Notes
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[1]
Pour des éclaircissements sur les fondements wittgensteiniens de ma réflexion, cf. « De la méthode directe aux Investigations philosophiques… », art. cit. dans l’introduction du présent numéro et « Pour une sémantique wittgensteinienne des genres linguistiques », Analyse des discours. Types et genres : Communication et Interprétation (dir. M. Ballabriga), Éditions universitaires du sud (collection Champs du signe), 2001.
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[2]
Cf. l’introduction de ce numéro.
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[3]
Elle rejoint, en lui donnant un contenu épistémologique bien spécifié, la distinction sémiotique/ sémantique proposée par Benveniste.
-
[4]
Ce qu’on appelle ici signe grammatical équivaut au signe linguistique de Saussure.
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[5]
On laisse de côté les deux autres trichotomies peirciennes, celle du signe en lui-même et celle des modes de représentation de l’interprétant : elles ne sont pas nécessaires à la définition d’une sémiotique des grammaires.
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[6]
On peut tenir que, face à la diversification des descriptions et des théories grammaticales, un principe de classification intégral de ces dernières – c’est-à-dire une épistémologie – est un enjeu d’importance pour les sciences du langage : sans cette épistémologie, elles ne seraient en mesure de définir ni un objet « langage » unifié ni même un objet « langue ». Or la fondation sémiotique est probablement, philosophiquement parlant, la seule qui puisse soutenir l’épistémologie des théories grammaticales.
-
[7]
Bien que le substrat phonémique (ou syllabique) – de « deuxième articulation » – appartienne en droit à une sémantique, on n’en dira rien ici, faute de place.
-
[8]
Cf. Collected papers, t. 2, pp. 274 sq. : « Une des vérités philosophiques mises à jour par la logique booléenne est que les icônes du genre algébrique, quoique très simples la plupart du temps, existaient dans toute proposition grammaticale ordinaire. (…) Dans la syntaxe logique de toute langue, il y a des icônes logiques du genre de celles qui sont soutenues par des règles conventionnelles. (trad. d’A. Rey in : Théories du signe et du sens, II, Paris, Klincksieck, 1976, p. 23) ».
-
[9]
Cette opération rend compte de ce que la description syntaxique puisse être tenue, intégralement et à tous ses niveaux, pour une description de la fusion de deux constituants (X et Y) en un constituant Z.
-
[10]
Une telle description sémiotique, fait apparaître, sans rien lui enlever de son homogénéité descriptive, le fait dit « syntaxe » à la fois comme complexe et comme de même nature que les autres faits linguistiques.
-
[11]
Le signifié comporte, dans ce cas, le trait sémique /+ son/.
-
[12]
Cette dénomination s’entendant dans un sens non conventionnel, fondé sur la philosophie wittgenteinienne des jeux de langage.
-
[13]
Cf. l’introduction de ce numéro.
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[14]
L’analyse se donnant pour méthode de décrire, pour deux signifiants textuels homonymes au plan segmental, la corrélation entre deux genres distincts et deux configurations grammaticales distinctes peut laisser de côté, dans son premier temps au moins, la description du signifiant générique, l’éventuelle mise en évidence de deux signifiants génériques distincts – marques intonatives, posturo-gestuelles, graphiques, etc. (cf. à ce sujet, l’article de Mary-Annick Morel) – n’étant propre, à ce stade, qu’à confirmer cette analyse.
-
[15]
La possibilité même de cette analyse est, me semble-t-il, un argument en faveur de l’ « origine générique » du sens : si l’ambiguïté sémantique – tenant à la coexistence de deux (ou plusieurs) configuration (s) grammaticale (s) possible (s) – est un caractère inhérent des énoncés du langage, le signifié générique serait, génétiquement, ce qui a pour fonction de lever cette ambiguïté.
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[16]
La notion de « pronom personnel » ne faisant pas, comme on le sait, l’objet d’un consensus parmi les grammairiens, on pourrait considérer le paradigme choisi comme trop large ou trop étroit au regard de telle ou telle définition. Le lecteur gardera présent à l’esprit qu’il ne s’agit ici que d’esquisser un principe d’analyse. Selon d’autres critères, le corpus de cette analyse aurait pu être encore réduit, ou au contraire étendu à d’autres clitiques verbaux.
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[17]
À tout point de vue, la présente analyse est une simplification : elle n’a pour ambition que d’illustrer un cadre épistémologique. Si ce cadre est pertinent, une analyse tenant compte de paramètres plus complexes doit également pouvoir s’y inscrire. Par exemple, le critère morphologique posé ici – allomorphisme – n’est probablement pas complètement tenable (cf. D. Leeman, « Je, me, moi : allomorphes ou facettes différentes de la première personne ? », in D. Lagorgette & M. Lignereux (dir.) Comme la lettre dit la vie, Linx, numéro spécial, 2002 ; on fait l’hypothèse qu’une sémantique des genres est susceptible aussi de rendre compte des valeurs différenciées des différentes « facettes » des pronoms).
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[18]
L’étiquette Proforme/Groupe nominal s’entend ici d’un point de vue uniquement syntagmatique, sans référence à la nature sémiotique décrite dans la section Traits grammaticaux morphémiques.
-
[19]
Une description adéquate du système général des positions clitiques est pourtant, habituellement, manquée par les grammaires. Il y en a, selon moi, cinq (dans l’exemple ci-dessous, ce sont les positions Sujet, Éthique, Objet direct, Objet second, Circonstant :
– Tu vas quand même pas envoyer cette lettre à Paul chez son oncle au Chili !
– Un peu que j’te la lui y enverrai, moi, cette lettre, chez son oncle, à ce petit crétin ! )
En outre, la position Éthique peut être multipliée (contrairement aux autres positions) :
Il te vous enguirlanda le sénateur, faut voir ! (Aragon, cité par Wilmet). -
[20]
Les compositions de traits soulignées sont celles qui sont actualisées par un morphème.
-
[21]
Comme on le voit, cette typologie, fidèle à Benveniste quant aux morphèmes de PV 1 et PV 2 (et donc de PV 4 et PV 5), s’éloigne de Benveniste quant aux morphèmes de PV 3 (et donc de PV 6). Ces derniers font ou ne font pas classe avec les précédents selon qu’ils relèvent d’une indexicalité extratextuelle (déictiques) – le trait « -interlocution » les distinguant cependant des « pronoms de dialogue » – ou qu’ils relèvent d’une indexicalité intratextuelle (anaphoriques).
