Notes
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[1]
Merci à Frédéric Torterat, à Marie-José Béguelin et aux deux relecteurs anonymes pour leurs remarques éclairantes sur une version préliminaire de ce texte.
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[2]
J’utilise le terme « relateur » pour éviter de présumer de la relation syntaxique qui est en jeu.
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[3]
Je ne mènerai pas ici une critique du concept de coordination.
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[4]
Lambert cite Meillet (1915) et Hopper & Traugott (1993). Mais, concernant Meillet (1915), c’est aller un peu vite en besogne puisque, si l’auteur admet que et a subi une « réduction de son volume phonétique » et une « atténuation de sa valeur expressive » (et tendrait à être remplacé par et alors, et puis, et après, et de plus pour en quelque sorte récupérer l’expressivité), il souligne surtout la stabilité de ce genre de conjonctions. Le passage d’Hopper & Traugott auquel il est fait référence concerne les conjonctions et les connecteurs dans leur ensemble (et non et / and en particulier), et il s’agit surtout pour les auteurs de poser l’opposition (certes très discutable) entre ce qui relève du domaine grammatical et ce qui relève du domaine lexical. De plus, les recherches disponibles portent généralement sur la grammaticalisation des structures syntaxiques, et non sur celle des marqueurs. Mais pour aller dans le sens de Lambert, on pourrait par exemple citer Mithun (1988) et Giacalone Ramat & Mauri (2011) dont les travaux portent sur les marqueurs davantage que sur les constructions.
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[5]
À propos du et que l’on observe dans les constructions en plus p et plus q (v. infra § 3.2), Bonnard (1984 : 57) parle d’une « survivance de et corrélatif » et Ménard (1976 : 185) d’un et qui « joue le rôle d’un adverbe de reprise ». L’idée que et serait un adverbe (voir aussi Buridant, 2000 : 553) est un argument qui prête le flanc à la critique : la catégorie « adverbe » est trop accueillante pour que cette hypothèse ait un quelconque pouvoir explicatif. Également mal à l’aise avec l’hypothèse d’un et adverbial, Torterat reprend la mise en garde de Ruppli (1988 : 428) : « il ne s’agit pas de ‘transformer en adverbes des coordonnants gênants’ » (Torterat, 2003 : 256n), sous-entendu « pour les normaliser, pour les faire entrer dans les catégories traditionnelles ». Il est courant aussi de traiter le « et initial de phrase » (Antoine 1958 ; Bordas 2005) - autre « coordonnant gênant » - comme un adverbe ; ce et est problématique dans les approches qui limitent l’analyse syntaxique à la phrase.
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[6]
Un des relecteurs anonymes souligne toutefois à propos que l’on ne « voit pas très bien comment les emplois de et en début d’énoncé pourraient correspondre au – que latin (qui unit deux constituants) ».
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[7]
Ce sont des emplois assez rares : 1 % des occurrences de et dans le corpus de Torterat (2000), « à l’écrit, entendons-nous bien », précise-t-il (op. cit. : 193n).
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[8]
Dans cet exemple, ainsi que dans (14 infra), la suite et je pourrait avoir le sens de « moi aussi », (Berrendonner, c. p.) ; dans cette lecture, et aurait une portée locale.
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[9]
Pour une étude de ces si-constructions dites « factuelles » en français, voir Corminboeuf (2013a).
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[10]
Ménard (1976 : 184) observe le phénomène après une subordonnée causale, relative, comparative, proportionnelle, hypothétique et temporelle. Rebuschi (2002 : 44 sq.) présente également un grand nombre de variantes dont le Tableau 1 rend compte. Au plan typologique, Rebuschi (2001a, 2009) montre que la conjonction eta (= et) apparaît régulièrement en tête de la principale des (relatives) corrélatives du basque. Un marqueur du même genre serait observable en hittite, en gotique, en bourouchaski (langue du Pakistan), en swahili (2001a, 2009), sans que l’auteur ne précise cependant si les contextes syntaxiques sont rigoureusement du même ordre (ce qui me paraît être une précaution fondamentale). Rousseau (1997 : 252) cite également un exemple en gotique. Selon Antoine (1958 : 861), on peut l’attester en germanique et en provençal anciens. Selon Inkova (c. p.), la construction existe en vieux russe.
-
[11]
Antoine cite encore un « type subordonné » observable au XVIIe siècle en plus (autant) que A, plus (autant) B.
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[12]
Hadermann et al. (2013) montrent que et apparaît aussi dans d’autres corrélatives du français contemporain, par exemple celles en tel... et tel... et en autant... et autant... On peut penser qu’il s’agit d’une forme de régularisation analogique.
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[13]
Un autre exemple : et apparaît dans des routines à valeur oppositive en ancien français comme en français actuel, alors que si ne remplit plus cet office aujourd’hui. On verra au § 4 un autre cas de concurrence en français contemporain, mais cette fois-ci entre et et que.
-
[14]
Pourquoi « traduire » et par alors (ce qui est fréquent), et non par aussi ? Bonnard (1984 : 57) traduit par exemple et par alors dans le proverbe Quant Deus done farine, et deables tolt sac ‘Quand Dieu donne de la farine, alors le diable dérobe le sac’. En revanche, Foulet (1928 : 287) traduit ce et par ’« à ce moment-là, à cet instant précis », ce qui montre que ses valeurs se stabilisent en contexte uniquement.
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[15]
Ménard (1976 : 185) semble avoir une position compatible avec celle-ci lorsqu’il dit de et qu’il « renforce la corrélation ».
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[16]
Allaire (1982 : 500) observe la présence de et (plutôt que l’asyndète ou que) dans seulement 1,67 % des couplages à inversion de pronom clitique sujet de son corpus. Plus précisément, à l’indicatif, 82,75 % des structures sont juxtaposées, 15,51 % incorporent que, et dans 1,74 % des cas seulement et établit la liaison ; au conditionnel, 24,8 % des structures sont juxtaposées, 75,2 % comportent que, alors qu’aucun exemple ne comporte et. Pour ma part, je n’ai collecté que 4 hypothétiques inversées avec et (2 %) et 15 occurrences avec que (7,5 %) sur environ 200 exemples (à l’indicatif, au subjonctif et au conditionnel), la très grande majorité des diptyques étant asyndétiques (90,5 %). Comme chez Allaire, toutes mes données sont des données écrites, les hypothétiques à inversion du pronom clitique sujet étant pratiquement absentes de l’oral spontané.
