Notes
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[*]
Sonia Chiriaco est psychanalyste, membre de l’ecf. Dernier ouvrage paru : Le désir foudroyé. Sortir du traumatisme par la psychanalyse, Paris, Navarin / Le Champ freudien, 2012.
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[1]
Lacan J., Le Séminaire, livre xi, Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, Paris, Seuil, 1973, p. 248.
-
[2]
Cf. Miller J.-A., « Une fantaisie », Mental, n° 15, février 2005,
-
[3]
Lacan J., « Peut-être à Vincennes », Ornicar ?, n° 17-18, 1979, p. 278.
-
[4]
Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. Tout le monde est fou », enseignement prononcé dans le cadre du Département de l’université Paris viii, cours du 4 juin 2008, inédit.
-
[5]
Miller J.-A., « L’inconscient et le corps parlant », La Cause du désir, n° 88, octobre 2014, p. 114.
-
[6]
Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. Choses de finesse en psychanalyse », enseignement prononcé dans le cadre du Département de psychanalyse de l’université Paris viii, cours du 14 janvier 2009, inédit.
-
[7]
Lacan J., Le Séminaire, livre xxiii, Le sinthome, Paris, Seuil, 2005, p. 17.
-
[8]
Freud S., « L’analyse avec fin et l’analyse sans fin », Résultats, idées, problèmes ii, Paris, puf, 1985, p. 234.
-
[9]
Lacan J., Le Séminaire, livre xxiii, op. cit., p. 45.
Croire à l’inconscient
1D’abord, je croyais au symptôme et, à travers lui, à l’inconscient. Quand le temps fut venu, je frappai à la porte de l’École de la Cause freudienne, parce que c’était l’École de Lacan, et fis immédiatement confiance à l’analyste que l’on m’indiqua, comptant sur ce grain de hasard pour faire résonner l’inconscient. Je me jetais à corps perdu dans l’association libre, me délectant de chaque interprétation de l’analyste. J’adorais sa voix. Je connus là l’enthousiasme du transfert, la griserie du déchiffrage, du sens qui, dans sa course effrénée, dévalait d’une séance à l’autre, me laissant croire à autant de trouvailles qui m’éblouissaient… l’espace d’un instant. Hélas, l’opacité reprenait immanquablement son droit. La croyance implique le doute, j’avais donc aussi affaire à ça. J’aimais assurément mon inconscient et cela me faisait supporter cette bataille contre l’angoisse, contre la répétition, contre le réel du symptôme. Puis, cette déjà longue analyse me fit apercevoir que le sens s’étiolait, réduisant mes tourments à quelques paroles qui avaient marqué ma chair, pauvres signifiants sans signification. Ma vie s’en trouvait simplifiée. Alors, grâce à cette parcelle de tranquillité gagnée sur l’intranquillité, je trouvai l’audace de m’autoriser à recevoir comme analyste.
2Un reliquat d’angoisse que je pensais incompatible avec ma position d’analyste, et que le contrôle était impuissant à colmater, me fit retourner vers l’analyse. Je choisis mon second analyste, non seulement parce qu’à mes yeux nul autre que lui n’incarnait mieux l’orientation lacanienne, mais aussi parce que sa présence convoquait mon angoisse. En somme, c’est à cette angoisse que désormais je me fiais. Il me fallait aller résolument au devant de ça.
De l’analysante à l’analyste
3La réduction se poursuivit, implacable, jusqu’à la passe, me faisant éprouver la puissance de l’équivoque et son impact sur le corps. C’est ainsi qu’à partir des « ormeaux » surgis d’un rêve et déclinés en une cascade d’équivoques jusqu’au « hors mots », je me cognai à l’intraduisible signifiant, hors sens, réduit à la lettre. Dès lors, je ne pouvais plus me fier qu’à l’inouï, frère du hasard, qui avait surgi en cette fin d’analyse pour me faire apercevoir comment j’avais été ballottée par les mots. Ce fut une vraie leçon pour l’analysante passée à l’analyste. Mon transfert à l’enseignement de Lacan n’en fut que renforcé.
