Coopération du Golfe, l’Irak et l’Iran, avec pour objectif de créer un système institutionnalisé de sécurité et coopération dans le golfe Persique. Les ministres des Affaires étrangères des pays concernés devraient écouter les préoccupations respectives et mettre en place des mesures effectives pour les résoudre équitablement. Dans ces suggestions on retrouve une orientation (n°4) déjà avancée par Zarif en vue d’un système de sécurité collectif. Plus originale, mais pas nécessairement assurée d’un succès, la proposition de dialogue entre religieux. Si elle était retenue, elle réduirait le ressort sectaire de la rivalité des deux champions… Faisant allusion à l’accord « complet » que Trump et Pompeo veulent imposer à l’Iran, Anwar Gargash, ministre émirati des Affaires étrangères, rappelle à ceux-ci que les États arabes doivent être partie prenante de cette négociation pour s’assurer de ce que leurs trois sujets de préoccupation (le programme nucléaire iranien et les sunset clauses, le programme iranien de missiles balistiques qui menacent l’Arabie séoudite, et l’attitude iranienne dans la région) soient traités avec rigueur par l’ONU.

75La disparition du journaliste séoudien Jamal Khashoggi, lors d’une visite au consulat du royaume à Istanbul le 2 octobre, qui crée d’énormes remous, n’est pas sans impact sur la relation entre l’Iran et l’Arabie. Elle intervient dans une période où des nuages planent dans le ciel des relations américano-séoudiennes. N’oublions pas qu’un des piliers de l’axe qui lie ces deux « alliés » est le front anti-Iran, en particulier l’appui américain jusqu’ici inconditionnel à Ryad dans le conflit yéménite. Or les scandales des bombardements sanglants et aveugles commis par le royaume au Yémen contre des cibles civiles ont fini par émouvoir les élus du Congrès qui ont tenté (sans y parvenir) de bloquer les gigantesques contrats d’armement, « sauvés » sous la pression des puissants lobbyistes. Mais Trump a été contraint d’exiger (mollement) de l’Arabie séoudite qu’elle fasse preuve de transparence et de retenue. Surtout, il s’est plaint vigoureusement de ce que celle-ci n’obtienne pas une baisse des cours du baril et une augmentation forte de la production – deux objectifs qui affaibliraient l’Iran – et reproche à Riyad son « ingratitude » : « Ils [les Séoudiens] sont riches. J’aime le roi mais je lui ai dit : “Nous vous protégeons. Vous ne tiendriez pas là deux semaines sans nous. Vous devez payer pour vos soldats ». C’est dans ce contexte qu’il profère une menace (théorique ?) d’une « punition sévère » en cas de responsabilité avérée de Riyad dans la disparition fatale de Khashoggi, afin d’apaiser des congressmen très remontés (plusieurs essaient d’obtenir le blocage des marchés d’armement dans la perspective des élections du mid-term), qui sentent l’indignation de l’opinion publique. Une escalade à l’issue imprévisible prend corps, qui pourrait miner l’alliance américano-séoudienne et avoir des répercussions régionales. Certains médias séoudiens propagent des échos incontrôlés. Turki Aldhakhil, un proche de MBS qui dirige le média public Al-Arabiya, prétend que les dirigeants du pays « explorent trente possibilités de riposter à des sanctions américaines », dont celle de favoriser une hausse du baril à 200 dollars, vendre le brut séoudien en yuans, la fin du partage des renseignements, ou une entente militaire avec la Russie qui pourrait mener à « un rapprochement avec l’Iran et même une réconciliation avec lui ». Il faut être très circonspect sur cette hypothétique intention, invérifiée, mais le message envoyé est bien celui de la possibilité d’un bouleversement régional qui conviendrait à Téhéran.

76On comprend dès lors l’extrême prudence des dirigeants iraniens, qui ont curieusement conservé longtemps un mutisme sur cet épisode. Téhéran a évité de s’en servir pour alimenter son différend avec Riyad, préférant sans doute la discrétion au moment où l’Iran est mis en cause dans la tentative d’attentat contre le rassemblement parisien des moudjahidines du peuple. De plus l’Iran a été périodiquement accusé de tentatives d’assassinats/enlèvements d’opposants. Les dirigeants iraniens ne sont pas mécontents de voir Ankara – après l’humiliation d’une opération séoudienne peu discrète sur son territoire – engranger des avantages en mettant Riyad dans un grand embarras par des révélations publiques et contraignant sans doute les Séoudiens, à leur tour contraints à des concessions qu’Erdogan, fort de sa « réconciliation » avec Trump après la libération du pasteur américain Andrew Brunson, leur fera payer à un prix conséquent. En refusant de fustiger le royaume, l’Iran, de son côté, fait un geste à son égard dont il escompte quelques dividendes. Trump, qui veut sauver les contrats d’armement, a dépêché Pompeo dans le royaume et travaille avec Ankara à organiser un compromis qui sauverait la face des Séoudiens : MBS ne serait pas mis en cause mais des responsables plus subalternes serviraient d’alibis et de « fusibles » (un interrogatoire qui a mal tourné…). On ne sait si une crise plus grave sera évitée, mais le paysage régional en est affecté. Un premier gagnant : le président turc. Le Qatar a profité de ces circonstances pour déposer une plainte contre l’Arabie séoudite devant l’OMC, et lui réclamer la libération de quatre détenus qataris. Cette situation demeure très fluide, aux contours encore imprévisibles.


