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Article de revue

Les sources du droit sunnite

Pages 95 à 105

Notes

  • [*]
    Le commandant Anne de Luca est auditeur interne à l’état-major des Armées. Docteur en droit et titulaire d’un master 2 en droit musulman, elle a auparavant dirigé la division Études et rayonnement au CESA (Centre d’études stratégiques aérospatiales, École militaire). Elle a également enseigné à l’université de Perpignan (2000-2005) et à l’École de guerre (2008-2010), et publié notamment dans Air & Space Power Journal, Penser les Ailes françaises et Les Cahiers de l’Orient.
  • [1]
    Loi commune désignant l’ensemble des règles de droit non écrit sanctionnées par la coutume et la jurisprudence des tribunaux, qui constituent la base du droit dans les pays anglophones.
  • [2]
    Le Coran est tenu pour incréé car ne résultant pas d’une inspiration ou d’une rédaction par des témoins privilégiés.
  • [3]
    Le Coran comporte 6219 versets, articulés en 114 chapitres ou sourates.
  • [4]
    Coran, IV/36 et LXX/30. La traduction utilisée pour cet article est celle de Malek Chebel, Fayard, Paris, 2009.
  • [5]
    Coran, IV/34.
  • [6]
    Coran, II/226 ss.
  • [7]
    Coran, IV/7.
  • [8]
    Coran, XVII/33.
  • [9]
    Coran, V/38.
  • [10]
    Coran, XXIV/2.
  • [11]
    D’où le terme de sunnite, désignant la branche de l’islam qui se réclame de cette tradition prophétique.
  • [12]
    Al Boukhârî retient 8000 traditions authentiques.
  • [13]
    De la même racine JHD que le mot jihad, littéralement « effort » (ndlr).
  • [14]
    Pluriel de moujtahid, celui qui se livre à l’ijtihâd, ou l’effort de réflexion personnelle d’interprétation des sciences religieuses (ndlr).
  • [15]
    Coran, II/242, III/7 et 190.
  • [16]
    Nous n’évoquons ici que le cas du sunnisme, principal courant musulman. Dans le chiisme, les jurisconsultes ont toujours poursuivi l’effort personnel d’interprétation dont le débat marque d’ailleurs l’évolution de cette branche de l’islam, notamment en Iran. Les chiites disposent de leurs propres courants juridiques : le ja‘farisme, le zaydisme, l’ismaélisme et enfin la mouvance druze.
  • [17]
    Dans une profession de foi intitulée l’Épître d’Al Qâdir, l’émir fera du hanbalisme le rite officiel de son règne.
  • [18]
    Coran II/159.
  • [19]
    Coran IV/59.
  • [20]
    L’islam prévoit trois types de taxe : la zakat (la dîme du croyant), la jizîah (capitation imposée aux monothéistes non musulmans) et le khâraj (taxe frappant les terres des non musulmans).

1Le droit musulman apparaît comme l’un des principaux modèles juridiques, aux côtés du système romaniste et de la Common Law [1]. Il se singularise par sa dimension révélée, qu’il puise directement du message coranique, et dans le fait qu’il régisse tout autant les obligations religieuses du croyant (‘ibâdât) que les relations de ce dernier avec ses semblables (mou‘âmalât). L’islam compte plus d’un milliard d’adeptes dans le monde : s’ils ne vivent pas tous sous un régime islamique, ils sont tous des sujets du droit musulman, au moins pour ce qui regarde leurs pratiques cultuelles.

2Le système juridique de l’islam a vocation à s’appliquer à tous les croyants. La formalisation de ce droit s’est faite sur la base de multiples sources que l’on peut classer de la manière suivante : en premier lieu, les sources dites sacrées et comprises sous le vocable de charî‘a ; en deuxième lieu, les sources dérivées faisant appel à l’intelligence humaine. Enfin, une troisième catégorie regroupe les sources spontanées.

