Laennec 2018/4 Tome 66

Couverture de LAE_184

Article de revue

Les centres pluridisciplinaires de diagnostic prénatal (cpcpn) : une activité réglementée pour des enjeux de société

Pages 6 à 20

Notes

  • [1]
    Parmi ces demandes, il est parfois difficile de distinguer celles qui relèvent d’une pathologie psychiatrique et qui pourraient donc être justifiées. Les psychiatres et les psychologues peuvent être déterminants dans la prise en charge.
  • [2]
    Décret n° 2014-32 du 14 janvier 2014 relatif aux diagnostics anténataux. NOR : AFSP1323594D. A lire sur : https://www.legifrance.gouv.fr/eli/decret/2014/1/14/2014-32/jo/texte

Malformations fœtales et anomalies

1Deux à trois pour cent des enfants vivants à la naissance sont porteurs de malformations congénitales, de maladies génétiques invalidantes et/ou d’anomalies chromosomiques. Mais près de 40 000 grossesses, soit 5%, sont susceptibles de faire l’objet d’une demande d’avis auprès d’un CPDPN. Certaines requièrent une prise en charge prénatale pour prévenir des morts in utero ou des séquelles à long terme. D’autres justifient d’orienter la patiente en centre spécialisé pour envisager un accueil qui permettra d’éviter la séparation mère-enfant. D’autres anomalies, enfin, sont beaucoup moins préoccupantes mais peuvent induire des complications ultérieures, comme certaines malformations urinaires sources d’infection chronique, ou les duplications intestinales à l’origine d’occlusion dans l’enfance.

2Certaines de ces anomalies suspectées à l’échographie soulèvent des questions particulières, parce qu’elles viennent troubler le lien mère-enfant ou parce qu’elles sont susceptibles d’amener à une interruption médicale de grossesse (voir encadré page 8) :

3- Pour une anomalie curable visible et parfois impressionnante, comme une fente labio-palatine (bec de lièvre) ou une anomalie des organes génitaux externes (hypospade), le diagnostic prénatal permet de préparer psychologiquement la famille à la naissance. Ces diagnostics peuvent ébranler une famille, car l’enfant est alors « défini » par sa malformation avant d’être reconnu pour lui-même. Certaines familles sont dans l’incapacité de se projeter dans l’avenir.

4- Certaines anomalies fœtales non viables ou source d’un handicap très sévère suscitent d’emblée la demande d’une interruption de grossesse. L’équipe médicale certifie alors leur particulière gravité : citons l’absence de cerveau ou celle des deux reins qui induisent une mortalité postnatale de 100%, ou des anomalies chromosomiques comme la trisomie 13 ou la trisomie 18, exceptionnellement viables au-delà de quelques heures ou jours.

Principales anomalies géniques non chromosomiques

Drépanocytose, mucoviscidose, maladie de Tay-Sachs et certaines holoproencéphalies. Les CPDPN et les laboratoires de génétique peuvent émettre des avis variables sur l’opportunité de faire ces tests prénataux. Les enjeux ne sont pas les mêmes en fonction des maladies en cause. Par exemple, il est exceptionnel d’avoir une demande de diagnostic prénatal pour la polykystose rénale dominante ; alors que les couples confrontés à la polykystose rénale autosomique récessive avec un risque de 50% de récidive et des atteintes lourdes et précoces demandent le plus souvent un diagnostic prénatal. Pour les maladies se manifestant de façon tardive, comme la maladie de Huntington ou certaines myopathies, les équipes sont souvent plus réticentes.

Du dépistage prénatal au diagnostic : la place des CPDPN

5Le diagnostic prénatal a vu le jour dans les années 70 quand l’amniocentèse et l’échographie sont entrées dans la pratique médicale. Le but de cette démarche était de rassurer les patientes et les familles inquiètes du fait d’un antécédent particulier de pathologie fœtale. Avec la prise en charge par la Sécurité sociale de l’amniocentèse en 1980, puis de l’échographie en 1982, les examens prénataux se sont élargis à toutes les femmes enceintes. Il a fallu alors différencier le dépistage et le diagnostic. Bien que la loi prévoie que ces examens ne soient faits qu’à la demande des patientes, l’expérience montre que les échographies prénatales et les tests sanguins maternels sont prescrits par le corps médical comme de banals bilans.