Date de mise en ligne : 07/12/2018

https://doi.org/10.3917/lcdlo.132.0007

Notes

  • [1]
    Pour une vision « académique » arabe, voir : Awad Al Badi, « Saudi-Iranian Relations : À troubled Trajectory », in G. Bahgat et al. (dir.), Security and Bilateral Issues between Iran and its Arab Neighbours, DOI 10 ; 1007/978, King Faisal Center for Research and Islamic Studies, Saudi Arabia, 2017. Pour une synthèse documentaire rapide, voir : « Iran– Saudi Arabia proxy conflict », Wikipedia (consulté le 22 mars 2018).
  • [2]
    Le vieux schéma de l’antagonisme sunnite/chiite, avec ses clichés (croissant / arc chiite…) dissimule trop souvent des ressorts au moins aussi importants (si ce n’est plus) de la conflictualité irano-séoudienne. Pour une évaluation de la portée de ce facteur dans la conflictualité régionale, voir l’excellente analyse de Laurence Louër, « Dynamique des relations entre sunnites et chiites », Moyen-Orient n°38, avril-juin 2018. La lutte pour la suprématie ou pour plus d’influence (balance of power), ainsi que l’importance des fissures (factionnalismes) internes, sont des pistes fécondes pour mieux comprendre ces processus qui s’insèrent dans un paysage de dislocation à l’échelle régionale, à l’intérieur-même de la sphère sunnite. L’héritage du « printemps arabe » pèse durablement. Voir Mohammad Ayatollahi Tabaar, « Iran-Saudi Relations : Factional Politics All The Way Down, Policy Roundtable 2-4 : The Saudi-Iranian Cold War », The International Security Studies Forum, 20 février 2018. Voir aussi la remarquable mise en perspective de Vali Nasr dans « Bitter Rivals : Iran and Saudi Arabia, The Frontline Interview », PBS, 20 février 2018. L’héritage perturbateur des interventions étrangères en Irak et en Libye a aussi contribué à l’hostilité des deux champions : Banafsheh Keynoush, Saudi Arabia and Iran – Friends or Foes ? Palgrave, Macmillan, 2016, p. 2.
  • [3]
    Sabrina Mervin a dissipé le mythe du « croissant chiite » : « Il n’y a ni croissant, ni arc susceptible de constituer un bloc homogène conforme aux directives de la République islamique d’Iran, mais un ensemble disparate de zones… » (S. Mervin [dir], Les mondes chiites et l’Iran, Karthala-IFPO, 2007, p. 9). Comme le notent Jean-Baptiste Bégat et Pierre Ramon, « Si la politique étrangère iranienne ne peut pas s’expliquer par une logique chiite, Téhéran utilise en revanche l’argument chiite pour justifier sa politique auprès des iraniens, et pour réaffirmer l’identité chiite du pays » (« Opposition Iran chiite/Arabie séoudite sunnite. Des discours à la réalité », Diplomatie, n°91, mars-avril 2018). Les Séoudiens accusent donc l’Iran d’expansionnisme sectaire mu par une volonté chiite de conquête. À son tour, le chiisme fait office d’épouvantail brandi par les Séoudiens, à l’image de MBS : « Nous avons le régime iranien qui veut étendre son idéologie chiite extrémiste. Ils [les Iraniens] croient que s’ils le répandent, l’imam caché reviendra et régnera sur le monde entier… » (« Saudi Crown Prince : Iran Supreme Leader Makes Hitler look Good », The Atlantic, 2 avril 2018).
  • [4]
    Farideh Farhi, Iranian Power Projection Strategy and Goals, Center for Strategic & International Studies, avril 2017
  • [5]
    Voir dans ce numéro l’article de Sébastien Boussois : « Un an après le début de la crise du Golfe, la résilience du Qatar a payé »
  • [6]
    Dina Esfandiary, No Country for Oversimplification, The Century Foundation, 24 janvier 2018.
  • [7]
    Golnaz Esfandiari, « The Mystery Behind The Saudi Embassy Attack In Iran », RFE/R L, 6 janvier 2016.
  • [8]
    Voir l’excellente analyse de Jirajoj Mamadkul : « Saudi Arabia-Iran’s Foreign Policy Crisis : A Case Study of Execution of Saudi Shia Cleric Shaikh Nimr al-Nimr », RJSH Vol 4, n°1, Rangsit University, Pathumthani, Thaïlande, janvier-juin 2017.
  • [9]
    James Dorsey, « Covert wars : Iran and Saudi revisit their strategies », Modern Diplomacy, 6 janvier 2018.
  • [10]
    Jamal Khashoggi, « Why Saudi Arabia’s crown prince should be worried about Iran’s protest », The Washington Post, 3 janvier 2018.
  • [11]
    Une appréciation qui ne fait que se consolider depuis plusieurs années : Power Struggle in The Gulf : An Assessment of the Saudi Threat Perception Towards Iran’s Nuclear Program, IFAIR, 25 mars 2012.
