Notes
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[1]
La présentation et la direction de ce volume s’inscrivent dans le cadre du projet de recherche FFI2010- 15158/FILO du Ministerio de Ciencia e Innovación Espagnol, (Plan Nacional I+D+i 2008-11). Je tiens à remercier Jean-Claude Anscombre pour sa relecture attentive de cette présentation, ainsi que pour ses précieux commentaires.
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[2]
Une étude complète devrait tenir compte des phénomènes intonatoires et rythmiques. Nous n’avons malheureusement à notre disposition aucune théorie achevée de ces phénomènes, non plus que de ses liens éventuels avec une théorie des marqueurs du discours.
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[3]
Sur cet aspect diachronique, cf. Rodríguez Somolinos (2010) pour apparemment, ainsi que l’article de Gómez-Jordana sur décidément dans ce même volume.
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[4]
Si cette approche est essentiellement centrée sur les propriétés sémantiques, elle n’exclut pas l’examen des propriétés syntaxiques. Rappelons, enfin, que les caractéristiques pragmatiques que nous étudions relèvent de la pragmatique intégrée, i.e. sont inscrites en langue.
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[5]
La théorie de la polyphonie voit le sens non comme la description de la réalité, mais comme constitué par l’organisation de différentes voix que l’énoncé fait entendre.
1. LES MARQUEURS DU DISCOURS : UN DOMAINE MAL DÉFINI
1 Les marqueurs du discours [1] ont été ignorés pendant longtemps ou considérés dans une optique purement grammaticale. La grammaire et la linguistique traditionnelles ne possédaient pas en effet les outils théoriques permettant de décrire ces expressions. L’intérêt pour leur fonctionnement n’a pas cessé d’augmenter depuis les années 70, de façon parallèle à l’étude des aspects pragmatiques et énonciatifs du langage en contexte.
2 Malgré l’abondance des travaux consacrés aux différents marqueurs depuis des années, il s’agit d’un domaine qui est encore largement ouvert et qui manque de cohérence en qui concerne la définition des notions et la terminologie. Le présent volume se propose de faire avancer la recherche dans un domaine dans lequel elle est loin d’être parvenue à un consensus.
3 La réflexion sur les connecteurs, les marqueurs du discours et les marqueurs pragmatiques n’a jamais été homogène. Pour le français, il y a eu au départ les travaux classiques de J.-C. Anscombre et d’O. Ducrot sur les connecteurs, dans le cadre de la théorie de l’argumentation dans la langue et de la théorie de la polyphonie. Il s’agit là d’une sémantique discursive ascriptiviste, non référentialiste et de type instructionnel, qui permet de décrire les connecteurs en fonction des enchaînements discursifs et des stratégies argumentatives du locuteur. Ces théories ont permis de donner une description sémantique détaillée d’un certain nombre de connecteurs et de marqueurs, dont notamment mais, même, pourtant, ne... pour autant, eh bien, décidément, bien sûr, etc. (cf. Anscombre & Ducrot (1977, 1983) ; Ducrot et al. (1980) ; Ducrot (1984) ; Anscombre (1973, 1983, 2001b), entre autres). Un certain nombre des articles présentés ici relève d’une façon ou d’une autre de ce cadre théorique.
4 Il convient de signaler aussi les travaux de l’École de Genève sur l’analyse de la conversation (pour une présentation de la théorie, cf. Roulet et al. 1985). Les marqueurs y sont considérés comme ayant d’une part un fonctionnement argumentatif, d’autre part une fonction d’indicateurs d’une structure hiérarchique du discours.
5 Sont également importants les travaux d’E. Gülich, dès 1970, sur les « marqueurs de structuration de la conversation » en français. Ils sont à l’origine de l’essor des recherches sur les marqueurs du discours des langues romanes dans la tradition linguistique allemande (Drescher & Frank-Job 2006). Dans le domaine anglo-saxon, signalons l’ouvrage fondateur de D. Schiffrin (1987).
6 Les travaux plus récents, tant pour le français que pour l’anglais, l’allemand, l’espagnol ou l’italien sont innombrables. Mentionnons notamment les ouvrages importants de M.-B.M. Hansen (1998), K. Aijmer (2002), A. Steuckardt et A. Niklas-Salminen (2005), K. Fischer (2006), G. Dostie et C.D. Pusch (éds) (2007).
