Couverture de LCDLO_102

Article de revue

Le dossier du Sahara occidental

Pages 43 à 57

Notes

  • [*]
    Lucile Martin est collaboratrice aux Cahiers de l’Orient, sur les questions de monde arabe et monde iranien.
  • [1]
    Les provinces concernées sont, Oued Eddahab-Lagouira, Laayoune-Boudour-Sakia al Hamra, et Guelmin-Smara (cette dernière n’ayant qu’une petite partie de son territoire sur celui du Sahara occidental).
  • [2]
    Transmise au Secrétaire général des Nations unies le 10 avril 2007, la « Proposition du Front Polisario pour une solution politique mutuellement acceptable assurant l’autodétermination du peuple du Sahara occidental » est disponible sur le site : http://www.arso.org/PropositionFP100407.htm
  • [3]
    Pour un traitement approfondi de l’articulation entre dimensions nationale et régionale du conflit du Sahara occidental, Khadija Mohsen-finan, Sahara occidental, Les enjeux d’un conflit régional, CNRS Éditions, Paris, 1997.
  • [4]
    Voir Jacob Mundy, « Neutrality or Complicity ? The United States and the 1975 Moroccan Takeover of the Spanish Sahara », Journal of North African Studies 11, no. 3 (Septembre 2006) : 275-306. L’article est également disponible sur le site du Monde Diplomatique, http://mondediplo.com/2006/01/12asahara
  • [5]
    Après le putsch qui renverse Moktar Ould Daddah en Mauritanie, le Front Polisario signe un traité de paix avec Nouakchott le 10 août 1979, qui cède à la RASD sa partie du Sahara occidental.
  • [6]
    Mur qui s’étend sur plus de 2500 km entre les deux « territoires ». Ce mur de défense ou de sécurité a été édifié par les autorités marocaines en six étapes entre 1980 et 1987. Équipé de systèmes de surveillance radar et protégé par des champs de mines, il est surveillé par plus de 90 000 hommes. Il est qualifié de « mur de la honte » par le Polisario.
  • [7]
    Grève de la faim d’Aminatou Haidar qui pousse Ross à demander à ce que la question des droits de l’homme fasse partie des prérogatives de la MINURSO.
  • [8]
    70 % des investissements étrangers directs au Maroc sont français.
  • [9]
    Avec une capacité annuelle de 2,4 millions de tonnes et des réserves de 1,13 milliards de m³, la mine de Boucraa est l’une des plus importantes zones de production de phosphate exploitée par le Maroc, après Khouribga et Gantour.
  • [10]
    Les indépendantistes sahraouis dénoncent cet accord comme illégal dans la mesure où la souveraineté du Maroc sur le littoral sahraoui n’est pas internationalement reconnue.
  • [11]
    Voir « Sahara occidental : le coût du conflit », Crisis Group, Rapport Moyen-Orient/Afrique du Nord N° 65, 11 juin 2007.

1« Conflit oublié » ou « conflit gelé » qui dure depuis 35 ans, le conflit du Sahara occidental oppose depuis 1975 le Front Polisario au Maroc pour le contrôle de l’ancienne colonie espagnole du Sahara occidental. La République arabe démocratique du Sahara, fondée par le Polisario en février 1976 au lendemain du départ des Espagnols, s’appuie sur le droit international et le principe du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, fondement des politiques de l’Organisation de l’Union africaine depuis 1964, afin de légitimer sa souveraineté sur les territoires du Sahara occidental. Le royaume chérifien du Maroc base quant à lui ses revendications sur son « droit historique » à contrôler les « provinces du Sud » [1], qui faisaient partie du « Grand Maroc » historique. Depuis le cessez-le-feu de 1991, les opposants restent figés sur leurs positions, séparés par un « mur de protection », le Brem, le Maroc occupant 80 % du territoire au Nord, et le Polisario les 20 % restants au Sud.