  • [12]
    Notamment Ali Velayati (conseiller diplomatique du Guide) et Ali Younesi (conseiller de Rohani pour les minorités). Voir : de l’auteur, « Les relations entre l’Iran et l’Arabie séoudite à l’heure des choix, (1re partie) », Les Clés du Moyen-Orient, 19 mars 2015. D’autres exemples sont relevés dans : Mehdi Khalaji, « Yemen War Heats Up Iran’s Anti-Saudi Rhetoric », Policy Watch N°2423, The Washington Institute for Near East Policy, 18 mai 2015. Ali Saidi, délégué du Guide auprès des Gardiens de la Révolution, s’était déjà distingué en déclarant que l’influence stratégique de l’Iran s’étendait sur tout le continent ; voir : « Khamenei ally is accusing Iran’s liberal enemies of delaying the Mahdi’s appearance », Al Arabiya, 21 avril 2017. Selon Michael Rubin, les ambitions « impériales » de l’Iran sont mises en œuvre par une panoplie d’outils qui incluent non seulement des organisations comme le Hezbollah, des entreprises contrôlées par les Gardiens de la Révolution, mais aussi toute une gamme de structures de soft power, dont diverses organisations « charitables », culturelles, religieuses : « Strategies Underlying Iranian Soft Power », American Enterprise Institute, 7 mars 2017. Ces discours (parfois tirés de leur contexte ou réinterprétés), et ces politiques nourrissent commodément la phobie séoudienne à l’encontre de l’Iran et contrarient les tentatives de détente du gouvernement Rohani, dont Riyad conteste la crédibilité.
  • [13]
    Norman Cigar, Saudi Arabia and Nuclear Weapons : How Do Countries Think About the Bomb ?, New York, Routledge, 2016, pp. 7 et s.
  • [14]
    Mais les jeunes générations séoudiennes ont regardé avec sympathie les jeunes manifestants iraniens, dont elles partagent l’aversion pour le clergé et le carcan moral (Thomas L. Friedman, « Iranian and Saudi Youths Try to Bury 1979 », The New York Times, 9 janvier 2018.
  • [15]
    Emma Ashford, « The Saudi-Iranian Cold War », Cato Institute, 20 février 2018.
  • [16]
    « Iran ready to resume ties with Saudi Arabia under conditions », Trend, 23 janvier 2017.
  • [17]
    « Hezbollah Urges Riyadh-Tehran Dialogue », Iranian Financial Tribune, 27 mai 2017.
  • [18]
    Kingdom of Saudi Arabia Ministry of Foreign Affairs. The Ministry, Minister of Foreign Affairs Press Conferences, Remarks of Foreign Minister Adel Al Jubeir, Munich Security Conference, Munich, 19 février 2017.
  • [19]
    « China hopeful Saudi and Iran can resolve problems », Tehran Times, 9 mars 2017 ; « Iran welcomes Beijing proposal for mediation between Tehran Riyadh », IRNA, 10 mars 2017 ; « Riyadh rejected the Beijing mediation », Iranian Diplomacy, 10 mars 2017 (traduit du farsi).
  • [20]
    « Saudi Arabia’s Defense Minister Says Dialogue With Iran Impossible », The New York Times, 2 mai 2017.
  • [21]
    « Rise of new Saudi crown prince stirs serious concerns in Iran », Al-Monitor, 11 juillet 2017.
  • [22]
    « Saudi crown prince calls for Iraqi mediation with Tehran : minister », Tehran Times, 13 août 2017.
  • [23]
    « Leader’s Top Aide : Iran Welcomes S. Arabia’s Change of Behaviour », FNA, 21 août 2017. Kamal Kharrazi, chef du think tank Iran’s Strategic Council on Foreign Relations, et lui aussi conseiller du Guide, avait répété que l’Iran était ouvert au dialogue (« Iran open to dialogue, says top diplomat », France 24, 21 juillet 2017).
  • [24]
    « Official source : the Kingdom did not request any mediation with the Republic of Iran », SPA, 16 août 2017.
  • [25]
    Mehdi Kalaji, « Ideology Outweight Diplomacy in Iran’s Haji Decision », Policy Watch 2853, The Washington Institute for Near East Policy, 28 août 2017.
  • [26]
    « Saudi says Iranian talk of rapprochement is laughable », Reuters, 5 septembre 2017.
  • [27]
    Hossein Alizadeh, « What does Switzerland Have to do With Iran-Saudi Relations ? » IranWire, 30 octobre 2017.
  • [28]
    « Russia says ready to mediate between S. Arabia and Iran », Tehran Times, 12 octobre 2017.
  • [29]
    « A glimpse of a Crown Prince’s Dream ? Saudi Arabia Invades Iran in CGI », The New York Times, 20 mars 2018.
  • [30]
    Et peut-être ceux des investisseurs étrangers. Voir l’intéressante position de la COFACE qui parle de « risque systémique » à propos de l’Arabie séoudite : Julien Marcilly, « La Chine et l’Arabie séoudite, deux pays pouvant avoir un impact systémique », Le Figaro, 23 janvier 2018.
  • [31]
    Ce facteur souvent ignoré est l’une des facettes de la rivalité et des tensions entre Téhéran et l’Arabie séoudite, dont la manne pourrait à terme ne plus suffire à nourrir sa prospérité. D’où ses plans en cours d’urgente diversification vers les énergies renouvelables. L’Iran et le Qatar, riches en gaz, sont donc des cibles sensibles pour les convoitises séoudiennes (James Dorsey, « Natural Gas : An Underrated driver of Saudi hostility towards Iran and Qatar, The Turbulent World of Middle East Soccer Blog, 27 mars 2018). Le soutien financier séoudien au projet de gazoduc TAPI inquiète les experts iraniens, qui redoutent qu’il ne permette au Pakistan (et peut-être l’Inde, d’où le très délicat package de négociations entre New Delhi et Téhéran) de ne plus avoir besoin du gaz iranien, privant Téhéran d’un important marché : « Supporting TAPI Saudi Arabia tries to decrease Iran’s regional role : Expert », Tehran Times, 28 février 2018. Malgré leur antagonisme, Riyad et Téhéran savent qu’un conflit ouvert, avec blocage du détroit d’Ormuz, porterait un coup sérieux à leur économie : les deux rivaux essaieront d’éviter d’en arriver là (entretien avec Philippe Copinschi, « Pétrole : deux visions antagonistes pour un marché mondialisé », Moyen-Orient, n°38, avril-juin 2018.