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[17]
Gachet (2013) a attesté l’indéniable apparentement en diachronie des constructions à modalité négative (33)- (34) et de celles en à peine (35)- (36).
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[18]
Plusieurs études mentionnent, pour les « cumuls » de l’ancien français (Foulet 1928 ; Antoine 1958 ; Ménard 1976 ; Torterat 2000 ; Lambert 2001 ; Combettes 2010), comme pour les hypothétiques inversées, les constructions en à peine et les temporelles à modalité négative (Gachet 2013, parle de « télescopage »), un effet sémantique de simultanéité, d’immédiateté, de consécution immédiate, de concomitance. Cet effet est parfois marqué par des adverbes d’« imminence » (cf. déjà et aussitôt soulignés en italique dans 31 à 36) ; ces adverbes sont également bien attestés dans les autres hypothétiques non marquées (Corminboeuf 2009). Je ne suis cependant pas en mesure de dire si cet effet de simultanéité est lié ou non à la situation de réanalyse.
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[19]
La notion de grammaticalisation n’est pas réputée opérer au plan global (macro-syntaxique), indispensable pour comprendre les enjeux, dans les constructions que j’ai analysées. Cf. Melis & Desmet (1998 : 22) : « Il conviendrait dès lors de distinguer la grammaticalisation qui opère au niveau intraphrastique et, pour lancer un néologisme, la <discursivisation> qui se situe sur le plan interphrastique et qui regroupe les processus formant des signes relatifs à la combinatoire et à la hiérarchie dans le discours. »
-
[20]
Une traduction possible : « Une évolution ne renie jamais son point de départ : au contraire, elle en représente par certains côtés la mise à profit maximale ». Dans une communication de février 2008 sur le même sujet que l’article de 2006 (les auxiliaires), La Fauci avait conclu qu’« on ne devient que ce que l’on est », ce qui fait écho au mot de Tarkovski (qui ne porte, bien sûr, pas sur le changement linguistique...).
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[21]
Allaire range ainsi ces valeurs « synthétiques » de et dans le domaine de la subordination.
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[22]
Ainsi, à propos des constructions en à peine, Gachet (2013) observe que celles articulées par et comportent bien plus fréquemment un adverbe comme déjà, qu’elles permettent la mise en rapport de propositions à valeurs illocutoires distinctes, qu’elles ne sont pas enchâssables. Les hypothétiques inversées avec et sont presque toujours au présent de l’indicatif, alors que celles en que admettent une gamme de tiroirs verbaux et de modes plus ample (subjonctif imparfait, conditionnel présent, présent et imparfait de l’indicatif).
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[23]
Dans une étude par ailleurs fort intéressante, De Smet (2009) a beau jeu de s’en tenir à une définition limitative du phénomène de réanalyse (« The notion of reanalysis suggests that a new category can be created ex nihilo on the basis of some structural ambiguity », op. cit. : 1729), pour ensuite en souligner les carences, notamment en ce qui concerne les facteurs sémantiques et pragmatiques qui en sont le moteur.
La mission de [l’étude diachronique] est en effet, d’abord et avant tout, d’envisager les changements avec généralité, sans conférer de privilège à l’un ou l’autre d’entre eux ; elle est d’autre part de modéliser les conditions du changement, et plus particulièrement de mettre en lumière les comportements langagiers qui sont de nature à induire, dans une synchronie donnée, un changement linguistique donné.
1. INTRODUCTION [1]
1 Cette étude porte sur le relateur [2] et dans des constructions où sa présence peut faire débat, parce qu’elle questionne le lien syntaxique qu’entretiennent deux segments linguistiques contigus. Le concept de « coordination » apparaît par trop rudimentaire pour saisir le phénomène syntaxique qui est en jeu [3]. Les relations syntaxiques – plus précisément les espaces de négociation de la frontière entre micro- et macro-syntaxe (Groupe de Fribourg 2012) – sont des lieux privilégiés de reconceptualisation du donné segmental.
2 On étudiera deux phénomènes assez confidentiels qui engagent un phénomène de réanalyse : en diachronie, des constructions « à cumul » de l’ancien français (1) et, en synchronie, des couplages de constructions verbales articulées par que ou et (ou juxtaposées) sans différence sémantique significative (2) :
5 Dans ces constructions, on peut se demander si et a été « rétrogradé » syntaxiquement au niveau de la clause (de connecteur, il serait réinterprété comme un opérateur, cf. Ducrot 1983). Je voudrais éclairer les conditions dans lesquelles une telle recatégorisation a pu émerger ; autrement dit, le(s) moteur(s) d’un tel changement linguistique – si tant est, bien sûr, qu’il y en ait eu un.
6 Dans un premier temps, je présenterai l’étude de F. Lambert (2001), qui critique l’approche des conjonctions comme et en termes de grammaticalisation (§ 2). Dans un second temps, j’étudierai les structures (1) et (2). Les constructions à cumul seront notamment confrontées aux corrélatives en plus p et plus q (§ 3). La section 4 sera consacrée à la concurrence entre que et et, dans une classe de constructions binaires du français (hypothétiques inversées et constructions en à peine, par exemple). Dans un troisième temps, je tirerai les enseignements théoriques de ces deux parties descriptives (§ 5).
2. L’HYPOTHÈSE D’UNE GRAMMATICALISATION
7 2.1. F. Lambert (2001) souligne qu’il n’est pas rare que l’on présente l’évolution des conjonctions comme témoignage de cas prototypiques de grammaticalisation (op. cit. : 114) [4]. L’auteur donne une série d’arguments qui conduisent à révoquer l’hypothèse d’une grammaticalisation des valeurs indo-européennes ou gréco-latines des « correspondants » supposés de et pour expliquer le fonctionnement de ce relateur en français contemporain. Ses arguments sont notamment les suivants :
-
L’échelle temporelle nous ferait remonter jusqu’à l’indo-européen pour trouver éventuellement trace d’une grammaticalisation (mais il faudrait encore
« se demander en quoi le sémantisme de *eti [i.e. l’« ancêtre » présumé de et,
GC] se trouverait grammaticalisé » (Lambert, 2001 : 119)).