2Depuis la décolonisation, le Sahara occidental n’a donc toujours pas de statut juridique, et malgré la perspective d’un cinquième cycle de négociations directes, la résolution du conflit paraît toujours aussi lointaine. Cette absence de résolution tient tant à des facteurs internes à l’opposition entre Marocains et Sahraouis, qu’à des facteurs géopolitiques, la France, l’Espagne et les États-Unis soutenant à des degrés divers la position marocaine.

3En 1991, les deux protagonistes ont accepté le plan de paix de l’ONU, comprenant un cessez-le-feu et la tenue d’un référendum sur le statut du territoire. Depuis, aucun accord n’a pu être trouvé entre les deux parties. Le Maroc s’oppose en effet au principe d’un processus référendaire basé sur l’autodétermination. Il est soutenu par la France, son principal allié au Conseil de Sécurité des Nations unies, l’Espagne, et plus récemment les États-Unis, qui se sont mis d’accord pour soutenir la proposition faite par le Maroc en 2007 d’octroyer aux Sahraouis un statut d’« autonomie » au sein du royaume chérifien. Fort du soutien de deux membres permanents au Conseil de sécurité, le Maroc refuse de négocier au-delà de sa propre proposition, et ignore la contre-proposition sahraouie, malgré la résolution 1754 adoptée par l’ONU le 30 avril 2007, qui insiste sur la tenue de négociations « sans conditions préalables ». La contre-proposition sahraouie ne rejette pas en bloc l’offre marocaine, mais insiste pour qu’elle soit considérée après les deux options que sont l’indépendance et l’intégration, dans les pourparlers entre les deux parties, s’engageant à fournir au Maroc des avantages sur les plans économique, culturel, humain et sécuritaire. [2]

4Hormis l’incompatibilité des positions respectives, une des raisons de l’enlisement du conflit tient au fait que chacune des parties engagées dans le dossier trouve des avantages dans le statu quo. La monarchie marocaine a fait de la question sahraouie un élément d’unité nationale, et un moyen de contrôle sur les partis politiques et l’armée. Un règlement en sa défaveur serait un ferment de déstabilisation pour la monarchie. La durée du conflit est également un frein à une solution rapide : ni le Polisario, dont le combat dure depuis trente ans, ni les réfugiés du camp de Tindouf en Algérie, ni l’Algérie elle-même, héraut de la cause sahraouie depuis 1976 n’accepteraient un règlement qui leur soit défavorable. Pour le Front Polisario, cela signifierait la fin du mouvement et la nécessité de composer avec les notables qui se sont depuis longtemps rapprochés du Maroc. L’Algérie perdrait quant à elle son plus précieux levier de pression contre le Maroc, et devrait faire face à une véritable défaite idéologique.

5L’enlisement du dossier et le maintien du statu quo ont pourtant des conséquences néfastes tant sur le plan régional, qu’à l’échelle internationale.

6En ce qui concerne la stabilité régionale, le dossier sahraoui a envenimé les relations entre l’Algérie, principal soutien du Front Polisario, et le Maroc qui réclame le territoire qu’il occupe depuis 1975, entraînant une coûteuse course à l’armement. Depuis août 1994, la frontière terrestre entre les deux pays est fermée, avec des conséquences dramatiques sur l’économie des régions frontalières, à l’image de la ville marocaine d’Oujda qui dépendaient du commerce et du tourisme algérien. L’Algérie conditionne notamment la réouverture de la frontière à un règlement du conflit du Sahara occidental.

7La permanence du conflit rend surtout inopérante l’Union du Maghreb Arabe (UMA), organisation économique et politique fondée en février 1989. Cette absence d’intégration régionale a ainsi des répercussions négatives sur l’économie et le développement de la région : le taux d’échanges régionaux entre les États maghrébins est l’un des plus bas du globe : seulement 1,3 % de leurs échanges extérieurs.

8Les tensions intermaghrébines engendrées par le problème du Sahara occidental sont d’autant plus complexes qu’il a d’importantes résonances sur la politique intérieure des États respectifs, étant en Algérie comme au Maroc un sujet de positionnement politique [3].

