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Article de revue

Différence des sexes, homosexualité et filiation

Pages 75 à 98

Notes

  • [*]
    Article initialement paru dans Homoparentalités, état des lieux, (s/dir.) Gross M., Paris, éditions érès, 2005. Publié ici avec l’aimable autorisation de l’auteur, de Martine Gross et des éditions érès.
  • [**]
    Irène Théry est sociologue du droit, directrice d’étude à l’École des hautes études en sciences sociales.
  • [1]
    Pour une analyse du débat politique sur le pacs et une critique de la proposition de loi, cf. Irène Théry, « pacs, sexualité et différence des sexes », Esprit, octobre 1999, qui est une version plus développée de cette contribution.
  • [2]
    Héritier F., Masculin/Féminin – La pensée de la différence, Paris, Odile Jacob, 1996.
  • [3]
    Pour une analyse très suggestive de la notion d’ordre symbolique, cf. Stéphane Breton, « De l’illusion totémique à la fiction sociale », L’Homme, n° 151, 1999.
  • [4]
    Thomas Y., « Fictio legis, L’empire de la fiction romaine et ses limites médiévales », Droits, n° 21, 1995.
  • [5]
    Théry I., Couple, filiation et parenté aujourd’hui, La documentation française, Paris, Odile Jacob, 1998.
  • [6]
    Foucault M., La volonté de savoir, Paris, Gallimard, 1976, p. 59.
  • [7]
    Il fut, en particulier, l’un des conseillers de l’épiscopat sur la question du pacs.
  • [8]
    Titre d’une tribune signée par six intellectuels, dont Pierre Bourdieu et Didier Éribon, Le Monde, 1er mars 1996.
  • [9]
    Gauchet M., La religion dans la démocratie, Paris, Gallimard, 1998, p. 98 et sq.
    Notons cependant que la conception de la reconnaissance et de l’identité, telle que la met en œuvre le courant se réclamant des « gays and lesbian studies », présente la particularité d’allier à des formes classiques d’identitarisme une sorte de schéma marxiste-léniniste. La conception qu’a ce courant du rôle de l’identité homosexuelle n’est pas sans faire penser au rôle de la classe ouvrière dans le processus menant à la dictature du prolétariat.
  • [10]
    Pour un développement de cette thèse, cf. Bourdieu P., « La force du droit », Actes de la recherche en sciences sociales, n° 64, 1986.
  • [11]
    Pour une conception identitariste de la parité hommes/femmes et des discriminations positives dont devraient bénéficier les autres « minorités », cf. « Le manifeste – Pour l’égalité sexuelle », Le Monde, 26 juin 1999.
  • [12]
    Cf. en particulier le discours prononcé par son président, Daniel Defert, lors de l’anniversaire des dix ans de l’association Aides.
  • [13]
    C’est en particulier le cas d’Éric Dubreuil, président de l’Association des Parents et futurs parents Gays et Lesbiens (apgl) dans son livre Des parents de même sexe, Odile Jacob, 1998. Même si l’association n’est pas unifiée en un courant idéologique, le journal de l’apgl, Pagaye, témoigne d’une approche très semblable.
  • [14]
    Le premier est un point de vue, « Homosexualité, mariage et famille », Le Monde, 5 novembre 1997.
  • [15]
    Rapport sur le pacte civil de solidarité au nom de la commission des lois du Sénat, par M. Patrice Gélard, rapport du Sénat n° 258, p. 177.
  • [16]
    Ibid.
  • [17]
    Elle ne semble pas non plus avoir été traitée dans une autre publication, du moins à ma connaissance.
  • [18]
    Voir en particulier Fassin É., « L’illusion anthropologique », Témoin, n° 12, mai 1998 ; « pacs socialista, la gauche et le juste milieu », Le Banquet, sept.-oct. 1998 ; « Le savant, l’expert et le politique : la famille des sociologues », Genèses, n° 32, oct. 1998.
  • [19]
    Sur « les conditions intellectuelles du respect de l’autre », cf. Vincent Descombes, « Louis Dumont ou les outils de la tolérance », Esprit, juin 1999.
  • [20]
    Rapport sur le pacte civil de solidarité au nom de la commission des lois du Sénat, par M. Patrice Gélard, op. cit., p. 179.
  • [21]
    Précisons en outre, puisque je suis apparemment à moi toute seule à la fois le savant, l’expert et l’usage abusif des sciences sociales, que le rapport Couple, filiation et parenté aujourd’hui, dans lequel on trouve ladite définition de la famille, inclut à l’évidence des droits pour les familles monoparentales, pour les familles naturelles, pour les familles recomposées, et bien sûr, pour les familles homoparentales (droit en particulier à l’adoption simple, à la délégation d’autorité parentale, à la même fiscalité successorale pour léguer ses biens que pour un enfant, pour le compagnon d’un parent homosexuel, dans les mêmes conditions que tous les beaux-parents). Cela s’appelle, selon mon contradicteur : « Aux homosexuels, tout donner en tant que couples et rien en tant que famille » (« pacs socialista », op. cit., p. 152).
  • [22]
    Éric Fassin propose cette notion en juin 1999, à la journée d’études de la commission juridique de Aides consacrée à l’homophobie, pour désigner la forme particulièrement subtile d’homophobie qui consiste à définir la famille comme « l’institution qui articule la différence des sexes et la différence des générations ».
  • [23]
    Borillo D., « Le mariage homosexuel, un droit fondamental », Ex-aequo, fév. 1998, p.40.
  • [24]
    Intervention de Didier Éribon, lors d’un colloque public sur le pacs organisé par le club Témoin, 27 mai 1998.
  • [25]
    Voir la Journée d’étude sur l’homophobie (cf. note 41).
  • [26]
    Cf. en particulier le manifeste du Comité pour la Reconnaissance Sociale de l’Homosexualité (crsh).
  • [27]
    Voir en particulier les diverses formes d’homophobie établies par Borillo D., « L’homophobie plurielle », Ex-aequo, avril 1999.
  • [28]
    Intervention de Didier Éribon, lors d’un colloque public sur le pacs organisé par le club Témoin, 27 mai 1998.
  • [29]
    Gauchet M., La religion dans la démocratie, op. cit., p. 111.
  • [30]
    Pour un développement, cf. Théry I., « pacs, sexualité et différence des sexes », op.cit.
  • [31]
    Loraux N., Les Expériences de Tirésias, le féminin et l’homme grec, Paris, Gallimard, 1997.
  • [32]
    Laqueur T., La fabrique du sexe, Paris, Gallimard, 1992.
  • [33]
    Foucault M., La volonté de savoir, op. cit., p. 59.
  • [34]
    Schulz M., « Lesbiennes, les silences du droit », Les temps modernes, avril 1998.
  • [35]
    Théry I., « L’énigme de l’égalité », Esprit, mai 1999.
  • [36]
    Pour ma part, je n’approuve pas la conception comptable d’une parité 50/50, telle qu’elle a été développée dans la série « Parité info ». Mais ce serait l’objet d’un autre article.
  • [37]
    Martel F., Le rose et le noir, Paris, Le Seuil, 1996.
  • [38]
    Il s’agit donc d’une approche différente de celle de Sylviane Agacinski, qui constate la mixité comme un fait (qu’elle valorise), et fait de la parité l’objectif politique, dans son livre La politique des sexes, Paris, Le Seuil, 1998.
  • [39]
    Thomas Y., « L’union des sexes, le difficile passage de la nature au droit », Le Banquet, sept.-oct. 1998, p. 62-63.
  • [40]
    Je dois ces informations à Martine Gross, vice-présidente de l’apgl, que je remercie.
  • [41]
    Voir en particulier, pour une analyse juridique : Lacub M., « La construction juridique de la nature dans la reproduction hors nature : les fécondations artificielles dans les lois bioéthiques », dans Ronsin F., Le Bras H. et Zucker-Rouvillois E. (dir.), Démographie politique, Presses universitaires de Dijon, 1997. Et, pour un point de vue de psychanalyste fondé sur une expérience clinique : Delaisi de Parseval G., « Psychodynamique de la paternité dans les cas de procréation médicalement assistée avec don de sperme anonyme », Psychiatrie française, n°3, novembre 1998.
  • [42]
    Pour une analyse générale de la question du secret et de l’anonymat en matière de filiation, voir en particulier Delaisi de Parseval G. et Verdier P., Enfant de personne, Paris, Odile Jacob, 1994. Pour un lien entre ces questions générales et l’homo-parentalité, voir la préface de Geneviève Delaisi de Parseval au livre de Dubreuil É., Des parents de même sexe, op. cit.
  • [43]
    Sur l’élaboration de la notion de pluriparentalité dans les situations de recompositions familiales, cf. Théry I. et Meulders-Klein M.-T. (s/dir.), Les recompositions familiales aujourd’hui, Nathan, 1993 ; Théry I., « Différence des sexes et différence des générations, l’institution familiale en déshérence » dans le dossier « Malaise dans la filiation », Esprit, déc. 1996.
  • [44]
    Voir en particulier les propositions juridiques du chapitre « Familles recomposées », dans Théry I., Couple, filiation et parenté aujourd’hui, op. cit. Sur la question du secret et le droit à ne pas être privé de sa propre histoire, de nombreuses associations rassemblées autour du « droit à la connaissance des origines » ont élaboré un ensemble de propositions de modifications législatives. Voir en particulier, mais non exclusivement, les publications des membres de la cadco (Coordination des Actions pour le Droit à la Connaissance des Origines).

1La proposition de loi sur le pacs a contribué à développer en France un grand débat sur la question de l’homosexualité. En tant que tel, ce débat faisait avancer les esprits, parce que sa seule existence contribuait à mettre fin à la relégation d’une part de la sexualité humaine dans le silence et la honte, qui a marqué notre histoire occidentale. Mais en même temps, parce que le pacs fut un projet législatif fondamentalement marqué par le déni, il a généré des formes de débat public confuses et passionnelles. Affirmer en particulier que « le pacs n’a rien à voir avec la famille » est un tel déni que cela a engendré tout un enchaînement d’incompréhensions, qui ont parfois tourné à la confusion générale [1].

