Notes
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[1]
J’utilise les termes « verbe régissant » et « proposition régissante » à la place de « verbe principal » et « proposition principale » dans la mesure où le verbe qui m’intéresse peut dépendre d’une proposition déjà subordonnée, et aussi parce que souvent la « proposition principale » ne contient pas l’information « principale ».
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[2]
À l’instar du « conditionnel présent » (cf. ex. (1b)) appelé de nos jours « futur du passé » auquel Kuznecova consacre un paragraphe (1987 : 125-136), elle nomme, en toute logique, l’imparfait français de la subordonnée de (1a) « le présent du passé » (op. cit. : 112). Il semble cependant que sa proposition terminologique n’ait pas retenu l’attention des grammairiens. Voir ici même la remarque de Timoc-Bardy à ce sujet.
-
[3]
Le présent perfectif assume le plus souvent une valeur textuelle de futur (cf. Bracquenier 2012). C’est le cas dans les exemples donnés ici.
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[4]
On comprend aisément que la « concordance des temps » ne soit pas abordée en tant que telle dans les grammaires russes du russe puisque ce phénomène n’est pas considéré comme pertinent pour la syntaxe russe.
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[5]
Cependant on peut relever dès le XIIe siècle un certain nombre d’exemples qui tendent à prouver que le système actuel de « non-concordance » fonctionnait déjà alors que le vieux slave et le vieux russe possédaient plusieurs temps simples et composés au passé. La disparition de ces temps au profit du seul prétérit issu du participe parfait est-elle une cause ou une conséquence de la non concordance des temps ? Ce point fera l’objet d’une étude ultérieure. Merci à Stéphane Viellard qui m’a communiqué des exemples éclairants.
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[6]
Désormais : [pr] = présent ; [Ipr] = imperfectif présent ; [Ppr] = perfectif présent (à valeur de futur) ; [Ifut] = imperfectif futur ; [Ipa] = imperfectif prétérit ; [Ppa] = perfectif prétérit ; [Iinf] = imperfectif infinitif ; [Pinf] = perfectif infinitif ; [Icond] = imperfectif conditionnel ; [Pcond] = perfectif conditionnel.
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[7]
L’aspect du verbe régissant n’a pas ici d’influence sur la forme du verbe régi. Le prétérit perfectif subordonné dénotant toujours un procès antérieur au moment régissant, je ne donne pas d’exemple.
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[8]
Les exemples accompagnés d’un nom d’auteur sont tirés du Corpus national de la langue russe (ruscorpora.ru). Le corpus que j’étudie est la langue littéraire contemporaine. La langue de la presse fonctionne de la même manière. Toutes les traductions sont faites par mes soins.
-
[9]
Si mes lecteurs me permettent ce néologisme sémantique.
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[10]
Aucun ouvrage grammatical ni aucune recherche, à ma connaissance, ne mettent en évidence ce fait.
-
[11]
En effet, Guiraud-Weber & Barlési (1974 : 74), qui donnent l’exemple que je cite en (9), considèrent la subordonnée comme une complétive.
-
[12]
Je ne pose pas ces énoncés comme « synonymes » ; ils présentent la situation décrite de manière différente, mais ce n’est pas mon propos ici. La différence entre les conjonctions čto et kak nécessite une étude particulière.
-
[13]
Il s’agit de la particule verbale by qui s’est, au fil du temps, agglutinée à la conjonction. Cette particule provient d’une ancienne forme de 2e et 3e personnes du singulier de l’aoriste du verbe byt’ ‘être’ employée comme auxiliaire de l’aoriste parfait du vieux russe qui exprimait « une action passée comme abolie dans son résultat. D’où un glissement précoce vers la signification hypothétique » (Veyrenc, 1970 : 7).
-
[14]
Il n’existe qu’un temps au conditionnel, mais le conditionnel peut se former sur les deux aspects (verbe au prétérit + by). La particule peut également s’ajouter à l’infinitif de chacun des deux aspects pour former un conditionnel dit impersonnel.
-
[15]
Ou équivalent sémantique. La proposition régissante peut aussi être en ellipse dans l’expression d’un souhait ou d’un ordre : Čtoby on prišel ! ‘Qu’il vienne !’.
-
[16]
Le propos n’est pas de mener ici une étude des phrases conditionnelles, mais de présenter leur fonctionnement en termes de système aspecto-modo-temporel.
-
[17]
Pour la terminologie, voir Touratier (2008). Le russe ne possède plus de temps verbaux composés comme le futur antérieur ou le plus-que-parfait ; ainsi, dans les phrases Si tu termines /as terminé avant huit heures, nous irons au restaurant et Si tu réussis / as réussi, tu auras remporté une belle victoire (Bentolila, 1995 : 289), toutes les formes verbales du français seront traduites en russe par un futur.
-
[18]
La particule by est en ellipse dans la coordonnée.
