Notes
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[*]
Mohammad-Reza Djalili, est professeur à l’Institut universitaire de hautes études internationales à Genève. Son dernier ouvrage publié est Géopolitique de l’Iran, Édition Complexe, Bruxelles, 2005.
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[1]
Afrasiabi, K.l. and Pour Jalali Yadolah, “The Economic Cooperation Organization : regionalization in a Competitive Context”, Mediterranean Quarterly, Fall 2001, pp. 62-79. Plus généralement sur l’intégration régionale voir aussi notre article “L’intégration régionale en Asie centrale”, CEMOTI, n°39-40, 2005, pp. 53-69.
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[2]
Voir Bayram Balci, Le renouveau islamique en Azerbaïdjan entre dynamiques internes et influences extérieures, Les Etudes du CERI, no 138, Paris, octobre 2007.
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[3]
Voir Edward H. Thomas, “Central Asia Acces to Open Seas : An Iranian Perspective”, Central Asia Monitor, n°4, 1998, pp. 6-9.
-
[4]
Alex Vatanka, “That sinking feeling. Iran’s bid for the Caspian”, The Iranian, october 24, 2002.
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[5]
Kaveh L. Afrasiabi, “Iran plays the Central Asia card”, Asia Times, August 15, 2007.
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[6]
Fondée le 15 juin 2001, l’Organisation de Coopération de Shanghai (OCS) compte aujourd’hui six pays membres, qui sont la Chine, la Russie, le Kazakhstan, le Kirghizistan, le Tadjikistan et l’Ouzbékistan.
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[7]
Matthew Brummer, “The Shanghai Cooperation organization and Iran : A Power-Full Union”, Journal of International Affairs, Spring/ Summer 2007, pp. 185- 197
-
[8]
Dario Cristiani “Afghanistan’s role in Iranian Foreign policy”, PINR, 27 April 2007, http://www.pinr.com/report.php?ac=view_report&report_id=644&language_id=1
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[9]
Vladimir Measmed, “Iranian-Turkmen Relations in an Era of Change”, Central Asia and the Caucasus, n°4, 2007.
1Le démembrement de l’Union soviétique en 1991 a profondément bouleversé l’environnement géopolitique de l’Iran. Désormais, ce pays ne partage plus de frontières terrestres avec une grande puissance, situation qui, à l’époque de l’empire tsariste comme à celle de l’URSS, avait rarement été très confortable. De plus, Téhéran prend rapidement conscience qu’avec la disparition du rideau de fer de nouvelles perspectives s’offrent à lui à la fois sur le plan régional et international. En effet, le bouclement des frontières du nord du pays, durant plus de sept décennies, avait fait du territoire iranien une sorte d’impasse. La fin du système soviétique lui permettait de retrouver sa vocation naturelle de pays carrefour ce qui pouvait entraîner un redéploiement de l’ensemble de sa politique étrangère. Cet événement tombait d’ailleurs à pic car, après les années d’effervescence révolutionnaire, la fin de la guerre avec l’Irak et la mort de Khomeyni survenue en 1989, il permettait au nouveau président de la République, Ali-Akbar Rafsandjani, de chercher à lancer une diplomatie plus pragmatique et plus ouverte sur le monde extérieur, qui en principe devait favoriser la reconstruction du pays après huit ans de guerre.
2Ainsi s’ouvrait à l’Iran une nouvelle fenêtre d’opportunités qu’il fallait exploiter au mieux. Car non seulement l’engagement dans une politique active en direction des nouveaux États indépendants d’Asie centrale et de Transcaucasie aurait directement des retombées positives pour la République islamique, mais en plus cette politique pouvait aussi contribuer à aider le régime à sortir de l’isolement international dans lequel il se trouvait depuis les premières années de la révolution. Ces deux préoccupations seront au cœur de l’élaboration de la politique centre-asiatique de l’Iran durant environ une décennie.