9À l’échelle internationale, le conflit du Sahara occidental a des répercussions sur les relations entre l’Algérie et la France, qui soutient les revendications du Maroc, et celles de l’Espagne, ancienne puissance coloniale au Sahara occidental avec le Maroc et avec l’Algérie. Il affecte également la politique maghrébine des États-Unis, [4] qui avaient encouragé l’occupation du Sahara occidental par les Marocains lors de la guerre froide.

10Les 10 et 11 février à Armonk, États-Unis, a été tenu un second cycle de pourparlers informels entre Marocains et Sahraouis, sous l’égide de l’ONU et en présence des pays observateurs, la Mauritanie et l’Algérie, comme préliminaire à la cinquième séquence de négociations directes entre les deux parties. Au même titre que les quatre séances de négociations directes tenues depuis 2007 sans résultats, cette dernière rencontre a été un échec, aucune des deux parties n’acceptant de négocier sur les bases proposées par l’autre.

11Un enlisement qui est dû à des considérations strictement régionales d’opposition entre les deux protagonistes, mais aussi à des questions plus larges de géopolitique internationale qui impliquent à divers échelles l’Algérie la France, l’Espagne, les États-Unis et l’ONU. En effet, la France, l’Espagne et les États-Unis sont, à des degrés divers, favorables au principe d’autonomie avancé par le Maroc, qu’ils n’ont pas réussi à imposer puisque le droit international reconnaît aux Sahraouis le droit à l’indépendance s’ils le décidaient lors d’un référendum libre et régulier.

État des lieux

Le déclenchement de la crise

12En Octobre 1975, la Cour Internationale de Justice de la Hague déclarait, suite à une requête du Maroc, que les documents qui luis avaient été fournis par le Royaume chérifien ne démontraient l’existence d’« aucun lien de souveraineté territoriale entre le territoire du Sahara occidental et le royaume du Maroc ou la Mauritanie ». Le 31 octobre, les forces armées marocaines étaient dépêchées au Nord Est du territoire pour contrer une éventuelle contre-invasion algérienne, se confrontant pour la première fois au Front Polisario, mouvement indépendantiste transnational créé en 1973 pour lutter contre l’occupation de Madrid du 14 novembre 1975, qui réunissent la puissance coloniale espagnole, le Maroc et la Mauritanie. Les trois États s’entendent sur une administration tripartite du pouvoir en attendant le départ définitif des Espagnols en février 1976. Le Maroc et la Mauritanie se partagent alors le territoire sahraoui : le royaume chérifien contrôle les deux tiers nord du territoire, la Mauritanie le tiers Sud ; ni Alger ni le Front Polisario exilé en Algérie ne sont consultés.

13Le lendemain du départ espagnol le 28 février 1976, le Front Polisario proclame unilatéralement la République arabe sahraouie démocratique (RASD). Les accords de Madrid sont pour lui une déviation inacceptable du processus de décolonisation qui prévoyait une consultation populaire d’autodétermination à l’issue du retrait espagnol. Avec le soutien de l’Algérie de Boumédiène, et de la Libye de Kadhafi, il entame aussitôt une lutte armée contre les occupants.

14Côté algérien, Boumédiène accorde une aide inconditionnelle au Polisario. Non seulement le soutien à un mouvement de libération nationale est pour lui une question de principe, mais Alger n’avait pas apprécié que l’avenir des territoires sahraouis soit décidé sans qu’on pense à le consulter. La « marche verte » et les mouvements de troupe marocains avaient aussi inquiété les Algériens, qui considéraient l’expansionnisme marocain comme une menace pour ses propres frontières.

15S’agissant du Maroc, l’ampleur prise par la question sahraouie est plus qu’une simple question d’hégémonie dans la région, et relève également de questions de politique intérieure et de consolidation de la légitimité de l’État. En 1976, la monarchie connaissait de grandes difficultés, confrontée à des émeutes, des grèves ouvrières et estudiantines, et des tentatives de coup d’État contre la personne du roi. LE dossier du Sahara occidental lui offre une opportunité réelle pour créer l’union sacrée autour de la monarchie pour la « réunification du royaume » et donner aux militaires un dérivatif politique.