-
[22]
La classification de nous et on en regard de la valeur [mor+IDX/+EXT/+ITL/+LOC/+AMP](correspondant à deux personnes verbales distinctes, PV 4 et PV 3) distingue cet emploi de on de tous ses autres emplois (indexicaux ou non, cf. infra) : on tient ici que on est, à l’oral, l’actualisation
-
[23]
Il s’agit des emplois déictiques des « pronoms de non-personne » (je montre du doigt à mon interlocuteur une femme dans une foule humaine – ou une voiture dans une foule automobile – : « Regarde comme elle est belle ! »).
-
[24]
Féminin et masculin sont des traits d’accord en genre grammatical (exceptionnellement d’accord référentiel).
-
[25]
Il s’agit des emplois anaphoriques des « pronoms de non-personne ».
-
[26]
Féminin et masculin sont des traits d’accord en genre grammatical (exceptionnellement d’accord référentiel).
-
[27]
Le il dit impersonnel n’est mentionné ici que pour mémoire : il n’entre pas, selon moi, dans le paradigme étudié, en ceci qu’il ne relève pas du trait syntagmatique [sgm (+SYM) +PRO/+GN/ +CLIT/+SUJ]. Mais ceci est une autre histoire.
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[28]
La double notation entend ici illustrer notre postulat méthodologique : une notation de traits ne rend compte que d’une différence.
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[29]
Cette description satisfait à notre principe général : le trait « éthique » est un trait porté par l’énoncé, non le morphème : si on le retrouve, dans ce cas particulier, au plan du morphème, ce n’est que comme trait syntagmatique. En d’autres termes : la dénomination « éthique » du trait grammatical lié à la position syntaxique (+ETH) – homonyme de la dénomination « éthique » du trait générique de l’énoncé ( [gen+Éthique]) – recouvre bien deux faits distincts : une valeur sémantique suprasegmentale ; une position syntaxique « spécialisée » (dans le système des clitiques). Une description semblable peut être faite regardant les morphèmes me, te, se, nous, vous.
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[30]
La comparaison avec l’énoncé « Il nous leur a mangé deux pains au chocolat ! » (la puéricultrice se réjouit du bel appétit d’Adrien qui est allé piocher dans les provisions de ses copines) montre bien que la différence des énoncés 1 et 2 ressortit à une position syntaxique.
-
[31]
La seconde occurrence de générique s’entend dans l’acception, traditionnelle, de « de valeur générale ». Cette valeur est bien un trait de genre (global) de l’énoncé 2, qui détermine également un trait grammatical distinctif (local) porté par son groupe verbal, par opposition au groupe verbal homonyme de l’énoncé 1.
On remarquera que ce trait générique « générique » constitue une détermination indépendante de celle du trait « politesse » dans des énoncés comme : (Madame Durand parle avec sa voisine, qu’elle vouvoie) « Vous savez qui est arrivé hier à l’improviste ? Mes enfants ! … Bien sûr, quand tu ne vois tes enfants que tous les deux ans, tu ne va pas te plaindre. (…) » (relevé en milieu rural). Le trait générique [gen+Générique] est susceptible d’actualiser semblablement le trait grammatical [mor-IDX (+SYM)/+GEN] pour les morphèmes nous, vous et on (cf. la reprise dans « on cherche à rendre service, et il t’/vous engueule ! »). Là encore, la dénomination homonyme de « générique » pour un trait sémantique suprasegmental et pour un trait grammatical ne doit pas prêter à confusion. -
[32]
Il ne s’agit pas ici d’entrer dans le détail complexe des traits génériques pouvant actualiser, d’une manière générale, les oppositions tu/vous. Le trait [gen+Politesse] n’a de nouveau ici pour fonction que de s’opposer au trait [gen-Politesse] dans l’analyse des deux énoncés homonymes concernés, aucunement de sténographier une « essence » (dans certaines situations, il est d’ailleurs moins « poli » de vouvoyer que de tutoyer).
-
[33]
Hypocoristique désigne ici une intonation (c’est-à-dire un signifiant générique) « caressante », selon le terme de Tesnière.
1. UN CADRE ÉPISTÉMOLOGIQUE
1.1. Jeux de langage, linguistique de la langue et linguistique de la parole
1 Dans cet article, je voudrais défendre et illustrer la thèse suivante : le concept de « genre » (genre signifiant pour moi « genre de jeux de langage » [1]) est susceptible de conférer un contenu épistémologique précis à la complémentarité de la linguistique de langue et de la linguistique de la parole [2]. Cette thèse se fonde sur un faisceau de raisons.
- L’usage, à fin de description sémantique, du concept de « genre » implique une conception empirique de l’objet « sens ». En effet, dans l’approche analytique d’une sémantique des (genres de) jeux de langage, c’est l’interprétation (différentielle) attestée des sujets parlants qui répond du caractère empirique de l’objet analysé.
- Cette sémantique des genres distingue le niveau de description des grammaires (sémiotique) et le niveau de description interprétatif (sémantique). Pour elle, la description grammaticale répond de « traits de signifié » locaux, alors que la description sémantique répond de l’actualisation de ces traits grammaticaux locaux par des « traits génériques » globaux [3].
- Elle étend au niveau de description sémantique (c’est-à-dire au plan de la parole) le principe d’une analyse différentielle des constituants du sens. Ce principe différentiel commande à la fois, on le verra, sa définition d’objet – l’objet empirique se réduit à une différence de sens perçue par des sujets interprétants – et sa méthode – décrire la corrélation entre des différences sémiotiques (locales) et des différences « génériques » (globales).
3 C’est ce cadre épistémologique qu’on va préciser avant d’y examiner quelques aspects du fonctionnement des pronoms personnels clitiques en français.
