L'Autre 2010/1 Volume 11

Couverture de LAUTR_031

Article de revue

À la recherche d'une pédopsychiatrie post-coloniale : un parcours vietnamien

Pages 27 à 39

Notes

  • [1]
    L’enseignement de la psychologie au Vietnam comme tout enseignement des sciences humaines commence par deux années de marxisme-léninisme et la psychologie enseignée est pour une large part soviétique.
  • [2]
    Bertrand D, Chantharavdy C. Mental health situation analysis in Lao People’s Democratic Republic. Ventiane : Ministry of health ; December 2002 (Rapport).
  • [3]
    En fait le mot rapatrié n’est pas conforme bien que sa définition dans le Trésor de la langue française soit : que l’on a fait retourner dans le pays d’origine ; il faut en plus que le pays que l’on quitte soit indépendant. Ho Chi Minh avait bien proclamé l’indépendance du Vietnam en septembre 1945, mais les français ne l’avaient pas reconnue. L’Indochine était donc encore une Colonie Française. Il n’y a pas de mot pour les personnes comme moi, qui puisse nous permettre de nous inscrire dans une histoire collective.
  • [4]
    Boris Lojkine, France Production 4A4 Productions, 2005.

1Depuis dix ans, l’association franco-vietnamienne NT-Psy, assure au Vietnam des formations en pédopsychiatrie. Nous utilisons pour nos formations bisannuelles la méthode théorico clinique : échanges de cas cliniques français et vietnamiens sur un thème choisi en commun. Puis nous essayons d’amener quelques éléments théoriques dans l’optique des conceptions psychanalytiques. Nous avons décidé de créer cette association avec des amis psychanalystes appartenant au CPFG (Collège de psychanalyse familiale et groupal) ou au Gerpen (Groupe d’étude et de recherche sur l’enfant et le nouveau-né) peu de temps après la mort de Nguyen Khac Vien. Nous souhaitions poursuivre son travail de formation afin d’aider à l’implantation de la psychologie clinique au Vietnam.

2Les années passant, nous avons perçu avec plus d’acuité les difficultés de notre entreprise : quelles sont les attentes de nos interlocuteurs ? Qu’est-ce qui est compris de ce que nous voulons enseigner ? Et que voulons-nous vraiment enseigner ?

Questions sur la pédopsychiatrie post-coloniale

3Nous ne sommes sans doute pas les seuls à nous poser des questions. La littérature est peu prolixe sur ce sujet. La transmission de la psychanalyse y est mieux traitée que l’enseignement de la pédopsychiatrie. Pourtant c’est la demande la plus pressente du fait de l’explosion des difficultés psychologiques des enfants et des adolescents dans ces pays. Nous avons trouvé quelques articles. Ils parlent des difficultés liées à la mise en place d’un enseignement officiel de la pédopsychiatrie occidentale dans des pays si différents du point de vue de l’économie, du politique et du culturel.

4Monsieur M. Gueye à propos de l’évolution récente de l’assistance psychiatrique au Sénégal constate que les techniques nouvelles n’ont pas supplantées les traitements dits « traditionnelles ». Il y a donc une référence simultanée à deux systèmes culturels différents.

5Dans le même article des médecins français travaillant à Dakar expliquent que cette complémentarité qui doit être travaillée pour être bénéfique est plus facile et donc plus fréquente quand un médecin occidental collabore avec un médecin traditionnel que quand un médecin sénégalais collabore avec un guérisseur.

6Ghita El Khayat est marocaine. Elle a un parcours singulier qu’elle nous fait partager dans son livre Pour une psychiatrie moderne au Maghreb (1996) Elle est actuellement psychiatre à Casablanca. Elle a fait sa médecine au Maroc et sa spécialité à Paris. Elle a été élève de Georges Devereux dont elle a suivi l’enseignement ; elle a fait une psychanalyse. Elle est convaincue de l’importance de la psychanalyse, mais aussi très consciente des difficultés pour introduire cette discipline dans des pays d’une autre culture. Elle avance l’idée que la psychanalyse n’est possible que dans les sociétés libérales [1]. Elle attache beaucoup d’importance à ce qu’elle appelle les filiations idéiques. Elle retrace une sorte de généalogie avec des enrichissements à chaque génération entre Freud, Ferenczi, Jung, Roheim et Devereux (p. 161). « Cette linéarité est exemplaire, mais c’est un continuum occidental… Il y a entre cette généalogie et les mondes autres qu’occidentaux une césure, un hiatus qui condamne à une obliquité des points de vue ». (On pourrait revendiquer d’autres généalogies mais de toutes façons actuellement elles appartiennent quasiment toutes au monde occidental.)

7Elle est ensuite amenée à dire : « En fait cette période de la psychiatrie transculturelle ou transplantée est peut être en train de disparaître dans la mesure où l’implantation de la psychiatrie dans les pays en voie de développement commence à être prise en charge par les personnes concernées elles-mêmes ou, diraient d’autres auteurs, par les autochtones…Il reste impératif d’utiliser tous les concepts pour avancer dans les diverses appréhensions de toutes les maladies et de leur traitement : ethnologie, histoire, épistémologie. À comparer des époques et des structures différentes, on crée des instruments généraux d’analyse » (p. 144). Elle conclut en disant qu’il est nécessaire d’accepter que le travail de rencontre des différentes cultures reste à faire et que cela prendra du temps. C’est un long processus.

