Langages 2005/3 n° 159

Couverture de LANG_159

Article de revue

Saussure, Benveniste et la littérature

Pages 56 à 73

Notes

  • [1]
    Publié par C. Bally et A. Sechehaye, avec la collaboration de A. Riedlinger, Lausanne, Paris, Payot, 1916.
  • [2]
    Établis et édités par Simon Bouquet et Rudolf Engler avec la collaboration d’Antoinette Weil, Gallimard, 2002. Ce recueil prend la suite des publications faites à partir de l’observation de manuscrits de Saussure par Robert Godel (Les Sources manuscrites du Cours de Linguistique Générale de Ferdinand de Saussure, Droz, Genève, 1957) et par Rudolf Engler (qui a donné une édition critique du Cours en 1974, Otto Harrassowitz, Wiesbaden). Il bénéficie de la découverte d’un ensemble de manuscrits originaux en 1996, à l’occasion de travaux dans l’orangerie de l’hôtel genevois de la famille de Saussure.
  • [3]
    Op. cit. p. 117.
  • [4]
    Sans intention maligne assurément mais sans doute par cette propension des vulgarisateurs à s’emparer de tout ce qui prête à formalisation conforme à la doxa pour résumer une doctrine nouvelle. Ornières du dualisme !
  • [5]
    Cahier de l’Herne « Saussure », dirigé par Simon Bouquet (2003). L’article de François Rastier, intitulé « Le silence de Saussure ou l’ontologie refusée » figure p. 23 à 51 et cette formule p. 28.
  • [6]
    Définitions externes qui évitent d’entrer dans le débat prématuré de la littérarité. Pour une approche de ce point de vue, voir Michel Arrivé, « Saussure et la littérature », dans Le Langage comme défi (Henri Meschonnic dir.), PUV, 1991, p. 215-225.
  • [7]
    J. Starobinski, Les Mots sous les mots : les anagrammes de Ferdinand de Saussure, Paris, Gallimard, 1971.
  • [8]
    Problèmes de linguistique générale, I, Gallimard, 1966, « Remarques sur la fonction du langage dans la découverte freudienne » (1956), p. 83.
  • [9]
    « Interpréter : de la langue à la parole », Saussure, L’Herne, « Cahiers », op. cit., p. 293-306. Cf. Bouquet (2003b).
  • [10]
    Béatrice Turpin (2003), « Légendes – mythes – Histoire. La circulation des signes », in L’Herne, op. cit., p. 314.
  • [11]
    Gallimard, « Bibliothèque des idées », 356 pages.
  • [12]
    On peut consulter de Mahammad Djafar Moinfar, la Bibliographie des Travaux d’Émile Benveniste, Paris, Société de Linguistique de Paris, 1975 (extrait des Mélanges linguistiques offerts à Émile Benveniste). Dans un article intitulé « L’œuvre d’Émile Benveniste », cet ami intime de Benveniste signale qu’il a classé les papiers du linguiste après son hospitalisation et qu’il a constitué un dossier « Études du discours poétique » : près de trois cents feuilles de notes et de textes analysant le langage poétique où « de nombreux textes sont consacrés à Baudelaire », Linx n° 26 (1992-1), p. 24. Ces notes dorment encore dans des bibliothèques. Espérons qu’elles en sortiront un jour…
  • [13]
    Voir G. Dessons, Émile Benveniste, coll. Référence, Bertrand-Lacoste, 1993, p. 122-125 ; Jean-Claude Milner, Le Périple structural. Figures et paradigmes, chapitre Benveniste II, Seuil, 2002, p. 87-113 et Françoise Bader, Incontri Linguistici 22 (1999), p. 11-55.
  • [14]
    Voir ci-après.
  • [15]
    Né à Alep en Syrie le 27 mai 1902, Ezra Benvenite arrive à Paris seul en 1913, comme boursier de l’Alliance Israëlite Universelle. Au lieu de poursuivre dans la voie qui devait l’amener au rabbinat, il choisit de faire des études de lettres, passe le baccalauréat puis une licence de lettres. Pour se présenter à l’agrégation (il y est reçu en 1922), il fait une demande de naturalisation qui devient définitive en 1924. Après un an de séjour en Inde et son service militaire, il succède à Meillet à l’École Pratique des Hautes Études en 1927.
  • [16]
    « Liber et Liberi », Revue des études latines, 14/1, 1936, p. 52-58.
  • [17]
    Milner, op. cit., p. 92.
  • [18]
    Par ailleurs son collègue à l’EPHE.
  • [19]
    A. Kojève, Introduction à la lecture de Hegel, Paris, Gallimard, 1947, p. 11.
  • [20]
    On sait par ailleurs que Husserl avait été parmi ses lectures favorites et que sa théorie du sujet doit beaucoup au père de la phénoménologie. Lire sur cette question Jean-Claude Coquet, « Note sur Benveniste et la phénoménologie », Linx 26 (1992-1), p. 41-48.
  • [21]
    Avec Pierre Daix, dans l’hebdomadaire dirigé par Aragon Les Lettres françaises, n° 1242 (24-30 juillet 1968) et avec Guy Dumur, dans le supplément littéraire mensuel de l’hebdomadaire « nouvelle gauche » Le Nouvel Observateur, n° 210 bis (20 nov-20 déc), l’un et l’autre repris dans les PLG 2.
  • [22]
    Op. cit., p. 101-107.
  • [23]
    « La forme et le sens dans le langage », PLG 2, chap. XV, 215-238.
  • [24]
    « Sémiologie de la langue », PLG 2, chap. III, 43-66.
  • [25]
    On sait que Les Cahiers sont composés en mosaïque, par fragments et superpositions.
  • [26]
    Rainer Maria Rilke, Les Cahiers de Malte Laurids Brigge, récit, préface de Patrick Modiano, traduction de Maurice Betz, Seuil, 1966, p. 11.
  • [27]
    Selon la formule de Michel Vanoosthuyse, « L’abject et le sublime dans Les Cahiers de Malte Laurids Brigge », in Christian Klein, dir, Rainer Maria Rilke et Les Cahiers de Malte Laurids Brigge. Écriture romanesque et modernité, Masson/Armand Colin, Paris, 1996, p. 129-146.
  • [28]
    On notera que l’écriture de ce bref compte rendu est remarquable de fermeté et de souplesse, comme en témoigne bien l’incipit : « Touché d’abord, et pour rompre les prestiges d’un pareil enchantement, on voudrait armer l’analyse d’une vertu d’exorcisme. » À peine âgé de 22 ans, Benveniste appelle à la fondation d’une « critique dynamique » et analyse avec une étonnante pénétration le double mouvement de dissolution dans le monde et de reprise critique qui caractérise, selon lui, la sensibilité de Rilke : « La sensibilité qui pénètre d’abord aux plus intimes replis des êtres jusqu’à s’identifier avec eux, à voir soudain, par un brusque retournement, le visage toujours pareil, se rétracter en un sursaut » (extraits cités par D. Moïnfar, 1992, p. 17).
  • [29]
    Toutes les références des écrivains cités ont été retrouvées, certaines par Madame Bader, d’autres par le professeur Pinault dans « Compléments littéraires à la lecture d’Émile Benve niste », Incontri Linguistici 25 (2002), p. 197-199. Émile Benveniste n’a donc inventé aucune référence, comme le pensait Mme Bader.
  • [30]
    Par exemple elle formule l’hypothèse que s’il est fait mention d’Ariel dans ce texte, c’est parce que « Ariel opère la jonction entre Ezra [Ar(iel)] et [(Ar)iel] ».
  • [31]
    Voir George-Jean Pinault, art. cit.
  • [32]
    Il est intéressant de noter que pour cette page de Melville, Benveniste ne se satisfait pas de la traduction donnée en 1941 par Lucien Jacques, Joan Smith et Jean Giono, traduction qu’il avait pourtant utilisée pour la première citation de Melville. Cette traduction rendait ainsi le second passage cité : « C’était une claire journée d’un bleu d’acier. Les espaces de l’air et de la mer étaient tout pénétrés d’azur. Mais le ciel, doucement clair et pur avait quelque chose de féminin, tandis que la mer robuste était un mâle dont la poitrine se soulève en de puissants et lents halètements, comme Samson endormi.
    De-ci, de-là, très haut, voguaient les ailes blanches comme de la neige de petits oiseaux immaculés. Ils semblaient être les douces pensées féminines du ciel, tandis que, rôdant au sein des profondeurs, très bas, sous l’insondable bleu, les puissants léviathans, les espadons et les requins, mêlaient leurs nages, et ils étaient les pensées fortes, meurtrières et troubles de la mer virile », pensant ainsi traduire au mieux le texte américain qui est le suivant : « It was a clear steel-blue day. The firmaments of air and sea were hardly separable in that all-pervading azure; only, the pensive air was transparently pure and soft, with a women slook, and the robust and man-like with long, strong, lingering swells, as Samson’schest in his sleep. Hither, and thither, on high, glided the snow-white wings of small, unspeckled birds; these were the gentle thoughts of the feminine air; but to and fro in the deeps, far down in the bottomless blue, rushed mighty leviathans, sword-fish, and sharks; and these were the strong, troubled, murderous thinkings of the masculine sea ».
    La traduction Gallimard de ce passage de Melville, essentiel à sa démonstration, est irrecevable pour Benveniste à bien des titres. Contentons-nous de signaler la traduction floue de firmaments par espace, puis de (pensive) ou (feminine) air par ciel (alors que l’air est un élément bachelardien fondamental), de souligner la métaphorisation poétisante (voguaient, immaculés) des traducteurs Gallimard pour the snow-white wings of small, unspeckled birds que Benveniste rend dans sa forte simplicité, de l’affaiblissement de rushed en mêlaient leurs nages et enfin, last but not least !, le redressement de masculine sea en mer virile.
    Une éthique de la traduction est ici à l’œuvre.