-
[19]
Il s’agit de la 2e personne du singulier de l’impératif, devenue invariable et ayant perdu la notion de personne ; cette forme dessert les valeurs d’irréel du présent, du passé et du futur. Elle est également appelée « quasi-impératif » (par les grammaires russes) ou encore « conditionnel syntaxique ».
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[20]
C’est le préverbe po – qui porte la valeur limitative.
1. INTRODUCTION
1 Si l’on entend par « concordance des temps » le phénomène grammatical qui oblige à modifier le temps-tiroir du verbe subordonné en fonction de celui du verbe régissant [1], qui contraint le français à dire :
b. Il dit / il pense qu’elle viendra vs Il a dit / il pensait qu’elle viendrait
c. Il ne sait pas si elle viendra vs Il ne savait pas si elle viendrait
d. Il dit qu’elle est partie vs Il a dit qu’elle était partie
3 dans ce cas, effectivement, le russe ne connaît pas la « concordance des temps », ce que montre la traduction de ces exemples :
On govorit, čto ona prixodit vs On skazal / govoril, čto ona prixodit.
Il dit que elle arrive vs Il a-dit / disait que elle arrive
b. Он говорит / думает, что она придет vs Он сказал / думал, что она придет
On govorit / dumaet, čto ona pridet vs On skazal / dumal, čto ona pridet.
Il dit / pense que elle viendra vs Il a-dit / pensait que elle viendra
c. Он не знает, придет ли она vs Он не знал, придет ли она
On ne znaet, pridet li ona vs On ne znal, pridet li ona.
Il ne sait viendra INT elle vs Il ne savait viendra INT elle
d. Он говорит, что она ушла vs Он сказал /говорил, что она ушла.
On govorit, čto ona ušla vs On skazal / govoril, čto ona ušla.
Il dit que elle est-partie vs Il a-dit / disait que elle est-partie
5 En (2a), que le verbe régissant soit un présent imperfectif ou un prétérit perfectif ou imperfectif, le verbe de la subordonnée complétive reste au présent ; le verbe de la subordonnée complétive en (2b) ou interrogative indirecte en (2c) reste au futur (exprimé ici par un présent perfectif [3]), quel que soit le temps-tiroir de la régissante. Le présent imperfectif dessert l’expression de la simultanéité par rapport au moment régissant, que celui-ci soit le moment de l’énonciation ou tout moment dans le passé (ou même dans le futur, mais au niveau pragmatique la situation ainsi envisagée se trouve être moins fréquente ; on peut toutefois imaginer (1e) Il te dira qu’elle arrive et (2e) он скажет тебе, что она приxодит [on skažet tebe, čto ona prixodit – il dira à-toi que elle arrive]) ; les futurs (présent perfectif et futur imperfectif) expriment un procès ultérieur au moment régissant ; enfin, le prétérit perfectif exprime une action accomplie antérieure au moment régissant (2d). Le prétérit imperfectif présente également un procès antérieur au moment régissant, mais non accompli.
6 Afin de simplifier la tâche des apprenants francophones, il est usuel de leur dire qu’il suffit d’employer en russe, dans les subordonnées complétives et interrogatives indirectes, le temps-tiroir du style direct, et les traditionnels, mais peu réalistes, exercices structuraux qui consistent à transformer le discours direct en discours indirect ne présentent qu’un intérêt tout à fait relatif, même si l’on fait varier le temps du verbe de la proposition régissante.
7 La situation semble être si claire que ce phénomène de la « concordance des temps » n’est pas même évoqué dans la majorité des grammaires françaises du russe (Mazon 1963 ; Garde 1980 ; Comtet 1997 ; Kor Chahine & Roudet 2003, etc.) ni dans les grammaires russes (Valgina 2000 ; Dibrova 2002 ; Grammaires de l’Académie 1960 & 1980 ; etc.) [4] ; la question n’est guère abordée que dans des ouvrages de grammaire comparative (Gak 1975 ; Kuznecova 1987 ; Boulanger 2000).
8 Ainsi, en russe, dans une phrase complexe, dont la subordonnée est une complétive ou une interrogative indirecte, c’est le moment régissant qui permet de savoir où se place l’ensemble <régissant + régi> sur l’axe du temps, le temps-tiroir de la subordonnée indiquant seulement si cet acte est antérieur, simultané ou postérieur à l’acte régissant. En ce sens, il n’y a pas de concordance des temps en russe. Cela peut s’expliquer, en synchronie, par la morphologie verbale du russe moderne qui ne possède que cinq formes temporelles finies réparties sur les deux aspects : présent imperfectif, présent perfectif (cf. note 3), futur imperfectif, prétérit imperfectif, prétérit perfectif. Le choix des temps-tiroirs est restreint, les possibilités de « concordance » le sont de facto [5]. En revanche, le russe use de son système aspectuel, dont la primauté sur le système temporel est à prendre en considération, et nous verrons que le choix de l’aspect joue un rôle important dans les relations inter-propositionnelles.