8Didier Bertrand, psychologue et anthropologue, travaille au Laos depuis plusieurs années. Dans un article (2002) écrit en commun avec une psychiatre laotienne [2], il dit : « La santé mentale est une préoccupation nouvelle au Laos et les politiques devraient intégrer cette préoccupation dans leur projet car elle affecte tous les aspects de l’existence et si elle était négligée la santé mentale pourrait devenir rapidement une charge pour le pays. Considérant le contexte socioculturel du pays, l’attitude de la population, la promotion de la santé mentale et les traitements devraient tenir compte de la sensibilité culturelle par une approche globale et plurielle. Les moines et les guérisseurs qui manifestent de l’intérêt pour ces préoccupations devront être contactés et intégrés au réseau de soins ».

9Dans un autre article (1998 : 581), il formule ce point de vue : « Interpréter les différences de comportement par les différences de personnalités ou par des différences dans les significations culturelles des situations relève de logiques complémentaires et ce n’est qu’ensuite que l’on pourra imaginer des perspectives de psychologie culturelle et comparative ».

10Ces témoignages rendent compte de la complexité du problème auquel chacun de ces auteurs et nous même sommes confrontés.

11De surcroît, on trouve de plus en plus dans les pays « émergents », en utilisant les grilles diagnostiques du DSM ou de la CIM, des pathologies que l’on peut qualifier également d’« émergentes ». Si elles existent en Occident depuis plusieurs décennies, elles étaient inconnues auparavant dans les pays d’autres cultures. Il s‘agit, suivant les pays, de la toxicomanie, de l’anorexie mentale, des suicides et des comportements à risque chez les adolescents ; pour les enfants plus jeunes, ce sont les retards de langage voire l’autisme, l’hyperactivité, etc. Chez les adultes ce sont les souffrances subjectives sans support dans la réalité. Elles provoquent chez tous incompréhension et désarroi.

12Nous sommes ramenés à un des arguments princeps de Michel Foucault (1962) que la maladie mentale n’a sa réalité et sa valeur de maladie qu’à l’intérieur d’une culture qui la reconnaît comme telle. Alors quelle place doit-on donner à ces « nouvelles maladies » ? Sont-elles le signe d’un dysfonctionnement social ou bien le signe que des changements culturels fondamentaux sont en passe de se réaliser ?

13Nous pensons que ce qui est en jeu doit être cherché dans la question de l’évolution des représentations : comment pouvons nous faire évoluer de l’extérieur les représentations de la maladie, alors que les représentations de la famille, de l’individu et de l’enfant dans la société sont en pleine mutation, les unes étant tributaires des autres ?

14Les changements de la société sont ainsi particulièrement visibles au niveau psychiatrique. Il s’avère très difficile et prématuré de les élaborer. Pour tenter d’y voir plus claire nous avons voulu interroger notre contre transfert. Nous essayerons ensuite d’utiliser cette compréhension en l’élargissant à l’histoire de quelques collègues vietnamiens qui ont été des pionniers dans l’introduction de la psychologie clinique au Vietnam. Pourquoi donc s’y sont-ils intéressés ? À partir de ces réflexions il nous a semblé possible de tirer quelques conclusions sur l’orientation qui pourrait être donnée à un enseignement de la pédopsychiatrie au Vietnam et peut-être dans d’autres pays anciennement colonisés.

15Nous suivons le chemin indiqué par Vinciane Desprets (2005 : 280) :

16

« Face à la multiplicité des émotions, à la difficulté de les interroger d’une manière qui fasse sens pour les autres et de les rapporter d’une manière qui fasse sens pour nous, la pratique s’est constituée et a défini ses obligations : elle s’est construite comme une pratique de traduction et non d’interprétation, elle s’est construite en faisant de la traduction un problème et non une solution… ».

Une expérience personnelle

17Mon premier témoignage est personnel car mon intérêt pour le Vietnam n’est pas fortuit : j’y suis née. De ce fait, mon contre transfert qui a nécessité un long travail d’élaboration depuis mes retrouvailles avec le pays a été, dans cette expérience, une ouverture et un enrichissement.

18Je suis née au Vietnam et j’y ai vécu jusqu’à l’âge de sept ans et demi. Mon père était géologue ; il a été tué par les japonais dans les montagnes au Nord de Hanoi alors qu’il cherchait avec quelques résistants français, après l’invasion du Vietnam par les japonais le 9 mars 1945, à rejoindre l’armée française à la frontière de Chine. Son corps n’ayant jamais été retrouvé, il a été porté disparu.

19Ma mère, mes deux sœurs, mon frère et moi avons été rapatriés plus d’un an après en France, en Alsace, à la campagne, dans la ferme de mes grands-parents maternels décédés de chagrin peu de temps après le départ de leur fille unique en Indochine [3]. L’Alsace est une province française qui a été annexée par les allemands pendant toute la guerre 39/45 si bien que les enfants de mon âge ne parlaient pas le français. Nous revenions en France et nous nous retrouvions dans un pays dont je ne comprenais pas la langue, langue que ma mère, par contre, parlait parfaitement et avec plaisir car c’était sa langue maternelle. (Elle était née avant 1918, date de la réintégration de l’Alsace à la France ; en Alsace on parle l’alsacien).

