1Revue Laennec : Comment vous est venue l’idée de partir à Madagascar ?
2Lauriane : À Marseille, beaucoup d’étudiants en deuxième ou troisième année de médecine montent un projet de solidarité internationale dans le cadre de l’association très dynamique Etudiants marseillais actifs dans la société et la solidarité internationale (EMASSI). Plusieurs équipes partent chaque été au Pérou, en Inde, au Vietnam, au Cambodge ou à Madagascar, mais les places sont limitées. Tous ceux qui postulent pour partir avec EMASSI ne sont pas retenus. Nous avons donc décidé de monter notre propre projet avec plusieurs amis de l’aumônerie Team’One. Nous étions cinq au début de l’année à vouloir réaliser un projet de solidarité durant l’été, sans avoir a priori d’idée sur la destination. Nous avons donc prospecté plusieurs pistes, notamment le Vanuatu, le Proche-Orient…
3Justine : Il se trouve que je connaissais les Sœurs de Notre-Dame de la Salette implantées à Gap. Beaucoup d’entre elles sont malgaches. Comme elles développent deux axes principaux, l’un dans l’éducation, l’autre dans la santé, nous avons pris contact avec elles pour envisager un séjour auprès d’une communauté de Madagascar.
4Revue Laennec : Comment avez-vous préparé votre séjour ?
5Clémentine : Nous avons construit notre projet tout au long de l’année, en partant des besoins exprimés. Nous ne voulions pas imposer nos plans, mais bien nous mettre au service des religieuses qui, sur place, connaissent les besoins réels. Après plusieurs échanges, un programme en deux temps s’est esquissé : une première semaine à Fierenana, où les sœurs de Notre-Dame de la Salette gèrent une école primaire et un collège ; et trois semaines à Bemahatazana, où elles ont la charge d’un lycée et d’un dispensaire.
6Julien : Il nous a fallu bien sûr consacrer un peu d’énergie à récolter des fonds. Dans cette perspective, nous avons organisé une soirée malgache à Gap. Le Secours catholique et nos familles nous ont également beaucoup aidés financièrement.
7Lauriane : En avril, un événement tragique a failli remettre en cause notre projet. Nous avons en effet appris que des religieuses avaient été agressées, et certaines violées, par des bandes de hors-la-loi. Cela avait eu lieu à Antsahatanteraka, dans une autre région que là où nous voulions nous rendre… mais vu de France, cela avait de quoi inquiéter nos familles. Finalement, les sœurs de Notre-Dame de la Salette ont reçu l’assurance des autorités locales que leur communauté bénéficierait d’une protection policière.
8Revue Laennec : Vous êtes finalement partis le 19 juin pour revenir le 17 juillet. Qu’avez-vous vécu là-bas ?
9Paul : Nous sommes partis accompagnés de sœur Miora, en mission à Gap et qui repartait rendre visite à sa famille après quatre années de présence en France. Après notre arrivée à la capitale, Antananarivo, nous nous sommes rendus à Fierenana, un petit village très excentré. Cette bourgade d’environ 2 000 habitants est le centre d’un canton qui en compte 50 000. C’est une région assez peu développée. Les gens y vivent d’agriculture (essentiellement la culture du riz) et de l’élevage des zébus. C’était la fin de l’année scolaire et l’école primaire avait pour ainsi dire organisé la semaine en fonction de notre venue. Les enfants ne parlaient pas français, les sœurs traduisaient donc nos propos. C’est la première fois qu’ils rencontraient des Occidentaux.
10Julien : Nous visions trois publics : les enfants, les parents et les enseignants. Nous voulions apporter une aide dans trois domaines : l’hygiène, le sport et la créativité manuelle. Ces trois domaines se prêtent assez bien à des activités ludiques. Avec les enfants, nous avons organisé, par exemple, un petit jeu sur les microbes, ce qui nous a permis d’aborder l’importance de se laver les mains. Avec les enseignants, nous avons réfléchi au dispositif à mettre en place pour que les enfants puissent se laver les mains à l’école. Avec les parents, nous avons animé un quizz sur les problèmes d’hygiène rencontrés. Cela nous a permis, entre autres, de mieux cerner les habitudes prises face à des problèmes de santé. Nous avons ainsi découvert que les antibiotiques pouvaient s’acheter sur le marché sans prescription aucune.
