Langages 2007/3 n° 167

Couverture de LANG_167

Article de revue

La notion de « tradition grammaticale » et son usage en linguistique française

Pages 7 à 26

Notes

  • [1]
    « La nécessité d’établir un corpus représentatif des grammaires et des traditions linguistiques […] correspond à l’idée que, précisément, il existe une « tradition », c’est-à-dire un cumul des connaissances comparable, toutes proportions gardées, à celui qui est observable dans les autres sciences et à l’idée qu’il est vain de voir dans tel ouvrage ou telle théorie la naissance de la linguistique prétendue “moderne” » (Colombat, 2004).
  • [2]
    « La Physique d’Aristote, l’Almageste de Ptolémée, les Principia et l’Optique de Newton, l’Électricitéde Franklin, la Chimie de Lavoisier et la Géologie de Lyell – tous ces livres et bien d’autres ont longtemps servi à définir implicitement les problèmes et les méthodes légitimes d’un domaine de recherche pour des générations successives de chercheurs. S’ils pouvaient jouer ce rôle, c’est qu’ils avaient en commun deux caractéristiques essentielles : leurs accomplissements étaient suffisamment remarquables pour soustraire un groupe cohérent d’adeptes à d’autres formes d’activité scientifique concurrentes ; d’autre part, ils ouvraient des perspectives suffisamment vastes pour fournir à ce nouveau groupe de chercheurs toutes sortes de problèmes à résoudre. Les performances qui ont en commun ces deux caractéristiques, je les appellerai désormais paradigmes, terme qui a des liens étroits avec celui de science normale. En le choisissant, je veux suggérer que certains exemples reconnus de travail scientifique réel – exemples qui englobent des lois, des théories, des applications et des dispositifs expérimentaux – fournissent des modèles qui donnent naissance à des traditions particulières et cohérentes de recherche scientifique […] » (Kuhn, 1962 [1983] : 29-30).
  • [3]
    « Le mot “tradition” employé seul, tout comme l'adjectif “traditionnel” a un sens nettement axiologique, qui l'oppose à la notion de “modernité”. Le même mot accompagné d'un adjectif peut désigner de façon neutre, non axiologique, un courant philosophique (la tradition platonicienne, la tradition des Encyclopédistes), une sensibilité (la tradition romantique), une certaine approche du monde (la tradition économiste, la tradition atomiste), et être alors l'équivalent de théorie, enseignement, école, courant. En anthropologie culturelle la “tradition” désigne l'appartenance à un ensemble culturel (la tradition mélanésienne), mais on trouve aussi le terme accolé à des adjectifs renvoyant à des réalités plus proches des nôtres : la tradition intellectuelle occidentale, ou tout simplement la tradition nationale. Lorsque l'adjectif renvoie à une religion, l'axiologie est déjà sous-jacente, avec des objets dont les frontières sont plus nettement dessinées, et dont l'évolution semble figée par un corps de doctrine : la tradition chrétienne, musulmane, bouddhiste. Cette nuance de figement s'étend dès lors à tout courant de pensée hostile par principe à tout changement, à toute notion d'évolution (la tradition slavophile, byzantine, une tradition millénaire). On parle ainsi de la tradition classique, mais l'expression “la tradition moderne” aurait-elle un sens ? On s'aperçoit vite, cependant, qu'il est malaisé, voire impossible, de faire un tri sûr entre les deux acceptions, neutre et axiologique, du mot “tradition” ». (Sériot, 1999 : 301)
  • [4]
    « Les grammaires occidentales s’enracinent dans une tradition millénaire, grecque essentiellement, puis latine, plus tard hébraïque, puis cosmopolite, tradition le plus souvent profondément enfouie, comme le cerveau reptilien, mais qui peut revenir au jour sous certaines conditions. La grammaire française, depuis le Moyen Âge, subit le formidable poids de l’histoire et des théories du passé ». (Chevalier, 1994 : 3)
  • [5]
    L’analyse distributionnelle, le développement des modèles génératifs, l’intégration de la composante supraphrastique (dans les modèles fonctionnalistes, notamment), l’intégration de la problématique référentielle, le passage d’une approche discrète à une approche prototypique de la catégorisation, l’apparition d’approches multifactorielles, le découplage conceptuel (sujet/ thème/agent ; head/functor/base), etc., pour caractéristiques qu’ils soient du développement de la science du langage au XXe siècle, résultent ainsi moins d’une véritable révolution paradigmatique que de ce long travail de rationalisation, de filtrage et d’approfondissement du savoir linguistique. Voir Lauwers (2005). Sur la linguistique comme « proto-science », voir Lazard (2006 : 17-33).
  • [6]
    Voir Berrendonner (1982) : « Il y a […] plus qu’une lourde présomption que l’antagonisme officiel entre grammaire et linguistique ne soit qu’un leurre. La conclusion qui s’impose, c’est bien que la linguistique, en fidèle héritière des textes grammaticaux antérieurs, assure actuellement la pérennité du discours normatif, et en remplit les fonctions essentielles ». Rappelons la définition proposée par Jean-Claude Milner (1989) : « La linguistique désire être une science. En dehors de ce désir, elle n’a aucun statut et n’a plus qu’à se confondre avec les pratiques, après tout fort anciennes et fort estimables, qu’on regroupe sous le nom de grammaire ».
  • [7]
    « Les grammaires traditionnelles sont généralement des grammaires “à tout faire”. Elles servent indifféremment pour l’analyse, l’interprétation, la description, l’apprentissage, l’usage correct d’une langue, etc. Leur domaine d’observation se limite généralement à l’usage écrit de la langue. Dans la plupart des cas, l’observation porte sur le langage littéraire, qui jouit d’un préjugé favorable. Ce choix est évidemment à mettre en rapport avec la perspective normative qui caractérise la plupart des grammaires. Les grammaires traditionnelles n’utilisent aucune théorie, aucun modèle linguistique de référence. Elles abordent différents plans de description sans les distinguer rigoureusement. Elles identifient les phénomènes et les classent selon des catégories souvent héritées de l’antiquité mais adaptées à la spécificité des langues particulières. Le classement, souvent intuitif, est rarement explicité par des tests. Dans une grammaire traditionnelle, de nombreux phénomènes sont décrits sans être expliqués ». (Lerot, 1993 : 105)
  • [8]
    En particulier : Sumpf (1972) ; Leeman (1979) ; Leduc-Adine & Vergnaud (1980) ; Berrendonner (1982) ; Berrendonner & alii (1983) ; Berrendonner & Reichler-Béguelin (1989) ; Le Goffic (1993) ; Flaux (1993) ; Wilmet (1997) ; Touratier (1998a) ; Charolles & Combettes (1999) ; Béguelin (2000).
  • [9]
    Sur ce point, voir, entre autres, des travaux aussi différents que ceux de : Chervel (1973, 1977) ; Chevalier (1975, 1994) ; Stéfanini (1994) ; Auroux (1994, 1998, 2000) ; Chiss & Puech (1998, 1999) ; Petiot (2000) ; Tomassone (2001) ; Colombat & Savelli (2001).
  • [10]
    « La grammaire traditionnelle est une (des) grammaire (s) savante (s), reposant sur des approches théoriques et méthodologiques datées des époques où elle a été élaborée. Son corps de savoir s’appuie donc sur un état ancien de connaissances et d’analyses, maintenu avec respect jusqu’à nos jours. C’est cette absence de renouvellement, ce maintien d’analyses devenues des dogmes qui la définissent et la distinguent des grammaires “linguistiques” liées aux travaux contemporains. On peut considérer ses approches comme figées, car n’intégrant plus de nouvelles données et de nouveaux points de vue et ne révisant pas ses certitudes […]. Ce qui caractérise en premier lieu l’état actuel de “la” grammaire, c’est cette accumulation de points de vue, de règles et d’analyses qui […] ne se périme pas. Tout manuel de grammaire est, de ce point de vue, à la fois un livre présentant une approche de la langue et un conservatoire d’approches autres, qui ne sont pas toujours appréhendées comme dépassées ou caduques : par exemple, aux parties du discours on ajoute les “classes distributionnelles” ou “syntaxiques”, alors que ces deux notions appartiennent à deux approches différentes que l’on juxtapose sans expliquer en quoi elles diffèrent » (Petiot, 2000 : 16-17).
  • [11]
    « Les grammaires linguistiques ont pour visée de décrire les langues et leurs variétés, autrement dit d’en analyser les structures (les organisations) pour en dégager des règles, c’est-à-dire des modèles, permettant de rendre compte des emplois réalisés, hors toute approche normative. La langue, extraite des énoncés réalisés, est leur objet d’étude […]. […] La grammaire dite “scolaire” est destinée à l’apprentissage par le plus grand nombre des fonctionnements de la langue. Ayant partie liée avec l’histoire de l’enseignement, et tout particulièrement à partir de l’instauration de l’école obligatoire, elle est, par nature, simplificatrice et quelque peu en retrait par rapport aux grammaires linguistiques » (Petiot, 2000 : 19-20).
  • [12]
    Les textes sont classés chronologiquement, de 1 à 26 : Grevisse (1936/1980) : texte 1, Wagner & Pinchon (1962/1991) : texte 2, Chevalier & alii (1964) : 3, Ministère de l’EN (1975) : texte 4, Gary-Prieur (1985) : texte 5, Arrivé & alii (1986) : texte 6, Béchade (1986) : texte 7, Soutet (1989) : texte 8, Weinrich (1989) : texte 9, Gardes-Tamine (1990) : texte 10, Chiss & alii (1992) : texte 11, Charaudeau (1992) : texte 12, Le Goffic (1993) : texte 13, Lerot (1993) : texte 14, Denis & Sancier-Chateau (1994) : texte 15, Le Querler (1994) : texte 16, Maingueneau (1994) : texte 17, Riegel & alii(1994) : texte 18, Creissels (1995) : texte 19, Wilmet (1997) : texte 20, Combettes (1998) : texte 21, Fournier (1998) : texte 22, Ministère de l’EN (1998) : texte 23, Béguelin & alii (2000) : texte 24, Eluerd (2002) : texte 25, Muller (2002) : texte 26.
  • [13]
    Voir notamment Neveu (2000).
  • [14]
    On peut appeler endoxales, sur le modèle de la définition aristotélicienne des endoxa, ces idées grammaticales communes référées à une Autorité (ou à une Entité : Berrendonner, 1982), Autorité qui constitue la source énonciative du savoir, que le scripteur grammairien met en scène en en présupposant l’existence et en en rapportant les normes.
  • [15]
    Voir Berrendonner (1982 : 101-102) : « Il est fort possible que le discours didactique soit le complément inévitable grâce auquel le discours de la linguistique dite « fondamentale » peut aboutir à des conséquences normatives, sans avoir à les assumer comme siennes. Réserver l’énoncé de certaines propositions trop évidemment normatives, et par là trop compromettantes, à un discours « pédagogique » déconsidéré d’avance par son statut d’ « application technique », ce peut être un bon moyen, pour la linguistique qui se dit « fondamentale », de garder les mains pures, et de cacher le lien logique qui fait de ces propositions la conséquence inférable du discours qu’elle tient « scientifiquement ». Au linguiste le prestige de l’objectivité et de la clairvoyance, au pédagogue l’infamie des normes qui en découlent. »
  • [16]
    Voir Neveu (1996, 1998, 2000).
  • [17]
    La grammaire de l’Allemand Plattner (1899-1908), qui s’en remet entièrement au parallélisme avec les catégories grammaticales allemandes, se permet même de ne définir aucun terme.
  • [18]
    Cette analyse n’est pas tout à fait inconnue à la tradition française.
  • [19]
    Citons aussi Was ist Syntax ? de John Ries, qui a inauguré un important mouvement de renouveau en syntaxe (voir Lauwers 2004b).
  • [20]
    À ce propos, remarquons qu’on préférait citer les grammairiens des siècles passés, plutôt que de discuter les propositions des linguistes contemporains.
  • [21]
    Qui pourrait se doubler d’une analyse comparative de l’histoire institutionnelle de la linguistique dans chacun des pays (cf. Charle, 1994).
  • [22]
    Comme vers 1910, à l’époque de la réforme des nomenclatures grammaticales. Il s’en est fallu de peu pour que le comité britannique chargé de la réforme s’aligne sur la tradition française en adoptant les termes epithet et attribute (Report, 1923 : 10).
  • [23]
    Celle-ci est un peu plus autonome par rapport aux espaces culturels.