1La linguistique et la littérature entretiennent-elles entre elles une véritable complémentarité ? Certains linguistes le pensent (Jakobson par exemple), d’autres non (Chomsky par exemple). Pour les premiers, les théories linguistiques (voire stylistiques) qui ignorent la pratique du langage dite artistique, poétique ou littéraire (celles de Bally ou des structuralistes américains) ou excluent une partie de celle-ci (Bakhtine) déséquilibrent gravement leur perspective de recherche tandis que les théorisations purement littéraires, qu’elles soient d’inspiration esthétique, historique ou sociale (de Boileau à Lanson puis à Jauss ou Bourdieu) manquent de puissance explicative. Ce qui expliquerait que l’édifice aristotélicien où poétique, grammaire et rhétorique se donnent la main défie les siècles !

2D’ailleurs cette relation entre linguistique et littérature n’est pas symétrique puisque la linguistique est une discipline dans le champ des sciences humaines dont le premier problème est de définir son objet tandis que la littérature est un objet d’étude, le point crucial étant de déterminer le point de vue à partir duquel sera étudiée la production littéraire, ce qui ne peut se faire qu’en se tournant vers toutes les sciences humaines, singulièrement l’histoire, la sociologie, la psychanalyse, l’anthropologie mais aussi la psychologie cognitive, la géographie ou la statistique. Et bien entendu vers la linguistique, « nouvelle » science héritière de la grammaire, de la grammaire comparée et de la philologie. Pourtant l’esprit étroitement positiviste dans lequel s’est développée et diffusée la linguistique à la fin du 19e siècle et au 20e siècle semble avoir exclu toute référence à la littérature et donné raison à la seconde école de pensée évoquée à l’instant. Encore aujourd’hui, beaucoup de départements universitaires de linguistique fonctionnent de manière très fermée, aux États-Unis en particulier, dans une définition stricto sensu de la linguistique comme science de la langue.

3On voudrait montrer ici que s’il y a bien, hier comme aujourd’hui, une prudence un peu scientiste sur le regard que les linguistes de stricte obédience portent sur la littérature, la théorisation de Saussure puis celle de Benveniste s’accompagnent d’une réflexion sur les textes littéraires, voire de pratiques de l’écriture littéraire, et ouvrent clairement, si on prend la peine de les lire jusque dans leurs incertitudes, sur le sens que véhicule le discours des textes, parmi lesquels les textes littéraires occupent une place de choix. Pour le comprendre il faut toutefois balayer les distorsions, voire les trahisons, dont leur pensée a été l’objet.

1 – Saussure

4« La linguistique a pour unique et véritable objet la langue envisagée en elle-même et pour elle-même » ; cette phrase qui clôt le Cours de Linguistique Générale[1] est célèbre et fonctionne comme une définition basique de la linguistique saussurienne. Or on sait aujourd’hui que cette phrase est apocryphe (reprise au linguiste F. Bopp) et n’a certainement jamais été prononcée sous cette forme et de manière aussi péremptoire par Saussure, tout simplement parce qu’elle ne correspond pas à sa pensée. Le Cours est une « recréation » faite par Bally et Sechehaye à partir de notes de toutes sortes d’étudiants, d’une série de cours étalés sur trois ans, cours auxquels les rédacteurs n’ont pas, de leur propre aveu, assisté intégralement. Certes la distinction entre la langue et la parole est une hypothèse opératoire bien présente chez Saussure mais elle ne correspond nullement dans sa réflexion à un partage étanche entre les deux ni donc à la possibilité d’étudier seule la langue ou seule la parole. Les Écrits de Linguistique Générale[2] sont clairs sur ce point : « la phrase n’existe que dans la parole, dans la langue discursive, tandis que le mot est une unité vivant en dehors de tout discours dans le tissu mental » [3] ou cette interrogation qui ouvre la « Note sur le discours » : « la langue n’est créée qu’en vue du discours, mais qu’est-ce qui sépare le discours de la langue, ou qu’est-ce qui, à un certain moment, permet de dire que la langue entre en action comme discours ? ». Ces phrases témoignent justement des problématiques propres à Saussure. Les distorsions multiples que Bally et Sechehaye ont fait subir à la pensée de leur maître [4] sont à l’origine de la dérive formaliste de la linguistique structurale des années soixante/quatre-vingt, excluant le sens, la sémantique et le sujet, soi-disant inspirée de Saussure mais en vérité contraire à ce qu’il pensait et écrivait.

5Sans doute, dira-t-on, mais les manuscrits étaient loin d’être alors aussi bien connus que maintenant. Certes. C’est pourquoi on ne s’attachera pas ici à redresser les faits en utilisant les Écrits contre le Cours mais à montrer que les constantes recherches de Saussure sur diverses formes de littérature constituent la preuve pratique du rôle actif et nécessaire de la parole dans une linguistique qu’on croit restreindre au domaine de la langue. Or ces recherches ont été connues dès les années 1970 mais on a en quelque sorte refusé d’y croire, inventant par exemple l’idée d’un Saussure double, dangereux schizophrène détruisant la nuit ce qu’il professait le jour.

6Il n’en est évidemment rien.

7Si la langue peut être considérée comme une « anthologie invétérée des pratiques de parole », selon une formule de François Rastier [5], la littérature, prise au sens large comme ensemble des discours culturels qui lisent et constituent une société en tant que telle, est le lieu du sens par excellence. Et singulièrement la littérature prise dans un sens plus restreint, comme l’ensemble des discours reçus comme artistiques et reconnus comme tels par les instances légitimantes [6]. Et cela explique que Saussure, pourtant par ailleurs si imprégné de l’idéologie positiviste de son temps qui renvoyait l’approche du littéraire au goût de l’honnête homme, n’ait cessé de chercher dans la littérature la manifestation d’éléments spécifiques récurrents et pertinents, qui lui permettraient de construire une linguistique de la parole, c’est-à-dire si l’on veut bien y songer, une sémantique et/ou une poétique. Une poétique qui ne travaille pas sur un corpus anthologique de citations indurées dans la langue mais sur la production d’un discours vivant.