  • [32]
    Paradoxalement, alors que les Séoudiens dénoncent les menaces et les appétits militaires iraniens, MBS reconnaît la modestie de l’armée iranienne et la modicité de ladite menace : « They’re the cause of problems in the Middle East, but they are not a big threat to Saudi Arabia. But if you don’t watch it, it could turn into a threat ». Beaucoup de bruit pour rien ? Il ajoute : « They are not among the top five armies in the Middle East. So they are far away ». Il lâche un aveu autrement plus significatif : « And they’ve seen that every day from’79 to today, that they are spreading their ideology » (« Crown Prince Mohammed bin Salman Interview », Time, 5 avril 2018. Autrement dit, contrairement au discours séoudien dominant, c’est bien le risque de déstabilisation interne du régime, avec l’exemple de la révolution de 1979, qui hante les dirigeants du royaume, sans oublier l’héritage du Printemps arabe.
  • [33]
    « Haley’s “Smoking Gun” on Iran Met with Skepticism at UN », Foreign Policy, 14 décembre 2017. Le rapport des experts de l’Onu a effectivement mis en lumière des éléments fabriqués en Iran.
  • [34]
    « Interview : Saudi Arabia welcomes push for U.N. action against Iran on missiles », Reuters, 18 février 2018.
  • [35]
    M. K Bhadrakumar, « What the Russian Veto on Yemeni war signifies », AsiaTimes Online, 1er mars 2018. Que Moscou ne veuille pas laisser Washington isoler l’Iran est à la fois un avertissement et un précédent.
  • [36]
    « Pakistani Troops To Play Advisory Role In Saudi Arabia : Prime Minister Shahid Khaqan Abbasi », Urdu Point, 20 février 2018 ; « Pakistan’Saudi deployment risks entanglement in Yemen », Asia TimesOnline, 18 février 2018 ; « Pakistan Deploys 1,000 Troops to Saudi Arabia amid Yemen War : Reasons, Consequences », Alwaght, 21 février 2018.
  • [37]
    « Pakistani troops in Saudi for “internal security”- minister », Dawn, 9 mars 2018.
  • [38]
    Notamment Henry Sokolski, « Keeping the Middle East from Becoming a Nuclear Wild Wild West », Testimony before a hearing of The House of Foreign Affairs Subcommittee on the Middle East and North Africa, 21 mars 2018 ; Joe Cirincione, « Trump Silence on a Saudi Nuclear Bomb », LobeLog, 30 mars 2018 ; « The Risks of Nuclear Cooperation with Saudi Arabia and the Role of Congress, ISSUE BRIEF, Vol 10, n°4, 5 avril 2018, Arms Control Association.
  • [39]
    « Saudi Prince’s Nuclear Bomb Comment may Scuttle Nuclear Deal », Bloomberg, 21 mars 2018 ; « U.S. Must Hold Saudis to Gold Standard in Any Nuclear Cooperation Agreement, Says Ros-Lehtinen, House Rep. », Ilana Ros-Lehtinen website, 21 mars 2018.
  • [40]
    « Netanyahu said to ask Trump not to sell Saudis nuclear reactors », Times of Israel, 9 mars 2018 ; Trump and Saudis engaged in nuclear talks », The Jerusalem Post, 21 mars 2018 ; « The Saudi Nuclear Program : Here’s What Should Worry Israel and Trump », Haaretz, 26 mars 2018.
  • [41]
    « Saudi Arms Buyers Won a $3.5 Billion Discount From the Pentagon », Bloomberg, 21 mars 2018.
  • [42]
    Lors de la Conférence de Munich sur la sécurité en février 2018, Al Jubeir a revendiqué le droit à un programme nucléaire, alors que Riyad négocie un accord en ce sens avec des entreprises américaines. Aux yeux du royaume, seul un durcissement de l’accord nucléaire avec l’Iran pourrait éventuellement freiner cette initiative (« Saudis Reportedly Seek Parity With Iran In nuclear Power Deal With U.S. », RFE /RL, 27 février 2018 ; « Saudi Arabia does not want to acquire any nuclear bomb, but without a doubt, we will follow suit as soon as possible”, Saudi Arabia‘s Heir To The Throne Talks to 60 Minutes », CBS News, 19 mars 2018.
  • [43]
    « Crown Prince bin Salman interview », op. cit.
  • [44]
    « Israel, Saudi Arabia have common enemy, areas of cooperation : Bin Salman », PressTV (média iranien), 5 avril 2018.
  • [45]
    Caroline B. Glick, « Our fair weathered Saudi friend », The Jerusalem Post, 4 avril 2018.