6Dans les années 80-90, la différence entre dépistage et diagnostic était floue. Les CPDPN n’existant pas, certains médecins tendaient à passer directement du dépistage à l’interruption de grossesse en se fondant sur leur propre appréciation, celle des couples et leur perception de l’environnement médical ou familial. La mise en place des CPDPN a permis de créer un espace-temps détaché du premier intervenant médical, en différenciant le dépistage du diagnostic, ce en vue d’une meilleure prise en charge.

Le dépistage

7Le dépistage s’adresse à toutes les femmes. Réalisé avec des tests assez grossiers, il permet de distinguer deux populations : les grossesses à bas risque pour lesquelles aucun autre examen n’est envisagé, et celles à haut risque pour lesquelles seront proposés des examens plus avancés comme l’amniocentèse ou une échographie spécialisée. La distinction entre ces deux groupes n’est pas facile à comprendre ni pour les équipes médicales ni surtout pour les femmes enceintes et leurs familles.

8Ainsi, le dépistage par les échographies de première ligne ou les examens sanguins est source de faux positifs, et peut faire croire faussement à l’existence d’une pathologie alors que l’enfant est en bonne santé. Ces faux positifs seront infirmés par des examens diagnostiques spécialisés qui se révèlent donc nécessaires. Ainsi, pour la trisomie 21, un premier dépistage positif conduit à un prélèvement de liquide amniotique par amniocentèse pour étudier avec précision le caryotype sur les cellules prélevées.

L’obtention du diagnostic et l’évaluation pronostique

9Obtenir un diagnostic comporte plusieurs objectifs pour les CPDPN :

  • rassurer les couples en situation de risque quand le diagnostic écarte la malformation, par exemple en cas d’antécédent d’anomalie génétique ;
  • informer les couples quand un diagnostic est posé ;
  • assurer la prise en charge de l’enfant à naître, notamment pour une malformation susceptible de requérir des soins urgents en période néonatale ;
  • organiser l’accueil de l’enfant porteur d’un handicap, parfois l’accompagner vers un décès néonatal, en cas d’anomalie fœtale non curable lorsque les couples ne demandent pas d’interruption de grossesse ;
  • enfin, permettre aux couples qui le souhaitent d’avoir recours à une interruption de grossesse pour raison médicale dans le cadre de la loi, dans certains cas d’anomalie fœtale d’une particulière gravité et incurable.

10Le temps nécessaire à l’obtention du diagnostic et à l’évaluation pronostique est parfois perçu par les couples comme une rétention d’information, un défaut de compétence ou encore le refus de prendre en compte leur opinion. Il en résulte une responsabilité particulière du praticien effectuant le dépistage : il doit être prêt à reconnaître son incapacité à aller plus loin malgré toutes les connaissances dont il dispose. Le CPDPN vers lequel la patiente est orientée doit expliquer son rôle, différent de celui de l’échographiste de première ligne, afin que l’enchaînement des explications et des examens soit clair.

11Les démarches de dépistage et de diagnostic prénatal engendrent de l’anxiété : risque de complication des gestes invasifs, temps nécessaire incompressible, difficulté à comprendre les notions de faux positifs et faux négatifs des examens de dépistage ; et surtout risque d’être confronté à une anomalie fœtale avec possibilité d’interruption de grossesse.

Du diagnostic aux traitements in utero

12Aujourd’hui, des traitements in utero sont effectués dans les CPDPN ou à leur initiative. Historiquement, c’est le traitement de l’anémie fœtale par incompatibilité rhésus qui a été le premier concerné ; en effet, dès la fin des années 70, des transfusions ont été réalisées pour traiter l’anémie et éviter la mort in utero. Cette activité a diminué depuis une trentaine d’années grâce à la prévention par l’injection systématique de gamma-globulines en cours de grossesse et dans le postpartum pour les femmes rhésus négatives. Aujourd’hui, seulement une cinquantaine de cas annuels sont pris en charge en France dans des CPDPN dédiés.

13D’autres gestes thérapeutiques sont effectués in utero : pose de drains percutanés, thoracique en cas d’épanchements pleuraux, ou rénal pour des malformations qui pourraient être d’évolution défavorable. Depuis 20 ans, la prise en charge des grossesses gémellaires avec placenta unique compliquées d’un syndrome transfuseur-transfusé est possible. Un traitement par laser permet de séparer, en cours de grossesse, le placenta en deux zones distinctes et d’arrêter le partage inéquitable de sang entre les jumeaux.