INTRODUCTION

1Cet article traitera de trois aspects complémentaires de la « tradition grammaticale », prise comme notion, comme terme, et comme ensemble discursif visant à rendre compte des propriétés objectives des langues.

2Comme notion et comme terme, la « tradition grammaticale » souffre d’un certain déficit définitionnel, ce qui ne va pas sans poser problème eu égard à la fréquence de son évocation dans le discours de la science du langage, et à l’usage argumentatif qui en est fait. Qu’entend-on au juste par tradition ? Cherche-t-on à souligner par l’emploi du terme de tradition grammaticale une scientificité lacunaire et déficiente du discours sur la langue, comme on le fait, le plus souvent, par l’emploi du terme de grammaire traditionnelle ? Comment le terme se définit-il par distinction avec celui de tradition linguistique ? Une telle distinction est-elle pertinente ? Qu’est-ce qu’une « tradition » dans le domaine scientifique, et n’y a-t-il pas quelque antinomie entre « science » et « tradition » ?

3Comme ensemble discursif se donnant pour tâche l’analyse des propriétés objectives des langues, la « tradition grammaticale » n’est pas moins indéterminée. Quels sont les critères (historiques, épistémologiques) qui permettent de tenir cet ensemble discursif pour homogène ? Comment celui-ci est-il constitué ?Des « traditions grammaticales » (française, anglaise, allemande, occidentale, etc. ; ou bien, à l’intérieur d’un domaine « national », telle ou telle « tradition grammaticale » correspondant à telle ou telle strate historique et épistémologique) peuvent-elle être regroupées dans une catégorie générique (la « tradition grammaticale ») ?

4Il s’agit donc ici de rendre compte du double mode de fonctionnement de la « tradition grammaticale », qui vise à identifier une réalité du discours sur lalangue tout en formulant par là même un point de vue sur cette réalité. La consistance de l’étiquette tradition grammaticale sera ainsi évaluée à ces différents niveaux. L’exemplification sera toutefois limitée au domaine français.

1. DÉFINIR LA TRADITION ?

1.1. Tradition « pré-paradigmatique » et tradition « post-paradigmatique »

5Patrick Sériot (notamment, 1999, et ici même), s’appuyant sur L’Archéologie du savoir de Michel Foucault, a rappelé le risque couru à se satisfaire d’une approche intuitive et non définie de la « tradition » en sciences humaines, et la nécessité de « faire travailler » la notion avant d’accréditer l’objet incertain qu’elle est censée viser :

6

Il est peu probable qu’il vienne à l’idée de quiconque de parler de « tradition » à propos de physique nucléaire ou de biologie moléculaire. La notion de « tradition » est en effet généralement présentée dans les dictionnaires et encyclopédies comme associée aux dogmes religieux, au folklore, mais, semble-t-il, jamais à la science. Cette lacune est d’autant plus curieuse qu’il ne manque pas d’exemples d’utilisation de ce mot en histoire de la linguistique pour parler de « tradition linguistique » chinoise, arabe, hindoue, parfois même « occidentale ». Quelle particularité distingue alors la linguistique des autres sciences au point qu’on peut la penser si étroitement associée à son ancrage culturel ? Qu’est-ce qu’une « tradition » en linguistique ? Qu’est-ce qu’une « tradition scientifique » ? Y a-t-il rien de plus paradoxal que la réunion de ces deux termes ? (Sériot, 1999 : 301)

7Le paradoxe d’une « tradition scientifique » ne saurait être bien sûr que d’apparence. Comme toute activité sociale, l’activité scientifique suppose une reproduction de normes et de contraintes. Celles-ci affectent, dans le cas des activités cognitives que sont les activités scientifiques, la valeur de vérité des connaissances sur lesquelles elles reposent. C’est ce que rappelle Sylvain Auroux :

8

Les sciences sont des activités cognitives sociales, reproduites par tradition et comportant parmi leurs normes d’acceptabilité des contraintes concernant la valeur de vérité des connaissances qu’elles incluent et le moyen de les obtenir. Ces normes ne sont nullement des constantes, mais des produits historiques. C’est par le fait même de sa situation historique que nous sommes capables de signifier concrètement une certaine activité par l’index général « science ». (Auroux, 1989 : 57-58)

9Dans cette perspective, « tradition » et « changement » scientifiques sont dialectiquement liés, et s’impliquent réciproquement. Rétrospection, savoir commun, reproduction et accumulation de ce savoir commun fournissent, selon quelques-unes des analyses proposées par Dell Hymes pour l’histoire de la linguistique (1974, 1983), un ensemble de paramètres descriptifs voire définitoires de la « tradition ». L’usage du terme dans le domaine linguistique peut toutefois privilégier tel ou tel de ces paramètres, et particulièrement, comme c’est le cas aujourd’hui en histoire des grammaires, le paramètre du cumul desconnaissances, pour signifier notamment cette vérité historique selon laquelle la science du langage n’est pas née avec la linguistique dite moderne[1].

10Mais c’est sans doute à partir de la notion de « paradigme », développée par Thomas Kuhn (1962, 1970, 1977), que l’on peut obtenir la meilleure représentation de la problématique relative à la « tradition scientifique ». La perspective de Kuhn dénonce on le sait l’illusion rétrospective d’un changement scientifique exclusivement guidé par le succès (la découverte). L’histoire des sciences dans cette représentation simpliste du changement ne tiendrait pour pertinentes que les transformations qui permettent de passer de l’erreur à la vérité. Contre ce présupposé d’un progrès de la science procédant par accumulation (c’est-à-dire sans retour en arrière de la connaissance), Kuhn formule la thèse d’un développement historique des sciences au cours duquel se suivent des phases hétérogènes : « normalité », « crise », « révolution ». Un développement par saccades et bouleversements. Le paradigme, chez Kuhn (1962), est le concept clé de la « science normale », c’est-à-dire de la science qui a atteint sa maturité [2]. La notion sera par la suite retravaillée (Kuhn, 1970 ; 1977) pour constituer le noyau conceptuel de ce qu’il nomme la « matrice disciplinaire », c’est-à-dire l’ensemble des convictions, des représentations, des conceptions partagées par les membres d’une communauté scientifique : c’est un problème qu’accompagne sa solution, qui a valeur d’exemplarité, et qui fournit une partie du socle de l’activité scientifique ultérieure, sans qu’il soit nécessaire de revenir sur les données qui le constituent.

11Dans ce système, la « tradition scientifique » est clairement post-paradigmatique, puisqu’elle s’établit à partir de ce savoir commun fourni par les données du paradigme comme un substrat cognitif dont on pourra exploiter la stabilité pour les développements à venir des recherches : les modèles, dit Kuhn, génèrent des traditions de recherches scientifiques. La « tradition scientifique », c’est ainsi l’ensemble discursif qui est alimenté par la circulation des savoirs dans la communauté scientifique au cours de la période où perdure le paradigme.

12Mais la formation des paradigmes, notamment ceux qui sont à l’origine des disciplines, suppose des étapes préparatoires, longues et hétérogènes, dont l’histoire des sciences garde la mémoire comme d’une juxtaposition de données parfois pertinentes mais trop éparses et insuffisamment explicatives pour être intégrées à des théories ou retenues dans des protocoles expérimentaux. Ces étapes, qui permettent l’acheminement vers la « science normale », pour reprendre la terminologie de Kuhn, n’ont pas moins de valeur conservatoire à l’égard des connaissances que celles qui suivent la formation du paradigme. Rétrospection, savoir commun, reproduction, accumulation jouent ici tout autant que dans la séquence post-paradigmatique. Ce qui varie réside dans la nature des connaissances, dans le mode de formation du savoir et dans la fonction des acteurs qui en assurent la circulation. On est ici fondé à parler de tradition pré-scientifique, c’est-à-dire pré-paradigmatique.

13Qu’elle puisse être tout aussi bien de nature « pré- » ou « post-paradigmatique », « pré-scientifique » ou « scientifique », voilà qui ne facilite pas le travail définitionnel sur la notion de « tradition ».