La charî‘a, ou les sources sacrées

3Souvent utilisé et galvaudé, le terme de charî‘a fait en réalité référence à la voie à suivre selon la loi divine (Coran) et la tradition mohammadienne (sunna) ; elle représente une guidance pour assurer le salut du croyant. Le droit musulman, au sens occidental d’une institution sociale, correspond davantage au fiqh, concept qui renvoie à la connaissance de la charî‘a dans sa dimension juridique et à toute la doctrine élaborée sur cette base.

Le Coran

4Le droit musulman se distingue de la plupart des systèmes juridiques par l’origine révélée dont il se revendique. C’est en effet à partir de 612 que Mohammad reçoit la révélation progressive du Coran, par l’intermédiaire de l’archange Gabriel. En exil à Médine, le Prophète endosse alors non seulement les habits du prédicateur mais également ceux du chef de la communauté musulmane naissante. C’est principalement au cours de cette période médinoise que s’impose la nécessité d’organiser la cité autour des valeurs de la nouvelle religion. Au fil des révélations, le Coran va ainsi contribuer à structurer la société musulmane.

5Par son origine divine et incréée [2], il constitue la matrice du droit musulman et revêt une autorité absolue. Pour autant, ce texte n’est pas en lui-même un manuel de droit et son contenu législatif reste très modeste. On estime ainsi qu’entre 500 et 600 versets – soit un dixième de l’ensemble – auraient une portée normative, dont 228 véritablement juridique [3]. C’est dans le champ de la famille d’une part et celui des sanctions pénales d’autre part, que le message coranique est le plus prescriptif. On trouve ainsi des versets réglementant l’esclavage et reconnaissant notamment le concubinat du maître avec ses esclaves [4], affirmant l’autorité maritale [5] ou encore fixant les conditions de la répudiation ou divorce (talâq) [6]. Dans le domaine successoral, des dispositions précises déterminent la part de chaque ayant-droit [7]. De même les règles pénales apparaissent-elles explicites sur l’autorisation du talion en cas de meurtre [8], le châtiment de la main coupée pour le voleur (sarîk) [9] et la flagellation des fornicateurs [10].

6À un contenu juridique réduit s’ajoute la difficulté de données fragmentaires et disséminées à travers tout le texte, sans qu’une rubrique soit spécifiquement dédiée à ce domaine.

La sunna (tradition)

7Le message coranique n’étant pas exhaustif sur les aspects juridiques, des questions demeuraient en pratique sans réponse. L’exemple du Prophète dans son quotidien est apparu comme un moyen de combler le vide laissé par la révélation. Chacun de ses comportements, ses dires comme ses silences, sont rapportés dans des récits appelés hadîth et dont la compilation forme la tradition prophétique, la sunna[11]. On notera cependant que les ouvrages recensant ces hadîth ne sont pas contemporains de Mohammad. Les premières collections remonteraient à 720 de notre ère. Inévitablement, des textes apocryphes ont commencé à circuler, rendant difficile l’authentification des récits. Ce phénomène a donné lieu à une discipline particulière visant à classer les hadîth en fonction de leur authenticité : ils sont ainsi hiérarchisés en récits à l’authenticité parfaite, bonne, faible ou douteuse. Pour le sunnisme, courant largement majoritaire de l’islam, l’ouvrage qui fait autorité est le recueil d’Al Boukhârî (m. 870) [12].

8La sunna représente une source essentielle du droit musulman : entre 2000 et 3000 hadîth ont donné lieu à l’élaboration d’une norme juridique. Son autorité est quasi semblable à celle du Coran, car elle repose sur la croyance en l’infaillibilité du Prophète : le comportement de ce dernier ne pouvait qu’être conforme à l’inspiration divine et s’assimilait à une révélation implicite.

L’ijtihâd, ou l’effort rationnel

9Même avec le précieux complément de la sunna, le donné révélé ne suffisait pas à constituer un arsenal juridique complet. Aussi le raisonnement humain est-il apparu comme indispensable pour dégager de nouvelles solutions. Cet effort intellectuel, appelé ijtihâd[13], vise à pénétrer le sens intime de la charî‘a afin d’en extraire la règle applicable au cas concret à résoudre. La validité des divers procédés mis en œuvre dans le cadre de l’ijtihâd est toujours subordonnée aux sources sacrées avec lesquelles ils ne doivent pas être en opposition.