Les premiers objectifs
3La mise en valeur du potentiel de pays de transit que l’Iran venait de retrouver était prioritaire pour les dirigeants iraniens. En effet, le territoire iranien peut servir de point de jonction entre les diverses régions du Moyen-Orient, de la zone du golfe Persique, du sous-continent indien avec les pays d’Asie centrale et les Républiques du Caucase méridional. En même temps, l’Iran peut offrir à ses nouveaux voisins qui, à part la Géorgie, sont tous des États enclavés, des possibilités d’accès aux mers ouvertes. La réouverture des postes frontières, la reconstruction de ponts, la mise en service de nouveaux tronçons routiers, la jonction des chemins de fer iraniens aux chemins de fer du Turkménistan voisin et l’ouverture de nouvelles lignes aériennes vont contribuer à faciliter le transit par l’Iran. D’ailleurs, les nouvelles possibilités qu’offre le passage par l’espace iranien n’intéressent pas uniquement les pays enclavés mais aussi leurs partenaires. Il en va ainsi de la Turquie, du Pakistan, de l’Inde, des pays arabes qui, pour développer leurs échanges avec les pays d’Asie centrale, doivent utiliser les réseaux routiers iraniens.
4Une autre considération entrant en ligne de compte pour les autorités iraniennes était évidemment la possibilité de nouer des relations économiques avec les nouveaux États. Certes, les Iraniens étaient conscients que, d’une part, ces États avaient à leur disposition peu de moyens financiers et que, d’autre part, ils ne seraient pas seuls et devaient s’attendre à de rudes concurrences sur ce terrain. Dans ces conditions, il s’agissait moins d’engranger des bénéfices immédiats, en développant les échanges, que d’être présent sur la scène économique centre-asiatique, de mieux connaître offres et demandes, de nouer des liens avec d’éventuels partenaires sur place. Par ailleurs, l’Iran espérait que sa position avantageuse sur le plan géographique pourrait aussi contribuer à renforcer son projet économique.
5Enfin, l’Iran était aussi soucieux des répercussions de la dislocation de l’Union soviétique sur la mer Caspienne. Qu’allait devenir cette mer fermée, depuis longtemps un lac irano-soviétique, à partir du moment où le nombre des pays riverains passait de deux à cinq ? Il était impératif de doter la Caspienne, régie par des traités internationaux bilatéraux jusqu’en 1991, d’un nouveau statut juridique, adapté au nouveau contexte. Si tous les riverains étaient d’accord sur la nécessité de ce nouveau statut, leurs points de vue ne concordaient pas pour autant. Schématiquement, deux approches s’affrontaient : l’une basée sur le principe du partage des ressources et l’autre sur la théorie du condominium. En d’autres termes, fallait-il considérer la Caspienne comme une mer et délimiter le plateau continental qui revenait à chaque pays ou comme un lac et le gérer ensemble ? Au départ, l’Iran et la Russie étaient favorables à l’idée du condominium et l’Azerbaïdjan ainsi que le Kazakhstan soutenaient le principe du partage tandis que le Turkménistan adoptait une position en quelque sorte intermédiaire.
Sortir de l’isolement
6Le deuxième objectif de l’Iran face à l’émergence des nouveaux États d’Asie centrale et de Transcaucasie sur la scène internationale était de profiter de la nouvelle conjoncture pour relancer sa politique extérieure et mettre un terme à son isolement international consécutif à la révolution islamique et surtout à l’épisode de la prise en otage des diplomates américains. Il s’agissait, en d’autres termes, tout en offrant des moyens de désenclavement à ses nouveaux voisins, de désenclaver sa propre diplomatie en sortant de l’impasse dans laquelle le régime s’était mis. L’Iran espérait qu’en devenant un élément dynamique dans la nouvelle configuration régionale, il pourrait relancer sa politique étrangère au niveau global et, sur le plan régional, donner une nouvelle impulsion à ses relations extérieures. Sur ce plan, le champ d’action de l’Iran s’est effectivement élargi puisqu’il lui est possible désormais de jouer dans cinq directions différentes : la zone du golfe Persique, toujours prioritaire ; le Proche-Orient arabe à cause de l’alliance avec Damas, du Liban et des possibilités d’interférences qu’offre le conflit arabo-israélien ; le sous-continent indien ; la Turquie et la Transcaucasie ; et enfin le groupe des pays d’Asie centrale ex-soviétique dans lequel on peut aussi inclure l’Afghanistan. La possibilité de jouer sur ces cinq registres élargissait donc considérablement l’espace de manœuvre régional de Téhéran, lui permettant de prendre de nouvelles initiatives et de mieux mettre en valeur ses nouveaux attributs géopolitiques.