16Dans les premiers temps, la capacité du Front Polisario à dominer militairement le terrain grâce à l’aide reçue de la part de l’Algérie et de la Libye, notamment, et mener une guerre de harcèlement efficace contre la Mauritanie jusqu’au coup d’État de 1978 [5], et surtout contre le Maroc, lui permet de faire valoir ses revendications et donner une autre dimension au conflit. Exposé à de vives critiques concernant sa gestion du conflit, Hassan II change de stratégie de guerre à partir des années 1980. La construction du « Berm » [6] entre 1980 et 1987 et l’expression manifeste de ce changement d’orientation et d’une inversion du rapport de force en faveur du Maroc. La supériorité tactique des guérilleros sahraouis reposait en effet sur leur grande mobilité. Le mur fige les positions et permet notamment au Maroc d’engager, sur le territoire qu’il contrôle, une intégration progressive des « provinces récupérées » à son espace de souveraineté. Dans cette perspective, des projets de développement économique sont engagés dans les trois provinces du Sud, associées à des incitations à la migration pour les Marocains du Nord du pays, et une extension des élections nationales dans les régions concernées. Pour le Front Polisario, il s’agit d’une « annexion » pure et simple des territoires de la RASD.

17Depuis le cessez-le-feu de 1991, le Maroc occupe ainsi 80 % du territoire sahraoui, et le Front Polisario 20 % derrière la longue ceinture de sécurité du « mur marocain ». La ville de Lagouira est sous contrôle mauritanien.

Les positions respectives des parties adverses dans l’état actuel du conflit

18Le Polisario joue la carte du droit international, et insiste sur le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Il s’appuie notamment sur la résolution 1514 (XV) des Nations Unies du 14 décembre 1960 qui consacre le principe de l’autodétermination et de l’indépendance des peuples colonisés, et la résolution 2229 de l’Assemblée générale du 20 décembre 1966 qui la déclare applicable au Sahara occidental, avis confirmé en octobre 1975 par la Cour internationale de justice. Le Polisario demande donc l’application du plan de règlement accepté conjointement avec le Maroc au moment du cessez-le-feu de 1991, qui prévoit l’organisation d’un référendum d’auto-détermination. Il dénonce notamment la manipulation idéologique du conflit par les autorités marocaines pour des raisons de politique interne. Le maintien d’un sentiment de siège et de menace contre la société marocaine permettrait de maintenir un ordre répressif en assimilant toute critique interne à une tentative de division de la nation. Selon le Polisario, le dossier du Sahara occidental est un instrument au service du maintien d’un système inégalitaire au Maroc.

19Le Royaume chérifien du Maroc conteste la base du droit international invoqué dans le dossier du Sahara occidental, qui s’inspire d’une conception occidental du droit comme droit positif, et privilégie le droit à l’autodétermination. Selon le Maroc, le Sahara occidental est historiquement rattaché au royaume chérifien par des liens de vassalité entre certaines tribus sahraouie et les sultans marocains. Des historiens marocains ont ainsi exhumé des documents juridiques, religieux et historiques attestant des liens entre les tribus sahariennes et le trône pour légitimer la position officielle de la monarchie auprès des instances internationales. La question du rattachement du Sahara occidental au sein même de la société marocaine fait l’objet d’un consensus national qui rassemble l’opinion. Politiquement, revenir sur la question de l’autonomie du Sahara occidental présente un risque important pour les hommes politiques. Le Maroc insiste notamment sur le risque de déstabilisation induit par la création d’un État sahraoui dans une région où le djihadisme islamique prend de l’ampleur. Il met en avant la pénétration des réseaux d’Al Qaeda dans la région et leur influence éventuelle auprès des dirigeants du Polisario. C’est un argument qui auquel les États-Unis sont particulièrement sensibles.