20En 1991, j’ai entendu parler par hasard d’un géologue français qui se rendait au Vietnam. Il avait rencontré lors d’une de ses tournées un professeur de géologie vietnamien qui lui avait parlé de son maître français à qui il vouait une grande vénération et sur la tombe de qui il se rendait régulièrement chaque année. Ce maître était mon père. L’idée que mon père avait une tombe et que je pouvais enfin lui dire un dernier adieu m’a bouleversée. J’ai donc décidé de partir au Vietnam.

21Les retrouvailles avec le Vietnam furent très émouvantes et difficiles. En 1991, le pays s’ouvrait à peine. J’ai rencontré le vieux professeur Chien, élève de mon père. Il fallut 4 à 5 jours pour que nous puissions communiquer sincèrement. Il se demandait quelles étaient mes positions vis-à-vis de la guerre du Vietnam. Il devait se demander en outre comment il me raconterait qu’il ne savait pas où mon père était enterré. Il ne savait rien non plus de l’endroit où mon père était mort. Mais par respect pour mon père, c’était l’histoire qu’il se racontait et qu’il racontait. Ce fut pour moi une preuve indiscutable de son attachement à mon père. Au Vietnam, un mort dont la dépouille n’a pas été enterrée est une âme errante qui ne trouve pas le repos et vient hanter les vivants jusqu’à ce qu’on lui donne une sépulture.

22J’avais emmené avec moi une pierre tombale avec des inscriptions en français. J’avais également des documents de l’armée française qui indiquaient vaguement la région où mon père avait été vu pour la dernière fois. Chien me disait qu’il y avait très peu de chance pour que nous retrouvions les ossements de mon père et qu’il serait donc sans doute impossible de l’enterrer décemment. Je m’en doutais mais je tenais à faire un enterrement symbolique. Je ne voulais pas continuer à être hantée par l’âme errante de mon père. Il était temps que j’en fasse le deuil. L’idée d’un enterrement symbolique était difficile à comprendre pour les vietnamiens, très imprégnés à l’époque de la rationalité communiste.

23Je suis finalement partie vers la région indiquée, accompagnée d’un géologue vietnamien de ma génération, ancien élève de Chien et travaillant dans cette région, d’un policier vietnamien chargé de me surveiller, ainsi que de mon mari qui m’avait rejointe pour cette partie du voyage. Sur la demande de Chien, j’avais fait graver également une pierre avec une inscription en vietnamien. Nous sommes partis en jeep sur une piste chaotique jusqu’à Son La, dans le Nord du pays.

24Nous sommes arrivés dans une ethnie non « Viet » au bord d’un lac de barrage ; nous avons interrogé les habitants présents sur les souvenirs qu’ils conservaient de cette époque. Aucun ancien de cette génération n’étant présent à ce moment là pour nous répondre, certains se sont souvenus avoir entendu parler d’un combat violent près d’un endroit de l’autre côté du lac. Ils ont promis de se renseigner ultérieurement. On nous a prêté deux pirogues, nous avons pris nos deux pierres tombales et du ciment et nous avons traversé le lac avec l’instituteur du village et deux enfants chargés de fruits et d’encens. Nous avons grimpé sur une colline et j’ai décidé de cimenter les deux pierres tombales sur un rocher qui se dressait sur la colline. Quand le travail a été terminé, le géologue a prononcé un très beau discours sur la fraternité des peuples autour de l’idéal de la recherche d’une vérité scientifique qui dépasse les frontières. L’instituteur a fait une cérémonie bouddhiste avec encens, victuailles et prières et on m’a demandé de faire une prière chrétienne. J’ai retrouvé le « Notre père » de mon enfance que mon père m’avait appris. Puis le cœur débordant d’émotion, je suis revenue au village ; nous avons passé la nuit dans la maison communale et nous sommes rentrés sur Hanoi le lendemain. Sur le chemin du retour, le géologue, pourtant fervent communiste, nous a fait passer par une pagode assez isolée dans la forêt pour que je brûle de l’encens sur l’autel d’un génie du lieu. Le lendemain je reprenais l’avion pour Paris.

25Ce sont mes retrouvailles avec le Vietnam. J’y avais réussi, je me dis aujourd’hui, grâce à la présence des vietnamiens qui sont devenus mes amis, qu’une sorte de rituel de deuil pouvait être vécu aussi bien par les vietnamiens que par moi-même. Un certain empilement des pratiques et des discours propres à chaque culture, à chaque langue, à chaque religion, à chaque système politique, nous avait permis un vrai partage des émotions. Ceci a constitué la toile de fond de mes rencontres avec les Vietnamiens.

26Deux ans plus tard j’apprenais que, sous l’influence des Vietkieus (nom donné aux vietnamiens de la diaspora) qui depuis le Doi Moi pouvaient renouer avec leur famille au Vietnam, les Vietnamiens partaient à la recherche de leurs morts, avec l’aide de géomanciens, pour pouvoir les enterrer dignement. Le cinéaste français Boris Lojkine a réalisé récemment (1995) au Vietnam un film documentaire : Les âmes errantes[4]. Voici comment il présente son film : « De champs de bataille oubliés en cimetières de “soldats inconnus”, deux anciens combattants vietnamiens cherchent les corps de leurs camarades disparus pour les rendre à leurs familles. Dans un présent parfois indifférent aux fantômes de l’histoire, ils rencontrent une femme encore hantée ». Je participe un peu du même monde. J’avais fait la même chose qu’eux.