7Toujours dans cette perspective, la République islamique a entrepris de nombreuses démarches afin d’encourager toute dynamique pouvant engendrer la mise en place des structures de coopérations multilatérales à travers lesquelles elle pouvait acquérir une certaine crédibilité et affirmer sa réinsertion, au moins partielle, au sein de la communauté internationale. Ainsi Téhéran a-t-il proposé, dès 1992, la création d’une organisation regroupant les cinq États riverains de la mer Caspienne. Toujours dans le domaine de la diplomatie multilatérale, les autorités iraniennes ont utilisé tous les moyens à leur disposition pour remettre en selle une structure régionale déjà ancienne et dont l’Iran, la Turquie et le Pakistan sont les membres fondateurs : l’Organisation de la coopération économique (plus connue sous son nom anglais d’Economic Cooperation Organization, ECO) dont le siège se trouve à Téhéran. Les cinq nouveaux États d’Asie centrale, ainsi que l’Afghanistan et l’Azerbaïdjan vont devenir rapidement membres de cette organisation qui désormais regroupe dix États. L’ECO est aujourd’hui une structure de coopération régionale tout ce qu’il y a de plus classique mais qui, malheureusement, ne contribue que très marginalement à la promotion des échanges entre ses membres [1].
8Enfin, dans la mise en place de sa politique envers les nouveaux États d’Asie centrale, Téhéran opte pour une approche pragmatique. C’est une innovation dans la mesure où pour la première fois depuis la révolution islamique, l’Iran met au second plan les considérations idéologiques dans l’élaboration de sa politique étrangère politique. Ce choix s’explique par le fait que les responsables iraniens sont conscients que les élites dirigeantes des nouvelles républiques (tous d’anciens communistes) – pas plus d’ailleurs que la Russie – n’apprécient aucune forme d’activisme islamiste soutenu par Téhéran. L’Iran n’oublie pas non plus que le chiisme iranien ne peut rencontrer d’échos favorables en Asie centrale, très majoritairement sunnite et que même en Azerbaïdjan [2], où le chiisme est fortement représenté, cette carte doit être jouée avec beaucoup de précaution. Le choix d’une approche pragmatique s’impose donc de lui-même, mais cette option montre en même temps à la communauté internationale que le régime révolutionnaire peut aussi, en cas de besoin, adopter une attitude réaliste. Par ailleurs, en s’impliquant aux côtés de la Russie dans la recherche d’une réconciliation entre les factions en conflit au Tadjikistan, à la suite de la guerre civile qui a éclaté dans ce pays au moment de l’accession à l’indépendance, la République islamique avait à cœur de se présenter comme un régime responsable, offrant sa médiation afin de consolider la paix.
Des résultats décevants
9Malgré tous les efforts déployés, en 2001, dix ans après l’effondrement de l’URSS, la politique iranienne en Asie centrale, ne génère que des résultats fort modestes. Comme pays de transit, certes, l’espace aérien, les chemins de fer -reliés depuis 1996 aux lignes ferroviaires d’Asie centrale-et les routes sont de plus en plus fréquentés [3]. Mais en tant qu’unique pays dont le territoire fait la jonction entre les zones pétrolières situées dans la région du golfe Persique et la zone Caspienne, l’Iran pouvait aussi espérer devenir un pays de transit et surtout d’acheminement de gaz et de pétrole. Or, mis à part l’exportation d’un peu de gaz du Turkménistan destiné à la consommation interne iranienne, un peu de troc de pétrole avec le Kazakhstan et la mise en place d’un gazoduc sous-utilisé vers la Turquie, rien d’essentiel n’a été réalisé. En fait, en ce qui concerne l’acheminement du pétrole de la zone caspienne, c’est la Turquie, soutenue par les États-Unis, qui allait en tirer profit avec la construction du pipeline Bakou-Tbilissi-Ceyhan et du gazoduc Bakou-Tbilissi-Erzerum et devenir ainsi – avec la Russie – la plaque tournante du transit pétrolier et gazier caspien vers le marché international. L’Iran n’est donc pas parvenu à infléchir la politique américaine de contournement de son territoire et a ainsi perdu une occasion historique de devenir un pays clé pour l’approvisionnement du marché international en hydrocarbures caspiens. Ses avantages objectifs n’ont pas pesé lourd face à des considérations géopolitiques américaines. En d’autres termes, un État politiquement enclavé ne peut être d’un grand secours pour ses voisins géographiquement désavantagés [4].