9 Les choses ne sont donc pas si simples.
2. « CONCURRENCE » PRÉSENT VS PASSÉ POUR L’EXPRESSION DE LA SIMULTANÉITÉ
2.1. Simultanéité VS antériorité
10 Il est souvent affirmé que le prétérit imperfectif est en concurrence avec le présent lorsqu’il s’agit d’exprimer un acte simultané à un acte passé. Cela demande à être observé de plus près. En effet, le prétérit imperfectif, dans la narration, désigne un acte isolé dans le passé ; c’est le cas également dans une subordonnée dont le procès est antérieur à celui de la proposition régissante. Si l’expression de la simultanéité n’est pas totalement exclue, elle n’est cependant jamais portée par la forme verbale mais doit être précisée par le cotexte et le contexte, la valeur par défaut étant celle de l’antériorité d’un procès isolé dans le passé. Je ne peux accepter l’analyse de O. G. Xomicevič (2006 : 466) qui cite (3) afin de démontrer que le prétérit subordonné indique aussi (comme le présent) une simultanéité par rapport à un acte régissant passé :
My znali [Ipa], čto Mariâ žila [Ipa] v obŝežitii.
Nous savions que Maria vivait dans résidence-universitaire.
‘Nous savions que Maria vivait / avait vécu à la/dans une/en résidence universitaire.’
12 En dehors de tout contexte, cet exemple est certes interprétable en simultanéité ou en antériorité : « Nous savions à un moment t qu’à ce même moment t Maria vivait à la résidence universitaire » (simultanéité) vs « Nous savions à un moment t qu’à un moment t - x Maria vivait / avait vécu à la résidence universitaire ». La situation est particulièrement complexe lorsque le verbe subordonné est un imperfectif atélique, et l’exemple, construit, privé de contexte, n’est pas convaincant. On comparera (3) à (4), où le prétérit imperfectif exprime un procès antérieur au procès régissant et sans lien temporel avec lui, et (5) où le présent dénote un procès simultané au procès régissant [7] :
V razgovore â vspomnil [Ppa], čto už odin raz i Matrena sama počemu-to xodatajstvovala [Ipa] za Antošku Grigor’eva, no â ne sprosil, čto za rodstvennik on ej, i tože togda otkazal. (Solženicyn)
‘Pendant la conversation, je me souvins qu’une fois déjà Matriona elle-même était intervenue en faveur du petit Anton Grigoriev, mais je n’avais pas demandé quel était leur lien de parenté et déjà alors j’avais refusé.’ [8]
я всnомнuл [Ppa], что Матрена хо∂атаŭсmвовала [Ipa]
â vspomnil [Ppa], čto Matrena xodatajstvovala [Ipa]
je me-souvins que Matrena était-intervenue
Emu kazalos’ [Ipa], čto čerez zemlû on slyšit [Ipr] zapax svežego xleba. (Pristavkin)
‘Il lui semblait qu’il sentait l’odeur du pain frais à travers la terre.’
2.2. Complétive VS relative
15 L’examen attentif du corpus montre que, lorsque la subordonnée introduite par čto ‘que’ comporte un prétérit imperfectif qui n’a de toute évidence pas de valeur antérieure, il s’agit en réalité non pas d’une complétive mais d’une relative sans antécédent où čto est alors pronom relatif sujet ou objet du verbe de la subordonnée (cf. Bracquenier 2010). On peut ainsi différencier (6a) et (6b) :
On skazal [Ppa], čto dumaet [Ipr]
Il a-dit que pense
‘Il a dit qu’il pensait/réfléchissait.’
b. Он сказал [Ppa], что ∂умал [Ipa]
On skazal [Ppa], čto dumal [Ipa]
Il a-dit que pensait
‘Il a dit ce qu’il pensait.’
17 En effet, le verbe d’une proposition relative, qui exprime un procès simultané à celui de la proposition régissante au prétérit, se conforme au temps de la régissante et se met également au prétérit, « quel que soit le mot qui [l’] introduit » (Guiraud-Weber & Barlési, 1974 : 70). Je parlerais alors d’accordance des temps [9]. Ainsi, en (6a) le présent du verbe subordonné oblige à une interprétation conjonctive de čto, alors que le prétérit de (6b) indique que l’on a affaire au pronom relatif sans antécédent. Des exemples tirés du corpus confirment cette observation [10] :
Znamenityj mol’erovskij geroj ne znal [Ipa], čto govorit [Ipr] prozoj. (Gorin) ‘Le célèbre héros de Molière ne savait pas qu’il parlait en prose.’
Graf s odnogo vzglâda ponâl [Ppa], čto proisxodilo [Ipa] v duše traktirŝika. (Somov)
‘Le comte comprit d’un seul coup d’œil ce qui se passait dans l’âme de l’aubergiste.’