7 La description et la classification des marqueurs du discours varient beaucoup en fonction des différentes traditions linguistiques. La tradition allemande s’y est beaucoup intéressée, tout comme la tradition anglo-saxonne, qui a consacré depuis longtemps un grand nombre d’études aux marqueurs de l’anglais. Les marqueurs de l’espagnol sont également un objet d’étude privilégié depuis des années (cf. Santos Ríos 2003 ; Briz et al. 2008). Dans le cadre de la linguistique française, l’intérêt porté aux marqueurs a été moindre, et ce malgré les travaux d’O. Ducrot et de J.-C. Anscombre, ainsi que ceux de l’École de Genève. Dans le domaine de la pragmatique historique, l’étude de l’évolution et de la formation des marqueurs du discours du français reste encore à faire en grande partie. Elle est beaucoup moins développée que pour l’anglais.
8 Pour le français, un certain nombre de marqueurs caractéristiques de l’oral spontané sont maintenant décrits. Sans prétendre à l’exhaustivité, c’est le cas de tu sais (Davoine 1980), euh, ben (Bruxelles & Traverso 2001), écoute / regarde (Dostie 1998), alors / donc (Hansen 1997), entre autres. Les marqueurs de reformulation ont fait l’objet aussi d’un certain nombre de travaux, notamment C. Rossari (1993), A. Steuckardt et A. Niklas-Salminen (2003, 2005) ou M.-B.M. Hansen (2005) pour enfin. L’attention des linguistes s’est également portée récemment sur les connecteurs (Leeman (éd.) 2002), sur les marqueurs médiatifs (angl. evidential) comme à mon avis, pour moi, selon moi (Borillo 2004 ; Coltier & Dendale 2004) ou encore sur les marqueurs médiatifs génériques de type comme on dit (Anscombre 2006, 2010).
9 Les différentes approches théoriques dessinent cependant un domaine morcelé, dans lequel la définition des expressions étudiées, ainsi que la terminologie, restent floues : faut-il parler de connecteurs, de marqueurs pragmatiques, de particules discursives, de marqueurs du discours ? Il faut constater l’impossibilité où l’on se trouve, dans l’état actuel de la recherche, de donner une définition nette des différentes classes de marqueurs.
10 Comme le signalent L. Schourup (1999) et K. Fischer (2006), les différents auteurs ne sont pas d’accord sur les expressions qui entrent dans la catégorie des marqueurs du discours. K. Fischer (op. cit. : 1-20) signale un certain nombre de critères pour délimiter la classe des marqueurs du discours :
- Les marqueurs du discours sont considérés généralement comme des mots grammaticaux morphologiquement invariables. Nous pensons pour notre part qu’ils pourraient inclure également des structures partiellement lexicalisées remplissant des fonctions discursives (au risque de me tromper / de me répéter ; comme le dit / le rappelle le proverbe, etc).
- Il faut distinguer, à l’intérieur de la classe des marqueurs du discours, des expressions ayant des degrés d’intégration syntaxique très différents : les connecteurs, qui sont intégrés dans un énoncé, mais aussi les expressions fonctionnant au niveau de la gestion des interactions, qui sont extérieures à la structure de l’énoncé. C’est ainsi qu’un connecteur comme mais est un marqueur de relation à un niveau local, par opposition aux marqueurs de structuration du discours à un niveau macrosyntaxique (alors, enfin, bon). Cela dit, on peut estimer que mais ne relie pas forcément (comme en 1) deux segments de discours, et qu’il peut enchaîner sur une situation ou une attitude de l’allocutaire (2) :
13 Il est très difficile dans la pratique d’établir une distinction nette entre ces deux emplois de mais. L. Schourup (1999 : 230) constate un phénomène analogue pour l’anglais so. Le problème est en fait celui du choix de la représentation du non-verbal. On peut, en suivant K. Fischer (2006 : 6), choisir d’affecter au non-verbal une représentation en termes de contenus, ce qui résout le problème de l’homonymie des marqueurs du discours. Il n’y aura alors qu’un seul mais en (1) et (2).
- Les expressions ayant pour fonction la gestion des interactions ont tendance à occuper la position frontale de l’énoncé. Il y a cependant des marqueurs qui peuvent apparaître de façon parenthétique à l’intérieur de l’énoncé (après tout, en effet, bien sûr, je pense). Les marqueurs interactionnels semblent plus propres à l’oral, alors que les connecteurs s’emploient tant à l’oral qu’à l’écrit.
15 L. Schourup (1999) signale également, dans une optique référentialiste, que les marqueurs du discours ne modifient pas les conditions de vérité des énoncés sur lesquels ils portent et sont donc extérieurs aux contenus vériconditionnels de l’énoncé.