14Les années 80 ont vu aussi la prise en charge chirurgicale prénatale, à utérus ouvert, de malformations comme la hernie diaphragmatique congénitale ; il s’agissait d’ouvrir l’utérus comme pour une césarienne et de traiter le fœtus de façon anticipée. Ceci n’est plus nécessaire aujourd’hui, la hernie diaphragmatique étant prise en charge grâce à des ballons que l’on gonfle dans la trachée à l’aide d’une caméra miniaturisée introduite dans l’utérus. Leur but est de prévenir le défaut de croissance pulmonaire associé qui provoque le décès du nouveau-né. La chirurgie in utero à utérus ouvert réapparaît pourtant aujourd’hui avec quelques malformations du tube neural à type de spina bifida qui, malgré des résultats mitigés, peut trouver certaines indications dans des histoires familiales particulières. Ces prises en charge hautement spécialisées relèvent donc de rares centres spécialisés.

Organisation et fonctionnement actuel des CPDPN

Organisation d’un CPDPN

15L’équipe du CPDPN comprend au moins un gynécologue-obstétricien, un échographiste, un pédiatre et un généticien ; elle doit associer un psychiatre ou un psychologue, un foetopathologiste (spécialiste de l’autopsie des fœtus et nouveaux-nés), un biologiste à compétence prénatale et un conseiller en génétique. Le CPDPN peut bien sûr s’adjoindre le concours d’autres personnes possédant des compétences ou une expérience particulière. Chaque réunion, en général hebdomadaire, donne lieu à des conclusions qui sont reportées dans chaque dossier avec la liste des participants à cette réunion. Il est bien sûr préférable que, pour chaque pathologie particulière, un spécialiste de celle-ci soit présent.

16Le CPDPN participe au dispositif d’encadrement des activités de diagnostic prénatal et de diagnostic préimplantatoire souhaité par le législateur. Il aide les équipes médicales, la femme et le couple dans l’analyse, la prise de décision et le suivi de la grossesse lorsqu’une malformation ou une anomalie fœtale est détectée ou suspectée et lorsque le risque de transmission d’une maladie génétique amène à envisager un diagnostic prénatal ou préimplantatoire.

Délibéré et prise des décisions

17Lorsqu’une anomalie fœtale est détectée, il appartient aux CPDPN d’attester qu’il existe « une forte probabilité que l’enfant à naître soit atteint d’une affection d’une particulière gravité réputée comme incurable au moment du diagnostic ». Cette attestation permet, si la femme enceinte le demande, de réaliser une interruption volontaire de la grossesse pour motif médical (IMG). En France, cette interruption se fait sans limitation d’âge gestationnel.

18Lorsque la grossesse est poursuivie, le CPDPN participe à son suivi, il met en place la prise en charge de la grossesse et de l’enfant à la naissance en coordonnant les modalités d’accouchement, le lieu et les intervenants nécessaires à la naissance et durant le séjour du nouveau-né.

19L’information des parents doit être la plus objective possible avec, s’il y a lieu, l’aide de spécialistes de l’affection en cause. L’entretien en CPDPN se tient avec un médecin au minimum, mais il est par définition multidisciplinaire et il comprend le plus souvent une sage-femme et parfois un autre membre de l’équipe.

20Lorsqu’une femme demande une IMG, elle doit le confirmer par écrit. La délivrance de l’attestation en vue d’une interruption volontaire de grossesse pour motif médical fait suite à une délibération du CPDPN. Les textes ne précisent pas qu’il s’agit de la réunion multidisciplinaire hebdomadaire, mais beaucoup l’ont traduit ainsi. Se pose alors parfois la question de la responsabilité médicale du praticien en charge du couple par rapport à l’équipe. Dans les cas délicats, le médecin peut être tenté de reporter la décision sur cette réunion de collègues que le couple ne connaît pas, avec le risque de déshumaniser la relation médicale. Hors urgence médicale, la femme se voit proposer un délai de réflexion d’au moins une semaine avant de demander d’interrompre sa grossesse. Pour les dossiers litigieux ou difficiles dont l’examen peut amener les membres du CPDPN à avoir des positions divergentes, il est recommandé de ne pas avoir recours à un vote mais de rechercher, par le dialogue, une position consensuelle.