8Le travail obstiné de Saussure sur les anagrammes [7] ne se comprend que si on n’oublie pas le véritable but de l’entreprise. On a beaucoup dit que l’échec final de ce travail sur les poètes latins primitifs provenait de ce qu’il s’était obstiné à chercher un responsable conscient des procédés anagrammatiques repérables dans les textes : l’auteur, et que, s’il avait connu la psychanalyse, il aurait été tiré d’affaire, si l’on peut dire. Ce qui n’est juste que du point de vue de ceux qui croient que l’inconscient a un langage susceptible de « produire » le texte, voire de ceux qui croient que la langue parle d’elle-même pour peu qu’on l’écoute. Or, comme Benveniste le notera un demi-siècle plus tard, il n’y a pas de « connexion ‘vécue’ entre la logique onirique et la logique d’une langue réelle » [8] et les projections que l’on peut faire de l’un sur l’autre sont aventurées. Ce que Saussure cherche, plus exactement ce dont il aurait eu besoin, c’est plutôt un sujet de la parole, lequel peut certes se manifester dans la seule réitération de grammes ou dans celle d’éléments lexicaux mais implique plus largement une prise en charge du texte comme discours, comme production de sens.

9Pour bien comprendre la complexité de la question, illustrons ce point par un exemple concret récent. Dans un débat animé par Simon Bouquet, spécialiste reconnu de Saussure, entre François Rastier (FR), André Green et Jean Starobinski [9], on assiste à un intéressant échange dont je cite des extraits significatifs :

10

FR : Saussure a bien perçu certains procédés de la textualité hiératique dans l’Antiquité. Des procédés comme l’anagramme ou le palindrome se trouvent par exemple chez Héraclite, et ces formes complexes sont de tradition dans ce qu’on a appelé l’oratio vincta, sorte de langage lié, de poésie « tressée ». Ces formes d’organisation radicalisent peut-être des processus tout à fait ordinaires de diffusion et de sommation, tant sur le plan de l’expression que sur le plan du contenu.
Un petit exemple : dans Madame Bovary on ne trouve que quatre fois le mot « ennui » ; et cependant Emma s’ennuie tout le temps. Dans un corpus de trois cent cinquante romans français, si l’on dépouille les occurrences et les collocations du mot « ennui », on trouve notamment « dimanche » et « araignée » ; en gros, le dimanche parce que c’est sans fin (un imperfectif) et l’araignée parce que ça tourne en rond (un itératif). Si vous projetez ces deux idées élémentaires (« qui se répète » et « qui est sans fin »), sur une phrase comme La conversation de Charles était plate comme un trottoir de rue et les idées de tout le monde y défilaient dans leur costume ordinaire
vous y verrez la réitération de ces deux éléments sémantiques : imperfectif, dans le « trottoir », dans « plate », dans l’imparfait même ; itératif, dans « défilaient », « ordinaire », etc. Bref le mot « ennui » reste absent mais tout baigne dans l’ennui. Si l’on partageait une conception « terminologique » du langage, si l’on estimait que tout est dit dans la signification du mot, on ne pourrait pas apercevoir ces modes de diffusion et de concentration, qui sont pour ainsi dire des anagrammes thématiques – mais ne se ramènent cependant pas à un mot ou à une proposition.
La textualité est faite d’inégalités qualitatives constantes, de sommations.

11Simon Bouquet reprend alors la parole pour dire que « Cet exemple de Madame Bovary nous montre que, partout, il y a des mots sous les mots », ce qui ne va du tout dans le sens de la démonstration de Rastier dont l’objectif est de montrer qu’un principe de textualité régit le texte sans qu’il s’agisse nécessairement de mots mais « d’éléments sémantiques ». Starobinski intervient alors pour rééquilibrer la démonstration de Rastier en disant

12

Il faut, je crois, confronter dans un texte le retour d’éléments phoniques – qu’ils soient produits par assonances et allitérations, ou à partir d’un « mot-thème » – et le retour d’éléments sémantiques homologues.

13Cet échange est instructif en ce qu’il montre la difficulté que des chercheurs contemporains éminents ont à avancer plus loin que Saussure lui-même : Bouquet en reste au vocabulaire, Rastier écarte la « naïveté » du mot caché (« ennui ») et fait une analyse recevable du tramage de la textualité par la « réitération d’éléments sémantiques » qui sont des « anagrammes thématiques » mais il ne parle pas de l’égalité numérique des deux propositions juxtaposées (réitération de type métrique et donc rythmique), de leur symétrie interne, symétrie « créatrice » comme le manifeste l’insolite qualification de « trottoir » par « de rue » ; à quoi bon cette complémentation en effet puisque tous les trottoirs sont « de rue » ? Quant à la reprise de Starobinski, elle parle de « confronter » « le retour d’éléments phoniques » ET « le retour d’éléments sémantiques » sans avancer autrement un point de vue unitaire. Il reste dans l’éternel face à face phonétique/sémantique comme le faisait d’ailleurs Rastier avec la distinction du plan de l’expression et d’un plan du contenu.

14Or, ce que Saussure, semble-t-il, sentait fortement, c’est la nécessité d’un point central de production du texte. D’où des formulations comme locus princeps ou mannequin, d’où le recours à l’individu-auteur doté d’un savoir poétique.

15Les recherches que Saussure a menées de 1903 à 1910, sur les Légendes et récits d’Europe du Nord (du 12e siècle au 14e siècle) l’ont aussi occupé de nombreuses années, années pendant lesquelles il menait de front ses recherches en linguistique générale et celles sur la poésie latine archaïque.

16Laissées à l’état de chantier, comme les autres entreprises, elles témoignent à leur tour de l’intérêt du linguiste pour les discours littéraires et de la conviction qu’il faut mener en symbiose le chantier linguistique stricto sensu et le chantier littéraire, parce que langue et parole ne se laissent pas séparer et que la littérature est, en tant que discours écrit, l’archive cardinale d’une société. Pour autant qu’on puisse en juger, il s’est attaché à suivre la transformation de signes de la légende (noms propres, noms symboliques et motifs narratifs), en pensant pouvoir montrer que le fait langagier initial, historiquement attesté, se transforme au fil d’une série d’opérations associatives. Saussure aboutit au terme de sa recherche à la conclusion que tout peut être transformé et que le sens se constitue selon des modes infiniment variables. Chaque unité de sens étant en effet au centre d’une constellation associative – ce qui est une des thèses du Cours, on s’en souvient – tient donc son identité d’un équilibre instable. Chaque contextualisation va redéfinir un équilibre nouveau :

17

Les études sur les légendes tentent de montrer comment une matière (traits éléments) s’organise dans le processus signifiant. Une unité de sens est vue comme un conglomérat de traits en équilibre instable – cette instabilité étant le résultat d’un processus différentiel : chaque trait, chaque unité est en rapport avec d’autres traits ou unités, ce rapport faisant que l’unité est toujours prête à se dissocier. Dans les études sur les légendes, Saussure compare l’unité à une bulle de savon ; dans ses cours de linguistique générale, il compare le signe à un ballon volant dans les airs (éd. Engler, tome 2, fasc. 4, p. 40), marquant chaque fois une possible analogie, pour finalement la nier : le signe de la légende, comme celui de la langue, ne saurait finalement être comparé à une unité positive. [10]
Comme si la parole commençait et finissait avec la mise en rapport, avec la mise en relation.
Il y a dans la sémantique saussurienne quelque chose de mallarméen, comme s’il revenait buter obstinément sur ce constat que l’identité du signe s’abolit continûment dans la pratique de la parole vivante.
Une dentelle s’abolit
Dans le doute du Jeu suprême
À n’entr’ouvrir comme un blasphème
Qu’absence éternelle de lit.
Cet unanime blanc conflit
D’une guirlande avec la même,
Enfui contre la vitre blême
Flotte plus qu’il n’ensevelit.

2 – Benveniste

18Si l’on s’affronte à l’œuvre d’Émile Benveniste avec le même projet, c’est-à-dire pour y interroger sa relation avec la littérature, on est d’abord frappé par le fait qu’il ne fut dans un premier temps considéré et reconnu que comme un comparatiste spécialiste de l’indo-européen, comme l’avait été en son temps Ferdinand de Saussure, remarqué pour son Mémoire de 1878. Dans un second temps, ce sont les propositions de Benveniste ou plutôt ses interrogations sur la constitution d’une linguistique générale qui retiendront l’attention par leur exigence et leur portée « philosophique » : là où en effet les linguistes de son temps, – au premier rang desquels était son maître Meillet – ne cherchaient qu’à « généraliser » les observations faites dans leur pratique descriptive, il insiste sur la nécessité d’une généralisation de type épistémologique, définissant les principes de description des langues. En cela aussi il est parfaitement dans l’esprit de la recherche de Saussure. Dans un troisième temps de sa démarche, il se centre plus particulièrement sur la deixis et se fait le théoricien de l’énonciation, mettant en question le dogme de l’arbitraire du signe, posant (« instanciant ») un sujet dans la dynamique du discours, semant les germes d’une « sémiologie universelle ». Prolonge-t-il ou dépasse-t-il Saussure ? Vain débat portant sur des mots ! En ce qui concerne cette évolution, il y a assurément un parallèle évident entre celle de Saussure et celle de Benveniste, comme un fil rouge qui trame à l’identique deux figures d’exception. En soulignant à nouveau que ce qui est présenté comme une évolution ne signifie pas une rupture entre un type de focalisation et un autre mais une sorte de recouvrement d’une problématique par une autre pour avancer vers une pensée plus élaborée du complexe.