1.2. La « tradition grammaticale » : une linguistique provisoire qui dure

14Comment situer la « tradition grammaticale » dans le modèle épistémologique de Kuhn ? Se pose d’emblée le problème de la valeur conférée au terme de tradition, valeur « neutre » ou « axiologique », pour reprendre la distinction de Sériot (1999)  [3]. Dans le domaine de la science du langage, l’usage du mot ne manifeste pas moins sa polyvalence puisque l’on peut aisément enregistrer une valeur de mise à distance, non seulement de nature chronologique mais aussi de nature conceptuelle et méthodologique, valeur plus ou moins négativement orientée selon les cas. Ainsi, la tradition néo-grammairienne, ou la tradition pré-saussurienne énoncent par exemple clairement (Sériot, 1999) une clôture temporelle soulignant l’obsolescence présumée des contenus scientifiques. Le mot peut aussi se prêter, plus radicalement, à une disqualification de l’archive pesant sur la constitution du savoir linguistique, et désigner unesomme de connaissances accumulées sans rationalité et reproduites sans perspectives critiques [4].

15Du côté de la « tradition grammaticale », une approche culturaliste distinguant une tradition grammaticale « française », « anglaise », « allemande », « russe », occidentale », etc. (approche dont la pertinence scientifique reste à démontrer, comme le font apparaître les articles réunis dans ce numéro), conserve, du fait même de la discontinuité culturelle qu’elle suppose, une valeur positive. Valeur qu’elle perd dans la plupart des cas sans cette prédication adjectivale (la tradition grammaticale par distinction par exemple avec l’analyse linguistique), sauf au pluriel, bien sûr, où s’exprime, implicitement, cette discontinuité culturelle, supposée objective sur le plan historiographique, et pertinente sur le plan épistémologique (les traditions grammaticales).

16Dans cette perspective, l’usage singulier et intransitif de l’étiquette tradition grammaticale semble s’inscrire clairement dans une conception « pré-paradigmatique » et « pré-scientifique » de la « tradition ». Mais comment expliquer alors la pérennité de l’ensemble discursif correspondant à cette étiquette, ou du moins la pérennité d’un nombre important de notions et de termes qui lui sont constitutifs, au cours de la période « post-paradigmatique » de la science du langage ? La réponse serait relativement aisée si l’on pouvait cloisonner voire verrouiller en synchronie, dans ce domaine de connaissances, les différentes strates discursives, en identifiant par exemple, en toute rigueur, un discours grammatical contemporain « pré-paradigmatique » et un discours grammatical contemporain « post-paradigmatique ». Il suffirait alors de tenir cette pérennité pour un phénomène de fossilisation cognitive liée à des paramètres sociétaux (notamment, et sans doute principalement, celui de l’enseignement scolaire). Ce que nombre de travaux linguistiques n’hésitent d’ailleurs pas à suggérer, comme nous allons le voir par la suite, sans que soient développés pour autant dans ces travaux des argumentaires permettant de tenir pour recevable ce cloisonnement. Or aucune solution de continuité ne s’observe à proprement parler entre telle ou telle strate discursive contemporaine. Non pas parce que les données notionnelles du paradigme ont su imposer rétrospectivement leur pertinence à tous les niveaux des discours tenus sur les langues (les nouvelles conceptualisations prenant sous leur contrôle les anciennes terminologies ainsi que les représentations qui leur sont associées), mais au contraire en raison de l’efficience et de l’opérativité de nombre de catégories grammaticales issues de la période « pré-paradigmatique » de la science du langage, importées voire réinvesties en linguistique.

17Comme Jean-Claude Milner (1989) en a fait la démonstration, la tradition grammaticale d’une langue ne se maintient que parce qu’elle rencontre d’une manière ou d’une autre les propriétés objectives de la langue sur laquelle elle porte :

18

[…] tant que l’entreprise radicale [celle de la science du langage] n’est pas menée à son terme, la linguistique doit se contenter de notions provisoires, lesquelles sont, comme par hasard, empruntées, malgré tout, à la tradition grammaticale. Ce qui ramène au point qu’on voulait éviter. Mais, en réalité, l’entreprise radicale n’est jamais achevée ; qui plus est, elle ne fait jamais que commencer, sans dépasser les stades les plus élémentaires. Du même coup, on ne peut, quand on veut aller plus loin dans l’investigation empirique, que s’en remettre à la linguistique provisoire, c’est-à-dire à la tradition grammaticale : ainsi, on ne sache pas que l’on ait pu se dispenser de notions telles que la notion de phrase, ou des notions syntaxiques usuelles : interrogation, subjonctif, passif, relatives, etc. On s’est simplement dispensé de les analyser strictement. En fait, on a condamné, par radicalisme théorique, la linguistique à dépendre dans les faits de la tradition grammaticale et cela d’autant plus fortement qu’on ne s’est donné aucun moyen de traiter directement la relation qui dans les faits les unit. Ajoutons que, dans la mesure où le programme radical a été effectivement mené à bien, les résultats sont étonnamment peu contraires à la tradition grammaticale : ainsi, la notion de monème […] ajoute étonnamment peu de chose aux notions traditionnelles de radical, de suffixe, de préfixe ; la notion de syntagme ajoute peu de chose à la notion traditionnelle de groupe de mots, etc. […] en rejetant d’un revers de main toute la tradition grammaticale, on s’interdit de poser les problèmes empiriques que soulève son succès même. (Milner, 1989 [1995] : 68)

19La « tradition grammaticale » est donc une linguistique provisoire qui dure. Provisoire et pérenne tout à la fois parce que la science du langage, qui a cru pouvoir, sans incidence épistémologique, intégrer à son paradigme nombre de notions et de termes de base de la grammaire reçus par héritage, a largement construit ses fondements à partir de ce que la « tradition grammaticale » lui a transmis d’empirique. L’argument de l’homonymie développé par Milner selon lequel, par exemple, les termes des parties du discours « de la tradition » et ceux qui sont employés en linguistique sont des homonymes, la science moderne derrière leur réemploi travaillant à « démythologiser » ces termes « en les ramenant à la part de réalité objective qu’ils désignent ou qu’ils supposent », est un argument qui rend compte d’une situation sans doute désirable mais imaginaire. L’homonymie impliquerait une différenciation radicale des contenus notionnels, différenciation que, dans le strict domaine de la description grammaticale, l’histoire de la science du langage ne fait pas apparaître. Ce qui apparaît c’est bien plutôt un travail de spécification, de rationalisation, d’adéquation des termes aux concepts, d’ajustement des notions aux faits qu’elles sont censées viser, d’accroissement du volume des données empiriques, bref un travail de filtrage et d’approfondissement, qui développe sans discontinuité ni rupture, en dépit des évolutions technologiques, un savoir linguistique plusieurs fois millénaire  [5]. Dès lors, il y a tout lieu de penser que l’histoire des sciences auraprobablement à s’interroger sur la nature exacte et la consistance du paradigme de « la » science linguistique qui s’est élaboré au cours XXe siècle  [6].

1.3. « Tradition grammaticale » et « grammaire traditionnelle »

20Pour clore provisoirement ce rappel des problèmes posés par la notion de « tradition » dans la science du langage, on s’interrogera sur la corrélation qui peut être établie entre le contenu notionnel respectif des termes de tradition grammaticale et degrammaire traditionnelle, qui connaissent de fréquents emplois symétriques dans le discours linguistique. On notera tout d’abord que le terme de grammaire traditionnelle n’est guère plus ni mieux défini dans le discours des linguistes que celui detradition grammaticale, tant la transparence sémantique et l’évidence référentielle, dans un cas comme dans l’autre, semblent en justifier seules l’usage. Comme pourtradition grammaticale, la variation singulier/pluriel est ici significative, mais avec une toute autre valeur, puisqu’elle met en opposition d’une part un type de discours grammatical (la grammaire traditionnelle) et d’autre part des supports matériels, divers et hétérogènes, servant de véhicules à ce discours (les grammaires traditionnelles). Toutefois la connotation négative de l’étiquette se maintient généralement dans les deux cas. Contrairement à la lexicographie, qui dispose du terme de dictionnairique, la grammaire ne s’est pas donné d’étiquette dénominative pour étudier la relation de dépendance entre le contenu du discours tenu sur la langue et la forme du support où ce discours s’exprime (notamment pour ce qui concerne le type de vulgarisation adopté). La relative diversité formelle des grammaires, contrairement à la structure des dictionnaires, plus uniforme, explique sans doute cela. Si bien que le terme de grammaire traditionnelle identifie indistinctement un type de discours sur la langue et les objets régis par des contraintes éditoriales spécifiques que sont les ouvrages (i.e. manuels) de grammaire. On comprend dès lors que la « grammaire traditionnelle » soit si souvent pensée comme une somme de connaissances de niveau « scolaire », la didactisation et la manuélisation des savoirs linguistiques monolingues pour les locuteurs natifs étant (bien sûr à tort) généralement associée à un stade élémentaire de la formation.

21Jacques Lerot (1993) a énuméré quelques-unes des caractéristiques de ces grammaires « à tout faire » que sont les « grammaires traditionnelles » : représentation scripturale de la langue, exemplification littéraire des notions, normativité, absence de cadre théorique et de protocoles expérimentaux, discours descriptif sans portée explicative, etc. [7].

22Sur le plan matériel on a affaire à des ouvrages généralement destinés à une consultation rapide et pratique, organisés de manière modulaire, où domine le recours au cloisonnement des éléments constitutifs de la matière linguistique (ex. orthographe/morphologie/syntaxe, le mot/le groupe de mots/la phrase, etc.) sans liaison explicative entre les modules. De même, les règles énumérées ne font l’objet d’aucune approche systématique ni syncrétique, et le cadrage définitionnel des notions de base (ex. qu’est-ce qu’un mot ? une syllabe ? une phrase ? une fonction ?, etc.) n’est généralement pas fait.

23Ces caractéristiques, clairement synthétisées par Lerot, sont bien connues, et elles ont été évoquées de diverses manières et à de multiples reprises dans de nombreux travaux de linguistique française [8]. On peut noter toutefois que le discours dans lequel elles s’inscrivent est davantage un discours d’évaluation et de rétrospection critiques portant sur une pratique de la description linguistique jugée défectueuse plutôt qu’un discours d’épistémologie historique [9]. La « tradition » sous-jacente à la notion de « grammaire traditionnelle » y est traitée en effet de manière plus sociologique qu’historique. Il ne s’agit pas d’une archive, mais d’une approche des faits de langue, qui, rapportée à un état présent de la science du langage, est jugée obsolète par référence non pas à l’histoire mais à un avant de ces connaissances qui reste chronologiquement indéterminé. Il s’agit donc moins ici de disqualifier une grammaire issue d’une forme spécifique de tradition grammaticale, qu’un discours conventionnel tenu sur la langue, et considéré à cet égard comme aporétique.

