L'Autre 2008/1 Volume 9

Couverture de LAUTR_025

Article de revue

Livres

Pages 143 à 147

AMOUR, SEXUALITÉ ET TROUBLES DE LA PERSONNALITÉ. Quentin Debray, Privat, 2007, 224 p. 17 €

1Les souffrances sentimentales et sexuelles que nous traversons se rattachent à notre psychologie, à notre personnalité. Après une douloureuse rupture, une jeune femme fréquente les sites internet et multiplie et aventures sans lendemain ; elle n’y trouve aucun plaisir, se dégrade et se déprime. Un adulte, cadre brillant, confond l’orgueil et la séduction, et bientôt harcèle ses collaboratrices. Un jeune homme timide et secret ne parvient pas à nouer le moindre contact avec une jeune fille : il demeure seul et complexé.

2L’étude de la personnalité de ces sujets, de leur éducation et des événements qu’ils ont subis, de leurs attitudes régulières et de leurs conceptions de la vie, permet d’expliquer ces difficultés et de proposer des solutions thérapeutiques.

3Dans cet ouvrage, Quentin Debray se penche sur les interactions qui lient la sexualité et les troubles de la personnalité. Il étudie les crises, les ruptures, les impulsions, les errances qui marquent certaines destinées et propose des moyens de retrouver un équilibre et d’épanouir ses relations affectives, quête permanente dans notre société actuelle.

4Un livre fort intéressant à lire.

5Marie Rose Moro

ANTHROPOLOGIE ET PSYCHANALYSE. REGARDS CROISÉS. Sous la direction de Patrice Bidou, Jacques Galinier, Bernard Juillerat Cahiers de L’Homme, éditions de l’École des Hautes Études en sciences sociales, 2005

6Cet ouvrage est un hommage à Freud, critique certes, mais largement inspiré par ses travaux. On notera ainsi l’intérêt non démenti des anthropologues pour les thèmes œdipiens, ceux de la transmission de la culture et de la différence des sexes et surtout de la méthode de Freud notamment dans Totem et Tabou, où le psychanalyste fit appel à d’autres matériaux, anthropologiques notamment pour confirmer ses découvertes.

7Ici, bien sûr, pas question de confirmer des hypothèses cliniques, pas question non plus de pratiquer l’ethnopsychanalyse de Devereux. Il s’agit de reprendre le dialogue entre les théories de Freud et les anthropologues qui œuvrent sur des terrains lointains surtout, sur des préoccupations communes qui existent depuis le début ; les opprobres et les critiques ont rendu ces confrontations très rares.

8Les intérêts mutuels ne manquent pas (on pense en particuliers aux travaux de Françoise Héritier) mais ils n’impliquent pas d’échanges. Or cet ouvrage constitue une véritable confrontation et une prolongation de questions abordées par Freud. Comment cela est-il possible ? Pour les anthropologues, en interprétant leurs données ethnographiques, à la lumière des hypothèses psychanalytiques, et pour les psychanalystes en soumettant leur matériel aux productions de l’anthropologie. La remise en question des oppositions hiérarchisantes concernant le masculin/féminin, la quête de l’énigme de la mort et de la naissance guident toutes ces contributions à travers les questions obsédantes de l’universel. Avec toujours en filigrane, la préoccupation constante d’approfondir et de corriger les intuitions et les découvertes de Freud. En effet, il s’agit d’abord de se départir rigoureusement de l’évolutionnisme imprégnant encore la pensée psychanalytique, afin d’éviter de retomber dans ses travers dont la tentative d’« infantiliser le sauvage ».

9On remarquera la contribution brillante de Monique Schneider qui s’attelle à une critique très sévère faite à la psychanalyse, par Françoise Héritier notamment, d’avoir théorisé les positions sexuées non pas tant à partir de la clinique mais en reprenant à son compte « un certain nombre d’oppositions binaires léguées comme telles par la culture » (p. 208). Elle plaide ainsi pour une « psychanalyse accompagnée », qui explorant d’autres disciplines ouvrirait et confronterait ses hypothèses à d’autres systèmes représentatifs.

