Couverture de LCDD_061

Article de revue

L’affaire Masud Kahn

Pages 188 à 190

Notes

  • [1]
    Revue Française de Psychanalyse, tome 67, n° 3, juillet 2003.

1Masud Kahn, psychanalyste de renommée internationale, fut radié de la Société britannique de psychanalyse, après avoir été démis d’une fonction de didacticien qu’il exerça pendant plus de quinze ans. Le scandale de ses écarts fut porté en 2001 sur la scène médiatique, lorsque l’un de ses anciens patients, l’économiste Wynne Godley, à l’époque en poste au Trésor, narra par le menu dans un article de la London Review of Books, le 22 février 2001, puis dans le Times, comment il avait suivi son analyste dans de tumultueuses virées mondaines. Linda B. Hopkins, qui prépare une biographie, y voit les effets sur la cure de Masud Khan de la théorie erronée de Winnicott, son analyste.

2Plus simplement, son cas relèverait d’une contre-indication à la pratique de l’analyse, estiment deux psychanalystes de la Société psychanalytique de Paris, Andrée Bauduin et Paul Denis : il aurait fallu interdire à l’analyste pervers narcissique Masud Khan la voie de l’habilitation. Leur article figure dans un numéro de la Revue Française de Psychanalyse[1] consacré à la perversion narcissique, une entité nosographique construite sur la séduction maternelle, introduite par Racamier à partir de son expérience de la psychose. Il l’étendit du cadre de la schizophrénie, qui lui avait donné naissance, aux institutions psychiatriques et aux pervers narcissiques qui mettent en péril le cadre de soins. Boucsémissaires des échecs du thérapeute, Racamier les poursuit d’une haine implacable – « Tuez-les, ils s’en foutent, humiliez-les, ils en crèvent », cité par Gérard Bayle (Paul-Claude Racamier, Paris, puf, 1997) – qui n’a rien à envier à la hargne intolérante d’un Krafft-Ebing à l’endroit des coupeurs de nattes. La notion sera étendue aux familles, aux groupes, aux entreprises.

3Il restait à A. Bauduin et P. Denis à l’appliquer aux groupes psychanalytiques. Elle leur sert à montrer comment se transmet, par la voie du divan, non pas une tradition transférentielle (le fameux transfert didactique, vilipendé par Glover), mais une aberration. Sur la base d’un exemple, ils esquissent le schéma d’une généalogie analytique déviante étendue sur quatre générations : A, « pervers très notoire » fut l’analyste de B, un « pervers notoire » devenu l’analyste de C, lui, non pervers mais « dans le déni » et transmetteur de la déviation à D1, D2 et D3, eux, des imposteurs évidents – admis néanmoins par leur société. Au lieu d’une aptitude à correctement gérer le contre-transfert, il se serait transmis de A à C un a priori contre-transférentiel qui favoriserait la position maternelle (bienveillante) de l’analyste et une illusion (confinant à la toute-puissance) de pouvoir ipso facto réparer chez son patient les défaillances maternelles d’autrefois. Le pervers, devenu analyste, mettrait en œuvre une attitude contre-transférentielle de mère toute-puissante, ignorante de la différence des sexes ; s’il est un homme, il confondrait la demande faite à la mère avec une adresse sexuelle le concernant.

4Le paradigme de l’analyste pervers narcissique vaut ce que vaut la catégorie nosographique, dont les auteurs admettent l’imprécision. S’agissant de Masud Khan, la « plausibilité » du diagnostic leur suffit. Ils acceptent, de même, et avec enthousiasme, l’assertion formulée par François Périer d’une identification de Lacan « à une mère toute-puissante ». Un bref liminaire à leurs élucubrations, dont la terminologie polémique est empruntée à l’actualité la plus brûlante, indique que ce qui leur est essentiel gît en ce paratexte, l’article lui-même n’étant qu’un prétexte.

5Herbert Wachsberger

Andrée Bauduin et Paul Denis, La Perversion narcissique de l’analyste et ses théories, Revue Française de Psychanalyse, 2003, tome lxviii, n°3 (La perversion narcissique), 1007-1014 & texte liminaire

6Rendons justice à Paul Denis ! C’est un passionné, fou de Lacan et des lacaniens au point de ne plus penser qu’à eux. Ce n’est pas dire qu’il les voit gambader d’un bon œil. Au contraire, il a la passion mauvaise qu’il décline avec plus ou moins de force, du persiflage à la calomnie. On peut, d’un rude langage, qualifier ce tropisme en termes clairs : pulsion de mort et transfert négatif, la première nourrissant le second. C’est ainsi que le dossier qu’il consacre au sulfureux Masud Khan est précédé de ce liminaire : « Les manquements à l’éthique psychanalytique, soutenus parfois par une théorisation qui vient les justifier, contribuent, avec la prolifération de « psychanalystes » autoproclamés, à entraîner une défiance contre la psychanalyse elle-même. »

7Bien qu’il ait été fortement malmené dans les Lettres à l’opinion éclairée, il ne désarme pas, mais veille à s’avancer masqué. Pour attaquer Lacan, il prend cette fois prétexte, avec sa corédactrice Andrée Bauduin, de Masud Khan. Celui-ci n’est donc qu’une occasion pour poser sur Lacan, sa pratique, ses élèves et tous les lacaniens, un jugement qui s’apparenterait à un diagnostic : analyste pervers narcissique. Les lacaniens, tous des analystes pervers narcissiques plus ou moins notoires ! En effet, pour nos auteurs, cela n’est pas accidentel, mais résulte d’une tradition, véritable bien qu’inaperçue, mais nourrie en outre par une théorie sous-jacente : l’exaltation de la toute-puissance maternelle. Une théorie perverse et dangereuse qui justifierait que les analystes puissent jouir de leurs patients et patientes comme bon leur semble. Cette toute-puissance aurait été théorisée par Lacan, mais aussi par Winnicott, l’analyste de Masud Khan. « La toute-puissance ignore la différence des sexes, même si elle s’incarne différemment selon que l’analyste est homme ou femme. Ainsi, chez les analystes hommes, les passages à l’acte sexuels qui seraient, semble-t-il, plus fréquents que chez les analystes de sexe féminin, résulteraient souvent du fait qu’ils confondent – ou feignent de confondre – la réclamation que la patiente adresse à une mère omnipotente et folle avec la demande d’un amour sexuel adressée à un homme. La toute-puissance maternelle, Lacan l’a incarnée, magnifiquement, et parfois dans sa plus extrême destructivité » (p. 1012).

8Ce texte, écrit avec une remarquable absence de style, accumule amalgame, allusions fielleuses et indigence théorique. En effet, s’il est légitime et fécond de lire Winnicott avec Lacan, que vient faire l’extravagant Masud Khan dans cette affaire ? Comme le montre le témoignage de l’un de ses analysants, Wynne Godley, publié dans le même volume (« Sauver Masud Khan », traduit de l’anglais par Hélène Goutal-Valière), Masud Khan, loin d’être l’audacieux et génial clinicien que certains, comme André Green ou Jean-Bertrand Pontalis, ont cru reconnaître, apparaît bien plutôt comme la victime de sa jouissance même.

9Philippe Hellebois


Date de mise en ligne : 01/12/2017

https://doi.org/10.3917/lcdd.061.0188

Notes

  • [1]
    Revue Française de Psychanalyse, tome 67, n° 3, juillet 2003.

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