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Article de revue

Lumière et vaguelettes

Pages 36 à 38

Notes

  • [*]
    Anne Lysy est psychanalyste, membre de l’ecf et de la nls [New lacanian School], ae en exercice.
  • [1]
    Intervention prononcée lors du viiie Congrès de l’amp, « L’ordre symbolique au xxie siècle », Buenos Aires, 23-27 avril 2012.
  • [2]
    Cf. Lacan J., « Proposition du 9 octobre 1967 sur le psychanalyste de l’École », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 243-259.
  • [3]
    Ibid., p. 248.
  • [4]
    Ibid., p. 254.
  • [5]
    Cf. Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. L’Être et l’Un », enseignement prononcé dans le cadre du département de psychanalyse de l’université Paris viii, leçon du 30 mars 2011, inédit.
  • [6]
    Ibid., leçon du 23 mars 2011.
  • [7]
    Ibid., leçon du 4 mai 2011.
  • [8]
    Lacan J., Le Séminaire, livre xxiv, « L’insu que sait de l’Une-bévue s’aile à mourre », leçon du 14 décembre 1976, inédit.
  • [9]
    Ibid.
  • [10]
    Cf. Lysy A., « Faut y aller ! », La Cause freudienne, n° 75, juillet 2010 ; « Des mots qui portent », in « Soirée des ae sur la nomination », La Cause freudienne, n° 78, juin 2011, p. 140 & sq.
  • [11]
    Cf. « Il n’y a pas de dernier mot », après-midi des ae le 28 mai 2011 à Bruxelles, animée par É. Laurent, publiée dans Quarto, n° 100, septembre 2011, p. 27.
  • [12]
    Cf. Freud S., « L’analyse avec fin et l’analyse sans fin », Résultats, idées, problèmes, tome ii, Paris, puf, 1985, p. 234.
  • [13]
    Lacan J., Le Séminaire, livre xi, Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, Paris, Seuil, 1973, p. 248.
  • [14]
    Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. L’Être et l’Un », enseignement prononcé dans le cadre du département de psychanalyse de l’université Paris viii, leçon du 25 mai 2011, inédit. Merci à Christiane Alberti pour cette référence établie et la relecture de mon texte [nda].

1Quel grain de sel trouver à mettre sur la queue du petit poisson pour l’attraper [1] ? Le « désir de l’analyste » vous file entre les doigts, à peine pensez-vous avoir mis la main dessus. Il vous reste un éclat de lumière et des vaguelettes à la surface de l’eau.

2Le désir de l’analyste relève de la théorie de la fin de l’analyse et de la passe de 1967 [2]. C’est le nom d’un désir nouveau qui émerge avec la traversée du fantasme, dans une opération qui a le transfert comme « pivot » [3]. Dans le « virage » où « les deux partenaires [jouent] comme les deux pales d’un écran tournant », s’aperçoit « l’inessentiel du sujet supposé savoir » [4], tandis que l’objet chute de sa place d’obturateur du manque-à-être – avènement d’un désir qui n’est plus soutenu par le fantasme et qui a pu se produire en raison de l’x du désir de l’analyste qui a conduit l’analysant jusque-là [5].

3C’est une solution – Jacques-Alain Miller l’a souligné dans son cours [6] – en termes d’être et de manque-à-être, ce qui n’est le dernier mot ni de Lacan, ni de l’expérience effective des fins d’analyse et des passes aujourd’hui. Tirant les conséquences du dernier enseignement de Lacan, J.-A. Miller trace les coordonnées de ce qu’il appelle la « passe du sinthome » ou encore « l’outrepasse » [7], désignant une zone encore peu élaborée de ce qui se passe après la traversée du fantasme, en termes de mode de jouissance.

Savoir y faire avec son symptôme

4Je pose aujourd’hui la question : le savoir-y-faire avec son symptôme serait-il un nouveau nom du désir de l’analyste, une nomination qui en fait autre chose ?

5« Savoir y faire avec son symptôme, c’est là la fin de l’analyse », indique Lacan au début du Séminaire xxiv[8]. À la question « s’identifierait-on à son symptôme ? » [9], il préfère répondre en termes pragmatiques, mettant en avant la valeur d’usage : on a toujours affaire à son symptôme mais on sait tout au plus « y faire avec », « s’en débrouiller ».