20 En (7), l’interprétation de čto comme relatif est exclue par le présent de la subordonnée, ce qui est corroboré par le sens de la phrase (?Le héros de Molière ne savait pas ce qu’il disait en prose). En (8), au contraire, le prétérit d’une part, l’absence de sujet autre que čto d’autre part, ne permettent pas de considérer čto autrement que comme relatif. Cependant, quelques exemples semblent contredire ce que je viens d’affirmer concernant ces relatives sans antécédent ; en effet, ils comportent un verbe au présent, comme en (9) :
sderživaet [Ipr] ee. Ona rugala sebâ duroj, meŝankoj, klâksoj ; tak i ûnost’ projdet, i nečego budet vspomnit’. Kakaâ ona aktrisa, ona obyknovennaâ kuročka râba. (Aksenov)
‘Peu de choses avaient changé entre eux depuis ce jour-là. Tania elle-même ne comprenait pas ce qui la retenait. Elle se traitait de sotte, de petite bourgeoise ; sa jeunesse passerait comme ça et elle n’aurait rien à se rappeler. Elle n’a rien d’une actrice, elle est juste une petite poule bigarrée ordinaire.’
Таня сама не nонuмала [Ipa], что с∂ержuваеm [Ipr] ее.
Tanâ sama ne ponimala [Ipa], čto sderživaet [Ipr] ee.
Tania elle-même ne comprenait, que retient elle.
‘Tania ne comprenait pas elle-même ce qui la retenait.’
22 Cet exemple, si l’on n’y prend garde, peut être interprété comme <régissante + complétive> [11] et l’on y trouve les formes aspecto-temporelles d’une phrase complexe dont les deux procès sont simultanés. Cependant, la deuxième proposition est bien une proposition relative. Alors pourquoi l’attraction temporelle n’a-t-elle pas joué ? Il faut regarder le cotexte droit pour comprendre que cette proposition fait passer le texte de la narration au discours indirect libre et que c’est le temps de la relative qui opère ce décrochement dans le schéma du texte : on passe ainsi de la voix du narrateur (qui utilise le passé de narration) à celle du personnage (qui utilise un présent d’énonciation).
2.3. Les complétives des verbes de perception
23 Il convient également de s’intéresser à l’emploi des formes aspecto-temporelles des subordonnées régies par un verbe de perception. Le russe ne construit pas de proposition infinitive comme le fait le français (les vaches regardent passer les trains), mais il emploie une subordonnée introduite par čto ‘que’ ou kak ‘comment’ ou bien une relative dont l’antécédent est l’objet du verbe de perception ou encore un participe présent ou passé. En cotexte passé, dans la subordonnée introduite par čto ou par kak, on relève des exemples avec le présent, mais on observe de nombreuses occurrences du passé imperfectif. Le présent est la forme verbale « attendue » pour l’expression de la simultanéité dans une subordonnée complétive, comme je l’ai indiqué supra ; cependant le passé peut, en partie, s’expliquer par la proximité sémantique de cette structure avec la proposition relative :
 videla [Ipa], kak deti igraût [Ipr] / igrali [Ipa] v mâč.
Je ai-vu comment enfants jouent / jouaient dans ballon.
‘J’ai vu des/les enfants jouer au ballon.’
b. Я вu∂елa [Ipa], что дети uграюm [Ipr] / uгралu [Ipa] в мяч.
 videla [Ipa], čto deti igraût [Ipr] / igrali [Ipa] v mâč.
Je ai-vu que enfants jouent / jouaient dans ballon.
‘J’ai vu que des/les enfants jouaient au ballon.’
c. Я вu∂елa [Ipa] детей, uграюшuх [part. pr] / uгравшuх [part. pa] в мяч.
 videla [Ipa] detej, igraûŝix [part. pr] / igravŝix [part. pa] v mâč.
Je ai-vu enfants jouant / jouant dans ballon.
‘J’ai vu des/les enfants qui jouaient au ballon.’
d. Я вu∂елa [Ipa] детей, которые uгралu [Ipa] в мяч.
 videla [Ipa] detej, kotorye igrali [Ipa] v mâč.
Je ai-vu enfants qui jouaient dans ballon.
‘J’ai vu des/les enfants qui jouaient au ballon.’ [12]
25 En (10), quelle que soit la structure, à l’exception toutefois de (10d), on constate une soi-disant concurrence entre le présent et le prétérit imperfectif. (10d) comportant une relative, la seule forme possible est le prétérit, ce qui peut être confirmé par les exemples attestés suivants, où (11) est au présent parce qu’il s’agit d’une complétive et où (12) ne peut être qu’au prétérit dans la relative (voir aussi supra) :
On videl [Ipa], čto ne nravitsâ [Ipr] teŝe, i èto ego skovyvalo. (Tokareva)
‘Il voyait qu’il ne plaisait pas à sa belle-mère et cela le paralysait.’
I â videl [Ipa], čto tvorilos’ [Ipa] s nim. (Kio)
‘Et j’ai vu ce qui lui arrivait.’