19C’est le propos de l’ensemble de ce numéro d’en parler et le propos présenté ici cherche à faire entrer en ligne de compte un paramètre trop souvent oublié : la confiance que l’un et l’autre font à la littérature pour bien configurer la problématique du langage.

20Trois ans avant le silence auquel le condamnera l’aphasie, Benveniste fait paraître, en 1966, le premier volume des Problèmes de Linguistique Générale[11] constitué d’articles en majorité écrits après la Seconde Guerre Mondiale sur les grandes questions posées au linguiste du 20e siècle ; il y marque sa révérence à Saussure, « l’homme des fondements ». Après sa mort, paraîtra un second tome des Problèmes, agencé par M. D. Moïnfar. On notera que, d’une manière certes différente mais comparable sur certains points avec Saussure, nous ne disposons pas d’un Livre définitif où Benveniste aurait fait la synthèse de sa pensée mais de 48 articles qui peuvent non seulement proposer des approches différentes d’un même phénomène mais parfois ne pas se recouper, voire se contredire. Il existe de surcroît beaucoup d’autres articles qui n’ont pas été recueillis dans les PLG ; quant à ses papiers et ses notes personnelles, certains ont été perdus, d’autres sont encore à découvrir [12].
Si toutefois le corpus « officiel » de ses écrits n’offre pas (pas encore ?), comme ceux de Saussure, de réflexion directement consacrée à des textes littéraires, deux « instances » peuvent servir de point de départ pour qui veut considérer les origines ou les prolongements littéraires de la pensée de Benveniste : une instance politique, une instance poétique.

3 – L’instance politique

21En premier lieu en effet, des textes ou des actes politiques/littéraires qui précèdent son entrée dans la carrière universitaire. Résumons [13] : Émile Benveniste a cosigné trois textes contre la guerre coloniale du Rif dans le journal L’Humanité en 1925, dont une fameuse déclaration ouvertement anticolonialiste inspirée par les surréalistes : « La Révolution d’abord et toujours », avec bien d’autres certes mais au sein du « groupe des Philosophes », responsables de la revue Philosophies : Pierre Morhange, Georges Friedmann, Norbert Gutermann, Henri Lefebvre et Georges Politzer. À cette revue, il collabora d’ailleurs en donnant dès le premier numéro (mars 1924) le compte rendu de la traduction par Maurice Betz des Cahiers de Malte Laurids Brigge de Rilke, ce qui prouve qu’il était, au seuil de sa carrière de linguiste, connu au sein du groupe pour s’intéresser à la poésie [14].

22Aux dires de Paul Veyne (rapporté par J.-C. Milner) et Didier Pralon (rapporté par F. Bader), cette activité engagée aurait valu au jeune homme fraîchement naturalisé français [15] de gros ennuis lors de son service militaire au Maroc de 1926 à 1927 et c’est son histoire personnelle qui serait à la source du livre de Paul Nizan, La conspiration (1938) qui raconte comment un jeune étudiant en thèse se laisse aller au cours de son service militaire à transmettre des documents servant, soi-disant, à une conspiration et se retrouve en cellule. Sur la base de ces anecdotes biographiques, Jean-Claude Milner entreprend une relecture des travaux de Benveniste sous l’angle idéologique et politique. Il trouve la trace d’une lecture attentive de Hegel dans un article (non recueilli dans les PLG) [16] où figure le mot ‘dialectique’, encore très scandaleux à l’époque, et entend dans certaines phrases où Benveniste parle de sa relation à Saussure (par exemple : « C’est peut-être le meilleur témoignage de la fécondité d’une doctrine que d’engendrer la contradiction qui la promeut ») une véritable paraphrase de la progression d’une figure à l’autre de La Phénoménologie de l’esprit. « À moins, poursuit sur sa lancée Milner, que l’analogie ne se révèle plus ambitieuse encore : être à Saussure ce que Marx a été à Hegel, celui qui contredit et qui contredisant fait avancer » [17]. La définition de la subjectivité par Benveniste n’est pas non plus sans rappeler à ses yeux les termes mêmes dans lesquels Alexandre Kojève [18] commentait sa lecture de Hegel : « L’homme prend conscience de soi au moment où – pour la “première” fois – il dit : “Moi”. Comprendre l’homme par la compréhension de son “origine”, c’est donc comprendre l’origine du Moi révélé par la parole » [19]. Prenant appui sur d’autres écrits, Jean-Claude Milner montre la forte culture marxienne de Benveniste [20]. Pourquoi cette démarche n’a-t-elle pas abouti à un engagement concret, puisque, pour autant qu’on le sache, Benveniste n’a jamais adhéré au Parti Communiste ? Ce qui semble sûr, c’est qu’il se soit détourné très tôt de l’engagement individuel. Dans l’article de 1963, « La philosophie analytique et le langage » ce ne peut être par hasard, aux yeux de Milner, qu’il prenne comme exemple : « N’importe qui peut crier sur la place publique : “Je décrète la mobilisation générale”. Ne pouvant être acte faute de l’autorité requise, un tel propos n’est plus que parole ; il se réduit à une clameur inane, enfantillage ou démence » (PLG I p. 273). Les termes sont forts et Milner y lit un désaveu des enfantillages de jeunesse et donc des déclarations de 1925. Est-ce à dire désengagement et scepticisme ? Non, car tout indique un ferme ancrage « à gauche », comme on disait, mais le choix, désormais constant, de la discrétion et du retrait, d’autant plus qu’au fil du temps le Parti était devenu de moins en moins fréquentable et qu’il convenait d’attendre des changements.

2368 a-t-il été, pour lui, ce changement ? On peut le penser car ses propos saluent très nettement la fin d’une époque et le début d’une autre : « Actuellement, cela me frappe beaucoup, on voit le xxe siècle se défaire, se défaire très vite. […] On a le sentiment d’avoir traversé une de ces phases de transformation en quelques semaines » (PLG 2, p. 27). D’ailleurs, par deux entretiens avec des journalistes « de gauche » [21], il accepte de sortir de sa réserve et de reprendre contact avec le public non-spécialisé pour expliquer sa pensée et il le fait avec plus de netteté et d’audace qu’il ne l’avait jamais fait.
Il ne dit pas à proprement parler que le structuralisme est dépassé mais que cette doctrine « mal comprise, découverte tardivement » (p. 16) vaut pour analyser les éléments constitutifs d’une langue mais dès qu’on passe au social, ces notions se « dégradent » (p. 18). Le structuraliste travaille sur corpus mais « tout homme invente sa langue et l’invente toute sa vie » (p. 18) ; c’est de là qu’il faut partir désormais, non plus des structures sémiotiques de la langue mais de ‘l’homme parlant’ car « la pensée est reine et l’homme est tout entier dans son vouloir parler, il est sa capacité de parole » (p. 19). Nous devons maintenant entrer dans le sémantique, « c’est l’ouverture vers le monde » (p. 21). Certains concepts marxistes peuvent sans doute entrer dans ce cercle de notions mais « une fois dûment élaborés » (p. 25). Il persiste et signe dans le second entretien ces propos stupéfiants d’audace, réitérant sa condamnation du structuralisme (« Au sens strict le structuralisme est un système formel. Il ne dit absolument rien sur ce que nous appelons la signification » (p. 34), et l’intérêt de réfléchir aux analogies entre les mécanismes de l’inconscient qu’étudie la psychanalyse et les mécanismes rhétoriques du discours persuasif (p. 36). Une question du Guy Dumur (« Est-ce que le langage poétique est intéressant pour la linguistique » ?) donne l’occasion de cette réponse sidérante d’Émile Benveniste : « Immensément ».
Tout autre eût répondu : assurément, certainement, très intéressant. Cet immensément révèle la passion qui habite Benveniste dans ce domaine, son enthousiasme et un contact maintenu avec la force poétique. C’est sur cette affirmation de pouvoir du langage poétique qu’on s’arrêtera quelques instants, de sorte à mettre en parallèle avec l’instance idéologique bien mise en lumière, quoique de manière souvent allusive, par Jean-Claude Milner, l’instance poétique qu’il mentionne mais ne développe pas, préférant se pencher sur une instance judaïque [22].