Les répercussions sur la situation régionale

Les relations algéro-marocaines et le conflit du Sahara occidental

20Dans les négociations autour du conflit, le royaume du Maroc refuse le dialogue direct avec le Front Polisario. L’Algérie est donc son interlocuteur privilégié sur la question. Or, le dossier du Sahara occidental ne peut se comprendre en dehors de celle du tracé des frontières entre le Maroc et l’Algérie.

21Depuis l’accord de juillet 1961 entre le Gouvernement provisoire de la République algérienne et Hassan II du Maroc, dénoncé par l’Algérie indépendante en 1963, les deux États n’ont pas réussi à se mettre d’accord sur le tracé exact des frontières qui les sépare. Rabat considère ainsi que l’Algérie occupe une partie du territoire marocain et parle de « trahison algérienne ». La « guerre des sables » d’octobre 1963 inaugure ainsi une période de méfiance entre le Maroc et l’Algérie. En 1972, Hassan II et Houari Boumediene signent un traité reprenant le tracé de la délimitation française. L’émergence du conflit du Sahara occidental en 1975 créant un regain de tension entre les deux pays, le traité ne sera finalement ratifié qu’en 1989.

22Le Maroc considère par ailleurs le Polisario comme une marionnette au service d’Alger, un instrument de pression sur son voisin marocain, et un moyen d’obtenir un accès à l’Océan atlantique dans l’éventualité de la mise en place d’un État sahraoui sous contrôle algérien, ce qui permettrait notamment la mise en valeur de l’exploitation des mines de Gara Djebilet, un des plus gros gisements de fer au monde, situé à 130 kilomètres au Sud de Tindouf, en Algérie. Alger aurait donc tout intérêt, non seulement à soutenir les revendications d’indépendance du Polisario, mais aussi à gonfler les chiffres de réfugiés pour faire pression sur la communauté internationale.

23Pour Alger, le soutien au Polisario est avant tout une question de principe et de solidarité avec un peuple victime de la colonisation. La position marocaine et ses arguments fondés sur le droit historique sont perçus comme anachroniques et relevant de l’ultranationalisme. La diplomatie algérienne insiste par ailleurs sur le fait que l’Algérie n’est pas directement impliquée dans le conflit, mais en est une partie intéressée, au même titre que la Mauritanie, par la proximité géographique du conflit et ses répercussions sur les dossiers régionaux en particulier s’agissant de l’Union du Maghreb arabe.

24Après une période de relative modération concernant le dossier sahraoui sous la présidence de Chadli Benjedid dans les années 1980, les gouvernements successifs de Mohammed Boudiaf, du général Zéroual, et d’Abdelaziz Bouteflika renouent avec le nationalisme de Boumediene et ramènent la question du Sahara occidental au cœur des préoccupations nationales. Le dossier du Sahara représente en effet une des dernières cartes d’Alger pour limiter la puissance et l’influence du Maroc dans la région.

25Mais l’Algérie paye un tribut de plus en plus lourd pour au Front Polisario. Le conflit entretien un foyer de tension majeur à sa frontière occidentale, provoquant la nécessité d’une importante présence militaire dans la région de Tindouf. Le soutien logistique et matériel au Polisario, en termes d’armes, d’aide alimentaire, budgétaire ou pécuniaire, devient une charge financière d’autant plus lourde à porter que l’Algérie a été confrontée à une grave crise économique à partir du milieu des années 1980.

26Cependant, l’Algérie a acquis un statut d’autant plus important dans la gestion du conflit que la proposition marocaine de statut d’autonomie du Sahara a fait imploser la direction du Polisario entre séparatistes convaincus et partisans d’un règlement pacifique du conflit. L’échec du processus de négociations de Manhasset en mars 2008 a d’ailleurs provoqué la défection de Ahmedou Ould Souilem, ancien numéro 2 de la diplomatie sahraouie, qui s’est rallié au Maroc. Certains dissidents du Polisario ont également fait défection, fondant un mouvement dissident anti-Polisario affranchi de la tutelle algérienne, le Khatt al Chahid (La ligne du martyr). LE délitement du Polisario et le coût économique pur l’Algérie du conflit sahraoui ont engagé l’Algérie dans une course contre la montre pour faire valoir les principes d’autonomie du peuple sahraoui qu’elle soutien depuis 35 ans, sans pour autant lâcher de lest face aux revendications marocaines.