27Après ce voyage, je me suis sentie dans une grande proximité avec les vietnamiens. Les évènements extérieurs les avaient obligés régulièrement à changer d’orientation et ils trouvaient en eux les ressources pour s’adapter.

28J’avais aussi dû m’adapter à plusieurs reprises à des situations que je n’avais pas choisies. Mon enfance indochinoise, mon retour en France dans une région où l’on ne parlait pas le français, mon militantisme d’étudiante dans les mouvements anticolonialistes, etc. Tout cela constituait des tranches de vie entrecoupées de ruptures traumatiques qu’il fallait arriver à coller ensemble pour en faire une histoire. C’est grâce à ma rencontre avec les enseignements de la psychiatrie transculturelle que j’ai pu différencier ce qui concernait mon histoire intime et ce qui relevait des traumatismes historiques, dont l’histoire ne parle pas dans mon cas particulier. La psychanalyse ne prend pas en compte la « grande histoire ». J’en ai gardé une acuité particulière pour ne pas confondre les deux registres, même si bien sûr ils s’interpénètrent. C’est avec cette lecture personnelle que j’aborde les témoignages vietnamiens.

29Les histoires de vie dont je voudrais parler maintenant sont d’une certaine façon très voisines. J’ai tenté de les « traduire » moi-même après en avoir discuté avec mes amis Vietnamiens. Nous pensons qu’ils témoignent de la possible construction d’un espace commun de communication.

Nguyen Khac Vien, un pionnier

30Beaucoup de personnes ont entendu parler de Nguyen Khac Vien, pionnier de la psychologie clinique au Vietnam. Il est souvent présenté comme un intellectuel vietnamien, mais peu savent vraiment son histoire.

31Nguyen Khac Vien est né en 1913. Son père était mandarin de la cour de Hué. Il faut savoir qu’à cette époque, le mandarinat de la cour était essentiellement honorifique car les Français n’avaient pas laissé beaucoup de pouvoir à l’Empereur. Les élites vietnamiennes souffraient de cette situation. Elles avaient espéré de la colonisation la possibilité d’ouvrir leur pays tout entier à l’influence occidentale, sentant que quelque chose s’était sclérosé dans leur propre culture. (Il s’est passé la même chose au Japon durant l’époque Meiji). Mais les plus doués d’entre eux ne participaient pas aux tâches de l’administration car les Français craignaient qu’ils n’entrent en dissidence. Nguyen Khac Vien a fait ses études secondaires au lycée du protectorat à Hanoi, puis a commencé ses études de médecine à la Faculté de Hanoi. Parallèlement il a appris le chinois et la culture chinoise avec son père qui avait été formé à cette culture pour pouvoir passer le concours de mandarin.

32En 1937, sur les conseils de son père, il part terminer ses études de médecine en France et choisit la spécialité de pédiatrie. Il est interne des Hôpitaux de Paris, notamment dans le service du Dr Françoise Marette (qui deviendra après son mariage Françoise Dolto), chef de clinique à l’hôpital Trousseau. Il partagera son intérêt, à ses débuts, pour la question de l’énurésie.

33Entre 1942 et 1951, gravement atteint de tuberculose, il devra subir l’ablation d’un poumon entier et d’un lobe de l’autre poumon. Il survivra en développant une gymnastique respiratoire et alors que les médecins français ne lui donnaient que quelques années à vivre, il vivra jusqu’à l’âge de quatre vingt quatre ans. Quand je l’ai connu en 1991, il parlait en accompagnant ses mots d’une respiration très contrôlée.

34En 1943, ayant entendu parler de la situation des Vietnamiens arrivés en France pour travailler dans les années 1939-1940 à l’effort de guerre, puis enfermés dans des camps de regroupement au Sud après l’armistice, il sort prématurément du sanatorium où il est soigné, pour devenir leur médecin. Il leur conseille d’apprendre à lire et à écrire car il pense qu’à la fin de la guerre, le pays revendiquera son indépendance et qu’il faut que chacun s’y prépare. Une vilaine rechute de sa tuberculose l’oblige à regagner le sanatorium.

35Il retourne à Paris en 1952 après s’être inscrit au P.C.F en 1949 où il se fera de nombreux amis qui le soutiendront dans son militantisme pour l’indépendance du Vietnam. De 1953 à 1963, il dirigera l’Association des Vietnamiens de France qui soutient la République Démocratique du Vietnam. En 1956, son père est emprisonné par les communistes vietnamiens dans des conditions très pénibles et il en meurt. C’est peu de temps après la première réforme agraire. L’engagement personnel de son fils dans le mouvement révolutionnaire ne le sauvera pas.

36Nguyen Khac Vien sera expulsé de France du fait de ses activités militantes en 1963 et il devient directeur à Hanoi des éditions en Langues étrangères. Il est également directeur du quotidien en langue française Le courrier du Vietnam et de la revue Les études vietnamiennes.

37En 1981, sévit une famine importante au Vietnam, conséquence de la deuxième réforme agraire et de la collectivisation des terres. Il écrit une lettre ouverte à l’Assemblée Nationale du Vietnam dans laquelle il critique le volontarisme maoïste de la politique du P.C.V.

