Notes
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[*]
Christiane Alberti est psychanalyste, présidente de l’École de la Cause freudienne.
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[1]
Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. L’Un tout seul » (2010-2011), enseignement prononcé dans le cadre du département de psychanalyse de l’université Paris viii, cours du 9 février 2011, inédit.
-
[2]
C’est d’ailleurs à ce titre que l’obstacle fantasmatique peut être surmonté, dépassé, traversé.
-
[3]
La notion de « se hérisser », « se carapacer », a évoqué pour nous le jeu de mot que J.-A. Miller relève dans un passage de Madame Bovary repéré par Rose-Marie Bognar : « N’oublie pas le homard, amour d’homme ».
-
[4]
Freud S., « L’analyse avec fin et l’analyse sans fin » (1937), Résultats, Idées, Problèmes, t. ii, Paris, puf, p. 268.
-
[5]
Lacan J., Le Séminaire, livre v, Les Formations de l’inconscient (1957-1958), texte établi par Jacques-Alain Miller, Paris, Seuil, coll. Champ Freudien, 1998, p. 351.
-
[6]
Ibid. De même qu’une femme « n’est pas elle-même » en tant qu’elle est le phallus : « étrangeté de son être par rapport à ce en quoi elle se doit de paraître ».
-
[7]
Ibid., p. 403.
-
[8]
Lacan J., « Remarque sur le rapport de Daniel Lagache : “Psychanalyse et structure de la personnalité” », Écrits, Paris, Seuil, coll. Champ Freudien, 1966, p. 683.
-
[9]
Miller J.-A., « Des semblants dans la relation entre les sexes », La Cause freudienne, no 36, mai 1997, p. 10.
-
[10]
Lacan J., Le Séminaire, livre xvii, L’Envers de la psychanalyse (1969-1970), texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, coll. Champ Freudien, 1991, p. 180.
-
[11]
Brousse M.-H., « Hystérie for ever. Sur les traces de l’hystérie moderne », posté le 1 juin 2010 sur le site Uforca. Pour l’université populaire Jacques Lacan.
-
[12]
Le spectre de la dévirilisation hante les sociétés européennes depuis la fin du xixe siècle jusqu’aux grandes guerres. Alain Corbin a très bien décrit cet archétype de « sexe en deuil » après Baudelaire, de l’homme triste à mourir de ce rôle auquel il est contraint, fardeau de l’image antique de la virilité guerrière.
1La virilité est par excellence un fantasme. L’aspiration à la virilité se joue sur cette scène, en ce qu’elle repose sur le comblement de la castration (-φ) par a : « c’est cela même l’institution du sujet cernée par Freud, soit le caractère radical de l’institution phallique du sujet par le biais d’un fantasme lequel est toujours phallique [1] ». Le fantasme est donc machine à viriliser les êtres parlants, mâles ou femelles.
2Cet usage du terme de virilité par Jacques-Alain Miller comme élévation fantasmatique du phallus [2], nous incite à interroger les ressources de cette mention spécifique.
Carapace virile
3Freud fait de la quête de la virilité (das Streben nach Männlichkeit) un obstacle à la fin de l’analyse. Il mentionne la rébellion contre la passivité en terme de « se hérisser [3] » (straüben) devant la crainte de voir un autre homme le féminiser.
4La « protestation virile [4] », Freud le souligne, ne doit pas nous orienter vers la notion d’une passivité en termes de rôle, puisqu’elle est tout à fait compatible avec un assujettissement, voire un masochisme envers la femme. L’homme ne se défend de la féminisation que dans le rapport à l’homme : il n’est en fait question de rien d’autre que de l’angoisse de castration. Le viril s’aperçoit ici, dans cette temporalité de la fin de l’analyse, comme refus de la féminité : le viril surgit toujours en rapport avec ce trou.
Par procuration : toujours le père
5Dans les années 1950, Lacan situe d’emblée l’assomption du sexe dans la dimension éthique : ce que le sujet est prêt à payer de sa personne pour la rançon du désir. Réduire ce problème à un rôle viril ou féminin à tenir s’apparente à un abandon, une lâcheté morale.