27Le 4 janvier dernier, lendemain d’un discours de Mohammed VI annonçant le processus de régionalisation avancée à l’ensemble du territoire marocain, le Président de l’Assemblée algérienne effectuait ainsi sa première visite officielle dans les camps de Tindouf, déclarant l’accélération du transfert des réfugiés vers Tifariti, la zone du Sahara occidental contrôlée par le Polisario. Bouteflika pousse ainsi à la création d’un État indépendant sur les zones « libérées », ce qui, tout en donnant à la RASD un statut d’État et évacuant les camps de réfugié du territoire algérien, consacrerait la scission du peuple sahraoui.

28Les 7 et 8 janvier 2010, en déplacement à Madrid, Bouteflika a ainsi fait du soutien par l’Espagne du droit à l’autodétermination du peuple sahraoui la condition d’un accord sur les échanges gaziers entre l’Algérie et l’Espagne, liant du même coup la politique énergétique de l’Algérie au destin du Sahara occidental.

Répercussions économiques nationales

29Si les autorités marocaines réfutent l’idée de « coût économique » associé à l’occupation du Sahara occidental, et préfèrent parler d’« investissement », il n’en reste pas moins que les sommes d’argent engagées pour maintenir la sécurité, en particulier en ce qui concerne la construction et l’entretien du Berm, sont extrêmement élevées. Le maintien d’une présence militaire estimée entre 130 et 160 000 hommes, ainsi que des patrouilles de sécurité sur l’ensemble du territoire contrôlé pèsent lourdement sur le budget militaire du royaume. Par ailleurs, les investissements pour le développement de structures de bases (aéroports, ports, routes, raccordement à l’eau et l’électricité) pour « remettre à niveau » les trois « provinces méridionales », les majorations de salaire pour les fonctionnaires nommés au Sahara occidental, et les exonérations fiscales pour les résidents marocains ont absorbé plusieurs points du PIB du pays, avec des conséquences économiques importantes sur le développement du reste du pays. Le déficit de développement dans le reste du pays et la précarité de certaines régions est notamment avancé comme un des facteurs du développement de l’influence des salafistes dans les zones défavorisées.

30Il faut aussi compter avec les conséquences économiques locales entraînées par la sédentarisation et le contrôle des populations. Sur le territoire contrôlé par le Polisario, la présence des mines rend des zones entières inutilisables pour l’élevage, qui est à la base de l’économie sahraouie. La population y est donc particulièrement dépendante de l’aide internationale, qui arrive de façon irrégulière.

31Dans les territoires sous contrôle marocain, la sédentarisation forcée a provoqué des problèmes d’adaptation économique pour des populations traditionnellement nomades vivant du pastoralisme. Le commerce est par ailleurs compliqué par les difficultés de circulation dues à la présence du mur à l’Est et de la fermeture de la frontière avec la Mauritanie entre 1972 et 2002.

32Côté sahraoui, le prolongement du conflit a entraîné une radicalisation de la classe politique, exacerbant les tensions et n’excluant pas le recours à la violence.

Répercussions sur la politique régionale

33Le coût diplomatique du conflit sahraoui pour le Maroc est particulièrement élevé. La non reconnaissance internationale de son annexion du territoire a eu des répercussions négatives dans ses relations avec son voisin algérien, mais aussi avec l’ensemble des États de la région, avec comme conséquence une marginalisation relative du royaume de certaines institutions africaines, au premier rang desquelles l’Union africaine et l’Union du Maghreb arabe. C’est un manque à gagner évident en termes de construction régionale, avec toutes des incidences sur la gestion des questions sécuritaires, économiques et diplomatiques pour lesquelles la coopération régionale est un élément primordial.