1.2. Les grammaires comme sémiotiques
1.2.1. La langue comme multisémiotique
4 Si le plan grammatical du langage se laisse définir comme celui de la composition segmentale de signes – autrement dit comme le domaine d’une description de la linéarité des signes [4], opposé à la description du domaine suprasegmental d’un constituant générique qui actualise lesdits signes (cf. infra, 1.3.) –, la thèse philosophique millénaire selon laquelle « la langue (le langage) est un système de signes », étayée et renouvelée par le principe saussurien de différentialité, peut être considérée comme définitoire d’une linguistique de la langue. Toutefois, chez Saussure, la matière sémiotique d’une linguistique de la langue est incomplètement développée : si l’on compare sa sémiotique linguistique à la sémiotique générale de Peirce – sur le simple chapitre de la relation signe/objet, dont l’Américain pose trois modes : l’icône (relation de ressemblance), l’indice (relation de contiguïté) et le symbole (relation arbitraire) [5] –, il apparaît que le Genevois ne prend en considération que la sémiotique symbolique. Partant, la conception saussurienne du « signe linguistique » est impropre – ou, plutôt, insuffisante – à répondre de la diversité sémiotique des grammaires de la langue (grammaires s’entendant ici au double sens, courant aujourd’hui, de « systèmes » et de « descriptions des systèmes »). Une conception multisémiotique de la langue (c’est-à-dire : des grammaires) fondée sur la trichotomie peircienne permet, contrairement à la conception monosémiotique de Saussure, de rendre compte de l’intégralité des descriptions grammaticales existantes, tout en ordonnant celles-ci selon une raison sémiotique qui y demeure, en règle générale, incomplètement théorisée [6]. Selon cette raison sémiotique, on peut définir le domaine grammatical comme croisant trois types de substrats linéaires (phonémique, morphémique, syntagmatique) et trois types de sémioticité (iconique, symbolique, indexicale). Les remarques qui suivent ébauchent une telle sémiotique des grammaires, sans prétendre toute-fois, quant aux faits grammaticaux mentionnés sous les rubriques grammaire du morphème, à l’exhaustivité [7].
1.2.2. Grammaire du substrat syntagmatique
5 Le substrat syntagmatique du langage – substrat dont l’organisation ressortit à une linguistique de la langue –, peut être considéré, selon la proposition de Peirce [8], comme étant, à son fondement, un signe iconique. Cela revient à postuler que le principe organisateur général de la syntaxe que Chomsky nomme, dans la version minimaliste de sa grammaire générative, fusionner [9] est, au simple plan de leur géométrie, l’icône de la co-détermination des composants syntaxiques – cette co-détermination étant analysable tant au palier minimal du morphème qu’au palier des agrégats de morphèmes constituant des groupes syntaxiques (l’un des morphèmes ou agrégats de morphèmes considérés pouvant être un morphème zéro). En d’autres termes, il y a icône syntagmatique pour cause de ressemblance entre le fait matériel de la co-présence (géométrique) de deux termes et le fait spirituel que ces deux termes entrent dans un rapport de co-détermination. (Ce fondement iconique, supposant la contiguïté de deux morphèmes – contiguïté dont le principe déplacer ? rend la représentation géométrique possible dans la grammaire chomskyenne –, peut être regardé comme se combinant à un signe indexical : chaque morphème de la paire dont répond l’opération fusion désigne en effet par contiguïté le morphème qui lui est apparié.) Enfin, les marques de catégories, de par leur forme linguistique, se laissent décrire comme des signes symboliques – symbolisant, en l’occurrence, un « sens syntagmatique » général du constituant : celui de la « partie détachée de sens » captée par la notion syntaxique d’ « appartenance catégorielle » [10], qui spécifie le rapport général de co-détermination.
1.2.3. Grammaire symbolique du morphème
6 Le symbolisme du signe linguistique, autrement dit l’appariement du signifiant à son signifié par le truchement d’une relation in absentia doublement arbitraire (arbitraire du lien signifiant/signifié ; arbitraire de la configuration des signifiés) peut être considéré comme le fait sémiotique majeur de la grammaire du morphème. Saussure en a développé une conception plus spécifique que celle de Peirce. Rejetant la vision référentialiste à laquelle le philosophe américain demeure attaché, la théorie saussurienne de la valeur aura jeté les bases d’une description grammaticale du symbolisme linguistique – en d’autres termes : d’une description grammaticale du monde des concepts. Cette grammaire est celle qui, posant la différentialité comme caractéristique générale du système symbolique de la langue, construit celui-ci comme un objet homogène et, partant, descriptible selon la logique de « traits » sémiques oppositifs.
1.2.4. Grammaire iconique du morphème
7 L’iconicité, pour être un phénomène relativement marginal du langage au plan du morphème – contrairement au phénomène essentiel de l’iconicité du substrat syntagmatique –, n’en ressortit pas moins, à ce plan, à une grammaire spécifique. Plusieurs types de relations sont ici susceptibles de déterminer une « partie détachée de sens » d’un morphème ou d’un syntagme, selon la logique de divers liens pouvant être décrits par une grammaire iconique : lien iconique d’un signifiant Sa 1 avec son signifié Sé 1 ou avec le signifié du syntagme dont ledit signifiant Sa 1 fait partie (onomatopées, harmonisme) [11] ; lien iconique d’un signifiant Sa 1 avec un autre signifiant (Sa 2), Sa 1 répondant au signifié intégral de Sa 2 (siglaison, abréviation, acronymie, épellation euphémique, etc.) ; lien iconique d’un signifiant Sa 1 avec un autre signifiant (Sa 2), Sa 1 composant le signifié (ou une partie du signifié) de Sa 2 avec son signifié original (contamination sémique, lapsus, rime, anagramme, etc.).
1.2.5. Grammaire indexicale du morphème
8 La grammaire indexicale du signe morphémique épuise, avec l’indexicalité inhérente à la grammaire du substrat syntagmatique, les rapports in praesentia. La distinguer des grammaires symbolique et iconique du morphème permet d’y classer – indépendamment de concepts qui voilent leur nature sémiotique (le concept d’ « énonciation », par exemple) – un ensemble de phénomènes linguistiques ayant fait l’objet d’analyses renouvelées au XXe siècle. La grammaire de l’indexicalité morphémique se laisse subviviser en :
-
une grammaire de l’indexicalité extra-textuelle (indexation d’un morphème
ou d’un groupe de morphèmes sur un objet non textuel), regroupant :
(1) indexicalité extra-textuelle référentielle (indexation du morphème sur un objet non linguistique : personne du dialogue, temps, lieu, déixis démonstrative) ;
(2) indexicalité conceptuelle ou empathique (indexation du morphème à l’intérieur du système symbolique de la langue : modalité, exophores dites à juste titre « mémorielles » ou « conceptuelles ») ; - une grammaire de l’indexicalité intra-textuelle (indexation d’un morphème ou d’un groupe de morphèmes sur un objet de la séquence textuelle où ils s’insèrent) comprenant : (1) indexicalité sui-référentielle (indexation d’un morphème – ou d’un groupe de morphèmes – sur lui-même : autonymie métalinguistique ou métadiscursive, performativité) ; (2) indexicalité endophorique (anaphore, cataphore ou anacataphore, au sens strict) ; (3) indexicalité conjonctive (c’est – considérée au plan morphémique des connecteurs et non plus au plan du substrat sytagmatique – l’indexation réalisée par la classe morphologique des connecteurs référentiels (temporels et spatiaux), argumentatifs, énumératifs et de reformulation) ; (4) indexicalité empathique (indexation sur des objets d’un « sphère d’empathie » intratextuelle ; notamment : modalisations considérées du point de vue de l’indexation sur des séquences textuelles, isotopies sémiques).