10En ce qui concerne la relance de sa politique extérieure, en profitant de l’élargissement de ses capacités de manœuvre à la suite de l’effondrement de l’URSS, Téhéran a obtenu des résultats plus probants que la mise en valeur de ses possibilités géopolitiques. L’Iran est parvenu à diversifier ses relations régionales, à améliorer ses rapports avec le monde arabe, essentiellement avec l’Arabie séoudite, et à éviter, malgré des divergences assez profondes, la détérioration de ses relations avec la Turquie. S’agissant des relations avec l’Afghanistan et le Pakistan, ce sera paradoxalement les Américains, qui, en éliminant les taliban, contribueront à renforcer les positions iraniennes. Au plan international également, l’Iran, avec l’élection en 1997 du président « réformateur » Khatami, améliore ses relations avec quelques pays européens. Cependant, sur le plan régional comme au niveau international, le développement des relations extérieures de l’Iran rencontre une limite infranchissable : l’opposition américaine. Sans la normalisation des rapports avec Washington, les possibilités d’action de Téhéran sur la scène internationale souffrent d’un handicap majeur.
11Du point de vue économique, malgré une croissance des échanges, l’Iran, ne disposant que de faibles moyens, a des difficultés à mener une politique très active en Asie centrale. D’autres pays de la région, comme la Turquie, ont développé le volume de leurs échanges commerciaux bien plus que Téhéran avec les nouveaux États indépendants.
Nouvelle étape
12Les événements du 11 septembre 2001 ont considérablement modifié la situation en Asie centrale et ces changements ont eu d’importantes conséquences pour la politique centre-asiatique de l’Iran. Dans un premier temps, l’intervention de la coalition internationale dirigée par les États-Unis en Afghanistan a été soutenue, du bout des lèvres il est vrai, par la République islamique qui a d’ailleurs été associée aux discussions préalables sur l’avenir de l’Afghanistan comme en décembre 2001 à la conférence de Bonn. La chute du régime des taliban a eu deux résultats majeurs pour Téhéran. D’une part, l’Iran a été débarrassé d’un voisin hostile et violemment anti-chiite avec lequel une confrontation armée avait été évitée de justesse en septembre 1998 et, d’autre part, l’installation d’un nouveau régime à Kaboul à la recherche d’une politique régionale plus équilibrée, c’est-à-dire moins fondée sur des relations particulières avec le Pakistan, a ouvert de nouvelles perspectives à la diplomatie iranienne en Afghanistan et au-delà de ce pays en direction des républiques ex-soviétiques d’Asie centrale et singulièrement du Tadjikistan. Dans cette perspective, l’Iran a très rapidement lancé une politique d’aide à la reconstruction de l’Afghanistan. Ainsi, à la conférence de Tokyo sur l’aide à l’Afghanistan, Téhéran promet une aide substantielle de l’ordre de 560 millions de dollars pour cinq ans.
13Le développement de relations amicales avec le régime pro-américain du président Karzaï ne signifie pas pour Téhéran l’abandon de sa rhétorique anti-américaine, mise en sourdine un bref moment après les attentats du 11 septembre. La politique pragmatique à l’égard du voisin afghan est allée de pair avec la condamnation de « l’arrogance » de l’administration Bush qui venait pourtant d’ouvrir de nouvelles opportunités à la politique extérieure de Téhéran. Par ailleurs, le maintien de la ligne habituelle du discours idéologique du régime islamique s’explique également par le fait que Téhéran doit aussi prendre en considération l’autre aspect de l’intervention américaine, à savoir la présence des forces armées des États-Unis sur ses frontières avec l’Afghanistan ainsi que sur des facilités militaires mises à la disposition de Washington par la plupart des républiques d’Asie centrale. Outres ses aspects militaires, le rapprochement entre Moscou et Washington durant les mois qui ont suivi les attentats du 11 septembre n’a pas été apprécié par les responsables iraniens qui ont fondé toute leur politique en direction des républiques d’Asie centrale sur une convergence d’intérêts avec la Russie.