34En 1984, le Maroc avait ainsi préféré quitter l’Organisation de l’unité africaine afin de protester contre l’admission de la RASD en son sein. Jusqu’au cessez-le-feu de 1991 ? de nombreux États africains reconnaissaient la RASD, ce qui représentait pour le Maroc autant d’États avec lesquels il n’entretenait pas de relations diplomatiques. En 2004, la décision de l’Afrique du Sud de reconnaître la République arabe sahraouie démocratique a été d’autant plus durement ressentie par le Maroc qu’il s’efforce de dynamiser sa politique africaine.

35La Mauritanie a quant à elle opté pour une « neutralité positive », s’interdisant d’affirmer sa préférence pour l’une ou l’autre partie et laissant le Polisario circuler librement au Nord de son territoire. La société mauritanienne compte des partisans des deux camps au conflit. Moktar Ould Daddah soutoen la position marocaine, alors que ses rivaux Mohamed Khouna et Ould Haïdallah sont pro-Sahraoui. Cette tension a eu des conséquences importantes sur la politique interne du pays depuis el début du conflit : le putsch de 1978 qui a renversé Moktar Ould Daddah, et les deux tentatives de renversement de Haïsallah en 1981, puis en 1984. La prolongation du conflit a également provoqué ces dernières années des migrations de Sahraouis vers les territoires mauritaniens, ravivant les tensions tribales.

36À l’échelle régionale, l’absence d’intégration freine les échanges interrégionaux, mais aussi les investissements directs étrangers. En termes de diplomatie, l’absence de coopération entre les États du Maghreb les empêche de parler d’une seule voix dans les négociations internationales, en particulier dans leur dialogue avec l’Europe, comme de se coordonner dans la lutte antiterroriste

Ramifications internationales et géopolitique mondiale

37Le dossier du Sahara occidental est indissociable du soutien reçu par le Maroc de la part de la France et des États-Unis, tous deux membres du Conseil de Sécurité de l’ONU, chargé de la résolution du conflit. Si ces deux États n’ont pas reconnu officiellement la souveraineté du Maroc sur le territoire, ils lui ont permis de conforter sa position.

38Le Maroc est en effet un allié fiable des États-Unis dans le monde arabe. Se voulant le champion du droit des peuples à l’autodétermination, ils n’ont d’abord pas été hostiles à la perspective d’un Sahara indépendant. Des considérations pratiques et l’importance du Maroc dans leur politique dans le monde arabe leur ont fait reconsidérer leur position et progressivement basculer en faveur du Maroc. En 2003, plan Baker II soutenu par l’administration Bush proposait une autonomie d’une période de cinq ans, suivi d’un référendum d’autodétermination. Mais l’opposition du Maroc et surtout la menace de véto de la France sur le plan en pleine guerre d’Irak avaient fait reculer les États-Unis. Depuis, ces derniers ont soutenu la proposition d’autonomie du Maroc, même si depuis 2009, la position de l’administration Obama s’est infléchie sur la question, s’adossant à la proposition de l’ONU de négociations sans conditions préalables et insistant sur une solution rapide à une situation qui s’éternise et déstabilise la région. Les raisons de cet assouplissement tiennent tant à des considérations de droits de l’homme [7], que pour des questions géostratégiques et de lutte antiterroriste. La lutte contre le terrorisme au Maghreb Sahel nécessite en effet la coopération de l’ensemble des États de la région, au premier rang desquels l’Algérie.

39Depuis le départ des Espagnols en 1976, les Français n’ont jamais caché leur opposition à l’apparition d’un État sahraoui indépendant qui passerait sous influence algérienne. La France est aussi le premier partenaire commercial et le principal investisseur au Maroc [8] où elle a d’énormes intérêts dans les tant dans les domaines politique, qu’économique et culturel, et perçoit l’indépendance du Sahara occidental comme un facteur de déstabilisation pour son partenaire.

40La MINURSO (Mission des Nations unies pour l’organisation d’un référendum au Sahara occidental) a perdu tout poids politique véritable. Détournée de son projet initial, à savoir l’organisation d’un référendum, elle n’est plus qu’une simple force d’observation du cessez-le-feu.