28 Cependant, le prétérit et le présent peuvent être utilisés tous deux dans les complétives. J. Breuillard (2008) étudie les emplois des participes présent actif et passé actif imperfectifs dans des contextes passés. Ces deux formes sont en effet, elles aussi, souvent caractérisées comme concurrentielles ; or l’auteur montre qu’il n’en est rien :
Tout se passe donc comme si, en système de récit, le narrateur pouvait changer le point d’observation librement. L’action peut être décrite de l’extérieur, par le narrateur. L’action est alors prise dans le flux narratif, dans la séquence narrative à laquelle Jean-Paul Sémon a donné le nom de chronopoïèse. Elle y occupe une place. Le Pa [participe passé] est la marque de cette insertion.
Mais l’action peut être présentée comme vue par le personnage. Le Pr [participe présent] est alors employé. Ce que voit le personnage est une action toujours présente et concomitante à son propre temps. Ce que décrit le narrateur est au contraire une action qu’il situe par rapport au temps du récit. (Breuillard, 2008 : 252)
30 J. Breuillard conclut sur la marque de l’empathie exprimée par le présent. Ses observations se vérifient dans le cas des complétives des verbes de perception ; en (13) et (14), le présent oblige l’énonciataire à découvrir la situation dans le présent du personnage, et en (14) cette empathie est même verbalisée :
Ded Ivan žil [Ipa] tak uže davno i, vse bol’še terââ zrenie, ne videl [Ipa], čto ego kvartira stanovitsâ [Ipr] mestom voennyx dejstvij – armiâ paukov protiv mnogočislennyx armij mux. (Petruševskaâ)
‘Le vieil Ivan vivait ainsi depuis longtemps et, perdant de plus en plus la vue, il ne voyait pas que son appartement devenait un champ de guerre : une armée d’araignées contre d’innombrables armées de mouches.’
Он не вu∂ел [Ipa], что его квартира сmановumся [Ipr] местом военных действий
On ne videl [Ipa], čto ego kvartira stanovitsâ [Ipr] mestom voennyx dejstvij Il ne voyait que son appartement devient lieu de-guerrières actions
Kolûnčiku bylo očen’ žalko papu, on videl [Ipa], kak tot staraetsâ [Ipr] i stradaet [Ipr] [...]. (Varlamov)
‘Le petit Colas avait grande pitié de son papa, il voyait qu’il faisait tout son possible et souffrait [...].’
33 En revanche, en (15), (16) et (17) le procès de la complétive au prétérit ne fait que s’insérer dans le flux temporel du récit. En (15) il y a simultanéité parfaite, mais j’ajouterai qu’en (16) et (17), le procès exprimé dans la complétive a pris sa source bien avant la vision qu’en a le narrateur interne ; les choses sont presque inversées : c’est sa perception qui s’inscrit dans le flux temporel du procès de la complétive ; en (17) s’ajoute une valeur d’itération, spécifiée par le cotexte :
V binokl’ â videl [Ipa], kak on vyxodil [Ipa] iz čaŝi. (Granin)
‘Avec les jumelles, je le voyais sortir du fourré.’ (litt. Je voyais qu’il sortait)
Kogda â podnâlsâ po lestnice... skogo oblono i sprosil, gde otdel kadrov, to s udivleniem uvidel [Ppa], čto kadry uže ne sideli [Ipa] zdes’ za černoj kožanoj dver’û, a za osteklennoj peregorodkoj, kak v apteke. (Solženicyn)
‘Quand j’eus monté l’escalier de l’Office régional de l’Instruction publique de la région de N. et demandé où se trouvait le service du personnel, je m’aperçus avec étonnement que les fonctionnaires n’étaient plus installés derrière une porte capitonnée de cuir noir, mais derrière une cloison en verre, comme dans les pharmacies.’
я увu∂ел [Ppa], что кадры уже не сu∂елu [Ipa] за дверъю
â uvidel [Ppa], čto kadry uže ne sideli [Ipa] za dver’û
je ai-vu que fonctionnaires déjà ne étaient-assis derrière porte
Voobŝe, priglâdyvaâs’ k Matrene, â zamečal [Ipa], čto, pomimo strâpni i xozâjstva, na každyj den’ u nee prixodilos’ [Ipa] i kakoe-nibud’ drugoe nemaloe delo, [...]. (Solženicyn)
‘En fait, en observant Matriona, je remarquais qu’outre la cuisine et les travaux domestiques, elle avait quelque autre tâche, tout aussi importante, prévue pour chaque jour.’
37 Le prétérit peut aussi s’expliquer, dans cette configuration, par son caractère anaphorique, ce qui n’est pas le cas du présent, et le temps employé est très certainement lié à la définitude des syntagmes nominaux de la complétive, mais ce n’est pas là l’objet de la présente recherche.