24Lorsque la « grammaire traditionnelle » est traitée comme une grammaire ancrée dans l’histoire par ses méthodes et ses concepts, résultant, par sommation, d’un état passé des connaissances, la notion peut faire l’objet d’une évaluation neutre, à tout le moins objective, la méthode grammaticale suivie pouvant être associée à celle des grammaires dont les catégories ont pu être tenues pour valides et opératoires à une période « pré-paradigmatique » de la science du langage [10].

25Dans cette perspective, ce qui caractérise principalement la « grammaire traditionnelle » c’est une approche cumulative des savoirs, qui la constitue en conservatoire des idées linguistiques. On peut ainsi plus clairement rendre compte du départ entre « grammaire traditionnelle » et « grammaire linguistique » d’une part, et entre « grammaire traditionnelle » et « grammaire scolaire » d’autre part [11].

26On notera toutefois que la nature conservatoire de la « grammaire traditionnelle », donc cumulative, c’est-à-dire faite de l’accroissement et du développement des connaissances, ne va pas sans contradiction avec le figement supposé du savoir véhiculé par la « tradition ». C’est que la « tradition », dans le discours linguistique, est finalement plus souvent un argument qu’un ensemble de données historiques précisément circonscrites.

2. LA « TRADITION » : UN ASPECT DE LA RHÉTORIQUE NORMATIVE DU DISCOURS LINGUISTIQUE

27En dépit de la qualité de certains travaux contemporains portant sur la structure énonciative des textes linguistiques (voir notamment Grossmann & Rink, 2004), l’observation de Berrendonner (1982) selon laquelle le discours linguistique semble avoir durablement échappé à la bienveillante attention des linguistes n’a guère perdu de son actualité. Or, pour ce domaine discursif comme pour d’autres technolectes, l’étude formelle est susceptible de fournir des éléments d’information précieux sur la consistance des notions visées par le matériel terminologique.

28Le discours linguistique des textes scientifiques et des textes de vulgarisation scientifiquement actualisés n’échappe pas à la normativité qui caractérise les ouvrages destinés à un large public et dont la vocation est principalement pédagogique. Toutefois, cette normativité, comme l’a montré Berrendonner (1982), s’inscrit dans une rhétorique de la prescription qui est d’autant plus efficace qu’elle repose principalement sur une stratégie d’implicitation. Ainsi lestextes normatifs grammaticaux dans leur diversité ont-ils d’ordinaire pour visée commune un effet perlocutoire qui est généralement d’amener le lecteur à adopter tel type d’énoncé et à renoncer à tel autre (dites/ne dites pas). Mais cet effet perlocutoire ne saurait être borné à la prescription d’usages langagiers, il concerne également, notamment dans les grammaires universitaires, qui visent un lectorat constitué tout à la fois d’étudiants et d’enseignants, des usages d’ordre métalinguistique (usages terminologiques et méthodologiques). C’est même là l’objet essentiel de leur rhétorique prescriptive. Ce sont quelques traces de ce cryptage de la prescription que l’on peut observer dans la textualisation de la « tradition » en matière de description grammaticale.

29On en prendra pour rapide exemple le traitement de la notion d’ « apposition » dans un corpus constitué de vingt-six textes, au projet linguistique différent, couvrant les quarante dernières années [12]. Les textes de ce corpus sont des ouvrages représentatifs de la diversité du discours grammatical en linguistique française, dont ils n’épuisent évidemment pas la matière sur le plan notionnel ni sur le plan formel. Le type de vulgarisation qu’ils illustrent varie notablement d’un ouvrage à l’autre, en fonction des projets éditoriaux. La notion d’ « apposition » peut donc faire l’objet d’une indexation très différente d’un texte à l’autre, selon l’importance du commentaire métalinguistique (certains des ouvrages du corpus ne l’indexent d’ailleurs pas). N’ont été retenues ici que quelques-unes des mentions les plus significatives. Par commodité, elles ont été soulignées. La spécificité de cette exemplification s’explique dans une large mesure par le caractère controversé de la notion, et par la grande difficulté de son application en dehors de tout cadrage théorique [13].

30

Texte 1 : L’apposition (ou ce que les grammaires appellent généralementapposition) suit d’ordinaire le mot ou les mots qu’elle complète […]. Habituellement l’apposition (ou la prétendue « apposition ») se joint au nom par simple juxtaposition […]. […] ce que la tradition considère comme « apposition » peut être regardé comme un terme détaché par construction appositive, mais se trouve, en réalité, subordonné au segment qu’il spécifie. (202)
Texte 2 : Dans la pratique, une longue tradition impose d’utiliser certaines étiquettes pour dénommer les fonctions. Voici celles que nous avons retenues et employées dans cet ouvrage. (24)
Texte 3 : Le qualifiant postposé peut se détacher par une pause, notée par une virgule. Cette construction appartient à la fonction nommée officiellement apposition. (78)
Texte 5 : Certaines grammaires font état d’autres fonctions, en signalant généralement qu’elles ne sont pas exactement sur le même plan que les précédentes :l’apposition, l’apostrophe. Comme l’indique Wagner-Pinchon (p. 25), le mot apposition « ne dénote pas une fonction à proprement parler, mais un cas particulier de la construction que nous appelons mise en position détachée ». (99)
Texte 6 : Le terme traditionnel d’apposition recouvre une série d’emplois du nom […]. […] on dit parfois de l’adjectif qu’il est apposé dans les constructions du type quelqu’un d’intelligent, personne de beau, etc. […] on parle également d’adjectif apposé dans les cas où l’épithète est séparée du reste de la phrase par une double pause : cet élève, paresseux, a été renvoyé du lycée. (69-70)
Texte 16 : Les épithètes détachées [note : Cette fonction est appelée « apposé » ou « mis en apposition » ou « apposition » dans la terminologie traditionnelle. On a adopté ici l’appellation d’épithète détachée parce que la fonction est exactement la même que celle d’épithète, à la seule différence qu’au lieu d’être accolée au nom, l’épithète en est détachée par une virgule, une pause, ou d’autres mots] (156)
Texte 18 : Les constructions du troisième type [ex. la barrière du langage] n’ont rien d’appositif. Elles sont pourtant souvent assimilées à des appositions (C.f. l’analyse traditionnelle de la ville de Paris) pour la seule raison qu’elles marquent une relation d’identité référentielle entre le nom et son complément. (188) Les positons détachées attributives – Il s’agit tout d’abord des GN apposés, traditionnellement appelés appositions. Cette dénomination est acceptable si on la prend dans son sens strictement formel et étymologique où apposition signifie « position à côté de ». (190-191)
Texte 20 : Greffée sans copule sur un terme quelconque de la prédication première, la prédication seconde confère à son thème la fonction d’apposé, à son rhème la fonction d’apposition. Sont rassemblés de la sorte les « appositions », « épithètes détachées » et « attributs du complément d’objet », voire « apostrophe » des grammaires. (516)
Texte 21 : Une distinction doit être établie entre les CD [i.e constructions détachées] dont nous venons de décrire les principales caractéristiques et certaines constructions que la tradition appelle « appositions » et qui recouvrent des syntagmes nominaux dotés d’un déterminant. (24)

31Le discours sur la notion d’ « apposition » est ici, pour l’essentiel, un discours rapporté. Dans le cadre étroit des séquences retenues, dont on n’a gardé que de très courts extraits, on note que les auteurs de ces textes de vulgarisation ne cherchent nullement à afficher la volonté d’une contribution personnalisée à la problématique, ils cherchent plutôt à afficher la volonté d’une observance des contraintes normatives propres au discours grammatical, lequel construit sa légitimité dans la reconnaissance explicite de sa nature doxale et du caractère nécessairement compilatoire de l’activité grammairienne. Il convient toutefois de préciser que cette doxalité affecte moins les analyses proposées par ces auteurs, dont certains sont des spécialistes reconnus de la notion, que le préambule terminographique qui les introduit [14].

32Le point commun de ces différentes formes de référence à la « tradition » réside dans l’indétermination de la source énonciative et historique du savoir grammatical évoqué, et dans le cryptage de la prescription normative. Cette référence s’exerce effectivement de manière subreptice dans la présentation de la notion pour marquer la distance prise par l’auteur avec le terme lui-même : qualificatifs lexicaux ou typographiques de distanciation porteurs d’une valeur axiologique le plus souvent négative (la prétendue « apposition » ; la fonction nommée officiellement apposition ; les « appositions », « épithètes détachées » et « attributs du complément d’objet », voire « apostrophe » des grammaires, etc.) ; circonstants et qualificatifs temporels indistincts (généralement ; d’ordinaire ; habituellement ; une longue tradition, etc.) ; surénonciation (désinscription énonciative et cognitive du scripteur au profit d’une instance englobante indéterminée) : ce que les grammaires appellent ; ce que la tradition considère comme ; certaines grammaires ; on dit ; on parle ; cette fonction est appelée […] dans la terminologie traditionnelle ; traditionnellement appelés, etc.). La prescription, implicite, consiste donc ici à sous-entendre la non-pertinence d’un modèle explicatif reçu par héritage dans lequel se trouve engagée la « tradition », tout en entérinant de manière oblique la notion visée (l’apposition) par son indexation dans la terminologie grammaticale. La « tradition grammaticale » est ainsi tout à la fois dénoncée et respectée [15].

33Le lecteur ne peut saisir, par les quelques mentions soulignées dans les séquences 1 à 21, que le point d’aboutissement méthodologique et terminologique d’un processus de grammatisation très complexe [16], dont la connaissance permettrait pourtant seule de comprendre les différents aspects et les enjeux de la problématique appositive. L’historicisation est en effet la condition de lisibilité des notions dont l’archive a permis, par la tradition grammaticale, de pérenniser l’usage au fil des siècles. Si la rétrospection ne peut seule pourvoir à l’opérativité des concepts grammaticaux, la perspective achronique n’en reste pas moins un obstacle épistémologique majeur, en ce qu’elle maintient et accroît l’opacité des termes affectés à leur dénomination.

34La « tradition », dans le discours linguistique, sert donc de cache normatif à un savoir historique non capitalisé, méconnu, et disqualifié par avance en raison d’un statut pré-paradigmatique tenu pour obsolète.