10Malgré la prudence des psychanalystes sur l’assimilation des processus pour les représentations culturelles et les formations de l’inconscient, les anthropologues ne lèveront pas cette ambiguïté : les institutions sont analysées comme les individus qui les ont créées et les démonstrations sont convaincantes à la condition d’accepter cette hypothèse majeure Le texte de Jacques Galinier est à mon sens une méta-analyse des textes précédents, par la tentative prudente, mais brillante et féconde, de théoriser la notion d’« archaïque » en anthropologie à partir de l’univers des Indiens Otomi du Mexique. La subtilité tient de l’explicitation des conditions de son utilisation, et de sa définition, à partir de la psychanalyse (et non de façon identique) en la tenant à distance d’un possible relent évolutionniste (qui entache également le mot « primitif »). Ainsi il permettrait de penser la transmission intergénérationnelle par la question des ancêtres et leurs états d’âme et les processus de transformation qui l’accompagnent, en bref il désigne « la part vive de la culture ».

11La lecture de cet imposant ouvrage ouvre à beaucoup de questions : outre une définition elliptique de l’anthropologie psychanalytique que la présentation n’éclaire pas, sa méthode est un parti pris scientifique et philosophique, à contre courant des référents biologisants et cognitifs, qui la menacent sans doute plus que le supposé rouleau compresseur de la mondialisation. On reconnaîtra aux auteurs anthropologues une connaissance fine de la psychanalyse. Sans doute faudrait-il pour amorcer un vrai dialogue, au-delà de ces contributions passionnantes, que les psychanalystes prennent au sérieux l’anthropologie. Le risque est que ces échanges restent confinés à un cercle d’initiés. Les hypothèses soulevées ouvrent de façon convaincante aux invariants, et non à l’universel, (différence ici non élucidée), définis comme un ensemble de questions que l’humanité se pose forcément. L’anthropologie et la psychanalyse ne perdent rien à leur spécificité dans cette entreprise de confrontation de longue haleine : questionner ensemble les invariants par le détour des singularités humaines et culturelles.

12Claire Mestre

VIVRE ET DIRE SA PSYCHOSE. Clément Bonnet, Antoine Fontaine, Juliette Huret, Françoise Loux, Laurent Muldworf, Agnès Pédron, Livia Velpry. Erès ; 2007, 288 p., 15 €

13Cet ouvrage donne la parole aux patients psychotiques à partir d’une enquête en sciences sociales réalisée par des praticiens d’une équipe de santé mentale. Il offre un regard inédit sur le monde de la folie : des patients racontent leur maladie et leurs soins, et des psychiatres les découvrent autrement.

14Comment, et à partir de quoi, se forme l’expérience subjective de la maladie ? Quelles sont les diverses théories étiologiques auxquelles se réfèrent les patients ? Quelles sont les représentations qui interviennent dans l’adhésion aux soins et comment interviennent-elles ? Qu’est-ce qui fait qu’un patient devient moins étranger à un médecin ?

15Comment évaluer l’écart entre la maladie telle qu’elle est éprouvée par le malade dans son discours profane et la maladie décrite à travers le discours médical ? Les médecins accepteront-ils de s’éloigner de leurs références habituelles pour accéder aux modèles explicatifs de leurs patients ? La relation soignant-soigné peut-elle se conceptualiser comme une transaction entre les modèles de l’un et de l’autre comme cela a été tenté à propos du sida ?

16Ceux qui ont une fibre militante se demanderont sans doute pourquoi les collectifs d’usagers ne sont pas plus nombreux, alors même qu’ils pourraient modifier certaines représentations sociales des maladies mentales aussi bien dans le grand public que chez les soignants. Par ailleurs, quelle est la place des actions d’information et d’éducation sanitaire qui, à l’évidence, ont pour objectif de modifier les représentations des personnes, invitées à abandonner certaines croyances pour un savoir scientifique ?

17Un livre original, courageux, à lire de toute urgence.