1.2.6. Restriction de la notion de « grammaire » à l’objet « langue »
10 La restriction de la notion de « grammaire » à l’objet « langue » est ici corollaire de celle de « sémantique » à l’objet « parole ». En d’autres termes, ce qui soutient la présente conception sémiotique ( « grammaticale ») de la langue, c’est de poser que les « grammaires » ne décrivent que des parties détachées de sens. L’analyse sémantique, utilisant ce matériau grammatical, est au contraire l’analyse du sens, nécessairement actuel, d’un segment de langage compris (interprété) par un sujet parlant.
1.3. Sémantique et genres
11 Le concept de « genre » sur lequel fait fond le présent article pour répondre de la description du palier sémantique du langage évoque, en marge de la tradition logico-grammaticale, l’héritage d’une tradition philosophique millénaire (en théorie de la littérature et en rhétorique), ainsi qu’une thématique plus récente en linguistique du discours. Toutefois, c’est indépendamment de ce faisceau d’acceptions intuitives que j’entends ce concept de « genre », redéterminé qu’il est ici pour et par l’hypothèse générale d’une « constituance sémantique » (qu’on pourrait aussi nommer une pragmatique du sens [12]) s’appliquant au palier global des textes. Dans cette optique (celle d’un signe textuel conçu comme une entité quadrifaciale constituée par la double corrélation de deux plans : signifiant/ signifié et segmental/suprasegmental [13]), un genre n’est que la notation oppositive d’une valeur suprasegmentale (autrement dit : d’un signifié suprasegmental) jouant, dans la constitution du sens d’un texte, deux rôles liés : 1° cette valeur est en elle-même un élément dudit sens ; 2° elle actualise les signifiés grammaticaux (autrement dit : les signifiés segmentaux) dudit texte. Dans le cadre de cette analyse, le signifié suprasegmental (ou signifié générique) se laisse concevoir 1° comme une simple valeur ad hoc – c’est-à-dire : une valeur déterminée pour (et par) l’analyse, 2° comme un trait distinctif (ou un « paquet » de traits distinctifs) fondé (s) sur une base oppositive, pouvant être décrit (s) selon la tradition de l’analyse sémique. De ce que la différence de sens entre deux énoncés soit le seul objet de l’analyse, il s’ensuit que l’homonymie textuelle – ou, plus exactement, l’homonymie du signifiant segmental de deux textes –, posée comme gage empirique de la quadrifacialité du signe textuel, peut être également regardée comme un fondement méthodologique pour ladite analyse : c’est la confrontation de deux signes textuels homonymes au plan segmental [14] qui fera apparaître les traits grammaticaux pertinents pour la détermination de la corrélation entre signifié générique et signifié grammatical.
12 C’est cette linguistique des genres que la section suivante illustre. Mon hypothèse est qu’une telle linguistique des genres est en outre propre à faire mieux apparaître (descriptivement) la sémiotique grammaticale [15].
2. REMARQUES SUR LE SYSTÈME DES « PRONOMS PERSONNELS » CLITIQUES EN FRANÇAIS
2.1. Objet de l’analyse
13 L’objet de la présente analyse est le paradigme des morphèmes dits « pronoms personnels » [16] réduit et unifié, en l’occurrence, par deux critères syntagmatiques : (1) la position de clitique verbal ; (2) l’accord avec la personne verbale (PV) si le morphème occupe la position sujet ; et (3) un critère morphologique pour les morphèmes n’occupant pas la position sujet : être la flexion d’une forme sujet [17]. Le paradigme étudié comprendra ainsi les morphèmes suivants :
PV 1 : je, me ; PV 2 : tu, te ; PV 3 : il, elle, on, le, la, lui, se ; PV 4 : nous ; PV 5 : vous ; PV 6 : ils, elles, les, leur, se
15 Mon propos est d’argumenter corrélativement (1) que les traits grammaticaux attachés à ces morphèmes (c’est-à-dire : leurs « parties détachées de sens » recelées dans le « trésor » virtuel de la langue et actualisées lors de l’interprétation d’un énoncé dans la parole) ressortissent à un système d’opposition ; (2) que ce système d’opposition ne saurait suffire en lui-même – c’est-à-dire : sur la base d’un calcul compositionnel – à rendre compte de l’interprétation des énoncés dans lesquels entrent lesdits morphèmes ; (3) que ce système d’opposition suffit néanmoins, dès lors qu’on analyse le sens comme l’actualisation de traits grammaticaux locaux par un signifié générique global, à construire l’analyse sémantique de l’intégralité des énoncés envisageables. De ces trois arguments, répondra ici une analyse sémantique différentielle – c’est-à-dire une analyse corrélant des différences de traits grammaticaux avec des différences de traits génériques dans le but de rendre compte d’une différence de sens entre deux énoncés.
16 Pour ce faire, on construira dans un premier temps une description sémiotique – une description de traits grammaticaux actualisés, pour chacun des morphèmes, dans un genre noté provisoirement et arbitrairement [gen+Ordinaire] (arbitrairement, car, en synchronie, rien ne permet de considérer un trait générique comme antérieur à un autre). Le seul point qui importe, à l’étape de cette description sémiotique, est l’exigence d’un nombre de traits à la fois minimum et suffisant, autrement dit l’exigence que l’analyse de toutes les actualisations possibles dans des énoncés puisse être menée ultérieurement sans utiliser d’autres traits grammaticaux que ceux de la typologie.
17 C’est de cette sémiotique qu’on analysera ensuite (infra, 2.3.) l’actualisation sémantique selon le principe différentiel qui a été défini (supra, 1.3.).