  • [46]
    « J’ai l’honneur de vous soumettre le projet de plan pour établir des relations entre le royaume et l’État d’Israël, basé sur un accord de partenariat stratégique avec les États-Unis d’Amérique qui a été discuté avec le secrétaire d’État », cité dans : « Leaked : Saudis have “plans” for official ties with Israel », PressTV, 15 novembre 2017.
  • [47]
    Philip Giraldi, « Saudi Arabia and Israël know they cannot Defeat Iran, Want to Drag US into an Uncontainable War », American Herald Tribune, 13 novembre 2017.
  • [48]
    Okaz, 14 mars 2018, cité dans Saudi Dailies : « U.S. State Department Reshuffle Is A Positive Move, Will Lead To More Pressure On Iran », MEMRI Special Dispatch n° 7386, 15 mars 2018.
  • [49]
    « Saudi Prince to Stress Shared Goals Involving Iran in US Visit », RFE/RL, 20 mars 2018.
  • [50]
    « Saudi Crown Prince, on U.S. Visit, Urges Tough Line on Iran », The New York Times, 27 mars 2018.
  • [51]
    Pour un florilège des positions de Bolton : « John Bolton on Iran », The Iran Primer, 22 mars 2018 ; « Bolton says his past comments are now behind him as he gears up for White House role », CNN, 23 mars 2018.
  • [52]
    Daniel Larison, « Bolton and the Noxious U.S.-Saudi Relationship », The American Conservative, 27 mars 2018.
  • [53]
    P. Giraldi, op. cit.
  • [54]
  • [55]
    Une hypothèse analysée par Sylvain Cypel, « Demain, une guerre entre Israël et l’Iran ? Analyse des enjeux vus du côté israélien », Orient XXI, 26 février 2018.
  • [56]
    Un scénario également envisagé par Madawi Al Rasheed : « La dernière carte de l’Arabie séoudite au Liban : se servir d’Israël pour frapper le Hezbollah », Middle East Eye, 14 novembre 2017.
  • [57]
    Pour une mise en garde, voir Mitchell Plitnik, « Avoiding Another Mistake in Lebanon », LobeLog, 22 mars 2018. Les néoconservateurs américains poussent l’administration à suspendre son aide au gouvernement libanais, accusant Hariri de couvrir la mainmise du Hezbollah.
  • [58]
    Le tonitruant ayatollah Ahmad Khatami a menacé de raser des villes israéliennes si le Hezbollah était attaqué (« Iran Cleric Warns Israel’s Cities to be Flattened if Hezbollah Attacked », Tasnim News, 7 avril 2018 ; ce type de menace apocalyptique rituel se retrouve aussi chez les Gardiens de la Révolution).
  • [59]
    Franklin Lamb, « Despite Claims, Israel-Hezbollah War is Unlikely », Counterpunch, 23 mars 2018.
  • [60]
    Aurélie Daher, « Lebanon : Saad Hariri’s Impossible Choice », LobeLog, 5 mars 2018.
  • [61]
    Ne se sentant pas en position de force pour prendre seule des initiatives frontales dures contre le Hezbollah, l’Arabie séoudite semble avoir tactiquement décidé de composer avec Saad Hariri, invité à dialoguer à Riyad le 26 février 2018. Il s’agit provisoirement de contrer le Hezbollah davantage sur le terrain de jeu des factions libanaises, ce qui n’exclut pas, à terme, d’autres voies quand le rapport de forces sera plus favorable. En attendant, le royaume veut conforter son influence au Liban : « Why Hezbollah is anxious about Saudi Arabia’s comeback in Lebanon », The Arab Weekly, 11 mars 2018 ; Raghida Dergham, « Curbing and containing Hezbollah is a key focus », The National, 7 avril 2018.
  • [62]
    « L’Arabie séoudite tente un replâtrage de ses relations avec le Liban », L’Orient-Le Jour, 28 février 2018 ; Margherita Stancati & Nazih Osseiran, « Saudis Mend Ties With Lebanon Leader After Resignation Saga », The Wall Street Journal, 28 février 2018. Le président libanais déclarait le 23 mars : « Les relations sont revenues à la normale et il n’y a rien qui puisse les altérer », L’Orient-Le Jour, 23 mars 2018.
  • [63]
    Eldar Mamedov, « Will EU Blacklist All of Hezbollah ? », Lobelog, 9 mars 2018. Tous les États-membres ne sont pas opposés à cette « désignation » : l’Allemagne y est la plus hostile, notamment en raison de ses contacts secrets : « US urges, Germany resists putting Hezbollah ban at heart of Iran’s nuclear deal », Al-Arabiya, 23 mars 2018.
  • [64]
    « Shiite Lebanese Scholar Muhammad Ali Al Husseini Calls to Revoke Nasrallah’s Citizenship », Memri Clip, 13 mars 2018.
  • [65]
    Voir notre analyse : « L’Iran entre deux orages : attentats à Téhéran et crise du Qatar », Les Clés du Moyen-Orient, 1re partie, 8 août 2017, 2è partie 17 août 2017.
  • [66]
    « Saudi-led boycotters stick to steep demands for Qatar : Report », PressTV, 13 avril 2018.
  • [67]
    « Saudi Arabia threatens to turn Qatar into an Island by digging a canal along its only land border as relations hit new low », Associated Press repris par The Daily Mail, 9 avril 2018.
  • [68]
    The New Arab, 14 octobre 2017.
  • [69]
    Andreas Krieg, « Comment les Émirats se sont unis à l’AIPAC pour s’emparer de Washington », Middle East Eye, 13 mars 2018.