3. LES COMPLÉTIVES DES VERBES DE VOLITION
38 Les complétives des verbes de volition comportent en français un subjonctif. Ce mode n’est pas reconnu comme existant en russe et les grammaires se contentent de dire qu’après un verbe de volition, il faut remplacer la conjonction čto par čtoby [13] et mettre le verbe au prétérit. Un verbe au prétérit accompagné de la particule verbale by correspond à ce que les grammaires du russe appellent le conditionnel [14]. Il serait, selon moi, beaucoup plus raisonnable d’appeler ce mode le « virtuel ». Cela éviterait le flou d’un subjonctif qui n’a pas de réalité formelle et il ne serait pas très économique de poser un subjonctif homonyme du conditionnel puisque le « subjonctif » n’apparaît qu’avec la conjonction čtoby dans une subordonnée complétive d’un verbe de volition [15]. Pour ce qui est de la concordance des temps avec une régissante de volition, la question ne se pose donc pas. Ne subsiste que l’aspect et le corpus montre que le choix de l’aspect du verbe subordonné n’est lié ni au temps ni à l’aspect du verbe régissant. Voici quelques exemples :
– Â xoču [Ipr], čtoby my ostalis’ [Ppa] vse vmeste. (Orlova)
– ‘Je veux que nous restions tous ensemble.’
– Ty xočeš’ [Ipr], čtoby ètot stolik ostavalsâ [Ipa] v kabinete ? (Nabokov)
– ‘Tu veux que ce guéridon reste dans le bureau ?’
No počemu, v takom slučae, on zaxotel [Ppa], čtoby ona pereexala [Ppa] k nemu ? (Berseneva)
‘Mais pourquoi, dans ce cas, a-t-il voulu qu’elle emménage chez lui ?’
I zaxočet [Ppr] on, čtoby nastoâŝie zvezdy ukrašali [Ipa] ego odeždu [...]. (Rytxèu)
‘Et il voudra que de véritables étoiles décorent son habit [...]’
4. LES PHRASES CONDITIONNELLES
43 Dans les phrases conditionnelles [16], en russe, la protase et l’apodose présentent souvent le même temps-tiroir ou le même mode : deux futurs pour une relation de cause à effet potentielle [17], cf. (22) ; deux présents pour une relation cause-effet éventuelle, unique ou itérative et donc atemporelle ; deux prétérits pour une relation de cause à effet réalisée dans le passé ; deux conditionnels pour une relation dans l’irréel du présent ou du passé (23). Dans tous ces cas, je ne pense pas que l’on puisse parler d’une concordance des temps ; en effet, les deux situations se placent dans le même espace temporel réel ou irréel (présent, passé ou futur) dénoté par le temps-tiroir. Il y a « accordance » des temps, mais aucun des deux verbes n’impose sa forme à l’autre.
 ego ne vpuŝu [Ppr], esli on pridet [Ppr]... (Èrenburg)
‘Je ne le laisserai pas entrer s’il vient...’
Esli by on prišel [Pcond] k vam i skazal [Pcond] : « Tonâ, prosti menâ », – vy by ne požaleli [Pcond] ? (Ketlinskaâ)
‘S’il était venu vous voir et vous avait dit : « Tonia, pardonne-moi », vous n’auriez pas eu pitié ?’
46 Mais cette unité modo-temporelle n’est pas absolue et, dans de nombreux cas, les deux propositions ne comportent pas la même forme verbale. Il ne s’agit pas non plus, cependant, d’une concordance des temps « à la française ». Il faut ici distinguer deux cas de figure :
- le cas où les formes verbales sont différentes mais situent les procès dans le même espace modo-temporel ; par exemple, quand la protase comporte un « impératif syntaxique » [19] (24) ou un infinitif ou bien quand le verbe de l’apodose, dans une relation potentielle, est à l’impératif :
Pridi [Pimp] on v kliniku vmesto menâ, i ty segodnâ byla by [Icond] sčastliva. (Zorin)
‘S’il était venu à l’hôpital à ma place, toi aussi tu serais heureuse aujourd’hui.’
49 Il ne faut pas se laisser abuser par des effets de surface, où l’on peut avoir l’impression d’une concordance des temps semblable à celle du français (25) : prétérit dans la protase, otorvalsâ, et conditionnel dans l’apodose, žil by, alors qu’ il ne s’agit que d’une ellipse de la particule by. Cela s’observe lorsque le cotexte gauche est déjà noté explicitement comme relevant de l’irréel (cf. ex. (23)). Ce phénomène, relativement peu fréquent en subordination, est néanmoins intéressant et est peut-être l’indice d’un changement systémique de la langue :
Irina otčitala Pavla. On sorval vsû sxemu. Devočka by rosla, Volod’ka by privykal i, vozmožno, otorvalsâ ot armânki. A esli ne otorvalsâ [Pcond sans by exprimé], žil by [Icond] na dva doma. Vse lučše, čem ničego. (Tokareva) ‘Irina fit la leçon à Pavel. Il avait détruit tout leur plan de vie. La fillette aurait grandi, Volodia se serait habitué et sans doute séparé de son Arménienne. Et s’il ne s’en était pas séparé, il aurait vécu dans deux maisons. Ça aurait été mieux que rien.’