21Lorsqu’il y a interruption de la grossesse, il convient d’informer le couple sur ses modalités. Le CPDPN doit ensuite accompagner le deuil familial et la prise en charge éventuelle des funérailles. Par ailleurs, le CPDPN doit définir les examens préalables nécessaires à la prise en charge du fœtus décédé, et leurs modalités. Les psychologues sont sollicités à chaque temps de cette prise en charge. Une attention particulière doit être portée à l’examen foetopathologique (autopsique) qui permettra une information adaptée pour les grossesses suivantes. De plus, un examen génétique ou cytogénétique peut être nécessaire, après signature d’un consentement préalable. Il y a lieu de prévoir un conseil génétique pour les grossesses suivantes.

22Il arrive que les CPDPN refusent l’accès à une demande parentale d’interruption de grossesse. Il est difficile de quantifier ces refus : certaines demandes d’emblée réfutées par le médecin ou la sage-femme en charge de la patiente ne parviennent pas aux CPDPN. L’Agence de la biomédecine fait état d’une centaine de dossiers annuels. Immanquablement, ces refus posent la question de l’autonomie des parents et du risque de paternalisme de la part des CPDPN [1]. Certains couples souhaitent la poursuite de la grossesse pour pouvoir accueillir l’enfant et l’accompagner, soit vers un décès inéluctable soit vers un handicap lourd. En 2015, plus de 1300 enfants ont été concernés. Ce chiffre, en hausse constante, était de 400 enfants en 2005. Il est difficile d’identifier les ressorts d’une telle décision. Pour certaines femmes, il s’agit de l’impossibilité de donner la mort à leur enfant. Pour d’autres, quand il est acquis que la vie extra-utérine n’est pas possible, le souhait est de rencontrer l’enfant et de l’accompagner activement lors du décès. Certaines encore paraissent dans l’incrédulité ou la crainte d’une erreur diagnostique. Dans ces cas, il est difficile d’élaborer un projet d’accueil de l’enfant et l’expérience montre que celui-ci est parfois confié à l’adoption du fait de l’incapacité familiale à assurer les soins. Enfin, certaines femmes semblent obéir aux injonctions de leur environnement. Dans ces cas, il faut vérifier que cet environnement sera capable d’accueillir l’enfant à venir et d’organiser sa prise en charge.

23Quelles que soient les raisons de ne pas demander l’interruption de grossesse, le CPDPN doit évaluer l’espérance de vie et définir avec la famille les soins raisonnables à envisager après la naissance. C’est pour ces cas que des soins palliatifs de pédiatrie ont été mis en place dans la plupart des maternités de type III, lesquelles disposent d’une réanimation néonatale permettant la prise en charge des enfants nécessitant des soins lourds.

Activités actuelles des CPDPN

24Chaque année, l’Agence de la biomédecine publie une synthèse des rapports d’activités de tous les CPDPN.

25De manière globale, le taux de dépistage des anomalies fœtales est d’environ de 70 % depuis 20 ans avec un taux stable des IMG pour moins de la moitié d’entre elles. Chaque année, la France effectue environ 7000 IMG. De plus en plus de pathologies graves et incurables ne donnent pas lieu à une demande parentale d’IMG. Pour l’hypoplasie cardiaque du ventricule gauche, d’après le registre des malformations parisiennes, le taux de détection augmentait pour obtenir presque 100 % à partir de 1993, avec un taux d’interruption de grossesse à 70 %. Depuis 2006, le taux d’interruption de grossesse baisse pour être à 30 % en 2014. Les maladies héréditaires du métabolisme donnent lieu à moins de 10 interruptions de grossesse par an en France. Il s’agit des maladies de surcharge lysosomale par exemple.

26Le nombre de prélèvements pour analyse du caryotype fœtal a régulièrement diminué depuis 2009 mais le nombre d’anomalies chromosomiques diagnostiquées est resté stable, à 4000 par an. Il y a donc une meilleure sélection des patientes, notamment grâce au test combiné pour le dépistage de la trisomie 21 et à l’apparition de l’ADN libre circulant.