2.2. Analyse sémiotique
2.2.1. Traits grammaticaux syntagmatiques (notés [sgm…])
18 À être nécessairement insérés dans une géométrie syntagmatique, les morphèmes de tout énoncé peuvent être regardés comme héritant de traits grammaticaux liés à cette géométrie (cf. supra, 1.1.2.). Les traits suivants peuvent ainsi être posés comme inhérents à tout morphème :
- [sgm+ICO] Iconicité syntagmatique (valeur générale de substrat)
- [sgm+IDX] Indexicalité syntagmatique (valeur générale de substrat)
- [sgm (+SYM)…] Symbolisme syntagmatique (valeur syntagmatique particulière d’un morphème inhérente à son statut catégoriel)
20 Le symbolisme syntagmatique regroupe, dans le paradigme considéré, un ensemble de traits qui commandent la position géométrique des morphèmes, à savoir : le trait catégoriel général Proforme/Groupe nominal [18], corrélé avec le trait général Clitique – ce dernier correspondant, selon des règles positionnelles décrites par les grammaires du français [19], à une réalisation par déplacement d’un trait « argumental » particulier (en l’occurrence : Sujet, Éthique, Objet direct, Objet second). On peut noter ces traits, dans lesquels s’exprime le symbolisme syntagmatique de notre paradigme, de la manière suivante :
[sgm (+SYM) +PRO/+GN/+CLIT/+SUJ] : je, nous, tu, vous, il, elle, on, ils, elles
[sgm (+SYM) +PRO/+GN/+CLIT/+ETH] : me, te, nous, vous, se
[sgm (+SYM) +PRO/+GN/+CLIT/+/ODI] : me, nous, te, vous, le, la, les, se
[sgm (+SYM) +PRO/+GN/+CLIT/+/OSE] : me, nous, te, vous, lui, leur, se
2.2.2. Traits grammaticaux morphémiques (notés [mor…])
22 Considérant les occurrences des morphèmes de notre paradigme dans un genre étiqueté pour l’instant [gen+Ordinaire], on donnera ci-dessous une typologie de traits susceptible de différencier chacun des morphèmes par rapport aux autres. (Rappelons que l’étiquette générique n’est, à ce stade de l’analyse, qu’une commodité, un genre ne pouvant être tenu pour un objet en soi : seul le fait de son opposition à un autre genre est pertinente.) On indiquera en regard, précédé (s) du signe « > », le (s) morphème (s) correspondant (s) à ces traits grammaticaux morphémiques.
ÉTIQUETAGE DES TRAITS GRAMMATICAUX MORPHÉMIQUES [20]
1.1. [mor+IDX/+EXT] Indexicalité extratextuelle
1.1.1. [mor+IDX/+EXT/+ITL] Indexicalité extratextuelle interlocutoire
1.1.1.1. [mor+IDX/+EXT/+ITL/+LOC] Indexicalité extratextuelle interlocu
toire du locuteur
1.1.1.1.1. [mor+IDX/+EXT/+ITL/+LOC/-AMP] Indexicalité extratextuelle
interlocutoire du locuteur non amplifiée
> je, me
tuelle interlocutoire du locuteur amplifiée
> nous, on [22]
1.1.1.2. [mor+IDX/+EXT/+ITL/-LOC] Indexicalité extratextuelle interlocu
toire de l’allocutaire
1.1.1.2.1. [mor+IDX/+EXT/+ITL/-LOC/-AMP] Indexicalité extratextuelle
interlocutoire de l’allocutaire non amplifiée
> tu, te
1.1.1.2.2. [mor+IDX/+EXT/+ITL/-LOC/+AMP] Indexicalité extratextuelle
interlocutoire de l’allocutaire amplifiée
> vous
1.1.2. [mor+IDX/+EXT/-ITL] Indexicalité extratextuelle non interlocutoire [23]
1.1.2.1. [mor+IDX/+EXT/-ITL/+SING] Indexicalité extratextuelle non inter
locutoire singulière
1.1.2.1.1. [mor+IDX/+EXT/-ITL/+SING/+MASC] Indexicalité extratex
tuelle non interlocutoire singulière masculine [24]
> il, le, lui, se
1.1.2.1.2. [mor+IDX/+EXT/-ITL/+SING/-MASC] Indexicalité extratex
tuelle non interlocutoire singulière féminine
> elle, la, lui, se
1.1.2.2. [mor+IDX/+EXT/-ITL/-SING] Indexicalité extratextuelle non interlo
cutoire plurielle
1.1.2.2.1. [mor+IDX/+EXT/-ITL/-SING/+MASC] Indexicalité extratex
tuelle non interlocutoire plurielle masculine
> ils, les, leur, se
1.1.2.2.2. [mor+IDX/+EXT/-ITL/-SING/-MASC] Indexicalité extratex
tuelle non interlocutoire plurielle féminine
> elles, les, leur, se
1.2. [mor+IDX/-EXT] Indexicalité intratextuelle [25]
1.2.1. [mor+IDX/-EXT/+SING] Indexicalité intratextuelle singulière
1.2.1.1. [mor+IDX/-EXT/+SING/+MASC] Indexicalité intratextuelle singu
lière masculine
> il, le, lui, se
1.2.1.2. [mor+IDX/-EXT/+SING/-MASC] Indexicalité intratextuelle singu
lière féminine
> elle, la, lui, se
1.2.2. [mor+IDX/-EXT/+SING] Indexicalité intratextuelle plurielle
plurielle masculine [26]
> ils, les, leur, se
1.2.2.2. [mor+IDX/-EXT/+SING/-MASC] Indexicalité intratextuelle plurielle
féminine
> elles, les, leur, se
2. [mor-IDX]
2.1. [mor-IDX (= +SYM)/+GEN] Valeur « générique »
> on, tu, nous, vous, ils
2.2. [mor-IDX/-GEN] Valeur impersonnelle [27]
> il
2.3. Quelques exemples d’analyse sémantique
2.3.1. Principe d’analyse
23 Le principe auquel ressortissent les analyses qui suivent se laisse, en l’occurrence, formuler ainsi :
Soit un énoncé E1, pourvu d’un sens S1 dans un genre noté [gen+GX] (pouvant indifféremment être noté [gen-GY]) [28], un morphème M1 de cet énoncé (pronom personnel clitique) est analysé comme portant le trait grammatical [mor+MX] (pouvant indifféremment être noté [mor-MY]). Soit un énoncé E2, homonyme de E1, pourvu d’un sens S2 dans un genre noté [gen-GX] (pouvant indifféremment être noté [gen+GY]), le morphème M2 homonyme de M1 est analysé comme portant le trait grammatical [mor-MX] (pouvant être indifféremment être noté [mor+MY]).