38Il va être alors mis en disgrâce et à la retraite de ses différentes activités. Ayant été ainsi écartelé dans ses idées et dans sa chair par les différents évènements et le heurt des différentes tendances qui traversent le pays, il s’inquiète du sort de la jeunesse vietnamienne et pense que ses jeunes compatriotes vont subir le contrecoup de tous les évènements que le pays a traversé. Il retrouve son premier engagement de soigner les souffrances des enfants. Il fonde donc en 1989 la Fondation NT, première ONG vietnamienne. Il travaille avec un petit groupe de pédiatres, journalistes et pédagogues pour enseigner les bases de la psychologie et de la psychanalyse ; il traduit quelques livres de Freud et de Winnicott en vietnamien mais aussi de Piaget et de Wallon. Il enseigne la primauté du sujet sur une clinique du signe à valence médicale. Il met également en avant l’importance du respect de certaines traditions qui sont au fondement de la culture vietnamienne comme le culte des ancêtres qu’il faut préserver à tout prix, pense-t-il.

39Il forme, en deux ans, les premiers psychologues et ouvre quelques centres de consultation pour enfants.

40La France l’honore en lui décernant le Grand prix de la Francophonie en 1992.

41Il sera réhabilité en janvier 1997, quelques mois avant sa mort, le gouvernement vietnamien lui décernant la médaille de l’Indépendance. Il mourra en mai 1997, peu de temps avant le premier colloque sur l’enfance organisé au Vietnam en novembre de la même année « Enfance état des lieux » dont il a refusé qu’il lui soit dédié. Il désapprouvait cette initiative française qu’il trouvait prématurée.

42Vien s’est passionné pour la traduction, cherchant dans la littérature vietnamienne les mots qui pouvaient le mieux rendre compte des notions qu’il voulait importer, se refusant à créer des néologismes. Il s’agissait pour lui de construire une psychologie vietnamienne et donc que les mots employés entrent en résonance avec l’expérience profonde et le savoir inconscient des Vietnamiens.

43Après son décès, la Fondation NT a connu elle-même des bouleversements. Elle n’a plus obtenu les subsides de l’étranger qu’elle recevait du temps de Vien. Nguyen Thi Nhat, la femme de Vien, continue de vouloir conserver l’indépendance de la Fondation NT et gère quelques structures avec beaucoup de courage et dans une grande précarité.

Une nouvelle génération

44Et la génération qui a vingt ans de moins, que dit-elle ? Voici l’histoire de mon amie Loan.

45Elle est née en 1935 à Hanoi. Son père était pharmacien, il est mort de tuberculose quand elle avait trois ans. Loan appartient à une famille de lettrés depuis plusieurs générations. Son arrière grand-père a été destitué de son poste par les français car il avait un esprit trop indépendant. Il a de ce fait perdu son salaire. Son grand-père s’est vu obligé de retourner travailler aux champs. Il a quand même essayé d’étudier à la lueur des lucioles qu’il mettait dans un verre le soir après une journée de travail au champ, pour passer le mandarinat. Mais n’ayant pas suffisamment bien réussi, il est devenu instituteur dans son village. Les études étaient pour tous les enfants de la famille, une affaire d’honneur. Les enfants devaient aller à l’école française. Le père de Loan, après avoir été au lycée du protectorat, a fait des études de pharmacie comme son frère. Les deux frères faisaient le projet de cultiver un jardin avec des plantes médicinales et de s’installer comme pharmaciens traditionnels. À la mort du père c’est son frère qui a été chargé de l’éducation de Loan et du soutien de sa mère. Il a décidé d’aller en France poursuivre des études de pharmacie et il y est mort de maladie l’année d’après. La famille s’est donc retrouvée sans aucun soutien. Loan a continué toute fois d’aller à l’école française. À l’adolescence, malgré les injonctions de sa mère de rester auprès d’elle, elle s’est engagée dans les mouvements clandestins pour la libération du Vietnam. Elle a été arrêtée puis emprisonnée par les français en 1953, assistant à la torture de ses amis ; elle fut rapidement relâchée grâce à l’intervention des amis français de sa famille. Sa mère lui demanda de partir en France pour se mettre à l’abri tout en poursuivant ses études. La France métropolitaine était un des lieux de fuite possible des jeunes vietnamiens qui étaient menacés par les autorités coloniales du fait de leur engagement au Vietnam. Quand elle revint au Vietnam après des études universitaires, elle continua à militer et participa activement à la construction du pays. Elle fut pendant de nombreuses années la secrétaire de la Ministre des femmes, ce qui lui permit de voyager dans de nombreux pays. Ensuite elle fut rédactrice dans le journal des femmes, et elle fut un des membres fondateurs de la Fondation NT. Elle s’intéressa particulièrement à l’éducation des parents. C’est une personne infatigable toujours à l’affût des choses qu’elle peut apprendre. Elle a traduit quelques articles de Freud et de Winnicott en vietnamien. Sur le plan personnel, elle a élevé deux enfants qui ont fait de très bonnes études, son mari a été professeur de français et a reçu récemment une médaille de l’Ambassade de France pour son soutien à l’enseignement du français au Vietnam. Une vie bien remplie au service du pays et de son développement. Pourtant, ces derniers temps, l’âge venant, son mari a souhaité retrouver avec l’aide d’un médium, à Poulo Condor (un camp d’enfermement très sévère des vietnamiens dissidents du temps des français), les ossements de son frère. Il avait été enterré sur place sans tombe ni cérémonie funéraire. Ils ont retrouvé ses restes et ont ensuite faits les cérémonies nécessaires au repos de son âme et des siens encore en vie ; sa photo est maintenant sur l’autel des ancêtres. Loan était tout étonnée de ce que son mari, athée et communiste convaincu, souhaite cette démarche. Un autre problème tracassait Loan. Son fils âgé de plus de 40 ans n’était pas encore marié. C’est lui pourtant qui est responsable de la continuation de la lignée. Elle décida donc elle aussi de faire appel à un médium pour entrer en relation avec sa mère décédée depuis plusieurs décennies et lui faire part de son souci et de son chagrin. Sa mère, par l’intermédiaire du médium, lui annonça que son fils se marierait dans l’année. C’était juste après le Têt 2007. Après avoir fait cette démarche, elle en parla à son fils. Quelques temps après le Têt 2008, j’apprends le mariage de son fils. Le couple des parents habite maintenant avec le fils selon la tradition. La bru travaille à Hanoi, elle vient de la campagne. Je ne serais pas étonnée que ce soit un mariage un peu arrangé. La belle mère ne tarit pas d’éloge sur sa bru. Elle se réjouit d’être bientôt grand mère et de pouvoir s’occuper de ses petits enfants à la manière traditionnelle comme le souhaite sa belle fille, tout en prenant des avis médicaux pour son évolution physique.