Les procédés de l’ijtihâd

10L’expression « droit musulman » ne doit pas occulter la diversité qui existe dans l’approche du message coranique et de ses interprétations : la summa divisio entre chiites et sunnites en est un exemple. Dans les premiers temps de l’islam, la controverse doctrinale au sein même du sunnisme n’était pas combattue ; bien au contraire, l’époque classique (VIIe-XIe siècles) a vu se développer une abondante littérature juridique. L’étendue de l’empire musulman, la mosaïque de peuples embrassant l’islam et l’absence de clergé rendaient inévitables ces différences de lecture et de compréhension. Sur la base du raisonnement, les juristes ont recours à plusieurs méthodes pour parvenir à dégager une solution à un problème juridique. Parmi ces procédés, les plus répandus sont l’ijmâ‘ et le qîyâs.

L’ijmâ‘ (consensus)

11Il s’agit du consensus réputé infaillible des moujtahidine[14], à savoir les théologiens juristes les plus érudits d’une même génération, sur une question donnée. Son autorité repose sur cette parole du Prophète qui aurait déclaré : « Ma communauté ne s’accordera jamais sur une erreur ». L’ijmâ‘ autorise une certaine souplesse, puisqu’un accord donné peut se voir remplacer par un autre, de la même génération ou de la suivante. Cette nature révocable de l’ijmâ‘ conduit donc à lui reconnaître une autorité légèrement inférieure à celles des sources sacrées. Pour autant, on retiendra que ce procédé remplit une fonction essentielle dans l’interprétation du Coran et de la sunna : quelle que soit la lisibilité et l’évidence d’un verset ou d’une tradition, c’est bien l’ijmâ‘ qui en consacrera la valeur juridique. C’est principalement cette source qui a conféré aux juristes leur place et leur autorité dans l’élaboration du droit musulman. L’ijmâ‘ aura en particulier une vertu assimilatrice, en validant des pratiques d’origines étrangères pour les intégrer au fiqh.

Le qîyâs (analogie)

12Traditionnellement reconnu comme la quatrième source du droit musulman après le Coran et la sunna, le qîyâs, ou raisonnement par analogie, consiste à étendre à d’autres situations semblables les solutions dégagées par le Coran, la sunna ou l’ijmâ‘. Pour ce faire, le cas non expressément prévu doit s’appuyer sur un motif identique à celui auquel s’adosse la règle initiale. À titre d’exemple, l’ijmâ‘ impose de recourir à un tuteur pour gérer les biens d’un mineur : on admettra par analogie que la gestion des biens du dément doit également être confiée à un tuteur, sur le motif commun de l’incapacité. Reposant largement sur le raisonnement, le qîyâs apparaît comme un expédient et ne jouit donc pas de la même légitimité que les sources primitives. Son autorité n’en demeure pas moins réelle et repose sur plusieurs passages coraniques incitant l’homme à user de son intelligence [15].

La structuration de l’ijtihâd en écoles doctrinales

13Afin de préserver l’unité de la communauté et l’essence de la révélation, la réflexion doctrinale a retenu dès le VIIIe siècle quatre écoles, ou rites, qui constituent aujourd’hui une orthodoxie de fait sinon de droit [16]. Tout musulman doit en choisir une mais garde la liberté de changer d’école dans la mesure où elles se rattachent toutes au dogme sunnite.