4 – L’instance poétique

24Dans un article de 1966 recueilli dans les PLG 2 [23], Benveniste oppose fermement langage ordinaire et langage poétique : « Notre domaine sera le langage dit ordinaire, le langage commun, à l’exclusion expresse du langage poétique, qui a ses propres lois et ses propres fonctions ». Comme s’il était quelque peu gêné par cette affirmation d’une dichotomie radicale, il ajoute : « La tâche, on l’accordera, est déjà assez ample ainsi. Mais tout ce qu’on peut mettre de clarté dans l’étude du langage ordinaire profitera, directement ou non, à la compréhension du langage poétique, aussi bien ». Ce qui laisse entendre que les deux langages ne sont pas si séparés que cela et que la décision de mettre à part le langage poétique est, d’une certaine manière, provisoire.

25Plus tard, dans le grand article publié en 1969 [24] « Sémiologie de la langue » (dont la rédaction doit donc être contemporaine des interviews de 1968), Benveniste clarifie définitivement sa pensée : le signe est le mode de signifiance du sémiotique et donc de la langue, tandis que le sens, conçu globalement dans le discours, définit le sémantique, lequel « s’identifie au monde de l’énonciation et à l’univers du discours » (p. 64). Ce domaine sémantique, pressenti en tant que tel par Saussure, ne trouve pas chez lui sa juste caractérisation : le renvoi à la parole individuelle « ne résout rien » puisque l’individu n’est pas une instance linguistique et le maintien du signe dans le domaine sémantique est une erreur qui obère la réflexion. S’ouvrent donc deux perspectives de recherche : celle d’une linguistique du discours, sémiotique et celle d’une « métasémantique qui se construira sur la sémantique de l’énonciation » et s’occupera de « l’analyse translinguistique des textes, des œuvres » (p. 66).

26Prudence ici encore, ces textes ne sont pas dits « littéraires », ces œuvres ne sont pas dites « poétiques ». Comment ne pas penser pourtant que c’est là que l’apport « immense » du langage poétique évoqué plus haut peut et doit se situer ? Bien des indices témoignent de ce rapprochement continu de Benveniste vers le texte poétique, ne serait-ce que ses considérations sur les langages artistiques en général (musique, peinture, sculpture) montrant que ce sont des sémantiques sans sémiotique (p. 65). Or Benveniste n’est pas sans savoir que le texte poétique est présenté en général comme un texte artistique, que la poésie est définie communément comme un « art du langage » de sorte qu’elle se trouve en un lieu de convergence immensément intéressant. Il a pu lire dans ses Essais de Linguistique Générale (traduits en français et publiés en 1963) que son ami Jakobson critiquait la position d’un linguiste sourd à la fonction poétique du langage et développait une poétique fondée sur l’autotélisme et le parallélisme, donc sur des bases formalistes/structuralistes. Ce qui ‘appelait’ en quelque sorte une prise de position de sa part.

27Émile Benveniste a ainsi désigné « les ouvertures de sa propre théorie du langage » (Dessons, 1993), on pourrait même dire qu’il a créé une attente théorique. La seule explication de cette évolution est que le poème ne constitue pas à ses yeux un terrain d’application d’une théorie sémantique de l’énonciation mais un lieu de production du vivant.
Ce que, d’une certaine façon, les deux seuls textes littéraires qu’il produisit – les seuls connus à ce jour – disaient déjà

4.1 – Le compte rendu de Rilke

28Dans le premier numéro de la revue Philosophies du 15 mars 1924 figure un compte rendu par Émile Benveniste du livre de Rainer Maria Rilke, Les Cahiers de Malte Laurids Brigge dans la traduction de Maurice Betz, lequel ouvrage ne paraîtra qu’en 1926. Pourquoi un compte rendu par anticipation ? Sans doute à la demande que Rilke lui-même, très malade (il mourra fin 1925 de leucémie) en fit à son traducteur et que celui-ci répercuta.

29La revue Philosophies était une émanation du groupe du même nom qui regroupait des étudiants radicaux et gauchisants de l’École Normale Supérieure animés par Pierre Morhange. Elle n’eut que quelques numéros.

30Pourquoi le choix de Benveniste pour ce compte rendu de Rilke ? Le hasard d’une rencontre ? Probablement mais on peut aller plus loin.

31Françoise Bader pense que le tourment de Rilke est aussi celui de Benveniste et elle s’efforce de montrer que bien des épisodes de la vie misérable de Malte à Paris correspondent à des données biographiques de celle du jeune Benveniste depuis son arrivée à Paris à onze-douze ans en 1913 jusqu’à sa naturalisation en 1924. Elle établit en particulier un parallèle instructif entre le séjour de Malte à l’Académie nobiliaire et celui de Benveniste à l’École rabbinique. Pointant la force de révolte du jeune Ezra et la force qu’il lui fallut pour quitter cette école et braver ce faisant la réprobation de ses parents restés à l’étranger et la colère des autorités juives. Elle pense que la phrase des Cahiers : « Je ne suis pas éloigné de croire que la force de sa transformation ait consisté à n’être plus le fils de personne », avec une annotation « en marge du manuscrit » [25] « [cela, c’est finalement la force de tous les jeunes gens qui sont partis] » dut résonner profondément dans l’esprit du jeune homme. L’hypothèse a toute sa pertinence.

32Il ne faut pas oublier toutefois, au-delà des rapprochements biographiques ponctuels, la tonalité générale de l’œuvre de Rilke. Aussi bien Les Carnets que les Élégies de Duino sont hantés par la mort, présente dès la première phrase des Carnets : « C’est donc ici que les gens viennent pour vivre ? Je serais plutôt tenté de croire que l’on meurt ici » [26] et parfois omniprésente (p. 16-17, on ne compte pas moins de 16 occurrences de termes de la famille étymologique de « mort »). La mort et les morts « reviennent » perturber les vivants (Christine, Ingeborg) et leur rappeler que la séparation entre le monde des vivants et celui des morts est illusoire et qu’il faut dans ce monde-ci vivre l’expérience de la finitude. Comme les chiens qui sont « entre deux-mondes » : « je voudrais au moins pouvoir vivre parmi les chiens, dont le monde est parent du nôtre ». Le livre entier de Rilke est en effet une « expérience du sujet par le sujet lui-même » [27]. Le sujet doit s’affronter à l’animal, l’abject, l’ignoble en lui, regarder la charogne comme Baudelaire en eut la force, témoigner (pour le sublimer ?) de l’innommable : « Je me revois couché dans mon petit lit-cage, ne dormant pas, pressentant confusément qu’ainsi serait la vie : pleine de choses tout étranges, destinées à un seul et qui ne se laissent pas dire » (p. 87).
Ce à quoi Benveniste pût être sensible dans ce livre admirable, au-delà de ressemblances biographiques entre sa vie et celle du double de Rilke, c’est cette prégnance de la mort et la nécessité d’être assez fort pour partir et trancher les liens avec les amours terrestres qui affaiblissent et font souffrir : « Partir pour toujours. Beaucoup plus tard seulement il se rappellera avec quelle fermeté il avait alors décidé de ne jamais aimer, pour ne placer personne dans cette situation atroce d’être aimé » (p. 218). C’est-à-dire dans les termes benvenistiens (pour nous) qu’il utilisera quarante ans plus tard, de transformer l’individu en sujet.
Qu’il en ait été ainsi en profondeur n’est assurément qu’une hypothèse mais que l’examen du second texte littéraire peut crédibiliser [28].