4« Le désir de l’analyste n’est pas un désir pur » [1], dit Lacan. J’ai pu vérifier, à partir du signifiant « qui-vive », dévoilé dans la passe, comment ses racines plongeaient profondément dans l’inconscient. Signifiant tout seul, détaché du fantasme qui l’avait recouvert, trace indélébile de la pulsion, de la vie qui palpite, de ce Un qui itère inlassablement, ce « qui-vive » n’est pourtant pas un « je suis cela » ; il signale plutôt que j’ai affaire à cela, à cette force vitale, sinthome débarrassé de ce qui l’encombrait et qu’il s’agit dorénavant de manipuler. Savoir y faire avec le trou qu’il comporte et qui n’est autre que celui du traumatisme, du trou produit par la percussion du signifiant sur le corps, m’a permis d’en faire un outil de ma pratique analytique. Il m’en reste donc l’usage. Le corps en alerte, c’est à lui que je me fie pour traquer les signifiants des analysants, sans me laisser prendre au jeu du sens mais en jouant de l’équivoque. On voit par là que les corps de l’analysant et de l’analyste sont tous deux impliqués dans l’affaire.
L’Autre boussole
5Oui, nous sommes déboussolés [2] et pouvons même dire avec Lacan que « tout le monde est fou, c’est-à-dire délirant » [3]. Cette formule, qui fait de la folie la norme, Jacques-Alain Miller a proposé qu’elle soit « l’ultime boussole lacanienne » [4]. Analyser serait donc « diriger un délire » [5].
6Posons qu’à la place de « la morale civilisée » est venu l’empire de la norme, qui n’est qu’un nouveau délire, chacun voulant d’ailleurs être normal tout en se rêvant exceptionnel. Cette tension entre l’amour et la haine de la norme, voilà à quoi l’analyste d’aujourd’hui a affaire. Il a affaire au régime du Un qui gouverne chaque parlêtre et à la norme qui est une défense contre sa solitude radicale. Or, l’analyste a fait l’épreuve que le réel ne peut se résorber, ni dans une norme, ni dans des idéaux, ni dans la croyance à l’inconscient qui n’est lui-même qu’une « défense contre la jouissance » [6]. Il sait aussi que ce qu’il a acquis de sa propre analyse n’est pas reproductible, car radicalement singulier. Il lui reste donc à apprendre la langue de l’analysant pour accueillir l’inédit et y cueillir le plus inouï.
7À la place de la boussole, il compte sur l’invention ; à la place du sens, il se fie à la matière sonore du signifiant. L’équivoque, c’est sa seule « arme contre le sinthome » [7]. Alors il coupe, il tranche, il fait résonner le signifiant pour isoler l’empreinte qu’il a laissée sur le corps parlant.
8Si « le lion ne bondit qu’une fois » [8], à quoi se fie-t-il ? Pas à sa pensée, car il ne pense ni ne calcule. Pour foncer sur sa proie, il se sert de son corps, de sa voix, ne se fiant qu’à la motérialité du signifiant afin d’arracher des bouts de réel au bruissement du discours qu’il entend. Si l’analyste manie le semblant, il ne se fie pourtant qu’au pouvoir qu’a l’équivoque de faire vaciller le sens pour produire ce petit séisme qui permettra d’isoler le signifiant tout seul. Dans son acte, il n’est pas rare qu’il ait « le sentiment d’un risque absolu » [9].
Notes
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[*]
Sonia Chiriaco est psychanalyste, membre de l’ecf. Dernier ouvrage paru : Le désir foudroyé. Sortir du traumatisme par la psychanalyse, Paris, Navarin / Le Champ freudien, 2012.
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[1]
Lacan J., Le Séminaire, livre xi, Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, Paris, Seuil, 1973, p. 248.
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[2]
Cf. Miller J.-A., « Une fantaisie », Mental, n° 15, février 2005,
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[3]
Lacan J., « Peut-être à Vincennes », Ornicar ?, n° 17-18, 1979, p. 278.
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[4]
Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. Tout le monde est fou », enseignement prononcé dans le cadre du Département de l’université Paris viii, cours du 4 juin 2008, inédit.
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[5]
Miller J.-A., « L’inconscient et le corps parlant », La Cause du désir, n° 88, octobre 2014, p. 114.
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[6]
Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. Choses de finesse en psychanalyse », enseignement prononcé dans le cadre du Département de psychanalyse de l’université Paris viii, cours du 14 janvier 2009, inédit.
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[7]
Lacan J., Le Séminaire, livre xxiii, Le sinthome, Paris, Seuil, 2005, p. 17.
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[8]
Freud S., « L’analyse avec fin et l’analyse sans fin », Résultats, idées, problèmes ii, Paris, puf, 1985, p. 234.
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[9]
Lacan J., Le Séminaire, livre xxiii, op. cit., p. 45.