6Avec quoi ? Avec ce qui reste et qui ne change pas ; car le symptôme, ou sinthome, est ce qui ne se traverse pas, ce qui ne peut se négativer. C’est un « il y a » qui subsiste après l’évidement et la déconsistance opérée par l’analyse. Ainsi, mon analyse a certes produit une série de « il n’y a pas » (pas de signifiant de La femme, pas de dernier mot, pas de sujet supposé aimer sur lequel appuyer mon être), mais elle a aussi isolé un « il y a », soit « ce qui m’anime », ce qui me pousse – à dire, à faire, à m’avancer –, et qui fut désigné par des interprétations sur le mode « tu es ça » : « coureuse », « pleine d’énergie » [10]. À cet égard, la fin a été un choix, une option : « Je peux m’en servir plutôt que de m’en plaindre. » Le « ça court » ne change pas, mais ma position a changé : l’ayant reconnu et accepté, j’ai parié dessus. Le reste n’est dès lors plus un boulet, mais quelque chose qui fait rebondir.

7Quel rapport alors entre ce symptôme comme événement de corps, qui dans l’outrepasse se cerne, et ce avec quoi j’opère comme analyste ? Qu’est-ce qui sert : le vide obtenu du détachement du tuteur ou « l’énergie » ? Pas l’un sans l’autre, car l’usage n’est devenu possible qu’une fois le support de l’Autre volatilisé. Un reste devenu actif – mais pas à la manière d’une performance à la Beuys à la Biennale de Venise, comme me disait Éric Laurent à Bruxelles [11]. Il ne s’agit pas non plus de faire courir les analysants… Ce serait alors s’identifier ou se faire un nom de son symptôme.

8Comme je l’ai dit à l’un de mes passeurs, je pourrais parler de ma position comme analyste en termes d’« être sur le qui-vive », attente ouverte à ce qui se produit d’imprévisible, telle le lion qui ne bondit qu’une fois[12] – mais il s’agit d’un nom qui, pas plus que « coureuse », n’est à prendre comme une « essence », une identité, un idéal de l’analyste. Car ce n’est pas un programme de l’être, mais un faire, à partir d’une existence.

9Le savoir-y-faire n’est pas devenu, pour moi, une frénésie générale de la propulsion… Mais je puis témoigner d’un gain de légèreté dans ma pratique. Je suis toujours attentive, comme au début, à la façon dont chacun est pris dans les rets de l’Autre ; mais, aux prises avec l’inertie de ce qui ne bouge pas, je suis moins épuisée par l’impératif : « Il faut que ça bouge ! » Il s’agit surtout de faire apercevoir ce qui anime le sujet au-delà de sa fiction de l’Autre, en se faisant un instant le porte-parole d’un « où jouis-tu ? », par un silence, un geste, des mots. Par exemple, à cette analysante, qui soudain pressent que sous les oripeaux d’une Cendrillon discrète et gentille, un « autre monstre » l’habite, et se répand en lamentations, je lance : « Loup, y es-tu ? ! » La comptine dédramatise mais lui permet de reconnaître que c’est bien là !

Pas un désir pur, ni un désir vide

10La perspective du sinthome met en lumière que le désir de l’analyste n’est « pas un désir pur » [13]. Pas seulement « vide », il est enraciné dans le corps.

11Je l’ai rencontré ainsi dans mon analyse, « mode de présence inouïe » de l’analyste. Pas question d’empathie, de contre-transfert, de communication des inconscients ! Plutôt le choc des interprétations au-delà des méandres du sens, voire même « homologues à l’événement de corps ». Là où je cherchais l’issue de ma « fidélité pathologique » en termes universels (ce qu’il serait « normal » de supporter), la question initiale, « est-ce qu’on ne peut pas dire que vous en jouissez ? », visait d’emblée un au-delà des identifications et des normes (« vous êtes dans l’illimité des concessions… ») ; ce fut un premier tournant nécessaire pour débusquer des années plus tard, à ma grande surprise, un mode de jouissance désigné par ces mots : « Vous êtes une coureuse ! »