11Lauriane : Nous avons également organisé avec les enfants des olympiades et des ateliers de fabrication de colliers, de masques et de poupées. Nous avons quitté le village juste après la fête nationale du 26 juin. Nous étions comme des VIP, placés dans la tribune d’honneur à côté du maire. Nous avons dû improviser des discours et même une danse qui se voulait être de chez nous !
12Revue Laennec : Quelle a été l’étape suivante de votre voyage ?
13Clémentine : Nous avons rejoint Bemahatazana, une grosse bourgade située à plus de 3 heures de la première route goudronnée. Là-aussi, la population est très modeste, 10 000 habitants environ. L’activité économique tourne autour de l’agriculture. De temps à autre, des marchands viennent de la ville la plus proche. Nous y sommes arrivés en taxi-brousse. Nous étions hébergés dans la maison de la communauté des sœurs de Notre-Dame de la Salette. Une bonne dizaine de novices religieuses y résidaient. Nous étions quasiment du même âge et nous avons beaucoup discuté avec elles. De nombreuses séances de conversation leur ont permis d’améliorer leur français.
14Julien : Les religieuses nous ont vraiment accueillis magnifiquement. Elles nous ont hébergés dans deux chambres de la communauté qu’elles avaient libérées pour nous. Les sœurs vivent dans une maison modeste et consacrent leur temps à l’éducation dans leurs écoles, aux soins dans le dispensaire et à la prière personnelle et communautaire.
15Paul : Chaque jour, l’un d’entre nous allait proposer ses services au dispensaire tenu par les sœurs. Cela a été très enrichissant et en même temps très délicat. Nous étions souvent très circonspects devant telle ou telle manière de faire. Il n’y avait pas de médecin et l’infirmière était une toute jeune diplômée. Les moyens dont elle disposait étaient dérisoires. J’étais parfois tenté de dire ce qu’il aurait fallu faire. Mais cela aurait pu être compris comme un reproche. Je me suis donc gardé de propos paraissant donner des leçons.
16Lauriane : Nous avons été beaucoup dans l’observation. Quand une pratique me semblait surprenante, je me suis risquée à poser une question : « Pourquoi faites-vous cela ? » Les raisons invoquées étaient souvent tout aussi surprenantes. Par exemple, au dispensaire des sœurs, les patients donnent une petite contribution financière… Et donc, les malades attendaient une prescription avec beaucoup de médicaments. Pour cette raison, paracétamol et antibiotiques étaient systématiquement prescrits !
17Julien : Au dispensaire, j’ai assisté au premier accouchement de ma vie. La jeune maman avait 16 ans. Plusieurs femmes étaient venues aider la sage-femme. Même si j’avais une blouse médicale, ma présence n’était pas évidente. J’ai compris que pour des questions de pudeur, je ne devais pas trop regarder le bassin dénudé de la jeune femme.
18Justine : 75% des consultations au dispensaire concernaient le paludisme. Nous avons aussi rencontré beaucoup de complications post-circoncision chez de jeunes adultes. Même chez les chrétiens, de vieilles habitudes animistes continuent d’être pratiquées. Parfois, c’est le médecin qui fait l’intervention de circoncision, parfois non. Et dans ce cas, il n’est pas rare qu’il y ait une infection.
19Revue Laennec : Comment occupiez-vous votre temps libre ?
20Lauriane : Il faisait nuit vers 17h30 et, pour des raisons de sécurité, nous n’avions pas le droit de sortir, y compris pour aller aux toilettes situées au fond du jardin. À Madagascar, il y a une organisation de type mafieux qu’on appelle les Dahal. Ce sont des bandits de grand chemin qui volent le bétail à un endroit pour le revendre ailleurs. Ils jouissent d’une sorte d’impunité et sont prêts à tout pour arriver à leurs fins. Lors de notre séjour, la mairie avait envoyé deux gendarmes pour assurer la sécurité de la communauté. Comparé à là où nous étions, Marseille c’est plutôt paisible !
21Julien : Avant notre départ, le directeur du centre Laennec de Marseille nous avait remis une quinzaine d’enveloppes surprises… avec des pistes susceptibles de nous aider à réfléchir et à partager. Tous les soirs nous faisions un petit débriefing et un soir sur deux, nous prenions le temps d’échanger ou de prier ensemble. Nous prenions également du temps personnel pour écrire notre journal de voyage.