2Dans une période de mutations aussi importantes des rapports entre les sexes et les générations, ce débat confus a eu aussi une conséquence que l’on doit mesurer : les positions qui apparaissent les plus simples et (apparemment) les plus « radicales » y ont acquis une visibilité médiatique importante. Ainsi, deux courants ont particulièrement bénéficié de l’audience des médias : le courant néo-organiciste et le courant identitariste. Dans l’un et l’autre cas, ils ont fait de la question du mariage et de la filiation le cœur de leur combat. En apparence, tout les oppose : l’un défend le modèle matrimonial traditionnel, combat l’union libre et considère l’homosexualité comme une pathologie ; l’autre considère que l’enjeu majeur est la lutte contre la « domination hétérosexuelle », et revendique la désinstitution de la différence des sexes dans le mariage et la filiation. L’un se donne comme la figure de la résistance, l’autre comme celle de la révolution. Et pourtant, ils promeuvent l’un et l’autre la même confusion : celle du sexué et du sexuel. Cette distinction, il n’est pas évident d’en mesurer l’importance. Or elle est décisive pour la démocratie.

3On s’attachera d’abord à analyser le contexte dans lequel nous sommes aujourd’hui, celui de l’implosion du modèle matrimonial organiciste qui a dominé cent cinquante ans de notre modernité ; puis on analysera les positions respectives de deux courants qui, aujourd’hui encore, s’efforcent d’assimiler la différence des sexes avec l’hétérosexualité. On s’efforcera de montrer ensuite qu’une autre voie se dessine déjà pour la démocratie : la voie nouvelle de la mixité. Cette voie suppose de refuser de prendre pour acquise la partition de la sexualité humaine en deux sexualités, l’homosexualité et l’hétérosexualité, partition héritée du modèle organiciste de la famille du xixe siècle. Elle suppose aussi de refuser d’assigner les homosexuels à « l’en deçà de la différence des sexes », assignation qui est le cœur même de l’homophobie. La voie de la mixité est la voie d’une autre conception de la filiation, opposant au « tout-biologique » et au « tout-volonté » (qui ne sont que les deux faces du même réductionnisme biologisant), la valeur fondamentale de l’égale responsabilité des hommes et des femmes dans la filiation ainsi que du droit de tout enfant à ne pas être privé de sa propre histoire. Dans cette voie, les questions soulevées aujourd’hui par la filiation « homoparentale » peuvent être la promesse d’une avancée pour la société tout entière.

La confusion du sexué et du sexuel

De la distinction du sexué et du sexuel : l’enjeu symbolique

4La distinction du sexué et du sexuel paraît simple : le sexué renvoie au masculin et au féminin et le sexuel renvoie à un comportement, la sexualité. Cependant, elle n’est pas évidente, car ni l’un ni l’autre ne sont de l’ordre du pur fait. L’identité sexuée, en effet, n’est pas un pur donné biologique. Être une femme ou un homme n’est jamais simplement être une femelle ou un mâle de l’espèce humaine. L’appartenance à un sexe est toujours mise en signification, tant à travers la culture qui construit le « genre », qu’à travers les institutions qui énoncent comment une société pense le lien entre les hommes et les femmes. On sait à quel point le masculin et le féminin sont variables selon les cultures, et à quel point les organisations sociales peuvent faire changer les rôles respectifs que jouent les femmes et les hommes dans la cité [2]. Ainsi la différence des sexes construite par la culture et les institutions relève de l’ordre symbolique par lequel une société se met elle-même en représentation, afin d’assurer son être-ensemble en référence à des significations partagées [3].

5Cette symbolique sexuée, cependant, qui différencie pour les lier le masculin et le féminin, n’est pas facile à distinguer de la question sexuelle, qu’il n’est pas facile à son tour de distinguer de celle de la reproduction. Notre espèce n’étant pas hermaphrodite, si toutes les sociétés humaines se préoccupent du masculin et du féminin, c’est bien à cause de l’expérience de l’asymétrie des corps sur laquelle repose la reproduction biologique. Comment n’y aurait-il aucun rapport entre les interdits sexuels que se donne une société (à commencer par l’inceste), la façon dont elle construit les familles en les instituant dans l’ordre symbolique de la parenté, et l’institution de la différence des sexes ? Mais qu’elles aient un rapport étroit ne signifie ni que ces questions se confondent, ni qu’elles se ramènent à du fait organique enveloppé de représentations et de normes. La tentation que l’on pourrait nommer organiciste est justement celle qui considère que reproduction, sexualité, famille et organisation sociale des rôles sexués seraient une seule et même chose. Elle fait comme si les fictions symboliques qui inscrivent dans la signification la copulation et la reproduction ne faisaient que reconnaître un ordre naturel préexistant.

6Yan Thomas a ainsi montré la différence entre l’approche du droit romain, où « l’empire de la fiction » permet de construire du sens de façon pragmatique sans prétendre s’appuyer sur le vrai et le faux, et l’approche du droit canon, qui pose dans certains domaines à la fiction juridique les bornes intangibles de la nature et de la vérité : « Sous le nom de “vérité” est désignée, pour l’essentiel, l’intangibilité de la frontière du corporel et de l’incorporel et la loi de la reproduction des corps. En ce sens, et en ce sens seulement, le droit s’aligne sur la nature et ne peut rien contre elle. » [4]

Le modèle matrimonial organiciste

7L’ordre matrimonial laïcisé qui se met en place en France après la Révolution, repose sur une fiction de premier ordre : « Le père est celui que les noces désignent. » Pourtant il a été justifié très profondément depuis le début du xixe siècle par une rhétorique organiciste fondée sur la nature, comme s’il ne faisait que « reconnaître » la vérité naturelle de la chair. Le sexué a tendance à s’y confondre avec le sexuel en cela que l’inégalité des sexes est posée comme une donnée de nature, elle-même liée à la différence des identités masculine et féminine, elle-même issue de la sexualité reproductive, elle-même donnée comme l’accomplissement de la sexualité humaine. De là un ordre moral matrimonial, qui n’admet la sexualité que dans le cadre du mariage (voire, dans ce cadre, seulement pour la procréation) et condamne (avec des degrés dans l’intolérance, et une double morale pour les hommes et les femmes) toute sexualité extramatrimoniale : sexualité adolescente, amour libre, adultère, homosexualité.

8Pourtant, une borne juridique essentielle est mise au même moment par la société démocratique à cette confusion du sexué et du sexuel, qui est aussi une confusion de la morale et du droit : celle qui affirme la sexualité comme une affaire privée, un comportement qui relève éminemment de la liberté individuelle. Non seulement le droit n’a pas à s’en occuper, sinon négativement en posant les interdits (inceste, viol), mais il est consubstantiel au droit démocratique de protéger le droit à la vie privée, et en particulier la sexualité, de l’emprise totalitaire de toute « raison d’État ».

9Cette tension est au cœur des questions les plus actuelles. Le modèle matrimonial organiciste qui a dominé notre modernité pendant un siècle et demi a implosé à partir de la fin des années soixante, principalement du fait de l’égalité croissante des hommes et des femmes [5]. L’ordre moral qui l’accompagnait s’est effondré. De là des changements majeurs dans nos représentations du masculin et du féminin, du couple, du mariage, de la famille, et aussi de la sexualité. Mais cette implosion n’est pas seulement ou directement émancipatrice. Elle a une dimension véritablement anthropologique, en ce sens qu’elle interroge nos sociétés sur la façon dont elles « produisent » de l’humain. La mutation est telle qu’elle provoque aussi un immense désarroi sur la façon dont nous pensons désormais la différence des sexes, le couple, la filiation. Comment établir de nouveaux repères communs qui lient les sexes et les générations de façon signifiante ? Quant à la sexualité, il est patent que la « libération sexuelle » provoque aussi une inquiétude de fond sur la façon dont la société démocratique peut allier principe de liberté, protection de la vie privée, et mise en civilité de la pulsion sexuelle : la polarisation croissante sur l’abus sexuel, le viol, la pédophilie n’est pas seulement l’effet d’un attachement croissant aux droits des femmes et des enfants. Elle témoigne aussi de cette peur diffuse, par une obsession générale du risque, prête à se chercher tous les boucs émissaires.

10Dans le débat sur le pacs, tout cela était à la fois inévitablement très présent, et dénié. On a traité de l’homosexualité comme si la « question homosexuelle » avait surgi indépendamment des transformations globales de la société. Or, non seulement elle en est directement partie prenante, mais les notions mêmes d’homosexualité et d’hétérosexualité, que nous utilisons comme si elles allaient de soi, ont été forgées au xixe siècle [6], participant des représentations qui ont conforté le modèle organiciste. Le paradoxe fondamental de ce débat confus, c’est à quel point il dévaluait les enjeux symboliques de la différence des sexes, au moment même où leur égalité pose la question radicalement inédite de penser le lien entre hommes et femmes autrement que sur le modèle d’une complémentarité organique inégalitaire. Il déplaçait la question de la différence des sexes sur la sexualité, alors même que nous affirmons qu’il est essentiel aux libertés démocratiques qu’elle reste hors champ du droit, dont le seul rôle en la matière est de veiller aux interdits fondateurs de civilisation.

11Cette confusion croissante du sexué et du sexuel, qui est la défaite des fictions anthropologiques et des libertés démocratiques, exprime une tendance de fond de nos sociétés, emportées par la désymbolisation gestionnaire. Mais elle n’était jusqu’à présent pas revendiquée comme une valeur. Les deux courants qui semblaient les plus opposés nous y ont plongé de concert.

Les habits neufs du modèle organiciste

12Christine Boutin a beaucoup plu, surtout quand elle a brandi sa bible. Sa défense du mariage et de la filiation, au nom de la Nature, apparaissait si évidemment comme celle d’un ordre moral et social qu’il n’était pas difficile d’en faire un repoussoir. Boutant la pagaille hors de France, telle une nouvelle Jeanne d’Arc dans la fosse aux lions de la décadence de l’empire chrétien, la députée a follement amusé la galerie. Elle a aussi beaucoup nui à sa propre cause. Comment prendre au sérieux une pensée qui ne sait que renvoyer les concubins à l’immoralité, les mariés à la procréation, et les homosexuels dans les backrooms ? La manifestation anti-pacs qu’elle a organisée le 31 janvier 1999 a signé sa défaite politique.

13Pourtant, la « génération anti-pacs » peut se ridiculiser, sans pour autant que le courant idéologique auquel elle se rattache soit véritablement atteint. Il suffisait pour s’en convaincre de lire Le Monde du 26 juin 1999. Tony Anatrella, prêtre et psychanalyste, a joué un grand rôle politique et médiatique, tout au long des débats sur le pacs[7]. Son article, intitulé « À propos d’une folie » prolonge ses nombreuses publications sur la sexualité, et en donne la substantifique moelle. C’est la version « intellectuelle » de la position pacs out. Parce qu’elle ne se réclame pas de l’ordre moral ou religieux, mais du savoir psy, parce qu’elle met au centre de l’argumentation la question de la différence des sexes à un moment où cette différence est un sujet de désarroi, parce qu’elle titille l’inquiétude sexuelle là où ça fait mal, son audience va bien au-delà du seul courant familialiste intégriste. C’est pourquoi il semble utile de s’attarder sur un texte qui présente, de façon exemplaire, non seulement la pensée d’un individu, mais celle de tout un courant : le néo-organicisme.