3. LA « TRADITION GRAMMATICALE » : DE L’HISTORIOGRAPHIE À L’ÉPISTÉMOLOGIE

35Si l’on se place à présent non plus au niveau de la notion ou du terme mais, plus largement, à celui de l’ensemble des travaux visant à rendre compte des propriétés objectives des langues, la tradition grammaticale apparaît tout à la fois (i) comme une archive, au sens historiographique, c’est-à-dire comme l’ensemble des textes produits et recueillis répondant à cet objectif, et susceptibles notamment de se prêter à l’établissement d’un corpus représentatif des grammaires du français, (ii) mais aussi comme un discours scientifique, c’est-à-dire comme un ensemble d’analyses récurrentes qui maintiennent au cours de l’histoire, avec des aménagements possibles, leurs hypothèses, leurs postulats, parfois leur terminologie.

36L’analyse qui suit tente de dégager quelques caractéristiques objectives de la tradition grammaticale française, française étant interprétée à la fois comme « du français » et « en France ». Elle se fonde essentiellement sur l’examen d’un corpus représentatif de 25 grammaires de référence du français publiées au cours de la première moitié du XXe siècle (Lauwers, 2004a), c’est-à-dire à une époque où la grammaire « linguistique » s’est mise en place, en grande partie en dehors de la France. Cette analyse permettra non seulement de combler la vacuité du concept de « tradition grammaticale » (3.1.), mais nous amènera aussi à procéder à une amorce d’évaluation de l’approche culturaliste, en contrastant les habitudes de la tradition grammaticale française avec celles de la tradition allemande (3.2.). Historiographique et épistémologique à la fois, cette analyse souligne l’importance de la contextualisation (3.3.).

3.1. La « tradition grammaticale »

37La production grammaticographique de la première moitié du XXe siècle repose sur un socle de savoirs communs, qui reproduit certaines conceptions issues de la grammaire (scolaire) du XIXe siècle et des époques antérieures.

38Sur le plan de l’articulation globale de l’analyse de la phrase et des catégories descriptives qu’elle met en oeuvre, on constate que la tradition grammaticale française – mais sans doute aussi plus largement européenne – se caractérise par sa bidirectionnalité. Elle tente de concilier une approche ascendante (syntaxe des mots) et une approche descendante (syntaxe de la phrase). On retrouve ici l’esprit de la double analyse (analyse grammaticale et analyse logique), dont l’histoire a été décrite en détail par André Chervel (1977).

39Dans l’approche ascendante, les fonctions syntaxiques sont décrites à partir des classes de mots, lesquelles forment des répartitoires fonctionnels qui visent à entériner la pertinence de cette distinction catégorielle (le nom est sujet, le nom est complément d’objet, le nom est apposition, l’adjectif est épithète, etc.). On trouve l’empreinte de cette approche dans les grammaires dont le plan se résume à une morphologie et une syntaxe des parties du discours, ainsi que dans le traitement sélectif des groupes fonctionnels (dans le grand arbre sera abattu, c’est arbre qui est appelé sujet, et non pas le s y n t a g m e le grand arbre).

40La perspective descendante aborde les fonctions syntaxiques à partir de la segmentation sémantico-logique de la proposition, ce qui conduit à une bipartition logique de la phrase, au XIXe siècle, ou, plus tard, à l’identification de blocs sémantiques (sujet, complément d’objet, complément circonstanciel, etc.), dont la délimitation et la définition est assez souvent une affaire purement sémantique. Parmi les principaux excès de cette approche, signalons la décomposition du verbe fini (dort ? est dormant) pour satisfaire à la structure bipartitedu jugement (au XIXe siècle, avec quelques résurgences notables au XXe), la théorie du double sujet auprès de la construction impersonnelle et l’application de l’épithète « logique » à d’autres secteurs encore, chaque fois que les plans grammatical et sémantique sont découplés.

41Or, ce n’est pas tant la bidirectionnalité en soi qui pose problème, mais surtout les incohérences qu’elle engendre. Ainsi, on assiste à des conflits « frontaliers » dans les zones où les deux perspectives entrent en concurrence, d’où la coexistence de deux conceptions du complément (sémantique et catégorielle) et de deux classements (complément du sujet, etc. vs complément du nom, etc.). En outre, les mêmes étiquettes désignent tantôt les groupes (nominaux) complets, tantôt les têtes, ce qui se reflète aussi dans la coexistence de deux termes pour la notion de fonction (terme de la proposition vs fonction). Qui plus est, certaines fonctions ne sont pas traitées dans le chapitre sur l’analyse de la proposition (par exemple l’épithète), mais sont rattachées à l’une ou l’autre partie du discours. Au fond, l’analyse de la phrase est minée par une discontinuité profonde, comme le montrent le peu de soin qu’on accorde à l’interface entre le niveau des parties du discours et celui des fonctions et l’absence de concepts intermédiaires tels que le syntagme (ou groupe de mots).

42Les tentatives de remédiation qu’on note çà et là – l’introduction de la notion de « groupe de mots » et l’établissement de classes fonctionnelles transversales (adjectivales, adverbiales, etc.) – témoignent en général d’un manque de systématicité et d’intégration, à défaut de modèles « linguistiques » tout faits. Seul le structuralisme genevois (par le biais du concept de transposition) trouve un certain écho (Lauwers, 2004a).

43La bidirectionnalité intervient de manière cruciale dans l’architecture des fonctions, dont le nombre ne cesse d’augmenter depuis Noël et Chapsal (Lauwers, 2004a), toujours est-il dans une logique essentiellement sémantique.

44Toutes les grammaires du corpus conservent un noyau de sept parties du discours (nom, verbe, adverbe, préposition, conjonction, adjectif, pronom), dont les deux dernières ont une extension variable. Ce noyau est complété par d’autres classes, qui sont cependant moins stables (essentiellement l’interjection, l’article et le numéral).

45Quant à la méthode descriptive et au soubassement explicatif des grammaires, il faut reconnaître que ceux-ci restent largement implicites. Fidèles à leur ascendance scolaire (XIXe siècle) et à leur finalité « pratique », les grammaires se passent le plus souvent d’une bibliographie. Elles ne discutent guère les analyses d’autrui et si elles le font, les références restent très vagues, le plus souvent anonymes. Formalisation, visualisation et quantification ne font pas partie des habitudes. Le pourcentage moyen de termes définis se situe autour de 60 %, mais varie [17] considérablement d’une grammaire à l’autre.

46On trouve dans ces grammaires des manipulations qui semblent préfigurer les futurs tests syntaxiques (Lauwers, 2002a). Leur fonctionnement est cependantminé par une forte tendance à la « sémantisation » – qui se reflète par exemple dans le goût de la paraphrase (sémantique) non contrôlée par la forme –, par ailleurs influencée par la nouvelle pédagogie grammaticale (vers 1910), qui criait haro sur les procédures mécaniques déconnectées du sens en vertu de la finalité communicative de la grammaire. Ces manipulations ont donc mauvaise presse, d’autant plus qu’elles débouchent parfois sur des constructions non attestées (ex. il m’a donné : il a donné à moi). En fait, elles interviennent a posteriori, après l’analyse, comme une espèce de raccourci, et si jamais elles risquent d’ébranler les découpages sémantiques de l’analyse, on les écarte, comme le test d’effacement dans le cas des compléments circonstanciels (Lauwers, 2002b). Les analogies superficielles ne sauraient masquer le fait que le statut épistémologique de ces « tests » est tout à fait différent du statut qu’on leur attribue de nos jours.

47La tradition grammaticale, notamment en France, se caractérise aussi par la position centrale des figures de grammaire (pléonasme/mot explétif, l’ellipse, l’inversion au sens large et l’anacoluthe), qui se maintiennent dans les grammaires du corpus, quoiqu’en ordre dispersé. Elles normalisent les énoncés transgressant le présupposé isomorphique forme/sens qui se cristallise chez nombre d’auteurs français dans la thèse de l’analyticité (syntagmatique et paradigmatique) de la langue française (Lauwers, 2004a). Par ailleurs, et de manière plus générale, la tradition grammaticale (française) reste fortement tributaire de la stylistique qui lui sert d’échappatoire. En effet, l’évocation d’effets stylistiques et le confinement à la syntaxe « affective » (la stylistique au sens de Bally), relèvent d’une stratégie d’étiquetage (hors système), qui tend à se substituer à une véritable analyse grammaticale.

48À ces constantes s’ajoutent bien sûr des éléments de variation et d’innovation (Lauwers, 2004a : 680-683), qui ne font plus partie du noyau de ce qu’on pourrait appeler la « tradition grammaticale ».

3.2. La « tradition grammaticale française »

49La bidirectionnalité (conflictuelle) qui caractérise la tradition grammaticale fait aussi entrevoir le propre de la tradition grammaticale française (ou francophone), par contraste avec la tradition allemande (ou germanophone) (Lauwers, 2005a). En gros, en Allemagne, l’impact de l’analyse descendante (sémantico-logique) est beaucoup plus fort qu’en France, pays à forte tradition ascendante (et catégorielle). On peut s’en rendre compte dans le découpage des fonctions secondaires et du groupe verbal. Dans les grammaires de facture française, les fonctions secondaires portent l’empreinte des parties du discours auxquelles elles sont indissociablement liées : le complément est un nom, l’épithète un adjectif, l’apposition un nom. Dans la tradition allemande, en revanche, leurs homologues – qui ne le sont donc que de manière superficielle – s’inscrivent dans une logique descendante et correspondent à des entités sémantico-fonctionnelles (Attribut / Apposition / (attributive) Bestimmung). Dans le même sens, les grammaires allemandes dissocient la notion logico-fonctionnelle de « prédicat », entité à constitution formelle variable (qui peut prendre la forme d’un simple verbe fléchi), et le Verb ou Zeitwort, c’est-à-dire le verbe en tant que partie du discours, alors que les Français se limitent à un seul terme, le verbe.

50Quand on considère les grammaires du français publiées en Allemagne – qui empruntent de nombreuses habitudes d’analyse à la grammaire allemande –, la liste des divergences s’allonge. Ainsi, on note la quasi-absence des figures de grammaire, l’absence d’un terme correspondant à proposition (à côté de phrase,Satz), le statut pronominal des déterminants [18] et l’intégration (sporadique) de la perspective informationnelle (thème/rhème, mais psychologisés).