4.2 – L’eau virile

33En 1945, Émile Benveniste publie « L’eau virile » dans l’unique numéro d’une revue de luxe intitulée Pierre à feu, avec le sous-titre Provence Noire, publiée par Maeght à Paris. 28 textes, réunis par Jacques Kober et Jacques Gardies et illustrés par 50 lithographies originales par André Marchand. Les textes sont très divers et ne semblent pas répondre à une consigne particulière ; le texte de G. Bachelard qui explore le thème du rocher est sans doute le plus proche de celui de Benveniste consacré à l’eau : « Un rêve de solidité et de résistance doit être mis au rang des principes de l’imagination matérielles. Le rocher est une image première, un être de la littérature active, de la littérature activiste » (p. 61).

34Poursuivant son entreprise de lecture biographique des textes « littéraires » de Benveniste, Françoise Bader décrypte littéralement les moindres détails du texte, l’ordre de citation des auteurs, les rapprochements possibles entre l’ensemble de leur œuvre et le texte de Benveniste, entre les situations de chacun des écrivains cités [29] et celle de Benveniste, découvrant des subtils jeux onomastiques [30] dans la tradition du Talmud et des oracles énigmatiques grecs. Le texte est donc une remontée dans le temps, une anamnèse littéraire (c’est le titre de cet article).

35Outre le fait qu’un certain nombre d’erreurs entachent la démonstration [31], la réduction de la littérarité du texte à un simple cryptage ésotérique de données biographiques enlève beaucoup d’intérêt et de gravité à un texte qu’on va essayer de lire plus simplement.

36Un bref rappel pour combler les trous de la biographie depuis que nous avons laissé Benveniste en 1927. La guerre n’a pas épargné le professeur à l’École Pratique des Hautes Études : simple soldat, il est fait prisonnier et le demeure de 1940 à 1941, s’évade, s’exile en Suisse jusqu’en 1944, tandis que son frère Henri part le 23 septembre 1942 par le convoi n° 35 pour Auschwitz d’où il ne reviendra pas. Ce texte de 1945 intervient donc, d’un point de vue existentiel, après de terribles épreuves et au moment d’un nouveau départ, comme une méditation sur les puissances de vie et les puissances de mort.

37Voici le texte.

38

L’EAU VIRILE
Dans une représentation animée et dynamique des éléments, il se constitue toujours des oppositions, non pas seulement d’un élément à l’autre, mais d’un aspect à l’autre du même élément. L’imagination, docile à une suggestion qui émane de la matière, tend à dissocier en figures contrastées et de sexe opposé des notions que la raison tient pour simple et permanentes. La langue, les légendes témoignent de cette dualité, que les poètes réinventent chaque fois et d’autant plus sûrement que leur expression est plus authentique. Notons quelques traits de cette mythologie latente dans les figurations de l’eau.
Il semble que l’imagination travaille autrement selon qu’elle éprouve une matière ou qu’elle appréhende un élément. Tout le complexe d’images dont Bachelard, dans L’eau et les rêves, a donné une exégèse si neuve et si pénétrante, a pour lieu les eaux douces. Mais entre l’eau douce et l’eau salée, il y a antinomie. En tant que matière, l’eau de mer est inerte. Elle ne fait naître que des images de stérilité, des visions d’angoisse et des supplices. Elle est la dérision de l’eau douce. C’est que l’eau douce est d’abord une matière : insérée dans la terre, elle s’y unit et se mêle, sans l’interrompre au destin de l’homme. De là sa richesse poétique. Au contraire la mer est d’abord perçue comme élément, et en tant qu’élément, elle est le contraire de la terre et de tout ordre humain. Elle se déterminera donc comme négation : mais dans cette négation même, elle prendra double figure.
Au bord de la mer cessent les pouvoirs et les lois des hommes et commence l’au-delà. La mer est elle-même déjà un au-delà. C’est en vertu d’une expérience immémoriale, antérieure à toute tradition littéraire, que le hors du monde s’identifie à la mer et que tant de mythologies relèguent au sein des mers, dans des îles, le séjour des morts et des bien-heureux. Ce sont les eaux maternelles et berceuses, qui apaisent la nostalgie des fatigués du monde. Mais le sein de la mer est aussi la source de l’énergie froide et solitaire du poisson. Il anime une passion anti-humaine. Lawrence montre admirablement comment la fureur d’échapper au chaud contact des hommes s’active devant la mer et se transpose dynamiquement en la forme du poisson :
« Il aimait la mer, la mer pâle de verre vert qui retombait en écume glacée… Et debout sur le bord… il souhaitait, comme il n’avait jamais encore souhaité, d’être froid, comme sont froides les choses de la mer, et farouche au point de tuer. Se sentir avec ravissement froid comme de la glace, sans une étincelle de cette misérable chair tiède, et posséder toute l’énergie terrible et glacée du poisson. Surgir brusquement avec la joie froide et la passion d’un être marin ! Il comprenait maintenant le désir contenu dans le chant plaintif de la femme-phoque, au moment où elle s’en retournait vers la mer, laissant derrière elle son mari et ses enfants à la chair tiède… Être un poisson rapide, isolé dans les hautes mers qui sont plus vastes que la terre, farouche d’une vie froide, dans le crépuscule mouillé, avant que la sympathie ne fût créée pour nous entamer. »
Si l’homme se sent ainsi « un démon farouche et froid comme le poisson, rempli d’une froide fureur de désir d’échapper complètement à la satiété de la vie humaine, pour se réfugier, non pas dans la mort, mais dans cette vigueur du poisson qui se suffit glacialement à elle-même », c’est que la mer, dans cette expérience si intensément vécue, est l’élément glacé et virilisant, hostile au monde des hommes et aussi à la féminité des eaux terrestres.
Mais la mer est aussi l’élément anéantissant. Il émane d’elle une immense sollicitation d’oubli, l’appel d’une perdition bienheureuse. « Il n’y a qu’à ouvrir la bouche toute grande et à se laisser faire », dit la Ballade de Claudel, qu’il faudrait citer entière, avec celle de J.-M. Levet. De cette séduction suicidaire, les Sirènes sont la figuration mythologique. Mais ce n’est pas à un thème littéraire que recourt Melville quand il définit la qualité et le ton de cet appel :
« … Pour de tels hommes, qui soupirent après la mort, mais qui ne veulent pas et ne peuvent pas se suicider, l’Océan, le participant innombrable et l’accueillant éternel, étale avec séduction les séduisantes et inimaginables terreurs de sa plaine. Du cœur des Pacifiques infinis, mille Sirènes leur chantent : Venez ici, ô cœurs brisés ! Ici on vit une mort intermédiaire. Ici on peut avoir, sans mourir, de surnaturelles merveilles. Venez ici ! Anéantissez-vous dans une vie haïe de votre monde terrien et qui le lui rend bien. Je donne plus d’oubli que la mort. Venez ici ! Dressez votre pierre tombale dans le cimetière, et venez vous marier avec moi. »
Oui, la mort intermédiaire, cette mort ambiguë comme l’élément qui la procure, mort immortalisante, qui n’est pas anéantissement, mais, chante Ariel, « a sea-change into something rich and strange ». Féminine, la mer est l’élément métamorphosant, et c’est par un saut dans la mer, que, selon les légendes, tant de personnages se sont rendus immortels.
Avec cet aspect contraste la figure de la mer irritée. Quand elle se livre à ses fureurs, elle se masculinise et souvent devient l’Océan. Ce n’est peut-être pas un hasard de l’écriture qui fait choisir à Balzac, dans un même passage de L’Enfant maudit, tantôt mer, tantôt océan, selon le principe qu’il veut souligner :
Par un calme parfait, il trouvait encore des teintes multipliées à la mer, qui, Semblable à un visage de femme, avait alors une physionomie, des sourires, des idées, des caprices… » ; et puis : « Nul marin, nul savant n’aurait pu prédire mieux que lui la moindre colère de l’Océan, le plus léger changement de sa face ».
Voici surtout une page de Melville[32] qui illustre avec la sûreté d’un instinct profond cette transposition, cette valorisation de la mer, qui, même au repos, devient mâle :
« C’était un jour clair, d’un bleu d’acier. L’air et la mer, ces deux firmaments, se séparaient à peine, dans cet azur qui s’étendait partout. Tout au plus l’air pensif avait-il une transparence pure et douce, avec un regard de femme, tandis que la mer robuste comme un homme se soulevait en longues houles puissantes qui s’attardaient, comme la poitrine de Samson dans son sommeil. Ici et là, bien haut, glissaient les ailes de neige des petits oiseaux sans tache. C’étaient les suaves pensées de l’air féminin ; mais en tout sens dans l’abîme, bien loin dans l’insondable bleu, se ruaient de redoutables léviathans, des espadons et des requins : c’étaient les pensées troublées, criminelles, de la mer virile ».
Melville retrouve intuitivement la plus profonde et sans doute la plus nécessaire figuration de la mer. Elle n’est que superficiellement féminine ; même dans ses rares moments trompeurs de calme, sa puissance insondable et sa violence latente la montrent virile. On l’incarne toujours en un dieu, immémorial, élusif et solitaire, le Vieux de la Mer. Lautréamont l’invoquait justement : « Vieil Océan, ô grand célibataire ! »
Émile Benveniste