46Loan a donc effectué un retour, relativement inattendu pour ses amis, à la tradition. Il me semble que cela est dû à l’abandon des illusions de sa jeunesse sur les possibilités de construire, après l’indépendance, une société meilleure. Ce retour n’implique ni nostalgie ni déni de la nécessité de s’adapter au monde d’aujourd’hui. Loan est très attentive au désarroi actuel des parents, elle sait leur parler. Elle organise des réunions de parents dans plusieurs villes du pays pour répondre à leurs questions sur l’éducation des enfants. Elle a entrepris d’écrire un livre sur ce sujet. Elle fait partie de ceux qui cherchent un chemin vers l’avenir. Elle nous témoigne de ce que ce chemin n’est possible que dans un enracinement ouvert dans la tradition du pays.

Après la guerre

47Alors que Nguyen Khac Vien et Loan ont participé activement à la libération du pays, Tang le troisième témoin a subi la guerre enfant et jeune adolescent. Il est né en 1957. Il est de la génération suivante. Il est psychopédagogue de formation et a fait ses études avec des enseignants formés en URSS. Après sa rencontre avec le Docteur Vien et son orientation vers la psychologie clinique, il a repris des études en France et prépare actuellement une thèse de doctorat d’orientation psychanalytique dans une faculté française.

48Dans son enfance, il a souffert des conflits qui ont opposé, pendant la guerre, les vietnamiens qui sont restés fidèles aux français et ceux qui se sont engagés dans la guerre de libération. Son père a été emprisonné par le Vietminh à la fin de la guerre et est mort peu de temps après. Tang a du subir quelques brimades par la suite et n’a pas pu faire les études qu’il aurait souhaité faire.

49Il raconte très bien les différents moments de son évolution. Quand il a commencé à travailler dans les écoles après ses études, on attribuait d’une façon générale les difficultés des enfants à une mauvaise conduite des parents : alcoolisme, brutalité, non-respect des règles de la société. On pratiquait une thérapie sociale. Les responsables de quartier présentaient l’enfant ou l’adolescent avec sa famille à l’assemblée populaire de quartier et on l’admonestait publiquement. Quand aux parents il s’agissait surtout de leur montrer que la société avait évolué de façon irréversible et qu’ils devaient être un modèle pour leurs enfants en respectant les règles de la société et en participant aux activités du parti.

50Il attribue à Nguyen Khac Vien le fait de lui avoir appris à considérer les enfants comme des sujets à part entière et à les écouter. Il leur enseignait d’aller dans les familles car, disait-il, c’était la meilleure façon de comprendre ce qui se passait pour un enfant. Après avoir suivi l’enseignement des occidentaux et il n’est plus allé dans les familles où cette pratique était fortement déconseillée. Il a donc centré son travail sur les consultations. Mais il n’était pas vraiment satisfait. Après avoir réalisé qu’il pouvait utiliser les enseignements occidentaux qui lui semblaient adaptés sans renoncer à ses compétences propres et à ce que Nguyen Khac Vien lui avait appris, il s’est autorisé à retourner dans les familles. Il est conscient qu’il lui faudra un jour pouvoir théoriser la relation qui s’engage ainsi entre lui, l’enfant et les familles. Il justifie la nécessité de ce travail dans les familles par le fait que pour que la confiance s’établisse, condition indispensable pour provoquer un changement, la participation du soignant au groupe familial élargi est nécessaire. La référence groupale peut s’expliquer aussi, dit-il, en référence avec ce que dit Tran Ngoc Them (2002) : le groupe protège l’individu qui ne souhaite pas affronter seul une relation d’inconnu, soit qu’il ne la comprend pas, soit qu’il risque de s’y sentir agressé voir même anéanti. Être en famille, être en groupe, c’est une protection utile. S’adresser à un psychologue pour un enfant qui ne parle pas, par exemple, est une démarche nouvelle, très blessante et fragilisante. Elle nécessite que tous les membres de la famille soient présents pour se soutenir les uns les autres. Tout l’art du thérapeute vietnamien est dans cet entre-deux : il n’est pas vraiment extérieur à la famille, mais il n’en fait pas non plus parti.