51La raison profonde de ces différences d’optique semble devoir être cherchée dans les contingences de l’histoire, plutôt que dans les langues qui font l’objet de la description grammaticale. On notera à ce propos l’altérité profonde des cadres théoriques dans lesquels s’inscrivent les pères fondateurs de la grammaire scolaire dans les deux pays (Becker vs Noël et Chapsal) et le poids qu’a eu la réflexion théorique sur la phrase [19] en Allemagne dans la seconde moitié du XIXe siècle, à travers le courant psychologisant (Graffi, 2001).

52Comme les propriétés intrinsèques des langues décrites y sont pour très peu, une approche culturaliste et historicisante des traditions grammaticales paraît justifiée (jusqu’à un certain niveau), à condition de ne pas les enfermer dans une conception nationale. Sans doute le concept d’ « espace linguistique » (francophone, germanophone, etc.) offre-t-il des découpages plus valides, qui interagissent, ensuite, avec les spécificités nationales (catalysées, e.a. par des interventions officielles), encore que la plupart des caractéristiques relevées pour la tradition « allemande » semblent se retrouver aussi dans les grammaires du néerlandais, par exemple.

3.3. La tradition replacée dans son contexte

53Si l’analyse historique de la tradition grammaticale contient des éléments qui confirment les jugements rétrospectifs et achroniques portés sur la grammairetraditionnelle (cf. 1. et 2.), il importe néanmoins de bien la contextualiser. Il se pourrait en effet que les contenus de la description grammaticale soient tributaires d’un certain format descriptif et de certains facteurs institutionnels.

54D’abord, le genre ou format descriptif qui sert de véhicule au discours grammatical de la tradition, les grammaires, se présente comme un ouvrage de synthèse, voire de compilation, à finalité pratique, donc extrinsèque (cf. supra). Le rôle de ce format descriptif, dénué de toute ambition théorique et assez souvent conçu dans un esprit normatif, fut d’autant plus grand en France que le « marché grammatical » français accusait un retard en matière de revues spécialisées (Huot, 1993 ; Chevalier, 1998 ; Lauwers, 2004a).

55À regarder les auteurs des principales grammaires de la première moitié du XXe siècle, on repère parmi eux un nombre considérable de professeurs de l’enseignement secondaire et même quelques francs-tireurs (ex. Damourette & Pichon). Les universitaires, quant à eux, étaient soit des professeurs de littérature (plus d’un tiers), soit des spécialistes de philologie médiévale, de rhétorique, dedialectologie, etc. La grammaire, prise comme la description systématique du français contemporain, ne constituait pas leur priorité scientifique. La faible visibilité académique de la discipline grammaticale, également perceptible dans la production de thèses de doctorat, explique en partie l’inertie de ce domaine : la plupart des auteurs restent prisonniers d’un système de description axé sur la reproduction du savoir grammatical à vocation pédagogique, et publient peu d’articles, et s’ils en publient, il s’agit assez souvent de « chroniques grammaticales » ou d’analyses littéraires, qui, pour intéressantes qu’elles soient, ne sont pas de nature à tracer des frontières disciplinaires. On comprend tout l’impact qu’a pu avoir dans cette « tradition » l’horizon de rétrospection [20], et, en retour, le faible taux de réinscription de la discipline.

56Cet aperçu montre qu’il est possible de parler d’une tradition grammaticalecomme d’un ensemble discursif caractérisé par la reproduction de certaines normes qui constituent une espèce de substrat commun, même si les références explicites à une « matrice disciplinaire » font défaut. Il reste à voir jusqu’où s’étend la validité de ces normes. Sans doute faut-il considérer l’espace français, ou, plus largement, francophone, comme le locus d’un ensemble discursif doté de quelques spécificités, qui s’emboîte dans un ensemble plus vaste (par exemple la tradition occidentale) avec lequel il partage un socle commun.

CONCLUSION

57Prendre comme objet d’investigation la tradition grammaticale permet donc de noter que, dans son ensemble, le discours linguistique, qui sollicite en permanence et de manière critique la notion, notamment pour doter d’un surcroît de scientificité certaines analyses grammaticales « raisonnées », ne reconnaît pas pour autant à cette étiquette le statut d’unité terminologique, dans la mesure où il ne peut lui appliquer une définition conventionnelle stable. Il ne saurait, par conséquent, lui conférer une quelconque épaisseur explicative. L’usage argumentatif et axiologique de cette dénomination opaque visant un objet incertain est à cet égard significatif d’un mode de fonctionnement du discours sur les langues et le langage, qui repose plus qu’on ne le pense sur la prescription normative. Cette faible consistance de la notion s’explique ainsi largement par la difficulté de la science du langage à faire coexister dans un même cadre d’analyse et dans un même discours la description des propriétés objectives des langues, l’historiographie et l’épistémologie de la discipline. Dès lors qu’elle se trouve mise en perspective historique et conceptuelle, la notion de « tradition grammaticale » révèle au contraire le bénéfice scientifique qui peut en être retiré. Les aspects discutés dans la dernière section font ainsi entrevoir tout l’intérêt d’un champ de recherches sur la tradition grammaticale, champ qui reste à défricher. Celui-ci pourrait avoir pour objet la comparaison, dans une perspective historique et épistémologique, du « génie » et de l’évolution des traditions grammaticales dans chacundes pays de l’Europe [21], les échanges et influences mutuelles [22], les rapports de force entre les « habitudes » de la tradition et les spécificités des langues objets, l’impact de la réflexion en linguistique générale [23], et, enfin, les compromis que doivent négocier les auteurs des grammaires portant sur une langue étrangère, qui sont à cheval sur deux traditions.