6Lacan indique comment la mascarade s’établit côté homme : la question du danger qui menace est résolue par identification au père. Viril, un homme ne l’est jamais que « par procuration », que par « une série indéfinie de procurations, qui lui viennent de tous ses ancêtres mâles » : une satisfaction s’obtient dans la mascarade virile par « identification pure et simple à celui qui en a les insignes [5] ».
7Il n’y a de virilité que jaugée à l’aune de celle imaginée, postulée, du père. À l’horizon, s’inscrit un « tout homme » ou « tout phallique » d’une vie par procuration, qui s’oppose en tout point au désir, ou qui en constitue un ravalement.
Désir versus virilité absolue
8Inversement, sur le plan du désir, c’est pour autant que sa satisfaction se trouve dans le rapport à une femme, qu’un homme est poussé à chercher le phallus, toujours ailleurs, toujours à l’extérieur du champ de son désir : d’où ses « tendances centrifuges » dans la relation monogamique.
9De ce fait, un homme « n’est pas lui-même en tant qu’il satisfait » : « il obtient la satisfaction de l’Autre, mais […] ne se perçoit que comme l’instrument de cette satisfaction [6] ». Il y a donc aussi, côté homme, un profond rejet, en tant qu’être, de ce en quoi il paraît sous le mode masculin.
10Lacan propose en outre une formulation à propos de l’obsessionnel dont il semble faire une vérité plus courante : « le sujet ne peut vraiment centrer son désir qu’en s’opposant à ce que nous appellerons une virilité absolue [7] ». Faute d’un appui pris dans la référence au désir de l’Autre, la seule chose qui puisse en effet donner à l’obsessionnel un support à son désir, un semblant d’appui, c’est un objet toujours réductible au phallus. Le phallus en place d’objet, telle est l’illusion de la solution « virilité absolue ».
La forme du désir mâle
11C’est dans son écrit « Remarque sur le rapport de Daniel Lagache » que Lacan propose une écriture du désir mâle : Φ(a), « La fonction Φ du signifiant perdu, à quoi le sujet sacrifie son phallus [8] ». Comment entendre la fonction du « signifiant perdu » ? Sinon qu’il n’y a aucun signifiant susceptible d’une détermination absolue de l’identité homme, disons « un homme, un vrai ». Au regard du manque-à-être, l’idéal viril s’avère toujours inatteignable. La fonction Φ est saturée par (a) qui y fait fonction d’argument : elle implique la castration et pousse le sujet à chercher son complément dans (a). Le sujet cède le phallus dans la relation à l’autre sexe et en obtient la position être un homme. Il fait alors couple non pas avec l’autre sexe mais avec un objet prélevé sur le corps de l’autre.
12De la forme du désir mâle, on peut déduire, comme le propose J.-A. Miller, l’écriture du fantasme côté homme : S ♢ Φ(a) : « le désir masculin se soutient de semblants phallicisés [9] ». Il en ressort une prégnance spéciale du fantasme dans la sexuation côté homme.
Effet féminisant dans le discours
13Dans les années 1970, la référence au discours renouvelle les concepts d’homme et de femme à partir de leur prise dans le discours, au-delà de la métaphore du père. Ce qui pourrait être appelé l’homme nous dit Lacan, disparaît, s’évanouit, de l’effet même de sa prise dans le discours, « de ne s’inscrire qu’en castration [10] ». Situé dans le discours du maître, il ne peut être qu’en défaut de toute-puissance. C’est par l’inscription dans le discours, de l’homme comme castré, que s’institue le désir. Lacan souligne l’effet féminisant de cette incidence discursive, l’affect subi, c’est a, comme cause du désir. Les modalités en sont singulières, passage de la jouissance au désir, non sans la médiation de l’amour. La mise en jeu du phallus sur un certain mode, avec la dimension de jeu et de comédie que cela comporte, peut s’alléger de la crainte de la castration imaginaire et ainsi ne pas faire obstacle à ce que la rencontre réelle avec l’Autre se produise, heure de vérité où la prestance virile n’est plus de mise.