  • [70]
    « How 2 Gulf Monarchies Sought to Influence the White House », The New York Times, 21 mars 2018.
  • [71]
    Youssef Al Otaiba, speaker, dans le débat « The Middle East at an Inflection Point » (discussion and Q&A Segments), Center for Strategic and International Studies, Washington, 29 janvier 2018.
  • [72]
    Sur la dégradation des relations bilatérales et le rôle de ce contentieux, voir, de l’auteur (dir.), L’Iran et les grands acteurs régionaux et globaux, L’Harmattan, 2012, pp. 55 et s.
  • [73]
    William Guéraiche, « The UAE and Iran : The Different Layers of a Complex Security Issue », in S. Akbarzadeh & D. Conduit (ed.), Iran in the World, New York, Palgrave Macmillan, 2016 pp. 75 & s.
  • [74]
    « UAE not seen a Major Trade Partner for Post-sanction Iran », Tehran Times, 9 janvier 2018.
  • [75]
    Voir Anne Gadel et Mourad El-Bouanani, « MBZ/MBS, deux hommes pressés ébranlent le Golfe », Orient XXI, 9 avril 2018.
  • [76]
    « UAE announces new Saudi Alliance that could Reshape Gulf Relations », The Guardian, 5 décembre 2017.
  • [77]
    « Sheikh Khalifa forms joint military alliance between UAE and Saudi Arabia », The National, 5 décembre 2017.
  • [78]
    Andreas Krieg, « L’axe séoudo-émirati uni contre l’unité du Golfe », Middle East Eye, 12 décembre 2017.
  • [79]
    Samuel Ramani, « The Saudi-UAE Alliance could be Weaker than it Appears », The National Interest, 11 décembre 2017.
  • [80]
    Un diagnostic partagé par plusieurs experts comme Neil Partrick, « The UAE’s War Aims in Yemen », Sada, Carnegie Endowment For International Peace, 24 octobre 2017 ; Christian Coates Ulrichsen, « Endgames for Saudi Arabia and the United Arab Émirates in Yemen », POMEPS Studies, n°29, janvier 2018 ; « How the UAE put Aden under the control of the militias », MEE, 1er février 2018 ; « Why Riyad will toe line with UAE in Yemen », MEE, 2 février 2017 ; « Analysis : Saudi Arabia plays puppet master as Yemen slowly breaks apart », MEE, 2 février 2018 ; « Abu Dhabi’s quest for an eight Emirate in Yemen », MEE, 18 février 2018. Les Émirats veulent disposer de plus de ports (Carmelo Cruz, « The UAE’s Role in Yemen », International Policy Digest, 20 mars 2018).
  • [81]
    « Saudi forces clash with UAE militia overpower in Yemen », Tehran Times, 5 février 2018.
  • [82]
    « Saudi movements to establish three military bases in Yemen », Al-Khaleej Online cité par mideastwire.com, 12 avril 2018.
  • [83]
    Une dimension à ne pas perdre de vue, au-delà du seul terrain yéménite : Eleonora Ardemagni, « Yemen’s War Reshapes Arab Gulf Armies », MEI, 15 novembre 2017.
  • [84]
    Debalina Goshal, « Houthis Missile Attacks and the Many Influences on Yemen’s Conflict », Terrorism Monitor, 9 mars 2018 ; Farzin Nadimi and Michael Knights, « Iran’s Support to Houthis Air Defenses in Yemen », Policy Watch, Washington Institute for Near East Policy, 4 avril 2018 ; « Saudi Army Base Hit by Yemeni Ballistic Missile in retaliatory Attack », Alwaght, 7 avril 2018.
  • [85]
    « The Frontline Interview : Mohammad Javad Zarif », 20 février 2018.
  • [86]
    « Iran, Britain in Serious Talks to End Yemen Crisis », Fars News, 24 février 2018.
  • [87]
    « Iran’s peace plan still the only solution to Yemen War, Zarif says », Tehran Times, 28 février 2018.
  • [88]
    Mohammad Hassan Al Qadhi, « The Iranian Role in Yemen and its Implications on the Regional Security », Arab Gulf Centre for Iranian Studies (AGCIS), 11 décembre 2017.
  • [89]
    James Mattis, secrétaire d’État américain à la Défense, a essayé de convaincre MBS en ce sens (« Pentagon chief presses for end to Yemen war in meeting with Saudi prince », Al Monitor, 22 mars 2018.
  • [90]
    « Trump, Saudi Prince Assail Iran Over Support For Yemeni Rebels », RFE/RL, 21 mars 2018.
  • [91]
    Riyad chercherait à entamer des discussions exploratoires pour sortir de ce guêpier : « Saudis in secret talks with Houthis to end Yemen’s war », Al Jazeera, 16 mars 2018. Le mouvement Ansarullah a par la suite démenti ces rumeurs de négociations (Tasnim, 16 mars 2018).
  • [92]
    « Saudi Arabia is stuck in Yemen quagmire, Iran says », Tehran Times, 12 mars 2018.
  • [93]
    « Saudi Arabia and UAE pledge nearly $1bn in aid for Yemen at UN conference », The Guardian, 3 avril 2018.
  • [94]
    « Saudi-led Coalition Accuses Iran of Supplying Huthi Missiles That Hit Riyadh », RFE/RL, 27 mars 2018.
  • [95]
    « Iran denies Supplying Missiles Used By Yemeni Rebels To Strike Saudi Arabia », RFE/RL, 28 mars 2018.