14L’argumentation de Tony Anatrella est entièrement fondée sur l’assimilation de la différence des sexes à l’hétérosexualité. La sexualité est le vrai centre de sa démarche d’appréhension des enjeux sociaux et politiques.

15Il en déroule le développement : d’abord l’enfance et une sorte de bisexualité flottante, puis peu à peu le dépassement de « la quête de l’identique ou de l’idéalisation du semblable », et enfin l’accession à la sexualité « adulte » qu’est l’hétérosexualité, c’est-à-dire à « la différence des sexes ». Elle fonde la société : « C’est à partir de la relation homme-femme, qui s’exprime à travers l’hétérosexualité et dont découle la famille, que se fonde la société. » Cette analyse révèle le sens véritable de l’homosexualité : une sexualité restée au stade infantile, pour l’individu, et au stade primitif de la « préhistoire » pour l’humanité. Au plan individuel, l’homosexualité serait en fait « un particularisme, voire une orientation pulsionnelle », témoignant d’une sexualité « prégénitale », et au fond le « symptôme d’un problème psychique et d’un en deçà de la différence des sexes ». Au plan social, elle serait, « ce qu’il y a de plus primitif dans la sexualité », la trace d’un monde anté-social. En effet « l’impuissance et l’infécondité dont elle témoigne ne peuvent être source de lien social », et c’est donc à juste titre qu’elle doit inspirer la peur : « l’inquiétude qu’inspire l’homosexualité, au-delà du respect des individus, est un sain réflexe de survie ».

16C’est pourquoi Tony Anatrella se déchaîne tout particulièrement contre l’ajout d’un article sur le concubinage dans le Code civil, et l’inscription de la notion de « couple de même sexe » dans la symbolique du droit. Dans la perspective néo-organiciste qui est la sienne, cette notion est une hérésie puisque l’homosexualité, c’est du « sexuel » réduit à une sorte de pulsion animale. Il produirait tout au plus entre deux personnes une « relation » : « Cette solution est pire que le pacs, car elle oblige à penser que la réalité du couple, composé de deux personnes d’un genre différent, un homme et une femme, est semblable à une relation homosexuelle. »

17Comment supporter que la société démocratique s’auto-institue ? Il n’y a pas de liberté, pas d’auto-institution dans la pensée organiciste. La « réalité » dicte sa loi. Un article sur le concubinage, dans le Code civil, c’est déjà encourager le vice, puisque seul le mariage nous libère de la « précarité » et fonde la famille. Mais instituer le couple de même sexe, c’est la fin du monde civilisé : « La négation de l’altérité, c’est-à-dire du masculin et du féminin, au fondement du couple, de la réalité matrimoniale et de la parenté, serait créée dans le Code civil. »

18Il y aurait beaucoup à dire sur ce délirant paquet de fantasmes, qui dessine peu à peu la figure même du monstre. Il ne se contente pas de faire des homosexuels des malades, mais des malades dangereux. Comment ne pas voir qu’en faisant de l’homosexualité une sexualité infantile, il désigne indirectement tout homosexuel comme un pédophile en puissance ? Comment ne pas voir qu’en faisant de l’homosexualité une sexualité primitive, il la désigne indirectement comme la voie d’une régression sociale vers la barbarie et peut être en deçà encore ?

19On peut, on doit s’indigner. Mais il est urgent aussi de dépasser l’indignation pour comprendre l’extraordinaire renversement qu’opère ce type de pensée.

20Alors que l’institution de la différence des sexes participe des montages symboliques par lesquels toute l’humanité a dépassé le simple fait biologique et le simple fait reproducteur, détachant par le langage la sexualité humaine de l’organisation instinctive du rut, voilà qu’ici c’est au contraire une sexualité, parce qu’elle est reproductrice, qui créerait par elle-même le symbolique et l’accès à celui-ci ! Cette naturalisation du symbolique fait en somme des homosexuels des animaux isolés, et des hétérosexuels des animaux qui vivent en groupe. Dans les deux cas, ce ne sont pas le langage, la société et la culture qui font le sujet humain, c’est à l’inverse la collection des sexualités individuelles qui fait de la société. Du moins pour les chanceux hétérosexuels. On ne peut pas rêver plus grand retournement de la psychanalyse, de l’anthropologie et de la sociologie. Pourtant, on ne doit pas sous-estimer l’audience que peut acquérir un tel discours. Il surfe sur toutes les tendances de la société contemporaine. D’abord sur ses peurs en matière sexuelle et ses inquiétudes en matière sociale. Mais aussi sur sa tendance à disqualifier en permanence les fictions qui inscrivent la vie humaine dans la signification et la vie sociale dans l’institution. En faisant du normal et du pathologique le cœur de la question des sexualités, et de l’hétérosexualité la garantie du social, ce néo-organicisme ne fait que pousser la tendance qui, aujourd’hui, fait du « développement de l’enfant », observé par les spécialistes, le guide normatif suprême du bon et du mauvais, du permis et du défendu, du juste et de l’injuste. Jusqu’à présent on disqualifiait le symbolique au nom de la vérité du développement psychobiologique individuel. Tony Anatrella boucle la boucle : il fait de ce psychobiologique le symbolique lui-même. L’immersion du culturel dans l’organique est ce qu’il nomme la « réalité universelle ».

21La confusion du sexué et du sexuel, qui rabat le symbolique sur la sexualité, et la différence des sexes sur l’hétérosexualité, fait de ce qui appartient à tous le privilège de la majorité. Car qu’est-ce qui appartient davantage à tous que notre lot commun, c’est-à-dire le langage, la culture et la société dans laquelle nous sommes tous nés ? La culture humaine, instituant la différence des sexes, non seulement la propose mais l’impose à tous. Homosexuels ou hétérosexuels, nous sommes tous hommes et femmes, tous inscrits dans le masculin et le féminin, nous vivons tous dans la différence des sexes, et nous contribuons tous, aussi, à transformer les stéréotypes attachés aux genres dans la société qui est la nôtre. Depuis quand désirer le même sexe serait-il être « en deçà » de la différence des sexes ? Les homosexuels prendraient-ils leurs partenaires à l’aveugle, sans se rendre compte que le genre humain est sexué ? Les éliraient-ils à l’instinct, comme de simples mâles ou femelles ? Ou les désirent-ils, comme tout le monde, à partir de ce que la symbolique du masculin et du féminin a façonné, à travers l’histoire singulière de chaque psyché humaine, de leur orientation sexuelle ?

22On ne sera pas véritablement étonné de voir un tel courant de pensée faire de la confusion sexué/sexuel le cœur de toute son argumentation. Elle montre bien à quel point dénier aux homosexuels l’accès à la différence des sexes, c’est leur dénier, en fait, l’accès à la différenciation symbolique en général. Le cœur de tous les fantasmes homophobes est bien là : dans ce monde incestueux du magma sexuel organique, dont l’homosexuel est censé ne jamais s’évader. On comprend qu’il alimente ensuite, avec tous les degrés qu’on voudra, les effrois les plus irrationnels sur la question du lien aux enfants. C’est pourquoi la réponse aux attaques qui, lors de ces débats sur le pacs, ont si souvent assigné les homosexuels à la « mêmeté », reste bien faible quand elle se borne à leur opposer qu’un individu est toujours différent d’un autre. Elle ne prend pas en compte, faute sans doute de l’imaginer possible, qu’en réalité le fantasme de l’autre est de les croire englués dans le magma incestueux.

23Pourtant, la confusion du sexué et du sexuel n’est pas l’apanage des homophobes. Elle est aussi, sous une autre forme, au centre de la rhétorique d’un courant militant qui pour être peu nombreux, n’en a pas moins bénéficié d’une percée médiatique équivalente à celle du courant néo-organiciste lors du débat sur le pacs : le courant identitariste.

La rhétorique du courant identitariste

24« Pour une reconnaissance légale des couples homosexuels » : le mot d’ordre a été l’une des origines du pacs[8]. Pourtant, derrière le consensus apparent, est toujours restée une ambiguïté car le mot de « reconnaissance » a deux significations politiques opposées.

25Banalement, on comprend qu’il s’agit de reconnaître en droit l’existence d’un lien que la perception collective a déjà identifié dans la vie sociale. Il ne s’agit pas d’entériner un « fait » – un lien n’est pas un fait, mais une entité culturelle – mais de transformer notre système de normes juridiques. Dans cette perspective, l’enjeu était donc non seulement pratique (accorder des droits précis, sociaux, fiscaux, etc.) mais aussi symbolique : élargir notre définition séculaire du couple pour y intégrer les couples de même sexe. En effet, cette acception banale du mot attribue au droit commun la valeur d’énoncer des fictions participant éminemment des grandes références qui font l’être-ensemble d’une société, y compris pour assurer son pluralisme.

26Mais le mot de reconnaissance a aussi un sens particulier, celui que lui donne la « politique de la reconnaissance » [9] dans une logique identitariste. Le droit, pour ceux qui voient la société comme un ensemble de minorités construites par l’oppression des dominants, n’est jamais que faussement commun. Il est par définition le système majeur de légitimation du pouvoir des dominants [10]. Dans cette perspective, ce qui est exigé du droit est non pas qu’il intègre une dimension nouvelle aux normes communes, mais bien plutôt qu’il opère un radical retrait. Tout ce qu’on lui demande est d’abolir les distinctions symboliques, puisque une distinction n’est jamais ce qui lie, et toujours ce qui sert à discriminer. Dans la « logique de la reconnaissance » le droit idéal ne dit rien du monde social. Ce n’est qu’une machine à distribuer uniformément les droits individuels qui permettront à chacun de se défendre contre tous. Quant à la question du lien social, du sens et des valeurs, il est hors de question qu’elle soit commune, puisque cela supposerait d’assujettir les « dominés » à ceux qui les « dominent ». Elle se joue uniquement dans la lutte politique de chaque minorité opprimée. Reconnaître une minorité, c’est donc d’abord se taire : elle seule connaît la vérité et a le droit de parler. C’est pourquoi l’identitarisme peut aisément passer pour « universaliste », tout en étant antirépublicain. Réduisant d’un côté le social à une collection d’individus abstraits, il utilise de façon politicienne la référence aux Droits de l’Homme, et demande pour tous les mêmes « droits à ». Réduisant de l’autre la société à un système d’oppression, il exige en revanche ses droits particuliers, sous l’angle de la discrimination positive et de la représentation politique [11].