14Première en date, l’école théologico-juridique fondée par l’Irakien Abou Hanîfa (m. 767), qui se retrouve principalement en Jordanie, en Syrie, dans une partie de l’Égypte, et retient la préférence des musulmans non arabes : Turquie, Afghanistan, Pakistan, Bangladesh, Inde, Chine… Le hanafisme représente le courant le plus libéral et le plus progressiste de l’islam ; ses adeptes sont également appelés « gens du raisonnement » car ce rite préconise, pour dégager de nouvelles règles de droit, le recours à la réflexion personnelle. Outre le raisonnement par analogie (qîyâs), Abou Hanifa a en effet privilégié l’opinion personnelle fondée sur la raison (ra’y), dont il est considéré comme le théoricien, ainsi que l’estimation personnelle de la meilleure solution (istihsân). Très critiquée par les autres courants, cette doctrine a notamment été accusée d’être responsable de dérives hérétiques.

15L’école malékite, fondée par le juge médinois Mâlik ibn Anas (m. 795), devenue celle des musulmans du Maghreb, d’Afrique centrale et occidentale, se caractérise par un fort attachement à la coutume juridique (‘ourf) de Médine comme complément au Coran et ne laisse qu’une place réduite au raisonnement. S’il s’appuie essentiellement sur les hadith émanant de la ville sainte, Mâlik a aussi introduit le principe de l’utilité générale, la maslaha, et laissé plusieurs ouvrages, parmi lesquels Risâlah fil Aqdiyah (Traité sur les Jugements).

16L’école chafi‘îte tire son nom d’Al Chafi‘î, né en Palestine en 767, mort en Égypte en 820 et disciple de Mâlik Ibn Anas à Médine. Après avoir été le rite officiel du califat abbasside, il est implanté aujourd’hui en Syrie, en Égypte, et domine en Indonésie, en Malaisie et sur la côte orientale de l’Afrique. Le chafi‘îsme se veut une voie intermédiaire entre les deux précédents rites, entre la tradition et le raisonnement ; son principal apport est d’avoir déterminé avec précision la hiérarchie des sources du droit (ousoûl) : il a recours au raisonnement par analogie (qiyâs) lorsque les trois premières sources – Coran, sunna et ijmâ‘ – sont inopérantes. Alors peuvent également intervenir l’effort de réflexion personnelle (ijtihâd) et l’opinion rationnelle du juge (ra’y).

17Enfin, le dernier rite retenu dans le droit sunnite est celui des hanbalites, rattaché au juriste irakien Ibn Hanbal (780-855). Connu pour son rigorisme, il professe une stricte lecture du Coran et de la sunna et s’érige contre toute forme d’innovation (bid‘a), les écoles rationalistes et les interprétations spéculatives. Ibn Hanbal a inspiré plusieurs théologiens traditionalistes, comme Ibn Taymiyya au XIVe siècle et Mohammad Ibn Abd Al Wahhab – le wahhabisme est devenu au XVIIIe siècle le rite officiel de l’Arabie séoudite, également pratiqué par la majorité des émirats du Golfe persique. Émanation du hanbalisme, ce courant doctrinal se veut encore plus rigoureux, interdisant le mysticisme et le culte des saints, mais aussi de disciplines dénoncées comme inacceptables en islam : philosophie, musique, théâtre, poésie…

18Dès l’origine, l’ijtihâd a ainsi permis de compléter les normes révélées mais aussi de faire évoluer le droit selon les nouveaux besoins de la communauté. Pourtant, ce dispositif a connu un brutal coup d’arrêt au XIe siècle lorsque, pour des motifs principalement politiques, l’émir Al Qâdir (m. 1031) proclame la fermeture de la « Porte de l’Effort » : il met ainsi fin à toute pensée critique et à toute forme d’innovation [17]. Le Coran, la sunna et l’ijmâ‘ des premiers jurisconsultes constituent désormais l’unique référentiel des juristes.

Les sources spontanées

19Cette décision n’empêchera pourtant pas la survivance de sources spontanées, nées de la mise en application du droit. Dérivées des sources sacrées et de l’ijtihâd, elles recouvrent la coutume, la jurisprudence et les décisions prises par les dirigeants pour gouverner.