  • [96]
    « UN Condemns Missile Attacks By Iran-Allied Yemeni Rebels On Saudi Arabia », RFE/RL, 29 mars 2018.
  • [97]
    « Haji pilgrimage : more than 700 dead in crush near Mecca », The Guardian, 24 septembre 2015.
  • [98]
    « Khamenei calls for ending Saudi Arabia’s control over Haji », Dawn, 5 septembre 2016.
  • [99]
    « Saudi top cleric says Iranians “not Muslims” », Al Monitor, 6 septembre 2016.
  • [100]
    Laura Hartmann, « Saudi Arabia as a Regional Actor : Threat Perception and Balancing at Home and Abroad », SciencesPo Kuwait Program, 25 avril 2016.
  • [101]
    Bilal Y. Saab, « Iran’s Long Game in Bahrein », Issue Brief, Atlantic Council, décembre 2017 ; Michael Knights & Matthew Levitt, « The Evolution of Shi’a Insurgency in Bahrain », CTC Sentinel, janvier 2018 (ces deux auteurs néoconservateurs ont tendance à exagérer les ingérences iraniennes).
  • [102]
    En dépit de déclarations tonitruantes d’ultras iraniens comme le directeur du média Kayhan : « Bahreïn appartient à l’Iran » ; Kayhan’editor Shariatmadari, « Close To Khamenei : Bahrain Belongs to Iran ; The Region is under Iranian Control Today », MEMRI Special Dispatch n° 7379, 12 mars 2018.
  • [103]
    De l’auteur, « Iran-Arabie séoudite, quel dialogue après l’accord nucléaire ? », Orients stratégiques, n° 3, 2016.
  • [104]
    Mohammed Ali Al Houthi, président du conseil suprême d’Ansarullah, prend un malin plaisir à lancer sur France 24 que, si l’Iran lui avait réellement fourni le matériel et l’assistance nécessaires, il aurait conquis Riyad (Al Awaght, 31 mars 2018).
  • [105]
    « Dialogue with Iran is Impossible, Saudi Arabia’s Defense Minister », The New York Times, 2 mai 2017.
  • [106]
    Le ministre iranien de la Défense, Hossein Dehghan, réplique qu’en cas d’attaque sur son sol, l’Iran détruira l’Arabie séoudite, sauf La Mecque et Médine (« Iran Threatens to Destroy Saudi Arabia if Provoked », MEI, 8 mai 2017. Les menaces de destruction totale ne sont pas rares chez les Gardiens quand il s’agir d’avertir des « ennemis » comme Riyad ou Israël.
  • [107]
    De l’auteur, « L’Iran entre deux orages : Attentats à Téhéran et crise du Qatar, 1re partie », Les Clés du Moyen-Orient, 7 août 2017 ; « Iran general accuses US & Saudi Arabia of creating ISIS to Overthrow Syria in power grab », Express, 27 novembre 2017 ; « Islamist militants strike heart of Tehran, Iran blames Saudis », Reuters, 27 novembre 2017.
  • [108]
    Statement by the Command of the Coalition to Restore Legitimacy in Yemen 1439/2/17, 2017/11/06) ; « Saudi Arabia accuses Iran of “Act of War against the Kingdom” », Financial Times, 7 novembre 2017.
  • [109]
    Luca Baccarini, « Attaque d’un pétrolier séoudien par des miliciens houthis au large du Yémen : prémices d’un nouveau front sécuritaire ? », Notes de l’IRIS, 12 avril 2018.
  • [110]
    Debalina Ghoshal, « Houthi Missile Attacks and the Many Influences on Yemen’s Conflict », Terrorism Monitor, 9 mars 2018.
  • [111]
    « Saudi Arabia is the Light and Iran is the Darkness, says Foreign Minister », MEE, 24 janvier 2018.
  • [112]
    « Netanyahu : Iran is the greatest threat to the world », Al Jazeera, 18 février 2018.
  • [113]
    Eldar Mamedov, « Does Iran Constitution Promote Export of Islamic Revolution ? », LobeLog, 27 février 2018.
  • [114]
    « Iran handled over al-Qaeda Members », The Guardian, 12 août 2002.
  • [115]
    « Iran, Saudi Arabia in war of words over allegations of aiding al-Qaeda », Al Monitor, 20 mars 2018.
  • [116]
    Thomas Friedman : « Saudi Arabia “Arab Spring” at Last », The New York Times, 23 novembre 2017.
  • [117]
    « Saudi Arabia’s Heir to the throne talks to 60 Minutes », CBS News, 19 mars 2018.
  • [118]
    « Saudi Crown Prince : Iran’s Supreme Leader “Makes Hitler Look Good”, interview par Jeffrey Goldberg », The Atlantic, 2 avril 2018.
  • [119]
    « Saudi Prince warns of war with Iran in 10-15 years », The Nation, 1er avril 2018.
  • [120]
    « Iran says Saudi crown prince making “shameful, ridiculous” remarks », PressTV, 6 avril 2018.
  • [121]
    « US conditions support for Salman’s kingship to Israel normalization : Dissident Prince », ibid.
  • [122]
    « Analysis : Iranians confident Saudi Arabia’s regional role is declining », MEE, 29 août 2016.
  • [123]
    « Iran calls Saudi crown prince “delusional”, “naive” », Tehran Times, 16 mars 2018.