16 Signalons enfin l’éventuelle intervention du savoir partagé et les connaissances encyclopédiques des interlocuteurs dans l’interprétation des marqueurs du discours.
17 Nous avons choisi d’utiliser ici le terme de marqueur du discours dans un sens large, en tant que classe hétérogène (Fischer 2006 ; Drescher & Frank-Job 2006 ; Portolés 1998). Il inclut d’une part les expressions caractéristiques de l’oral spontané, produites dans une situation d’interlocution (cf. Langue française 154 – Dostie & Pusch (éds) 2007) : bon, euh, hein, ben, voilà, alors, puis, tiens, remarque, tu penses... [2]. En plus des marqueurs interactionnels essentiellement oraux, la catégorie des marqueurs du discours inclut également pour nous les connecteurs – catégorie habituelle dans la tradition française à partir de la théorie de l’argumentation dans la langue –, mais aussi d’autres sous-classes comme les expressions modales et les marqueurs médiatifs. Dans cette optique, des connecteurs argumentatifs comme mais, même ou pourtant font partie des marqueurs du discours, mais n’appellent pas nécessairement une situation d’interlocution. Les marqueurs du discours peuvent établir un lien au niveau textuel ou discursif. Ils marquent surtout l’attitude du locuteur, les stratégies argumentatives mises en place par celui-ci, ainsi que les rapports qui s’établissent entre le locuteur et l’allocutaire.
18 Les marqueurs du discours constituent ainsi une classe aux contours flous. C’est à ce niveau qu’intervient la perspective diachronique. La plupart des marqueurs sont, en effet, le résultat d’une évolution, parfois très récente. Ils prennent leur origine dans des unités qui appartenaient au départ à des classes grammaticales différentes. C’est ainsi que les adverbes modaux épistémiques certainement, sûrement, apparemment sont au départ, en français médiéval, des adverbes de constituant modifiant un verbe [3]. Leur valeur pragmatique actuelle ne s’est installée progressivement dans la langue qu’à partir du XVIIe ou du XVIIIe siècle. Les marqueurs discursifs parenthétiques je pense, je crois, je trouve, tu sais, tu vois... sont au départ des verbes conjugués ; écoute, remarque, allons, tiens..., quant à eux, dérivent de formes verbales d’impératif. En vérité, à la vérité (Combettes & Kuyumcuyan 2007) sont à l’origine des syntagmes prépositionnels. Tous ces marqueurs ont subi un changement de catégorie grammaticale, une grammaticalisation. Parfois l’évolution est en cours et n’a pas encore abouti. On peut se trouver ainsi face à des expressions dont le fonctionnement est ambigu et qui sont difficiles à classer. De ce fait, la classe des marqueurs du discours présente des frontières imprécises, ainsi que des intersections avec différentes autres classes grammaticales : adverbes, verbes, interjections, conjonctions...
19 Cette hétérogénéité provient également de ce que le concept de marqueur du discours renvoie à une fonction sémantico-pragmatique et non à une catégorie grammaticale, voire syntaxique, particulière. Ce n’est qu’à travers l’étude de ces unités hétérogènes que l’on peut penser parvenir un jour à une définition rigoureuse et opératoire du concept de marqueur du discours, utilisé jusqu’à présent de façon largement intuitive. C’est l’étude d’une telle hétérogénéité que se propose ce volume, la méthodologie adoptée étant contrastive, ce qui en fait l’originalité.
2. APPROCHES CONTRASTIVES
20 L’approche contrastive est relativement récente dans le domaine des marqueurs du discours. Elle a fait récemment l’objet de plusieurs colloques concernant les langues romanes (Oslo 2008, Tübingen 2009, Madrid 2010). Dans une perspective plus large, il faut signaler K. Aijmer et al. (2006) qui abordent l’étude contrastive des marqueurs pragmatiques dans les langues indo-européennes.
21 Dans le présent volume, le terme contrastif est à comprendre de façon plurielle. L’étude contrastive peut porter sur des marqueurs apparemment voisins dans deux langues différentes, ou bien, elle peut opposer deux ou plusieurs marqueurs à l’intérieur d’une même langue. Elle peut comprendre également la mise en contraste des différentes étapes dans l’évolution d’un marqueur. Toutes les contributions portent au moins sur un marqueur du français, ce qui constitue le dénominateur commun du volume.
22 L’étude contrastive des marqueurs du discours dans des langues différentes permet de montrer dans quelle mesure les valeurs pragmatiques, argumentatives et interactionnelles sont codifiées de façon similaire. Peuvent être établies ainsi des similitudes et des divergences entre les marqueurs de langues différentes.