18Marie Rose Moro

LE GOÛT DES AUTRES. DE L’EXPOSITION COLONIALE AUX ARTS PREMIERS. Benoît de l’Estoile, Paris : Flammarion ; 2007

19Commencé lors de l’élaboration du Musée du quai Branly, achevé après son ouverture, cet ouvrage est bien un livre d’actualité. Pourtant, réfléchissant sur ce que l’auteur, ethnologue, appelle « musées des autres », par opposition aux « musées de soi », il propose de refaire le parcours historique de tous ces lieux – musées proprement dits, expositions, etc. – qui donnent à voir à ceux que l’on appelle occidentaux, les objets et civilisations issus d’autres continents, de ces peuples « sauvages » ou tout simplement différents qui occupent la planète et que la colonisation, l’exploration ou l’ethnologie ont au cours des siècles fait découvrir. Du musée du Trocadéro à celui du Quai Branly, pour ne prendre que l’exemple français, mais l’enquête concerne en fait bien d’autres pays aussi, en passant par les expositions coloniales et le Musée de l’Homme, se manifestent par là les regards portés sur l’autre. Regards au pluriel en effet, car ce que le livre révèle est bien leur diversité. Trop souvent envisagée comme un regard simplement raciste, Benoît de l’Estoile montre bien que la vision de l’occidental est en fait le plus souvent contrasté et contradictoire, enjeu de querelles dont on remarque la constance, entre spécialités et corporations.

20On ne saurait ainsi réduire la démonstration de l’autre à ces grotesques, sinistres et humiliants « zoos humains », mis en valeur par le livre de Didier Daeninckx et sans doute exagérément jugés symboliques par quelques historiens. Ce ne furent en fait que des initiatives privées à visée essentiellement commerciale qui suscitèrent dès cette époque la réprobation des plus hautes autorités publiques, comme le Maréchal Lyautey. Vis à vis de l’autre, dès l’origine, y compris dans le cadre des expositions coloniales, et jusqu’à aujourd’hui, l’appréciation oscille entre évolutionnisme et différencialisme, fascination du primitif détenteur de savoirs primordiaux oubliés par la civilisation et admiration esthétique pour ce que l’on nommera plus tard « arts premiers ». Aussi les querelles entre ethnologues, artistes, esthètes ou marchands d’art ont toujours été féroces, même si les différentes réalisations qui en résultèrent trahissent la victoire, éventuellement momentanée, d’un parti pris sur un autre. Ainsi l’établissement d’une mise en ordre du monde sous l’égide des ethnologues, dans le cadre du Musée de l’Homme, section du Musée d’« histoire naturelle », contraste avec l’exaltation de la valeur esthétique des objets, au Pavillon des Sessions du Louvre ou au Musée du Quai Branly. On faillit d’ailleurs en venir aux mains, avec la très commode arme absolue de l’accusation de « racisme » si facilement disponible…

21Ce que cette histoire révèle est précisément le caractère toujours très instable et révisable de ces points de vue, en raison des questions soulevées et, de l’avis de l’auteur, non parfaitement résolues ou dont la résolution demeure toujours problématique et imparfaite. Ceci entraîne la périssabilité même de ces institutions qui naissent et disparaissent ou au moins se transforment incessamment. Ainsi en est-il de la toute puissance du point de vue scientifique, de la souveraineté de l’État dont les musées sont une institution. Parmi ces questions qui restent en suspens, l’auteur étudie celle de la propriété des objets et de leur éventuelle restitution du droit des populations ou, en tout cas de leurs représentants autoproclamés sur leur présentation aux dépens par exemple des historiens de l’art et surtout des ethnologues.

22Aussi le livre, par delà cette très riche et passionnante histoire des muséographies, est-il une magnifique réflexion sur « l’altérité » dont il questionne « l’essentialisation », qu’elle ressorte du regard occidental et ethnologique traditionnel ou de la revendication autochtone ou indigéniste, dont il souligne de fait la fondamentale historicité. Les « musées des autres », et peut-être tout discours sur l’autre, qu’il s’agisse d’ethnologie ou aussi bien d’ethnopsychanalyse par exemple, ne sont-ils pas, en dernier ressort, un jeu d’illusion où s’opère, tout en se dissimulant, la mise en relation de l’humanité avec elle-même qui, selon l’auteur, devrait être au cœur de ces démarches ? On saisit alors toute la portée de ce travail qui, en historicisant et en relativisant l’idée d’altérité autour d’un objet concret, dépasse la seule histoire des musées et des expositions et met en question bien des certitudes.

23François Giraud

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