27A propos de l’activité de génétique moléculaire, les diagnostics les plus souvent recherchés sont :

  • pour les maladies autosomiques récessives, la mucoviscidose et la drépanocytose ; 500 fœtus sont étudiés chaque année pour ces deux maladies et pour chacune une cinquantaine de diagnostics sont posés ; l’amyotrophie spinale ne présente pas de signe échographique prénatal, son diagnostic repose donc exclusivement sur le prélèvement ovulaire ; 160 diagnostics sont effectués par an et 21 fœtus sont atteints ;
  • pour des maladies liées à l’X, c’est la myopathie de Duchêne et le syndrome de l’X fragile qui sont les plus recherchés ;
  • pour les maladies autosomiques dominantes, citons la dystrophie myotonique de Steinert, la sclérose tubéreuse de Bourneville, la maladie de Huntington, l’achondroplasie et l’hypochondroplasie.

28En cas de diagnostic d’une de ces maladies génétiques, moins de la moitié des couples demande l’interruption de grossesse.

29A propos de l’activité en microbiologie, les diagnostics les plus souvent recherchés sont :

  • la toxoplasmose : environ 1300 dossiers sont examinés tous les ans en France en raison d’une séroconversion avec parfois des signes échographiques ; il est très rare que ces séroconversions conduisent à une interruption de grossesse puisque chaque année seulement 5 à 10 sont recensées ;
  • la rubéole est le seul virus pour lequel il existe une recommandation de dépistage systématique lors de la grossesse ; avec la vaccination, il est devenu exceptionnel qu’une séroconversion survienne, et encore plus rare qu’elle aboutisse à une IMG : de l’ordre de 2 par dizaine d’années ;
  • le cytomégalovirus (CMV) : il n’y a pas de recommandation de dépistage pour ce virus ni pour le parvovirus qui sont pourtant fréquemment recherchés. Le cytomégalovirus préoccupe de plus en plus les esprits mais l’activité des laboratoires de virologie des CPDPN est stable entre 2011 et 2015 avec 2500 à 3000 dossiers étudiés. Actuellement, beaucoup de médecins et sages-femmes demandent une sérologie CMV pour leurs patientes en cours de grossesse. La raison semble en être les 30 à 50 interruptions de grossesse effectuées tous les ans pour atteinte fœtale. Les autres virus ne donnent pas lieu à des chiffres aussi élevés. Mais la sérologie systématique du CMV reste discutable puisqu’il n’y a pas de traitement curatif possible et que les IMG ne sont effectuées qu’en cas de signe échographique de gravité ; or 3 échographies sont recommandées pour toute grossesse. Il est donc peu probable de ne pas diagnostiquer une atteinte fœtale marquée. Un nouveau-né sur 300 en France présente du CMV dans les urines sans retentissement sur sa santé. La recherche du virus en période prénatale est donc source de nombreux faux positifs et d’inquiétudes.

L’exemple de la trisomie 21

30La trisomie 21 représente un peu moins de la moitié des anomalies chromosomiques diagnostiquées en période prénatale. Le registre des malformations de Paris montre que depuis 1981, la prévalence des naissances d’enfants vivants porteurs de trisomie 21 est passée de 1/1000 à 1/2000.

31En 1982, environ 1200 enfants porteurs de la trisomie 21 naissaient en France. Aujourd’hui ils sont un peu plus de 500 par an. La possibilité donnée aux couples de pratiquer l’interruption de grossesse en cas de trisomie 21 en a donc diminué la prévalence. En cas de trisomie 21 diagnostiquée en période prénatale, un peu plus de 80 % des patientes ont recours à une interruption de grossesse. Les chiffres semblent discordants mais le nombre de trisomie 21 augmente au premier trimestre. Deux éléments sont à prendre en compte : d’abord l’âge maternel puisqu’on sait que la prévalence de la trisomie 21 augmente avec celui-ci, or cet âge ne cesse d’augmenter depuis 30 ans. D’autre part, le diagnostic de trisomie 21 étant fait de plus en plus tôt en cours de grossesse, il est probable qu’une fraction importante des diagnostics actuels aurait abouti à une fausse-couche spontanée. Selon le registre parisien des malformations congénitales, on observe depuis l’an 2000 une stagnation du taux des interruptions de grossesse et du diagnostic prénatal de la trisomie 21 alors qu’elle était en augmentation continue depuis 1983. Selon l’Agence de la biomédecine, le maximum de cas de trisomie 21 diagnostiqués en période prénatale a été en 2013.