G. Antoine (1958 : 319) fait également de et l’héritier de « l’adverbe à valeur déterminative » de l’indo-européen *éti [5]. Avec F. Lambert, on peut cependant questionner la pertinence du recours à une étymologie indo-européenne pour expliquer la valeur du et français : parle-t-on de la même chose ? - Le degré d’autonomie semble rester stable.
-
Et ne passe pas du concret à l’abstrait, la valeur la plus ancienne étant
déjà abstraite. De plus, F. Lambert rappelle – tout à fait à propos – ce mot
d’É. Benveniste (1966) que je cite ici in extenso :
Un des critères les plus usuels est le caractère « concret » ou « abstrait » du sens, l’évolution étant supposée se faire du « concret » à l’« abstrait ». Nous n’insisterons pas sur l’ambiguïté de ces termes, hérités d’une philosophie désuète. (Benveniste, 1966 : 298)
- Contrairement au français, le grec et le latin possèdent un couple de conjonctions (une particule « forte », et, ainsi qu’une particule enclitique, la plus ancienne des deux, – que, pour le latin), donc un système plus riche que le français.
- Si on veut à tout prix déceler un héritage, il faut convenir que fonctionnellement le et du français « n’est pas l’héritier du et latin mais plutôt du – que » (Lambert, 2001 : 124) [6].
9 2.2. Ces observations aboutissent à une critique sévère du recours au concept de grammaticalisation pour cerner le devenir des relateurs comme et. L’auteur qualifie le concept de grammaticalisation de « ludion de l’histoire des langues » (Lambert, 2001 : 115). Concernant et, il lui paraît « assez difficile d’y voir une grammaticalisation », hypothèse qui « peut être une piste trompeuse », « une illusion d’optique » (op. cit. : 114, 116, 128). Selon F. Lambert, « il ne faudrait pas voir dans la grammaticalisation un processus d’émergence progressive de la coordination » (op. cit. : 120). L’auteur conclut ainsi :
le concept de grammaticalisation ne me paraît pas adéquat pour décrire efficacement les déplacements et réaménagements dont les particules coordinatives léguées par l’indo-européen ont été l’objet. (Lambert, 2001 : 133)
[il n’y a pour la langue] pas de séparation entre le grammatical et le non-grammatical. C’est en définitive le degré d’intégration qui pourrait permettre de décrire certaines phases de l’évolution de l’organisation linguistique : en latin classique, la coordination synthétisante n’est présente que marginalement, alors que le français en fait une procédure dominante. (ibid.)
11 Et peut-être ce qu’il y a de plus stimulant de son étude : « L’hypothèse d’une grammaticalisation devrait plutôt être remplacée par celle d’une congruence entre l’opération de coordination et un matériau linguistique susceptible de la porter. » (Lambert, 2001 : 120) F. Lambert découple la relation syntaxique et le marquage morphologique de cette relation, ce qui est une attitude tout à fait raisonnable.
12 Si on écarte l’explication d’ensemble du devenir de et en termes de grammaticalisation, faut-il pour autant convoquer le concept de réanalyse ? Pour une plus-value descriptive de quel ordre ? Le recours à la réanalyse peut se justifier au moins pour des faits ponctuels (mon propos sera moins ambitieux que celui de Lambert), notamment pour des cas de structures hybrides en ancien français (ex. 1 supra) et pour un ensemble de constructions du français contemporain (ex. 2 supra) où et « gagne » en quelque sorte un contexte syntaxique dont que a en principe l’exclusivité.
13 2.3. F. Lambert (2001) fait la distinction entre un etadditif et un etsynthétique :
- Le et à interprétation additive, qui a des affinités avec la particule tonique du grec et du latin, insisterait sur la rupture avec ce qui précède (op. cit. : 121). Si et présuppose l’existence d’un ensemble ou d’une série avant, il est tourné vers ce qui suit (F. Lambert lui octroie une fonction cataphorique) et donne simplement le statut d’ajout à ce qui vient après (op. cit. : 130).
- Le et à interprétation synthétique, qui serait « l’héritier » de la particule enclitique du grec et du latin, marquerait l’insuffisance de ce qui précède (op. cit. : 121) – donc une forme de continuité. F. Lambert lui confère une fonction anaphorique : il prend en compte ce qui figure dans l’avant-discours.
15 Le et « synthétique » peut être rapproché de ce qui est nommé chez d’autres auteurs et « corrélatif » (Allaire 1982), « left-subordinatig and » (Culicover & Jackendoff 2005), et « de clausule », et « conclusif » (Stage 2009), et « de regroupement » (Bilger 2010), auxquels on pourrait ajouter les « charnières-rappel » (Antoine 1958 ; v. infra § 3.3) et les « coordonnées à <vocation subordonnée> » (Simone 2010).
16 Je reformule cette opposition de la façon suivante. On peut convenir que la valeur fonctionnelle commune aux divers emplois de et est celle d’union (au plan global) et de distinction (au plan local). Ainsi, le et à valeur synthétique est à rapprocher du pôle union-continuité de et. Le et à valeur « additive » – nommé aussi et « d’ajout », il relèverait du « type sériel » (vs « rectionnel ») chez S. Allaire (1982) – est, lui, à rapprocher du pôle distinction-rupture de et. Le relateur et est un Janus (Ruppli, 1988 : 520) tourné vers l’avant (« synthétique-intégratif ») et l’après (« additif-distinctif »). Cette double valeur est toujours présente, qu’il y ait dominance d’union (plan global) ou dominance de distinction (plan local). Ce qui m’intéresse dans le cadre d’une réflexion sur les phénomènes de réanalyse, ce sont des cas d’inversion de dominance.
3. LES CONSTRUCTIONS « À CUMUL » DE L’ANCIEN FRANÇAIS
17 Les constructions dont il sera question dans ce paragraphe ont fait l’objet d’études de détail par G. Antoine (1958), F. Torterat (2000, 2007), G. Rebuschi (2002) et B. Combettes (2010). L’analyse de G. Antoine est présentée au § 3.1. Le § 3.2 sera consacré au et des corrélatives en plus p et plus q qu’étudie également G. Antoine. Le § 3.3 fera le rapport entre ces constructions et des structures apparentées en français contemporain.