25 On ne prétend pas, par ces analyses, décrire des faits linguistiques inédits. En outre, on ne vise nullement une description exhaustive des actualisations possibles de traits grammaticaux par les morphèmes de notre paradigme. Le propos est simplement de vérifier le postulat selon lequel, dans l’interprétation d’un énoncé, c’est une compétence générique qui actualise la grammaire sémiotique et de justifier ce postulat par une analyse sémantique strictement différentielle. Tout en empruntant largement leurs appellations classiques aux grammaires, les analyses qui suivent mettent en évidence que ces appellations se rapportent à l’énoncé, non au morphème, et qu’une différence de trait sémiotique suffit à décrire le « sens » du morphème.
2.3.2. Le trait générique « éthique » [29]
Énoncé 1 : Il nous a mangé deux pains au chocolat !
Sens 1 (contexte) : La puéricultrice vante le bel appétit d’Adrien à la maman de ce dernier qui vient le chercher à la crèche.
Trait générique distinctif porté par l’énoncé : [gen+Éthique]
Trait grammatical distinctif de nous : [sgm (+SYM) +PRO/+GN/+CLIT/+ETH]
(= [sgm (+SYM) +PRO/+GN/+CLIT/-OSE])
Énoncé 2 : Il nous a mangé deux pains au chocolat !
Sens 2 (contexte) : Une petite fille, Marie se plaint, auprès de la puéricultrice, d’Adrien qui, faisant partie d’une autre table de goûter qu’elle, est venu piocher dans leurs provisions.
Trait générique distinctif porté par l’énoncé : [gen-Éthique]
Trait grammatical distinctif porté par nous : [sgm (+SYM) +PRO/+GN/+CLIT/-ETH] (= [sgm (+SYM) +PRO/+GN/+CLIT/+OSE]) [30]
2.3.3. Le trait générique « générique » [31]
Énoncé 1 : Par un beau temps comme ça, tu n’as pas envie d’aller travailler !
Sens 1 (contexte) : ( « Toi, mon vieux, je vois ça à ton pas traînant, … »)
Trait générique distinctif porté par l’énoncé : [gen-Générique]
Trait grammatical distinctif porté par tu : [mor1.1.1.2.1.+IDX/+EXT/+ITL/-LOC/-AMP]
Énoncé 2 : Par un beau temps comme ça, tu n’as pas envie d’aller travailler !
Sens 2 (contexte) : ( « Eh oui, je ne me presse pas, mais que veux-tu, … »)
Trait générique distinctif porté par l’énoncé : [gen+Générique]
Trait grammatical distinctif porté par tu : [mor2.1.-IDX (+SYM)/+GEN]
2.3.4. Le trait générique « politesse » [32]
Énoncé 1 : Voulez-vous encore de la soupe ?
Sens 1 (contexte) : Question posée par Jeanne à ses filles, Marie et Julie.
Trait générique distinctif porté par l’énoncé : [gen-Politesse]
Trait grammatical distinctif porté par vous : [mor1.1.1.2.2.+IDX/+EXT/+ITL/-LOC/ +AMP]
Énoncé 2 : Voulez-vous encore de la soupe ?
Sens 2 (contexte) : Question posée, dans un restaurant, par un serveur à un client.
Trait générique distinctif porté par l’énoncé : [gen+Politesse]
Trait grammatical distinctif porté par vous : [mor1.1.1.2.1.+IDX/+EXT/+ITL/-LOC/- AMP]
2.3.5. Le trait générique « hypocoristique caressant » (PV 3)
Énoncé 1 : Alors, elle a mangé son gâteau ?
Sens 1 (contexte) : Question posée par une infirmière à une patiente âgée.
Trait générique distinctif porté par l’énoncé : [gen+Hypocoristique caressant (ou « débilisant »)]
Trait grammatical distinctif porté par elle : [mor1.1.1.2.1.+IDX/+EXT (/+ITL/-LOC/- AMP)]
Énoncé 2 : Alors, elle a mangé son gâteau ?
Sens 2 (contexte) : Question posée par une infirmière à une collègue à propos d’une patiente.
Trait générique distinctif porté par l’énoncé : [gen-Hypocoristique caressant (ou « débilisant »)]
Trait grammatical distinctif porté par elle : [mor1.2.1.2.+IDX/-EXT (/+SING/-MASC)]
2.3.6. Le trait générique « hypocoristique caressant » (PV 1)
Énoncé 1 : Je suis jolie aujourd’hui !
Sens 1 (contexte) : Commentaire, adressé à son mari, de Madame Dupont qui se regarde dans la glace.
Trait générique distinctif porté par l’énoncé : [gen-Hypocoristique caressant] [33]
Trait grammatical distinctif porté par je :
[mor 1.1.1.1.1. +IDX/+EXT/+ITL/+LOC/– AMP]
Énoncé 2 : Je suis jolie aujourd’hui !
Sens 2 (contexte) : Madame Dupont accueille sa petite fille de 2 ans endimanchée qui lui rend visite.
Trait générique distinctif porté par l’énoncé : [gen+Hypocoristique caressant]
Trait grammatical distinctif porté par je :
[mor1.1.1.2.1.+IDX/+EXT/+ITL/-LOC/-AMP]
2.3.7. Le trait générique « agressivité » (PV 3)
Énoncé 1 : Qu’est-ce qu’il me veut ?
Sens 1 (contexte) : Dédé accueille de manière peu amène son ennemi Toto qui vient de sonner à la porte de son appartement.
Trait générique distinctif porté par l’énoncé : [gen+agressivité (envers l’allocutaire)]
Trait grammatical distinctif porté par il : [mor1.1.1.2.1.+IDX/+EXT/+ITL/-LOC/-AMP]Énoncé 2 : Qu’est-ce qu’il me veut ?
Sens 2 (contexte) : Dédé, apercevant par sa fenêtre Toto qui se dirige vers son immeuble, commente l’événement à sa compagne Gigi.
Trait générique distinctif porté par l’énoncé : [gen-agressivité]
Trait grammatical distinctif porté par il : [mor1.1.2.1.1.+IDX/+EXT/-ITL/+SING/ +MASC]
2.3.8. Le trait générique « agressivité » (PV 1)
Énoncé 1 : Je suis pas heureux ?
Sens 1 (contexte) : Au bistrot, Dédé, l’air mauvais, s’adresse à Toto qui le regarde.