Le ‘ourf (coutume)

20La coutume est en théorie reléguée à un rôle supplétif au regard des principales sources du droit ; en pratique, cette source vivante a ouvert un large champ de possibilités dont il devint difficile de se priver. D’ailleurs, la tradition prophétique est elle-même une illustration de la coutume médinoise. Sa légitimité repose essentiellement sur le principe de nécessité, en l’absence de toute autre disposition. La doctrine s’accorde toutefois unanimement pour ne pas reconnaître à la coutume la valeur d’une norme légale. Son périmètre demeure par conséquent confiné aux interstices oubliés par les sources majeures : ainsi, en matière pénale, le juge se voit reconnaître un droit de correction discrétionnaire (ta’zir) ; en dehors des crimes de sang et des délits religieux, il peut s’appuyer sur la coutume pour préciser la nature de la peine. Par ailleurs, toute coutume ayant recueilli le consensus de l’ensemble des moujtahidine peut se voir ériger en norme, au titre de l’ijmâ‘. Enfin, il est avéré que des coutumes locales ont perduré même après l’islamisation d’une région : l’observance de ces pratiques juridiques s’est parfois faite en contradiction totale avec les sources établies. Des coutumes locales concurrentielles se rencontrent ainsi en Afrique noire, en Somalie, en Kabylie, en Afghanistan, en Inde…

La jurisprudence

21Dans certains pays, le rôle des juridictions dans la création de normes apparaît très clairement institutionnalisé. Les décisions judiciaires revêtent ainsi une importance particulière au Maroc avec la figure du qadi (juge coranique). De même, en dehors des tribunaux, la pratique de la fatwa constitue-t-elle une forme de survivance de l’ijtihâd : il s’agit d’un avis émis par un jurisconsulte, le mufti, à la suite d’une consultation visant à établir la posture à adopter pour se conformer à la loi musulmane, dans des domaines aussi divers que la culture, la politique, le juridique… L’islam intime aux sachants d’enseigner les autres [18], ce qui légitime par là même le dispositif de la fatwa. Les recueils de fatâwâ (pluriel de fatwa, ndlr) constituent ainsi une littérature foisonnante, enrichissant le corpus du fiqh. Ces consultations ont permis au fil des siècles une adaptation silencieuse de la doctrine à la pratique. Il n’est pas rare que les tribunaux recourent à l’avis d’un mufti pour motiver une décision. Parmi les plus renommés, on citera l’influence du cheikh Mohammad ‘Abduh, mufti d’Égypte entre 1900 et 1905, sur la réforme du droit de la famille.

Le qânûn (réglementation civile)

22En islam, il n’existe qu’un seul et unique législateur, à savoir Dieu lui-même. Dès lors, le souverain ne dispose que d’un pouvoir réglementaire, par ailleurs strictement encadré : il n’a d’autre finalité que d’assurer le respect des principes de la charî‘a, et le cas échéant de pallier son silence. De même, s’il se voit octroyer le pouvoir de sanctionner, c’est bien dans l’idée d’une application scrupuleuse du message coranique. L’autorité du souverain et sa légitimité à édicter des normes reposent sur un verset prescrivant l’obéissance aux gouvernants [19]. Le qânûn porte en général sur les aspects tenant au maintien de l’ordre, au droit public et à l’administration. Ces actes ont force contraignante dans la mesure où ils ne contreviennent pas aux principes fondamentaux de la loi musulmane. La pratique montre pourtant que les souverains ont souvent pris des libertés pour se positionner en législateurs et créer du droit : ainsi, dans le domaine fiscal, le qânûn a-t-il permis de promulguer des taxes en dehors de celles prévues par le fiqh[20]. On soulignera par ailleurs le rôle clé du qânûn dans la codification du droit positif des pays musulmans.