3.1. Les constructions « à cumul » du type quant... et...
18 3.1.1. G. Antoine (1958) observe l’existence de constructions qu’il nomme « principale introduite par et, derrière subordonnée » [7] :
‘Quand ils furent assemblés, le pape soupire’
‘Quand je le défie, lui me défie’
22 Le quant est positionné en tête du premier membre, alors que et introduit le second membre. En français contemporain, on ne s’attend pas à la présence de ce et, ce que montrent les traductions de G. Rebuschi pour les exemples (4) et (5) :
25 Selon G. Antoine (1958) :
pour exprimer une relation de temps, la langue disposait de deux tours, l’un subordonné du type : Quant A, B, l’autre simplement coordonné : A et (à valeur temporelle) B. Par voie de contamination, procédé répondant à une tendance commune, surtout populaire, on devait aboutir et l’on a effectivement abouti au type mixte ou cumulatif : Quant A, et B. (Antoine, 1958 : 862)
27 G. Antoine fait la même hypothèse pour les hypothétiques à valeur adversative comme :
29 Il y voit une « contamination entre les deux schèmes possibles : Si A, B et A et (= mais), B. Le cumul renforce l’opposition en dressant entre A et B le coordonnant comme un fléau à valeur équilibrante » (Antoine, 1958 : 864). L’auteur mentionne encore deux schèmes de ce genre : les relatives en qui A et B et les causales en Puis que A et B (op. cit. : 866).
30 Dans le même esprit, N. La Fauci (2010 : 99), à la suite de R. Ambrosini (1970, 1976), souligne le « mélange apparemment très bizarre de subordination et de coordination témoigné dans un vers de la Comédie de Dante Alighieri », concluant que « ce phénomène n’est pas rare dans les textes des langues romanes du Moyen Age ». Voici le vers en question :
‘Si j’ai dit faux, tu faussas la monnaie’ (traduction A. Pératé)
32 On notera que la construction en si a également une valeur adversative, tout comme dans (8) [9].
33 Ces cumuls seraient attestés jusqu’aux XVe et XVIe siècles (par exemple chez Robert Garnier).
34 Autre fait à verser au dossier : G. Antoine (1958 : 451) met en rapport (10) à (12), avec (13) :
39 Dans (12) et (13), et relie un genre de proposition relative avec une construction verbale indépendante. Il s’agit d’un autre type de cumul que Claudel remet à l’ordre du jour (les exemples comme 13 restent cependant très exceptionnels en français contemporain).
40 3.1.2. Une hypothèse plausible est que la stratégie de cumul entraîne une réanalyse de la structure, et par voie de conséquence, de la valeur de et : de séparateur d’énonciations, il deviendrait une simple borne entre deux membres d’une même énonciation (un « fléau », comme dit G. Antoine). Il est remarquable que G. Antoine continue à parler de « subordonnée suivie d’une principale » : il part du principe que c’est et qui « rétrograde », et non quand qui s’émancipe. Lequant frontal conserverait sa valeur subordonnante en dépit du cumul (comme si quant restait envers et contre tout un subordonnant).
41 Cependant, pourquoi serait-ce la valeur de et qui seule « ferait les frais » de la réanalyse de la structure et non la valeur des relateurs frontaux, quant et ses acolytes ? On pourrait formuler deux hypothèses alternatives pour saisir les conséquences formelles de la stratégie d’hybridation : (i) une première hypothèse serait que quant et et deviennent les corrélateurs d’une construction connexe : dans ce cas, à la fois et et quand sont réinterprétés. (ii) La seconde hypothèse postulerait que l’élément quant fonctionne comme un genre de « marqueur de discours » plutôt qu’un subordonnant, ce qui fait que la construction à cumul tirerait plutôt vers la « parataxe ». B. Combettes (2010 : 126), dont les travaux montrent que les adverbiales détachées ont souvent une portée rétroactive, considère que « ce type d’enchaînement souligne davantage [...] l’indépendance des deux propositions que leur solidarité ». La réanalyse de la structure imposée par la stratégie de cumul peut avoir des incidences autant sur et que sur quant. On peut donc faire au moins deux analyses formelles distinctes de la structure hybride.
42 L’emploi par G. Antoine des notions de subordination et de coordination est critiquable, ainsi que son penchant pour la valeur subordonnée du cumul. Par ailleurs, en plus de re-ponctuer les segments qu’il étudie, il les segmente de manière partiellement arbitraire ; on ne peut, par exemple, pas voir si dans certains cas l’élément quant p a une portée rétroactive. Pour ces constructions, la question des unités de segmentation me semble pourtant centrale.
43 Le tableau infra dresse un inventaire assurément non exhaustif des constructions « à cumul » (fondé sur les exemples fournis par Foulet, Ménard, Antoine, Torterat, Rebuschi et Grevisse) [10]. Il témoigne néanmoins de la cohérence de tout un micro-système :
3.2. Le cas des constructions en plus... et plus...
44 G. Antoine (1958 : 870 sq.) explique la présence de et dans les corrélatives en plus p et plus q par la disparition du marqueur frontal (quant, qui, comme, etc.) dans des constructions comme (14) et (15) :
‘plus je vous connais, et plus je vous trouve fou’ (trad. Ménard)
47 Dans (14) par exemple, quant introduit le segment frontal, et est en tête du second segment et les quantifieurs en miroir (plus... plus...) sont intercalés.
48 G. Antoine (1958 : 871-872) cite un vers de Froissart « fait sur le type ancien » (16) avec une construction « en prose du type nouveau » (17) :
51 On voit que les deux structures coexistent chez le même auteur, mais dans des genres discursifs différents (poésie vs prose).
52 À partir du XVe siècle, le « type ancien » disparaît :
tandis que naît une nouvelle opposition entre le schème plus A, et plus B, et la structure juxtaposée (i.e. sans le et) du type plus A, plus B. [...] ou bien la langue s’est contentée d’alléger la charge du cumul du côté de la subordination [...] ou bien elle l’a allégée des deux côtés à la fois. (Antoine, 1958 : 872) [11]
54 Dans un état de langue donné [plus A et plus B] cohabite avec [quant plus A et plus B], alors que dans une synchronie distincte, la structure [plus A et plus B] coexiste avec l’asyndèse [plus A, plus B]. Ce réaménagement des paires oppositives n’est pas insignifiant. Un changement dans la nature des oppositions en jeu a des incidences sur la valeur de et.