Trait générique distinctif porté par l’énoncé : [gen+agressivité]
Trait grammatical distinctif porté par je : [mor1.1.1.2.1.+IDX/+EXT/+ITL/-LOC/-AMP] Énoncé 2 : Je suis pas heureux ?
Sens 2 (contexte) : Dédé, alangui dans les bras de Gigi, philosophe sur son contentement.
Trait générique distinctif porté par l’énoncé : [gen-agressivité (envers l’allocutaire)]
Trait grammatical distinctif porté par je : [mor1.1.1.1.1.+IDX/+EXT/+ITL/+LOC/- AMP]
2.4. Pour conclure ces remarques
33 Ces analyses, en illustrant une théorie linguistique du sens, c’est-à-dire une théorie de la complémentarité d’une linguistique de la langue et d’une linguistique de la parole, entendent essentiellement défendre une thèse épistémologique. Elles n’en indiquent pas moins une méthode. Une telle méthode peut être appliquée, dans le domaine des « pronoms personnels », à de nombreuses autres actualisations de traits grammaticaux – d’autres actualisations des traits dont la typologie a été proposée, tout comme l’actualisation d’autres traits subdivisant les précédents (il n’est que de penser à la complexité des actualisations oppositives possibles du trait de l’ « amplification »). Dans l’analyse littéraire tout particulièrement, la question des instances d’énonciation est cruciale : la sémantique des genres appliquée aux marques de personne est propre à l’éclairer, en cela qu’elle permet d’exploiter rigoureusement les acquis des grammaires dans une perspective interprétative. Si l’on envisage d’autres paradigmes grammaticaux, comme celui des temps verbaux, de riches terrains d’investigation s’offrent à une sémantique différentielle des genres, notamment dans le champ littéraire. De fait, tous les paradigmes grammaticaux sont concernés. Cela tient probablement à ce que toutes les descriptions logico-grammaticales ont pour origine, plus ou moins implicite (épilinguistique, selon la terminologie de Culioli), une perception de ce signifié suprasegmental qu’on a choisi de nommer ici genre, correspondant à ce que d’autres appellent fonctions – et à la réflexion linguistique sur lequel, selon moi, la conception wittgensteinienne des jeux de langage offre l’assise philosophique la mieux élaborée et la plus heuristique. Ce signifié suprasegmental qui, finalement, est le caractère fondamental de la parole, « force active, origine véritable des phénomènes qui s’aperçoivent ensuite dans l’autre moitié du langage » 34.
Notes
-
[1]
Pour des éclaircissements sur les fondements wittgensteiniens de ma réflexion, cf. « De la méthode directe aux Investigations philosophiques… », art. cit. dans l’introduction du présent numéro et « Pour une sémantique wittgensteinienne des genres linguistiques », Analyse des discours. Types et genres : Communication et Interprétation (dir. M. Ballabriga), Éditions universitaires du sud (collection Champs du signe), 2001.
-
[2]
Cf. l’introduction de ce numéro.
-
[3]
Elle rejoint, en lui donnant un contenu épistémologique bien spécifié, la distinction sémiotique/ sémantique proposée par Benveniste.
-
[4]
Ce qu’on appelle ici signe grammatical équivaut au signe linguistique de Saussure.
-
[5]
On laisse de côté les deux autres trichotomies peirciennes, celle du signe en lui-même et celle des modes de représentation de l’interprétant : elles ne sont pas nécessaires à la définition d’une sémiotique des grammaires.
-
[6]
On peut tenir que, face à la diversification des descriptions et des théories grammaticales, un principe de classification intégral de ces dernières – c’est-à-dire une épistémologie – est un enjeu d’importance pour les sciences du langage : sans cette épistémologie, elles ne seraient en mesure de définir ni un objet « langage » unifié ni même un objet « langue ». Or la fondation sémiotique est probablement, philosophiquement parlant, la seule qui puisse soutenir l’épistémologie des théories grammaticales.
-
[7]
Bien que le substrat phonémique (ou syllabique) – de « deuxième articulation » – appartienne en droit à une sémantique, on n’en dira rien ici, faute de place.
-
[8]
Cf. Collected papers, t. 2, pp. 274 sq. : « Une des vérités philosophiques mises à jour par la logique booléenne est que les icônes du genre algébrique, quoique très simples la plupart du temps, existaient dans toute proposition grammaticale ordinaire. (…) Dans la syntaxe logique de toute langue, il y a des icônes logiques du genre de celles qui sont soutenues par des règles conventionnelles. (trad. d’A. Rey in : Théories du signe et du sens, II, Paris, Klincksieck, 1976, p. 23) ».
-
[9]
Cette opération rend compte de ce que la description syntaxique puisse être tenue, intégralement et à tous ses niveaux, pour une description de la fusion de deux constituants (X et Y) en un constituant Z.
-
[10]
Une telle description sémiotique, fait apparaître, sans rien lui enlever de son homogénéité descriptive, le fait dit « syntaxe » à la fois comme complexe et comme de même nature que les autres faits linguistiques.
-
[11]
Le signifié comporte, dans ce cas, le trait sémique /+ son/.
-
[12]
Cette dénomination s’entendant dans un sens non conventionnel, fondé sur la philosophie wittgenteinienne des jeux de langage.
-
[13]
Cf. l’introduction de ce numéro.
-
[14]
L’analyse se donnant pour méthode de décrire, pour deux signifiants textuels homonymes au plan segmental, la corrélation entre deux genres distincts et deux configurations grammaticales distinctes peut laisser de côté, dans son premier temps au moins, la description du signifiant générique, l’éventuelle mise en évidence de deux signifiants génériques distincts – marques intonatives, posturo-gestuelles, graphiques, etc. (cf. à ce sujet, l’article de Mary-Annick Morel) – n’étant propre, à ce stade, qu’à confirmer cette analyse.
-
[15]
La possibilité même de cette analyse est, me semble-t-il, un argument en faveur de l’ « origine générique » du sens : si l’ambiguïté sémantique – tenant à la coexistence de deux (ou plusieurs) configuration (s) grammaticale (s) possible (s) – est un caractère inhérent des énoncés du langage, le signifié générique serait, génétiquement, ce qui a pour fonction de lever cette ambiguïté.
-
[16]
La notion de « pronom personnel » ne faisant pas, comme on le sait, l’objet d’un consensus parmi les grammairiens, on pourrait considérer le paradigme choisi comme trop large ou trop étroit au regard de telle ou telle définition. Le lecteur gardera présent à l’esprit qu’il ne s’agit ici que d’esquisser un principe d’analyse. Selon d’autres critères, le corpus de cette analyse aurait pu être encore réduit, ou au contraire étendu à d’autres clitiques verbaux.