27La politique de la reconnaissance est une façon de penser le politique. On peut la théoriser sans se revendiquer personnellement de telle ou telle minorité. Mais sa mise en œuvre suppose l’engagement de militants. Parmi les homosexuels, elle ne fut longtemps pas plus forte que la référence en général aux « minorités » dans un pays de tradition républicaine. Parce qu’elle suppose une identité homosexuelle, elle a trouvé en outre une double borne dans la vitalité des associations de lutte contre le sida. D’une part celles-ci intégraient la dimension spécifique de l’homosexualité à une mobilisation pour l’aide et les droits des malades en général ; d’autre part la référence à Michel Foucault y était forte, et a contribué à détourner de « l’enfermement identitaire » [12].

28Mais, plus récemment, a commencé de se développer un courant identitariste, se référant principalement aux « gays and lesbian studies » américaines. Lors du débat sur le pacs, ce courant a connu une audience croissante, en particulier au sein de la presse gaye et du mouvement associatif parisien. Dans le débat public et médiatique en général, son radicalisme a également contribué à lui assurer une place importante.

29En effet, le propre de ce courant n’est pas d’avoir revendiqué le mariage ou l’adoption pour les couples de même sexe, ou encore l’accès aux inséminations avec donneur (iad) pour les lesbiennes. D’autres courants le font, en développant tout un ensemble d’arguments : droits de l’individu à s’épanouir librement, respect du désir de chacun de pouvoir s’unir officiellement à la personne de son choix, et surtout réfutation des arguments psychologiques liés aux prétendus « troubles du développement » de l’enfant élevé par un couple homosexuel [13]. La particularité du courant identitariste est d’avoir fait du mariage et de la filiation « asexués » le centre unique de son combat, placé exclusivement sous le signe de « l’égalité des sexualités ». Il est aussi d’avoir combattu de façon radicale toute institution de la différence des sexes, conçue comme le produit et le moyen privilégié de la « domination hétérosexuelle ».

Une étrange conception de la différence des sexes

30Mais ce qui nous intéressera surtout ici est la confusion de la différence des sexes avec l’hétérosexualité, qui est à la base de cette argumentation. Au plan théorique, rien n’en témoigne plus clairement que les nombreux articles et entretiens qu’Éric Fassin, sociologue engagé aux côtés des militants identitaristes, a consacré à ces sujets depuis la fin 1997 [14]. Bien qu’abordant le débat politique sous des angles divers, ils déploient tous la même logique, et visent tous le même ennemi : la différence des sexes, cœur de l’oppression « hétérosexiste ».

31En effet, ce qu’Éric Fassin nomme la différence des sexes n’est pas l’institution du masculin et du féminin, dont on a dit plus haut qu’étant caractéristique de toute culture elle inscrit tout individu, quelle que soit sa sexualité, dans le symbolique sexué. En témoigne en particulier ce qu’il nomme « l’illusion anthropologique », une question à laquelle il attache une très grande importance, au point d’y avoir consacré son intervention devant la Commission des lois du Sénat, le 27 janvier 1999, en plein affrontement sur le pacs : « Je l’ai dit, je suis sociologue, mais si j’interviens aujourd’hui c’est aussi pour protester contre un usage abusif des sciences de la société. » [15] Cet usage abusif consisterait à « soustraire à la délibération démocratique la définition du couple, de la famille et de la parenté, parce qu’elle serait fondée sur une détermination scientifique » [16]. La définition du couple fondée sur une « détermination scientifique » n’est pas illustrée [17]. En revanche, plusieurs articles d’Éric Fassin permettent de comprendre que « l’usage abusif des sciences sociales » consiste à définir la famille ou la parenté comme « l’institution qui articule la différence des sexes et la différence des générations » [18]. On voit mal, a priori, en quoi une définition abstraite à partir de toutes les formes de familles et de parenté connues au monde, peut être « un usage abusif des sciences sociales ». On aurait plutôt pensé qu’on avait là le meilleur des usages scientifiques (et même politiques) de l’anthropologie, puisqu’il permet de parer à toute tentation ethnocentriste qui assignerait l’Autre à l’étrangeté [19].

32La réponse à cette interrogation tient en réalité à l’idée très particulière que Éric Fassin semble se faire de la différence des sexes, et dont témoigne ce que, selon lui, elle « exclut » : tout d’abord toutes les familles homoparentales, mais aussi les familles monoparentales, et même, si on en croit son intervention au Sénat, les familles naturelles :

33« Les célibataires peuvent adopter, les mères peuvent avoir des enfants sans père légitime. Si demain nous devions imposer la différence des sexes au principe de la famille, c’est à ceux-là aussi, et pas seulement aux couples homosexuels qu’il faudrait fermer la porte – aux célibataires on interdirait sans doute l’adoption, comme on leur interdit déjà le recours aux procréations médicales assistées ; mais des femmes qui font des bébés “toutes seules”, comme on le dit aujourd’hui, que ferait-on après les avoir interdites de famille – sans parler de leurs enfants ? Bref, quel serait le coût social et humain d’un principe – la différence des sexes – que nous imposerait non pas la détermination anthropologique, mais plutôt la volonté politique de fermer le mariage et la filiation à l’homosexualité à tout prix ? » [20]

34La seule question que l’on se pose, à cette évocation surréaliste, est évidemment de se demander comment un sociologue, informé de surcroît d’anthropologie, a pu imaginer que la différence des sexes, c’est-à-dire du masculin et du féminin, pouvait être incompatible avec un seul des cas qu’il cite [21].

35La réponse ne peut être que politique : assimiler la différence des sexes au couple homme-femme, et ce couple à l’hétérosexualité, tient à la rhétorique particulière du courant identitariste, entièrement organisée sur l’opposition entre deux sexualités : l’hétérosexualité dominante et l’homosexualité dominée. En réalité, sous le terme de différence des sexes, ce n’est pas celle-ci, mais sa forme la plus répandue aujourd’hui dans les systèmes de parenté, la mixité, qui est visée. Comme elle « favorise » le couple hétérosexuel, qui est également mixte, on en déduit qu’elle n’a d’autre sens ni d’autre fonction que de privilégier un seul modèle de sexualité. Le masculin et le féminin apparaissent alors comme des constructions sociales totalement artificielles, dont la seule fonction est de légitimer et de reproduire l’oppression de l’homosexualité. La notion d’« hétérosexisme », vient logiquement, et comme son nom l’indique, couronner la démonstration [22].

36Ce raisonnement n’est pas facile à reconstituer, parce qu’il renverse l’ordre habituel de la pensée. S’il existe une institution fondée sur la présomption de paternité (le mariage), si la filiation est mixte, ce ne serait pas parce que les sociétés occidentales se préoccupent d’accorder sens à la dimension sexuée de l’humanité, mais parce qu’elles assurent son inégalité sexuelle. C’est ainsi que Daniel Borillo, premier juriste à s’être engagé pour le mariage homosexuel, considère que le mariage tel qu’il est aujourd’hui démontrerait que l’hétérosexualité fonde sa domination en bafouant les droits de l’Homme. Qu’il concerne les couples de sexe différent serait en réalité un abus de pouvoir de l’hétérosexualité dominante, visant à « l’exclusion » des homosexuels d’un droit fondamental de l’Homme [23].

37Dans la rhétorique identitariste, on le voit, la confusion du sexué et du sexuel est totale : il n’y a pas de dimension sexuée de l’ordre symbolique commun, il n’y a que des sexualités en lutte. Ce qui opprime les homosexuels, ce n’est pas telle ou telle conception de la sexualité, ou telle ou telle institution de la différence des sexes et de la famille (par exemple le modèle matrimonial organiciste décrit plus haut) c’est l’hétérosexualité en tant qu’elle a partie liée avec la différence du masculin et du féminin.

D’un certain usage de « l’homophobie »

38Au plan militant, l’abolition de toute institution de la différence des sexes devient l’objectif unique d’une « égalité des sexualités » par destruction de ce qu’on voit comme le symbole du privilège hétérosexuel. Elle ne pose aucun problème en matière de filiation, puisque s’intéresser à l’engendrement, ou à la distinction mère/père est un indice d’hétérosexisme ou d’aliénation naturaliste. Inscrire dans le Code civil, par un article sur le concubinage, aussi bien le couple de même sexe que le couple de sexe différent, est dénoncé comme « degré zéro de la reconnaissance », puisque cela ne contribue en rien à désinstituer la différence des sexes [24].

39On comprend alors la signification très particulière que le courant identitariste a donnée à la notion d’homophobie, et la place croissante, puis finalement centrale qu’elle a prise dans son combat politique. Elle est indissociable d’une obsession du procès, qui s’est particulièrement affirmée dans les derniers mois du débat sur le pacs. Il s’agit bel et bien de faire du pénal le lieu de légitimation ultime de l’homme nouveau, sexuel mais non sexué, que rêve d’instituer le courant identitariste.

40Ce courant désigne en effet par homophobie, non plus seulement une haine ou un mépris de l’homosexualité, comme on le fait d’habitude, mais ce qui devrait être une injure punie par la loi [25]. L’important est le choix de ce terme et non de celui de discrimination ou d’injure pour orientation sexuelle, qui avait été proposé de longue date par d’autres courants du mouvement homosexuel [26]. Est-il utile de préciser qu’une telle incrimination serait juste et nécessaire ? Mais en lui préférant le terme d’homophobie, le courant identitariste opère un double déplacement.

41La première caractéristique de l’homophobie comme (éventuelle) incrimination est en effet son asymétrie. Ce serait un cas inédit. La race, le sexe, l’âge, toutes les incriminations sont pensées de façon à punir une attitude en général : le racisme peut être anti-Noir, anti-Jaune, anti-Blanc ; le sexisme peut être anti-femme ou anti-homme. Mais l’homophobie deviendrait l’injure pour orientation sexuelle à sens unique. La présupposition en est simple : l’hétérophobie n’existe pas.