14L’intervention anglo-américaine en Irak, en mars 2003, aura des retombées encore plus positives pour l’Iran que le changement de régime en Afghanistan. Du jour au lendemain, les Iraniens sont débarrassés de Saddam Hussein, l’homme qui a déclenché la guerre la plus meurtrière que leur pays a connue durant les temps modernes. En outre, avec la disparition du régime bassiste irakien, la domination de la minorité arabe sunnite sur l’Irak s’efface au profit de la majorité chiite souvent proche de l’Iran. Désormais, le régime iranien dispose d’un atout extraordinaire grâce à ses liens multiformes avec la communauté chiite irakienne, qui lui permettent de devenir un acteur incontournable sur la scène politique irakienne. Mais la médaille a aussi son revers : l’intervention puis la présence américaine en Irak complètent l’encerclement du territoire iranien. Installés au sud dans la zone du golfe Persique depuis le début des années 1990, les forces armées américaines sont désormais présentes à l’est en Afghanistan et au Pakistan, au nord en Asie centrale et à l’ouest en Irak tout en ayant à leur disposition des facilités en Turquie et en Géorgie. Le sentiment d’encerclement est d’autant plus évident que depuis janvier 2002, Georges Bush a placé l’Iran, avec l’Irak et la Corée du nord, dans « l’axe du Mal », ce qui évidemment ne rassure pas les Iraniens qui par ailleurs ne peuvent ignorer le discours que développent certains médias sur le thème « après l’Irak, l’Iran ». C’est dans ce contexte que la question du programme nucléaire iranien, révélée au grand jour durant l’été 2002, prend progressivement les dimensions d’une crise et complique considérablement le contentieux irano-américain et plus généralement la situation du régime iranien au sein de la communauté internationale. Vu les circonstances, les Iraniens sont obligés de montrer un peu de flexibilité ce qui explique sans doute qu’à la suite de discussions avec la troïka européenne (Allemagne, Grande-Bretagne, France) ils acceptent, en novembre 2004, de suspendre provisoirement leur programme d’enrichissement de l’uranium.
15Durant cette période, l’Iran garde un profil relativement bas en Asie centrale. Mais dès 2005, on assiste à une réactivation progressive de la politique centrasiatique de Téhéran. L’enlisement des États-Unis en Irak, qui du point de vue iranien éloigne le risque d’une attaque américaine, les difficultés que rencontre la coalition internationale en Afghanistan, la volonté du président Poutine de donner à la Russie les moyens de retrouver sa place de grande puissance, le refroidissement des relations entre l’Ouzbékistan et les États-Unis, l’implication de plus en plus grande de la Chine en Asie centrale vont contribuer à la relance de la politique iranienne surtout après l’accession à la présidence de la République de Mahmoud Ahamdinejad, en août 2005, et la reprise des activités de conversion de l’uranium. L’Iran, tout en continuant de chercher à atténuer son isolement sur la scène internationale, cherche aussi à s’assurer du soutien de l’opinion publique dans les pays du Sud. Le nouveau président iranien est ainsi très conscient que son discours populiste, anti-occidental et anti-sioniste rencontre un écho favorable parmi les populations musulmanes même en Asie centrale [5].
16Dans la pratique, au niveau global, la politique centre-asiatique de Téhéran va désormais s’articuler autour d’un rapprochement avec l’Organisation de Coopération de Shanghai (OCS) [6]. En 2005, l’Iran devient – avec l’Inde et le Pakistan – membre observateur de cette organisation. Le gouvernement iranien cherche à acquérir le statut de membre de plein droit, mais sans succès jusqu’à présent. La collaboration active de l’Iran avec l’OCS devrait lui permettre de redynamiser sa politique en Asie centrale et lui fournir quelques soutiens dans son bras de fer avec les États-Unis [7]. Au niveau régional, l’Iran tente de renforcer ses liens avec l’Afghanistan et le Tadjikistan [8]. Dans ses relations avec le Turkménistan voisin [9] et le Kazakhstan riverain de la Caspienne, Téhéran tente de développer sa coopération dans les domaines pétrolier et gazier. En ce qui concerne l’Ouzbékistan, la fermeture des bases américaines dans ce pays et le refroidissement des relations entre Tachkent et Washington ont ouvert de nouvelles perspectives de collaboration, pour le moment surtout au plan commercial et économique, entre les deux pays.