  • [124]
    « How Mohammed bin Salman unites usually divided Iranians », Al Monitor, 29 mars 2018.
  • [125]
    « Saudi Minister doubts that U.S. and Europe can agree on Iran deal », Reuters, 10 avril 2018.
  • [126]
    « Israel envoy, MBS, Rajavi meet in France : sources », Tehran Times, 11 avril 2018.
  • [127]
    « Prince Turki Al Faisal, at the Paris Rally to Free Iran : The Muslim World Supports You Both in Heart and Soul », Asharq al-Awsat, 9 juillet 2016 ; « Leader’s Top Adviser Seeks MKO Meeting in Paris as Political Bankrupts’Gathering », FNA, 13 juillet 2016 ; « Iran summons French Ambassador over dissident meeting in Paris », Reuters, 12 juillet 2016 ; « Zarif : Turki al-Faisal’s presence in MKO gathering shows his inefficiency », ISNA, 13 juillet 2016.
  • [128]
    « Iranian FM decries France green light to MKO activities », PressTV, 1er juillet 2017 ; « Iran Chides France for Hosting MKO meetings », Tasnim News Agency, 2 juillet 2017.
  • [129]
    « Iran Slams France over MEK meeting », Iranian Diplomacy, 2 juillet 2018.
  • [130]
    « Rouhani criticizes Paris ‘support for France-based terrorist organization », PressTV, 3 janvier 2018.
  • [131]
    « Iran Warns Europe Not to Surrender to Trump’s Psychological Warfare », Fars News, 5 mars 2018.
  • [132]
    Transcription de la conférence de presse conjointe, site de l’Élysée, 11 avril 2018.
  • [133]
    « Tehran warns France not to be influenced by bin Salman’s claims, warmongering », PressTV, 12 avril 2018.
  • [134]
    « S. Mousavian, Contrasting Leadership Styles in the Saudi-Iran Conflict », LobeLog, 4 janvier 2018.
  • [135]
    Ali Al Shihabi, « Saudi Arabia’s new doctrine », Al Arabiya, 15 décembre 2017.
  • [136]
    Gregory Gause, « Saudi-Iranian Rapprochement ? The incentives and the obstacles », Brookings articles, 17 mars 2014.
  • [137]
    Historique rappelé par Anthony Cordesman, « Saudi Arabia and Iran », Center for Strategic and International Studies, juin 2001.
  • [138]
    « Analysis : Rafsanjani death effect of Saudi-Iran Ties », Middle East Observer, 15 janvier 2017 ; Aniseh Bassiri Tabrizi, « Iran Post Rafsanjani-Heading Towards Polarization ? Commentary », RUSI, 31 janvier 2017.
  • [139]
    De l’auteur, « Les relations entre l’Iran et l’Arabie séoudite à l’heure des choix, 2e partie », Les Clés du Moyen-Orient, 21 mars 2015.
  • [140]
    « Iranian president : Saudi Arabia is a “friend and brother” », Al Arabiya, 20 septembre 2013.
  • [141]
    Le président ne manque pas de le rappeler : « Iran Says “good relations” possible if Saudi Arabia ends “friendship” with Israel », Pakistan Today, 10 décembre 2017.
  • [142]
    Kayhan Barzegar, « Pourquoi l’Iran veut éviter tout conflit avec l’Arabie séoudite », MEE, 24 octobre 2016.
  • [143]
    « Ending war in Yemen could bring Iran, Saudi Arabia closer », IRNA, 26 février 2018.
  • [144]
    « Tehran to help if Saudis consider political solution to Yemen crisis : Zarif », Tehran Times, 8 avril 2018.
  • [145]
    « Ayatollah Khamenei : For Islamic unity Iran is even ready to reach hostile states », Tehran Times, 16 janvier 2018.
  • [146]
    De l’auteur (dir.), L’Iran et les grands acteurs régionaux et globaux, op. cit. p. 86.
  • [147]
    Dina Esfandiary, « No Country for Oversimplification », The Century Foundation, 24 janvier 2018.
  • [148]
    « Zarif’s speech at the 2nd Tehran Security Conference », Iran Review, 17 janvier 2018.
  • [149]
    Javad Heiran-Nia, « Urgently Needed : A New Security Framework For the Persian Gulf », Iran Review, 6 février 2018.
  • [150]
    Hossein Mousavian, « The Widening Saudi-Iranian Divide », The Cairo Review of Global Affairs, Winter 2018.
  • [151]
    « Iran and Saudi Arabia need a “fresh security architecture” », Deutsche Welle, 18 février 2018.
  • [152]
    « Zarif, Lavrov Call for Gulf Security Dialogue », Iran Primer, 6 mars 2018.
  • [153]
    « Saudi foreign minister rejects Qatari proposal of EU-style security pact », Reuters, 19 février 2018.
  • [154]
    « Iran-proposed security architecture taken seriously », Tehran Times, 21 février 2018.
  • [155]
    « Rouhani says Iran ‘Ready’to Talk to Arab Neighbors », AFP, 28 février 2018.
  • [156]
    « Zarif says Iran will Support Saudi Arabia if it comes under Attack », Radio Farda, 14 mars 2018
  • [157]
    « Saudi FM urges Iran to Stop Supporting terror : We do not need Anyone to Defend us », Asharq al-Awsat, 24 mars 2018.
  • [158]
    International Crisis Group, « Iran’s Priorities in a Turbulent Middle East », Middle East Report n° 184, 13 avril 2018.

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