42Si l’homophobie ainsi conçue n’a pas de symétrique, c’est parce que les hétérosexuels sont les dominants. Si un dominé insulte un dominant, ce n’est pas de l’hétérophobie, c’est sa juste lutte. Quant aux dominants, il suffit de les appeler par leur nom pour comprendre qu’ils sont nécessairement attachés à leur domination, et toujours tentés par l’homophobie.

43Aussi la caractéristique majeure de l’homophobie, telle que la conçoivent les identitaristes, est-elle son caractère indéfiniment extensible[27]. Des discours, des textes de dénonciation des discriminations dont sont victimes les homosexuels, des articles dans le Code civil assurant l’égalité des droits peuvent être parfaitement homophobes[28]. Ce sont même les plus sournois et les plus dangereux, parce que personne ne s’en rend compte, sauf ceux qui ont compris que l’oppression hétérosexiste passait d’abord par la différence des sexes.

Les radicalités, la démocratie et nous

44Le courant néo-organiciste et le courant identitariste se pensent, et sont souvent perçus, comme les deux vrais pôles du débat. Et pour cause : chacun donne raison à l’autre. Pour les organicistes, qui prétendent que les homosexuels sont « en deçà de la différence des sexes », les identitaristes sont pain béni : ils n’ont de cesse d’en dénier le sens et de vouloir la détruire au plan symbolique. Aux identitaristes qui prétendent que la différence des sexes se confond avec l’hétérosexualité, le courant organiciste apporte la preuve idéale : c’est son credo de base.

45Comme chacun d’eux a pour caractéristique de se poser en détenteur de la Vérité, vérité scientifique du côté des organicistes, vérité politique du côté des identitaristes, il ne leur est pas difficile d’affirmer en outre qu’ils sont la seule alternative. Nous disons la Vérité, et tous ceux qui ne la partagent pas sont en réalité du camp adverse, et pensent tout bas, ou confusément, ce que l’autre courant affirme haut et fort. Ainsi, la France entière est soit organiciste, soit identitariste, selon le côté par où on la regarde. Plus probablement tiraillée entre les deux, tel est l’espoir de chacun des camps, qui va tenter d’attirer à lui la masse confuse en agitant le spectre : qui n’est pas avec nous est avec eux. Ce jeu de miroir, cette fascination réciproque, ont indéniablement des effets sur l’opinion, puisque ces courants sont les seuls à dire des choses simples (terriblement simples) dans la confusion générale. En outre, l’un et l’autre prennent appui sur des tendances de fond de la société : l’alliance de désymbolisation, d’hyperindividualisme et de reformulation subjective de la référence communautaire que Marcel Gauchet a caractérisé comme « l’âge des identités ». Mais en même temps, comme le dit aussi Marcel Gauchet, les « limites d’une démocratie des identités » sont déjà visibles aujourd’hui [29]. Dans le domaine des mœurs, comment ne pas voir que l’organicisme et l’identitarisme poussent l’un et l’autre jusqu’à l’extrême leurs deux traits communs, deux traits absolument contradictoires aux valeurs et au mouvement de la société démocratique aujourd’hui ?

Refus de l’autre et modèle unique

46Le premier de ces traits est le plus visible : c’est le refus de l’autre qui est au fondement de leur démarche politique. Il ne s’agit pas ici de psychologie, mais de la base même de leurs rhétoriques respectives. Dans les deux cas, la distinction homosexualité/hétérosexualité y est centrale. Il y aurait, nous disent-ils chacun à leur façon, deux sexualités. Pour les premiers, la normale et la pathologique ; pour les seconds, la dominante et la dominée. Ces deux sexualités s’imposent comme des identités et ces identités sexuelles comme les organisateurs suprêmes du politique.

47Chez les organicistes, l’identité sexuée ne peut être atteinte, la différence des sexes préservée, la Nature respectée, et la société survivre que par expulsion de l’homosexualité hors du monde social et politique : tout au plus peut-on la tolérer dans l’ombre comme une pathologie individuelle exigeant traitement et, en cas d’échec, compassion.

48Chez les identitaristes, la vérité et l’égalité ne peuvent être réalisées un jour que par expulsion politique de l’hétérosexualité, dans un combat radical dont l’enjeu est l’effacement juridique de la différence des sexes. Sa « domination » n’est que le point d’aboutissement d’une « illusion anthropologique », un naturalisme quasi biologique. Dans le monde enfin débarrassé de la nature, la sexualité libérée ne connaîtra que des individus libres, c’est-à-dire des esprits dont l’enveloppe charnelle sera enfin tenue pour ce qu’elle est : du substrat biologique. L’homosexualité, dont la vérité (ignorée de beaucoup d’homosexuels aliénés à l’ordre dominant) est qu’elle ignore superbement la différence des sexes, est la promesse de ce monde nouveau.

49Le second trait commun est la conséquence juridique du premier. C’est le régime du modèle unique. Indiscutés, indiscutables, le mariage, l’adoption plénière et l’insémination artificielle avec donneur (iad) seraient la quintessence du droit du couple, de la filiation et de la famille.

50Pour les organicistes, parce que ces institutions doivent redevenir ce qu’elles étaient : la reconnaissance de la loi naturelle par le droit. Ce qui suppose de défendre le mariage contre le concubinage, la famille légitime contre la famille naturelle, les parents contre les beaux-parents, la sexualité procréative contre la sexualité pour le plaisir, l’adoption plénière à condition qu’elle mime la filiation biologique, et l’iad à condition qu’elle permette de faire passer le mari pour le géniteur. Surtout pas de pluralisme : c’est toujours l’engrenage par lequel les formes inférieures d’existence se font passer pour les égales de l’accomplissement moral suprême.

51Pour les identitaristes, parce que les institutions qui sont le symbole et les outils de la domination sont forcément ce que l’on peut imaginer de plus élevé, dès lors qu’on a vaincu le naturalisme qui les fonde et le régime d’apartheid qui les maintient encore comme des « privilèges hétérosexuels ». Le mariage asexué, la parentalité asexuée, l’adoption plénière asexuée, l’iad asexuée seront la conquête d’une égalité radicale, ayant enfin remplacé la sujétion au biologique par la toute-puissance de la volonté. Surtout pas de pluralisme : il suppose de distinguer et la distinction c’est toujours le masque et l’outil de la discrimination.

52Refus de l’autre, refus du pluralisme, mépris de la distinction privé-public, sexualisation du politique, confusion d’une prétendue vérité et des choix de société, ces deux discours ont surtout en commun de construire leur rêve politique sur une sorte de refus de l’expérience ordinaire du monde d’aujourd’hui. Ce refus est empêtré, chez les organicistes. Ils sont obligés d’appuyer leur appel à la résurrection de l’âge d’or sur une condamnation morale de toute l’évolution sociale qui les met en porte-à-faux avec les gens moyens qu’ils prétendent représenter. C’est pourquoi leurs accents, même modernisés de références pseudo-psy, sont essentiellement alarmistes, jouent sur l’effroi et désignent la menace qui nous guette. Mais ce refus est triomphant chez les identitaristes, élite de l’avenir radieux. Ces procureurs non de justice, mais de vérité, ne haïssent rien autant que le sens commun, les questions qu’on se pose, les homosexuels qui ne pensent pas comme eux, et en général tous ceux dont on pourrait croire qu’ils se battent pour l’égalité, sans partager leurs analyses. Ils nous promettent l’émancipation comme on fait la guerre : avec la rhétorique et les comportements de l’intimidation et de la menace.

53Il suffit pourtant de regarder un peu autour de soi. La voie démo-cratique n’est jamais « en marche », mais une chose est sûre : elle est déjà ailleurs. Les radicalités s’autodéfinissent, mais ne nous définissent pas.

La mixité, démocratie de l’égalité et la différence

54La spécificité de la voie française, en matière législative, est d’avoir posé ensemble la question du couple de même sexe et celle du couple de sexe différent. Faute d’avoir été assumée, elle a provoqué ce débat houleux et cette solution du pacs[30]. On peut d’autant plus le regretter qu’il y avait là une chance. Alors que les autres pays ont pris en considération la minorité homosexuelle, nous pouvions aller au-delà, et entendre ce qu’elle interroge aussi de la majorité. Entendons ce terme à la fois au sens numérique, et au sens socio-politique : les normes et représentations les plus communes. L’hétérosexualité et la différence des sexes, telles qu’héritées du modèle organiciste ont été les grandes absentes du débat. Pourtant, parce que ce modèle a déjà implosé, nous ne voyons déjà plus de la même manière que nos grands-parents, ni le « genre », ni la sexualité.

L’autre en soi

55Dans Les expériences de Tirésias, le beau livre qu’elle consacre au « féminin dans l’homme grec », Nicole Loraux [31] met en valeur une dimension peu comprise de l’identité sexuée dans l’Antiquité. La façon dont le féminin et le masculin se rejoignent par cela même qui les définit et les sépare l’un de l’autre : le lit et la guerre. La souffrance du guerrier blessé au combat lui fait atteindre, à l’extrême de l’épreuve virile, la féminité qui est en lui : il souffre comme une femme qui accouche. La douleur de l’accouchement, où toute femme risque sa vie, est aussi le moment où la féminité extrême, toute de force et de courage, rejoint la virilité.

56Nous ne sommes plus dans l’Antiquité grecque, la guerre n’est plus l’épreuve suprême de la virilité, et l’accouchement d’aujourd’hui est quasiment sans risque et sans douleur. Pourtant ce discours nous touche et nous concerne. Très précisément en ceci : il parle de la reconnaissance de l’autre en soi.

57Le modèle organiciste séparait absolument. Il identifiait par l’étrangeté mutuelle : le féminin et le masculin, l’homosexualité et l’hétérosexualité. Dans La fabrique du sexe, Thomas Laqueur [32] montre comment se forge, au tournant des années 1800, l’idée que les deux sexes sont incommensurablement différents. D’un côté, c’est la fin de l’antique distinction par la hiérarchie à l’intérieur d’un seul sexe biologique, parfait chez l’homme, imparfait chez la femme. De l’autre c’est l’assignation de chacun des sexes à une étrangeté absolue à l’autre. Elle se prolonge par la notion de complémentarité, et l’unité du genre humain s’incarne dans l’unité du couple homme-femme. On sait à quel point ce couple organiciste n’est un que par la suprématie de l’homme, qui la tient de sa nature d’animal politique, alors que la femme est « toute féminité », et donc assignée à une seule des deux sphères entre lesquelles l’homme circule : la sphère domestique.