51Quand Tang va soigner dans les familles, il cherche à donner du sens aux comportements des enfants et il fait participer la famille à ce qu’il a découvert. Il a pris sans le savoir comme modèle les observations de bébé à visée thérapeutique en les adaptant à sa façon. À moins que ce soit nous, sans le savoir vraiment davantage, qui assouplissons nos techniques et nos conceptualisations si bien qu’un rapprochement peut s’entrevoir. Les talents thérapeutiques de Tang sont remarquables et il commence à être connu comme un spécialiste des difficultés des tous petits enfants.

52Tang n’a pas fait la guerre, mais il en a souffert à travers l’histoire de sa famille. Après un long cheminement personnel et professionnel, il arrive, dans sa pratique, à concilier ce qu’il a appris en France et ses connaissances sur la psychologie vietnamienne. C’est un homme passionné par le travail de traduction dans lequel il excelle. Cette passion pour la traduction témoigne de sa compréhension profonde du travail nécessaire à une juxtaposition créative des cultures différentes.

53À travers le portrait de ces trois personnes nous entrevoyons le temps qui leur a été nécessaire pour élaborer et construire une identité harmonieuse, capable de dépasser les traumatismes, de concilier leur ancrage dans leur propre histoire ; ceci est vrai au niveau de leur vie personnelle. Sur le plan intellectuel, il leur a fallu également se réapproprier les apports multiples et souvent contradictoires qui ont jalonné les moments historiques de leur existence sans qu’ils les aient vraiment choisis. Ils ont trouvé la force de revendiquer ce qui était structurant dans leur propre tradition tout en restant ouvert aux avancées venant de l’extérieur.

Figures d’avenir

54Et les jeunes d’aujourd’hui, ceux de la quatrième génération qui sont nés après le Doi Moi, c’est-à-dire l’ouverture du pays, quel est leur cheminement ? Ils n’ont pas connu la guerre. Ils n’aiment pas beaucoup le retour au passé. L’histoire telle qu’on la leur raconte, à l’école ou dans les journaux, n’est pas celle que me racontent mes vieux amis. L’histoire officielle est idéologique, elle cherche à gommer les souffrances qui ont été celles de leurs parents. Cette situation change doucement. Depuis deux à trois ans, on entend parler des souffrances de la guerre, des traumatismes familiaux qu’elle a entraînés. Jusqu’à présent la guerre n’était qu’une histoire de héros. Ils ont tant entendu parler des actes héroïques des vétérans de la guerre, qui leur sont régulièrement cités comme modèles, qu’ils ne veulent plus ni modèles, ni maîtres. Ils vivent dans un pays qui évolue très rapidement. Ils se méfient de la transmission maître/élève, qu’elle vienne de leurs maîtres vietnamiens formés en Russie ou bien des Français et des Occidentaux dont ils ne comprennent pas vraiment l’enseignement. Ils sont pressés : pressés d’atteindre le niveau des pays dit développés, pressés d’apprendre des techniques efficaces, pressés de réussir leur vie et de sortir de la pauvreté… Internet devient leur source préférée de connaissance. C’est eux, c’est leurs enfants que nous avons maintenant comme interlocuteurs.

55À la lumière de ces quelques témoignages, nous pensons que le vécu traumatique a un impact très important dans la psychologie des vietnamiens et dans les processus de transmission consciente et inconsciente : traumatisme de la guerre, traumatisme des acculturations, traumatisme du cyclone de la société de consommation qui déracine toutes les constructions culturelles antérieures sur son passage. Il favorise la tentation du mimétisme vis-à-vis de la culture occidentale. Nos jeunes collègues vietnamiens en sont-ils conscients ? C’est une de nos préoccupations.

Sur quelles bases envisager l’enseignement de la pédopsychiatrie au Vietnam ?

56L’abord de l’enseignement de la pédopsychiatrie par la psychanalyse nous semble malgré tout pertinente à condition qu’elles prennent en compte les avancées des recherches multiples dans le domaine du développement de l’enfant.

57D. Widlöcher pense que les théories psychanalytiques doivent tenir compte des importantes découvertes des neurosciences. Nous partageons ce point de vue. Il nous dit qu’elles sont compatibles avec les théories psychanalytiques des « systèmes de développement » qui soulignent le rôle des interrelations précoces mère / bébé dans la formation de la vie psychique du tout petit à partir des échanges émotionnels positifs, négatifs ou inappropriés. Nous pensons en particulier aux travaux et recherches sur le développement de l’enfant de la Tavistok clinique à Londres. La communication émotionnelle peut être perturbée par les traumatismes et entraver ainsi la construction de la vie psychique et le développement de la pensée.