39S’agit-il d’un texte littéraire, stricto sensu ? On pourrait répondre qu’il n’est pas dans ce domaine de limite tranchée et que ce texte est à mi-chemin entre l’essai académique (premier paragraphe) et l’essai littéraire (dernier paragraphe) et qu’il passe même d’une manière à l’autre. Ce n’est pas une fiction narrative à partir d’un vécu biographique mais plutôt une méditation sur le monde à partir d’un présent d’énonciation doublement douloureux, celui d’un monde en ruines et en proie à la honte de la Shoah, celui d’une vie personnelle saccagée.

40Est-ce un poème ? Oui, assurément, dans le sens qu’Henri Meschonnic donne à ce terme de discours investi par un sujet qui lui donne son mouvement et son rythme. Ni vers ni versets toutefois pour permettre de reconnaître de la poésie, une prose aux phrases claires et simples, comportant très peu de constructions subordonnées, mais, en revanche de nombreuses phrases brèves, d’une dizaine de syllabes. La ponctuation est abondante, comme pour ralentir encore le rythme. Proème ? pour reprendre le mot de Ponge. Avec le même penchant matérialiste manifesté par l’auteur du Parti pris des choses paru en 1942, c’est-à-dire le même intérêt pour la réalité matérielle du monde ? En un sens oui mais avec une prédilection autre pour les mythes et les rêves d’une part, à l’instar de Bachelard auquel il rend hommage, pour le jeu incessant de la vie et de la mort dont l’eau lui paraît la figure privilégiée.

41Certes l’obsession de la mort, si présente dans l’œuvre de Rainer Maria Rilke, si présente aussi dans le spectacle du monde en 1945, semble surmontée. Mais le mythe de l’eau tel que le développe ici Benveniste montre que les forces négatives, celle des « passions anti-humaines » et de « la perdition bienheureuse » subsistent et que la froide puissance « virile » l’emporte au final sur la féminité « maternelle et berceuse ». Quelques marques soulignent l’adhésion subjective de celui qui écrit et surtout de celui qui cite des textes lyriques sans s’autoriser lui-même à s’y laisser aller. Ainsi, après la première citation de Melville (p. 54), ce « Oui » suivi en anaphore de la reprise enthousiaste du mot « mort », dans le cas où la mort est le retour dans le sein d’une mer féminine, habitée de Sirènes.

42Rappelons en effet le mouvement de pensée de ce texte. L’eau douce et l’eau de mer n’ont rien à voir ensemble car l’eau de mer est le contraire de la terre et donc « de tout ordre humain ». Elle se définit donc d’abord comme négation. Arrivé au bord de la mer, l’homme est au bord du monde, de son monde, un monde interdit aux poissons. Le poisson, froid et solitaire, est l’antithèse de l’homme, un être qui vit dans un « élément glacé et virilisant, hostile au monde des hommes et aussi à la féminité des eaux terrestres » (p. 54). Certes la mer, celle des Sirènes, peut être accueillante à qui veut se suicider, elle a une « séduction suicidaire » mais la mort qu’elle procure n’est pas la mort totale mais une « mort immortalisante, qui n’est pas anéantissement » mais changement, métamorphose. En revanche, la mer irritée, la mer virile, l’Océan lautréamontien, peuplé de léviathans et de requins qui sont autant de « pensées troublées, criminelles » (Melville) est mortifère. Et Benveniste de terminer sur le terme « célibataire » emprunté à l’auteur des Chants de Maldoror, terme qui dit certes la stérilité de l’Océan mais assurément bien plus encore la stérilité des hommes et de leur violence. Depuis toujours sans doute puisque c’est « un dieu immémorial » mais singulièrement en cette mitan du siècle qui voit se révéler tant de violences horribles.

43Cette méditation d’Émile Benveniste est donc marquée d’un pessimisme profond. D’autant plus peut-être en raison de son itinéraire personnel douloureux : enfant étranger, juif, orphelin, ce jeune intellectuel surdoué s’engage dans la contestation puis semble y renoncer pour se consacrer à des travaux de linguistique tournés vers le passé de l’humanité. Mais il est rattrapé par l’Histoire : le nazisme et la guerre le meurtrissent profondément, en tant que Français, en tant que juif, en tant que linguiste.

44Pour n’insister que sur ce dernier point dans la mesure où les autres ont déjà été évoqués brièvement, il semble que ce texte marque un tournant dans la pensée d’Émile Benveniste – pensée qui sera désormais celle du monde et du langage – et sans pouvoir entrer ici dans une considération chronologique de son évolution intellectuelle ultérieure, on peut se demander si le développement de la théorie de l’énonciation, si l’insistance grandissante sur l’importance du sujet de l’énonciation, garant de la vie du discours, n’est pas un essai de réponse au désespoir qui se laisse lire dans « L’eau virile ».
Car si la pensée linguistique peut servir l’homme, n’est-ce pas en lui proposant une instance où puisse se rassembler l’énergie du vivant ?
De Saussure à Benveniste, du grand bourgeois genevois au petit juif syrien, une étrange et profonde filiation s’établit, la pensée de l’un féconde certes l’autre mais, au bout de l’aventure, ce sont les violences du siècle qui contraignent une pensée dispersée à se rassembler pour résister.