Références bibliographiques

  • ARRIVÉ M., GADET F., GALMICHE M. (1986) La grammaire d’aujourd’hui - Guide alphabétique de linguistique française, Paris, Flammarion.
  • AUROUX S. (1989) « Le langage et la science : une visée historique », in M.-J. Reichler-Béguelin (dir.), Perspectives méthodologiques et épistémologiques dans les sciences du langage, Berne, Peter Lang : 51-68.
  • AUROUX S. (1994) La révolution technologique de la grammatisation - Introduction à l’histoire des sciences du langage, Liège, Mardaga.
  • AUROUX S. (1998) La raison, le langage et les normes, Paris, PUF.
  • AUROUX S. (dir.) (2000) Histoire des idées linguistiques, t. 3, L’hégémonie du comparatisme, Liège, Mardaga.
  • BÉCHADE H.-D. (1986) Syntaxe du français moderne et contemporain, Paris, PUF.
  • BÉGUELIN M.-J. & alii (2000) De la phrase aux énoncés : grammaire scolaire et descriptions linguistiques, Bruxelles, De Boeck/Duculot.
  • BERRENDONNER A. (1982) L’éternel grammairien. Étude du discours normatif, Berne, Peter Lang.
  • BERRENDONNER A., LE GUERN M., PUECH G. (1983) Principes de grammaire polylectale, Lyon, Presses Universitaires de Lyon.
  • BERRENDONNER A., REICHLER-BÉGUELIN M.-J. (1989) « Décalages : les niveaux de l’analyse linguistique », Langue française, 81 : 99-124.
  • CHARAUDEAU P. (1992) Grammaire du sens et de l’expression, Paris, Hachette.
  • CHARLE Chr. (1994) « Paris/Berlin. Essai de comparaison des professeurs de deux universités centrales », in Chr. Charle éd., Les universités germaniques. XIXe-XXe siècles, INRP, Service d’histoire de l’éducation : 75-109.
  • CHAROLLES M., COMBETTES B. (1999) « Contribution pour une histoire récente de l’analyse du discours », Langue française, 121 : 76-116.
  • CHERVEL A. (1973) « La Grammaire traditionnelle et l’orthographe », Langue française, 20 : 86-96.
  • CHERVEL A. (1977) Et il fallut apprendre à écrire à tous les petits Français : histoire de la grammaire scolaire, Paris, Payot [2e édition, 1982].
  • CHEVALIER J.-C. (1975) « Situation de la linguistique française. Cinq ans de recherches et de production (1969-1974) », L’information littéraire, 1 : 20-25.
  • CHEVALIER J.-C. (1994) Histoire de la grammaire française, Paris, PUF, « Que sais-je ? ».
  • CHEVALIER J.-C., BLANCHE-BENVENISTE C., ARRIVÉ M., PEYTARD J. (1964) Grammaire Larousse du français contemporain, Paris, Larousse.
  • CHEVALIER J.-C. (1998) « Place des revues dans la constitution d’une discipline : la linguistique française (1945-1997) », Langue française, 117 : 68-81.
  • CHISS J.-L., FILLIOLET J., MAINGUENEAU D. (1992) Linguistique française – Communication, syntaxe, poétique, Paris, Hachette.
  • CHISS J.-L., PUECH C. (dir.) (1998) « La linguistique comme discipline en France », Langue française, 117.
  • CHISS J.-L., PUECH C. (1999) Le langage et ses disciplines – XIXe-XXe siècles, Paris-Bruxelles, De Boeck-Duculot.
  • COLOMBAT B. (2004) Corpus des textes linguistiques fondamentaux, « Présentation du corpus des grammaires », « Pourquoi un corpus représentatif des grammaires et des traditions linguistiques ? », http://www.ens-lsh.fr/labo/ctlf/, pages « Documents de référence », Lyon, École Normale Supérieure « Lettres et Sciences humaines ».
  • COLOMBAT B., LAZCANO E. (dir.) (1998-2000) Corpus représentatif des grammaires et des traditions linguistiques, Paris, Société d’histoire et d’épistémologie des sciences du langage (SHESL), Histoire épistémologie langage, Hors-série n? 2 (1998) et n? 3 (2000).
  • COLOMBAT B., SAVELLI M. (dir.) (2001) Métalangage et terminologie linguistique, Leuven, Peeters.
  • COMBETTES B. (1998) Les Constructions détachées en français, Paris-Gap, Ophrys.
  • CREISSELS D. (1995) Éléments de syntaxe générale, Paris, PUF.
  • DENIS D., SANCIER-CHATEAU A. (1994) Grammaire du français, Paris, Hachette, « Livre de poche ».
  • ELUERD R. (2002) Grammaire descriptive de la langue française, Paris, Nathan.
  • FLAUX N. (1993) La grammaire, Paris, PUF, « Que sais-je ? ».
  • FOURNIER N. (1998) Grammaire du français classique, Paris, Belin.
  • GARDES-TAMINE J. (1990) La Grammaire, 2/ Syntaxe, Paris, Armand Colin.
  • GARY-PRIEUR M.-N. (1985) De la grammaire à la linguistique - L’étude de la phrase, Armand Colin, Paris.
  • GRAFFI G. (2001) 200 Years of Syntax. A critical Survey, Amsterdam, Benjamins.
  • GREVISSE M. (1980) (11e édition), Le bon Usage - Grammaire française avec des remarques sur la langue française d’aujourd’hui, Paris-Gembloux, Duculot (1re édition 1936).
  • GROSSMANN F., RINK F. (2004) « La surénonciation comme norme du genre : l’exemple de l’article de recherche et du dictionnaire en linguistique », Langages, 156 : 34-50.
  • HUOT H. (1993) « Le français moderne, 1933-1993. Bilan et analyse d’un demi-siècle d’activités », in Les études de linguistique en Europe. Actes du Colloque international de Cluny 9 – 10 septembre 1993. Autour du français moderne, Conseil international de la langue française : 17-32.
  • HYMES D. (éd.) (1974) Studies in the History of Linguistics. Traditions and Paradigms, Bloomington-London, Indiana University Press.
  • HYMES D. (1983) Essays in the History of Linguistic Anthropology, Amsterdam, Benjamins.
  • KUHN T. (1962) The Structure of Scientific Revolutions, Chicago, University of Chicago Press ; trad. fr. de L. MEYER, La structure des révolutions scientifiques, Paris, Flammarion, « Champs », 1983.
  • KUHN T., 1970, Postface – 1969, in Seconde édition augmentée de KUHN (1962).
  • KUHN T. (1977) The Essential Tension, Chicago, The Chicago University Press ; trad. fr. de M. BIEZUNSKI, P. JACOB, A. LYOTARD-MAY et G. VOYAT, La tension essentielle, Paris, Gallimard, 1990.
  • LAUWERS P. (2002a) [2003], « La notion de “test syntaxique” dans les grammaires de la première moitié du XXe siècle », Lingvisticae Investigationes, 25/1 : 49-70.
  • LAUWERS P. (2002b) « Forces centripète et centrifuge. Autour du complément circonstanciel dans la grammaire ‘traditionnelle’ de la première moitié du XXe siècle » Travaux de Linguistique, 44 : 117-145.
  • LAUWERS P. (2004a) La description du français entre la tradition grammaticale et la modernité linguistique. Étude historiographique et épistémologique de la grammaire française entre 1907 et 1948, Leuven/Paris/Dudley, Peeters.
  • LAUWERS P. (2004b) « John Ries et la Wortgruppenlehre. Une tradition allemande de renouveau syntaxique », Beiträge zur Geschichte der Sprachwissenschaft, 14, 2 : 203-250.
  • LAUWERS P. (2005a) « La description syntaxique du français à travers le prisme des traditions grammaticales française et allemande » in J.-Cl. BEACCO, J.-L. CHISS, F. CICUREL, D. VÉRONIQUE, Les cultures éducatives et linguistiques dans l’enseignement des langues, Paris, PUF : 47-67.
  • LAUWERS P. (2005b) « Les stratégies d’analyse de phénomènes marginaux dans la grammaire française “traditionnelle” », Faits de Langues, 25 : 75-78.
  • LAZARD G. (2006) La quête des invariants interlangues. La linguistique est-elle une science ?, Paris, Champion.
  • LE GOFFIC P. (1993) Grammaire de la phrase française, Paris, Hachette.
  • LE QUERLER N. (1994) Précis de syntaxe française, Caen, Presses Universitaires de Caen.
  • LEDUC-ADINE J.-P., VERGNAUD J. (dir.) (1980) « La terminologie grammaticale », Langue française, 47.
  • LEEMAN D. (dir.) (1979) « Sur la grammaire traditionnelle », Langue française, 41.
  • LEROT J. (1993) Précis de linguistique générale, Paris, Éditions de Minuit.
  • MAINGUENEAU D. (1994) Syntaxe du français, Paris, Hachette.
  • MILNER J.-C. (1989) Introduction à une science du langage, Paris, Éditions du Seuil [2e édition, abrégée, 1995].
  • MINISTÈRE DE L’ÉDUCATION (1975) Nomenclature grammaticale pour l’enseignement du français dans le second degré, INDP, brochure 6082, Paris.
  • MINISTÈRE DE L’ÉDUCATION NATIONALE, DE LA RECHERCHE ET DE LA TECHNOLOGIE (1998)Terminologie grammaticale, Paris, CNDP.
  • MULLER C. (2002) Les bases de la syntaxe. Syntaxe contrastive français-langues voisines, Bordeaux, Presses Universitaires de Bordeaux.
  • NEVEU F. (1996) « La notion d’ “apposition” en linguistique française : perspective historique », Le français moderne, 1, t. LXIV : 1-27.
  • NEVEU F. (1998) Études sur l’apposition, Paris, Honoré Champion.
  • NEVEU F. (dir.), 2000, « Nouvelles recherches sur l’apposition », Langue française, 125.
  • NEVEU F. (2001) « Des marges de la phrase aux marges de la grammaire - Sur la grammatisation de « l’annexe syntaxique » en français », in J. DEMARTY-WARZÉE et J. ROUSSEAU (éd.), Faire une grammaire/faire de la grammaire, Paris, Les Cahiers du CIEP : 66-73.
  • PETIOT G. (2000) Grammaire et linguistique, Paris, Armand Colin-SEDES.
  • PLATTNER P. (1899-1908) Ausführliche Grammatik der französischen Sprache. Eine Darstellung der modernen französischen Sprachgebrauchs mit Berücksichtigung der Volkssprache, Karlsruhe, Bielefeld.
  • REPORT [An.] (1923) [8e édition], On the terminology of Grammar. Being the report of the Joint Committee on Grammatical Terminology, London, J. Murray [1re 1911].
  • RIEGEL M., PELLAT J.-C., RIOUL R. (1994) Grammaire méthodique du français, Paris, PUF.
  • SÉRIOT P. (1989) « Peut-on dire d’une linguistique qu’elle est « nationale » ? », in M.-J. REICHLER-BÉGUELIN (éd.), Perspectives méthodologiques et épistémologiques dans les sciences du langage, Berne, Peter Lang : 15-40.
  • SÉRIOT P. (1999) « La théorie des deux sciences dans la linguistique russe et soviétique »,in D. CRAM, A. LINN, E. NOWAK (éds.), History of Linguistics (1996) Vol. 1 : « Traditions on Linguistics Worlwide ». Selected Papers from the 7th International Conference on the History of the Language Sciences (Oxford, 12-17 September 1996), Amsterdam, Benjamins : 301-312.
  • SOUTET O. (1989) La syntaxe du français, Paris, PUF, « Que sais-je ? ».
  • STÉFANINI J. (1994) Histoire de la grammaire, Paris, CNRS Éditions.
  • SUMPF J. (1972) « Les traits principaux de la tradition linguistique française », Langue française, 14 : 70-98.
  • TOMASSONE R. (dir.) (2001) Une langue : le français, Paris, Hachette.
  • TOURATIER C. (1998a) « Extraposition et structuration informative », Bulletin de la Société de linguistique de Paris, t. XCIII, fasc. 1 : 59-76.
  • TOURATIER C. (1998b) « Les grammaires universitaires françaises de ces dix dernières années », Le français moderne, t. LXVI, 1 : 73-102.
  • WAGNER R.-L., PINCHON J. (1962) Grammaire du français classique et moderne, Paris, Hachette.
  • WEINRICH H. (1989) Grammaire textuelle du français, Paris, Didier/Hatier, « Alliance française », traduit par G. DALGALIAN et D. MALBERT.
  • WILMET M. (1997) Grammaire critique du français, Louvain-la-Neuve, Duculot-Hachette.