55 Le schème avec et est le plus courant au XVIIe siècle, même chez les bons auteurs. Ensuite, la structure juxtaposée prend le pas sur l’autre. Du XVIIe au XIXe siècle, certains grammairiens s’opposent pourtant avec virulence à cette solution syndétique, avec les arguments normatifs habituels (logique, régularité) ou, plus intéressant, en arguant que les conjoints ne sont pas similaires (une cause suivie d’un effet ; le comparé puis le comparant). En fait, ce qui est reproché, c’est un effet de zeugme. Ce jugement normatif est peut-être aussi dû au fait que quant et et sont traités comme des corrélateurs (c’est un dommage collatéral possible de la réanalyse) et que l’on s’attend à ce que la perte du corrélateur supérieur (quant) entraîne la perte du corrélateur inférieur (et) [12].
3.3. Les « charnières-rappel »
56 G. Antoine (1958 : 437) parle à propos du si de (18) de « charnière-rappel » :
58 La structure est ici de type quant... si... alors qu’elle était de type quant... et... dans les constructions étudiées aux § 3.1 et § 3.2 supra.
59 C. Marchello-Nizia (1997) expose comme suit la concurrence entre et et si en ancien français :
61 Une fois de plus, le système linguistique est différent de celui du français contemporain [13]. Les oppositions en jeu ne sont pas les mêmes.
62 En français contemporain, on peut penser que des constructions comme (19) et (20) fonctionnent sur un principe apparenté, les résomptifs alors, ainsi et aussi constituant un genre de charnière-rappel (Corminboeuf 2013b) :
65 On rencontre les configurations suivantes : si... alors / aussi..., quand... alors..., comme... ainsi / aussi... Cependant, les configurations avec aussi comme charnière-rappel sont plus aisées à attester aux XVIe et XVIIe siècles qu’aujourd’hui. Il convient, par conséquent, de distinguer rigoureusement les strates chronologiques :
69 Ces exemples (21) à (23) m’amènent à dire un mot du rapport entre et et aussi. (i) D’abord, il est notable que le et latin pouvait avoir le sens d’etiam (etiam résulte de la soudure de et et jam). (ii) Ensuite, dans des exemples comme (8) ou (10), et a une valeur anaphorique assez proche d’aussi. Par ailleurs, les si-constructions (22) et (23) articulées par aussi ont une valeur adversative, tout comme les constructions (8) et (9) chevillées par e (t). Il y a comme un air de famille [14]. (iii) Enfin, la comparaison de (8) avec (22) et (23), ainsi que le fragment (24) montrent également qu’aussi a des contextes communs avec et :
71 Ces charnières-rappel ont pour rôle de sur-marquer le rapport entre les deux membres de la construction : au moyen de si (dans 18), d’alors ou d’ainsi (dans 19 et 20), d’aussi (dans les exemples du XVIe et du XVIIe siècles), mais également au moyen de et (dans les constructions qui sont au cœur de cette recherche) [15].
4. COUPLAGES ARTICULÉS PAR QUE OU PAR ET
72 Les constructions du français contemporain qui s’organisent autour d’un élément central constituant le pivot de la construction (Allaire 1996 ; Rebuschi, 2001a : 42) présentent semble-t-il des affinités avec les « cumuls » de l’ancien français.
4.1. Le cas des hypothétiques inversées
73 Les hypothétiques inversées avec et comme (25a) sont rares, en raison de la concurrence de que (25b) et surtout de celle de l’asyndète [16] :
b. La tension monte-t-elle à une table, (que) sa voix de velours suffit à l’apaiser. (exemple modifié)
75 S. Allaire (1982 : 500-501) explique le choix massif de que au détriment de et (ceci, contrairement aux autres classes d’hypothétiques non marquées comme (26) à (28), cf. Corminboeuf 2009) de la façon suivante : en « niant l’autonomie » du second verbe, que viendrait clôturer le schème corrélatif (et bloquer le verbe inversé en position frontale), alors que et, « ouvert à toute forme de démultiplication égalitaire [...] ne saurait assurer immédiatement cette fonction de fermeture, fonction essentielle puisqu’elle établit la binarité du schéma ».
76 Vingt pages plus bas, à propos de (26) à (28), S. Allaire octroie à et précisément la fonction de clôture qu’elle assignait à que (bloqueur de récursivité et de réversibilité) :
80 Pour (26) à (28), elle convient en effet qu’« il revient de même à et de conclure le schéma en rattachant le second énoncé au premier pour établir d’un verbe à l’autre la relation de réciprocité qui en fonde la solidarité » (Allaire, 1982 : 522- 523). Il me semble que cette identité fonctionnelle (après que l’auteur a soigneusement distingué le rôle de chacun des relateurs) est symptomatique de la fonction très proche endossée par et et que dans ces constructions. Cependant, si et peut occuper un contexte réservé à que ou à l’asyndète, l’inverse n’est pas vrai (que ne peut pas se substituer à et dans 26 à 28).
81 S. Allaire analyse le que des hypothétiques inversées et le et des autres hypothétiques non marquées comme des marques de fermeture, hypothèse que l’on pourrait étendre au et des hypothétiques inversées (cf. 25a). On peut penser que le et qui articule exceptionnellement les hypothétiques inversées résulte d’une analogie avec le et des autres hypothétiques non marquées (Corminboeuf 2009).
4.2. La concurrence entre et et que
82 Dans un article de 1996, S. Allaire revient sur les constructions où et devient – je la cite – un genre de « variante d’un que (ou que la variante d’un et) » (op. cit. : 22), illustrant son propos avec les hypothétiques inversées (29) et des structures négatives (30) :
85 Selon S. Allaire, une telle alternance constitue un argument pour ne pas associer que à la subordination et et à la coordination. Comme F. Lambert (2001, supra § 2), elle dissocie opportunément le processus relationnel du marquage morphologique de cette relation au moyen de relateurs comme que ou et. Les constructions analysées dans la présente étude questionnent (voire suffisent à révoquer) l’opposition commode entre coordination et subordination.