58Quant à la sexualité, dans la perspective organiciste, elle se dédouble en deux : c’est « l’invention » de l’homosexualité comme une identité sexuelle, et donc aussi de l’hétérosexualité. Cette refondation est complexe. Par rapport aux représentations de la sodomie comme offense à la nature, offense à Dieu et au roi, blasphème, il y a dans l’invention de l’homosexualité une intégration, au contraire, à l’intérieur de la nature humaine. Mais c’est sous la forme de la pathologie, cette nature contre nature.

59Cependant que la femme est toute et rien que femme, l’homosexuel est tout et rien que cette identité qui l’assigne à sa spécificité [33]. Quant aux lesbiennes, ce sont les grandes ignorées de toute cette construction, comme elles l’étaient auparavant de l’offense à la nature : leur sexualité est comme invisible. Elles n’existent pas [34].

Il n’y a qu’une sexualité humaine

60L’implosion du modèle organiciste, c’est d’abord la conquête, par les femmes, du statut de sujet à part entière. Elle bouleverse le couple, et la répartition de l’univers en deux sphères, politique et domestique, masculine et féminine. De symbole de l’unité par la complémentarité, le couple homme-femme devient un duo. Il s’émancipe de la seule fonction procréative et devient un lien spécifique, qui ne se confond plus avec la parentalité [35]. On ne voit pas assez que cette évolution très importante des représentations de ce qu’est un couple de sexe différent est aussi ce qui a permis de percevoir comme un couple, deux hommes ou deux femmes qui s’aiment.

61Au-delà, cette implosion du modèle organiciste a remis en cause la pensée partitive, qui assurait aussi bien les identités sexuées que les identités sexuelles en posant de l’autre absolu.

62Parmi les changements contemporains les plus profonds, il y a ainsi cette « redécouverte » de l’autre en soi, qui fait bien sûr écho à la pensée de Freud, mais lui donne aussi un sens non seulement psychique, mais social. Dans le domaine du genre, elle ne retrouve évidemment pas la figure grecque, qui alliait extrême partition des rôles, inégalité des places et des fonctions à cette reconnaissance ultime de l’altérité intérieure. En fait, elle n’a pas de modèle et sa figure inédite nous trouble : le masculin en elle, le féminin en lui, est-ce nécessairement l’indifférenciation des genres ? Ou sommes-nous en train d’inventer les figures nouvelles de la différence dans l’égalité ? Ces questions sont au centre de bien des interrogations actuelles, et c’est un des grands intérêts du débat sur la parité (quoi qu’on pense de la parité politique [36]), de les avoir posées.

63Dans le domaine de la sexualité, tout semble se passer comme si, à l’inverse, nous ne parvenions pas à sortir du modèle organiciste des deux sexualités. Homosexuel ou hétérosexuel, telle est notre identité.

64Sans doute est-il tout à fait normal que la contestation du modèle reconnu passe dans un premier temps par la mise en lumière de celui qui était dans l’ombre. Cela s’est passé il y a trente ans avec le mouvement féministe. Mais la question des femmes est devenue aujourd’hui la question du genre : immense progrès du débat démocratique, puisque « l’universalité » de la norme de référence (le masculin) est elle-même interrogée. En revanche, actuellement, le débat sur l’homosexualité n’interroge pas la partition des identités sexuelles. On a vu à quel point les deux courants radicaux qui tiennent le haut du pavé dans le débat médiatique aujourd’hui achèvent même de les solidifier. Dans le refus de l’autre qui anime leurs théories, il est trop simple de voir de la haine de soi : c’est bien plutôt le refus du mélange, la peur de l’autre en soi, qui est au fondement de la politique d’effacement radical que l’un et l’autre promeuvent.

65Ne serait-il pas temps de s’interroger sur un débat politique qui oblige chacun à se définir sexuellement comme ceci ou comme cela ? Sans même parler de la pratique scandaleuse de l’outing, quel est le sens d’une telle situation ? Que signifie-t-il d’être obligé de dire, par exemple, « quand j’étais hétérosexuel(le) », comme j’ai entendu souvent le faire celles et ceux qui avaient vécu en couple de sexe différent auparavant ? Auraient-ils changé d’identité ? On peut se demander ce qu’entretient cette partition, qui exige que chacun soit bien à sa place, renvoie la bisexualité dans l’impensable, l’hypocrisie ou la traîtrise, et nie en chacun de nous tout ce que son orientation sexuelle, même affirmée, contient aussi d’ambiguïté.

66Poser ces questions n’est pas défendre une autre théorie de la sexualité. On s’en passe fort bien, et la vie politique ne s’en portera que mieux. Mais c’est plaider pour l’incertitude, comme un progrès de la pensée commune et une valeur pour la démocratie. Le débat sur le pacs obligeait de fait à entériner la partition homosexuels/hétérosexuels comme si elle allait de soi. Ce texte emploie lui-même sans cesse ces mots, parce qu’il n’y en a pas d’autres. Il ne s’agit pas de devenir des obsédés du linguistiquement correct, mais il est sans doute temps de poser le principe d’incertitude le plus simple et le plus évident : il n’y a qu’une sexualité humaine.

67C’est sans doute, au plan des mentalités, le moyen d’interroger vraiment « l’évidence » de l’hétérosexualité, et de mesurer ce que le renvoi de l’homosexualité dans le « sexuel » suppose comme bestialisation de ce sexuel lui-même. Mais c’est d’abord la façon de poser plus clairement un principe politique : de la sexualité, ni le droit, ni le public n’ont à s’occuper. Cela signifie-t-il renvoyer au placard l’homosexualité ? Pas le moins du monde. Il s’agit bien plutôt de traiter les homosexuels exactement comme les autres : en distinguant le sexuel, qui est privé, du sexué, qui peut être un enjeu de droit. De même que le droit ne s’occupe pas de l’hétérosexualité, mais du couple ou de la filiation, c’est bien le couple de même sexe et la filiation que le droit doit désormais prendre en compte. Là est la voie démocratique. Ignorant délibérément la sexualité, elle contribuera indirectement à ce que, dans le vécu de l’homosexualité, advienne enfin ce « droit à l’indifférence » [37] qu’empêche aujourd’hui l’oppression.

Filiation et différence des sexes

68On ne naît pas femme (ni homme), on le devient. Cependant, la construction du masculin et du féminin n’est pas non plus sans aucun rapport avec l’expérience du corps. Le « gender », dans certaines théories anglo-saxonnes, pose un principe de séparation absolue : d’un côté, le substrat biologique du sexe, de l’autre la construction culturelle du genre. L’un universel et a-historique, l’autre variable et purement artificiel, expression pure de la « domination masculine ». À l’extrême, on prétendra que la différence biologique elle-même n’est qu’une « illusion » au service du pouvoir masculin/hétérosexiste.

69La différence des sexes est d’abord une expérience de l’asymétrie des corps. Et parce que le corps n’est jamais a-historique, et que cette expérience de l‘asymétrie a des dimensions incontournables dans la sexualité et la reproduction, les sociétés lui accordent sens, et l’organisent. C’est pourquoi les transformations actuelles posent de telles questions : comment désormais penser ce qui lie les hommes et les femmes ? Comment mettre leurs échanges en civilité ?

70On n’évoquera ici qu’un aspect de ce problème : la filiation. En effet, dans le modèle organiciste qui a dominé un siècle et demi, la réponse était simple. L’institution unique qui organisait la filiation était le mariage. La présomption de paternité était la fiction majeure qui permettait de rompre le « mystère impénétrable de la paternité ». Les enfants naturels étaient des bâtards, la recherche de paternité interdite. Idéalement indissoluble, le mariage assurait en outre la continuité du lien des deux parents à l’enfant. Mais la famille naturelle a été instituée en droit en 1972, le divorce par consentement mutuel en 1975, l’union libre et le divorce sont aujourd’hui très fréquents, les familles monoparentales et recomposées très nombreuses, et la contraception a rendu la vie sexuelle beaucoup plus libre. Parallèlement, la science a rendu la paternité éventuellement certaine (empreintes génétiques) et la maternité éventuellement incertaine (distinction de la donneuse d’ovocyte et de la femme qui accouche).

71Tous ces changements ont deux conséquences majeures en termes de filiation : d’abord la fragilisation de la paternité (qui n’est pas une victoire des femmes) dans tous les cas où les parents ne sont pas ou plus mariés ; et plus généralement le désarroi de la filiation. Qu’est-ce qu’un « parent » : le géniteur ? celui qui désire l’enfant ? celui qui s’en occupe ?

72Face à ces questions la tentation est toujours de chercher la certitude d’une vérité. Soit du côté du biologique (le parent, c’est le géniteur), soit du côté de la volonté (le parent, c’est celui qui a désiré, aimé, et s’occupe de l’enfant). Mais nous savons aussi que cette alternative est sans issue, et ne peut que déchirer le partisan d’une « vérité » contre le partisan de l’autre. Ce n’est pas la vérité, qu’elle soit biologique, affective ou sociale, qui répondra à ces questions, mais à l’inverse la capacité de la société à mettre en signification la filiation. Cela consiste à refuser la question du vrai et du faux (« Quel est le vrai parent ? ») pour la remplacer par la question du sens et de la fiction symbolique : « Que voulons-nous nommer un parent ? »

73C’est très exactement dans ce contexte que se pose aujourd’hui la question des droits des couples et des parents homosexuels. L’intégrer au monde commun suppose d’abord de penser que la question « que voulons-nous nommer un parent ? » ne concerne pas que les hétérosexuels, comme si les homosexuels étaient par nature indifférents au corps sexué, ou faits d’hommes et de femmes qui méprisent l’autre sexe. Mais elle suppose aussi de percevoir ce révélateur extraordinaire qu’est la filiation « homoparentale », qui vient interroger la façon dont l’adoption plénière et l’iad miment jusqu’à l’extrême l’engendrement biologique.

Démocratie et mixité : le sens du pluralisme

74Un modèle unique : tel était le modèle organiciste, telle est la perspective que revendiquent aujourd’hui les néo-organicistes et les identitaristes. Or, la tendance qui se dessine déjà, c’est à l’inverse celle du pluralisme. Mariage et union libre, filiation charnelle et filiation adoptive, parents unis et parents désunis, père et mère divorcés (c’est le principe de coparentalité) parents et beaux parents. Ce pluralisme, on le voit, consiste à passer du principe d’unicité au principe de dualité. Il n’a rien à voir avec le pluralisme insignifiant du « chacun fait bien ce qu’il veut » de l’idéologie individualiste. Sans nier que la société contemporaine continue de considérer comme la norme que les couples qui ont fait les enfants les élèvent, il s’efforce de donner enfin toute sa place à l’histoire biographique des individus, et aux trajectoires familiales. Il exprime le respect de l’autre, et la reconnaissance de l’autre en soi-même. Il met les familles au pluriel, mais sans se dispenser aussi de les inscrire toutes au sein d’un nouveau système symbolique commun de référence : la famille et la parenté d’aujourd’hui.