- Le cas où les formes verbales sont différentes parce qu’elles correspondent à un espace temporel différent ; en (26), le russe emploie le présent d’énonciation pour le verbe régissant suivi d’un présent perfectif limitatif [20] à valeur de futur, dans la mesure où le bourdon n’a pas encore commencé son travail : l’acte de travailler est postérieur à la fois à l’énonciation et aux récriminations possibles des abeilles :
– Šm-šm-šm, – probasil Šmel’, obraŝaâs’ k pčelkam. – Vy ne vozražaete [Ipr], esli â tut porabotaû [Ppr] ? No pčelki počemu-to Šmelâ ne uslyšali. (Kologriv) – ‘Bzz-bzz-bzz, dit Bourdon de sa voix de basse, s’adressant aux petites abeilles. – Cela ne vous dérange pas si je travaille un peu ici ? (litt. Vous n’objectez pas si je *travaillerai-un-peu ici). Mais, on ne sait pourquoi, les petites abeilles n’entendirent pas Bourdon.’
53 En (27) et (28), la condition est réalisée et le verbe subordonné est un prétérit perfectif, à valeur parfaite en (27), et le présent de la régissante s’insère, en quelque sorte, dans le flux temporel de la condition ; en (28), il marque l’antériorité et la conséquence exprimée par un « futur » perfectif (sdelaet) est postérieure à la fois à ce procès et à l’énonciation :
Esli Ameriku iz krisica vyvel [Ppa] president-akter, nam neobxodim [pr] – režisser. (Gorin)
‘Si c’est un président-acteur qui a sorti l’Amérique de la crise, nous avons besoin d’un metteur en scène.’
Lizaveta navernâka znala, čto Igor’ Gornyj slov na veter ne brosaet i esli skazal [Ppa], čto vyâsnit [Ppr], to sdelaet [Ppr] nepremenno. (Kozyreva)
‘Élisabeth savait de manière certaine que Igor Gorny ne lançait pas des paroles en l’air et que s’il avait dit qu’il tirerait les choses au clair, il le ferait sans faute.’ (litt. *s’il avait dit qu’il tirera les choses au clair, il le fera)
56 En (29), les menaces relèvent du plan de la narration menée au passé (ugrožal). Le procès envisagé (la mise en œuvre des menaces), exprimé par un infinitif perfectif (perestrelât’), est postérieur au « dire » des menaces ; celles-ci ne seront exécutées que dans le cas, lui aussi postérieur aux menaces, où les hommes « se défileraient » (sdrejfât – perfectif présent à valeur de futur). Il y a donc trois « moments » successifs : les menaces, le manque de courage éventuel, la fusillade éventuelle. La postériorité au moment régissant quel qu’il soit est toujours exprimée par un futur :
Traktirŝik tem vremenem ne umolkal – to komandoval sorvannym golosom, to uveŝeval počti laskovo. A to ugrožal [Ipa] perestrelât’ [Pinf] vsex, esli sdrejfât [Ppr]. (Bykov)
‘L’aubergiste cependant ne cessait de parler, tantôt il commandait de sa voix cassée, tantôt il les exhortait presque amicalement. Ou encore il menaçait de les descendre tous s’ils se défilaient.’
58 Lorsque les plans temporels de la régissante et de la subordonnée sont différents, les temps-tiroirs situent chacun des procès sur l’axe du temps en prenant pour repère le moment du dire, que celui-ci se trouve dans le présent (26) ou le passé (28). Il n’y a donc pas de concordance des temps.
5. CONCLUSION
59 Lorsqu’il s’agit d’étudier les rapports entre les formes aspecto-temporelles de phrases complexes, il est nécessaire de prendre en considération de nombreux critères, parmi lesquels, en premier lieu, l’ordonnancement chronologique des procès en jeu, mais aussi la sémantique du verbe régissant, la nature réelle de la subordonnée. Les exemples cités ici montrent aussi combien il est important de tenir compte de la situation de production de l’énoncé : s’il s’agit d’une narration détachée du moment d’énonciation, d’un discours au sens de É. Benveniste, ou encore d’un discours indirect libre. Les cotextes gauche et droit influent également de manière notable sur le choix du temps-tiroir de la subordonnée. L’analyse de ces différents éléments permet d’approfondir la question de l’emploi des temps-tiroirs dans les phrases complexes, et de nuancer l’affirmation selon laquelle il n’y a pas de concordance des temps en russe. Il existe bien une « concordance des temps », mais cette concordance ne peut certainement pas se limiter aux temps. Il s’agit aussi d’une « concordance des modes » et, dans certains cas, on peut parler d’une « concordance des aspects ». Il serait préférable sans doute d’utiliser le terme d’« accordance des temps », proposé ici, pour décrire ce phénomène en russe.
Références
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Mots-clés éditeurs : russe, propositions complétives, accordance, système aspecto-temporel, relatives, discours indirect, conditionnelles
Date de mise en ligne : 13/11/2013
https://doi.org/10.3917/lang.191.0081Notes
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[1]
J’utilise les termes « verbe régissant » et « proposition régissante » à la place de « verbe principal » et « proposition principale » dans la mesure où le verbe qui m’intéresse peut dépendre d’une proposition déjà subordonnée, et aussi parce que souvent la « proposition principale » ne contient pas l’information « principale ».