Conclusion : l’avantage marocain

41Le Maroc est actuellement en position de force dans les négociations. Non seulement la position marocaine est encouragée par un soutien externe, mais le Royaume chérifien a consolidé sa colonisation du territoire, où il exploite les ressources phosphatiques [9] et halieutiques sans rencontrer d’opposition forte, et avec la participation de l’Union européenne, par un accord de pêche signé en 2005 [10].

42Sans le reconnaître explicitement [11], l’Algérie est sans doute, au même titre voire plus que le Polisario, le principal protagoniste de ce conflit avec le Maroc. Alger dispose d’une influence considérable sur le dossier du Sahara occidental. Dans le bras de fer entre les deux protagonistes, Alger est donc un interlocuteur d’autant plus incontournable que le Maroc refuse de s’adresser directement au Front Polisario. L’importance accordée par Bouteflika à la question d’indépendance du Sahara occidental et sa détermination à n’accepter une solution que si elle correspond à la ligne tenue par l’Algérie dans son soutien au Polisario pourrait donc être un facteur de complication dans la résolution du conflit sahraoui.


Date de mise en ligne : 01/11/2016

https://doi.org/10.3917/lcdlo.102.0043

Notes

  • [*]
    Lucile Martin est collaboratrice aux Cahiers de l’Orient, sur les questions de monde arabe et monde iranien.
  • [1]
    Les provinces concernées sont, Oued Eddahab-Lagouira, Laayoune-Boudour-Sakia al Hamra, et Guelmin-Smara (cette dernière n’ayant qu’une petite partie de son territoire sur celui du Sahara occidental).
  • [2]
    Transmise au Secrétaire général des Nations unies le 10 avril 2007, la « Proposition du Front Polisario pour une solution politique mutuellement acceptable assurant l’autodétermination du peuple du Sahara occidental » est disponible sur le site : http://www.arso.org/PropositionFP100407.htm
  • [3]
    Pour un traitement approfondi de l’articulation entre dimensions nationale et régionale du conflit du Sahara occidental, Khadija Mohsen-finan, Sahara occidental, Les enjeux d’un conflit régional, CNRS Éditions, Paris, 1997.
  • [4]
    Voir Jacob Mundy, « Neutrality or Complicity ? The United States and the 1975 Moroccan Takeover of the Spanish Sahara », Journal of North African Studies 11, no. 3 (Septembre 2006) : 275-306. L’article est également disponible sur le site du Monde Diplomatique, http://mondediplo.com/2006/01/12asahara
  • [5]
    Après le putsch qui renverse Moktar Ould Daddah en Mauritanie, le Front Polisario signe un traité de paix avec Nouakchott le 10 août 1979, qui cède à la RASD sa partie du Sahara occidental.
  • [6]
    Mur qui s’étend sur plus de 2500 km entre les deux « territoires ». Ce mur de défense ou de sécurité a été édifié par les autorités marocaines en six étapes entre 1980 et 1987. Équipé de systèmes de surveillance radar et protégé par des champs de mines, il est surveillé par plus de 90 000 hommes. Il est qualifié de « mur de la honte » par le Polisario.
  • [7]
    Grève de la faim d’Aminatou Haidar qui pousse Ross à demander à ce que la question des droits de l’homme fasse partie des prérogatives de la MINURSO.
  • [8]
    70 % des investissements étrangers directs au Maroc sont français.
  • [9]
    Avec une capacité annuelle de 2,4 millions de tonnes et des réserves de 1,13 milliards de m³, la mine de Boucraa est l’une des plus importantes zones de production de phosphate exploitée par le Maroc, après Khouribga et Gantour.
  • [10]
    Les indépendantistes sahraouis dénoncent cet accord comme illégal dans la mesure où la souveraineté du Maroc sur le littoral sahraoui n’est pas internationalement reconnue.
  • [11]
    Voir « Sahara occidental : le coût du conflit », Crisis Group, Rapport Moyen-Orient/Afrique du Nord N° 65, 11 juin 2007.

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