23* * *

24Ce sont aujourd’hui près de quarante pays qui appliquent le droit musulman, de manière partielle ou totale. La construction de ce système juridique s’est faite au terme d’une longue gestation, étroitement liée à l’histoire de l’islam et qui poursuit aujourd’hui encore son évolution. Si le XIe siècle a connu une certaine sclérose de la pensée doctrinale juridique avec la fermeture officielle de la « Porte de l’Effort », le droit musulman conserve des leviers pour se réformer. Cette faculté d’adaptation doit lui permettre de revenir sur un certain nombre de dispositifs archaïques qui le mettent en marge de la modernité. Il ne s’agit pas non plus de disqualifier tout un système dont certains dispositifs, comme les finances islamiques, ont montré une meilleure robustesse aux dernières crises financières que des modèles plus exposés aux aléas de la spéculation.

Pour aller plus loin

  • ALDEEB ABU-SAHLIEH, Sami, Introduction à la société musulmane, Fondements, sources et principes, Paris, Eyrolles, 2006.
  • BLANC, François-Paul, Le droit musulman, Paris, Dalloz, coll. Connaissance du droit, 1995.
  • CHARNAY, Jean-Paul, Esprit du droit musulman, Paris, Dalloz, collection L’esprit du droit, 2008.
  • DUPRET, Baudouin, La Charia. Des sources à la pratique, un concept pluriel, Paris, La Découverte, 2014.
  • WAEL (de), Henri, Le droit musulman, Paris, CHEAM, 1993.

Date de mise en ligne : 15/06/2017

https://doi.org/10.3917/lcdlo.126.0095

Notes

  • [*]
    Le commandant Anne de Luca est auditeur interne à l’état-major des Armées. Docteur en droit et titulaire d’un master 2 en droit musulman, elle a auparavant dirigé la division Études et rayonnement au CESA (Centre d’études stratégiques aérospatiales, École militaire). Elle a également enseigné à l’université de Perpignan (2000-2005) et à l’École de guerre (2008-2010), et publié notamment dans Air & Space Power Journal, Penser les Ailes françaises et Les Cahiers de l’Orient.
  • [1]
    Loi commune désignant l’ensemble des règles de droit non écrit sanctionnées par la coutume et la jurisprudence des tribunaux, qui constituent la base du droit dans les pays anglophones.
  • [2]
    Le Coran est tenu pour incréé car ne résultant pas d’une inspiration ou d’une rédaction par des témoins privilégiés.
  • [3]
    Le Coran comporte 6219 versets, articulés en 114 chapitres ou sourates.
  • [4]
    Coran, IV/36 et LXX/30. La traduction utilisée pour cet article est celle de Malek Chebel, Fayard, Paris, 2009.
  • [5]
    Coran, IV/34.
  • [6]
    Coran, II/226 ss.
  • [7]
    Coran, IV/7.
  • [8]
    Coran, XVII/33.
  • [9]
    Coran, V/38.
  • [10]
    Coran, XXIV/2.
  • [11]
    D’où le terme de sunnite, désignant la branche de l’islam qui se réclame de cette tradition prophétique.
  • [12]
    Al Boukhârî retient 8000 traditions authentiques.
  • [13]
    De la même racine JHD que le mot jihad, littéralement « effort » (ndlr).
  • [14]
    Pluriel de moujtahid, celui qui se livre à l’ijtihâd, ou l’effort de réflexion personnelle d’interprétation des sciences religieuses (ndlr).
  • [15]
    Coran, II/242, III/7 et 190.
  • [16]
    Nous n’évoquons ici que le cas du sunnisme, principal courant musulman. Dans le chiisme, les jurisconsultes ont toujours poursuivi l’effort personnel d’interprétation dont le débat marque d’ailleurs l’évolution de cette branche de l’islam, notamment en Iran. Les chiites disposent de leurs propres courants juridiques : le ja‘farisme, le zaydisme, l’ismaélisme et enfin la mouvance druze.
  • [17]
    Dans une profession de foi intitulée l’Épître d’Al Qâdir, l’émir fera du hanbalisme le rite officiel de son règne.
  • [18]
    Coran II/159.
  • [19]
    Coran IV/59.
  • [20]
    L’islam prévoit trois types de taxe : la zakat (la dîme du croyant), la jizîah (capitation imposée aux monothéistes non musulmans) et le khâraj (taxe frappant les terres des non musulmans).

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