32En 2009, avec 830 000 naissances, 81 % des femmes avaient demandé le dépistage de la trisomie 21, soit 670 000 tests effectués. En 2014, sur le même nombre d’accouchements, 84 % des patientes avaient demandé le dépistage, soit 690 000 tests effectués. Dans le même temps, le nombre d’amniocentèses a été diminué par deux : 79000 à 38500, car les tests de dépistages sont plus fiables avec moins de faux positifs.

33Ce chiffre est encore en baisse depuis l’introduction en 2014 du dosage de l’ADN fœtal libre circulant dans le sang maternel. Ce test permet un dépistage encore plus fin et prend une place grandissante, il n’est pas encore pris en charge par la collectivité mais représente déjà plus de 10 % des trisomies 21 diagnostiquées.

Enjeux éthiques

34Les CPDPN sont confrontés à de très nombreuses questions éthiques. Si certaines d’entre elles trouvent leur réponse dans des principes généraux bien identifiés, d’autres ont été l’objet de réflexions conduites par différentes instances dont le comité consultatif national d’éthique (CCNE).

Principes fondamentaux

35Quatre principes sont habituellement individualisés, à la suite des travaux de Tom L. Bauchamp et James L. Childress : le principe d’autonomie, le principe de non-malfaisance, le principe de bienfaisance et le principe de justice.

Autonomie

36Toutes les lois, y compris celle de 2011, insistent sur le fait que c’est à la femme de demander les tests après avoir été informée par le corps médical. L’échographie obstétricale ne déroge pas à cette règle. La Haute autorité de santé (HAS), dans ses recommandations, ne semble pas suivre cette ligne, puisque qu’elle parle de proposition systématique de dépistage à toutes les femmes enceintes. Cette attitude contrevient à l’avis du CCNE et aux différents textes législatifs.

37Le décret de 2014 [2] précise que c’est au corps médical de justifier que l’information sur le dépistage prénatal a été donnée à la patiente en le mentionnant dans le dossier. Il insiste néanmoins sur l’association d’une signature de la patiente à celle du médecin ou de la sage-femme. En pratique, cette signature est rarement recherchée pour les échographies prénatales. Ainsi, l’autonomie de la femme enceinte est le premier principe fondamental en matière de diagnostic prénatal. Sa volonté et ses choix sont placés au cœur du dispositif et du fonctionnement des CPDPN. Il est néanmoins recommandé d’impliquer le plus souvent possible le conjoint dans les différentes étapes de la prise en charge. Il s’agit en quelque sorte de quitter le paternalisme dont la médecine était empreinte jusqu’au XXe siècle.

Bienfaisance et non-malfaisance

38Elles consistent à ne pas juger les couples dans leur décision, à les accompagner et les soutenir quelle que soit leur orientation.

Principe de justice

39Il consiste à l’égalité d’accès et de traitement pour toutes les femmes enceintes. L’Unité Inserm Epopée a montré, en accord avec la littérature internationale, que le niveau d’éducation était une variable associée à la participation au dépistage prénatal. Ainsi, les femmes nouvellement immigrées comme les femmes à bas revenus sont significativement moins enclines à participer au dépistage.

40La société peut être profondément touchée si l’addition de décisions individuelles aboutit à un rejet en masse du handicap. Le principe de justice pourrait prendre en compte les capacités de chacun à accueillir la personne handicapée ; il s’agirait ici de déployer des moyens (financiers et d’organisation sociale) pour les familles accueillant une personne handicapée.

Réserves exprimées par le CCNE

41Certaines questions éthiques ont été soulevées par le CCNE. En 1985, celui-ci s’est inquiété dans son avis n°5 de l’écart existant entre méthodes de diagnostic et moyens thérapeutiques ; cet écart peut faire craindre que le recours fréquent au diagnostic prénatal ne renforce le phénomène social de rejet des sujets considérés comme anormaux, rendant encore plus intolérable la moindre anomalie du fœtus ou de l’enfant. En 1993, alors que le dépistage de la trisomie 21 par la prise de sang maternel et l’échographie au premier trimestre se généralisait, le CCNE n’a pas souhaité approuver, dans son avis n°37, un programme de santé publique visant à un dépistage de masse systématique de la trisomie 21, qu’il soit direct ou qu’il recoure à des dosages biologiques.