Date de mise en ligne : 01/01/2010

https://doi.org/10.3917/lang.167.0007

Notes

  • [1]
    « La nécessité d’établir un corpus représentatif des grammaires et des traditions linguistiques […] correspond à l’idée que, précisément, il existe une « tradition », c’est-à-dire un cumul des connaissances comparable, toutes proportions gardées, à celui qui est observable dans les autres sciences et à l’idée qu’il est vain de voir dans tel ouvrage ou telle théorie la naissance de la linguistique prétendue “moderne” » (Colombat, 2004).
  • [2]
    « La Physique d’Aristote, l’Almageste de Ptolémée, les Principia et l’Optique de Newton, l’Électricitéde Franklin, la Chimie de Lavoisier et la Géologie de Lyell – tous ces livres et bien d’autres ont longtemps servi à définir implicitement les problèmes et les méthodes légitimes d’un domaine de recherche pour des générations successives de chercheurs. S’ils pouvaient jouer ce rôle, c’est qu’ils avaient en commun deux caractéristiques essentielles : leurs accomplissements étaient suffisamment remarquables pour soustraire un groupe cohérent d’adeptes à d’autres formes d’activité scientifique concurrentes ; d’autre part, ils ouvraient des perspectives suffisamment vastes pour fournir à ce nouveau groupe de chercheurs toutes sortes de problèmes à résoudre. Les performances qui ont en commun ces deux caractéristiques, je les appellerai désormais paradigmes, terme qui a des liens étroits avec celui de science normale. En le choisissant, je veux suggérer que certains exemples reconnus de travail scientifique réel – exemples qui englobent des lois, des théories, des applications et des dispositifs expérimentaux – fournissent des modèles qui donnent naissance à des traditions particulières et cohérentes de recherche scientifique […] » (Kuhn, 1962 [1983] : 29-30).
  • [3]
    « Le mot “tradition” employé seul, tout comme l'adjectif “traditionnel” a un sens nettement axiologique, qui l'oppose à la notion de “modernité”. Le même mot accompagné d'un adjectif peut désigner de façon neutre, non axiologique, un courant philosophique (la tradition platonicienne, la tradition des Encyclopédistes), une sensibilité (la tradition romantique), une certaine approche du monde (la tradition économiste, la tradition atomiste), et être alors l'équivalent de théorie, enseignement, école, courant. En anthropologie culturelle la “tradition” désigne l'appartenance à un ensemble culturel (la tradition mélanésienne), mais on trouve aussi le terme accolé à des adjectifs renvoyant à des réalités plus proches des nôtres : la tradition intellectuelle occidentale, ou tout simplement la tradition nationale. Lorsque l'adjectif renvoie à une religion, l'axiologie est déjà sous-jacente, avec des objets dont les frontières sont plus nettement dessinées, et dont l'évolution semble figée par un corps de doctrine : la tradition chrétienne, musulmane, bouddhiste. Cette nuance de figement s'étend dès lors à tout courant de pensée hostile par principe à tout changement, à toute notion d'évolution (la tradition slavophile, byzantine, une tradition millénaire). On parle ainsi de la tradition classique, mais l'expression “la tradition moderne” aurait-elle un sens ? On s'aperçoit vite, cependant, qu'il est malaisé, voire impossible, de faire un tri sûr entre les deux acceptions, neutre et axiologique, du mot “tradition” ». (Sériot, 1999 : 301)
  • [4]
    « Les grammaires occidentales s’enracinent dans une tradition millénaire, grecque essentiellement, puis latine, plus tard hébraïque, puis cosmopolite, tradition le plus souvent profondément enfouie, comme le cerveau reptilien, mais qui peut revenir au jour sous certaines conditions. La grammaire française, depuis le Moyen Âge, subit le formidable poids de l’histoire et des théories du passé ». (Chevalier, 1994 : 3)
  • [5]
    L’analyse distributionnelle, le développement des modèles génératifs, l’intégration de la composante supraphrastique (dans les modèles fonctionnalistes, notamment), l’intégration de la problématique référentielle, le passage d’une approche discrète à une approche prototypique de la catégorisation, l’apparition d’approches multifactorielles, le découplage conceptuel (sujet/ thème/agent ; head/functor/base), etc., pour caractéristiques qu’ils soient du développement de la science du langage au XXe siècle, résultent ainsi moins d’une véritable révolution paradigmatique que de ce long travail de rationalisation, de filtrage et d’approfondissement du savoir linguistique. Voir Lauwers (2005). Sur la linguistique comme « proto-science », voir Lazard (2006 : 17-33).
  • [6]
    Voir Berrendonner (1982) : « Il y a […] plus qu’une lourde présomption que l’antagonisme officiel entre grammaire et linguistique ne soit qu’un leurre. La conclusion qui s’impose, c’est bien que la linguistique, en fidèle héritière des textes grammaticaux antérieurs, assure actuellement la pérennité du discours normatif, et en remplit les fonctions essentielles ». Rappelons la définition proposée par Jean-Claude Milner (1989) : « La linguistique désire être une science. En dehors de ce désir, elle n’a aucun statut et n’a plus qu’à se confondre avec les pratiques, après tout fort anciennes et fort estimables, qu’on regroupe sous le nom de grammaire ».
  • [7]
    « Les grammaires traditionnelles sont généralement des grammaires “à tout faire”. Elles servent indifféremment pour l’analyse, l’interprétation, la description, l’apprentissage, l’usage correct d’une langue, etc. Leur domaine d’observation se limite généralement à l’usage écrit de la langue. Dans la plupart des cas, l’observation porte sur le langage littéraire, qui jouit d’un préjugé favorable. Ce choix est évidemment à mettre en rapport avec la perspective normative qui caractérise la plupart des grammaires. Les grammaires traditionnelles n’utilisent aucune théorie, aucun modèle linguistique de référence. Elles abordent différents plans de description sans les distinguer rigoureusement. Elles identifient les phénomènes et les classent selon des catégories souvent héritées de l’antiquité mais adaptées à la spécificité des langues particulières. Le classement, souvent intuitif, est rarement explicité par des tests. Dans une grammaire traditionnelle, de nombreux phénomènes sont décrits sans être expliqués ». (Lerot, 1993 : 105)
  • [8]
    En particulier : Sumpf (1972) ; Leeman (1979) ; Leduc-Adine & Vergnaud (1980) ; Berrendonner (1982) ; Berrendonner & alii (1983) ; Berrendonner & Reichler-Béguelin (1989) ; Le Goffic (1993) ; Flaux (1993) ; Wilmet (1997) ; Touratier (1998a) ; Charolles & Combettes (1999) ; Béguelin (2000).
  • [9]
    Sur ce point, voir, entre autres, des travaux aussi différents que ceux de : Chervel (1973, 1977) ; Chevalier (1975, 1994) ; Stéfanini (1994) ; Auroux (1994, 1998, 2000) ; Chiss & Puech (1998, 1999) ; Petiot (2000) ; Tomassone (2001) ; Colombat & Savelli (2001).
  • [10]
    « La grammaire traditionnelle est une (des) grammaire (s) savante (s), reposant sur des approches théoriques et méthodologiques datées des époques où elle a été élaborée. Son corps de savoir s’appuie donc sur un état ancien de connaissances et d’analyses, maintenu avec respect jusqu’à nos jours. C’est cette absence de renouvellement, ce maintien d’analyses devenues des dogmes qui la définissent et la distinguent des grammaires “linguistiques” liées aux travaux contemporains. On peut considérer ses approches comme figées, car n’intégrant plus de nouvelles données et de nouveaux points de vue et ne révisant pas ses certitudes […]. Ce qui caractérise en premier lieu l’état actuel de “la” grammaire, c’est cette accumulation de points de vue, de règles et d’analyses qui […] ne se périme pas. Tout manuel de grammaire est, de ce point de vue, à la fois un livre présentant une approche de la langue et un conservatoire d’approches autres, qui ne sont pas toujours appréhendées comme dépassées ou caduques : par exemple, aux parties du discours on ajoute les “classes distributionnelles” ou “syntaxiques”, alors que ces deux notions appartiennent à deux approches différentes que l’on juxtapose sans expliquer en quoi elles diffèrent » (Petiot, 2000 : 16-17).
  • [11]
    « Les grammaires linguistiques ont pour visée de décrire les langues et leurs variétés, autrement dit d’en analyser les structures (les organisations) pour en dégager des règles, c’est-à-dire des modèles, permettant de rendre compte des emplois réalisés, hors toute approche normative. La langue, extraite des énoncés réalisés, est leur objet d’étude […]. […] La grammaire dite “scolaire” est destinée à l’apprentissage par le plus grand nombre des fonctionnements de la langue. Ayant partie liée avec l’histoire de l’enseignement, et tout particulièrement à partir de l’instauration de l’école obligatoire, elle est, par nature, simplificatrice et quelque peu en retrait par rapport aux grammaires linguistiques » (Petiot, 2000 : 19-20).
  • [12]
    Les textes sont classés chronologiquement, de 1 à 26 : Grevisse (1936/1980) : texte 1, Wagner & Pinchon (1962/1991) : texte 2, Chevalier & alii (1964) : 3, Ministère de l’EN (1975) : texte 4, Gary-Prieur (1985) : texte 5, Arrivé & alii (1986) : texte 6, Béchade (1986) : texte 7, Soutet (1989) : texte 8, Weinrich (1989) : texte 9, Gardes-Tamine (1990) : texte 10, Chiss & alii (1992) : texte 11, Charaudeau (1992) : texte 12, Le Goffic (1993) : texte 13, Lerot (1993) : texte 14, Denis & Sancier-Chateau (1994) : texte 15, Le Querler (1994) : texte 16, Maingueneau (1994) : texte 17, Riegel & alii(1994) : texte 18, Creissels (1995) : texte 19, Wilmet (1997) : texte 20, Combettes (1998) : texte 21, Fournier (1998) : texte 22, Ministère de l’EN (1998) : texte 23, Béguelin & alii (2000) : texte 24, Eluerd (2002) : texte 25, Muller (2002) : texte 26.
  • [13]
    Voir notamment Neveu (2000).
  • [14]
    On peut appeler endoxales, sur le modèle de la définition aristotélicienne des endoxa, ces idées grammaticales communes référées à une Autorité (ou à une Entité : Berrendonner, 1982), Autorité qui constitue la source énonciative du savoir, que le scripteur grammairien met en scène en en présupposant l’existence et en en rapportant les normes.
  • [15]
    Voir Berrendonner (1982 : 101-102) : « Il est fort possible que le discours didactique soit le complément inévitable grâce auquel le discours de la linguistique dite « fondamentale » peut aboutir à des conséquences normatives, sans avoir à les assumer comme siennes. Réserver l’énoncé de certaines propositions trop évidemment normatives, et par là trop compromettantes, à un discours « pédagogique » déconsidéré d’avance par son statut d’ « application technique », ce peut être un bon moyen, pour la linguistique qui se dit « fondamentale », de garder les mains pures, et de cacher le lien logique qui fait de ces propositions la conséquence inférable du discours qu’elle tient « scientifiquement ». Au linguiste le prestige de l’objectivité et de la clairvoyance, au pédagogue l’infamie des normes qui en découlent. »
  • [16]
    Voir Neveu (1996, 1998, 2000).
  • [17]
    La grammaire de l’Allemand Plattner (1899-1908), qui s’en remet entièrement au parallélisme avec les catégories grammaticales allemandes, se permet même de ne définir aucun terme.
  • [18]
    Cette analyse n’est pas tout à fait inconnue à la tradition française.
  • [19]
    Citons aussi Was ist Syntax ? de John Ries, qui a inauguré un important mouvement de renouveau en syntaxe (voir Lauwers 2004b).
  • [20]
    À ce propos, remarquons qu’on préférait citer les grammairiens des siècles passés, plutôt que de discuter les propositions des linguistes contemporains.
  • [21]
    Qui pourrait se doubler d’une analyse comparative de l’histoire institutionnelle de la linguistique dans chacun des pays (cf. Charle, 1994).
  • [22]
    Comme vers 1910, à l’époque de la réforme des nomenclatures grammaticales. Il s’en est fallu de peu pour que le comité britannique chargé de la réforme s’aligne sur la tradition française en adoptant les termes epithet et attribute (Report, 1923 : 10).
  • [23]
    Celle-ci est un peu plus autonome par rapport aux espaces culturels.

Domaines

Sciences Humaines et Sociales

Sciences, techniques et médecine

Droit et Administration

bb.footer.alt.logo.cairn

Cairn.info, plateforme de référence pour les publications scientifiques francophones, vise à favoriser la découverte d’une recherche de qualité tout en cultivant l’indépendance et la diversité des acteurs de l’écosystème du savoir.

Retrouvez Cairn.info sur

Avec le soutien de

18.97.14.80

Accès institutions

Rechercher

Toutes les institutions