-
[2]
À l’instar du « conditionnel présent » (cf. ex. (1b)) appelé de nos jours « futur du passé » auquel Kuznecova consacre un paragraphe (1987 : 125-136), elle nomme, en toute logique, l’imparfait français de la subordonnée de (1a) « le présent du passé » (op. cit. : 112). Il semble cependant que sa proposition terminologique n’ait pas retenu l’attention des grammairiens. Voir ici même la remarque de Timoc-Bardy à ce sujet.
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[3]
Le présent perfectif assume le plus souvent une valeur textuelle de futur (cf. Bracquenier 2012). C’est le cas dans les exemples donnés ici.
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[4]
On comprend aisément que la « concordance des temps » ne soit pas abordée en tant que telle dans les grammaires russes du russe puisque ce phénomène n’est pas considéré comme pertinent pour la syntaxe russe.
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[5]
Cependant on peut relever dès le XIIe siècle un certain nombre d’exemples qui tendent à prouver que le système actuel de « non-concordance » fonctionnait déjà alors que le vieux slave et le vieux russe possédaient plusieurs temps simples et composés au passé. La disparition de ces temps au profit du seul prétérit issu du participe parfait est-elle une cause ou une conséquence de la non concordance des temps ? Ce point fera l’objet d’une étude ultérieure. Merci à Stéphane Viellard qui m’a communiqué des exemples éclairants.
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[6]
Désormais : [pr] = présent ; [Ipr] = imperfectif présent ; [Ppr] = perfectif présent (à valeur de futur) ; [Ifut] = imperfectif futur ; [Ipa] = imperfectif prétérit ; [Ppa] = perfectif prétérit ; [Iinf] = imperfectif infinitif ; [Pinf] = perfectif infinitif ; [Icond] = imperfectif conditionnel ; [Pcond] = perfectif conditionnel.
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[7]
L’aspect du verbe régissant n’a pas ici d’influence sur la forme du verbe régi. Le prétérit perfectif subordonné dénotant toujours un procès antérieur au moment régissant, je ne donne pas d’exemple.
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[8]
Les exemples accompagnés d’un nom d’auteur sont tirés du Corpus national de la langue russe (ruscorpora.ru). Le corpus que j’étudie est la langue littéraire contemporaine. La langue de la presse fonctionne de la même manière. Toutes les traductions sont faites par mes soins.
-
[9]
Si mes lecteurs me permettent ce néologisme sémantique.
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[10]
Aucun ouvrage grammatical ni aucune recherche, à ma connaissance, ne mettent en évidence ce fait.
-
[11]
En effet, Guiraud-Weber & Barlési (1974 : 74), qui donnent l’exemple que je cite en (9), considèrent la subordonnée comme une complétive.
-
[12]
Je ne pose pas ces énoncés comme « synonymes » ; ils présentent la situation décrite de manière différente, mais ce n’est pas mon propos ici. La différence entre les conjonctions čto et kak nécessite une étude particulière.
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[13]
Il s’agit de la particule verbale by qui s’est, au fil du temps, agglutinée à la conjonction. Cette particule provient d’une ancienne forme de 2e et 3e personnes du singulier de l’aoriste du verbe byt’ ‘être’ employée comme auxiliaire de l’aoriste parfait du vieux russe qui exprimait « une action passée comme abolie dans son résultat. D’où un glissement précoce vers la signification hypothétique » (Veyrenc, 1970 : 7).
-
[14]
Il n’existe qu’un temps au conditionnel, mais le conditionnel peut se former sur les deux aspects (verbe au prétérit + by). La particule peut également s’ajouter à l’infinitif de chacun des deux aspects pour former un conditionnel dit impersonnel.
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[15]
Ou équivalent sémantique. La proposition régissante peut aussi être en ellipse dans l’expression d’un souhait ou d’un ordre : Čtoby on prišel ! ‘Qu’il vienne !’.
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[16]
Le propos n’est pas de mener ici une étude des phrases conditionnelles, mais de présenter leur fonctionnement en termes de système aspecto-modo-temporel.
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[17]
Pour la terminologie, voir Touratier (2008). Le russe ne possède plus de temps verbaux composés comme le futur antérieur ou le plus-que-parfait ; ainsi, dans les phrases Si tu termines /as terminé avant huit heures, nous irons au restaurant et Si tu réussis / as réussi, tu auras remporté une belle victoire (Bentolila, 1995 : 289), toutes les formes verbales du français seront traduites en russe par un futur.
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[18]
La particule by est en ellipse dans la coordonnée.
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[19]
Il s’agit de la 2e personne du singulier de l’impératif, devenue invariable et ayant perdu la notion de personne ; cette forme dessert les valeurs d’irréel du présent, du passé et du futur. Elle est également appelée « quasi-impératif » (par les grammaires russes) ou encore « conditionnel syntaxique ».
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[20]
C’est le préverbe po – qui porte la valeur limitative.