86 Une hypothèse à laquelle conduit cette alternance est que – dans certaines constructions du français – et peut être analysé de deux façons : comme un et « additif » ou, au contraire, comme un et « synthétique », proche du fonctionnement de que. Comparer les paires (31) à (36), à savoir les hypothétiques inversées (31)- (32), les temporelles à modalité négative (33)- (34) et les constructions en à peine (35)- (36) [17] :
93 Dans ces constructions binaires, et et que sont manifestement en concurrence.
94 Les hypothétiques inversées, les temporelles en à peine, et celles à modalité négative sont « sur le ballant » (comme on dit en Suisse romande). Elles hésitent entre deux statuts formels : elles sont interprétables comme réalisant un seul coup énonciatif ou deux coups énonciatifs. Autrement dit, elles sont en situation de réanalyse. Cela a pour conséquence que le relateur et peut être interprété de deux manières : marqueur de continuation macro-syntaxique (« additif-distinctif ») ou marqueur de « fermeture » de la construction (« synthétique-intégratif »). Lorsque la rétrogradation syntaxique est achevée, i.e. lorsque la réanalyse est suivie d’effets, le et en vient à fonctionner comme une marque de rappel micro-syntaxique, tout comme le que « de liage » dans certains contextes que les deux relateurs (et et que) ont par ailleurs en commun [18].
95 Le statut de et et de que questionne les rapports entre morphologie et syntaxe : ces relateurs sont-ils des rappels qui assurent la continuité micro-syntaxique ou, au contraire, des balises de la structure praxéologique (plan macro-syntaxique) ? (On sait que et et que fonctionnent aussi bien au plan micro-syntaxique que macro-syntaxique.)
5. BILAN ET OBSERVATIONS CONCLUSIVES
96 Voyons quels enseignements on peut tirer de l’analyse de ces deux micro-phénomènes.
5.1. La détermination du local par le global
97 L’analyse de l’évolution présumée d’une unité doit se faire dans son contexte syntaxique. Par « contexte » j’entends ici les constructions qui font système avec celle qui incorpore l’unité en question dans un même empan synchronique. Ce qui évolue, c’est le micro-système, et non l’unité isolée qui, elle, « subit » toujours un éventuel changement de manière indirecte. J’ai montré que ce n’est pas et qui évolue seul, mais la structure qu’il articule (ce que les études sur la grammaticalisation ne montrent pas toujours [19]). Autrement dit, les valeurs de et se construisent à travers les réinterprétations des séquences qui le contiennent. Le matériau linguistique interne change de statut par le global, le plan global déterminant le plan local.
5.2. « Un changement est, à ses débuts, un fait synchronique »
98 Corollaire à § 5.1. L’étude des réorganisations structurelles gagne à se faire dans sa synchronie en comparaison avec les constructions concurrentes (ou co-existantes). C’est l’investigation des conditions synchroniques dans lesquelles le changement prend naissance, plutôt que l’observation du devenir à long terme de telle ou telle forme linguistique extraite de son contexte, qui est méthodologiquement salubre et consistante (les changements étant aveugles les uns par rapport aux autres). La valeur d’une unité est donc fonction des unités avec lesquelles elle entre en opposition et du système dans lequel elle s’inscrit.
Pendant un certain temps, le point de départ et le point d’aboutissement de la mutation se trouvent coexister sous la forme de deux couches stylistiques différentes. [...] Un changement est donc, à ses débuts, un fait synchronique. (Jakobson, 1963 : 37)
5.3. L’instabilité de et sur le long terme
100 On peut fait l’hypothèse de la réanalyse permanente des constructions articulées par et. On peut penser que les sujets parlants ne font qu’exploiter les potentialités du relateur, des potentialités depuis toujours « en germe » :
[...] il est vain de prétendre épuiser les contenus d’un signe donné [...], un mot pouvant contenir et enfermer « en germe tout ce qui n’est pas hors de lui ». (Saussure, 2012 : 75 ; cité par Béguelin, 2010 : 256)
102 À propos des couplages du français contemporain étudiés au § 4, on peut convenir que la valeur endossée par et n’est pas « hors de » que (le et et le que du français). Le français hérite des valeurs (ou d’une partie des valeurs) du couple latin et / – que.
Un’evoluzione non rinnega mai il suo punto di partenza : al contrario, ne rappresenta per certi versi la massima messa a frutto. (La Fauci, 2006 : 117) [20]
On ne devient pas ce que l’on n’est pas. (Tarkovski, Le Temps scellé, 1986)
104 Il n’est finalement pas si étonnant d’attester des allers et retours (pour et, entre valeur synthétique et additive) qui témoigneraient de cette malléabilité originelle :
(Presque) Rien n’est dans la subordination qui n’ait pas été dans la coordination. (Tout) Ce qui est dans la subordination tend à retourner dans la coordination. (Simone, 2010 : 251) [21]
106 La citation de R. Simone cible le caractère cyclique (plutôt que linéaire) de l’évolution, qui est communément associé au phénomène de réanalyse.
5.4. Un processus instantané qui exclut toute forme de continuum
107 La réanalyse est une reconceptualisation fonctionnelle bricolée sur le vif. L’anecdote suivante, attribuée à G. Fauconnier, illustre bien cette idée de réaffectation instantanée :
People at a party are opening beer bottles with a cigarette lighter, because they can’t find a bottle-opener. Later in the evening, a party guest wants to light a cigarette ; he requests a lighter. He is handed the bottle-opener which someone (unbeknownst to him) has since managed to unearth. The helpful person offering him the bottle-opener assumes that he asked for the lighter in order to use it as a bottle-opener. (cité par Dancygier & Sweetser, 2006 : 25)
109 L’absence d’un décapsuleur et la réaffectation pratique du briquet débouche sur une situation ambiguë où on ne sait pas si l’objet est un briquet ou un décapsuleur (il est devenu les deux – c’est un briquet-décapsuleur –, mais en revanche le décapsuleur n’est pas un briquet). C’est, mutatis mutandis, ce qui se passe entre et et que : et remplit la même fonction, sans toutefois que les rôles puissent être inversés : on n’allume pas une cigarette avec un décapsuleur, on ne remplace pas et par que dans Dis un mot et je m’en vais.