23 La mise en contraste de deux ou de plusieurs marqueurs dans une même langue permet également de mieux comprendre leur fonctionnement et d’affiner leur description. En effet, il est bien connu que la comparaison par contraste est un réactif plus sensible que l’étude d’un marqueur isolé. Elle permet souvent de faire ressortir des oppositions qu’une étude non contrastive aurait ignorées. De plus, cela permet éventuellement de mettre en évidence des caractéristiques applicables à des marqueurs semblables dans d’autres langues.
24 Il en découle des retombées pratiques dans le domaine de l’enseignement des langues, ainsi que dans celui de la traduction. Un marqueur donné, comme on sait, présente rarement un équivalent exact dans une autre langue. La comparaison, soit avec une langue différente, soit avec un autre marqueur dans la même langue, permet de mieux cerner les différents emplois des marqueurs, et de trouver des équivalences ou des disparités.
3. LES CONTRIBUTIONS À CE NUMÉRO
25 Les études rassemblées ici visent à faire avancer la recherche actuelle sur les marqueurs du discours dans une optique contrastive. Elles fournissent une analyse empirique fine de l’emploi de deux ou de plusieurs marqueurs en contraste. L’approche contrastive adoptée est multiple, mais elle permet dans tous les cas d’approfondir la description. Dans certains cas, deux ou trois marqueurs du français sont mis en parallèle (sinon / autrement ; à la fin / in fine / au final). Le contraste peut se faire également entre deux marqueurs analogues dans deux langues différentes. La comparaison entre le français et l’espagnol permet de décrire les marqueurs médiatifs comme dit le proverbe / como dice el refrán, ainsi que les connecteurs puisque / puesto que. L’italien ecco permettra d’analyser les marqueurs français voici / voilà.
26 La mise en contraste des emplois successifs d’un même marqueur en diachronie permet de mieux expliquer son fonctionnement, mais l’évolution en diachronie des marqueurs du discours du français reste encore à faire en grande partie. Sera abordée ici l’étude diachronique des marqueurs décidément / decididamente en français et en espagnol, ainsi que l’évolution de deux adverbes modaux du français, voirement et vraiment, depuis le Moyen Age jusqu’au XVIIe siècle.
27 Le cadre théorique des travaux réunis dans ce volume est en grande partie homogène. Les études de C. Schnedecker et d’A.-M. De Cesare combinent une description syntaxique, sémantique et discursive. Les autres contributions s’inscrivent plus précisément dans le cadre d’une sémantique discursive non descriptiviste, remontant en dernière instance aux travaux de J.-C. Anscombre et d’O. Ducrot sur l’argumentation linguistique [4]. Certains travaux s’appuient également sur la théorie de la polyphonie, développée au départ par O. Ducrot (1984 : 171-233) [5]. Pour ce qui est des marqueurs étudiés, la plupart appartiennent à la classe des connecteurs (sinon / autrement ; à la fin / in fine / au final ; puisque / puesto que). Sont étudiés aussi des marqueurs médiatifs (comme dit le proverbe / como dice el refrán), des adverbes d’attitude énonciative (décidément / decididamente ; voirement / vraiment) et des particules discursives (ecco / voici / voilà).
28 L’article de Jean-Claude Anscombre se situe dans le prolongement de ses travaux antérieurs sur les marqueurs médiatifs génériques. Il analyse ici, en termes de syntaxe et de sémantique, l’insertion du pronom complément d’objet direct en espagnol dans Como dice X / Como lo dice X, par opposition au français Comme le dit X / Comme dit X. En effet, les deux langues ne se comportent pas de la même façon sur ce point particulier. L’étude des propriétés linguistiques de chacune de ces constructions montre que l’origine du phénomène est à chercher dans des distributions spécifiques des rôles polyphoniques. Après avoir explicité les règles régissant ces constructions, l’auteur les applique à une série de cas non standards.
29 Camino Álvarez Castro et María Luisa Donaire abordent l’étude contrastive des connecteurs puisque et puesto que en français et en espagnol, en s’appuyant sur la théorie de la polyphonie et sur la notion de stéréotype (Anscombre 2001a). Le recours à des tests linguistiques conduit à dépasser le niveau de surface pour considérer la stratégie discursive que ceux-ci mettent en œuvre. Il propose une caractérisation sémantique des deux connecteurs comme mettant en jeu deux points de vue, dont l’un est présenté comme un enchaînement discursif fondé sur l’autre. Ce dernier point de vue apparaît comme faisant partie d’une énonciation préalable, destinée à renforcer le point de vue assumé par le locuteur. La description sémantique de ces deux connecteurs permet de distinguer trois types de puisque, alors que l’espagnol ne présente que deux puesto que. En dépit d’un certain parallélisme, les deux connecteurs ne sont pas entièrement équivalents.