75Cette dualité est, profondément, une dualité de la mixité, si l’on entend la mixité non pas comme un fait, mais bien comme une valeur sociale et un objectif politique [38]. Elle est née de l’égalité des sexes, qui a remis en cause le modèle matrimonial unique, et elle tente de répondre à la question « que voulons-nous nommer un parent ? » en affirmant les droits et devoirs égaux et permanents des hommes et des femmes à l’égard des enfants qu’ils ont reconnus comme les leurs. Elle fait primer le principe de responsabilité sur la dictature du biologique, ou celle des sentiments. Elle met une borne fondatrice à la passion d’évincer l’autre, ou de l’utiliser à son gré, qui peut saisir un parent et met en inégalité a priori les femmes qui accouchent et les hommes qui n’accouchent pas. Cette mixité est le pari d’une nouvelle civilité.

76C’est en ce sens aussi que la différence des sexes dans la filiation conserve, et même acquiert de nouveau, une valeur. Notre système symbolique de parenté est un système mixte, non pas parce que le biologique nous l’impose (il n’impose rien) mais parce que nous affirmons ainsi un principe : les hommes et les femmes sont également impliqués dans la filiation. Ce faisant, la mixité de la filiation est aussi une réponse aux tentations réductionnistes qui nous tirent soit vers le tout-biologique, soit vers le tout-volonté. Elle indique par sa dualité le dualisme qu’elle refuse : celui de l’âme et du corps. Nous ne sommes ni de purs esprits, ni du substrat biologique. Le biologique n’est jamais « rien », comme si l’engendrement n’était pas chargé de signification, et le réduire à cela serait ravaler l’homme qui procrée, la femme qui accouche, à de la viande humaine. Mais également, le biologique n’est pas « tout » : assimiler le parent au géniteur à coup d’usage généralisé des empreintes génétiques ne serait que l’autre face du réductionnisme biologisant.

Le « à l’égard » de l’un et l’autre couple

77Cesser de renvoyer l’homosexualité au « sexuel », comme le faisait le modèle organique, suppose alors d’approfondir encore cette démarche démocratique de mixité, qui pose le à l’égard de l’un et de l’autre, non pour enfermer chacun dans sa spécificité, mais à l’inverse pour dépasser l’assignation à l’étrangeté mutuelle.

78C’est en ce sens qu’il demeure difficile de comprendre qu’on ait écarté, sans y réfléchir davantage, la démarche cherchant à organiser l’égalité et la différence du mariage hétérosexuel et du partenariat homosexuel. Dans les pays qui l’ont choisie (ou s’y préparent, comme l’Allemagne ou la Suisse) cette voie assume la différence, puisque le partenariat ne concerne que le couple et non la filiation, à la différence du mariage. Que signifierait une union de même sexe impliquant la présomption de paternité, comme le fait le mariage ? Et pourquoi, en revanche, supprimer celle-ci dans l’union des sexes différents, comme si les enfants que l’épouse met au monde n’étaient pas a priori ceux de l’homme à qui elle s’est liée par le mariage ? Faisant primer un acte de parole dans la désignation du père, la présomption de paternité a gardé toute sa valeur, même si elle n’est pas l’unique moyen par lequel un homme peut se déclarer père. En outre, comment ne pas se rendre compte que ce qui se joue, à travers le maintien de la mixité du mariage, c’est aussi le mariage civil, qui fut une conquête des Lumières ? L’asexuer apparaîtrait comme un tel déni de la signification de l’union, pour ceux qui épousent non pas « une personne » mais une personne de l’autre sexe, que cela n’aurait qu’une conséquence : renvoyer au seul mariage religieux de continuer de symboliser l’union de l’homme et de la femme.

79Cette dualité aurait permis de créer une véritable union pour les couples homosexuels, qui ne sont pas davantage que les hétérosexuels censés se lier à « une personne » et dont on ne voit pas pourquoi ils ne souhaiteraient pas, eux aussi, que l’institution traduise qu’ils ont choisi une personne du même sexe. Assurant 100% d’égalité avec le mariage en ce qui concerne la solennité, l’engagement, les droits, la protection juridique du lien institué de couple, on ne voit pas pourquoi une telle union serait un « enfermement communautaire ». Au modèle républicain de l’union unique, l’alternative n’est pas l’égalité abstraite par l’effacement, mais un pas décisif vers une conception plus « duelle » de la République : dans le vis-à-vis de l’un et de l’autre couple, égaux en droit et en dignité.

Homoparentalité et mixité

80Le terme d’homoparentalité est en train de passer dans le langage courant. On comprend bien ce qu’il veut signifier : l’ensemble des situations des parents homosexuels. Il ne va pas de soi, pourtant, parce qu’il met en avant la sexualité du parent, alors même qu’elle n’a pas à être prise en compte dans la filiation. C’est en particulier le cas pour les parents divorcés ou adoptants, et leur compagnon ou compagne. Dans tous ces cas, ne devrait-on pas au contraire dénoncer la prise en compte indue de la sexualité, en l’occurrence l’homosexualité, justifiant la discrimination administrative ou judiciaire qui prive a priori une catégorie d’individus de leurs droits, et de parents de leurs droits et devoirs ?

81Ces situations sont aujourd’hui de loin les plus fréquentes : elles démontrent le poids de cette idéologie de « l’intérêt de l’enfant », qui permet d’utiliser tous les pseudo-savoirs sur le développement infantile comme la nouvelle référence à la Nature et à sa vérité. S’il est extrêmement important de faire changer les mentalités, en montrant qu’un enfant peut parfaitement être élevé par deux hommes ou deux femmes, ce n’est pas sur ce terrain miné du « bon pour l’enfant » que l’on peut, en démocratie, accepter de situer la question des droits. En revanche, celui du sens, des valeurs, des choix de société est central, en particulier pour les deux débats aujourd’hui les plus complexes : l’adoption plénière et les procréations médicalement assistées.

82« On pourra multiplier à l’infini les enquêtes sociales et les travaux psychologiques, on n’évitera pas le problème civil et politique : peut-on priver un enfant du droit reconnu à tous les autres d’avoir pour parents un père et une mère ? Peut-on fabriquer des cobayes, même heureux ? La satisfaction d’un tel désir ne peut se justifier que par des arguments sentimentaux ou psychologiques. Sur le terrain juridique, sur le terrain politique, elle suppose que l’on accepte l’inégalité devant la loi. Pire, elle suppose que l’on s’accommode d’une inégalité enracinée dans la naissance et dans l’origine […]. Si nous étions capables d’imaginer un système plus large d’adoption, celui que dessine l’adoption simple plutôt que plénière, nous pourrions reconnaître qu’un même sujet peut avoir plusieurs parents, des parents adoptifs et des parents naturels, et que sa filiation peut être multiple. Si nous étions capables de nous ouvrir à cette conception moins exclusive de la filiation, le reste viendrait de surcroît […] Pour cela il faut commencer par travailler sur le droit de la filiation et sur l’adoption, en partant du point de vue de l’enfant, c’est-à-dire en pensant d’abord aux droits du sujet de la filiation de laquelle il s’agit. » [39]

83La différence des sexes, le masculin et le féminin qui distinguent et lient les hommes et les femmes, ne sont pas l’apanage des hétérosexuels. Le prétendre serait exclure arbitrairement les gays ou les lesbiennes de la responsabilité du rapport à l’autre sexe dans la filiation. Pourquoi sa sexualité donnerait-elle à une lesbienne le droit de « ne pas s’embarrasser d’un père » ? Pourquoi faire usage de l’autre sexe comme simple pourvoyeur de vie deviendrait-il un droit absolu alors que ce ne l’est pour personne ? Plutôt que de nier la valeur de la mixité, ne convient-il pas de poser les bonnes questions ?

84Le grand intérêt des questions posées par les revendications d’homoparentalité est la façon dont elles amènent à prendre conscience de ce que sont aujourd’hui l’adoption plénière et l’insémination artificielle avec donneur anonyme : le mime du biologique. L’adoption plénière n’est pas seulement un système de création d’une filiation, c’est aussi un système d’effacement absolu : effacement de l’engendrement, et substitution mimétique et fallacieuse. L’enfant adopté est même dit né de ses parents adoptifs [40]. Quant à notre droit des pma, on découvre à quel point il est ambigu. D’un côté, il pose un principe fondamental, le refus d’organiser le don de sperme pour convenance, ce qui est une limite essentielle à la marchandisation du corps humain. De l’autre, il invente cette exception bizarrement argumentée de la « thérapie ». On « soignerait » une stérilité pathologique, par don de sperme. Qui peut croire à ce discours pseudo-médical ? L’insémination ne demande aucune technique sophistiquée, encore moins médicale. Les centres médicaux ne sont là que pour garantir l’anonymisation du donneur, et c’est cet anonymat qui en fait suppose des gestes techniques (congélation, etc.). En réalité, il s’agit bien d’organiser une pseudo-filiation charnelle [41]. Tout est fait pour faire passer le mari stérile pour le géniteur, jusqu’à la couleur des yeux et des cheveux, la taille, etc. Mais si on enlève cette mystification, n’est-on pas amené à se demander en quoi l’usage des dons anonymes de sperme a un véritable sens humain ?

85C’est là que les questions affrontées par les parents homosexuels qui ne nient pas les problèmes juridiques que pose l’adoption plénière par un couple de même sexe, et ne prétendent pas que l’usage de donneurs serait un « droit de l’Homme », font avancer la société tout entière. Car elles rejoignent un autre combat : celui qu’on nomme le « droit à la connaissance des origines ». Le terme est encore une fois gênant, parce qu’il laisse croire que la certitude de sa filiation génétique serait un droit souhaitable. On imagine ce qu’un tel droit donnerait : la transparence la plus totalitaire. En réalité, la connaissance des origines pose une question bien plus fondamentale : le droit de ne pas être privé de sa propre histoire[42]. Qu’elle ne soit pas effacée. Qu’on ne prétende pas, à l’enfant adopté, que son engendrement n’était « rien ». Qu’on ne prétende pas que ceux qui sont contraints à l’abandon de leur enfant, en particulier dans les pays du tiers monde, ne sont « rien ». Qu’on ne fabrique pas du « rien » en congelant des paillettes de sperme anonyme, ou en mettant sous x l’accouchement d’une femme.