Virilité au xxie siècle : la communauté des mâles
14Dans le Séminaire xviii, Lacan opposant le mythe d’Œdipe à celui de Totem et Tabou rapproche la construction de ce dernier de la névrose obsessionnelle : les hommes s’interdisent les femmes et établissent un pacte social sur cette base, avec ceci que le désir pour une femme devient impossible. Dans sa lecture de cette opposition, Marie-Hélène Brousse [11] fait remarquer que dans la version Totem et Tabou, au lieu que le désir languisse d’un objet éternellement interdit (la mère), le mythe fabrique une communauté des mâles – « promotion du masculin face au groupe féminin avec des rapports réglés entre les deux ». En cela, cette solution serait plus proche du lien social actuel : faire exister le rapport comme impossible (plutôt que comme interdit) avec la promotion de la communauté des mâles (montée des communautarismes religieux).
15Notre époque « pornographique » n’est-elle pas à lire comme une réponse à la dévirilisation [12] ? Nous sommes à l’ère de l’omnivirilisation des semblants, surenchère de virilité : machines à bander, condamnées à la comptabilité des performances, défaites de leur prestige phallique.
16Le fantasme est ici rabattu sur l’imaginaire, un trompe-l’œil universel, sur le versant où les hommes et les femmes seraient « tous les mêmes », tous virils.
Contingence
17L’enjeu actuel d’une analyse est d’autant plus vif qu’il s’agit de destituer le sujet de son fantasme phallique : un analyste ne saurait opérer à partir d’une position virile.
18L’analyse révèle l’obstacle que constitue la fonction phallique (Φ) en tant qu’elle « fait obstacle à la réduction du phallus au semblant ». Au moment où sont mises à jour les voies du désir, le fantasme phallique se fait d’ailleurs plus insistant, « comme si l’analyse avait cet effet de compresser (au sens d’un César) la fonction phallique », ainsi que J.-A. Miller le relève.
19Les voies selon lesquelles un sujet en vient à dire non à l’aspiration virile pour aller au-delà, sans crainte, s’avèrent singulières et contingentes. Là seulement, les sujets se révèlent n’être pas tous les mêmes.
Notes
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[*]
Christiane Alberti est psychanalyste, présidente de l’École de la Cause freudienne.
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[1]
Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. L’Un tout seul » (2010-2011), enseignement prononcé dans le cadre du département de psychanalyse de l’université Paris viii, cours du 9 février 2011, inédit.
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[2]
C’est d’ailleurs à ce titre que l’obstacle fantasmatique peut être surmonté, dépassé, traversé.
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[3]
La notion de « se hérisser », « se carapacer », a évoqué pour nous le jeu de mot que J.-A. Miller relève dans un passage de Madame Bovary repéré par Rose-Marie Bognar : « N’oublie pas le homard, amour d’homme ».
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[4]
Freud S., « L’analyse avec fin et l’analyse sans fin » (1937), Résultats, Idées, Problèmes, t. ii, Paris, puf, p. 268.
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[5]
Lacan J., Le Séminaire, livre v, Les Formations de l’inconscient (1957-1958), texte établi par Jacques-Alain Miller, Paris, Seuil, coll. Champ Freudien, 1998, p. 351.
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[6]
Ibid. De même qu’une femme « n’est pas elle-même » en tant qu’elle est le phallus : « étrangeté de son être par rapport à ce en quoi elle se doit de paraître ».
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[7]
Ibid., p. 403.
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[8]
Lacan J., « Remarque sur le rapport de Daniel Lagache : “Psychanalyse et structure de la personnalité” », Écrits, Paris, Seuil, coll. Champ Freudien, 1966, p. 683.
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[9]
Miller J.-A., « Des semblants dans la relation entre les sexes », La Cause freudienne, no 36, mai 1997, p. 10.
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[10]
Lacan J., Le Séminaire, livre xvii, L’Envers de la psychanalyse (1969-1970), texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, coll. Champ Freudien, 1991, p. 180.
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[11]
Brousse M.-H., « Hystérie for ever. Sur les traces de l’hystérie moderne », posté le 1 juin 2010 sur le site Uforca. Pour l’université populaire Jacques Lacan.
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[12]
Le spectre de la dévirilisation hante les sociétés européennes depuis la fin du xixe siècle jusqu’aux grandes guerres. Alain Corbin a très bien décrit cet archétype de « sexe en deuil » après Baudelaire, de l’homme triste à mourir de ce rôle auquel il est contraint, fardeau de l’image antique de la virilité guerrière.