30 Anna-Maria De Cesare met en contraste l’italien ecco et les présentatifs français voici, voilà à partir d’une approche relevant de la sémantique lexicale et de la linguistique textuelle. Son étude permet d’établir les différences et les similitudes entre ces marqueurs dans les deux langues et d’approfondir notre connaissance du fonctionnement de voici et de voilà. Elle décrit le fonctionnement de ces formes dans les textes écrits, ce qui n’a pas encore été fait de manière approfondie dans la bibliographie sur l’italien et le français contemporains.
31 Sonia Gómez-Jordana Ferary étudie, dans une approche diachronique et contrastive, les adverbes décidément et decididamente. Partant de l’étude d’O. Ducrot et al. (1980), elle distingue trois valeurs en diachronie pour l’adverbe français décidément – adverbe de constituant, adverbe de phrase et adverbe pragmatique – alors que l’espagnol decididamente en est à une étape antérieure de l’évolution et n’a pas encore complètement acquis une valeur pragmatique. Cela permet de corroborer une tendance générale : la pragmaticalisation des adverbes est souvent plus tardive en espagnol qu’en français.
32 Amalia Rodríguez Somolinos étudie l’évolution en français des adverbes modaux voirement et vraiment, depuis l’ancien français jusqu’au XVIIe siècle, date à laquelle voirement disparaît du français standard. Tant voirement que vraiment marquent le degré de vérité que le locuteur accorde à l’énoncé. Ils portent sur un énoncé p dont ils renforcent le degré de vérité et de certitude. Voirement évolue très tôt vers un emploi dialogal polyphonique où il acquiert la valeur d’un marqueur de réexamen. Il renvoie à un point de vue qu’il vient confirmer. L’énoncé introduit par voirement peut se présenter alors comme le résultat d’une réflexion du locuteur : « bien réfléchi ». Malgré une parenté évidente, vraimentn’a jamais eu de valeur polyphonique ou confirmative et renvoie, par contre, à une conviction personnelle du locuteur.
33 Catherine Schnedecker décrit le fonctionnement pragmatico-sémantique de in fine et au final en français, en utilisant comme contrepoint à la fin. L’évolution des deux premiers marqueurs n’a pas encore abouti, ce qui donne lieu à un flottement entre le rôle d’adverbial verbal et celui de cadratif. In fine et au final sont proches sur le plan sémantique : ils expriment une forme de temporalité qui peut donner lieu à une contradiction. L’analyse contrastive fait ressortir, par ailleurs, des différences sémantiques et discursives entre les deux marqueurs, ce qui permet de mieux cerner leur fonctionnement par rapport à d’autres marqueurs de reformulation.
34 Danièle Flament-Boistrancourt réalise une étude pragmatico-sémantique de deux connecteurs proches en français : sinon et autrement. S’ils sont substituables dans de nombreux contextes, ils possèdent également des emplois qui leur sont propres. L’auteur s’intéresse particulièrement aux emplois où autrement semble difficilement substituable à sinon. En prenant comme point de départ une étude antérieure de sinon, elle essaye de donner ici une description sémantique comparée de autrement et de sinon qui s’emploie à traquer la spécificité de chacun de ces deux morphèmes.
Bibliographie
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[1]
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[2]
Une étude complète devrait tenir compte des phénomènes intonatoires et rythmiques. Nous n’avons malheureusement à notre disposition aucune théorie achevée de ces phénomènes, non plus que de ses liens éventuels avec une théorie des marqueurs du discours.
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[3]
Sur cet aspect diachronique, cf. Rodríguez Somolinos (2010) pour apparemment, ainsi que l’article de Gómez-Jordana sur décidément dans ce même volume.
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[4]
Si cette approche est essentiellement centrée sur les propriétés sémantiques, elle n’exclut pas l’examen des propriétés syntaxiques. Rappelons, enfin, que les caractéristiques pragmatiques que nous étudions relèvent de la pragmatique intégrée, i.e. sont inscrites en langue.
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[5]
La théorie de la polyphonie voit le sens non comme la description de la réalité, mais comme constitué par l’organisation de différentes voix que l’énoncé fait entendre.