Conclusion
17Tant du point de vue culturel, historique, géographique, qu’économique, l’Iran possède d’indéniables avantages par rapport à d’autres pays dans la formulation d’une politique étrangère active envers les républiques d’Asie centrale. Mais, malgré ses atouts, ce pays n’est pas parvenu, jusqu’à présent du moins, à élaborer une politique reflétant réellement ses potentialités. Certes, cet échec s’explique par le manque de moyens et de ressources ainsi, sans doute, que par certaines erreurs d’appréciation et quelques décisions malencontreuses. Mais pour réussir dans cette région, l’Iran devrait, comme la Turquie, avoir à sa disposition des soutiens efficaces. Or, comme on l’a relevé à plusieurs reprises, aucun pays ami ne s’est proposé d’accompagner la République islamique dans cette entreprise. En fait, l’Iran a cherché par son implication en Asie centrale à réduire son isolement sur la scène internationale. Or c’est absolument le contraire qui c’est produit : son isolement l’a empêché d’aller de l’avant dans la réalisation de son projet. L’autre obstacle à l’approfondissement des relations bilatérales avec les États de la région est l’image de la République islamique. Il est difficile de valoriser l’image d’un régime fondamentaliste dirigé par le clergé chiite non seulement auprès des élites locales, fortement sécularisées, mais même aussi auprès des mouvements islamistes sunnites de la région, souvent proches des courants wahhabites et très méfiants à l’égard du chiisme. Bien que depuis 1991 la République islamique ait toujours soigneusement évité de jouer la carte du radicalisme religieux dans sa politique en Asie centrale, elle ne peut cependant pas faire oublier la nature de son système politique.
Notes
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[*]
Mohammad-Reza Djalili, est professeur à l’Institut universitaire de hautes études internationales à Genève. Son dernier ouvrage publié est Géopolitique de l’Iran, Édition Complexe, Bruxelles, 2005.
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[1]
Afrasiabi, K.l. and Pour Jalali Yadolah, “The Economic Cooperation Organization : regionalization in a Competitive Context”, Mediterranean Quarterly, Fall 2001, pp. 62-79. Plus généralement sur l’intégration régionale voir aussi notre article “L’intégration régionale en Asie centrale”, CEMOTI, n°39-40, 2005, pp. 53-69.
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[2]
Voir Bayram Balci, Le renouveau islamique en Azerbaïdjan entre dynamiques internes et influences extérieures, Les Etudes du CERI, no 138, Paris, octobre 2007.
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[3]
Voir Edward H. Thomas, “Central Asia Acces to Open Seas : An Iranian Perspective”, Central Asia Monitor, n°4, 1998, pp. 6-9.
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[4]
Alex Vatanka, “That sinking feeling. Iran’s bid for the Caspian”, The Iranian, october 24, 2002.
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[5]
Kaveh L. Afrasiabi, “Iran plays the Central Asia card”, Asia Times, August 15, 2007.
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[6]
Fondée le 15 juin 2001, l’Organisation de Coopération de Shanghai (OCS) compte aujourd’hui six pays membres, qui sont la Chine, la Russie, le Kazakhstan, le Kirghizistan, le Tadjikistan et l’Ouzbékistan.
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[7]
Matthew Brummer, “The Shanghai Cooperation organization and Iran : A Power-Full Union”, Journal of International Affairs, Spring/ Summer 2007, pp. 185- 197
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[8]
Dario Cristiani “Afghanistan’s role in Iranian Foreign policy”, PINR, 27 April 2007, http://www.pinr.com/report.php?ac=view_report&report_id=644&language_id=1
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[9]
Vladimir Measmed, “Iranian-Turkmen Relations in an Era of Change”, Central Asia and the Caucasus, n°4, 2007.