Notes

  • [1]
    Publié par C. Bally et A. Sechehaye, avec la collaboration de A. Riedlinger, Lausanne, Paris, Payot, 1916.
  • [2]
    Établis et édités par Simon Bouquet et Rudolf Engler avec la collaboration d’Antoinette Weil, Gallimard, 2002. Ce recueil prend la suite des publications faites à partir de l’observation de manuscrits de Saussure par Robert Godel (Les Sources manuscrites du Cours de Linguistique Générale de Ferdinand de Saussure, Droz, Genève, 1957) et par Rudolf Engler (qui a donné une édition critique du Cours en 1974, Otto Harrassowitz, Wiesbaden). Il bénéficie de la découverte d’un ensemble de manuscrits originaux en 1996, à l’occasion de travaux dans l’orangerie de l’hôtel genevois de la famille de Saussure.
  • [3]
    Op. cit. p. 117.
  • [4]
    Sans intention maligne assurément mais sans doute par cette propension des vulgarisateurs à s’emparer de tout ce qui prête à formalisation conforme à la doxa pour résumer une doctrine nouvelle. Ornières du dualisme !
  • [5]
    Cahier de l’Herne « Saussure », dirigé par Simon Bouquet (2003). L’article de François Rastier, intitulé « Le silence de Saussure ou l’ontologie refusée » figure p. 23 à 51 et cette formule p. 28.
  • [6]
    Définitions externes qui évitent d’entrer dans le débat prématuré de la littérarité. Pour une approche de ce point de vue, voir Michel Arrivé, « Saussure et la littérature », dans Le Langage comme défi (Henri Meschonnic dir.), PUV, 1991, p. 215-225.
  • [7]
    J. Starobinski, Les Mots sous les mots : les anagrammes de Ferdinand de Saussure, Paris, Gallimard, 1971.
  • [8]
    Problèmes de linguistique générale, I, Gallimard, 1966, « Remarques sur la fonction du langage dans la découverte freudienne » (1956), p. 83.
  • [9]
    « Interpréter : de la langue à la parole », Saussure, L’Herne, « Cahiers », op. cit., p. 293-306. Cf. Bouquet (2003b).
  • [10]
    Béatrice Turpin (2003), « Légendes – mythes – Histoire. La circulation des signes », in L’Herne, op. cit., p. 314.
  • [11]
    Gallimard, « Bibliothèque des idées », 356 pages.
  • [12]
    On peut consulter de Mahammad Djafar Moinfar, la Bibliographie des Travaux d’Émile Benveniste, Paris, Société de Linguistique de Paris, 1975 (extrait des Mélanges linguistiques offerts à Émile Benveniste). Dans un article intitulé « L’œuvre d’Émile Benveniste », cet ami intime de Benveniste signale qu’il a classé les papiers du linguiste après son hospitalisation et qu’il a constitué un dossier « Études du discours poétique » : près de trois cents feuilles de notes et de textes analysant le langage poétique où « de nombreux textes sont consacrés à Baudelaire », Linx n° 26 (1992-1), p. 24. Ces notes dorment encore dans des bibliothèques. Espérons qu’elles en sortiront un jour…
  • [13]
    Voir G. Dessons, Émile Benveniste, coll. Référence, Bertrand-Lacoste, 1993, p. 122-125 ; Jean-Claude Milner, Le Périple structural. Figures et paradigmes, chapitre Benveniste II, Seuil, 2002, p. 87-113 et Françoise Bader, Incontri Linguistici 22 (1999), p. 11-55.
  • [14]
    Voir ci-après.
  • [15]
    Né à Alep en Syrie le 27 mai 1902, Ezra Benvenite arrive à Paris seul en 1913, comme boursier de l’Alliance Israëlite Universelle. Au lieu de poursuivre dans la voie qui devait l’amener au rabbinat, il choisit de faire des études de lettres, passe le baccalauréat puis une licence de lettres. Pour se présenter à l’agrégation (il y est reçu en 1922), il fait une demande de naturalisation qui devient définitive en 1924. Après un an de séjour en Inde et son service militaire, il succède à Meillet à l’École Pratique des Hautes Études en 1927.
  • [16]
    « Liber et Liberi », Revue des études latines, 14/1, 1936, p. 52-58.
  • [17]
    Milner, op. cit., p. 92.
  • [18]
    Par ailleurs son collègue à l’EPHE.
  • [19]
    A. Kojève, Introduction à la lecture de Hegel, Paris, Gallimard, 1947, p. 11.
  • [20]
    On sait par ailleurs que Husserl avait été parmi ses lectures favorites et que sa théorie du sujet doit beaucoup au père de la phénoménologie. Lire sur cette question Jean-Claude Coquet, « Note sur Benveniste et la phénoménologie », Linx 26 (1992-1), p. 41-48.
  • [21]
    Avec Pierre Daix, dans l’hebdomadaire dirigé par Aragon Les Lettres françaises, n° 1242 (24-30 juillet 1968) et avec Guy Dumur, dans le supplément littéraire mensuel de l’hebdomadaire « nouvelle gauche » Le Nouvel Observateur, n° 210 bis (20 nov-20 déc), l’un et l’autre repris dans les PLG 2.
  • [22]
    Op. cit., p. 101-107.
  • [23]
    « La forme et le sens dans le langage », PLG 2, chap. XV, 215-238.
  • [24]
    « Sémiologie de la langue », PLG 2, chap. III, 43-66.
  • [25]
    On sait que Les Cahiers sont composés en mosaïque, par fragments et superpositions.
  • [26]
    Rainer Maria Rilke, Les Cahiers de Malte Laurids Brigge, récit, préface de Patrick Modiano, traduction de Maurice Betz, Seuil, 1966, p. 11.
  • [27]
    Selon la formule de Michel Vanoosthuyse, « L’abject et le sublime dans Les Cahiers de Malte Laurids Brigge », in Christian Klein, dir, Rainer Maria Rilke et Les Cahiers de Malte Laurids Brigge. Écriture romanesque et modernité, Masson/Armand Colin, Paris, 1996, p. 129-146.
  • [28]
    On notera que l’écriture de ce bref compte rendu est remarquable de fermeté et de souplesse, comme en témoigne bien l’incipit : « Touché d’abord, et pour rompre les prestiges d’un pareil enchantement, on voudrait armer l’analyse d’une vertu d’exorcisme. » À peine âgé de 22 ans, Benveniste appelle à la fondation d’une « critique dynamique » et analyse avec une étonnante pénétration le double mouvement de dissolution dans le monde et de reprise critique qui caractérise, selon lui, la sensibilité de Rilke : « La sensibilité qui pénètre d’abord aux plus intimes replis des êtres jusqu’à s’identifier avec eux, à voir soudain, par un brusque retournement, le visage toujours pareil, se rétracter en un sursaut » (extraits cités par D. Moïnfar, 1992, p. 17).
  • [29]
    Toutes les références des écrivains cités ont été retrouvées, certaines par Madame Bader, d’autres par le professeur Pinault dans « Compléments littéraires à la lecture d’Émile Benve niste », Incontri Linguistici 25 (2002), p. 197-199. Émile Benveniste n’a donc inventé aucune référence, comme le pensait Mme Bader.
  • [30]
    Par exemple elle formule l’hypothèse que s’il est fait mention d’Ariel dans ce texte, c’est parce que « Ariel opère la jonction entre Ezra [Ar(iel)] et [(Ar)iel] ».
  • [31]
    Voir George-Jean Pinault, art. cit.
  • [32]
    Il est intéressant de noter que pour cette page de Melville, Benveniste ne se satisfait pas de la traduction donnée en 1941 par Lucien Jacques, Joan Smith et Jean Giono, traduction qu’il avait pourtant utilisée pour la première citation de Melville. Cette traduction rendait ainsi le second passage cité : « C’était une claire journée d’un bleu d’acier. Les espaces de l’air et de la mer étaient tout pénétrés d’azur. Mais le ciel, doucement clair et pur avait quelque chose de féminin, tandis que la mer robuste était un mâle dont la poitrine se soulève en de puissants et lents halètements, comme Samson endormi.
    De-ci, de-là, très haut, voguaient les ailes blanches comme de la neige de petits oiseaux immaculés. Ils semblaient être les douces pensées féminines du ciel, tandis que, rôdant au sein des profondeurs, très bas, sous l’insondable bleu, les puissants léviathans, les espadons et les requins, mêlaient leurs nages, et ils étaient les pensées fortes, meurtrières et troubles de la mer virile », pensant ainsi traduire au mieux le texte américain qui est le suivant : « It was a clear steel-blue day. The firmaments of air and sea were hardly separable in that all-pervading azure; only, the pensive air was transparently pure and soft, with a women slook, and the robust and man-like with long, strong, lingering swells, as Samson’schest in his sleep. Hither, and thither, on high, glided the snow-white wings of small, unspeckled birds; these were the gentle thoughts of the feminine air; but to and fro in the deeps, far down in the bottomless blue, rushed mighty leviathans, sword-fish, and sharks; and these were the strong, troubled, murderous thinkings of the masculine sea ».
    La traduction Gallimard de ce passage de Melville, essentiel à sa démonstration, est irrecevable pour Benveniste à bien des titres. Contentons-nous de signaler la traduction floue de firmaments par espace, puis de (pensive) ou (feminine) air par ciel (alors que l’air est un élément bachelardien fondamental), de souligner la métaphorisation poétisante (voguaient, immaculés) des traducteurs Gallimard pour the snow-white wings of small, unspeckled birds que Benveniste rend dans sa forte simplicité, de l’affaiblissement de rushed en mêlaient leurs nages et enfin, last but not least !, le redressement de masculine sea en mer virile.
    Une éthique de la traduction est ici à l’œuvre.
bb.footer.alt.logo.cairn

Cairn.info, plateforme de référence pour les publications scientifiques francophones, vise à favoriser la découverte d’une recherche de qualité tout en cultivant l’indépendance et la diversité des acteurs de l’écosystème du savoir.

Avec le soutien de

Retrouvez Cairn.info sur

18.97.14.80

Accès institutions

Rechercher

Toutes les institutions