22Revue Laennec : Que diriez-vous, avec un peu de recul, sur cette expérience à Madagascar ?
23Clémentine : J’ai découvert une population qui vit dans une grande simplicité, voire une précarité et j’ai pris conscience qu’en France nous vivons dans un luxe quasi généralisé. Nous nous plaignons souvent, sans nous rendre compte que nous sommes finalement très chanceux. L’accès à l’éducation et aux soins n’est sans doute pas parfait en France, mais en comparaison avec la situation malgache nous sommes nantis. Avec peu, les gens sont capables d’être heureux. Ainsi, dans la fanfare, le flûtiste avait une flûte fabriquée avec un tube de PVC troué. Les enfants jouaient avec un ballon fait de sacs plastiques et de morceaux de ficelle. Les jeunes connaissent par cœur d’innombrables chants : nul besoin de carnet de chants ou de karaoké !
24Justine : Ce qui m’a le plus touché, c’est d’avoir rencontré des gens très modestes et en même temps très généreux. Nous avons reçu beaucoup de cadeaux, surtout en nourriture, alors que nous savions que les gens n’avaient pas de quoi manger convenablement chaque jour. Nous avons laissé beaucoup de ces cadeaux aux sœurs pour qu’elles les redistribuent. Pour moi, cela a été belle leçon d’hospitalité.
25Lauriane : Les sœurs de Notre-Dame de la Salette avaient un peu peur de nous conduire dans des lieux aussi reculés. Sœur Miora, qui nous a accompagnés et connaît la mentalité française, avait peur que nous soyons déstabilisés, voire choqués, par la réalité de Madagascar. Elle voulait comme nous préserver. En fait, cela a été salutaire de nous confronter à une réalité difficile. J’ai en particulier appréhendé combien être pauvre ne signifiait pas être malheureux. Les enfants que j’ai rencontrés étaient objectivement très démunis sur le plan matériel, mais cela ne les empêchait pas d’exprimer une très grande joie de vivre.
26Paul : De fait, les gens que nous avons rencontrés vivaient dans une très grande simplicité matérielle, mais il y avait entre eux une très grande solidarité. Le réseau familial est très resserré. La famille est un vrai lieu de soutien mutuel. Pour ma part, ce qui a été le plus formateur pour moi, c’est d’apprendre la patience, en particulier pour comprendre ce que les gens pensaient vraiment. Dans la mentalité occidentale nous sommes marqués par le cartésianisme : une pensée claire s’exprime clairement. En France, par souci d’efficacité dans les relations, nous sommes plutôt enclins à dire les choses de manière directe. À Madagascar, j’ai dû consentir à ce que le temps des Malgaches ne soit pas le mien. J’ai dû accepter que le temps et la patience soient nécessaires pour comprendre ce qui est exprimé. J’espère m’en souvenir dans ma pratique professionnelle.
27Julien : Mon séjour à Madagascar m’a permis de prendre conscience de l’importance de l’hospitalité et du partage, valeurs qu’on a parfois tendance à oublier en France. Ce séjour m’a également fait réfléchir à l’orientation que j’aimerais donner à ma future carrière : la médecine humanitaire, pourquoi pas ?
28Revue Laennec : Avez-vous envisagé de donner une suite à votre démarche ?
29Paul : C’est notre souhait ! Dans le cadre de l’aumônerie, nous en avons lancé l’idée. Quelques étudiants pourraient être intéressés pour monter un autre projet l’été prochain. Lauriane, Julien et moi, en ce qui nous concerne, nous partirons à Hong-Kong aux rencontres internationales de Taizé avec le Centre Laennec de Marseille.
30Justine : L’été prochain, Clémentine et moi, nous envisageons de partir deux mois en Islande pour un stage de médecine. Nous gardons des liens sur Facebook, notamment avec les novices malgaches de Notre-Dame de la Salette.
31Clémentine : Nous avons organisé deux soirées de retour, l’une à Gap, l’autre à la Timone à Marseille. Nous espérons que notre diaporama aura suscité le désir parmi les étudiants plus jeunes de prendre la relève !