-
[17]
À tout point de vue, la présente analyse est une simplification : elle n’a pour ambition que d’illustrer un cadre épistémologique. Si ce cadre est pertinent, une analyse tenant compte de paramètres plus complexes doit également pouvoir s’y inscrire. Par exemple, le critère morphologique posé ici – allomorphisme – n’est probablement pas complètement tenable (cf. D. Leeman, « Je, me, moi : allomorphes ou facettes différentes de la première personne ? », in D. Lagorgette & M. Lignereux (dir.) Comme la lettre dit la vie, Linx, numéro spécial, 2002 ; on fait l’hypothèse qu’une sémantique des genres est susceptible aussi de rendre compte des valeurs différenciées des différentes « facettes » des pronoms).
-
[18]
L’étiquette Proforme/Groupe nominal s’entend ici d’un point de vue uniquement syntagmatique, sans référence à la nature sémiotique décrite dans la section Traits grammaticaux morphémiques.
-
[19]
Une description adéquate du système général des positions clitiques est pourtant, habituellement, manquée par les grammaires. Il y en a, selon moi, cinq (dans l’exemple ci-dessous, ce sont les positions Sujet, Éthique, Objet direct, Objet second, Circonstant :
– Tu vas quand même pas envoyer cette lettre à Paul chez son oncle au Chili !
– Un peu que j’te la lui y enverrai, moi, cette lettre, chez son oncle, à ce petit crétin ! )
En outre, la position Éthique peut être multipliée (contrairement aux autres positions) :
Il te vous enguirlanda le sénateur, faut voir ! (Aragon, cité par Wilmet). -
[20]
Les compositions de traits soulignées sont celles qui sont actualisées par un morphème.
-
[21]
Comme on le voit, cette typologie, fidèle à Benveniste quant aux morphèmes de PV 1 et PV 2 (et donc de PV 4 et PV 5), s’éloigne de Benveniste quant aux morphèmes de PV 3 (et donc de PV 6). Ces derniers font ou ne font pas classe avec les précédents selon qu’ils relèvent d’une indexicalité extratextuelle (déictiques) – le trait « -interlocution » les distinguant cependant des « pronoms de dialogue » – ou qu’ils relèvent d’une indexicalité intratextuelle (anaphoriques).
-
[22]
La classification de nous et on en regard de la valeur [mor+IDX/+EXT/+ITL/+LOC/+AMP](correspondant à deux personnes verbales distinctes, PV 4 et PV 3) distingue cet emploi de on de tous ses autres emplois (indexicaux ou non, cf. infra) : on tient ici que on est, à l’oral, l’actualisation
-
[23]
Il s’agit des emplois déictiques des « pronoms de non-personne » (je montre du doigt à mon interlocuteur une femme dans une foule humaine – ou une voiture dans une foule automobile – : « Regarde comme elle est belle ! »).
-
[24]
Féminin et masculin sont des traits d’accord en genre grammatical (exceptionnellement d’accord référentiel).
-
[25]
Il s’agit des emplois anaphoriques des « pronoms de non-personne ».
-
[26]
Féminin et masculin sont des traits d’accord en genre grammatical (exceptionnellement d’accord référentiel).
-
[27]
Le il dit impersonnel n’est mentionné ici que pour mémoire : il n’entre pas, selon moi, dans le paradigme étudié, en ceci qu’il ne relève pas du trait syntagmatique [sgm (+SYM) +PRO/+GN/ +CLIT/+SUJ]. Mais ceci est une autre histoire.
-
[28]
La double notation entend ici illustrer notre postulat méthodologique : une notation de traits ne rend compte que d’une différence.
-
[29]
Cette description satisfait à notre principe général : le trait « éthique » est un trait porté par l’énoncé, non le morphème : si on le retrouve, dans ce cas particulier, au plan du morphème, ce n’est que comme trait syntagmatique. En d’autres termes : la dénomination « éthique » du trait grammatical lié à la position syntaxique (+ETH) – homonyme de la dénomination « éthique » du trait générique de l’énoncé ( [gen+Éthique]) – recouvre bien deux faits distincts : une valeur sémantique suprasegmentale ; une position syntaxique « spécialisée » (dans le système des clitiques). Une description semblable peut être faite regardant les morphèmes me, te, se, nous, vous.
-
[30]
La comparaison avec l’énoncé « Il nous leur a mangé deux pains au chocolat ! » (la puéricultrice se réjouit du bel appétit d’Adrien qui est allé piocher dans les provisions de ses copines) montre bien que la différence des énoncés 1 et 2 ressortit à une position syntaxique.
-
[31]
La seconde occurrence de générique s’entend dans l’acception, traditionnelle, de « de valeur générale ». Cette valeur est bien un trait de genre (global) de l’énoncé 2, qui détermine également un trait grammatical distinctif (local) porté par son groupe verbal, par opposition au groupe verbal homonyme de l’énoncé 1.
On remarquera que ce trait générique « générique » constitue une détermination indépendante de celle du trait « politesse » dans des énoncés comme : (Madame Durand parle avec sa voisine, qu’elle vouvoie) « Vous savez qui est arrivé hier à l’improviste ? Mes enfants ! … Bien sûr, quand tu ne vois tes enfants que tous les deux ans, tu ne va pas te plaindre. (…) » (relevé en milieu rural). Le trait générique [gen+Générique] est susceptible d’actualiser semblablement le trait grammatical [mor-IDX (+SYM)/+GEN] pour les morphèmes nous, vous et on (cf. la reprise dans « on cherche à rendre service, et il t’/vous engueule ! »). Là encore, la dénomination homonyme de « générique » pour un trait sémantique suprasegmental et pour un trait grammatical ne doit pas prêter à confusion. -
[32]
Il ne s’agit pas ici d’entrer dans le détail complexe des traits génériques pouvant actualiser, d’une manière générale, les oppositions tu/vous. Le trait [gen+Politesse] n’a de nouveau ici pour fonction que de s’opposer au trait [gen-Politesse] dans l’analyse des deux énoncés homonymes concernés, aucunement de sténographier une « essence » (dans certaines situations, il est d’ailleurs moins « poli » de vouvoyer que de tutoyer).
-
[33]
Hypocoristique désigne ici une intonation (c’est-à-dire un signifiant générique) « caressante », selon le terme de Tesnière.