58D. Widlöcher pense qu’il faut également donner une place au développement de ce qu’il appelle avec D. Stern « le soi avec autrui ». Or c’est une des constantes de la tradition asiatique. Il en conclut que le travail psychanalytique doit être revisité à partir de ces données, ce qui implique que la disponibilité émotionnelle et la qualité des interactions se doivent d’être activement positives au cours de la thérapie pour corriger les traumas du passé : « Chez nos patients, nous pouvons supposer que certaines parties du développement ont été progressivement isolées du traitement des nouvelles expériences à causes des répétitions dues à la répression des affects ou à cause d’une limitation initiale. La psychanalyse nécessite une co-construction de l’ambiance émotionnelle sans laquelle on ne peut accéder aux connaissances affectives précoces à travers le langage » (Widlöcher 1992 : 114). Nous pensons qu’au Vietnam en particulier cette co-construction doit inclure les traumatismes familiaux et sociaux liés aux évènements historiques des dernières décennies. Les séparations, les deuils, les renoncements et la violence y ont une place prépondérante. Par cette approche, les théories psychanalytiques sont délestées de leur intrication avec les connaissances scientifiques (qu’elles soient biologiques ou venues des sciences humaines) qui ont présidé à leur formulation à une époque donnée. Elles prennent en compte les connaissances scientifiques actuelles qui elles mêmes seront un jour amenées à évoluer. Elles sont moins culturellement marquées. Elles deviennent de ce fait plus accessibles.

Conclusion

59Vinciane Despret écrit : « Si nous pouvons montrer comment nos pratiques effectuent les conceptions de notre tradition, ce savoir et ces pratiques sont en même temps le vecteur de notre héritage. Notre savoir prolonge nos conceptions mais il les transforme aussi…Comment faire de notre héritage un problème et non une solution ?… Il s’agit de définir comment nous voulons utiliser le savoir des autres, le savoir qui nous rend autres du fait d’avoir rencontré les autres, en une nouvelle manière de poser le problème de ce qui se transmet et de ce que nous voulons en faire » (Despret 2005 : 27).

60Si nous voulons prendre ce chemin, nous pensons qu’il est nécessaire que nous mettions au clair, que nous élucidions ce que nous attendons pour nous-mêmes de ces formations que nous dispensons dans des pays à la culture différente de la notre et que nous avons un temps dominé. Chacun d’entre nous a une histoire de ses représentations avec le Vietnam, qu’il s’agisse de la période d’avant la colonisation et des tentatives de christianisation de ce pays, de la colonisation proprement dite (l’Indochine était la plus belle des colonies de l’Empire colonial français) puis des guerres de libération du Vietnam, contre les français puis contre les américains. Derrière l’intérêt que les uns et les autres nous portons au Vietnam, toutes ces périodes historiques se profilent.

61Notre monde occidental est en crise, il est aussi en devenir et il nous est difficile de penser ce devenir. Nous faisons l’hypothèse que nous allons chercher là-bas comment penser notre propre devenir.

62Ces réflexions nous semblent applicables à d’autres pays anciennement colonisés.

Bibliographie

  • Bertrand D. D’une approche ethno psychologique de l’enfant vietnamien à la réappropriation de la Psychologie au Vietnam comme transfert de connaissance. In : Charlyne Vasseur Fauconnet C, éditeurs. Enfance État des lieux Vietnam. Paris : L’Harmattan ; 1998. p. 555-84.
  • Despret V. (1999) Ces émotions qui nous fabriquent, ethnopsychologie de l’authenticité. Le Plessis Robinson : Les Empêcheurs de penser en rond ; 2005.
  • Foucault M. Maladie mentale et psychologie. Paris : P.U.F. ; 1962.
  • Gueye M. Assistance psychiatrique au Sénégal. L’Information psychiatrique 1995 ; 71(6) : 525-9.
  • Khayat G. (El) Une psychiatrie moderne pour le Maghreb. Paris : L’Harmattan, Coll. Santé, sociétés et cultures ; 1996.
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  • Tran Ngoc T. Recherche sur l’identité de la culture vietnamienne. Hanoi : The Gioi ; 2003.
  • Widlöcher D. In : Mazet P, Lebovici S, éditeurs. Émotions et affects chez le bébé et ses partenaires. Paris : Eshel ; 1992.

Mots-clés éditeurs : environnement, contre-transfert, traumatismes, interaction, Vietnam, émotion

Date de mise en ligne : 27/02/2013

https://doi.org/10.3917/lautr.031.0027

Notes

  • [1]
    L’enseignement de la psychologie au Vietnam comme tout enseignement des sciences humaines commence par deux années de marxisme-léninisme et la psychologie enseignée est pour une large part soviétique.
  • [2]
    Bertrand D, Chantharavdy C. Mental health situation analysis in Lao People’s Democratic Republic. Ventiane : Ministry of health ; December 2002 (Rapport).
  • [3]
    En fait le mot rapatrié n’est pas conforme bien que sa définition dans le Trésor de la langue française soit : que l’on a fait retourner dans le pays d’origine ; il faut en plus que le pays que l’on quitte soit indépendant. Ho Chi Minh avait bien proclamé l’indépendance du Vietnam en septembre 1945, mais les français ne l’avaient pas reconnue. L’Indochine était donc encore une Colonie Française. Il n’y a pas de mot pour les personnes comme moi, qui puisse nous permettre de nous inscrire dans une histoire collective.
  • [4]
    Boris Lojkine, France Production 4A4 Productions, 2005.

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