42En 2009, le CCNE rappelle dans son avis n°107 concernant les handicaps congénitaux que la société doit rendre envisageable une décision parentale de poursuite de la grossesse malgré le risque d’aboutir à la naissance d’un enfant handicapé.

Bien commun et transgression du respect dû à toute vie

43Les quatre principes précédemment décrits nous paraissent insuffisants puisque le principe de bien commun n’apparaît pas, alors qu’il était évoqué par le CCNE. En effet, la société peut être profondément touchée si l’addition de décisions individuelles aboutit à un rejet en masse du handicap. Le principe de non-malfaisance ignore la notion de coaching qui apparaît actuellement dans notre société et qui consiste à encourager les couples qui le souhaitent à rechercher les ressources pour ne pas rechercher des responsables extérieurs aux événements de leur vie. Il s’agit ici d’inscrire la réflexion dans un parcours de vie et d’anticiper les conséquences à long terme individuelles et collectives. Ne pas juger ne suffit pas, il faut se sentir responsable de l’autre pour pouvoir l’aider positivement. Enfin, le principe de justice pourrait prendre en compte les capacités de chacun à accueillir la personne handicapée ; il s’agirait ici de déployer des moyens pour les familles accueillant une personne handicapée. Il ne s’agit pas seulement de moyens financiers mais d’organisation sociale. L’interruption de grossesse est une transgression de la loi vis-à-vis du respect dû à toute vie humaine dès son commencement. Pour les équipes médicales, cette transgression est mise en balance avec la limite de ce que peut supporter chaque famille. En effet, les techniques de réanimation et de chirurgie palliative permettent de prolonger la vie de nombreux enfants porteurs de malformations graves. Et ces traitements ne sont pas tous raisonnables.

44Certains ont pu affirmer que la prise en charge financière de l’ensemble de ces tests était incitatrice au diagnostic prénatal et donc à l’interruption de grossesse en cas d’anomalie. Cet inconvénient ne peut être contrebalancé que par une information juste et loyale de la part des professionnels et la prise en charge notamment financière qui permet une vraie égalité entre les patientes.

45La question est donc complexe et ne peut être abordée au niveau collectif qu’avec la notion de bien commun et de moyens mis en œuvre pour l’accueil du handicap.

46Aujourd’hui, des femmes enceintes sont passées elles-20 mêmes par le filtre du dépistage prénatal quand elles étaient fœtus. Ceci change le vécu de ces examens. Il est intéressant de noter par exemple que les neurochirurgiens pédiatres signalent un nombre toujours croissant d’interventions chirurgicales sur les spina bifida depuis 20 ans, car les parents sont aujourd’hui de moins en moins demandeurs d’interruption de grossesse.

Conclusion

47Il serait hasardeux de qualifier le diagnostic prénatal de pratique médicale eugéniste ou « pro-vie ». Le diagnostic prénatal est très largement encadré par la loi française, même si quelques textes issus de la Haute autorité de santé ou de recommandations professionnelles laissent croire qu’un dépistage de masse est possible. La loi française ne va pas dans ce sens et les chiffres issus des CPDPN sont rassurants. Ainsi, en 35 ans le nombre d’enfants porteurs de la trisomie 21 naissant vivants est passé d’un peu plus de 1000 à un peu plus de 500. Nous sommes loin de l’hécatombe systématique dénoncée par certains. Les équipes des CPDPN n’insistent jamais pour obtenir une interruption médicale de grossesse. Ce n’est pas toujours le cas de l’environnement des patientes : famille, amis, médecins ou sages-femmes de proximité. La mise en place des CPDPN a donc été une vraie avancée pour le respect des droits dès le commencement de la vie.


Mots-clés éditeurs : IMG, interruption médicale de grossesse, trisomie 21, CPDPN

Date de mise en ligne : 14/11/2018

https://doi.org/10.3917/lae.184.0006

Notes

  • [1]
    Parmi ces demandes, il est parfois difficile de distinguer celles qui relèvent d’une pathologie psychiatrique et qui pourraient donc être justifiées. Les psychiatres et les psychologues peuvent être déterminants dans la prise en charge.
  • [2]
    Décret n° 2014-32 du 14 janvier 2014 relatif aux diagnostics anténataux. NOR : AFSP1323594D. A lire sur : https://www.legifrance.gouv.fr/eli/decret/2014/1/14/2014-32/jo/texte

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