86C’est sans doute de ce côté, en privilégiant l’histoire de tous les individus, hommes, femmes et enfants, géniteurs et adoptants, et en affrontant la complexité des rapports humains, que se trouve l’espoir. La pluriparentalité, qui fait si peur, n’est pas si inédite. Elle existe, sous une autre forme, dans des centaines de milliers de familles recomposées [43]. Mais nous sommes encore loin de l’avoir réinventée. S’ouvre ici tout un ensemble de questions, immenses, qui dépassent largement le cadre de cet article. Le débat ne fait encore que commencer [44]. Il ne concerne aucune sexualité en particulier, et cherche à inventer pour tous, une autre voie que le pseudo-biologique. Mais ce choix décisif, du lien humain et de l’histoire individuelle, suppose cependant une chose : que la logique hyperindividualiste du « droit à l’enfant », alliée à l’ingénierie procréatrice des laboratoires, où de puissants intérêts financiers sont en jeu, ne soit pas déjà la plus forte.

Notes

  • [*]
    Article initialement paru dans Homoparentalités, état des lieux, (s/dir.) Gross M., Paris, éditions érès, 2005. Publié ici avec l’aimable autorisation de l’auteur, de Martine Gross et des éditions érès.
  • [**]
    Irène Théry est sociologue du droit, directrice d’étude à l’École des hautes études en sciences sociales.
  • [1]
    Pour une analyse du débat politique sur le pacs et une critique de la proposition de loi, cf. Irène Théry, « pacs, sexualité et différence des sexes », Esprit, octobre 1999, qui est une version plus développée de cette contribution.
  • [2]
    Héritier F., Masculin/Féminin – La pensée de la différence, Paris, Odile Jacob, 1996.
  • [3]
    Pour une analyse très suggestive de la notion d’ordre symbolique, cf. Stéphane Breton, « De l’illusion totémique à la fiction sociale », L’Homme, n° 151, 1999.
  • [4]
    Thomas Y., « Fictio legis, L’empire de la fiction romaine et ses limites médiévales », Droits, n° 21, 1995.
  • [5]
    Théry I., Couple, filiation et parenté aujourd’hui, La documentation française, Paris, Odile Jacob, 1998.
  • [6]
    Foucault M., La volonté de savoir, Paris, Gallimard, 1976, p. 59.
  • [7]
    Il fut, en particulier, l’un des conseillers de l’épiscopat sur la question du pacs.
  • [8]
    Titre d’une tribune signée par six intellectuels, dont Pierre Bourdieu et Didier Éribon, Le Monde, 1er mars 1996.
  • [9]
    Gauchet M., La religion dans la démocratie, Paris, Gallimard, 1998, p. 98 et sq.
    Notons cependant que la conception de la reconnaissance et de l’identité, telle que la met en œuvre le courant se réclamant des « gays and lesbian studies », présente la particularité d’allier à des formes classiques d’identitarisme une sorte de schéma marxiste-léniniste. La conception qu’a ce courant du rôle de l’identité homosexuelle n’est pas sans faire penser au rôle de la classe ouvrière dans le processus menant à la dictature du prolétariat.
  • [10]
    Pour un développement de cette thèse, cf. Bourdieu P., « La force du droit », Actes de la recherche en sciences sociales, n° 64, 1986.
  • [11]
    Pour une conception identitariste de la parité hommes/femmes et des discriminations positives dont devraient bénéficier les autres « minorités », cf. « Le manifeste – Pour l’égalité sexuelle », Le Monde, 26 juin 1999.
  • [12]
    Cf. en particulier le discours prononcé par son président, Daniel Defert, lors de l’anniversaire des dix ans de l’association Aides.
  • [13]
    C’est en particulier le cas d’Éric Dubreuil, président de l’Association des Parents et futurs parents Gays et Lesbiens (apgl) dans son livre Des parents de même sexe, Odile Jacob, 1998. Même si l’association n’est pas unifiée en un courant idéologique, le journal de l’apgl, Pagaye, témoigne d’une approche très semblable.
  • [14]
    Le premier est un point de vue, « Homosexualité, mariage et famille », Le Monde, 5 novembre 1997.
  • [15]
    Rapport sur le pacte civil de solidarité au nom de la commission des lois du Sénat, par M. Patrice Gélard, rapport du Sénat n° 258, p. 177.
  • [16]
    Ibid.
  • [17]
    Elle ne semble pas non plus avoir été traitée dans une autre publication, du moins à ma connaissance.
  • [18]
    Voir en particulier Fassin É., « L’illusion anthropologique », Témoin, n° 12, mai 1998 ; « pacs socialista, la gauche et le juste milieu », Le Banquet, sept.-oct. 1998 ; « Le savant, l’expert et le politique : la famille des sociologues », Genèses, n° 32, oct. 1998.
  • [19]
    Sur « les conditions intellectuelles du respect de l’autre », cf. Vincent Descombes, « Louis Dumont ou les outils de la tolérance », Esprit, juin 1999.
  • [20]
    Rapport sur le pacte civil de solidarité au nom de la commission des lois du Sénat, par M. Patrice Gélard, op. cit., p. 179.
  • [21]
    Précisons en outre, puisque je suis apparemment à moi toute seule à la fois le savant, l’expert et l’usage abusif des sciences sociales, que le rapport Couple, filiation et parenté aujourd’hui, dans lequel on trouve ladite définition de la famille, inclut à l’évidence des droits pour les familles monoparentales, pour les familles naturelles, pour les familles recomposées, et bien sûr, pour les familles homoparentales (droit en particulier à l’adoption simple, à la délégation d’autorité parentale, à la même fiscalité successorale pour léguer ses biens que pour un enfant, pour le compagnon d’un parent homosexuel, dans les mêmes conditions que tous les beaux-parents). Cela s’appelle, selon mon contradicteur : « Aux homosexuels, tout donner en tant que couples et rien en tant que famille » (« pacs socialista », op. cit., p. 152).
  • [22]
    Éric Fassin propose cette notion en juin 1999, à la journée d’études de la commission juridique de Aides consacrée à l’homophobie, pour désigner la forme particulièrement subtile d’homophobie qui consiste à définir la famille comme « l’institution qui articule la différence des sexes et la différence des générations ».
  • [23]
    Borillo D., « Le mariage homosexuel, un droit fondamental », Ex-aequo, fév. 1998, p.40.
  • [24]
    Intervention de Didier Éribon, lors d’un colloque public sur le pacs organisé par le club Témoin, 27 mai 1998.
  • [25]
    Voir la Journée d’étude sur l’homophobie (cf. note 41).
  • [26]
    Cf. en particulier le manifeste du Comité pour la Reconnaissance Sociale de l’Homosexualité (crsh).
  • [27]
    Voir en particulier les diverses formes d’homophobie établies par Borillo D., « L’homophobie plurielle », Ex-aequo, avril 1999.
  • [28]
    Intervention de Didier Éribon, lors d’un colloque public sur le pacs organisé par le club Témoin, 27 mai 1998.
  • [29]
    Gauchet M., La religion dans la démocratie, op. cit., p. 111.
  • [30]
    Pour un développement, cf. Théry I., « pacs, sexualité et différence des sexes », op.cit.
  • [31]
    Loraux N., Les Expériences de Tirésias, le féminin et l’homme grec, Paris, Gallimard, 1997.
  • [32]
    Laqueur T., La fabrique du sexe, Paris, Gallimard, 1992.
  • [33]
    Foucault M., La volonté de savoir, op. cit., p. 59.
  • [34]
    Schulz M., « Lesbiennes, les silences du droit », Les temps modernes, avril 1998.
  • [35]
    Théry I., « L’énigme de l’égalité », Esprit, mai 1999.
  • [36]
    Pour ma part, je n’approuve pas la conception comptable d’une parité 50/50, telle qu’elle a été développée dans la série « Parité info ». Mais ce serait l’objet d’un autre article.
  • [37]
    Martel F., Le rose et le noir, Paris, Le Seuil, 1996.
  • [38]
    Il s’agit donc d’une approche différente de celle de Sylviane Agacinski, qui constate la mixité comme un fait (qu’elle valorise), et fait de la parité l’objectif politique, dans son livre La politique des sexes, Paris, Le Seuil, 1998.
  • [39]
    Thomas Y., « L’union des sexes, le difficile passage de la nature au droit », Le Banquet, sept.-oct. 1998, p. 62-63.
  • [40]
    Je dois ces informations à Martine Gross, vice-présidente de l’apgl, que je remercie.
  • [41]
    Voir en particulier, pour une analyse juridique : Lacub M., « La construction juridique de la nature dans la reproduction hors nature : les fécondations artificielles dans les lois bioéthiques », dans Ronsin F., Le Bras H. et Zucker-Rouvillois E. (dir.), Démographie politique, Presses universitaires de Dijon, 1997. Et, pour un point de vue de psychanalyste fondé sur une expérience clinique : Delaisi de Parseval G., « Psychodynamique de la paternité dans les cas de procréation médicalement assistée avec don de sperme anonyme », Psychiatrie française, n°3, novembre 1998.
  • [42]
    Pour une analyse générale de la question du secret et de l’anonymat en matière de filiation, voir en particulier Delaisi de Parseval G. et Verdier P., Enfant de personne, Paris, Odile Jacob, 1994. Pour un lien entre ces questions générales et l’homo-parentalité, voir la préface de Geneviève Delaisi de Parseval au livre de Dubreuil É., Des parents de même sexe, op. cit.
  • [43]
    Sur l’élaboration de la notion de pluriparentalité dans les situations de recompositions familiales, cf. Théry I. et Meulders-Klein M.-T. (s/dir.), Les recompositions familiales aujourd’hui, Nathan, 1993 ; Théry I., « Différence des sexes et différence des générations, l’institution familiale en déshérence » dans le dossier « Malaise dans la filiation », Esprit, déc. 1996.
  • [44]
    Voir en particulier les propositions juridiques du chapitre « Familles recomposées », dans Théry I., Couple, filiation et parenté aujourd’hui, op. cit. Sur la question du secret et le droit à ne pas être privé de sa propre histoire, de nombreuses associations rassemblées autour du « droit à la connaissance des origines » ont élaboré un ensemble de propositions de modifications législatives. Voir en particulier, mais non exclusivement, les publications des membres de la cadco (Coordination des Actions pour le Droit à la Connaissance des Origines).
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