5.5. Le primat de l’analyse subjective des sujets parlants
110 Le matériau linguistique est réinterprété par des sujets qui n’ont pas conscience des changements linguistiques. Dans les exemples étudiés au § 3, on peut penser que les sujets traitent et comme une variante de que, comme une charnière-rappel. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de différence entre les constructions avecet et celles avec que [22] : et n’est, bien sûr, pas équivalent à que. Ce sont les sujets parlants qui – localement, dans un contexte donné – ne font pas la différence.
5.6. La situation de réanalyse syntaxique ne vient pas de nulle part [23]
111 Ces réorganisations structurelles sont provoquées par des facteurs sémantico-pragmatiques. Leur saisie réclame une méthodologie qui articule différents niveaux de l’analyse linguistique :
Les processus de réanalyse sont déclenchés par des changements sémantiques, soit métonymiques, soit taxinomiques. Restructuration syntaxique et recatégorisation ne sont que les corollaires formels du changement fonctionnel. (Waltereit, 1999 : 23 ; cité par Detges, 2003 : 51)
113 Des facteurs favorisants comme un cumul de marques (§ 3) ou une routinisation de couplages de constructions verbales (§ 4) déclenchent des contextes de transition (Marchello-Nizia, 2006 : 23). Ainsi, les « cumuls » de l’ancien français, les hypothétiques inversées, les à peine-constructions et les temporelles à modalité négative oscillent entre micro- et macro-syntaxe.
6. CONCLUSION
114 J’ai étudié deux types de changements linguistiques affectant indirectement et, qui ne se laissent pas (ou du moins pas aisément) saisir au moyen des propriétés associées à la « grammaticalisation », au premier rang desquelles la gradualité et l’uni-directionalité. Les propriétés attachées au phénomène de grammaticalisation semblent, en effet, d’emblée constituer un obstacle à l’appréhension de l’évolution et du fonctionnement de et. La grammaticalisation postule une gradualité là où on observe des ruptures des langues anciennes au français ; une uni-directionalité du changement, alors que et semble présenter plutôt une situation de polysémie fonctionnelle permanente ; un centrage sur des unités isolées (une « conjonction », par exemple) là où le phénomène instructif se situe au plan global (au niveau de la relation syntaxique). Quant aux continua [± concret] et [± grammatical], la robustesse de ces deux critères est pour le moins sujette à caution.
115 Par opposition à la grammaticalisation, la réanalyse se définit généralement comme un processus cyclique (plutôt que linéaire), catastrophique (plutôt que graduel), et déclenché par l’allocutaire (plutôt que speaker-based, cf. Detges & Waltereit 2002). Le concept de réanalyse met au premier plan la conscience linguistique des sujets parlants, dans un état de langue indépendant des autres états de langue. J’ai fait l’hypothèse que c’est le concept de réanalyse qui est approprié pour décrire la réaffectation fonctionnelle dont et semble être l’objet dans plusieurs constructions singulières du français et de l’ancien français.
Bibliographie
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Mots-clés éditeurs : et, réanalyse, changement linguistique, coordination, ancien français
Date de mise en ligne : 03/02/2015.
https://doi.org/10.3917/lang.196.0089Notes
-
[1]
Merci à Frédéric Torterat, à Marie-José Béguelin et aux deux relecteurs anonymes pour leurs remarques éclairantes sur une version préliminaire de ce texte.
-
[2]
J’utilise le terme « relateur » pour éviter de présumer de la relation syntaxique qui est en jeu.
-
[3]
Je ne mènerai pas ici une critique du concept de coordination.
-
[4]
Lambert cite Meillet (1915) et Hopper & Traugott (1993). Mais, concernant Meillet (1915), c’est aller un peu vite en besogne puisque, si l’auteur admet que et a subi une « réduction de son volume phonétique » et une « atténuation de sa valeur expressive » (et tendrait à être remplacé par et alors, et puis, et après, et de plus pour en quelque sorte récupérer l’expressivité), il souligne surtout la stabilité de ce genre de conjonctions. Le passage d’Hopper & Traugott auquel il est fait référence concerne les conjonctions et les connecteurs dans leur ensemble (et non et / and en particulier), et il s’agit surtout pour les auteurs de poser l’opposition (certes très discutable) entre ce qui relève du domaine grammatical et ce qui relève du domaine lexical. De plus, les recherches disponibles portent généralement sur la grammaticalisation des structures syntaxiques, et non sur celle des marqueurs. Mais pour aller dans le sens de Lambert, on pourrait par exemple citer Mithun (1988) et Giacalone Ramat & Mauri (2011) dont les travaux portent sur les marqueurs davantage que sur les constructions.
-
[5]
À propos du et que l’on observe dans les constructions en plus p et plus q (v. infra § 3.2), Bonnard (1984 : 57) parle d’une « survivance de et corrélatif » et Ménard (1976 : 185) d’un et qui « joue le rôle d’un adverbe de reprise ». L’idée que et serait un adverbe (voir aussi Buridant, 2000 : 553) est un argument qui prête le flanc à la critique : la catégorie « adverbe » est trop accueillante pour que cette hypothèse ait un quelconque pouvoir explicatif. Également mal à l’aise avec l’hypothèse d’un et adverbial, Torterat reprend la mise en garde de Ruppli (1988 : 428) : « il ne s’agit pas de ‘transformer en adverbes des coordonnants gênants’ » (Torterat, 2003 : 256n), sous-entendu « pour les normaliser, pour les faire entrer dans les catégories traditionnelles ». Il est courant aussi de traiter le « et initial de phrase » (Antoine 1958 ; Bordas 2005) - autre « coordonnant gênant » - comme un adverbe ; ce et est problématique dans les approches qui limitent l’analyse syntaxique à la phrase.
-
[6]
Un des relecteurs anonymes souligne toutefois à propos que l’on ne « voit pas très bien comment les emplois de et en début d’énoncé pourraient correspondre au – que latin (qui unit deux constituants) ».
-
[7]
Ce sont des emplois assez rares : 1 % des occurrences de et dans le corpus de Torterat (2000), « à l’écrit, entendons-nous bien », précise-t-il (op. cit. : 193n).
-
[8]
Dans cet exemple, ainsi que dans (14 infra), la suite et je pourrait avoir le sens de « moi aussi », (Berrendonner, c. p.) ; dans cette lecture, et aurait une portée locale.