12Il n’y a pas d’analyste universel. Dirais-je qu’il y a le style particulier de chaque analyste ? Eh bien oui ! Sans doute, comme Lacan a pu dire que ce n’est pas pareil d’avoir eu sa maman ou celle de son voisin, ce n’est pas pareil d’avoir eu cet analyste plutôt qu’un autre. Il n’y a pas une abstraction de l’analyste comme point vide – un analyste completely analyzed au point de s’abstraire dans l’universel, ce qui ne serait somme toute qu’une version du standard ipéiste des analystes tous pareillement habillés de gris. Je ne suis pas en train de dire qu’on analyse avec son fantasme ou sa névrose – quand même, l’analyste doit s’être extrait de ça ! Mais est-ce qu’il s’extrait jamais de son symptôme ? Il me semble que le savoir-y-faire implique une marge, un peu de « jeu ». Le symptôme ne cesse pas, mais le savoir-y-faire, lui, n’est pas un état permanent. Il n’est pas non plus une technique « acquise » une fois pour toutes, prête à l’emploi, applicable comme une grille de lecture.

13L’analyste est « averti » par son analyse que l’ombilic à cerner est au-delà du sens, même s’il faut en passer par les voies du sens et les détours du désir, et il opère en visant cela : « Où jouis-tu ? »

14Lacan n’a pas cessé de se poser la question de ce qui peut pousser quelqu’un à occuper la place de l’analyste. Reculerons-nous à dire que notre mode de jouir est inclus dans notre rapport à la psychanalyse ? Cette question de J.-A. Miller m’interpelle : « Dans l’espace de l’outrepasse, Lacan inscrit à l’horizon – j’irai jusque-là – de mettre au jour le sens du symptôme psychanalytique. De quoi est faite une psychanalyse ? Votre attachement à elle ? Jouissance de la psychanalyse ? » [14]

Notes

  • [*]
    Anne Lysy est psychanalyste, membre de l’ecf et de la nls [New lacanian School], ae en exercice.
  • [1]
    Intervention prononcée lors du viiie Congrès de l’amp, « L’ordre symbolique au xxie siècle », Buenos Aires, 23-27 avril 2012.
  • [2]
    Cf. Lacan J., « Proposition du 9 octobre 1967 sur le psychanalyste de l’École », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 243-259.
  • [3]
    Ibid., p. 248.
  • [4]
    Ibid., p. 254.
  • [5]
    Cf. Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. L’Être et l’Un », enseignement prononcé dans le cadre du département de psychanalyse de l’université Paris viii, leçon du 30 mars 2011, inédit.
  • [6]
    Ibid., leçon du 23 mars 2011.
  • [7]
    Ibid., leçon du 4 mai 2011.
  • [8]
    Lacan J., Le Séminaire, livre xxiv, « L’insu que sait de l’Une-bévue s’aile à mourre », leçon du 14 décembre 1976, inédit.
  • [9]
    Ibid.
  • [10]
    Cf. Lysy A., « Faut y aller ! », La Cause freudienne, n° 75, juillet 2010 ; « Des mots qui portent », in « Soirée des ae sur la nomination », La Cause freudienne, n° 78, juin 2011, p. 140 & sq.
  • [11]
    Cf. « Il n’y a pas de dernier mot », après-midi des ae le 28 mai 2011 à Bruxelles, animée par É. Laurent, publiée dans Quarto, n° 100, septembre 2011, p. 27.
  • [12]
    Cf. Freud S., « L’analyse avec fin et l’analyse sans fin », Résultats, idées, problèmes, tome ii, Paris, puf, 1985, p. 234.
  • [13]
    Lacan J., Le Séminaire, livre xi, Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, Paris, Seuil, 1973, p. 248.
  • [14]
    Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. L’Être et l’Un », enseignement prononcé dans le cadre du département de psychanalyse de l’université Paris viii, leçon du 25 mai 2011, inédit. Merci à Christiane Alberti pour cette référence établie et la relecture de mon texte [nda].
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