-
[9]
Pour une étude de ces si-constructions dites « factuelles » en français, voir Corminboeuf (2013a).
-
[10]
Ménard (1976 : 184) observe le phénomène après une subordonnée causale, relative, comparative, proportionnelle, hypothétique et temporelle. Rebuschi (2002 : 44 sq.) présente également un grand nombre de variantes dont le Tableau 1 rend compte. Au plan typologique, Rebuschi (2001a, 2009) montre que la conjonction eta (= et) apparaît régulièrement en tête de la principale des (relatives) corrélatives du basque. Un marqueur du même genre serait observable en hittite, en gotique, en bourouchaski (langue du Pakistan), en swahili (2001a, 2009), sans que l’auteur ne précise cependant si les contextes syntaxiques sont rigoureusement du même ordre (ce qui me paraît être une précaution fondamentale). Rousseau (1997 : 252) cite également un exemple en gotique. Selon Antoine (1958 : 861), on peut l’attester en germanique et en provençal anciens. Selon Inkova (c. p.), la construction existe en vieux russe.
-
[11]
Antoine cite encore un « type subordonné » observable au XVIIe siècle en plus (autant) que A, plus (autant) B.
-
[12]
Hadermann et al. (2013) montrent que et apparaît aussi dans d’autres corrélatives du français contemporain, par exemple celles en tel... et tel... et en autant... et autant... On peut penser qu’il s’agit d’une forme de régularisation analogique.
-
[13]
Un autre exemple : et apparaît dans des routines à valeur oppositive en ancien français comme en français actuel, alors que si ne remplit plus cet office aujourd’hui. On verra au § 4 un autre cas de concurrence en français contemporain, mais cette fois-ci entre et et que.
-
[14]
Pourquoi « traduire » et par alors (ce qui est fréquent), et non par aussi ? Bonnard (1984 : 57) traduit par exemple et par alors dans le proverbe Quant Deus done farine, et deables tolt sac ‘Quand Dieu donne de la farine, alors le diable dérobe le sac’. En revanche, Foulet (1928 : 287) traduit ce et par ’« à ce moment-là, à cet instant précis », ce qui montre que ses valeurs se stabilisent en contexte uniquement.
-
[15]
Ménard (1976 : 185) semble avoir une position compatible avec celle-ci lorsqu’il dit de et qu’il « renforce la corrélation ».
-
[16]
Allaire (1982 : 500) observe la présence de et (plutôt que l’asyndète ou que) dans seulement 1,67 % des couplages à inversion de pronom clitique sujet de son corpus. Plus précisément, à l’indicatif, 82,75 % des structures sont juxtaposées, 15,51 % incorporent que, et dans 1,74 % des cas seulement et établit la liaison ; au conditionnel, 24,8 % des structures sont juxtaposées, 75,2 % comportent que, alors qu’aucun exemple ne comporte et. Pour ma part, je n’ai collecté que 4 hypothétiques inversées avec et (2 %) et 15 occurrences avec que (7,5 %) sur environ 200 exemples (à l’indicatif, au subjonctif et au conditionnel), la très grande majorité des diptyques étant asyndétiques (90,5 %). Comme chez Allaire, toutes mes données sont des données écrites, les hypothétiques à inversion du pronom clitique sujet étant pratiquement absentes de l’oral spontané.
-
[17]
Gachet (2013) a attesté l’indéniable apparentement en diachronie des constructions à modalité négative (33)- (34) et de celles en à peine (35)- (36).
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[18]
Plusieurs études mentionnent, pour les « cumuls » de l’ancien français (Foulet 1928 ; Antoine 1958 ; Ménard 1976 ; Torterat 2000 ; Lambert 2001 ; Combettes 2010), comme pour les hypothétiques inversées, les constructions en à peine et les temporelles à modalité négative (Gachet 2013, parle de « télescopage »), un effet sémantique de simultanéité, d’immédiateté, de consécution immédiate, de concomitance. Cet effet est parfois marqué par des adverbes d’« imminence » (cf. déjà et aussitôt soulignés en italique dans 31 à 36) ; ces adverbes sont également bien attestés dans les autres hypothétiques non marquées (Corminboeuf 2009). Je ne suis cependant pas en mesure de dire si cet effet de simultanéité est lié ou non à la situation de réanalyse.
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[19]
La notion de grammaticalisation n’est pas réputée opérer au plan global (macro-syntaxique), indispensable pour comprendre les enjeux, dans les constructions que j’ai analysées. Cf. Melis & Desmet (1998 : 22) : « Il conviendrait dès lors de distinguer la grammaticalisation qui opère au niveau intraphrastique et, pour lancer un néologisme, la <discursivisation> qui se situe sur le plan interphrastique et qui regroupe les processus formant des signes relatifs à la combinatoire et à la hiérarchie dans le discours. »
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Une traduction possible : « Une évolution ne renie jamais son point de départ : au contraire, elle en représente par certains côtés la mise à profit maximale ». Dans une communication de février 2008 sur le même sujet que l’article de 2006 (les auxiliaires), La Fauci avait conclu qu’« on ne devient que ce que l’on est », ce qui fait écho au mot de Tarkovski (qui ne porte, bien sûr, pas sur le changement linguistique...).
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Allaire range ainsi ces valeurs « synthétiques » de et dans le domaine de la subordination.
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[22]
Ainsi, à propos des constructions en à peine, Gachet (2013) observe que celles articulées par et comportent bien plus fréquemment un adverbe comme déjà, qu’elles permettent la mise en rapport de propositions à valeurs illocutoires distinctes, qu’elles ne sont pas enchâssables. Les hypothétiques inversées avec et sont presque toujours au présent de l’indicatif, alors que celles en que admettent une gamme de tiroirs verbaux et de modes plus ample (subjonctif imparfait, conditionnel présent, présent et imparfait de l’indicatif).
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Dans une étude par ailleurs fort intéressante, De Smet (2009) a beau jeu de s’en tenir à une définition limitative du phénomène de réanalyse (« The notion of reanalysis suggests that a new category can be created ex nihilo on the basis of some structural ambiguity », op. cit. : 1729), pour ensuite en souligner les carences, notamment en ce qui concerne les facteurs sémantiques et pragmatiques qui en sont le moteur.